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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

OTTAWA, le jeudi 19 juin 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour effectuer l'étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit son étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région et d'autres questions connexes.

Je suis très heureuse de souhaiter la bienvenue ce matin à M. James Appathurai, secrétaire général adjoint délégué pour les affaires politiques et la politique de sécurité et représentant spécial du secrétaire général de l'OTAN pour le Caucase et l'Asie centrale, qui est ici pour représenter l'OTAN. Il se joint à nous par vidéoconférence depuis Bruxelles.

Il y a une biographie, mais ceux d'entre nous qui travaillent à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN le connaissent très bien, car il vient souvent y faire le point sur les activités de l'organisation. De plus, l'« arme secrète », comme nous l'appelons, est un Canadien.

Bienvenue au Canada et à cette séance de notre comité. Je crois que vous savez que nous étudions l'Asie-Pacifique, tant en ce qui a trait au développement économique qu'aux conditions et aux problèmes de sécurité. L'OTAN doit évidemment s'occuper de sa propre région, mais elle établit de plus en plus de liens avec les Nations Unies, d'autres pays de l'Asie-Pacifique et des organismes de sécurité. Nous aimerions que vous nous parliez des activités de l'OTAN dans la région, de vos préoccupations et des questions connexes que vous aimeriez aborder. Comme d'habitude, nous allons vous écouter pour ensuite passer à notre liste d'intervenants qui seront ravis de vous poser des questions.

James Appathurai, secrétaire général adjoint délégué pour les affaires politiques et la politique de sécurité et représentant spécial du secrétaire général de l'OTAN pour le Caucase et l'Asie centrale : Monsieur le sénateur, je vous remercie, ainsi que chacun de vous, de m'avoir invité à comparaître. Je suis ravi de vous revoir.

Vous avez raison; j'ai eu le plaisir de breffer les membres de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN lorsqu'ils étaient de passage à Bruxelles. Je peux dire que je me réjouis encore plus de vous voir maintenant étant donné qu'à Bruxelles, vous me demandez toujours de vous rencontrer le dimanche. Il est donc très plaisant d'être parmi vous un jour de semaine malgré la grande distance qui nous sépare.

Voyons ce que je peux faire pour enrichir le contenu de vos délibérations concernant l'Asie-Pacifique en vous donnant un bref exposé sur ce que fait et ne fait pas l'OTAN dans la région et en vous parlant de ce que nos partenaires sur le terrain ont porté à notre attention. Bien entendu, je serai ensuite heureux de répondre au plus de questions possible.

Je tiens d'abord à mentionner, comme vient tout juste de le faire le sénateur, que l'OTAN est une organisation euro- atlantique, et que notre centre de gravité demeure l'Atlantique, pas le Pacifique. Les États-Unis se tournent vers l'Asie, et nous aimerions qu'ils se tournent aussi un petit peu vers l'Europe, comme c'était le cas avant. C'est toutefois l'Asie qui retient leur attention, et tous les alliés appuient ce choix. Cela dit, et pour aller droit au but, ne vous attendez pas à ce que l'OTAN en fasse autant. Nous avons des ennuis dans notre voisinage immédiat. Vous êtes bien au fait de ce qui se passe à l'est, et le sud est aux prises avec de graves problèmes. Par conséquent, je pense que notre centre de gravité demeurera où il est.

Cela étant dit, ce qui se passe en Asie a des répercussions sur la sécurité des Alliés. Parallèlement, bon nombre de nos partenaires asiatiques ont contribué à notre sécurité commune, notamment en Afghanistan, où ils apportent tous une contribution. Il s'agit réellement du prisme à travers lequel nos relations se sont développées, en particulier avec quatre pays : l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée. L'élément déclencheur était l'Afghanistan, mais nous nous sommes rendu compte que nous pouvons entretenir des relations politiques et pratiques plus étroites. Nous avons donc établi des relations par l'entremise de ce que nous appelons « partenaires du monde entier ». C'est notre formule accrocheuse. En 2011, nous avons institutionnalisé cet ensemble de relations avec des « partenaires du monde entier ».

Ces relations comportent deux aspects, dont un dialogue politique de haut niveau qui doit nous aider à mieux nous comprendre, mais aussi — et je vais en parler un peu plus en détail — à comprendre comment ils perçoivent la sécurité dans leur région. Nous avons intensifié les consultations au cours de la dernière ou des deux dernières années pour que les 28 alliés de l'OTAN — y compris l'ambassadeur du Canada, Yves Brodeur, qui est un excellent représentant, un grand ambassadeur, et c'est un témoignage honnête, car je ne suis pas payé par le Canada — puissent entendre leurs points de vue, et je vais vous donner une petite idée de ce qu'ils nous ont dit. Nous misons sur la coopération pratique, et c'est une question que je vais également aborder.

Sur le plan politique, le secrétaire général a récemment signé des déclarations avec le premier ministre de l'Australie et le premier ministre du Japon lors de visites qui ont eu lieu au cours des dernières années, et il s'est rendu à Séoul dernièrement. De plus, il y a quelques semaines, le premier ministre Abe était à Bruxelles pour prendre la parole devant le Conseil de l'Atlantique Nord.

Je vais maintenant parler de l'aspect pratique. Nous avons également établi ce que nous appelons des programmes individuels de partenariat et de coopération. Ce sont des programmes ciblés de coopération avec cinq pays asiatiques — les quatre dont j'ai parlé, plus la Mongolie. J'ai eu le plaisir de visiter la Mongolie pour la première fois lorsque j'ai pris part aux négociations.

Dans le cadre de ces programmes, nous nous entendons sur des priorités d'ordre pratique ainsi que sur des valeurs et des principes communs quant à la façon dont nous allons coopérer. Une fois les documents signés, les partenaires ont accès à la boîte d'outils du partenariat de l'OTAN. Nous menons environ 1 200 activités liées à 37 domaines de coopération, du contrôle des armements à la gestion de crise en passant par la réforme de la défense, la logistique — je pourrais continuer longtemps —, des séminaires, des exercices, des cours, des équipes de l'OTAN et ainsi de suite. Nous établissons les priorités ensemble et nous collaborons ensuite dans le but de développer les capacités de défense de nos partenaires.

