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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

OTTAWA, le mardi 14 avril 2016

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 33 pour examiner l'évolution politique et économique récente en Argentine du point de vue de son impact éventuel sur la dynamique régionale et globale, notamment sur la politique et les intérêts du Canada et d'autres questions connexes, et pour examiner la situation des relations avec l'étranger et du commerce international en général (thème : accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux : perspectives pour le Canada).

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui pour discuter de l'Argentine et des perspectives politiques, économiques et internationales. Cela fait partie de notre ordre de renvoi général. Nous avons entendu huit témoins jusqu'ici. Nous avons récemment reçu un ordre de renvoi nous demandant précisément d'examiner cette question. Le comité continuera d'organiser des réunions sur l'évolution politique et économique de l'Argentine, qui nous intéresse énormément.

Nous aurons maintenant le plaisir d'entendre l'ambassadrice de l'Argentine au Canada. Au nom du comité, j'accueille ici Son Excellence Norma Nascimbene de Dumont et les représentants qui l'accompagnent. Merci d'être parmi nous ce matin. Nous aimons à inviter des ambassadeurs, et nous sommes ravis que vous ayez répondu à notre invitation. Il nous sera très utile de connaître votre perspective, à titre de représentante de votre gouvernement, à ce moment crucial de votre histoire. Nous avons hâte de vous entendre. Nous aimons poser des questions, et, si nous pouvons ménager du temps pour cela, je suis sûre que certains sénateurs voudront en poser. Bienvenue au comité.

[Français]

Son Excellence Norma Nascimbene de Dumont, ambassadrice, Ambassade de la République argentine : Merci, madame la présidente. Effectivement, c'est un grand honneur pour l'ambassade de la République argentine ainsi que pour moi de m'adresser à vous, devant cet honorable comité, pour parler de mon pays, l'Argentine.

Nous sommes très reconnaissants que le Sénat canadien ait décidé d'étudier la réalité argentine et les possibilités qui se présentent pour le renforcement de la relation bilatérale, à partir de l'élection d'un nouveau gouvernement en Argentine et au Canada.

[Traduction]

Depuis mon arrivée au Canada, j'ai fait plusieurs visites officielles dans plusieurs provinces canadiennes, ce qui m'a permis de constater d'importantes similitudes entre nos deux pays. Comme le Canada, l'Argentine a un vaste territoire, des ressources naturelles abondantes et des ressources humaines très qualifiées. Notre population est également très diverse : s'y côtoient des Autochtones et des migrants venant de tous les continents, dont les différentes cultures et les différentes religions se sont intégrées et coexistent dans la tolérance et le respect les unes des autres.

Nous avons, bien sûr, une histoire très différente. Au XXe siècle, notamment durant la Guerre froide, en Argentine comme dans tous les pays d'Amérique latine, l'instabilité politique est devenue la règle, et ça s'est traduit par des coups d'État militaires qui ont renversé des gouvernements démocratiquement élus. Cette évolution a trouvé son expression la plus tragique dans le coup d'État militaire du 24 mars 1976, qui a été l'occasion des plus abominables violations des droits de la personne, a laissé des milliers et des milliers de personnes tuées et disparues dans son sillage et qui a enfoncé le pays dans une guerre absurde et fatale au nom d'une cause chère au cœur des Argentins, à savoir la récupération de notre souveraineté sur les Malouines.

En 1983, la démocratie a repris ses droits en Argentine. Depuis, même en temps de grave crise économique, comme celle que nous avons connue en 2001-2002 avec le défaut de paiement de notre dette étrangère, les gouvernements démocratiques se sont fermement maintenus au pouvoir. Le risque de retourner à l'époque des coups d'État est complètement éradiqué.

Avec le retour de la démocratie, mon pays a également appris à affronter ses anciennes violations des droits de la personne de façon exemplaire, en faisant valoir la mémoire, la vérité et la justice et en traînant devant les tribunaux les responsables de ces violations, dont la plupart sont aujourd'hui en prison.

Le 22 novembre 2015, pour la première fois de notre histoire, il y a eu ballottage dans l'élection générale tenue le mois précédent, et Mauricio Macri, un homme d'affaires qui avait créé un nouveau parti politique en 2005 et qui a été maire de la Ville de Buenos Aires de 2007 à 2015, a obtenu la majorité des votes au second tour et a été élu à la présidence.

Ces élections ont marqué le début d'une nouvelle ère en Argentine, parce que, pour la première fois, parce que le candidat d'un nouveau parti non traditionnel était élu, mais aussi parce que la province de Buenos Aires, qui est la principale circonscription électorale d'Argentine, avait perdu ses dirigeants traditionnels, le Parti péroniste, pour laisser place à une jeune femme énergique du même parti que le président Macri.

Depuis qu'il est au pouvoir, le président Macri a défini trois objectifs pour son gouvernement : l'élimination de la pauvreté, la lutte contre les narcotrafiquants et la reconstruction des institutions démocratiques pour rassembler les Argentins. Ces objectifs sont les trois moteurs non seulement de la politique intérieure de l'Argentine, mais aussi de sa politique étrangère.

Par ailleurs, et dès le premier jour, le président Macri s'est conduit conformément à ce qu'il avait promis au cours de sa campagne électorale. Au cours des premiers jours de son gouvernement, il a éliminé tous les obstacles et les droits relatifs aux importations et aux exportations, ce qui profite notamment aux économies régionales. Il a été capable de prendre des mesures complexes pour unifier la devise et régler les nombreux déséquilibres dans les relations avec les pays voisins et les États membres du Mercosur, notamment l'Uruguay et le Brésil.

L'un des principaux enjeux de l'économie argentine était de trouver une solution au conflit durable avec les créanciers au sujet de la dette impayée en 2001. Après avoir négocié une entente à New York, le gouvernement a déposé un projet de loi devant le Congrès pour mettre fin à ces différends.

Bien que le président Macri n'ait la majorité à aucune des deux Chambres du Congrès, en moins d'un mois, d'abord la Chambre basse, ensuite le Sénat, lui ont donné le feu vert et l'ont autorisé à adopter rapidement une loi abrogeant les articles de la loi Padlock et de la Loi sur les paiements d'État et à émettre 12,5 milliards de dollars américains en obligation pour payer les créanciers. Hier, le tribunal de New York confirmait l'entente convenue avec le médiateur. L'Argentina fera les paiements dans les jours qui viennent.

Durant ces quelque 120 jours de pouvoir, le gouvernement du président Macri a également pris d'importantes mesures pour restructurer le prix de l'énergie, des transports et d'autres services afin qu'il traduise mieux les coûts, en éliminant des subsides, mais en veillant en même temps au « prix social » de l'électricité et du gaz, ainsi que des tickets de transport social pour les plus vulnérables de la société argentine.

En politique étrangère également, le président Macri a relancé les relations internationales de l'Argentine, notamment avec l'Amérique du Nord et l'Europe et aux tribunes multilatérales.

Depuis qu'il est au pouvoir, l'Argentine a reçu la visite du président Obama, des États-Unis, du président Hollande, de France, du premier ministre d'Italie et des ministres des Affaires étrangères du Brésil, de l'Uruguay, du Chili, de l'Espagne et de pays de l'Union européenne, entre autres. Le président Macri s'est rendu au Brésil, en Uruguay, au Chili, au Saint-Siège, et il a participé au forum économique de Davos et au sommet nucléaire de Washington, où il a rencontré le premier ministre Justin Trudeau le 31 mars, ainsi que d'autres chefs de gouvernements.

Concernant les relations multilatérales, notre ministre des Affaires étrangères, Mme Susana Malcorra, a dit clairement au Council on Foreign Relations que notre gouvernement a l'intention de faire en sorte que l'Argentine participe à toutes les plates-formes multilatérales possibles. Elle a précisé que l'Argentine participera aux travaux de l'UNASUR, de la CELAC, de l'OEA et des Nations Unies pour maximiser l'influence qu'elle peut avoir à titre de médiateur traditionnel dans le monde.

Comme membre du G20, l'Argentine vient de présenter sa candidature à la présidence du groupe en 2018, lorsque viendra le tour des pays d'Amérique latine. Cette proposition a déjà reçu l'appui important du Brésil.

