LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
OTTAWA, le jeudi 11 décembre 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour étudier le potentiel d’accroissement du commerce et de l’investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, y compris dans les secteurs de croissance clés des ressources, de la fabrication et des services; les mesures fédérales nécessaires à la réalisation des possibilités cernées dans ces secteurs clés; et les possibilités d’intensifier la collaboration au niveau trilatéral; et pour étudier les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d’économie dans la région de l’Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d’autres questions connexes.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit son étude du potentiel d’accroissement du commerce et de l’investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, y compris dans les secteurs de croissance clés des ressources, de la fabrication et des services; des mesures fédérales nécessaires à la réalisation des possibilités cernées dans ces secteurs clés; et des possibilités d’intensifier la collaboration au niveau trilatéral.
C’est avec plaisir que je souhaite la bienvenue à M. Derek Burney, conseiller stratégique principal chez Norton Rose Fulbright Canada. Je vous remercie d’être revenu. Nous vous avons accueilli il y a quelque temps, mais la sonnerie avait retenti et vous aviez très gracieusement accepté de revenir à un moment plus calme. Autrement, vous auriez été obligé de scinder votre exposé. Nous vous remercions de votre considération à l’égard du comité.
Est également présent M. Paul Davidson, président de l’Association des universités et collèges du Canada. Le comité le connaît bien; il comparaît souvent devant nous. M. Derek Burleton, vice-président et économiste en chef adjoint pour le Canada, du Groupe Banque TD, participera à la réunion par vidéoconférence. Nous avions prévu de recevoir un autre intervenant, mais il n’est pas ici en ce moment.
Comme nous avons un programme très chargé, je donne la parole à M. Burney. Je crois que tous connaissent notre fonctionnement. Nous aimons avoir assez de temps pour une période de questions et réponses après l’exposé des témoins.
Monsieur Burney, la parole est à vous.
Derek Burney, conseiller stratégique principal, Norton Rose Fulbright Canada LLP / S.E.N.C.R.L., s.r.l., à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente. Bonjour, mesdames et messieurs. Je suis ravi d’être ici ce matin. Si vous n’y voyez aucun inconvénient, je vais m’écarter légèrement du sujet à l’étude et tenter d’expliquer pourquoi j’estime que le Canada devrait se concentrer sur d’autres priorités en matière de commerce et d’investissement.
David Petraeus, général à la retraite, et Bob Zoellick, ancien président de la Banque mondiale, viennent de terminer une étude pour le compte du Council on Foreign Relations. Dans leur rapport, ils prônent une revitalisation de l’ALENA et proposent des moyens constructifs d’exploiter plus efficacement notre énorme potentiel énergétique et de stimuler la croissance économique, en renforçant le partenariat entre les trois pays. Je suis entièrement d’accord avec eux, mais je partage aussi leur analyse peu enthousiaste de la situation actuelle. S’ils pensent à l’avenir, comme moi, c’est parce qu’ils n’ont que peu d’espoir pour les deux prochaines années.
Dans un rapport publié encore plus récemment, le Conseil canadien des chefs d’entreprise déplore la même chose. Les auteurs affirment que la stratégie qui consiste à agir au petit bonheur la chance ne sera plus suffisante. Le rapport ne manque pas de déclarations grandiloquentes. Il cerne quelques-uns des problèmes, mais élude les différends les plus controversés et est avare de solutions.
Le Canada devra toujours veiller à préserver son accès important au marché vital que représentent les États-Unis. C’est un marché où, à l’heure actuelle, nous devons essentiellement défendre nos acquis et déployer beaucoup d’efforts sur de nombreux fronts. Ai-je besoin de mentionner la politique d’achat aux États-Unis ou la politique discriminatoire d’étiquetage du bœuf, sans parler du pont entre Windsor et Detroit ou de l’oléoduc Keystone? Malheureusement, rien ne donne à penser que Washington a la volonté en ce moment d’éliminer les irritants, pas plus d’ailleurs que de créer de nouvelles possibilités de croissance trilatérale.
Nous voyons notre part de marché diminuer aux États-Unis, et ce que nous perdons, nous ne le gagnons pas ailleurs. Voilà le problème, le défi auquel se heurte le Canada. La reprise économique aux États-Unis est une bonne nouvelle pour tout le monde, et nous serons sans doute en mesure d’accroître nos exportations là-bas, mais, toutes proportions gardées, cette hausse ne sera pas si importante que cela, surtout parce que des concurrents tels que la Chine et le Mexique s’accaparent de parts de marché plus grandes.
Quand bien même nous souhaiterions ardemment, à l’instar de nombreux autres pays, avoir une relation spéciale avec les États-Unis, ceux-ci ne sont pas vraiment capables ni désireux de nous rendre la pareille. Nous avons appris — du moins, c’est mon cas — à nos dépens que l’ère Mulroney, cette période où la confiance réciproque et les avantages mutuels étaient à leur paroxysme, était en fait l’exception, et non la règle. Ce n’est pas de sitôt qu’on revivra pareille époque.
Évidemment, le déclin de la capacité concurrentielle du secteur manufacturier de l’Ontario fait partie du problème. Dans le dernier rapport du vérificateur général, un graphique montre à quel point l’Ontario a peu profité de l’aide financière substantielle offerte par les gouvernements fédéral et provincial aux fabricants américains d’automobiles. Qui plus est, une augmentation des taux d’imposition à cause de déficits excessifs ne fera pas de cette province un endroit plus attrayant pour investir et faire des affaires.
Dans Brave New Canada, l’ouvrage que Fen Hampson et moi avons publié récemment — permettez que j’en fasse la promotion quelques instants —, nous analysons le virage radical qui caractérise l’économie mondiale. On délaisse les marchés traditionnels comme les États-Unis au profit des marchés émergents, plus particulièrement ceux de la région de l’Asie-Pacifique. D’ailleurs, la Chine est sur le point de supplanter les États-Unis comme première économie. À mon avis, c’est dans cette région qu’il faut passer à l’offensive et tirer parti des avantages offerts. Nous pensons que le Canada devrait prendre modèle sur Wayne Gretzky et aller là où il y a un potentiel de croissance du commerce et de l’investissement plutôt que là où ce potentiel a déjà été. Notre destin est peut-être tributaire de notre position géographique, madame la présidente, mais la géographie ne devrait pas restreindre nos priorités ou notre ambition.
C’est la raison pour laquelle nous recommandons l’adoption d’une stratégie vigoureuse et concertée qui nous permettrait de réduire notre vulnérabilité économique par rapport aux États-Unis, de rééquilibrer la relation et d’y faire contrepoids en saisissant des occasions de croissance plus dynamique ailleurs. La dépendance excessive du Canada à l’égard des États-Unis engendre un certain laisser-aller chez nous, et c’est là un réel problème. Il nous faut reconnaître que les États-Unis se préoccupent de plus en plus de leurs propres problèmes et agissent plus souvent exclusivement dans leur propre intérêt, en particulier dans le cadre de négociations commerciales comme celles du partenariat transpacifique.
L’Accord économique et commercial global avec l’Union européenne, quand il sera mis en œuvre, et l’Accord de libre-échange Canada-Corée, qui entrera en vigueur le 1er janvier, sont des pas dans la bonne direction, mais ce n’est pas suffisant. Il faut faire plus, beaucoup plus avec la Chine, l’Inde et l’Indonésie, pour ne nommer que quelques pays. Favoriser une relation plus fructueuse avec le Mexique pourrait aussi s’avérer une priorité, si nous pouvions arriver à résoudre cette histoire ridicule au sujet des visas.
Nous devrions nous inspirer davantage de l’Australie, reconnaître que nous avons un retard à rattraper, particulièrement en ce qui concerne la Chine et l’Inde, et nous mettre à négocier plus d’accords qui servent nos intérêts. Je n’ai rien contre les visites très médiatisées, mais elles sont sporadiques. La substance vient du dialogue et des négociations continus et de meilleures règles, qui créent un climat de certitude.
Les populations asiatiques sont en général jeunes et de plus en plus urbaines. Selon le magazine The Economist, la taille de la classe moyenne dans les pays asiatiques s’est multipliée par sept depuis l’an 2000, ce qui se traduit par un nombre accru de consommateurs qui ont besoin de denrées, de produits et de services, ce dans quoi le Canada peut exceller.
Ce n’est pas uniquement un défi à relever pour le gouvernement. Le secteur privé doit s’armer d’une meilleure tolérance aux risques et adopter une approche plus créative, voire audacieuse, à l’égard des marchés qui présentent un véritable potentiel. Quand on lit que Jack Ma, qui a créé le site Web Alibaba, veut importer 200 000 homards canadiens en une seule journée, et des cargaisons aussi grosses de cerises et de bleuets, on se rend compte que la façon de faire des affaires évolue aussi vite que les technologies sur lesquelles repose le commerce mondial.
Les accords négociés par les gouvernements ouvriront des débouchés pour le commerce et les investissements, mais ce sont nos entreprises qui doivent planifier, innover et investir stratégiquement pour en profiter.
La question que je leur pose et que je vous pose est la suivante : avons-nous la volonté et la détermination nécessaires pour nous lancer à l’assaut des marchés émergents, ou continuerons-nous de nous complaire dans le confort illusoire de notre cocon nord-américain, creusant ainsi l’écart que nous accusons déjà?
Merci beaucoup.
La présidente : Merci, monsieur Burney.
[Français]
Paul Davidson, président, Association des universités et collèges du Canada : Merci, madame la présidente, c'est toujours un plaisir d'être parmi vous.
[Traduction]
C’est la troisième ou quatrième fois que je comparais devant ce comité. J’ai déjà participé à vos excellents travaux sur le Brésil, sur l’Asie et sur l’Inde. Comme l’a exprimé M. Burney, je sais que votre comité est chargé d’étudier les marchés mondiaux et je suis heureux que l’on mette l’accent aujourd’hui sur la relation Canada-Mexique. Le moment est bien choisi puisque c’est le vingtième anniversaire de l’ALENA et que les présidents des universités canadiennes ont envoyé une délégation, dirigée par Brian Stevenson, président de l’Université Lakehead, au Mexique en septembre. De plus, les « trois amigos » seront ici, à Ottawa, en février.
Les gens se demandent parfois s’il se passe quoi que ce soit après une réunion d’un comité sénatorial; je peux vous dire qu’il y a eu énormément de progrès depuis ma dernière comparution devant vous. L’éducation internationale est maintenant perçue comme étant essentielle à l’économie canadienne. Nous nous voyons comme un pilier du plan d’action des marchés mondiaux. Le gouvernement a mis en place une nouvelle stratégie d’éducation internationale. Le Conseil canadien des chefs d’entreprise et la Chambre de commerce parlent de la valeur de l’expérience internationale des étudiants, et l’annonce de la semaine dernière du gouvernement concernant le fonds d’excellence en recherche Apogée Canada a aussi fait progresser le dossier de la collaboration internationale en matière de recherche. Il y a des choses qui se passent et des changements qui s’opèrent, peut-être pas aussi vite et aussi exhaustivement que certains le souhaiteraient, mais nous sommes néanmoins heureux des progrès dans ce domaine.