Je vais parler de chaque pays de manière un peu plus détaillée. Tout d'abord, en ce qui concerne la République de Corée, la coopération a commencé avec l'ancien ministre des Affaires étrangères, Ban Ki-moon, que vous connaissez tous compte tenu de ses fonctions actuelles. Il a rencontré les membres du conseil et a amorcé les relations. Nous avons ensuite procédé à des consultations stratégiques annuelles, et nous coopérons actuellement dans un certain nombre de domaines, y compris la non-prolifération — il s'agit évidemment d'une réelle préoccupation en Corée —; la cyberdéfense, qui est un dossier qui nous préoccupe tous; la planification des urgences civiles, à savoir les interventions en cas de catastrophes; et la lutte contre la piraterie. Vous pouvez vous imaginer qu'en tant que grande exportatrice, la Corée s'intéresse beaucoup à la question. Enfin, depuis 2010, la Corée a grandement contribué à la mission de la FIAS en Afghanistan.

Le Japon apporte également une importante contribution à notre mission en Afghanistan. En passant, comme je l'ai dit, cette mission est l'élément déclencheur de nos relations. Tokyo a dépensé des millions pour appuyer les efforts internationaux visant à soutenir l'aide au développement, la police afghane et la réforme de la sécurité. C'est de cette façon que notre coopération a commencé, et nous collaborons maintenant avec le Japon dans des domaines comme l'aide en cas de catastrophe, la sécurité maritime et la cyberdéfense de même qu'en ce qui a trait au respect de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur les femmes, la paix et la sécurité, ce qui intéresse beaucoup le premier ministre Abe. Le Japon veut collaborer plus étroitement avec l'OTAN dans ces dossiers, et c'est ce que nous faisons.

Avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie, nous nous sommes entendus sur des programmes individuels de coopération et une déclaration politique commune. Comme je l'ai dit, les deux pays apportent une contribution en Afghanistan et ils cherchent des moyens de poursuivre notre coopération au-delà de la mission. Ils s'intéressent entre autres à la lutte contre la piraterie, à la sécurité maritime et aux enjeux de sécurité émergents, y compris les questions liées à la cybersécurité. La « défense intelligente » est un mot code que nous avons pour désigner le développement des capacités communes, c'est-à-dire le développement avec l'OTAN de capacités que nous devons renforcer ensemble parce qu'il est difficile de les financer seul. Il s'agit des pays avec lesquels nous avons des relations bien structurées.

La Chine est évidemment un acteur incontournable. Nous ne pouvons pas l'ignorer et, pour diverses raisons, celle-ci ne veut pas nous ignorer non plus.

Premièrement, la Chine est un membre permanent du Conseil de sécurité. Par ailleurs, toute action de l'OTAN est menée en vertu d'un mandat du Conseil de sécurité. Par rapport à l'OTAN, nous avons donc besoin de la confiance et de la compréhension de la part de la Chine.

Deuxièmement, et j'y ai déjà fait allusion, les activités de la Chine dans sa zone d'influence inquiètent vraiment certains pays avec lesquels l'OTAN a mis en place des programmes de coopération, auxquels il a fait des déclarations politiques et avec lesquels nous avons des consultations au niveau politique.

Nous voulons donc, comme nous le faisons depuis des années, entretenir de meilleures relations avec la Chine. J'ai moi-même pris part au processus. Ce qui est tout à fait clair, c'est que la Chine ne comprend pas réellement très bien l'OTAN. Cela ne la place pas pour autant dans une situation minoritaire, parce que la plupart des pays du monde ne la comprennent pas non plus très bien. Ce qu'elle veut de l'OTAN, c'est une meilleure compréhension mutuelle, mais pas à pas, comme elle dit, et sans forcer les choses. Mais un pas de la Chine peut prendre pas mal de temps, et nous le respectons.

Les événements récents en Libye ont certainement refroidi la relation. Par l'entremise du Conseil de sécurité, l'OTAN a été mandatée pour protéger les civils en Libye. Je ne suis pas certain que la Chine ait été heureuse du résultat, tout comme la Russie d'ailleurs. Nous devons donc redoubler d'efforts pour rebâtir la confiance avec ces deux pays. L'expérience du Kosovo, où l'ambassade de Chine a été frappée, a également fait reculer les relations. Les rapports évoluent lentement avec la Chine, mais celle-ci tient au dialogue. L'ambassadeur de Chine vient de rencontrer le secrétaire général. Pas à pas, la situation évolue.

Nous n'avons pas de politique régionale. Par contre, le Canada en a eu une en Asie, l'Union européenne et les États- Unis aussi, mais pas l'OTAN. Nous avons des relations bilatérales avec les divers pays. Cela dit, nous assistons à toutes les conférences régionales : Shangri-La, le Dialogue international de défense de Djakarta, le Dialogue de défense de Séoul. Nous essayons de participer aux débats régionaux.

Que pouvons-nous offrir? Tout d'abord, la plupart des pays d'Asie aimeraient acquérir davantage d'expérience dans les opérations multinationales, et l'OTAN est le modèle d'excellence en la matière. Ils souhaitent apprendre de nous des modèles de coopération dans des opérations complexes. Il peut s'agir de formation, d'échanges radio, de réseaux informatiques et d'unités qui peuvent travailler en réseau. La présence d'une plate-forme du Conseil de sécurité de l'ONU revêt évidemment pour eux une extrême importance. Cela est important pour nous aussi. Nous pouvons la leur offrir. Nous pouvons mettre à leur disposition notre expérience dans l'éducation et la formation.

Il y a un autre thème que j'ai déjà évoqué, c'est celui que nous appelons défense intelligente, qui consiste à investir dans le développement de capacités mutuellement profitables. Quelques-uns de ces pays participent déjà avec des membres de l'OTAN dans le développement des capacités.

Question de ne pas vous inquiéter, je vous signalerai que lorsque nous développons des capacités au sein de l'OTAN en collaboration avec d'autres pays, nous partons du principe que nous pouvons assumer les dépenses qui y sont liées et nous menons nous-mêmes les opérations. Si un pays qui n'est pas membre de l'OTAN souhaite ajouter un élément — et cela se fait —, il n'y a pas de problème, mais nous ne dépendons d'aucun partenaire dans le cadre de projets de développement des capacités.