Pour conclure mon exposé, permettez que je vous parle des relations entre l'Argentine et le Canada et du bel avenir qui nous attend.

Les liens étroits tissés entre nos deux pays remontent très loin. En fait, en 2016, cela fera 75 ans qu'un premier ambassadeur argentin est arrivé au Canada et qu'un premier ambassadeur canadien a été envoyé en Argentine. C'était en fait un sénateur, le sénateur William Ferdinand Alphonse Turgeon. Nos deux pays ont beaucoup de similitudes et partagent des valeurs communes, entre autres, la démocratie, les droits de la personne, l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire et la lutte contre les changements climatiques.

Des entreprises canadiennes sont présentes en Argentine depuis de nombreuses années, dans les domaines de l'exploitation minière, de l'énergie, de l'agro-alimentaire et des communications. Nous en sommes heureux et nous espérons en avoir beaucoup plus. L'Argentine est riche de ressources humaines et naturelles. Nous avons besoin d'investissements pour relancer l'économie et la croissance.

Beaucoup de possibilités nouvelles s'offriront aux entreprises canadiennes dans les domaines de l'énergie propre et de l'infrastructure, qui constituent les principales priorités du gouvernement argentin.

Des visites bilatérales de hauts fonctionnaires de nos deux pays sont déjà en cours. J'ai parlé de la rencontre fructueuse entre le président Macri et le premier ministre Trudeau le 31 mars. Le président argentin a d'ailleurs invité M. Trudeau à se rendre dans notre pays.

Le secrétaire responsable des mines au gouvernement argentin, accompagné des gouverneurs des provinces de San Juan et de Catamarca, et de hauts fonctionnaires d'autres provinces où l'exploitation minière est importante, ont participé à un forum de l'Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs, l'ACPE, à Toronto, et leurs exposés ont suscité beaucoup d'intérêt.

La semaine dernière, le directeur général de l'Amérique latine et des Caraïbes à Affaires mondiales Canada — je crois qu'il était ici il n'y a pas très longtemps — était à Buenos Aires, où il a eu des réunions très fructueuses avec des hauts fonctionnaires aussi bien qu'avec des représentants de l'opposition, des membres de la société civile et des hommes d'affaires.

Hier seulement, le secrétaire au commerce de l'Argentine était à Toronto, invité par le Conseil canadien pour les Amériques, puis s'est rendu à Ottawa pour dîner à la résidence officielle de l'Argentine.

Au cours du premier semestre, nous espérons qu'une réunion bilatérale de haut niveau aura lieu. Des dispositions sont prises dans ce but.

Tous ces éléments positifs, à savoir les mesures prises par le gouvernement argentin, les perspectives semblables du président Macri et du premier ministre Trudeau à l'égard du multilatéralisme et des principaux enjeux actuels à l'échelle globale, comme la lutte contre les changements climatiques, la sécurité hémisphérique et les migrations, tout cela est source d'espoir quant à la possibilité de favoriser des relations bilatérales plus solides. Je suis convaincue que cet espoir se concrétisera.

Merci encore de m'avoir invitée. Bien entendu, je répondrai aux questions que vous souhaitez poser.

La présidente : Merci, Excellence. Vous nous avez donné beaucoup d'information, et nous voilà à jour au sujet des changements très intéressants qui se sont produits dans votre pays. Merci de nous donner une perspective historique. Il est très utile pour nous de savoir ce qu'a traversé votre pays et ce que vous espérez pour l'avenir.

Le sénateur Downe : Madame l'ambassadrice, vous avez parlé des possibilités et perspectives d'avenir et du caractère très positif des relations entre nos deux pays. D'après vous, quelle pourrait être la meilleure possibilité de collaboration entre nos deux pays dans les deux ou trois prochaines années?

Mme Nascimbene de Dumont : Du côté économique, les entreprises canadiennes sont déjà très présentes dans mon pays, plus de 100 entreprises dans des domaines très différents. Il y a d'excellentes perspectives dans celui de l'exploitation minière, mais bien d'autres aussi. Je suis convaincue que, grâce aux nouvelles mesures déjà prises par le président Macri et à celles qui seront prises dans les prochains mois, les investissements viendront.

Bien entendu, l'énergie propre est un domaine où les possibilités sont énormes, où il y a un énorme potentiel en termes de collaboration et de participation des entreprises canadiennes. Nous savons qu'il y a des entreprises canadiennes de haut calibre dans ce domaine. C'est une priorité parce que notre pays a déjà adopté une loi prévoyant l'acquisition de 8 p. 100 de l'énergie à partir de sources d'énergie propre. Nous avons toutes les ressources naturelles nécessaires, l'énergie solaire et l'énergie éolienne. Nous savons que nous pouvons fournir les ressources naturelles. Ce dont nous avons besoin, c'est de participation et d'investissements. Je suis convaincue que ça viendra.

Le sénateur Downe : Merci. Vous avez également parlé de la difficile histoire de votre pays, de la dictature militaire, et cetera. Comme il y a aujourd'hui un nouveau gouvernement, est-ce que le Canada serait en mesure de vous apporter de l'aide, en termes de gouvernance, de réforme du système judiciaire, par exemple, ou d'autres possibilités que nous aidions votre pays dans sa démarche?

Mme Nascimbene de Dumont : Eh bien, je pense que le Canada a beaucoup à offrir, et pas seulement à l'Argentine, mais à toute l'Amérique latine. L'un des principaux objectifs définis par le président Macri est la lutte contre les narcotrafiquants. Le trafic de drogue, ce n'est pas seulement du trafic de drogue, ce sont des organisations criminelles. Le Canada peut offrir une très importante collaboration à cet égard.

Il y a déjà une très importante collaboration entre les universités, par exemple dans les domaines des sciences et de la technologie. Là aussi, le Canada peut jouer un rôle très important pour nous. C'est déjà en cours, mais ça prendra plus d'importance dans beaucoup d'autres domaines. Les prochaines réunions bilatérales de haut niveau permettront de déterminer où le Canada peut offrir les compétences et le savoir que vous avez dans beaucoup de domaines différents.

La sénatrice Poirier : Bienvenue parmi nous. C'était un exposé très intéressant.

La semaine dernière, le scandale des Panama Papers a inondé les bulletins de nouvelles dans le monde entier. Il semblerait que le président Macri soit éclaboussé. En décembre dernier, il a gagné par une faible marge et il a dû apporter des changements qui constituaient un défi en politique intérieure. Quelle a été la réaction du milieu politique en Argentine, comment la population a-t-elle réagi, quand son nom a été prononcé?

Mme Nascimbene de Dumont : Premièrement, le président Macri a déclaré très clairement qu'il n'y aura d'impunité pour personne en Argentine. C'est le principe de base de son gouvernement.

Pour ce qui est des Panama Papers, la société mentionnée appartient au père du président Macri. Son père était l'un des plus importants entrepreneurs d'Argentine. Pour clarifier sa position, le président Macri a demandé à un tribunal civil de demander une déclaration d'assurance. Il s'est adressé volontairement à un tribunal civil pour présenter les documents permettant de clarifier la situation. Il a demandé à la magistrature, au tribunal civil, une déclaration d'assurance.

C'est un homme très riche. Il est riche depuis sa naissance. Il a placé sa richesse et tous ses actifs dans une fiducie sans droit de regard pour garantir qu'aucune des mesures qui seront prises par son gouvernement puissent l'enrichir.

Ce sont donc deux mesures importantes qu'il a prises : s'adresser volontairement à un tribunal civil pour demander une déclaration d'assurance et placer toute sa richesse dans une fiducie sans droit de regard. Je crois que l'ex-président Piñera du Chili, lui aussi très riche, avait fait la même chose lorsqu'il a pris le pouvoir il y a quelques années...

La sénatrice Poirier : Je suppose que les gens ont bien réagi au fait qu'il a pris les devants. Pensez-vous que, à cause de ça, il pourrait être cependant beaucoup plus difficile pour lui de faire les réformes importantes qu'il veut faire?

Mme Nascimbene de Dumont : Non. C'est mon point de vue, mais, au vu des faits, on constate que, en moins d'un mois, il a obtenu l'autorisation de régler les problèmes que nous avions avec les créanciers depuis 2001-2002. Il n'a la majorité à aucune des deux Chambres du Congrès. Dans notre système il faut obtenir l'approbation de la Chambre des députés et celle du Sénat. Il a obtenu les deux en un temps record. Il sait comment négocier avec les autres partis politiques.