Je décrirais la relation Canada-États-Unis-Mexique comme un triangle asymétrique. Pour des raisons géographiques et historiques, nos liens avec les États-Unis sont forts, et ceux entre les État-Unis et le Mexique sont forts eux aussi, mais la relation Canada-Mexique n’est pas très solide et nous devons la renforcer. Nous avons la possibilité d’améliorer la mobilité des étudiants entre les deux pays et dans les deux directions. Nous pouvons aussi faire en sorte que la recherche au Canada soit à la hauteur de ce qui se fait au Mexique.
Comme M. Burney, je souligne que la question des visas pose problème. Les questions de sécurité nous intéressent. Nous avons aussi besoin d’une approche ciblée du gouvernement canadien sur l’éducation internationale relativement à la relation Canada-Mexique.
Nous avons certes fait des progrès, mais les universités canadiennes commencent de plus en plus à s’immiscer dans les conversations entre les Américains et les Mexicains. Nous entrevoyons de véritables occasions d’approfondir et d’élargir la coopération en matière d’éducation et de recherche grâce à la mobilité dans les deux directions des étudiants des cycles supérieurs au moyen des programmes existants, dans le but de les mettre à l’échelle. Nous voulons également adopter une approche sectorielle quant à la recherche qui est en cours; il y a des ouvertures très intéressantes dans la recherche sur l’extraction des ressources énergétiques, l’utilisation de l’eau et la responsabilité sociale des entreprises. Il y a là des débouchés prometteurs dont on devrait tirer profit.
Il est intéressant de souligner que l’accès aux études supérieures des jeunes Autochtones est un autre secteur d’activité accrue. Un groupe de travail composé des présidents de quatre universités canadiennes et d’homologues mexicains qui se penche sur la façon d’améliorer l’accès et les résultats des étudiants autochtones dans les deux pays. Il s’agit là aussi d’un domaine où le degré d’activité est surprenant. Brian Stevenson, de l’Université Lakehead, Ralph Nilson, de l’Université Vancouver Island, Mike Mahon, de l’Université de Lethbridge, et Vianne Timmons, de l’Université de Regina — les trois premiers faisaient partie de la délégation qui s’est rendue au Mexique en septembre 2014.
Le quatrième domaine qui est vraiment prometteur est celui de l’enseignement de l’anglais langue seconde. Le gouvernement du Mexique envoie 7 500 étudiants apprendre l’anglais aux États-Unis. Nos programmes d’enseignement de l’anglais langue seconde sont les meilleurs du monde. Nous devrions accueillir davantage de ces étudiants.
Que devons-nous faire pour avancer? Nous devons agir rapidement et de manière coordonnée pour faire en sorte que le Canada saisisse les occasions qui s’offrent à nous. Nous savons comment la relation États-Unis-Mexique a évolué. Leur grand programme, le forum bilatéral sur l’éducation supérieure, l’innovation et la recherche, a été lancé l’an dernier. L’objectif? Envoyer 100 000 étudiants américains au Mexique, et 50 000 étudiants mexicains aux États-Unis. C’est un programme ambitieux que nous voudrions reproduire. Les Mexicains nous en ont parlé en prévision du sommet de février. Le gouvernement du Canada concrétisera-t-il l’engagement qu’il a pris l’an dernier d’améliorer la mobilité des étudiants?
Lors de la réunion de l’Alliance du Pacifique du mois dernier, l’ambassadeur du Mexique au Canada a mis le Canada au défi d’envoyer 10 000 étudiants au Mexique. Combien en envoyons-nous à l’heure actuelle? Cinq cents par année. Nous avons du chemin à faire.
Il serait opportun d’agir maintenant. Dans le cadre de la stratégie d’éducation internationale, le Mexique est un pays prioritaire. Il y aura un sommet des chefs d’État en février. Je vous rappelle que, lors du dernier sommet, le premier ministre Harper s’était engagé à accroître les échanges étudiants et les possibilités de collaboration en recherche et d’examiner les besoins communs pour ce qui est de la main-d’œuvre.
Le véritable défi que nous devons relever aujourd’hui, c’est de passer de la discussion que nous sommes en train d’avoir à la prise de mesures rapides. Merci de m’avoir permis de m’adresser au comité.
La présidente : Je laisse maintenant la parole à M. Burleton, par vidéoconférence.
Derek Burleton, vice-président et économiste en chef adjoint (Canada), Groupe Banque TD : Bonjour, madame la présidente. Je vous remercie de me permettre de prendre part à cette activité des plus importantes. Je m’adresse à vous aujourd’hui dans un double rôle, l’un d’eux étant celui de représentant de Groupe Banque TD. Nous avons beaucoup d’investissements aux États-Unis, où nous sommes huitièmes en importance parmi les institutions financières. Nous sommes surtout présents sur la côte Est. Notre stratégie repose donc en grande partie sur l’économie des États-Unis et de l’Amérique du Nord en général. Voilà pour le premier rôle.
Mon second rôle est celui de spécialiste de la macroéconomie. Je m’intéresse particulièrement à l’économie canadienne, mais ce qui se passe à l’échelle internationale a évidemment une incidence sur ce qui se passe ici.
À ce sujet, en tant que représentant de Banque TD, je crois qu’il y a encore des difficultés à surmonter. Cela ne fait aucun doute. L’ALENA a constitué un immense pas en avant, mais le plan d’action Par-delà la frontière nous a permis de constater qu’il restait encore des obstacles à une intégration encore plus poussée et au succès économique. Malgré cela, nous avons décidé d’être très actifs.
Nous avons connu énormément de succès aux États-Unis, mais certaines préoccupations et certains obstacles demeurent. Dans notre organisation, beaucoup de cadres et d’autres employés sont appelés à traverser la frontière. Nous pouvons obtenir des visas, mais il y a parfois d’importants délais. Étant donné que l’ALENA existe depuis plus de 20 ans, la liste des professionnels sous la classification TN peut être désuète, ce qui peut avoir un impact sur des gens qui sont appelés à traverser la frontière à répétition. C’est une de nos préoccupations. Les délais généralisés sont une préoccupation constante.
En tant que représentant d’une banque, je dois dire que le manque d’uniformité de la réglementation est source de beaucoup de soucis. Quand on pense à l’ALENA, on pense aux marchandises exportées de part et d’autre de la frontière, mais les exportations de services sont importantes aussi. Les changements apportés à la réglementation aux États-Unis avec la loi Dodd-Frank rendent notre situation très complexe. La réglementation évolue au Canada aussi, mais ce n’est rien comparé à ce qui se passe au sud de la frontière. Cela crée de gros obstacles pour la Banque TD.
J’ai entendu hier qu’il y a environ 80 examens de la réglementation chaque jour qui touchent les activités de Groupe Banque TD. Les coûts liés à la réglementation sont astronomiques.
Ce sont deux éléments.
En tant qu’économiste, je ne peux que me rallier aux propos de M. Burney. Les économistes — et d’autres, comme la Banque du Canada — parlent depuis un bout de temps de l’importance de diversifier nos relations commerciales, le Canada étant trop dépendant des États-Unis, et se réjouissent de l’élargissement des relations internationales. Par contre, je parle du même souffle de la nécessité de renforcer nos liens actuels en Amérique du Nord, surtout avec les États-Unis. Les changements économiques récents en illustrent l’importance.
Sommes-nous sur le point de voir l’Amérique du Nord prendre encore plus de place dans l’économie mondiale? Selon certaines prévisions à long terme, le Mexique pourrait devenir la huitième puissance économique au cours de la prochaine décennie. La croissance a été faible ces derniers temps; il y a fort à parier qu’elle va reprendre.
Les États-Unis sont loin devant tous les autres grands pays industrialisés pour ce qui est de la croissance en ce moment. Cette tendance devrait se maintenir pour les deux prochaines années.
Au même moment, l’économie asiatique ralentit, les marchés émergents se contractent. Leur croissance n’est plus miraculeuse. Je repense à l’analogie de Wayne Gretzky; porter toute notre attention sur ces régions pourrait ne pas être des plus avantageux. L’Amérique du Nord, et les États-Unis surtout, pourrait compter pour beaucoup dans la croissance mondiale, beaucoup plus que dans les dernières années. Nous devons garder cela à l’esprit et essayer d’en profiter autant que possible.
Dans un contexte de relation commerciale très étroite, chaque petit geste, comme baisser les coûts et réduire les délais à la frontière, peut se traduire par un avantage considérable.
M. Burney a de bons arguments. La volonté politique fait peut-être défaut aux États-Unis, mais tant que nous pouvons continuer d’apporter des améliorations de ce genre et d’élargir aussi vite que possible bon nombre des projets pilotes lancés dans le cadre du plan d’action Par-delà la frontière, je pense que nous pouvons générer d’importants changements.
Bref, je suis optimiste quant aux perspectives économiques en Amérique du Nord. Le Canada profitera de l’amélioration de ses relations avec les États-Unis. La valeur plus faible du dollar canadien améliorera notre compétitivité, ce qui est un grave problème depuis cinq ou six ans. La valeur de notre dollar devrait encore baisser; je ne serais pas surpris de le voir atteindre 80 cents américains d’ici quelques années. Cela nous aidera à améliorer notre part de marché aux États-Unis. Même sans grands changements, je pense que le bilan des États-Unis au chapitre des exportations devrait s’améliorer à un point tel que nous devrions pouvoir profiter d’une relation plus étroite avec le Mexique, qui profiterait à son tour de la vigueur de l’économie américaine. Nous pouvons tous en profiter en tant que région.
Enfin, dans la mesure où l’Amérique du Nord connaît du succès, notre banque pourra poursuivre sa croissance, surtout aux États-Unis.
Je m’arrête ici. Merci beaucoup de m’avoir reçu.
La présidente : Nous venons d’entendre trois exposés très intéressants qui donnent à réfléchir. La liste des membres du comité qui souhaitent poser des questions est longue, et je vous demande de garder les questions courtes afin que tous puissent intervenir, si possible, puisque le temps dont nous disposons est limité.
Le sénateur Downe : Monsieur Burney, vous avez parlé du secteur privé du Canada, du milieu des affaires. De quelle aide gouvernementale ce secteur a-t-il besoin? Le gouvernement signe des accords commerciaux, mais quand on constate le déséquilibre commercial après deux ou trois ans, j’ai l’impression que d’autres pays sont mieux préparés que nous pour profiter de ces accords.