Il y a un autre élément, c'est la consultation politique. Ces pays veulent utiliser la plate-forme des 28 nations pour faire valoir leurs préoccupations. Le Japon y a d'ailleurs envoyé récemment un conseiller en matière de sécurité nationale, car, si vous suivez la politique asiatique, vous savez que le Japon s'apprête à réinterpréter sa constitution de façon à pouvoir contribuer aux opérations multinationales et à se défendre au cas où un autre pays stationnerait des troupes à proximité. Ce n'est un secret pour personne que le Japon s'inquiète du comportement de la Chine dans la région. Le Japon s'adresse donc à l'OTAN pour exprimer son point de vue, pour expliquer sa nouvelle interprétation de la constitution, et expliquer également qu'à son avis, personne ne devrait s'en inquiéter. Tout le monde n'est pas de cet avis.

Nous devons aussi collaborer pour relever les défis que présente la sécurité mondiale. La piraterie et la sécurité maritime en sont des exemples patents, et d'ailleurs, l'OTAN mène actuellement une opération au large des côtes de la Somalie. Nombre de ces pays y envoient aussi des navires et la coopération est très étroite dans la région. Le problème s'étendant maintenant au golfe de Guinée et ailleurs, nous aurons d'autres possibilités de coopération. Je crois d'ailleurs que la sécurité maritime sera plus que jamais à l'ordre du jour. Je peux vous dire qu'aujourd'hui même, l'OTAN a conclu une entente pour mettre en œuvre des initiatives de sécurité maritime.

Autre domaine, celui de la prolifération, qui inquiète l'Asie au plus haut point. Non seulement avons-nous offert une tribune pour débattre de la prolifération des armes de destruction massive, mais nous faisons aussi valoir l'expertise que nous avons dans la promotion et la mise en œuvre du contrôle des armements. Pourquoi? Parce que dans l'ensemble de l'Europe, l'OTAN a été au centre de mesures destinées à promouvoir la transparence et la confiance entre anciens adversaires. Nous avons utilisé à cette fin divers mécanismes, et nous le faisons toujours. Ce n'est pas actuellement facile avec les Russes, mais pour les autres, ça marche. Notre action consiste entre autres à mener des inspections et à surveiller le transport d'équipements limités par le traité. Nombre des mécanismes et procédures que nous utilisons pourraient être très pertinents en Asie. D'ailleurs, l'expérience de l'OTAN intéresse particulièrement la Corée.

J'ai pris un peu plus de temps que prévu, mais je voulais vous offrir un survol de l'action que nous menons avec nos partenaires de l'Asie et du Pacifique et de nos modes de collaboration avec eux.

Le président : Vous avez certainement abordé des thèmes qui nous intéressent. J'ai d'ailleurs une liste de sénateurs qui veulent vous poser des questions.

Le sénateur Downe : C'est très intéressant, mais aussi inquiétant. On dirait que l'OTAN cherche à construire un empire bureaucratique. Or l'organisation a un mandat. Essaie-t-elle désormais de remplacer l'ONU? Pourquoi ne se concentre-t-elle pas sur son mandat et pourquoi cette expansion massive?

M. Appathurai : Merci de votre question, monsieur. Je me fais une petite liste d'expressions qui signifient le contraire de ce qu'elles veulent dire. Je crois donc que je vais ajouter l'expression : « C'est très intéressant ».

Le sénateur Downe : Nous disons en politique que tout ce qui précède le mot « mais » est douteux.

M. Appathurai : Lorsque j'étais porte-parole, le secrétaire général m'avait enjoint de ne jamais répondre à une question qui commençait par « si ». C'est un très bon conseil.

Cela dit, vous avez posé une excellente question, sénateur. Je peux vous dire que les alliés eux-mêmes sont, premièrement, très attachés à l'ONU et au rôle de premier plan qu'elle joue dans la paix et la sécurité internationales et deuxièmement, qu'ils ne souhaitent pas que l'OTAN ait des ambitions démesurées. Nous avons de réelles contraintes en matière de ressources et nous devons par conséquent établir des priorités. Nous ne pouvons pas tout faire et être partout. Ce dont j'ai parlé s'inscrit dans le mandat de l'OTAN.

Permettez-moi d'attirer votre attention sur ce que nous appelons le concept stratégique figurant dans un document qui date de cinq ans, qui établit le cadre du mandat de l'organisation et que le Canada a évidemment approuvé. Ce document établit les trois principales fonctions de l'OTAN. La première est la défense collective. Comme vous pouvez l'imaginer, cette fonction prend ces jours-ci une importance qu'elle n'avait pas il y a six mois.

La seconde est la gestion des crises et je pense ici essentiellement à l'Afghanistan et à nos autres opérations. La troisième fonction est la sécurité coopérative. À cet égard, on a très explicitement reconnu que les défis que doit relever l'OTAN en matière de sécurité et ceux que les alliés doivent relever à titre individuel ne se limitent pas à leurs frontières respectives. Nous devons être sensibles aux problèmes émergents et essayer de les régler collectivement. Mais je reviens ici à ce que je disais au tout début : notre centre de gravité est toujours le même. Il est important de tendre la main à ces pays, mais pas au détriment de la défense collective ou de la gestion des crises. Nous y consacrons simplement un peu plus de temps.

Le sénateur Downe : Je pourrais comprendre que l'OTAN s'intéresse à d'autres régions du monde, si elle faisait son travail comme il faut. Je sais que de nombreux Canadiens ont été déçus de ce qui s'est passé en Afghanistan où, lorsqu'un membre était attaqué, tous les autres l'étaient aussi et nous avions convenu d'apporter notre aide. Aux yeux de bien des Canadiens, il y avait toute une série de pays qui — et je sais que je peux paraître désinvolte —, ne seraient pas sortis la nuit ou n'auraient pas été dans certaines régions. Je ne parle pas du Canada, des États-Unis, de l'Allemagne, des Pays-Bas, de la Pologne et du Royaume-Uni. C'était très troublant de voir d'autres membres de l'OTAN poser des conditions à leur engagement. Étant donné les problèmes internes que connaît l'OTAN, pourquoi dispersons-nous les ressources de par le monde alors que d'autres agences internationales peuvent le faire? Je ne comprends tout simplement pas.