Je crois sincèrement que nous entrons dans une nouvelle ère de la politique en Argentine. C'est une nouvelle génération de responsables politiques plus jeunes. Par exemple, les deux gouverneurs qui sont venus à Toronto avec le secrétaire aux mines sont de jeunes personnes. Ils appartiennent à un parti politique différent. Ils avaient tous le même avis concernant le gouvernement et l'avenir. Cela montre qu'on peut obtenir un consensus sur les enjeux très importants. Nous avons bien sûr aussi des difficultés à surmonter.

La sénatrice Poirier : Excellent. En novembre 2015, Allan Culham, ex-ambassadeur du Canada à l'OEA, a déclaré que les relations entre le Canada et l'Argentine s'étaient progressivement effilochées. Êtes-vous d'accord avec cette observation? Pourriez-vous également nous parler de certaines des possibilités d'approfondir ces relations?

Mme Nascimbene de Dumont : Oui, je dirais qu'il y a eu des difficultés entre le gouvernement argentin et l'ancien gouvernement du Canada, en particulier parce que celui-ci avait changé sa position concernant les Malouines. Cela a créé une friction très importante. Le président Macri aborde les relations avec l'Amérique du Nord dans une perspective nouvelle. Même chose avec l'Europe. Ce n'est pas axé sur les liens historiques.

La visite du président Obama a été un succès, et elle nous a donné un sentiment différent et nouveau de l'Amérique du Nord, même dans la population. Le président Macri et notre ministre des Affaires étrangères ont dit et répété que nous voulions entretenir des relations positives et réfléchies avec tout le monde, notamment avec les pays de l'hémisphère ouest, l'Europe et l'Amérique du Nord. Nous voulons des relations réfléchies, mais de très bonnes relations. Nous allons les améliorer. Je suis sûre que ça va déjà mieux, en très peu de temps.

La sénatrice Johnson : Bienvenue parmi nous. Je suis heureuse de vous voir ce matin. Vous avez donné un exposé très complet.

J'aimerais donner suite à l'idée d'un large consensus. Le président n'a pas la majorité. Pourra-t-il obtenir ce consensus des partis argentins pour continuer à apporter des réformes et à faire commerce avec le monde? Quels pourraient être les principaux obstacles? Ensuite, je vous poserai des questions sur la visite du président Obama et sur les États-Unis.

Mme Nascimbene de Dumont : Évidemment, on ne peut pas savoir de quoi l'avenir sera fait, mais on peut dire qu'il sait négocier avec les autres partis parce qu'il a créé un nouveau parti politique en 2005. C'est avec ce parti entièrement nouveau qu'il a remporté l'élection dans la ville de Buenos Aires, qui, dans notre Constitution, est au même niveau que les 23 autres provinces du pays. C'est une circonscription électorale très importante. Dès le début, il n'avait la majorité à aucune des deux Chambres, mais il a réussi à négocier et à obtenir un consensus sur les questions qui importaient à tout le monde.

Je suis convaincue qu'on a besoin de beaucoup de choses en Argentine, non seulement au gouvernement fédéral, mais aux gouvernements provinciaux. Dans ce brusque consensus au sujet de ce dont l'Argentine a besoin, je crois qu'il y aura des négociations, et les partis politiques sont là pour ça. Il y aura des contreparties, peut-être bien. C'est une situation tout à fait nouvelle, puisque, auparavant, le gouvernement avait la majorité aux deux Chambres. Aujourd'hui, il faut négocier. Le gouvernement doit négocier, et je suis sûre qu'il en est tout à fait capable, pour obtenir un consensus sur les principaux enjeux qui touchent tous les Argentins.

La sénatrice Johnson : C'est bon à savoir. Vous avez dû être encouragée par la visite du président Obama et par ses commentaires sur la nouvelle orientation de l'Argentine, et les dizaines de millions de dollars de nouveaux investissements. Dites-moi, existe-t-il des tensions historiques dont vous voudriez nous parler ici entre l'Argentine et les États-Unis? Peut-on s'attendre à de meilleures relations après la visite d'Obama, qui semble s'être très bien déroulée? Ces relations sont importantes pour le Canada, évidemment.

Mme Nascimbene de Dumont : Je dois dire que, historiquement, si on remonte au XIXe siècle, il y a toujours eu des tensions entre le Nord et le Sud, notamment, peut-être, entre l'Argentine et les États-Unis. Dans les six à dix dernières années, je dirais, les relations n'ont pas été particulièrement bonnes. Maintenant, il y a un nouveau gouvernement et une nouvelle approche. Le président Macri et le ministre des Affaires étrangères ont fait clairement comprendre qu'ils veulent de bonnes relations, réfléchies, pas les relations charnelles qui ont caractérisé les années 1990...

La sénatrice Johnson : Bien dit.

Mme Nascimbene de Dumont : C'était un adjectif très, comment dire, eh bien, c'était bien connu à l'époque dans mon pays. Mais nous avons une autre approche, et nous voulons de bonnes relations.

Je pense que la visite du président Obama a été un succès à bien des égards. Il était là pour la commémoration du quarantième anniversaire du coup d'État militaire. Il a quand même déclaré qu'il ferait ouvrir les archives non seulement du Département d'État, mais aussi des services de sécurité, au sujet de cette époque, afin de clarifier le rôle véritable des États-Unis. On a parfois des doutes, bien sûr, au sujet du rôle des États-Unis, pas seulement en Argentine, mais dans plusieurs coups d'État en Amérique latine.

La sénatrice Ataullahjan : Merci de votre exposé, Excellence. Nous examinons cette question depuis quelques semaines. Nous avons accueilli quelques témoins qui ont laissé entendre que l'Argentine devrait être une priorité pour le Canada, tandis que d'autres estiment qu'il faut y aller avec précaution, puisqu'il s'agit d'un gouvernement minoritaire et compte tenu d'une histoire faite d'agitation sociale. Pourriez-vous nous parler plus en détail des priorités du gouvernement en matière de réformes et de la probabilité de leur succès?

Mme Nascimbene de Dumont : Toutes les réformes du gouvernement seront fonction des trois objectifs déjà définis par le président. L'élimination de la pauvreté est le premier. Pour éliminer la pauvreté, le président et le gouvernement lutteront pour créer des emplois, parce que l'économie doit reprendre de l'expansion. Elle est statique depuis quelques années, et il faut qu'elle soit relancée. C'est le seul moyen de créer des emplois. Avec des emplois, on peut avoir une société. Sans emplois, il n'y a que des subsides, et ce n'est pas une solution.

Toutes les mesures prises par le gouvernement durant ces 120 jours visent directement la relance économique : il s'agit de relancer notamment les économies régionales pour qu'elles soient capables d'exporter des marchandises et de créer des emplois. Je pense que les mesures qu'il va prendre — et il va soumettre quelques projets de loi au Congrès — seront axées sur les trois objectifs dont j'ai déjà parlé : l'élimination de la pauvreté, la lutte contre les narcotrafiquants et la consolidation des institutions démocratiques.

La sénatrice Ataullahjan : En matière de politique étrangère, quelles sont les priorités du gouvernement, à l'échelle régionale et à l'échelle mondiale?

Mme Nascimbene de Dumont : Comme je l'ai dit, le gouvernement essaie d'avoir des relations positives et réfléchies avec tous les pays. C'est quelque chose de très important, je dois dire. J'ai une expérience notamment des tribunes multilatérales, et je sais que l'Argentine, comme le Canada, est un membre important de certaines de ces tribunes, par exemple dans les domaines des droits de la personne et de l'énergie nucléaire. Nous serons présents sur toutes les plates- formes multilatérales où notre expérience pourra être utile et où nous pourrons être les médiateurs que nous avons déjà su être. Comme le Canada, nous avons une très longue habitude du multilatéralisme. L'Argentine est membre du Mercosur, de l'UNASUR, de la CELAC, de l'OEA et des Nations Unies. Aux Nations Unies, nous participons à toutes les tribunes portant sur les droits de la personne et de l'énergie nucléaire et de tous les systèmes de contrôle des armes de destruction massive, d'armes chimiques, et cetera.