Vous avez parlé de complaisance dans nos relations avec les États-Unis — autant sur le plan géographique que linguistique — ce qui pose encore problème pour de nombreuses entreprises, mais c’est quand même beaucoup plus facile que d’aller en Corée du Sud. Les États-Unis, cependant, ont toute une gamme de programmes. Vous les connaissez sans doute; on peut y accéder directement à partir d’une ambassade. Si, par exemple, une occasion d’affaires dans le domaine du pétrole se présente en Azerbaïdjan, on peut immédiatement entrer en téléconférence avec des représentants américains. Il semble que le Canada prenne du retard pour ce qui est de la mesure dans laquelle les entreprises peuvent profiter des occasions qui se présentent.
Qu’est-ce que le gouvernement devrait faire de plus pour venir en aide au milieu des affaires?
M. Burney : Je n’ai rien à reprocher à l’aide directe et indirecte qu’accordent nos ambassades aux exportateurs canadiens. Selon moi, le problème est plutôt du côté du milieu des affaires que du gouvernement. J’aimerais vous faire part d’une anecdote pour illustrer mon point.
Je dirigeais autrefois une entreprise appelée CAE. Nous avons ouvert un centre d’entraînement au vol conjoint à Dubaï en 2002 pour entraîner les pilotes d’Emirates Airlines. Je suis retourné à Dubaï il y a deux ans. J’ai rencontré l’homme qui avait ouvert notre centre. Au début, ils avaient six simulateurs de vol. Aujourd’hui, ils en ont 14 et font construire une annexe pour en installer 12 de plus, et il a d’autres centres au Kuwait, en Oman et en Arabie saoudite. Je lui ai dit : « C’est spectaculaire, mais comment se fait-il qu’il n’y a pas plus de sociétés canadiennes qui réussissent aussi bien que vous ici? » Il m’a répondu : « Vous savez bien comment ça se passe. Ils viennent ici, tâtent un peu le terrain et finissent par rentrer chez eux s’ils ne peuvent pas conclure un marché immédiatement. » Puis il m’a dit : « Savez-vous combien de temps ça m’a pris pour percer en Arabie saoudite? » Je lui ai dit que non, mais que je supposais que ça n’avait pas dû se faire du jour au lendemain. « Cinq ans, m’a-t-il répondu, cinq ans de visites répétées. J’ai dû boire beaucoup de thé, mais j’ai fini par conclure une entente. »
Il faut de la persévérance. Ça prend du temps. Il faut penser à long terme. Nos entreprises ont du mal avec le long terme; nos banques aussi, si je puis me le permettre.
Et j’aimerais rectifier les faits : d’après la Banque du Canada, le taux de croissance des exportations canadiennes a chuté, passant de 4,5 p. 100 à 2.5 p. 100. C’est un problème.
On a beau dire que les États-Unis se portent bien, que leur taux se situe à 3 p. 100, que c’est très bien, que c’est mieux qu’en Europe, et c’est certainement vrai, mais les pays de l’ANASE, qui comptent 500 ou 600 millions d’habitants, ont un taux de croissance moyen de 5 p. 100 depuis 14 ans. Quand la Chine ralentit, elle affiche un taux de 7 ou 8 p. 100. Il y aurait moyen de combler ce vide.
Essentiellement, monsieur le sénateur, mon point est que la visite de représentants de haut niveau n’est pas une panacée dans des pays comme ceux de l’Asie-Pacifique. Il faut simplement se montrer persistent pour réussir dans ces pays-là, tout comme dans les pays du Moyen-Orient.
Nous devrions négocier des accords avec la Chine. Il y a une étude qui prend la poussière depuis deux ans sur les similitudes entre les deux économies. Prenez ce qu’a fait l’Australie il y a quelques semaines. Elle a conclu un accord de libre-échange avec la Chine. Elle a pris un grand risque. Bien évidemment que c’est plus risqué qu’un accord avec l’Amérique du Nord. C’est un marché douillet, un petit cocon bien confortable. C’est un avantage mais aussi un problème.
Pour ma part, je recommanderais au gouvernement de conclure plus d’accords. Il faut en négocier davantage, notamment pour améliorer l’accès de nos exportateurs et investisseurs à la Chine et à l’Inde. Terminez l’accord avec le Japon et commencez ensuite à négocier avec la Thaïlande et d’autres pays de la région qui sont en forte croissance.
Je répète que j’ai une vision à long terme. Les changements démographiques sont à notre avantage. Les populations de ces pays-là se rajeunissent beaucoup et s’urbanisent. Cela veut dire qu’il y aura une demande pour les biens de consommation et les services pour lesquels nous sommes reconnus.
Mais si on s’obstine à maintenir notre accès raisonnablement bon aux États-Unis car c’est un marché plus commode, qui sait. Je me fais du souci. On prend du retard. La Nouvelle-Zélande vend davantage à la Chine que le Canada. Pensez-y.
Le sénateur Downe : C’est un point important.
Ma prochaine question s’adresse à M. Davidson. M. Burney a parlé de l’Australie. Les Australiens sont très dynamiques. Leur système d’éducation est un modèle à suivre. La dernière fois que j’étais en Chine, presque tous les interprètes parlaient avec un accent australien. Il semble que les Australiens soient beaucoup plus dynamiques. Chez nous, on dirait que les universités y vont par deux ou trois; il y en une en Inde, alors que McGill est ailleurs et Queen’s aussi. Il semble y avoir très peu de coordination des efforts visant à attirer les étudiants.
Par exemple, le collège communautaire à l’Île-du-Prince-Édouard, ma province natale, m’a dit que des représentants de l’Australie sont venus à trois reprises pour les encourager à conclure une entente. Après la troisième fois, une entente a été conclue. Grâce à elle, après deux ans de collège à l’Île-du-Prince-Édouard, on peut terminer ses études en Australie. Les Australiens étaient très dynamiques et persistants.
Je sais que l’éducation relève de la compétence provinciale, mais y aurait-il moyen pour votre association nationale d’inclure tous les collèges et toutes les universités et de vendre les mérites du Canada?
M. Davidson : En fait, c’est une de nos priorités depuis maintenant cinq ans. Nous avons un consortium qui comprend les universités, les collèges, les systèmes d’éducation publics et les écoles de langues; nous mettons en commun l’information, les stratégies et les tactiques qui permettent de percer les marchés qui connaissent la plus forte croissance. Ces quelques dernières années, nous nous concentrons sur l’Inde, la Chine et le Brésil, et j’ai beaucoup aimé comparaître devant le comité pour parler des succès que nous avons eus.
Votre question portait sur l’Asie et l’Australie, et j’y viendrai dans un instant, mais j’aimerais d’abord vous donner un petit indicateur en disant qu’il y a quelques années, nous avions quelque 500 étudiants du Brésil. Il y en a aujourd’hui 7 500. C’est l’Université Lakehead à Thunder Bay, en Ontario, qui compte le deuxième plus grand nombre d’étudiants brésiliens. J’en parle, car M. Burney est le chancelier de cette université.
Lorsqu’ils restent dans leur maison d’accueil et nouent des liens, ils font en quelque sorte de la diplomatie autour de la table de cuisine; puis, leurs parents viennent en visite et investissent à Thunder Bay. C’est un succès retentissant. Il est possible de le répéter avec d’autres pays si l’on déploie un effort concerté.
Pour en venir à l’Australie, j’admire énormément la stratégie qu’elle a adoptée, qui commence à la maternelle et s’étend jusqu’aux études postsecondaires; l’accent est mis sur l’Asie, le gouvernement finançant des bourses permettant aux étudiants australiens d’aller en Asie et à l’Australie d’accueillir des étudiants asiatiques. Nous pourrions en faire de même. Nous avons les mécanismes et les véhicules nécessaires. Ce qu’il nous manque, c’est les ressources.
J’entends souvent les gens autour de la table dire qu’il y a une grande présence australienne en Inde, ou encore une grande présence britannique en tout temps. Le Royaume-Uni consacre plus d’argent à l’accès des institutions postsecondaires à Delhi que le Canada en consacre dans le monde entier.
M. Burney : Peut-être ne nous portons-nous pas si mal que ça comparé à l’Australie. J’ai lancé une autre coentreprise de CAE avec China Southern Airlines. J’ai dit au général qui dirigeait la compagnie : « Je suis très heureux de collaborer avec vous, mais je suis plutôt étonné que vous n’entraîniez pas vos pilotes en Australie. Pourquoi poursuivez-vous une entreprise commune avec le Canada? » Il m’a regardé et m’a dit : « Parce que je veux qu’ils apprennent l’anglais. »
La sénatrice Johnson : Je suis tout à fait d’accord avec M. Burney et M. Davidson. L’ALENA date d’il y a 20 ans, et nous avons connu des années exceptionnelles depuis Mulroney. Je suis présidente du Groupe interparlementaire Canada-États-Unis, ce que je mentionne, car nous cherchons à rétablir les liens avec nos homologues législateurs après qu’ils se soient effrités ces dernières années pour les raisons mêmes dont vous avez parlé.
Autre que ce que vous avez dit à propos du fait de nouer de nouvelles relations et de négocier de nouvelles ententes, selon vous, que devrions-nous faire au sujet des États-Unis? En tant que législateurs, que pouvons-nous faire de plus, notamment dans le cadre de notre étude?
Pourriez-vous également nous parler du Partenariat transpacifique et de la majorité républicaine au Sénat américain, et de leur incidence sur les accords commerciaux avec l’Union européenne et le Mexique?
M. Burney : Premièrement, j’appuie de tout cœur ce que vous faites sur le plan interparlementaire; si j’étais à votre place, étant donné la grande faiblesse actuelle de l’administration américaine et l’évolution de la structure du pouvoir dans le congrès au fil des deux prochaines années, je redoublerais d’efforts pour apprendre à connaître le plus grand nombre de personnages clés du côté du Sénat. C’est tout ce que je peux vous dire à ce sujet.
Nous allons en quelque sorte nous livrer à un combat corps à corps avec les Américains ces deux prochaines années sur le front du commerce. Il serait utile que les législateurs canadiens saisissent toutes les occasions possibles de faire valoir auprès de leurs homologues américains combien leurs mesures peuvent être nuisibles au Canada.
Signe positif, toutefois, le Congrès a demandé aujourd’hui au secrétaire de l’Agriculture de régler le dossier de l’étiquetage. Comme vous le savez, nous avons déjà gagné trois fois notre cause dans ce dossier devant l’OMC, mais les Américains s’entêtaient. Je suis heureux de cette décision.
Le PTP illustre bien comment on pourrait en faire plus en collaborant. C’est également préoccupant, car si l’ALENA donnait vraiment les résultats escomptés à l’origine, il aurait servi de modèle au Canada, aux États-Unis et au Mexique non seulement dans le cas du PTP, mais aussi des négociations avec l’Europe. C’est parce que les Américains ont insisté pour faire cavalier seul dans toutes ces négociations commerciales que le Canada et le Mexique se sont retrouvés isolés.