M. Appathurai : Nous partageons tous l'inquiétude qu'a suscitée l'efficacité de l'opération menée en Afghanistan. Nous avons travaillé très fort pour contourner les écueils, que nous appelons restrictions. Dans une large mesure, nous y avons réussi. Ce n'était pas une réussite totale — nous pouvons en discuter les détails si vous voulez —, mais nous avons le sentiment, au quartier général du moins, que dans l'ensemble, les alliés ont fait leur part. Quelquefois, cette part était modeste, mais il s'agissait de petits pays. Nous aurions pu demander plus, et nous l'avons fait. Au fil des ans, les restrictions imposées à la mission de la Force internationale d'assistance à la sécurité n'ont pas cessé de diminuer parce que nous avions la volonté de les réduire. Nous avons donc fait des progrès.

Pour clore le sujet sur l'Afghanistan, je dirais qu'il est important de voir le tableau d'ensemble. Nous avons maintenu cette opération pendant de nombreuses années dans un environnement difficile. Et voyez les résultats. Les forces afghanes ont été en mesure de sécuriser les dernières élections. Grâce à toute la formation que nous leur avons donnée et aux investissements que nous avons faits, et en dépit de toutes les tentatives faites par les talibans pour perturber les élections, et il y en a eu beaucoup pendant le deuxième tour de scrutin, tout s'est bien passé. Je pense que dans l'ensemble, on peut être satisfait des résultats, en dépit de toutes les inquiétudes très légitimes que vous soulevez.

J'en viens à la deuxième partie de votre question. Si nous voulons participer, il faut être polyvalent. L'Afghanistan a été la preuve flagrante que nous ne pouvons tout simplement pas assurer notre sécurité en nous limitant aux 28. Nous avions besoin des partenaires que j'ai mentionnés : l'Australie, une nation qui sait se battre; la Nouvelle-Zélande, une nation qui sait se battre; le Japon, qui a fourni des milliards de dollars pour appuyer les équipes de reconstruction et la police; la Corée, qui a envoyé un modeste contingent; et aujourd'hui la Mongolie, qui envoie du personnel. En fait, l'Afghanistan a montré l'utilité de faire appel à ces pays, qui ont apporté la contribution que nous souhaitions.

Le sénateur Downe : À l'exception de la Mongolie, les quatre pays que vous avez mentionnés sont des alliés traditionnels. Si une guerre éclatait aujourd'hui, nous pourrions compter sur l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée du Sud en raison de leur histoire et de leurs affinités pour l'Occident, et inversement, ces pays pourraient compter sur nous.

Il me semble que l'OTAN a de graves problèmes. L'organisation a deux niveaux. Il y a d'un côté l'équipe A et de l'autre, l'équipe B. Si un autre conflit éclate ailleurs dans le monde et que l'OTAN établit collectivement qu'un de ses membres a été attaqué, et que nous sommes donc tous attaqués, nous sommes tous mobilisés; et le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis, ainsi que quelques autres pays, s'apercevront qu'il n'y a presque aucun autre appui, ce qui met en cause l'organisation de l'OTAN. À mon avis, on en revient à la question de savoir pourquoi l'OTAN ne se concentre pas sur ses problèmes internes. Comme je l'ai dit dans mon premier commentaire, il me semble que vous vous occupez de missions que mènent d'autres organisations internationales et je me demande pourquoi elles ne seraient pas prises en charge par d'autres pays que les quatre alliés traditionnels.

M. Appathurai : Laissez-moi vous dire deux choses. Premièrement, vous avez raison, ces pays sont fondamentalement des alliés traditionnels du Canada et d'un certain nombre d'autres nations, mais je vous dirais que pour de nombreux alliés de l'OTAN, ils ne l'étaient pas. Ainsi, la plate-forme de l'OTAN leur a permis de participer avec ces pays. Il faut penser aux 28.

Deuxièmement, ces pays veulent collaborer avec l'OTAN. Nous ne sommes pas allés les chercher; ils sont venus vers nous. Nous répondons ainsi à leurs inquiétudes légitimes.

Si vous voulez parler des problèmes internes de l'OTAN et des moyens de les régler, je suis votre homme, mais je pense qu'il y a d'autres questions à aborder.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur Appathurai, nous sommes très privilégiés de vous recevoir aujourd'hui comme témoin. Depuis la chute du mur de Berlin, l'Alliance atlantique s'est transformée et a admis de nouveaux membres et adapté de nouveaux concepts stratégiques en procédant à des opérations hors zones.

En 2013, l'Australie a signé avec l'OTAN un programme individuel de partenariat et de coopération. Vous nous en avez parlé tantôt. Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage sur la portée de cette entente? Quelles sont les différences majeures avec les autres programmes de coopération de l'OTAN, comme celui du Partenariat pour la paix?

M. Appathurai : J'aimerais vous dire que le privilège est le mien, merci.

Vous avez évidemment bien fait vos recherches et vous êtes très bien informée. Le Partenariat pour la paix est un cadre de coopération avec tous les pays de l'Europe, des pays du Caucase et de l'Asie centrale. Cela comprend une cinquantaine de pays avec qui nous avons des relations bilatérales et politiques en Europe et à l'extérieur de l'Europe.

Les programmes de coopération que nous avons avec ces pays, l'Australie et les autres pays, sont individuels, mais grosso modo, ils se ressemblent. L'Australie, par exemple, s'intéresse à des voies de coopération qui sont très différentes de celles qui intéressent, par exemple, l'Autriche, qui n'est pas entourée d'océans, qui n'a pas la Chine et n'a pas à travailler avec nous pour ce qui est de la projection des forces à longue distance. L'Australie a ce défi à relever.

De plus, nous avons avec l'Australie, par exemple, une coopération très sophistiquée. Elle a des forces militaires très développées qui travaillent étroitement avec le Canada, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada. Elle est très bien intégrée, y compris au plan des renseignements.

Par contre, dans le Partenariat de la paix, nous avons des programmes de coopération avec l'Arménie, par exemple. Ce pays reçoit beaucoup plus de l'OTAN parce qu'il est moins avancé et moins intégré. Il n'a pas l'ambition de voyager aussi loin.

C'est différent pour chaque pays. Les outils disponibles sont les mêmes, mais chacun choisit les outils qui lui conviennent.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Est-ce que l'OTAN examine la possibilité de signer d'autres accords avec des pays de l'Asie-Pacifique, outre l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Corée du Sud? Est-ce que les autres pays vous intéressent? Êtes-vous au courant de quelque chose que nous ignorons quant aux pays de l'Asie-Pacifique? Avez-vous des vues?