Le gouvernement facilitera la présence et la participation de l'Argentine et mettra en valeur ce que nous pouvons offrir. C'est très important dans de nombreux domaines, notamment dans celui de l'énergie nucléaire. Comme le Canada, nous avons une longue expérience de l'utilisation de l'énergie nucléaire, depuis les années 1950, mais toujours à des fins pacifiques. C'est un élément important à partager avec les autres, surtout dans le monde très difficile où nous vivons aujourd'hui.

La présidente : Nous allons manquer de temps. J'ai commencé par une petite liste, et maintenant elle s'allonge. Je vais donner la parole à deux personnes en même temps et vous demander de poser des questions plus brèves, et peut- être les réponses pourraient-elles être raccourcies et nous donner simplement une idée des enjeux.

Le sénateur D. Smith : Comme vous le savez, il y a un ralentissement de l'économie au Brésil dernièrement, et on espère que les Jeux olympiques seront un grand succès. Peut-être redonneront-ils de l'énergie au pays. Dans la mesure où le Brésil connaît des difficultés économiques, est-ce que cela se répercute sur l'Argentine ou cela a-t-il un impact négatif quelconque sur votre pays? Est-ce que c'est au contraire une bonne occasion? Comment décririez-vous l'impact de la plus grande économie d'Amérique du Sud et cela fait-il du tort à l'Argentine?

La présidente : Sénateur Rivard, pourriez-vous poser votre question, et nous obtiendrons la réponse aux deux en même temps?

[Français]

Le sénateur Rivard : Votre Excellence, ma question sera brève. Le fait que le gouvernement Macri soit minoritaire, qu'il gouverne avec l'appui d'autres partis, et que des dizaines de milliers de fonctionnaires aient été mis à pied a donné lieu à des manifestations. Au Canada, des sondages sont publiés presque tous les mois. Savez-vous si la population appuie toujours aussi fermement le gouvernement Macri?

Ma deuxième question est la suivante : concernant les mines canadiennes, comme la Barrick Gold qui exploite en Argentine, le Canada a demandé qu'on s'occupe davantage des droits des travailleurs et qu'on protège l'environnement.

Est-ce que cette situation s'est améliorée?

[Traduction]

Mme Nascimbene de Dumont : En effet, la tourmente économique au Brésil a eu d'importantes répercussions dans mon pays. Le Brésil est notre premier partenaire commercial.

Le sénateur D. Smith : Vous voulez dire que l'impact a été négatif?

Mme Nascimbene de Dumont : Oui, bien sûr, en termes économiques. Absolument. Mais nous espérons que la situation s'améliorera bientôt et que ce sera l'occasion pour nos deux pays et pour le Mercosur d'aller de l'avant et de conclure, par exemple, un accord de libre-échange avec l'Union européenne, et, à partir de là, avec d'autres plus loin.

[Français]

Il est clair qu'il y a des manifestations en Argentine. Cela est dû au fait qu'il y a des problèmes socio-économiques et aussi au fait que, dans mon pays, nous avons la particularité de nous manifester très facilement.

Les derniers sondages révélaient que 60 p. 100 de la population était en faveur des mesures qui avaient été prises par le gouvernement. Ce pourcentage a peut-être un peu baissé ces derniers jours, mais il y a 10 jours, plus de 60 p. 100 de la population était en faveur des mesures.

Concernant la Barrick Gold, vous savez qu'il y a eu un problème de déversement et que cela a beaucoup préoccupé le gouvernement, qui a décidé d'imposer une sanction économique à l'entreprise. Ce sont des questions délicates, et je sais que les compagnies minières canadiennes sont très responsables.

Lorsque ce genre d'accident se produit, on doit faire face aux conséquences. Dans le dossier de l'exploitation minière, la population n'a pas toujours donné son appui. On le sait, parce que c'est partout comme cela. On doit tout faire pour protéger l'environnement et, dans ce cas, il y a eu un déversement assez conséquent.

Le sénateur Ngo : Bienvenue à Son Excellence.

[Traduction]

D'autres témoins nous ont dit que, depuis son élection, le président fait une promotion proactive des principes démocratiques dans la région. Il a soulevé la question du Mercosur et demandé qu'on réinscrive la démocratie et les droits de la personne dans les enjeux régionaux. Comment cela se répercutera-t-il sur le plan politique et sur les plans des droits de la personne dans la région et notamment en Argentine?

La présidente : Merci. À vous, sénateur Housakos.

Le sénateur Housakos : Madame l'ambassadrice, merci d'être parmi nous. Il est entendu que les relations entre le Canada et l'Argentine remontent à loin et qu'elles sont solides. Je suis sûr que les relations avec l'ancien gouvernement étaient solides. Et, avec le nouveau, je suis sûr qu'elles continueront de s'améliorer.

Il y a toutes sortes de niveaux de relations entre les gouvernements du Parlement et les membres du Parlement. Peut- être pourriez-vous nous parler de ce que nous, parlementaires, pouvons faire pour consolider la diplomatie parlementaire entre nos deux pays. Comment améliorer les relations entre les deux peuples et les deux cultures? L'Argentine et le Canada sont dans le même hémisphère, mais, à bien des égards, ils sont très éloignés. Il y a entre nous un géant qui prend beaucoup d'espace en Amérique centrale et en Amérique du Sud. C'est un défi constant pour nous lorsqu'il s'agit de consolider ces relations entre les peuples et ces relations culturelles. Peut-être pourriez-vous nous suggérer comment le Parlement peut faire sa part à cet égard.

La présidente : Je vais exercer une autre de mes prérogatives afin que tout le monde puisse participer et que notre ambassadrice ait le dernier mot. La sénatrice Omidvar souhaite poser une question. Elle la posera donc maintenant, et vous aurez tout loisir de répondre aux trois questions et de résumer le tout dans les termes de votre choix.

La sénatrice Omidvar : Merci de votre exposé, madame l'ambassadrice. Depuis des années, beaucoup d'Argentins ont choisi de devenir Canadiens par la voie de l'immigration de l'asile. Je pense que ces gens sont les ambassadeurs naturels du commerce entre nos deux pays. Je me demande si vous avez de l'information attestant que ces liens commerciaux sont en effet dynamiques. S'ils ne le sont pas, que proposeriez-vous à notre gouvernement et au vôtre pour veiller à ce que cette force latente produise de la prospérité?

Mme Nascimbene de Dumont : Tout d'abord, concernant la position adoptée très clairement par le président Macri à l'égard des droits de la personne et de la démocratie dans la région et au-delà, l'Argentine est un pays qui, en raison de son passé et de la façon dont nous avons appris à affronter ce passé, a tout à fait le droit de parler de démocratie et de droits de la personne. Notre voix n'est pas n'importe quelle voix, c'est une voix importante.

Concernant la question de savoir ce que vous pouvez faire pour contribuer à l'épanouissement de relations positives et solides avec mon pays, le groupe d'amitié est un très bon moyen. Plusieurs d'entre vous y ont déjà participé dans le passé, et nous essayons de promouvoir le rétablissement de ce groupe d'amitié avec les parlementaires en Argentine. Nous croyons fermement à l'importance des relations parlementaires.

Il y a aussi ParlAmericas, la plate-forme où les parlementaires se rencontrent, et il y a l'Union interparlementaire. Toutes les plates-formes devraient permettre de favoriser les rencontres, parce que ces rencontres sont vraiment importantes. Elles sont importantes et elles facilitent les choses. Je suis convaincue de l'importance des relations parlementaires.

Bien sûr que beaucoup d'Argentins sont venus ici et ont trouvé refuge au Canada au temps de la dictature, puis durant la violente crise économique que nous avons connue. J'ai voyagé dans plusieurs provinces du Canada et j'ai eu l'occasion d'y rencontrer beaucoup de mes compatriotes qui occupent ici des postes importants dans de nombreuses universités, notamment l'Université de l'Alberta, l'Université de la Colombie-Britannique, l'Université d'Ottawa et l'Université Dalhousie. Il y en a d'autres. Certains de nos cerveaux ont aidé le Canada. Je pense au Dr Montaner, en Colombie-Britannique, qui a été décoré de la plus haute distinction du gouvernement du Canada. Ou encore au professeur de Bold, ici à Ottawa, qui a également reçu l'une des plus hautes distinctions du gouvernement du Canada. Nous sommes donc très fiers.