Nous vivons dans un monde très égoïste et nombriliste en ce moment, en partie parce que les choses vont mal chez nos voisins américains. Comme leur économie est fragile, ils ne sont pas enclins à partager les fruits d’une entente commerciale fructueuse, ce qui aurait été le cas dans le passé.
Je n’irais pas jusqu’à dire que je suis sceptique, mais je me méfie beaucoup des négociations entourant le PTP pour la simple raison qu’elles ont toutes les apparences de la stratégie du commerce en étoile des Américains. Nous savons tous qui est au centre de l’étoile. Les États-Unis négocient des ententes bilatérales avec tous les participants, mais aucun d’entre eux n’est couvert par un parapluie commun. Nous devrions vraiment nous méfier d’une telle approche. Nous devrions nous assurer que tout ce qui ressortira du PTP s’appliquera à tous et non seulement à certains, les Américains étant avantagés par rapport à nous relativement à certains pays.
C’est ce qu’ils ont essayé de faire avec l’ALENA. Le Canada n’a pas été automatiquement inclus dans l’ALENA. Comme je l’ai dit à mon collègue, les États-Unis et le Mexique voulaient conclure un accord bilatéral. Ils ne voulaient pas du Canada. Ce n’est que parce que nous sous sommes imposés à la table des négociations que nous avons pu en faire partie.
La même chose s’est produite dans le cas du PTP. Nous n’y avons pas été les bienvenus pendant très longtemps. Nous avons pratiquement dû enfoncer la porte pour être admis. Cela va à l’encontre de l’esprit du continent où nous vivons.
M. Davidson : Je m’en remets à M. Burney au sujet des relations canado-américaines, mais je dirai seulement que bien des gens font référence à l’expression de Wayne Gretzky au sujet de la direction de la rondelle. Je dis souvent qu’il s’agit d’un sport de contact, et qu’il faut avoir des contacts à tous les niveaux : de gouvernement à gouvernement, de Parlement à Parlement, d’étudiant à étudiant, et de chercheur à chercheur. Nous devons hausser la qualité de notre jeu.
La sénatrice Johnson : Merci, madame la présidente. Je dois malheureusement m’arrêter là.
La sénatrice Eaton : M. Burney, lorsque vous avez parlé de la stratégie en étoile, au sujet de l’AECG par exemple, est-ce que le Canada servait de paravent aux États-Unis?
M. Burney : Je suis certainement content que nous ayons été les premiers. Si vous voulez parler de paravent, je considèrerai qu’il s’agit d’un compliment. Je crois que les Américains ont été très surpris que nous ayons conclu un accord avec l’Europe avant eux. Ils n’aiment généralement pas ça.
La sénatrice Eaton : Ils sont toujours en négociations avec l’Europe.
M. Burney : Ils ont commencé, mais ils ont encore beaucoup de chemin à faire, car n’oubliez pas que le Congrès n’a accordé aucun pouvoir de négociation au président. Aux États-Unis, on appelle cela le pouvoir accordé par la procédure accélérée, ou encore le pouvoir de promotion commerciale. Le président n’a pas ce pouvoir.
Je suis désolé. J’aurais dû offrir une réponse un peu plus complète à la sénatrice Johnson sur ce point. De nombreux indices laissent croire que les républicains pourraient accorder au président les pouvoirs que son propre parti ne lui a pas accordé pour négocier le PTP, par exemple, ou encore l’accord commercial transatlantique.
La sénatrice Eaton : Pourrions-nous encore servir de paravent?
M. Burney : Je crois que nous sommes assis dans l’arène, étudiant attentivement le déroulement des événements, au lieu d’être à l’extérieur et d’essayer de voir ce qui se passe à l’intérieur. Nous ne sommes pas un paravent. Les Américains ont leur propre programme en ce qui nous concerne. Nous savons tous de quoi il s’agit. Ils essaient de repêcher un joueur à la fois dans le but de conclure une entente. Voilà leur approche. La pierre d’achoppement dans le dossier du PTP, en ce moment, c’est le Japon. Les Américains et les Japonais ont dû suspendre leurs négociations à cause d’élections au Japon. Surveillez bien ce dossier. Surveillez ce qui va se produire entre les États-Unis et le Japon, car s’ils font des progrès, alors le PTP aura des chances, mais seulement si le Congrès accorde au président l’autorité nécessaire pour conclure une entente commerciale sans amendement de la part du Congrès. C’est là le nœud du problème. Je ne sais pas encore si les républicains sont disposés à accorder quoi que ce soit au président au cours des deux prochaines années sans obtenir bien des choses en retour. Il y a bien des tractations qui se déroulent en ce moment même dans le cadre des débats budgétaires.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, madame la présidente. Je remercie nos trois témoins de leurs présentations.
Monsieur Burney, j’ai beaucoup de respect pour vous, puisque je vous ai connu lorsque j’étais députée à l’autre endroit. Il n’était pas facile pour vous de négocier le premier accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, et vous en avez fait un succès.
Dernièrement, vous avez exprimé le regret que, après l’élargissement de l’ALENA pour inclure le Mexique, un accord de libre-échange hémisphérique n’ait jamais été accompli.
Selon vous, serait-il davantage nécessaire d’entreprendre des négociations en vue d’un accord hémisphérique plutôt qu’un renouvellement de coopération trilatérale?
[Traduction]
M. Burney : Merci beaucoup, sénatrice. Vous avez absolument raison. Comme je crois l’avoir indiqué plus tôt, nous avions espéré que l’ALENA servirait de modèle pour la négociation, à défaut d’un accord global, à tout le moins d’autres accords particuliers dans notre hémisphère.
Au risque de me répéter, les Américains ont décidé de faire cavalier seul. Ils ont d’abord entamé des négociations avec le Chili, en laissant de côté le Canada et le Mexique. Ces négociations n’ont pas obtenu le succès escompté, ce qui fait que le Canada a réussi à se faufiler et à conclure un accord avec le Chili. Nous avons fait de même avec la Colombie et l’Amérique centrale. Il y a donc eu fragmentation des accords dans l’hémisphère au lieu d’un accord global.
Je dois avouer, malgré tout le bien qu’on dit du Brésil, que, outre les États-Unis, le principal obstacle à un accord commercial global dans notre hémisphère est le Brésil. C’est à juste titre que le Brésil est souvent qualifié d’États-Unis de l’Amérique du Sud. À l’instar des Américains, les Brésiliens aimeraient conclure en Amérique du Sud des accords commerciaux où ils seraient au centre de l’étoile.
C’est en toute candeur que je vous réponds que, selon moi, ce n’est pas demain la veille qu’il y aura un accord commercial global dans notre hémisphère, mais j’espère qu’un changement de gouvernement permettrait d’insuffler une vigueur nouvelle à l’ALENA, ce qui permettrait en retour d’améliorer d’autres accords hémisphériques.
La présidente : Nous passons maintenant au sénateur Smith.
Le sénateur D. Smith : J’aimerais dire d’emblée que Derek Burney nous a brossé un excellent tableau de la situation. Le portrait du Canada et du commerce international était très intéressant. C’est presque un sujet distinct de celui qui nous intéresse en ce moment, mais je dirais en résumé que je suis d’accord avec vous. Il faut continuer de chercher des débouchés aux États-Unis. On ne peut mettre tous nos œufs dans le même panier. C’est comme ce que vous disiez au sujet de la Chine. À ma première visite là-bas, il y a 40 ans, Mao était toujours vivant. J’y suis retourné à plusieurs reprises depuis, et les changements que j’y ai vus sont incroyables. Ce que vous dites au sujet du fait que ce pays va dépasser les États-Unis est vrai. C’est en voie de se réaliser, cela ne fait aucun doute.
Pour revenir à la raison de notre présence ici aujourd’hui, vous avez soulevé quelques questions, dont celle du Mexique et des visas. Il n’y a pas de réponse simple à cette question, quoiqu’un visa valable 10 ans est une bonne chose. Toutefois, en toute franchise, compte tenu du taux de criminalité élevé au Mexique, de toutes les histoires d’horreur qu’on raconte et du degré de corruption, certains se demandent si quiconque pourrait venir ici sans visa. Serais-je surpris si des gens commençaient à présenter des demandes de statut de réfugié et à rester ici un bon moment? Oui, en quelque sorte. Mais existe-t-il une façon raisonnable de croire que ce genre de chose ne se produira pas? Pensez-vous que ce visa de 10 ans réglera le problème dans une certaine mesure pour les gens d’affaires sérieux qui viennent ici, contrairement à ceux dont on ne veut pas?
M. Burney : Oui. Il y a deux points positifs selon moi. Le visa de 10 ans pour affaires est manifestement un pas dans la bonne direction. En outre, je crois que la question des réfugiés à laquelle vous avez fait allusion, sénateur, a été réglée. Je ne prétends pas être un expert en visas concernant le Mexique, mais je crois comprendre que nous pouvons maintenant renvoyer des réfugiés au Mexique parce que nous ne sommes plus considérés comme un endroit où ils courraient de graves dangers. Je crois que nous avons réglé ces deux questions. Mais lorsque l’ambassadeur du Mexique au Canada exprime publiquement ses préoccupations — qui se trouve à être un terme diplomatique —, au sujet de la situation des visas, alors c’est qu’il doit y avoir un problème qui mérite qu’on s’y attarde. Je ne peux pas vraiment en dire plus.
Nous sommes tous au courant des problèmes liés à la criminalité et à la drogue au Mexique, et les Américains en subissent les contrecoups directs, mais les touristes canadiens ne semblent pas avoir saisi le message, car ils continuent de se rendre en masse au Mexique. Je ne suis pas certain que cela ait une incidence dans la question des visas. Si c’est le cas, alors je serais porté à croire que nos responsables de la sécurité, en collaboration avec les Américains, ont la situation bien en mains, comme ce devrait être le cas.
Le sénateur D. Smith : J’aimerais croire que si nous signons cette entente, cela aura des effets positifs sur les échanges commerciaux entre le Canada et le Mexique, mais nous avons fait cela avec d’autres pays, et ce n’est pas vraiment ce qui se produit. J’espère qu’il n’en sera pas ainsi cette fois. Voyez-vous du potentiel dans certains domaines?