M. Appathurai : Pour être franc, non, nous n'avons pas de secret envers vous ni envers tous nos pays membres. Je fais référence encore une fois au sénateur qui a pris la parole avant vous : il est franchement question de ressources.

Des propositions sont faites au sein de cette organisation voulant que nous allions plus loin et que nous établissions des contacts plus formels avec l'Indonésie ou d'autres pays de cette région. Nous n'avons rien contre l'Indonésie, soyons clairs, mais je crois que nous sommes à la limite de nos ressources.

Pour ma part, je crois que nous sommes un peu à la limite de nos ressources. Si quelqu'un proposait quelque chose de plus large avec d'autres pays de la région, il nous faudrait davantage de ressources. Comme ailleurs dans la fonction publique, l'OTAN a aussi subi des compressions. Nous sommes un peu à la limite de ce que nous pouvons réaliser. Nous avons des priorités ici, en Europe et en Amérique du Nord. Je ne vois pas à l'horizon la création de nouveaux partenariats avec les pays de la région.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, monsieur Appathurai.

[Traduction]

La sénatrice Jaffer : Merci de votre exposé, que je trouve fort intéressant. J'ai été particulièrement contente que vous mentionniez la résolution 1325. J'aimerais que vous élaboriez sur le rôle de l'OTAN, pas seulement par rapport à la résolution 1325, mais aussi par rapport à l'inclusion des femmes dans les actions que vous menez, des femmes qui font partie de vos forces armées et qui participent aux décisions. Lorsque vous étiez en Afghanistan, par exemple, qu'est-ce que l'OTAN a fait pour habiliter les femmes? Je ne vous demande pas de passer en revue tous les programmes que vous avez exécutés en Afghanistan, mais simplement de parler des politiques.

M. Appathurai : Il s'agit d'une priorité concrète pour l'OTAN, parce que cette résolution sur les femmes, la paix et la sécurité n'est pas une abstraction pour nous, étant donné que nous nous intéressons à la sécurité et à la paix. Nous y voyons certainement un avantage pratique, pas simplement parce que c'est la chose à faire, mais parce que cela contribue à amener la paix et la sécurité. C'est pourquoi nous avons intégré ces concepts dans l'ensemble de l'organisation.

Qu'est-ce que cela implique? Cela implique qu'il y a au sein de l'OTAN une politique de formation du personnel afin de le sensibiliser à cette question au moment du déploiement. Nous déployons des conseillers dans l'ensemble de nos opérations en Afghanistan. Nous déployons du personnel féminin formé pour travailler avec les Afghanes, car il est évidemment difficile pour lui, pour des raisons culturelles, d'entrer en contact avec des hommes. Ces concepts ont été intégrés dans toute la formation.

Nous offrons la même formation à nos partenaires. Lorsqu'ils viennent à l'OTAN, nous mettons à leur disposition tous les programmes que j'ai mentionnés. Nous avons créé un centre d'excellence. Ce centre d'excellence, où formations et conseils sont données, a été mis sur pied en Norvège, qui joue un rôle de leader à cet égard.

Nous, et je parle au nom du secrétaire général, avons associé nos alliés à la nomination d'un représentant spécial à temps plein et de haut niveau pour intégrer la résolution 1325 au sein de l'OTAN. Il s'agira d'un poste permanent et de haut rang de l'organisation, non seulement pour représenter l'OTAN, mais aussi pour promouvoir la résolution.

Je voudrais signaler enfin que le secrétaire général et nous tous travaillons très fort pour faire valoir que les femmes devraient aussi faire partie du processus politique et de la solution politique. C'est pourquoi, lorsqu'il participe ou que nous participons à des conférences de niveau inférieur où nous cherchons à trouver des solutions à des crises, nous insistons pour que les femmes soient associées aux négociations. Je peux vous dire que nous l'avons fait pour la Libye, moi à mon niveau, mais lui au sien.

Je peux vous assurer — en tout cas, de mon côté, j'en suis sûr — non seulement que ce concept est intégré dans notre quotidien, mais qu'il l'est à tous les niveaux. Vous verrez qu'au sommet de l'OTAN, nous nommerons et présenterons aux médias notre nouveau représentant spécial permanent dans ce dossier.

La sénatrice Jaffer : En fait, je suis très heureuse d'entendre ce que vous venez de dire. Nous avons assurément accompli des progrès. Vous et moi savons tous deux que lorsque nous parlons de la résolution 1325, il n'est pas seulement question de la résolution 1325, mais de toutes les autres résolutions connexes. On utilise ici un raccourci.

Combien d'heures de formation assurez-vous? Étant donné que le Canada est membre de l'OTAN, il est très important de ne pas oublier les femmes. Je me réjouis de vos propos.

Cependant, ma plus grande frustration, c'est que malgré tous nos beaux discours, les femmes sont absentes du processus de paix en Syrie. Il faut joindre le geste à la parole, et nous avons encore beaucoup de chemin à faire.

M. Appathurai : Pour être honnête, j'ignore le nombre d'heures de formation; j'espère que vous me pardonnerez. Je sais que cela s'inscrit dans la formation préalable au déploiement, alors je pourrais certainement vous obtenir la réponse.

En effet, le processus de paix en Syrie, ce sont trois mots qui, malheureusement, ne vont pas bien ensemble. Ce n'en est pas vraiment un. À vrai dire, dans de nombreuses régions du monde, il est difficile de convaincre les combattants d'inclure les femmes dans un processus décisionnel collectif dans le cadre de la conférence sur la paix. Les hommes armés sont ceux qui se présentent à la table. Il faut encore livrer une dure bataille. C'était la même chose en Bosnie. Ce sont les gens armés qui prennent les décisions.

La sénatrice Jaffer : Je comprends ce que vous dites, mais lorsque j'ai pris part au processus de paix au Sri Lanka, j'ai constaté que les femmes combattaient également au sein des TLET. J'aimerais donc que vous nous en disiez davantage à ce sujet. De nos jours, les femmes sont également des combattantes et vous devez encourager les hommes qui détiennent le pouvoir à inclure les femmes également.