Je dis toujours que, pour notre ambassade, ces gens sont notre porte d'entrée et peuvent faciliter nos relations avec les différentes villes et provinces où ils vivent.

Concernant le commerce, plusieurs de nos produits sont déjà bien connus au Canada, par exemple le Malbec. J'ai beaucoup de chance de pouvoir trouver nos vins partout au Canada, dans les restaurants haut et moyen de gamme. Il y a un choix de Malbec partout. Bien sûr, les principaux labels de Malbec d'Argentine exportés au Canada sont le Gold et le Silver, parce que les principaux, Goldcorps, Barrick, Silver Standard et Pan American Silver, sont ici. Il y a d'autres choses, par exemple les crevettes. Je suis fière de dire que, chez Metro, on parle des « crevettes argentines », et cetera.

Nous avons beaucoup à offrir. Je suis convaincue que, grâce aux mesures prises par le président pour éliminer les droits sur les exportations et les obstacles au commerce, nous allons être beaucoup plus présents.

Il y a eu également l'ouverture du marché canadien au bœuf argentin en décembre dernier. Ce marché était fermé pour certaines raisons sanitaires. Nous avons cependant prouvé que ces préoccupations sanitaires n'avaient plus lieu d'être, et le marché canadien est de nouveau ouvert à nos produits carnés. J'espère que nous aurons bientôt l'occasion d'exporter notre bonne viande de bœuf au Canada.

La présidente : Je vous remercie. Nous allons très bientôt manquer de temps, mais j'aimerais vous poser une question moi-même. Devrait-on avoir l'occasion de se rendre en Argentine et d'y entendre le point de vue argentin de ce que nous entendons ici au Canada? Lorsque nous avons fait notre étude sur le Brésil, on nous a fait comprendre que, si nous voulions vraiment comprendre le pays, il fallait entrer en contact avec le gouvernement fédéral pour commencer à comprendre comment fonctionnent les États et comment ils influencent l'efficacité ou le manque d'efficacité du système parlementaire à l'échelle fédérale. Nous avons moins d'information sur les provinces et leur influence. Quel serait, selon vous, l'équilibre souhaitable et que devrions-nous apprendre sur votre type de gouvernance? Devrions-nous nous concentrer sur le gouvernement central ou devrions-nous aussi nous intéresser à des éléments du terrain?

Mme Nascimbene de Dumont : Il est bien sûr important de connaître le point de vue des gouverneurs. J'ai dit tout à l'heure que, à la dernière réunion de l'ACPE, plusieurs gouverneurs et vice-gouverneurs de différentes provinces de mon pays étaient présents. Nous sommes 24 en tout : 23 provinces plus la municipalité autonome de Buenos Aires.

Dans notre pays, il y a deux Chambres. Le Sénat représente les provinces. Au Sénat, deux sénateurs représentent le parti qui a remporté l'élection dans la province, et un troisième sénateur représente le premier parti minoritaire.

Dans mon pays, il faut négocier avec les provinces. On ne peut pas les ignorer. On a besoin de leur vote. Les sénateurs représentent les provinces. Si on veut adopter une loi, il faut obtenir la majorité au Sénat. Et, au Sénat, il faut obtenir l'approbation des différentes provinces. C'est peut-être un peu différent de votre système. Nous devons absolument être attentifs aux besoins et aux aspirations des provinces. Le gouvernement fédéral ne peut pas fonctionner tout seul.

Ce processus de négociation au Congrès a permis, par exemple, de régler la question des créanciers, et cela prouve que, quand on avance des arguments et qu'on donne des explications, les provinces appuient le gouvernement fédéral.

La présidente : Je vous remercie. Vous nous avez éclairés sur tant de choses, si rapidement. Vous nous avez parlé non seulement du point de vue de votre gouvernement, mais aussi du vôtre, sur un pays intéressant avec lequel nous espérons trouver les moyens de consolider les relations au profit des citoyens argentins comme des citoyens canadiens. Cela a été un beau tour d'horizon, et nous vous remercions d'avoir eu la délicatesse de venir nous voir et de nous expliquer si bien tout cela aujourd'hui.

Au nom des membres du comité ici présents, je vous remercie de votre visite, Votre Excellence. Je ne doute pas que vous suiviez avec attention notre travail et que vous espériez que nous vous citerons et rendrons compte de votre témoignage dans notre rapport. Merci encore d'être venue nous voir aujourd'hui.

Mme Nascimbene de Dumont : C'est moi qui vous remercie de m'avoir invitée.

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit ses travaux ce matin. Nous sommes autorisés à examiner les questions qui peuvent se poser de temps à autre au sujet des relations étrangères et du commerce international en général. Dans le cadre de ce mandat, le comité continue d'entendre des témoins au cours de cette deuxième partie de la réunion sur le thème des accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux : perspectives pour le Canada.

Le comité a entendu des témoignages sur différentes dispositions prévues dans les accords commerciaux, par exemple celles qui concernent la protection des investissements et la propriété intellectuelle. Nous aurons l'occasion aujourd'hui d'entendre des témoins sur les dispositions de ces accords concernant le droit du travail.

J'ai le plaisir d'accueillir des représentants du programme du travail à Emploi et Développement social Canada, soit monsieur Anthony Giles, sous-ministre adjoint, chargé de la Section de la politique, du règlement des différends et des affaires internationales, et monsieur Rakesh Patry, directeur général de la Section des affaires internationales et intergouvernementales du travail. Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue. Nous écouterons vos exposés, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.

[Français]

Anthony Giles, sous-ministre adjoint, Politique, Règlement des différends et Affaires internationales, Programme du travail, Emploi et Développement social Canada : Je vous remercie de nous avoir invités ce matin. Nous allons commencer avec une brève présentation en guise de survol du sujet. Par la suite, nous serons évidemment ouverts à répondre à vos questions.

À la page 2 de la présentation, vous verrez un aperçu. Nous allons commencer avec les objectifs des dispositions qui touchent la question du travail. Ensuite, nous parlerons de l'approche en général et des dispositions de façon plus détaillée. Nous allons conclure et, à ce moment-là, je céderai la parole à mon collègue qui discutera des ententes les plus pressantes.

[Traduction]

Permettez que je commence par expliquer l'objet des dispositions sur le travail. Il y a essentiellement trois raisons pour lesquelles le Canada négocie dans le cadre des accords commerciaux proprement dits ou à titre distinct dans le cadre des dispositions sur le travail. L'une d'elles est la politique internationale de longue date du Canada consistant à soutenir et à consolider les bons gouvernements et le respect de la primauté du droit dans le monde entier. En matière de travail, c'est plus particulièrement important parce que l'une des caractéristiques de ces accords est qu'on y essaie de consolider les principes de transparence et d'honnêteté à l'égard de l'administration des droits du travail dans différents pays. On essaie également de consolider le dialogue social dans ces pays.

Deuxièmement, dans le monde concurrentiel dans lequel nous vivons aujourd'hui, le gouvernement du Canada estime qu'il n'est pas juste que des employeurs et des travailleurs canadiens soient mis en concurrence avec des pays qui ne respectent pas les principes fondamentaux liés au travail des enfants, le travail forcé, et cetera. C'est donc une question de concurrence équitable.

Troisièmement, le Canada est membre de l'Organisation internationale du travail, et tous les membres de l'Organisation se sont engagés, notamment par le biais de la déclaration de 1998 sur les droits fondamentaux, à promouvoir, dans leur pays et à l'échelle internationale, le respect de certaines normes du travail fondamentales reconnues. J'y reviendrai dans un moment.

Voyez, à la page 4, ce à quoi servent nos accords ou nos dispositions à un haut niveau : il s'agit essentiellement d'essayer, d'abord, de négocier des accords applicables, pas simplement des accords de principe, mais bien des accords qui puissent être mis en œuvre si des dispositions n'étaient pas respectées. Deuxièmement, nous essayons de relier ces accords à des normes du travail internationalement reconnues. Ce n'est pas quelque chose que le Canada a inventé, c'est quelque chose à quoi il souscrit en tant que membre de la collectivité internationale. I

Les principaux éléments de ces accords, quels qu'ils soient, sont les suivants : d'abord une série d'obligations mutuelles, à caractère exhaustif, imposées aux deux parties à l'égard de ces normes du travail. Deuxièmement, il est important d'inclure un véritable mécanisme de règlement des différends qui soit exécutoire, de sorte que, si un pays ou des membres de la collectivité de ce pays estiment que l'autre pays ne remplit pas ses obligations, il y a moyen de régler le différend. Troisièmement, et par mesure d'équilibre, tous nos accords comprennent également un important volet de collaboration, parce que nous sommes convaincus que, dans ce domaine, il faut commencer par la collaboration et non par l'affrontement.