M. Burney : Eh bien, je dirais d’abord que lorsqu’on signe un accord de libre-échange avec un pays, il faudrait ensuite agir le plus rapidement possible pour faire tomber les obstacles au déplacement des gens, autrement cela n’a aucun sens. Comme notre collègue de la Banque TD l’a indiqué, une partie du problème, avec l’ALENA, réside dans le fait que nous n’avons pas mis à jour la liste des représentants commerciaux autorisés à franchir la frontière sans trop de tracas. Lorsque je me rends aux États-Unis, c’est beaucoup moins facile que ça ne l’était auparavant. Tout le système est engorgé : trop de bureaucratie, trop de règles, trop de règlements dont personne n’avait envisagé qu’ils seraient tout le contraire de ce que prévoient les accords fondamentaux entre nos deux pays.
La sénatrice Ataullahjan : M. Burney, il est intéressant que vous ayez dit que le Canada doit faire du rattrapage, car c’est exactement ce que nous avons entendu dans le cadre d’une autre étude que nous faisons sur l’Asie-Pacifique. Comment, exactement, en sommes-nous arrivés à tirer de l’arrière, et que pouvons-nous faire pour que les règles du jeu soient égales pour tous?
M. Burney : Lisez mon livre.
M. Davidson : Deux semaines avant Noël.
M. Burney : Il fait un excellent cadeau. Sérieusement, sénatrice, nous proposons que nous fassions, dans une certaine mesure, comme les Australiens.
Si vous permettez, madame la présidente, il ne s’agit pas seulement d’une question de commerce et d’investissement. Nous devons adopter une orientation stratégique pour cette région qui englobe tous les leviers de la politique étrangère, y compris la sécurité. C’est ce que font les Australiens. Ils ont annoncé un accord de libre-échange avec la Chine, et le lendemain ils ont signé une entente de sécurité avec l’Inde. Ils n’ont vraiment pas froid aux yeux. Ils négocient avec adresse avec deux géants asiatiques. Je leur lève mon chapeau. Ils savent ce qu’ils font, et pourquoi ils le font.
D’accord, ils sont situés dans une autre région du monde. Nous sommes tout en haut de l’Amérique du Nord, sous la protection des États-Unis, et nous ne pensons pas à la sécurité. Nous ne nous en préoccupons pas. Nous nous concentrons sur l’Atlantique et l’OTAN. Nous ne portons aucune attention au Pacifique. Je crois que l’Asie-Pacifique présente plus de possibilités de conflit que la plupart des autres régions du globe. Si nous voulons être un joueur dans cette région, nous devons modifier non seulement notre stratégie en matière de commerce et d’investissements, mais aussi notre stratégie en matière de sécurité. Nous devons négocier des ententes. Nous devons être un joueur omniprésent dans le réseau des associations présentes dans cette région. On ne peut y parvenir en faisant une visite aux deux ans. On n’arrivera à rien de cette façon.
La sénatrice Ataullahjan : C’est une autre chose dont je voulais vous parler. Vous venez d’avancer cette idée très intéressante. Est-ce que les entreprises subissent un recul parce que nous ne connaissons pas bien la situation? Il faut être conscient que, culturellement, ces pays font des affaires à un rythme plus lent et qu’ils se concentrent sur l’établissement des relations. Les entreprises ne comprennent-elles pas cela?
M. Burney : Eh bien, certaines le comprennent et, si vous lisez mon livre, vous y trouverez cinq exemples…
La sénatrice Ataullahjan : Je pense que je devrais me procurer ce livre.
M. Burney : Je peux en obtenir quelques exemplaires. Sérieusement, nous citons en exemple cinq entreprises canadiennes qui sont prospères à l’échelle mondiale. J’aimerais pouvoir dire qu’il y en a 50, mais ce n’est pas le cas.
La sénatrice Johnson : Cinq entreprises? C’est tout?
M. Burney : Je le répète, j’aimerais citer 50 entreprises dans mon livre, mais il y en a cinq. Elles sont peu nombreuses, mais ce sont celles qui ont d’excellentes leçons à donner aux entreprises qui veulent les imiter.
Au Québec, il existe une organisation qui s’appelle QC100 et qui est excellente. Des exploitants de petites et moyennes entreprises québécoises reçoivent les conseils de gros joueurs — pardonnez-moi, de grands entrepreneurs — sur la façon de prospérer à l’échelle mondiale. Il nous faut une organisation de ce genre à l’échelle nationale. Toutes nos entreprises qui connaissent du succès sur le marché international — les banques, les compagnies d’assurance, les compagnies aériennes — devraient conseiller une partie des dirigeants des petites entreprises pour que nous puissions sortir du cocon culturel dans lequel notre pays se trouve depuis beaucoup trop longtemps.
Je pourrais continuer, mais le temps file.
La présidente : J’ai une question complémentaire à ce sujet. Monsieur Burleton, comment avez-vous réussi dans le secteur bancaire? Quand j’avais à peu près l’âge de M. Burney, le secteur bancaire avait de la difficulté à pénétrer le marché américain, mais vous y êtes arrivé. Quel a été l’élément clé de ce succès, mis à part votre sens aigu des affaires?
M. Burleton : Eh bien, la crise financière a certainement contribué à notre succès parce de nombreuses banques américaines sont devenues très bon marché. Cela n’a pas de lien avec certaines difficultés inhérentes à l’ALENA. Je pourrais dire que l’ALENA a contribué, bien que de façon limitée, à la réussite des grandes entreprises canadiennes. Je pense que la crise financière a ouvert la voie parce que nos banques sont demeurées prospères pendant la crise. C’est probablement l’élément majeur.
Je suis tout à fait d’accord avec M. Burney quand il dit que nous devons élargir nos liens commerciaux. Nous manquons le bateau. Je reconnais que l’Australie met en place de bonnes mesures. Y a-t-il moyen de faire les deux choses? Je pense que, dans une certaine mesure, le rythme de croissance fait marche arrière.
Je reviens aux statistiques que M. Burney a bien citées relativement à la pénétration du marché américain par le Canada, qui est passée de 4,5 à 2,5 p. 100. Je pense franchement que nous avons touché le fond. Nous pourrions peut-être diriger en partie le bateau à l’avenir et, en plus, faire tomber progressivement certains obstacles actuels afin que les grandes entreprises puissent prospérer, de même que certaines petites et moyennes entreprises par la suite.
Je vais vous donner un exemple. Le montage d’automobiles est en déclin et je ne pense pas que cela va changer. Par contre, à l’heure actuelle, le secteur des pièces d’automobile connaît une croissance très rapide. Des entreprises font une percée pour consolider ce secteur et pénétrer les chaînes d’approvisionnement américaine et mexicaine. J’estime que cela arrivera plus souvent. Un grand nombre de sociétés industrielles qui ont traversé la crise jusqu’à maintenant, ayant survécu au renforcement du dollar qui est passé de 65 ¢ à la parité, sont passablement rationalisées. Je crois qu’il y a là des occasions à exploiter.
Ce que je veux dire, c’est que j’éprouve encore les mêmes inquiétudes à propos de la productivité et de la compétitivité, mais que je ne suis peut-être pas aussi négatif et que j’entrevois un potentiel de croissance pour nos entreprises aux États-Unis.
Dans le secteur bancaire, nous avons peut-être atteint la limite. Je pense que nous avons publiquement établi que nous ne chercherons pas activement à prendre davantage d’expansion, mais dans la mesure où nos clients s’en tireront mieux, l’institution bancaire nord-américaine que nous sommes en profitera.
La sénatrice Eaton : Monsieur Burney, vous disiez que nous vivons dans un cocon confortable ici, et que nous attendons les États-Unis. Je trouve cela stupéfiant. Je conviens avec vous que les entreprises canadiennes n’ont pas saisi les messages très clairs que l’administration Obama envoie depuis le départ. Croyez-vous que c’était le point de vue du président à son arrivée au pouvoir, ou bien que nous avons fait quelque chose qui a provoqué cette grande indifférence à notre égard?
M. Burney : Quand j’étais diplomate, je ne pouvais pas répondre à ce genre de question, mais je ne suis plus diplomate. En fait, je suis trop vieux pour être sénateur, alors je peux bien dire ce que je veux.
Je pense que cela est dû à un manque d’expérience. Un très bon ami démocrate m’a fait remarquer que les limites du curriculum vitae du président commencent à se faire sentir. Je ne pense pas que cela soit de la méchanceté. Je pense que cela n’est rien de plus qu’un manque d’expérience et un dévouement total à sa base.
Je pense que l’attitude du président envers le Canada reflète grandement la branche du Parti démocrate dont il est le plus proche, qui est formée, d’une part, des syndicats et, d’autre part, des environnementalistes et des vedettes de Hollywood. La raison qui me fait hésiter en ce qui concerne le pouvoir du Partenariat transpacifique, c’est que, comme je l’ai dit, son propre parti n’est pas favorable aux accords de libre-échange en principe.
Depuis que j’ai quitté Washington, la situation est non seulement devenue plus polarisée, mais aussi beaucoup plus tendue. Le centre n’existe plus tellement dans la politique américaine.
Le Canada n’est pas le seul pays dans cette situation. Je ne connais aucun pays où que ce soit dans le monde — particulièrement un pays allié — qui a de bonnes relations avec les États-Unis. Tout le monde s’inquiète un peu des préoccupations internes des États-Unis et de son retrait du leadership à l’échelle mondiale, ce qui donne lieu aux crises actuelles en Ukraine, au Moyen-Orient ou en Asie.
Comprenez-moi bien, cette situation ne me réjouit pas. J’aimerais que le leadership américain à l’échelle mondiale soit plus ferme, à la fois en matière d’échanges commerciaux et de sécurité. Je ne m’attends tout simplement pas à ce que cela se produise à court terme.
La sénatrice Eaton : Vous disiez observer les États-Unis et le Japon…
M. Burney : En ce qui concerne le Partenariat transpacifique, oui.
La sénatrice Eaton : En ce qui concerne le Partenariat transpacifique. Que se passera-t-il si le président ne poursuit pas les pourparlers et qu’il signe une entente avec le Japon? Est-ce que cela signifie que les autres pays, dont nous faisons partie, ne peuvent pas signer d’entente avec le Japon?
M. Burney : Pour ce qui est du Japon, le problème réside en partie dans le fait que ce pays ne sait pas sur quel cheval il doit miser. Les Japonais ne savent pas s’ils peuvent obtenir ce qu’ils veulent des États-Unis, puis utiliser cette entente comme modèle pour accéder au Partenariat transpacifique. Je ne participe pas à ce dossier, mais je suis certain que c’est ce dont le Canada discute régulièrement avec les Japonais.
De mon point de vue, ce que j’ai dit à l’ambassadeur japonais, c’est qu’il est plus logique que le Japon agisse rapidement avec le Canada pour renforcer ses objectifs au sein du PTP, plutôt que d’attendre de voir ce qui va se passer avant de conclure une entente avec le Canada. C’est mon point de vue, mais je n’ai pas réussi à convaincre les Japonais de l’adopter.