Le sénateur D. Smith : En ce qui concerne l'OTAN de façon générale, je vous demanderais de nous faire part de votre point de vue sur la crise qui sévit actuellement en Irak et l'éventualité d'un dialogue entre les États-Unis et les autres pays de l'OTAN avec l'Iran. Y a-t-il une possibilité d'amorcer un modeste rapprochement? J'insiste ici sur « modeste », mais chose certaine, cela marquerait un contraste avec les récents propos de Tony Blair selon lesquels la crise actuelle en Irak découle du fait que les pays occidentaux, y compris les membres de l'OTAN, ne sont pas allés en Syrie. Est-ce que la crise qui sévit actuellement en Irak représente une fenêtre d'opportunités pour les pays de l'OTAN?

M. Appathurai : Permettez-moi de prendre un peu de recul parce que je m'engage sur un terrain glissant.

Je suis allé en Irak à plusieurs reprises puisque l'OTAN avait, jusqu'à récemment, une mission de formation là-bas. Je l'ai établie puis j'y ai mis fin au terme du processus. J'ai souvent rencontré le ministre des Affaires étrangères irakien. Il m'a dit, et il est ensuite venu ici pour le dire au conseil de l'OTAN, que la guerre en Syrie — et cela remonte à quelques années — risquait de faire peser sur son pays des pressions intenables, et que la communauté internationale devait faire tout ce qu'elle pouvait pour éviter que la situation ne se détériore en Irak. De toute évidence, il n'avait pas tort.

Je ne sais pas s'il est possible d'établir un dialogue avec l'Iran, et vous pouvez vous imaginer qu'il s'agit d'une question extrêmement délicate pour les États-Unis et la population américaine. J'ajouterais que cela va bien au-delà du mandat de l'OTAN, mais abstraction faite de toutes les discussions concernant l'origine du problème et les critiques de Tony Blair, qui ont beaucoup retenu l'attention des médias britanniques récemment —, il est évident que la situation en Syrie pose d'importants problèmes en matière de sécurité partout dans cette région et touche non seulement l'Irak, mais aussi la Turquie et la Jordanie. Si je ne me trompe pas, la Jordanie compte 1,3 million de réfugiés, dont seulement 15 p. 100 vivent dans des camps de réfugiés; tous les autres habitent chez des Jordaniens qui leur ont ouvert leurs portes. Il s'agit d'un pays très pauvre et la situation pourrait donc dégénérer. Il y a également le Liban, et je pourrais continuer encore longtemps.

Le conflit en Syrie est une bombe à retardement, mais en fait, la bombe a déjà explosé et créé des problèmes partout dans la région. L'OTAN a expédié des batteries de défense antimissile Patriot en Turquie lorsqu'on pensait que la crise en Syrie allait déborder dans ce pays. Mais cela s'arrête là. Maintenant, on accueille des réfugiés à la frontière turque, mais on ne craint pas de débordement. Toutefois, la frontière de l'OTAN s'arrête là. Nous n'avons aucun mandat ni aucun intérêt parmi nos alliés, pour être honnête, à se rendre en Irak; même chose pour la Syrie, nous n'avons pas de mandat, pas de soutien régional ni aucun consensus. Pour ma part, je n'entrevois pas de solution militaire de l'extérieur à ce qui se passe en Syrie.

Je ne vous ai pas donné de bonnes réponses, mais je ne crois pas qu'il y en ait vraiment.

Le sénateur D. Smith : Je pense que vous nous avez fait une très bonne analyse et je partage votre point de vue.

La sénatrice Beyak : Merci beaucoup pour votre excellent exposé. J'aimerais maintenant que vous me donniez plus d'information sur un autre sujet.

Vous avez indiqué que vous alliez continuer de vous concentrer sur l'Europe ainsi que sur les problèmes qu'on trouve à l'est et au sud, mais vous avez également parlé de la Somalie et de la piraterie maritime. Avez-vous envisagé d'intervenir dans la région de l'Asie-Pacifique ou, si vous y êtes déjà, pourriez-vous nous dire ce que vous faites là-bas?

M. Appathurai : Parlez-vous d'une intervention militaire?

La sénatrice Beyak : Je parle de lutter contre la piraterie maritime en collaboration avec vos partenaires dans la région.

M. Appathurai : Pour l'instant, nous ne comptons pas le faire. Je ne crois pas qu'on souhaite se servir de l'OTAN pour lutter contre la piraterie maritime, par exemple, dans le détroit de Malacca ou ailleurs, bien que ce soit un problème indéniable.

La stratégie maritime dont je vous ai parlé tout à l'heure est sur le point d'être approuvée et mise au point, alors je ne peux pas exclure la possibilité que quelque chose se produise à l'avenir. À l'heure actuelle, je pense que la Somalie est tout ce que nous pouvons faire — ou tout ce qu'on nous a demandé de faire. C'est l'autre chose : nos partenaires asiatiques ne nous ont pas demandé d'y envoyer des navires de l'OTAN. Des efforts bilatéraux sont en cours. Je sais que de nombreux pays de l'OTAN interviennent seuls, mais on n'a pas sollicité la plateforme de l'OTAN.

La sénatrice Ataullahjan : Dans un autre ordre d'idées, j'aimerais que vous me disiez quelles sont les mesures que vous prenez pour lutter contre la cybercriminalité, les cyberattaques, l'espionnage, entre autres. Quelles sont les plus grandes menaces auxquelles vous êtes confrontés? Êtes-vous bien préparés pour y faire face?

M. Appathurai : Je vais répondre à la dernière question en premier. Non, nous ne sommes pas suffisamment préparés, mais vous deviez vous y attendre. Il y a eu une panique aujourd'hui au sein des membres du personnel plus jeunes lorsque Facebook est tombé hors ligne pendant 15 minutes. C'était le principal sujet de discussion. C'était comme si le ciel allait nous tomber sur la tête, mais on semble s'être remis de cette brève panne.

Il s'agit d'une discussion complexe au sein de l'OTAN. Tout est compliqué ici, mais celle-ci l'est particulièrement, étant donné que la cyberdéfense est une question qui touche de nombreux intervenants, y compris les entreprises privées, les gouvernements et les forces armées. Une cyberdéfense efficace nécessite une collaboration très étroite entre les secteurs public et privé. C'est plutôt difficile pour l'OTAN, étant donné que c'est nouveau.

Ensuite, c'est une question qui relève des gouvernements nationaux. Ils veulent se défendre eux-mêmes et ils y tiennent.