Passons à la page 5. Les accords de première génération, conclus avec le Mexique, les États-Unis, le Costa Rica et quelques autres, portaient à l'origine plus sur l'obligation d'appliquer les lois du travail existantes. On n'y insistait pas beaucoup sur ce qu'il devait y avoir dans ces lois du travail des différents pays. Mais, depuis 2009, le gouvernement du Canada a modifié sa perspective et a commencé à ajouter aux dispositions du travail l'exigence d'un respect mutuel à l'égard des normes internationalement reconnues. Les accords conclus avec le Pérou, la Jordanie, Panama, le Honduras et la Corée sont tous enracinés dans la reconnaissance mutuelle de l'importance de la déclaration de 1998 de l'OIT.

Je pense qu'il est important de souligner les quatre volets de cette déclaration. Le premier est la liberté d'association et de négociation collective; le deuxième est l'engagement à abolir le travail des enfants; le troisième est l'élimination du travail obligatoire ou forcé; et le quatrième est l'élimination de la discrimination en matière d'emploi. Il s'agit de normes internationales fondamentales. Elles forment la base de nos accords et sont là pour être respectées. En plus, nous prévoyons des dispositions sur la santé et la sécurité au travail, les salaires, et les travailleurs migrants.

À la page 6, vous voyez une liste de quelques autres éléments communs à nos accords. J'en parle très rapidement.

Premièrement, tous les accords permettent à la population de soulever des questions. Ces accords ne se limitent pas aux gouvernements, mais sont conçus pour que les syndicats, les employeurs et d'autres groupes puissent faire connaître leurs préoccupations.

Deuxièmement, il y a le mécanisme de règlement des différends, qui s'applique à toutes les obligations.

Troisièmement, nos accords prévoient généralement une sanction ultime sous la forme d'une amende contre un pays qui ne respecterait pas leurs obligations.

Il y a aussi des clauses de dérogation, qui stipulent qu'on ne peut pas abaisser les normes de travail pour créer une occasion ou un avantage en matière d'investissement.

Enfin, il y a l'engagement à collaborer.

Je vais passer la parole à mon collègue Rakesh Patry, qui va vous parler un peu des derniers accords négociés.

Rakesh Patry, directeur général, Affaires internationales et intergouvernementales du travail, Programme du travail, Emploi et Développement social Canada : Merci, Tony.

Bonjour sénateurs. Tony vous a parlé de l'histoire et du contexte des dispositions sur le travail. Je prendrai quelques minutes pour vous donner un bref résumé de certains des derniers accords que nous avons conclus. Les deux plus importants, bien sûr, sont l'Accord économique et commercial global avec l'Union européenne ou AECG et le Partenariat transpacifique.

Ces accords sont bien sûr le fruit de négociations et ils sont influencés par les pays avec lesquels nous négocions. L'une des principales caractéristiques de l'AECG et du PTP est notamment le haut niveau des obligations prévues. Dans le cas de l'UE, tous leurs accords commerciaux comprennent des dispositions sur le travail et prévoient notamment le respect des conventions fondamentales de l'OIT, et c'est le cas également de l'AECG.

Les deux accords comportent des dispositions exécutoires en matière de travail. Ce qui est à noter en particulier dans le PTP, ce sont les dispositions exécutoires comprenant l'éventualité de sanctions commerciales, et c'est la première fois que le Canada est partie à un accord comprenant cette caractéristique. En général, on prévoit des sanctions monétaires, mais, dans le cas du PTP, il y a la possibilité d'imposer des sanctions commerciales et non pas monétaires.

Enfin, dans le cas de l'accord conclu avec l'UE, l'AECG, les provinces et territoires du Canada, comme vous le savez, ont participé aux négociations et sont directement liés par les dispositions de l'accord en matière de travail. Dans le cas du PTP, c'est le gouvernement fédéral qui assume ces obligations au nom des provinces et territoires.

Nous avons dernièrement conclu deux autres accords, l'un avec Ukraine, l'autre, sous forme d'accord de modernisation, avec Israël. Les dispositions de ces accords en matière de travail traduisent la perspective plus traditionnelle du Canada à cet égard. Il s'agit, comme l'a expliqué Tony, d'obligations exécutoires à caractère exhaustif, et elles sont assorties de sanctions monétaires.

Sur la diapositive 8, on voit que les négociations ne sont qu'un élément des accords. Il faut bien sûr élaborer un système efficace de mise en œuvre et de suivi de la conformité de ces accords.

Selon notre perspective, ces accords sont ce qu'on appelle des accords de coopération dans le domaine du travail. Ce qui importe pour nous, c'est qu'il s'agit d'accords de coopération. Nous voulons collaborer avec nos partenaires, qu'il s'agisse de pays, de gouvernements, de sociétés civiles ou d'entreprises, pour favoriser un dialogue constructif et faciliter les échanges coopératifs avec nos partenaires dans ces pays, et nous nous en servons comme d'une tribune et d'un instrument pour régler les problèmes liés au travail dans les pays qui sont nos partenaires.

Nous avons aussi un programme d'aide technique assez modeste qui permet d'aider ces pays à améliorer leurs normes du travail et à renforcer la capacité du milieu syndical. Depuis 2006, nous avons réalisé ou financé 80 projets d'aide technique dans les pays avec lesquels nous avons conclu ce genre d'accords de coopération. Il s'agissait d'utiliser le peu de ressources humaines et financières dont nous disposions pour améliorer les normes du travail et favoriser la conformité à ces normes dans ces pays. Nous collaborons étroitement avec les partenaires qui ont les mêmes normes, comme l'UE ou les États-Unis, pour mettre ces projets en œuvre.

Pour l'avenir, en termes de négociations — notre dernière diapositive est un récapitulatif —, nous continuerons de considérer ces accords sur le travail comme un important instrument de développement et de promotion du respect pour les principes et droits fondamentaux du travail dans les pays qui sont nos partenaires. Nous sommes également conscients qu'il est important d'avoir des mécanismes et des instruments aptes à mettre en œuvre ces accords. Nous allons continuer à travailler, ici et dans les pays qui sont nos partenaires, pour renforcer la capacité et les connaissances et pour collaborer avec des partenaires, comme les États-Unis et l'UE, comme je l'ai dit, pour coordonner nos efforts avec d'autres pays afin de développer la capacité à respecter et à promouvoir les droits des travailleurs dans ces pays.

Merci beaucoup de vous avoir invités.

M. Giles : Nous serons heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci. Ces diapositives sont très utiles. Nous pourrons les utiliser durant notre étude et lorsque nous aurons à discuter des accords commerciaux, ce qui ne manquera pas d'arriver.

Le sénateur Downe : Nous avons entendu beaucoup de critiques concernant l'accord de libre-échange avec la Jordanie, notamment au sujet de pays étrangers exploitant ce qu'on appelle des ateliers clandestins, qui importent notamment des femmes dans la région ou les pays voisins, pour produire des articles qui sont ensuite envoyés au Canada dans le cadre d'accords commerciaux. Quelles mesures de surveillance a-t-on prises au sujet de la Jordanie depuis la signature de l'accord en 2012?

M. Patry : Nous avons collaboré étroitement avec le gouvernement de la Jordanie pour essayer d'évaluer les difficultés et les problèmes auxquels il se heurte. Depuis 2009, nous avons dépensé un peu moins de 2 millions de dollars, environ 1,9 million, en aide technique pour aider la Jordanie à améliorer sa capacité dans ce qui nous semblait être les principaux secteurs où elle en avait besoin. Il s'agissait notamment de la liberté d'association, de la réforme du droit du travail et des inspections du travail.

Nous collaborons étroitement aussi avec l'OIT pour essayer de régler certaines de ces questions. Il y a un important programme de l'OIT en œuvre en Jordanie, où il y a lieu d'améliorer les conditions de travail et les normes du travail en général dans le pays.