Je vous demande de ne pas oublier que, dans le monde, de nombreux pays, comme le Canada, sont obnubilés par leurs relations avec les États-Unis au point d’être incapables de voir autre chose. C’est un problème que connaissent le Mexique, le Canada, le Japon et de nombreux pays. Nous ne sommes pas les seuls.
Le sénateur Dawson : Je m’excuse. Je suis arrivé en retard.
Monsieur Davidson, je vais vous poser une question que je vous ai déjà posée sur la participation et la collaboration des provinces en matière de promotion des échanges étudiants, dans ce cas-ci avec le Mexique. Nous avons abordé cette question au sujet d’autres pays dans le passé.
Vous avez parlé de créer une coalition canadienne. Nous savons que le Québec et l’Ontario ont des bureaux au Mexique. Contribuent-ils à promouvoir cet échange? Si nous formulions des recommandations, que proposeriez-vous pour améliorer cette situation?
M. Davidson : C’est une excellente question. Dans le domaine où je travaille et dont je fais la promotion, l’un des avantages est la grande coopération qui existe entre les universités, les collèges et le secteur de l’éducation en général. Presque toutes les provinces admettent que les gens pensent d’abord à un pays quand ils pensent aux échanges dans le domaine de l’éducation ou à la collaboration en matière de recherche. Les gens ne pensent pas à une province, à une région ou à une ville. C’est à un pays qu’on pense en premier. Par conséquent, l’image de marque du Canada suscite beaucoup de bonne volonté et de coopération.
À divers moments au cours des cinq dernières années, ce concept a fait l’objet de l’unanimité et il y a eu des occasions d’agir rapidement. En raison des changements de gouvernement et des élections qui ont eu lieu, il est difficile que les 14 administrations soient prêtes en même temps, mais de façon générale, on admet qu’il faut d’abord soigner l’image de marque du Canada, puis celle d’une partie précise du pays.
Plusieurs provinces ont aussi renforcé des initiatives grâce à des bourses, ce qui permet d’établir des liens.
Je le répète, nous avons concentré nos efforts sur la collaboration et les efforts en matière de recherche, pour ceux qui cherchent un moyen de faire cela, un créneau qui peut franchement être complètement fédéral.
Le sénateur Dawson : Comme vous le savez, et j’en ai parlé ici, Mme Marois — je ne dis pas ici que je suis déçu de sa défaite — a annoncé l’an dernier au cours d’une visite au Mexique qu’elle allait insister sur la promotion et l’augmentation des échanges étudiants. J’espère que le nouveau premier ministre de la province poursuivra dans cette voie.
Je vous signale, monsieur Burney, que la version Kindle de votre livre coûte 8,99 $. Les gens qui ne veulent pas payer 27 $ peuvent se procurer la version Kindle.
La présidente : Monsieur Davidson, un dernier mot.
M. Davidson : Concernant le dernier point soulevé par le sénateur Dawson, qui nous parlait d’attirer des étudiants au Canada, nous avons très bien réussi au cours des dernières années. Au rythme actuel, le nombre d’étudiants étrangers aura bientôt doublé. Ils injectent environ 8,4 milliards de dollars dans l’économie canadienne. Cet argent se retrouve dans les poches des mères et des pères de famille un peu partout au pays.
Au cours des cinq prochaines années, nous voulons nous concentrer sur le nombre de jeunes Canadiens qui vont étudier à l’étranger. Ce nombre n’a pratiquement pas augmenté au cours des 10 dernières années. Nous avons publié une étude cette semaine qui en fait le constat. Nous devons trouver des mécanismes qui feront en sorte que les jeunes acquerront la culture de la mobilité. Il sera naturel pour eux de partir en avion apprendre une troisième ou une quatrième langue et d’élargir leurs horizons économiques pour inclure d’autres parties du monde. Il y a des leçons à tirer de l’expérience de l’Australie, de l’Allemagne et d’autres pays.
Nous nous considérons comme le pays le plus libre-échangiste au monde. Mais vous seriez peut-être surpris d’apprendre qu’aux États-Unis, le pourcentage d’étudiants universitaires qui étudient à l’étranger est deux fois plus élevé qu’au Canada, et ce n’est pas acceptable au XXIe siècle.
Un peu partout au pays, des hauts fonctionnaires des ministères de l’Éducation s’enorgueillissent de pouvoir dire que 80 p. 100 de nos étudiants peuvent faire toutes leurs études, de la maternelle aux études postdoctorales, à moins de 80 kilomètres de chez eux. Dans les années 1950, une telle situation aurait paru formidable. Mais les étudiants universitaires d’aujourd’hui seront encore sur le marché du travail lorsque le Canada fêtera son bicentenaire.
M. Burney : Alors, organisez-vous pour que vos universités obligent leurs étudiants à faire un semestre à l’étranger pour pouvoir obtenir leur diplôme. C’est ce que font les universités aux États-Unis.
M. Davidson : Au Canada, elles ne l’ont jamais fait et ne le feront jamais. Il y aurait un problème d’accès. Le système étasunien se distingue du système canadien notamment par la taille du financement privé des universités, ce qui leur permet de réduire les coûts pour les étudiants.
La présidente : Deux sénateurs n’ont pas encore posé de questions, alors je leur cède rapidement la parole.
Le sénateur Oh : Ma question s’adresse à M. Burney. Vous vous y connaissez vraiment bien en commerce international.
M. Burney : À mon âge, on a accumulé beaucoup de connaissances, monsieur le sénateur.
Le sénateur Oh : L’opposition constante au projet de pipeline Keystone, aux États-Unis, en particulier de la part du président Obama, pourrait avoir des répercussions sérieuses sur les relations commerciales avec les États-Unis. Selon vous, quelle incidence aura cet enjeu sur l’avenir des relations entre le Canada et les États-Unis? La position du président est-elle contraire à l’esprit de l’ALENA?
M. Burney : Voilà toute une question. Combien de temps nous reste-t-il? Premièrement, je dois dire que je fais partie du conseil d’administration de TransCanada Pipelines, alors vous pouvez tenir pour acquis que mon opinion est tout à fait objective.
Je voulais simplement vérifier si vous étiez attentif.
Cette opposition mine les relations commerciales globalement et elle est contraire à l’esprit de l’ALENA. Nous devrions envisager des recours comme le prévoit cet accord. Qu’est-ce que j’entends par là? Si le président fait ce qu'il a indiqué à plusieurs reprises avoir l’intention de faire, c’est-à-dire qu’il trouve des motifs quelconques pour opposer son veto au projet de pipeline, il faudra qu’il invente ces motifs de toutes pièces, comme il l’a fait dans la plupart de ses déclarations dernièrement. Ce serait une sérieuse violation de l’ALENA, en particulier d’une disposition de cet accord à laquelle les États-Unis tenaient fermement, soit le libre-échange total, sans entrave, dans le secteur de l’énergie. Alors, effectivement, l’opposition au projet mine la qualité, les fondements et l’esprit de nos relations actuelles.
C’est pourquoi, monsieur le sénateur, si nous ne sommes pas capables de nous organiser ensemble, au pays, pour construire des pipelines vers l’est, l’ouest, le sud et le nord, dans n’importe quelle direction, afin d’exporter nos ressources dans d’autres pays que les États-Unis, nous allons nous retrouver dans un plus petit marché que nous ne le sommes à l’heure actuelle.
Le sénateur Demers : Monsieur Burney, j’ai habité aux États-Unis entre 1980 et le début de l’an 2000, et mes trois enfants sont citoyens de ce pays. À l’époque, je voyais les États-Unis comme une grande puissance. Je ne sais pas si le changement s’est produit pendant la présidence de M. Obama ou avant, mais les États-Unis ne sont plus le même pays qu’avant. On dirait que nos deux pays s’éloignent l’un de l’autre. Cette évolution aura-t-elle des conséquences sur nos relations futures avec d’autres pays? Je vous ai entendu dire que la sécurité en Asie vous inquiète et que, si nous ne faisons pas attention, nous nous heurterons bientôt aux mêmes problèmes. Comment voyez-vous cette question, monsieur?
M. Burney : Permettez-moi de vous dire en commençant que j’étais davantage un partisan de votre équipe lorsque vous étiez au Canada que lorsque vous étiez aux États-Unis.
Le sénateur Demers : Je vais acheter votre livre à cause du modèle Gretzky.
M. Burney : Sérieusement, monsieur le sénateur, vous venez de toucher du doigt le véritable problème. Le Canada ne vit pas les mêmes changements que les États-Unis. Heureusement, l’économie étatsunienne a tendance à fonctionner quand même, quel que soit le gouvernement au pouvoir. Pratiquement tout le monde vous dira que la situation actuelle à Washington est dysfonctionnelle. C’est le terme à la mode qu’on entend. Je pense que les Étatsuniens ont développé une attitude cynique envers le gouvernement, qu’ils jugent incapable de faire quoi que ce soit. C’est un phénomène inquiétant, car plus ils seront gagnés par la désillusion envers leur gouvernement, moins ils s’intéresseront aux relations internationales. Ils formeront une génération du moi encore plus égocentrique que la précédente.
Je pense que, comme notre collègue banquier l’a dit, la crise financière a frappé beaucoup plus fort aux États-Unis qu’au Canada. Là-bas, ils sont encore en train de s’en remettre. Si vous vous rendez aux États-Unis ces temps-ci, et je suis certain que c'est le cas, vous y voyez des villes qui vivent de graves difficultés. C’est un pays qui souffre encore de l’effondrement chaotique de 2008-2009.
Detroit a fait faillite, et l’Ontario sera la prochaine à subir le même sort. Mais au moins, cette ville se relève tranquillement et pourra servir de modèle à l’Ontario un jour ou l'autre.
Les États-Unis sont en train de changer politiquement et économiquement. On entend parler des inégalités aux États-Unis, mais on n’entend pas beaucoup parler des inégalités au Canada. Nous avons été capables de maintenir un système plus équilibré de croissance économique pour notre société en général. Les États-Unis n’en ont pas été capables et ils commencent à en payer le prix. Voilà pourquoi la violence augmente là-bas. Voilà pourquoi on observe une polarisation sur la scène politique. Voilà pourquoi on observe aussi une tendance à se désengager sur la scène internationale. Il faudrait beaucoup de courage au président des États-Unis pour mettre en œuvre un grand programme de développement des relations internationales, car un tel programme susciterait peu d'appuis au sein de la population de ce pays.
Par conséquent, il est important que le Canada fasse ses propres choix stratégiques . Évidemment, nous ne devons pas cesser de nous intéresser aux États-Unis, car nous ne pourrons jamais échapper à notre géographie. Mais nous ne devons pas nous borner à cela.
La présidente : Je voudrais remercier tous nos témoins.
Monsieur Burleton, étant donné que vous avez participé par vidéoconférence, vous étiez peut-être désavantagé pour ce qui est de la participation aux échanges, mais votre point de vue nous est extrêmement important, en particulier votre perspective concernant le commerce avec les États-Unis.