Enfin, ils craignent qu'en se connectant au système de quelqu'un d'autre à des fins de défense, bien qu'ils puissent accroître leur défense, ils deviennent plus vulnérables, par exemple, si l'autre système n'est pas bien protégé et que les ennemis peuvent s'infiltrer dans une brèche. Nous étudions donc toutes ces questions.

Qu'est-ce que nous avons fait? Nous nous sommes entendus sur une cyberpolitique et nous avons pris des mesures pour la mettre en œuvre. Elle comporte divers éléments, dont un élément intellectuel. Nous avons finalement convenu que la cyberdéfense faisait partie de la défense collective. C'est une étape importante pour nous. Les gens sont maintenant conscients qu'une cyberattaque peut atteindre un niveau susceptible de compromettre considérablement la sécurité d'un pays. L'Estonie l'a vécu il y a quelques années lorsque son système bancaire a été la cible d'une attaque, que beaucoup attribuent aux Russes, qui a paralysé toutes les activités du gouvernement. L'Estonie a maintenant solidifié ses systèmes. Nous comprenons désormais que la cyberdéfense doit faire partie de la défense collective.

Nous avons notamment renforcé les systèmes de l'OTAN. En premier lieu, il fallait s'assurer que nos systèmes étaient sûrs. Ensuite, nous avons établi un centre d'excellence, en matière de cyberdéfense, qui offre les dernières techniques à tous nos alliés et partenaires. Nous voulons être en mesure d'appuyer nos alliés, s'ils le souhaitent, surtout s'ils sont victimes d'une cyberattaque qui dépasse leurs capacités de défense. C'est ce que nous avons fait pour l'Estonie; nous y avons affecté des experts. Il s'avère que les Estoniens étaient aussi bons que nous, mais nous travaillons également à améliorer cette capacité.

La dernière question dont je voudrais parler, étant donné que c'est la plus récente, c'est la conception de ce que beaucoup de gens appellent la guerre hybride. En gros, c'est ce que les Russes font subir aux Ukrainiens, c'est-à-dire une attaque qui touche tous les aspects, non seulement le recours aux forces conventionnelles, les opérations d'information, les coupures de gaz, mais aussi les cyberattaques et bien d'autres éléments, tous utilisés de manière ambiguë. Le recours aux cyberattaques dans ce modèle hybride — et ce n'est pas la première fois qu'on y a recours, mais dans ce cas-ci, c'est évident — est une question que nous examinons de très près. Nos autorités militaires s'y intéressent également, et nos autorités politiques en tiendront compte dans le cadre de leur analyse globale.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Je suis tentée de vous questionner sur le sujet que vous connaissez le mieux puisque vous êtes responsable. Vous êtes bien au courant de ce qui se passe dans les Balkans. L'OTAN procède actuellement à des exercices militaires en Pologne et dans les pays baltes. Sans contredit, ces exercices sont rassurants pour nos alliés de la région préoccupés par les actions russes en Ukraine. Ils sont aussi un excellent moyen de dissuasion.

Dans un premier temps, ne croyez-vous pas que les exercices auraient pu commencer plus tôt? Dans un deuxième temps, est-ce que l'OTAN envisage de laisser des unités dans ce pays après la conclusion de ces exercices?

M. Appathurai : Voilà de très bonnes questions politiques. On voit que vous êtes une politicienne. Est-ce que cela aurait commencé plus tôt? Il y a toujours eu des exercices dans ces pays-là, mais peut-être avec moins d'ampleur ou de fréquence. Ce que vous allez voir maintenant, c'est que la fréquence et l'ampleur vont s'accroître de façon quasi permanente. Pour le dire différemment, ces exercices auront lieu tant et aussi longtemps que nécessaire. C'est la phrase que répète le secrétaire général, pour ne pas dire que ce sera temporaire ni perpétuel. Tout le monde accepte ce principe. Nous avons mis en place un programme d'exercices qui s'appelle, en anglais, The Connected Forces Initiative. Il s'agit d'un programme d'exercices qui sera mis en place dans tous les pays de l'OTAN, y compris les pays baltes et les pays de l'Europe centrale et de l'est. Nous sommes préoccupés par ce qui se passe en Ukraine et par les événements qui se sont passés en Géorgie. La Moldavie, quant à elle, subit une pression militaire russe. Il s'agit d'une présence russe dans des pays qui n'ont pas envie de ces troupes.

Je mentionne aussi un programme d'exercice russe sur la frontière de l'OTAN — c'est à l'intérieur de leurs frontières, mais c'est juste sur la frontière —, qu'on appelle en anglais des Snap Exercises, qui sont très inquiétants. Nous sommes en train de concevoir un programme qui s'appelle Readiness Action Plan. Nous sommes à définir en ce moment ce que cela comprendra, mais ce que vous verrez, c'est une plus grande présence rotationnelle de l'OTAN, plus d'exercices, plus d'infrastructures, quoique minimes, afin de permettre, si nécessaire, à l'OTAN de renforcer sa présence dans ces pays.

Nous ne voyons pas d'attaque imminente venant de la Russie. L'OTAN a la capacité d'y faire face, mais nous devons accroître la confiance, les exercices, et procéder au positionnement à l'avance, si nécessaire, des équipements pour être sûrs que, si nous avons besoin d'augmenter notre présence, nous serons capables de le faire.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, monsieur Appathurai.

[Traduction]

La présidente : J'ai une seule question concernant la région de l'Asie-Pacifique, étant donné que c'est le sujet à l'étude. Si j'ai bien compris, et je crois que vous l'avez dit clairement, l'OTAN ne prévoit pas en faire plus que la collaboration qui est demandée dans cette région. Je pensais que c'était le cas avant d'entendre votre témoignage.

Toutefois, vous nous avez transmis deux messages. Tout d'abord, vous nous avez dit que certains de ces pays avaient fait appel à l'OTAN afin qu'elle collabore sur leurs enjeux ou sur des enjeux internationaux. Vous avez également fait observer qu'on semblait se concentrer davantage sur des questions qui ne sont plus simplement régionales, et vous avez parlé du cyberespace, qui nécessitera une intervention qui va au-delà de notre base géographique régionale. Je le précise parce que je sais que mon collègue s'est demandé si l'OTAN n'allait pas trop loin. Est-ce en réponse aux nouvelles menaces internationales? Est-ce plutôt les Nations Unies qui utilisent des mécanismes de défense régionaux? Par exemple, je sais que l'Union africaine fournit les ressources à l'Afrique. Je sais que la CEDEAO parle d'une base militaire régionale pour ses pays, mais tous souhaitent une collaboration internationale sur des enjeux plus internationaux. Par conséquent, est-ce la tendance pour ce qui est de la participation de l'OTAN, que ce soit dans la région de l'Asie-Pacifique ou au-delà des frontières de l'Afrique ou de l'Amérique latine?