Je dois dire que, tout dernièrement, la crise des réfugiés syriens a évidemment eu un impact considérable sur l'économie jordanienne et que cela s'est traduit par des problèmes en matière de normes du travail.

Au début de l'année, en fait, une petite équipe de fonctionnaires canadiens s'est rendue en Jordanie pour examiner certains des problèmes qui se posent, mais plus récemment aussi, puisque notre accord est entré en vigueur, pour voir ce que nous pouvons faire pour améliorer les normes du travail dans ce pays.

Concernant la crise des réfugiés syriens et ses répercussions sur l'économie e et sur les normes du travail en Jordanie, nous collaborons en ce moment avec le gouvernement jordanien et avec l'OIT pour élaborer un projet de 18 mois qui portera spécifiquement sur les enjeux du travail des enfants au sein de la collectivité des réfugiés. Nous espérons que ce projet aura un impact sur le secteur du travail en général dans le pays, et nous sommes optimistes.

Le sénateur Downe : Merci bien. Vous n'avez pas parlé de surveillance. Est-ce que certains de vos fonctionnaires vont sur place dans les usines qui importent ces travailleuses et où elles travaillent, semble-t-il, dans des conditions lamentables, ou est-ce que nous nous contentons de discuter avec le gouvernement jordanien et les organismes internationaux, lesquels évidemment, du moins en ce qui concerne le gouvernement jordanien, ont intérêt à ce que les choses ne changent pas puisque cela accroît la productivité du pays? Les fonctionnaires du Canada qui étaient sur place récemment sont-ils allés visiter ces usines?

M. Patry : Oui, ils ont également visité des usines.

Le sénateur Downe : Ont-ils annoncé leur visite ou se sont-ils rendus sur place à l'improviste?

M. Patry : Ils sont annoncés, parce que nous travaillons avec la société civile, avec le gouvernement et avec l'OIT.

Le sénateur Downe : Est-ce que nous choisissons les usines à visite ou nous remet-on une liste?

M. Patry : Cela se fait de concert avec l'OIT. D'après les renseignements du bureau de l'OIT dans le pays et de son directeur, nous choisissons ensemble les usines qui seront visitées, et ils vont sur place.

Le sénateur Ngo : Merci de votre exposé. Vous avez parlé de normes du travail, notamment dans le cadre du PTP. Vous avez également dit que, si l'un de nos partenaires ne respecte pas une disposition, des sanctions seront applicables. Quelles sont, selon vous, les sanctions applicables et comment seront-elles effectivement appliquées? Il y a 12 pays en jeu dans le PTP, et le pays qui m'intéresse en particulier est le Vietnam.

M. Patry : Il est difficile de répondre à cette question parce que nous sommes en quelque sorte en territoire inconnu, comme vous le savez, avec le PTP. S'il est ratifié par le Canada, ce sera la première fois que nous aurons un accord aussi large. S'il est ratifié par le Canada, du point de vue du travail, ce sera la première fois que nous aurons la possibilité d'imposer des sanctions commerciales.

La façon dont cela fonctionnerait serait celle-ci : un particulier, une organisation ou un représentant de la société civile adresserait une plainte ou une objection concernant une violation des normes du travail dans l'un des pays partenaires. Le PTP comprend un mécanisme de règlement des différends très détaillé. En général, les dispositions relatives au travail sont assorties d'un mécanisme distinct. Dans le cas du PTP, c'est le mécanisme général de règlement des différends qui s'appliquerait, et il faudrait suivre les étapes prévues jusqu'aux consultations ministérielles et au tribunal d'arbitrage. Il faut tenir compte d'un certain nombre de facteurs. Le tribunal d'arbitrage aurait à prendre une décision quant à l'existence d'une violation et quant à la nécessité d'imposer une sanction en conséquence.

Le sénateur Ngo : Savez-vous que le Vietnam est sous un régime communiste? Il n'y a pas de syndicats au Vietnam. Comment faites-vous pour évaluer la situation? Comment peut-on parler de violation des normes du travail quand il n'y a pas de syndicats?

M. Patry : À ce sujet, comme vous le savez, les États-Unis ont négocié ce qu'ils appellent un accord de cohérence avec le Vietnam. Ils l'ont fait aussi avec les gouvernements de la Malaisie et du Brunei. C'est un accord parallèle au PTP.

De plus, le gouvernement du Canada a récemment conclu un protocole d'entente avec le gouvernement du Vietnam. Il s'agit d'un plan d'action énonçant les moyens d'améliorer les normes du travail dans le pays.

L'accord de cohérence des États-Unis énonce dans le détail les mesures que doit prendre le Vietnam pour garantir sa conformité avant la ratification du PTP ou parallèlement à la ratification du PTP.

L'un des principaux éléments de ce plan de cohérence porte sur la liberté d'association et sur le fait que le gouvernement du Vietnam doit faciliter la création de syndicats dans le pays, et ce sera donc l'un des principaux aspects à surveiller. C'est là que nous espérons que, dans l'avenir, la société civile jouera un rôle plus important au Vietnam en matière de normes du travail.

Le sénateur Ngo : Il n'y a pas non plus de société civile au Vietnam.

M. Patry : Selon le plan de cohérence que les États-Unis s'emploient actuellement à mettre en œuvre avec le gouvernement du Vietnam, de nouvelles lois permettront la création de syndicats, et ils travailleront avec eux pour concevoir et élaborer ces lois.

Le sénateur Dawson : Je vois à votre visage que vous avez des doutes. Je serais probablement d'accord avec vous, mais laissons cela.

[Français]

Prenons l'exemple de l'accord conclu avec l'Europe, avec la participation du Québec et la présence de M. Pierre- Marc Johnson. Cela favorise la sensibilisation aux juridictions provinciales. Lorsqu'on examine le Partenariat transpacifique, on ne voit pas nécessairement le même niveau de participation des provinces. Comment le Canada s'assure-t-il, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence, que les ententes qu'il met sur la table seront acceptées par les provinces?

M. Giles : C'est une très bonne question. Dans un premier temps, vous avez raison. Depuis longtemps, il est reconnu que le gouvernement fédéral peut négocier à l'échelle internationale, mais qu'il ne peut imposer d'obligations aux provinces en l'absence de consultations et de consensus. Dans le Partenariat transpacifique en particulier, il y a une disposition qui oblige le gouvernement fédéral à accepter la compétence au nom des provinces, et ce, dans le cas où il y a une plainte contre le Canada ou contre l'une de ses régions.

Cependant, il faut souligner le fait que les obligations contenues dans le Partenariat transpacifique sont pratiquement identiques à celles de l'accord conclu avec l'Europe. Étant donné que nous avons déjà appliqué ces principes dans le passé, nous ne prévoyons pas de problèmes techniques sur ce plan.

[Traduction]

Le sénateur Dawson : J'ai une question pour vous, madame la présidente. Est-ce que des projets de loi de ratification seront nécessaires pour certains de ces accords et est-ce que l'appui de notre comité sera nécessaire?

La présidente : Selon la lettre que nous a adressée la ministre du Commerce international, nous devons, avec la Chambre des communes, organiser des consultations aussi larges que possible sur le Partenariat transpacifique.

L'ancien gouvernement avait signé l'AECG et attendait que toutes ces questions soient réglées, et on s'attendait que cela arrive ici. C'est ce qu'on nous fait savoir des deux côtés.

Nous nous attendons à ce que le Parlement participe à une forme quelconque de ratification ou d'examen de ces accords. Comme vous le savez, c'est ce que nous avons déjà fait, par exemple pour la Jordanie, et cetera.

Si les accords commerciaux aboutissent, ils passeront par notre comité. La Chambre est en train d'étudier le PTP à sa façon. Nous avons décidé d'examiner tous les accords commerciaux signés jusqu'ici pour en mesure les répercussions économiques et autres, afin d'en avoir une idée globale et d'être en mesure non seulement de conseiller le gouvernement sur les accords actuels, mais d'anticiper les accords à venir et, espérons-le, de participer au dialogue politique de façon constructive.

Le sénateur Oh : Merci, messieurs. Est-ce que les dispositions relatives au travail prévues dans les accords de libre- échange du Canada offrent une protection suffisante et efficace des droits des travailleurs?