Comme d’habitude, monsieur Davidson, vous avez su faire un apport considérable à notre étude en tant que spécialiste du monde de l’éducation. Vous avez certainement pu constater que nos rapports tiennent compte de vos observations.
Monsieur Burney, comme d’habitude, vos propos ne font pas l’unanimité, mais vous savez aussi nous apporter beaucoup d’information, et votre aide nous est précieuse dans la préparation de notre rapport. Vous ne limitez pas strictement votre réflexion au cadre de notre étude sur les États-Unis, le Mexique et le Canada; vous mettez en perspective les relations entre ces pays pour que nous les envisagions dans l’optique plus vaste des échanges commerciaux du Canada sur la planète entière. C’est une approche qui nous est extrêmement utile. Compte tenu de vos années d’expérience dans le domaine diplomatique, de votre participation à des négociations commerciales et de votre travail de conseiller auprès des entreprises, des étudiants et de nombreuses organisations, je ne saurais trop vous remercier d’avoir pris le temps de venir témoigner une deuxième fois. J’espère que notre séance d’aujourd’hui vous a paru fructueuse, ainsi qu'aux autres témoins. Merci.
Honorables sénateurs, dans la deuxième partie de notre réunion d’aujourd’hui, c’est avec grand plaisir que nous pourrons continuer notre étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d’économie dans la région Asie-Pacifique, sur les incidences relativement à la politique et aux intérêts du Canada dans la région et sur d’autres questions connexes.
Je suis très heureuse que le vice-président nous annonce la présence d’un témoin supplémentaire, Son Excellence Hau Do Suan, ambassadeur au Canada de la République de l’Union du Myanmar.
Nous vous remercions beaucoup d’être présent et de participer à notre étude. Comme nous l’avons indiqué, nous nous penchons sur l’économie et les problèmes de sécurité dans la région Asie-Pacifique et nous nous intéressons en particulier à plusieurs pays que les parlementaires canadiens gagneraient à mieux connaître. Nous sommes heureux que, de temps en temps, les ambassadeurs viennent nous parler de leur pays.
Bienvenue au Comité des affaires étrangères. Je sais que vous avez beaucoup de choses à nous dire, mais vous devriez peut-être vous en tenir aux points les plus importants. Nous avons reçu votre mémoire et nous l’avons distribué à nos membres. Nous aimerions qu’il nous reste un peu de temps pour vous poser des questions.
Je vous souhaite la bienvenue au comité, Votre Excellence. Vous avez la parole.
S. E. Hau Do Suan, ambassadeur, ambassade de la République de l’Union du Myanmar : Merci beaucoup, madame la présidente.
D’entrée de jeu, je tiens à remercier sincèrement le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international de m’avoir convié à lui faire une présentation à propos de l’évolution de la situation au Myanmar. C’est à la fois un honneur et un plaisir pour moi que de me trouver parmi vous aujourd’hui, car, si je ne m’abuse, je suis le premier ambassadeur du Myanmar à témoigner devant un comité parlementaire canadien.
Mon pays et moi vous remercions, madame la présidente, et vous, membres du comité, de tenir à la relation qu’entretiennent le Canada et le Myanmar. Nous attachons un grand prix à votre amitié, à votre compréhension et à votre soutien à l’égard des Birmans.
Je suis convaincu que nos échanges, aujourd’hui, vous aideront à mieux comprendre la situation dans mon pays en cette période cruciale et historique de transition vers la démocratie et de réformes socioéconomiques.
Vous n’êtes pas sans savoir, madame la présidente, que le gouvernement du Myanmar, dirigé par le président U Thein Sein, opère une transition en douceur vers la démocratie, une démarche entamée il y a à peine plus de trois ans par l'amorçage de plusieurs vagues de réformes politiques et économiques.
La première vague a consisté en une transition pacifique d’un gouvernement militaire à un régime démocratique multipartite. Plus de 60 partis politiques sont actuellement reconnus. Nous avons mis sur pied un régime politique exhaustif en collaboration avec tous les acteurs en cause, dans le cadre d’une démarche de réconciliation nationale. La première vague de réformes a inauguré une culture axée sur le dialogue, la réconciliation nationale, la libération des prisonniers politiques, l’élargissement de l’espace politique, la liberté de presse, le droit de réunion pacifique et la liberté d’association.
A alors suivi une deuxième vague, qui a impulsé toute une série de réformes économiques et sociales ainsi que favorisé la saine gouvernance et l’expansion du secteur privé.
Nous en sommes maintenant à la troisième vague de réformes, qui vise à jeter les fondements solides d’un nouvel État démocratique et à engendrer des retombées pour les Birmans en répondant à leurs besoins socioéconomiques.
La paix et la stabilité sont les conditions sine qua non de la stabilité politique et du développement socioéconomique du pays. En conséquence, la facilitation de la réconciliation nationale fait partie intégrante de notre processus de réforme. Nous collaborons avec tous les groupes ethniques armés dans le but de conclure un accord de cessez-le-feu à l’échelle du pays. Nous sommes convaincus de toucher à une paix générale et durable. Nous préparons par ailleurs un cadre relatif au dialogue politique qui jettera les jalons de la résolution du conflit qui ravage le pays depuis six décennies. Ce dialogue fournira par ailleurs une tribune historique pour débattre de tout ce qui concerne l’État, y compris les amendements constitutionnels.
Le Myanmar a aussi fait des progrès considérables au chapitre de la promotion et de la protection des droits de la personne. Le président a accordé toute une série d’amnisties. Des prisonniers politiques ont été libérés. La Commission nationale des droits de la personne du Myanmar a été rétablie en tant qu’organisme indépendant. En outre, nous travaillons en étroite collaboration avec les Nations Unies dans le dossier des droits de la personne.
La liberté de presse est l’un des résultats les plus flagrants des réformes. La censure a été abolie. De nombreux journaux et périodiques privés paraissent et circulent tous les jours, et une loi relative aux médias a été adoptée pour favoriser la liberté de presse.
Madame la présidente, je m’arrête quelques instants au processus de réforme économique qui vise à faire passer le Myanmar d’une économie agricole à une économie industrielle. En parallèle, nous nous efforçons de lutter contre la pauvreté et de favoriser l’aménagement rural. Notre économie enregistre une croissance soutenue, au rythme de 5,6, de 7,3 et de 8,7 p. 100 respectivement au cours des trois dernières années.
Les réformes politiques et économiques radicales qu’applique le Myanmar ouvrent aussi des débouchés aux entreprises et stimulent les investissements. Nous accueillons les investisseurs étrangers pour générer un afflux de capitaux et de savoir-faire technologique et ainsi créer des emplois. Une loi sur les investissements étrangers vient d’ailleurs d’être promulguée.
Le Myanmar est en outre réputé pour ses abondantes ressources naturelles et sa main-d’œuvre relativement peu coûteuse. Le pays est lové entre deux énormes marchés, la Chine et l’Inde. Étant également membre de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est, il fait partie d’un marché de deux milliards de personnes qui compte parmi les plus dynamiques actuellement.
De surcroît, nous favorisons les investissements responsables dans le but d’accroître la confiance des investisseurs. Le Myanmar entend devenir membre de l’Initiative pour la transparence dans les industries d’extraction, ou EITI. Dans l’ensemble, les investisseurs birmans sont maintenant acquis au concept de responsabilité sociale des entreprises. Selon une étude récente de l’Economist Corporate Network à propos des perspectives économiques en Asie en 2014, le Myanmar est la quatrième destination d’investissement en importance du continent, après la Chine, l’Indonésie et l’Inde.
Madame la présidente, le resserrement spectaculaire de nos relations bilatérales dans la foulée du processus de réforme augure bien. L’année 2012, en particulier, a marqué le début d’une ère nouvelle pour la relation entre nos deux pays. En une année, deux ministres des Affaires étrangères canadiens se sont rendus au Myanmar, et leur homologue birman leur a rendu la pareille, une première en 54 ans de relations diplomatiques. La visite de l’honorable Ed Fast a inauguré un nouveau chapitre dans nos relations commerciales, et, encore en 2012, le Canada a ouvert un Service des délégués commerciaux au Myanmar. Par la suite, toujours la même année, le Canada a levé les sanctions économiques qu’il imposait jusqu'ici au Myanmar. Le tout premier envoyé canadien, un ambassadeur résident, a été nommé subséquemment. Nos deux pays ont en outre procédé à des échanges parlementaires.
Le fait pour le Myanmar de présider cette année l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est lui a aussi donné la possibilité d'intensifier sa coopération bilatérale avec le Canada. La décision du Canada de rayer la dette du Myanmar et l’annonce récente de l’admission des produits birmans au Système généralisé de préférences marquent un virage majeur dans la relation entre nos pays. Nous espérons d’ailleurs que la confirmation par le Canada que le Myanmar serait un pays cible de ses efforts de développement international nous permettra d’obtenir davantage d’aide de sa part pour lutter contre la pauvreté et stimuler l’économie.
Depuis quelques années, de plus en plus d’entreprises et d’organismes canadiens envisagent de faire des affaires au Myanmar. Jusqu’à présent, les investissements en provenance du Canada totalisent 46,07 millions de dollars canadiens, ce qui représente 0,1 p. 100 des investissements directs étrangers. J’aimerais d’ailleurs attirer davantage d’investissements en provenance du Canada dans les domaines où le Canada jouit d’un avantage comparatif, comme les industries extractives, les infrastructures, l’agriculture, les produits à valeur ajoutée, la haute technologie ainsi que les activités hautement capitalistiques.
Madame la présidente, depuis que nous avons entamé nos vastes réformes, il y a trois ans et demi, nous avons fait des progrès considérables. La transformation pacifique du Myanmar est même citée en exemple dans le monde.
Malgré toutes ces réalisations, il reste toutefois des obstacles à surmonter. Nous en sommes tout à fait conscients et nous sommes résolus à garder le cap sur l’établissement d’un État démocratique.
Le Myanmar évolue pour le mieux. Nous jetons les fondements solides d’un État démocratique où règnent l’harmonie, la paix et la prospérité. Nous savons qu’il incombe avant tout aux Birmans de concrétiser leurs aspirations de démocratie, de paix et de prospérité.
En conclusion, madame la présidente, mon pays et moi sommes reconnaissants au gouvernement du Canada et aux Canadiens d’avoir soutenu les Birmans dans leur processus de réforme démocratique. Nous tenons aux liens d’amitié et de coopération que nous entretenons avec le Canada. Je suis convaincu que nos liens bilatéraux constituent l’assise solide qui nous permettra de resserrer nos relations au cours des années à venir.
Je vous remercie, madame la présidente.
La présidente : Merci, Votre Excellence.