M. Appathurai : Merci pour cette question. J'aurais quelques observations à faire. Tout d'abord, vous avez tout à fait raison lorsque vous dites que les pays se tournent vers nous.

Très honnêtement, l'Australie, par exemple, estime que nous avons de bons rapports et apprécie nos consultations politiques régulières concernant l'Afghanistan. Elle ne veut pas perdre cette collaboration lorsque la mission de la FIAS prendra fin. L'Australie insiste fortement pour que des consultations politiques régulières et une collaboration pratique se poursuivent au terme de la mission de la FIAS. Nos efforts sont déployés en fonction de la demande. Ce sont eux qui se tournent vers nous, et non pas l'inverse, mais je dois dire que nous sommes très ouverts à une collaboration avec eux. C'est en gros notre analyse de la situation.

Par ailleurs, sachez que l'OTAN veille à la sécurité des alliés. Nous sommes fermement convaincus qu'au XXIe siècle, on ne peut assurer la défense des alliés et même des frontières des alliés qu'en allant au-delà de ces frontières et en intervenant là où les problèmes se posent ou avec ceux qui peuvent exercer une influence lorsqu'il s'agit de contrer ces menaces transnationales.

Nous ne croyons pas que nous nous éloignions de notre mandat en examinant la situation de façon plus globale qu'à l'époque de la guerre froide. Cette époque est révolue. Aujourd'hui, nous faisons face à des menaces multinationales pour lesquelles nous avons besoin de moyens de riposte multinationaux, mais nous devons toujours mettre l'accent sur la sécurité des alliés. C'est notre mandat, et nous ne sommes absolument pas en concurrence avec les Nations Unies.

Encore une fois, madame la sénatrice, vous connaissez très bien l'OTAN, alors je n'ai pas grand-chose à vous apprendre, mais les Nations Unies s'attendent à une collaboration étroite de notre part. Je peux donner l'exemple de la Somalie. Nous formons le personnel qui est affecté en Somalie afin qu'il puisse désamorcer les bombes artisanales. On nous a demandé un soutien aérien et maritime, et nous avons répondu à cette demande. Nous avons offert notre soutien à l'Union africaine à la demande des Nations Unies. Nous avons du personnel au siège de l'Union africaine qui cherche des solutions aux problèmes africains, mais c'est la façon de s'y prendre. On doit leur fournir des fonds de démarrage et une expertise pour les aider à assurer leur propre sécurité.

Nous pensons que c'est dans notre propre intérêt d'agir ainsi, car si nous ne le faisons pas, nous allons ressentir jusqu'en Europe ou en Amérique du Nord les effets des problèmes qu'on trouve dans ces régions. Même dans un contexte où les ressources sont limitées, nous sommes d'avis que ce que nous faisons avec nos partenaires de l'Asie- Pacifique contribue à la défense des alliés, et cela comprend évidemment le Canada.

La présidente : J'ai une dernière question. Vous avez parlé des possibilités et des menaces. Je sais que dans les discussions au sein de l'OTAN, on s'inquiète de la réduction des capacités militaires. Les budgets sont à la baisse, compte tenu notamment de la crise en Europe. Si je ne me trompe pas, seulement deux pays n'ont pas vu leur budget militaire diminuer. Pourtant, dans la région l'Asie-Pacifique, nous observons une augmentation des budgets dans divers pays, dont un particulièrement grand. Est-ce une situation dont vous vous préoccupez?

M. Appathurai : Vous pouvez être assurés que nous suivons la situation de près. Pour être honnête avec vous, le chiffre qui nous préoccupe le plus est probablement le chiffre russe. La Russie a augmenté son budget militaire de 50 p. 100 au cours des six dernières années et, pour vous donner un autre chiffre, elle compte investir 700 milliards de dollars dans la modernisation militaire au cours des six prochaines années, ce qui est une tendance différente que celle dont vous avez parlé, qui est tout à fait juste.

En effet, nous savons que les pays de l'Asie ont accru leur budget militaire. Honnêtement, il s'agit d'une source de préoccupation qui n'est pas nécessairement liée à notre territoire directement, mais c'est un indicateur dans le contexte des relations de plus en plus difficiles entre la Chine, le Japon et la Corée, en particulier, mais on pourrait ajouter les Philippines et quelques autres. Lorsqu'on voit les budgets de la défense augmenter et la situation sur le terrain se compliquer, cela préoccupe tout le monde, y compris nos partenaires asiatiques.

Tous ces facteurs, mais principalement ce que j'ai mentionné plus tôt, la situation de la sécurité en Europe, nous amènent à vouloir mettre fin à la réduction des budgets de la défense. Nous pensions avoir eu ce luxe au cours des 15 dernières années. Il semble que ce ne soit pas le cas, puisque le secrétaire général exerce beaucoup de pressions sur tous les alliés afin qu'ils rétablissent leurs budgets.

La bonne nouvelle, c'est que l'économie européenne se redresse, comme celle des États-Unis; et l'économie du Canada se porte très bien. Par conséquent, il y a de l'espoir. Ces deux ou trois derniers mois, deux ou trois pays ont annoncé que leurs dépenses militaires allaient désormais correspondre à 2 p. 100 du PIB, un objectif auquel ils avaient renoncé. Nous nous attendons à ce qu'il y ait une augmentation, et je pense que cela augure bien.

La présidente : Nous allons nous arrêter ici. Merci beaucoup. Vous avez abordé beaucoup plus de questions que ce à quoi nous nous attendions. Comme vous pouvez le voir, on s'intéresse non seulement aux nouvelles activités de l'OTAN, notamment dans la région de l'Asie-Pacifique, mais aussi à l'OTAN elle-même et à ses autres activités. Vous êtes un excellent représentant de l'OTAN et du Canada. Nous vous remercions d'avoir accepté de témoigner par vidéoconférence.

(La séance est levée.)

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