M. Giles : Je vais répondre en deux temps. Pour ce qui est du champ d'application de ces accords et des divers aspects des droits des travailleurs, des normes du travail, et cetera, les dispositions sont exhaustives et claires. Donc, ils sont protégés à ce niveau.

Deuxièmement, est-ce que ces accords suffisent à eux seuls à protéger intégralement les droits des travailleurs dans les pays avec lesquels nous avons conclu un accord? La réponse est non. Ils ne sont qu'un élément d'un effort international plus vaste pour y arriver. Beaucoup des pays avec lesquels nous avons conclu des accords ont des accords semblables avec d'autres pays, comme l'Union européenne, les États-Unis, et cetera. Comme nous l'avons dit dans certaines de nos réponses, l'Organisation internationale du travail est active sur le terrain dans la plupart de ces pays.

Ce que je peux dire, c'est que nos accords contribuent à un effort plus vaste pour accroître le respect des normes du travail et les droits des travailleurs dans ces pays. Ils ne sont pas la solution, ils font partie de la solution.

La sénatrice Poirier : Vous avez parlé de cela avec un de mes collègues tout à l'heure. En cas de plainte contre un partenaire ayant failli à ses obligations en matière de normes du travail, il existe, selon l'issue de l'enquête, des sanctions et des mesures exécutoires. Si cela se produit, selon la gravité des actes commis et la nécessité d'appliquer des sanctions, est-ce que vous faites un suivi ou est-ce que vous vérifiez qu'il n'y a pas récidive? Est-ce que vous faites à un suivi à ce sujet?

M. Giles : Rien du genre ne s'est encore produit, mais oui, bien sûr, il y aurait un suivi. La plupart des accords prévoient des sanctions monétaires, mais aussi des ressources financières pour régler le problème initial. Il y aurait notamment un suivi de la façon dont le problème a été réglé. Je tiens à souligner que nous n'avons pas encore eu de cas qui exige l'application de la sanction ultime dans aucun de nos accords. Comme toutes les sanctions, elles sont prévues au cas où elles seraient nécessaires, mais le problème se règle généralement aux premières étapes.

La sénatrice Poirier : Donc, jusqu'ici, on parle d'un succès à 100 p. 100?

M. Giles : Un succès à 100 p. 100 en ce sens que...?

La sénatrice Poirier : Quand il y a une plainte et que vous la portez à l'attention de votre partenaire et que celui-ci s'en occupe, c'est un succès s'il règle le problème, non?

M. Giles : Un succès au sens où un accord sur tous les aspects du problème — là, je parle de l'Accord nord- américain de coopération dans le domaine du travail avec le Mexique et les États-Unis — se solde par une solution mutuellement convenue.

Je me rappelle un exemple. Cela remonte à plusieurs années. Une plainte avait été portée contre le Mexique parce que les employeurs y étaient autorisés à faire de la discrimination contre les femmes enceintes, soit en ne les embauchant pas, soit en les renvoyant après les avoir embauchées. Le Canada et les États-Unis ont collaboré avec le Mexique pour changer la situation, clarifier les lois du pays et travailler en particulier avec la région du nord du Mexique, les maquiladoras, où la pratique était généralisée. Le ministre du Travail du Mexique s'est même rendu sur place, avec des fonctionnaires canadiens et américains, pour rencontrer un certain nombre d'employeurs. On a estimé que c'était une opération réussie.

Cette pratique a-t-elle été entièrement éradiquée pour toujours? Probablement pas, mais nous avons constaté des changements de comportement, et c'est ce que nous espérons obtenir.

La sénatrice Poirier : Pour l'avenir, compte tenu des dernières années, pensez-vous que les plaintes seront plus nombreuses ou moins nombreuses? Est-ce qu'il y a une stabilisation?

M. Giles : Il y en a eu peu dans les dernières années. Ce que nous ne savons pas, si le PTP est ratifié et appliqué, c'est si le nombre va augmenter compte tenu du nombre de pays où les conditions de travail doivent vraiment être améliorées. C'est pure spéculation à ce stade.

La présidente : Nous allons manquer de temps. Je vais donc demander aux sénatrices Johnson et Omidvar de poser leurs questions, et vous pourrez y répondre.

La sénatrice Johnson : Deux ou trois rapidement. Comment les accords internationaux du travail sont-ils appliqués, comment vous assurez-vous qu'ils le sont et de quel ordre sont les sanctions monétaires?

M. Giles : Je répondrai à la première, puis je passerai la parole à Rakesh.

Concernant leur application, il faut comprendre qu'il y a un dialogue en cours, dans la plupart des cas, non pas au sujet de cas spécifiques, mais au sujet des enjeux de la santé et de la sécurité au travail que nous avons circonscrit dans le pays, et cetera. Ce dialogue et un travail de coopération, c'est ce qui est censé, en fait, garantir que des changements sont apportés de sorte qu'il n'y ait pas besoin de plainte.

Lorsqu'il y a plainte, la première étape de presque tous nos accords vise en fait à régler le problème dans le cadre de la coopération. Cela ne marche pas toujours ou cela pourrait ne pas toujours marcher, et donc, quand on a essayé de cette façon, selon l'accord, on confie l'affaire à un tribunal d'arbitrage international. Nous n'avons jamais eu besoin d'aller jusque-là, mais c'est comme cela que fonctionne le mécanisme.

Pour les montants des sanctions monétaires, je dois passer la parole à Rakesh.

M. Patry : Ce serait déterminé par le tribunal indépendant chargé d'examiner s'il y a eu violation. C'est lui qui déterminerait le montant de la sanction.

La sénatrice Omidvar : J'aurais en fait besoin d'éclaircissements sur la protection des travailleurs migrants. Il y a une parenthèse dans le dossier de présentation à la page 7. Est-ce que cela s'applique aux travailleurs migrants, quand le PTP sera ratifié ou s'il l'est, qui viendront travailler au Canada dans le cadre de ces dispositions?

M. Patry : La raison de la parenthèse dans cette diapositive est que, dans l'AECG, il était très clair que les deux parties — l'UE et Canada — voulaient absolument garantir le même degré de protection aux travailleurs migrants. Le PTP est un peu plus compliqué, surtout parce que les États-Unis ont une perspective différente de la protection des travailleurs migrants, et des discussions ont eu lieu entre les gouvernements des États-Unis et du Mexique sur la façon dont ces travailleurs seraient protégés. Il n'y a donc pas de dispositions explicites pour les travailleurs migrants dans le PTP, mais, pour le Canada, il est clair que les travailleurs migrants devraient en tout temps obtenir le même degré de protection que les autres travailleurs du pays.

M. Giles : Si je peux me permettre d'ajouter un petit détail... Les questions qui se posent dans le cadre de ces accords varient d'une période à l'autre, mais nous ne nous sentons jamais limités par la liste des droits énoncés dans tel ou tel accord. Nous n'hésitons pas à soulever d'autres questions. Donc, si des questions devaient être soulevées auprès d'un partenaire du PTP, même en l'absence d'une obligation explicite, nous nous sentirions libres de le faire.

La présidente : L'un des mécanismes que nous avons employés dans le passé est ce qu'on appelle des accords parallèles — des accords supplémentaires —, mais il y a aussi la politique étrangère, si je vous comprends bien. Autrement dit, nous avons à notre disposition toutes sortes de moyens bilatéraux. On ne met pas tout dans l'accord commercial, c'est bien cela?

M. Giles : Effectivement. Il y a bien sûr beaucoup de pays avec lesquels nous n'avons pas conclu d'accords sur le travail, mais cela ne nous empêche pas, dans le cadre de l'OIT par exemple, ou par les voies bilatérales, de soulever ces questions.

La présidente : C'est peut-être quelque chose que nous voudrions suggérer au gouvernement de vérifier pour garantir une certaine cohérence à cet égard.

M. Giles : C'est votre prérogative.

La présidente : Je vous remercie, je voulais simplement souligner notre prérogative.

Merci beaucoup. Nous avions besoin de ces renseignements, à la fois pour nous mettre à jour sur les accords actuels et pour anticiper les suivants. Vos diapositives et vos réponses ont été extrêmement utiles. Merci d'être venus nous voir et de nous avoir donné des explications claires.

(La séance est levée.)

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