Plusieurs personnes ont des questions. Je commence par la sénatrice Ataullahjan.
La sénatrice Ataullahjan : Merci, Votre Excellence, d’être parmi nous.
Dans le cadre de ses réformes, le Myanmar envisage d’adopter une loi relative aux droits de la personne conforme aux conventions internationales. Pouvez-vous nous en dire davantage à propos de ce que vous faites avec l’ONU dans le dossier des droits de la personne?
M. Suan : Comme je l’ai mentionné, nous collaborons étroitement avec le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, qui se trouve à Genève. Pour ce qui est de la ratification et de la signature de conventions sur les droits de la personne, nous avons été parties à un bon nombre de ces conventions, comme la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes et la Convention relative aux droits de l’enfant, et nous cherchons maintenant à en signer d’autres.
Comme vous le savez, nous nous sommes montrés très coopératifs avec le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, et nous avons reçu des visites du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme. La nouvelle titulaire de ce poste a achevé sa visite au Myanmar le mois dernier, et elle a présenté son rapport à l’Assemblée générale. Depuis plusieurs années, nous recevons aussi les conseillers spéciaux du Secrétaire général pour la réconciliation nationale, ainsi que pour la promotion et la protection des droits de la personne.
Maintenant, nous discutons avec le Conseil des droits de l'homme, à Genève, de la mise en place, dans le pays, d’un haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme. Des négociations sont en cours, et nous espérons pouvoir négocier des conditions mutuellement acceptables pour l’établissement d’un haut-commissariat des Nations Unies au Myanmar.
La présidente : Je donne la parole à la sénatrice Fortin-Duplessis pour la prochaine question.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci, madame la présidente. Votre Excellence, est-ce que vous pouvez nous en dire davantage sur la situation économique de votre pays? Quelles sont les perspectives réalistes de la croissance économique?
[Traduction]
M. Suan : J’ai mentionné que, au cours des trois dernières années consécutives, notre économie et notre PIB ont connu une croissance impressionnante. Cependant, nous faisons encore partie des pays les moins développés et des pays les plus pauvres de l’Asie. Il existe donc un grand potentiel de développement économique, mais nous devons être réalistes. Nous sommes aux prises avec un très grand nombre de contraintes parce que, pendant près d’un demi-siècle, nous avions une économie centralisée. Cela fait seulement trois ans que nous sommes passés à une économie de marché. Nous devons donc être réalistes. Nous espérons que la libéralisation de notre économie, les investissements que nous recevons et la levée des sanctions imposées par les pays occidentaux — les États-Unis, le Canada et les pays de l’Union européenne — nous permettront de prendre un bon départ.
Au total, l’investissement étranger dans notre pays s’élève actuellement à 50 milliards de dollars. Nous avons, particulièrement dans le secteur des services, libéralisé notre système bancaire, et nous avons récemment permis à neuf banques étrangères d’exercer leurs activités dans notre pays. Nous avons maintenant une monnaie flottante, qui est très stable par rapport au taux du marché. D’un point de vue microéconomique, nous pouvons stabiliser l’inflation et le chômage. Nous pouvons atteindre une stabilité monétaire et financière, mais nous avons besoin de beaucoup d’investissements et de capitaux.
Le développement des ressources humaines est l’un des domaines les plus problématiques pour notre pays. Nous devons former notre population, surtout les jeunes. Nous devons donc améliorer le système d’éducation et le système de soins de santé pour le secteur social.
En tout, 70 p. 100 des habitants du pays vivent dans des régions rurales, et leur gagne-pain dépend de l’agriculture. Le développement agricole est donc le principal objectif visé par notre stratégie économique.
Notre tâche comporte de multiples facettes. Il s’agit d’une tâche titanesque parce que notre pays est l’un des moins développés au monde et que, pendant longtemps, il a eu une économie centralisée et a été dirigé par un régime militaire à parti unique. Nous avons besoin de temps et de patience, ainsi que de la capacité d’assurer le développement économique de notre pays.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci, Votre Excellence, d’avoir répondu à cette question difficile que je vous ai posée.
[Traduction]
La sénatrice Johnson : Bienvenue à notre comité. Je suis heureuse de vous voir aujourd’hui.
Monsieur l’ambassadeur, beaucoup d’observateurs ont signalé qu’il y a un ralentissement du processus de réforme dans votre pays et que les tensions ethniques continuent de représenter un défi de taille. Pouvez-vous nous dire où en sont les efforts de réforme dans votre pays? Est-ce que d’importantes réformes sont prévues avant les élections de 2015?
M. Suan : Certains ont affirmé qu’il n’y avait plus de réformes au Myanmar, mais ce n’est pas vrai. Nous procédons actuellement à des réformes. Tout d’abord, nous avons entrepris des réformes politiques grâce auxquelles nous avons maintenant un Parlement très fort. L’État fonctionne très efficacement, même si nous sommes une très jeune démocratie. En effet, notre système parlementaire est seulement en place depuis trois ans. Il est très dynamique, et notre pays dispose maintenant d’un système politique inclusif et dynamique.
Sur le plan économique, nous avons été en mesure de jeter des bases solides pour l’instauration d’une économie de marché. Notre marché est ouvert, nous recevons des investissements, et nous avons été en mesure de stabiliser la situation microéconomique du pays.
Un autre élément important est le processus de paix. Le Myanmar est le théâtre du plus long conflit armé intérieur de l’histoire. À l’heure actuelle, il y a 16 puissants groupes ethniques armés, et nous avons conclu des accords de paix avec 14 d’entre eux. Il y a seulement deux groupes avec lesquels nous n’avons pas signé un tel accord. Nous travaillons d’arrache-pied pour aboutir à un accord de paix national. À partir de ce moment-là, nous entamerons un dialogue politique sur toutes les questions se rapportant à l’avenir de notre pays, y compris la modification de notre Constitution.
En ce qui concerne ce dernier point, un examen de la Constitution est en cours. Nous avons invité la population à nous donner des conseils et des suggestions en ce qui a trait à la modification de la Constitution, et nous avons reçu plus de 300 000 réponses. Nous avons formé un comité parlementaire pour toutes les examiner, et les membres du comité ont formulé des suggestions, puis les ont envoyées au Parlement de l'Union, c'est-à-dire à une séance conjointe de la Chambre basse et de la Chambre haute. Le Parlement débat actuellement des suggestions relatives à la modification de la Constitution. Nous espérons que le Parlement pourra finir son travail en temps opportun, certainement avant les élections qui auront lieu à la fin de 2015.
Nous avons entrepris des préparatifs pour les élections à la fin de 2015. Nous avons maintenant 67 partis politiques enregistrés, et ce sera une campagne électorale bien difficile. Même si certains de ces partis sont petits et mineurs, nous avons une société multiethnique et multiconfessionnelle. Nous avons plus d’une dizaine de groupes ethniques armés très puissants.
La situation est encore fluide, mais je peux dire que nous n’allons pas revenir en arrière. Personne — ni le gouvernement, ni la population, ni l’armée — n’est prêt à faire marche arrière dans ce processus politique. Nous avons été sous un régime autocratique à parti unique pendant un demi-siècle. Je peux donc vous assurer que nous ne reviendrons jamais en arrière.
Le processus de réforme peut sembler lent pour certains, mais nous sommes reconnaissants que, jusqu’ici, tout s’est déroulé pacifiquement et sans effusion de sang.
Je vais vous donner un exemple. Le groupe Wa, qui est l’un des 16 groupes armés que j’ai mentionnés, possède une armée de plus de 15 000 personnes. Imaginez la taille, et il ne s’agit que d’un seul groupe.
La présidente : Y a-t-il une autre question?
Le sénateur Oh : Votre Excellence, ce fut un plaisir de vous voir l’année dernière à Rideau Hall lorsque vous avez présenté vos lettres de créance.
La Birmanie se situe entre l’Inde et la Chine, deux superpuissances. Quels types de relations entretiennent ces pays? Qu’est-ce que le Canada peut faire pour accéder au marché économique de votre pays et aider les Birmans dans cette situation?
M. Suan : Merci.
Comme vous le savez, la Chine et l’Inde sont nos voisins naturels. Nous entretenons de très bonnes relations avec eux. Vous vous rappelez peut-être que les cinq principes célèbres de coexistence pacifique, le principal pilier des relations internationales de nos jours, ont été formulés initialement par les premiers ministres du Myanmar, de la Chine et de l’Inde dans les années 1950.
Depuis cette période, nous avons toujours eu des intérêts communs avec nos deux grands voisins, que ce soit sur le plan de la politique, de l’économie ou de la sécurité. Nous entretiendrons toujours de bonnes relations amicales avec ces deux pays. L’histoire et l’expérience nous indiquent que nous avons la responsabilité, tout comme ces deux pays, de maintenir ces bonnes relations.
Quant à votre question sur les investissements du Canada au Myanmar, ainsi que sa contribution à la promotion commerciale, je pense que nous sommes partis du bon pied en nommant un ambassadeur et en ouvrant une nouvelle ambassade à Rangoon, ainsi qu’en nommant un délégué commercial. Nous sommes sur la bonne voie.
Il est aussi gratifiant de savoir que le Canada a récemment désigné le Myanmar comme un marché paritaire dans son Plan d'action sur les marchés mondiaux, ou PAMM. Cela donnera également un nouvel élan à nos relations commerciales. Il y a beaucoup de place à l’amélioration à ce chapitre.
Pour ce qui est des investissements, nous tentons d’attirer plus d’investissements canadiens dans notre pays parce que vous possédez tout — le savoir-faire, la technologie et les capitaux — et que nous avons grandement besoin de ces investissements.
Je tente actuellement de convaincre une compagnie d’énergie solaire d’entreprendre un projet là-bas. Ce n’est qu’un exemple. Un tel projet serait avantageux pour la population du Myanmar parce que nous avons encore d’importants besoins en matière de production d’électricité et d’énergie. Ce n’est qu’un exemple, et beaucoup d’autres possibilités s’offrent aux entreprises canadiennes en matière d’investissements et de commerce.
La présidente : Votre Excellence, je vous remercie d’être venu ici et d’avoir apporté votre contribution à notre étude sur l’Asie-Pacifique. Votre contribution est importante puisque notre étude tire à sa fin. Comme vous l’avez dit, vous êtes un pays en développement où la pratique de la démocratie est toute nouvelle. Il était donc important de vous voir et de vous entendre donner votre point de vue, au nom de votre gouvernement. Cela a été extrêmement utile pour notre étude.
Merci d’avoir répondu à notre invitation. J’espère qu’une partie de ce que vous avez dit trouvera un écho dans notre rapport et permettra de renforcer nos relations à l’avenir.
Honorables sénateurs, la période des témoignages est terminée pour aujourd’hui.
(La séance est levée.) |