LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET
DU COMMERCE INTERNATIONAL TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 1er avril 2009
Le Comité sénatorial des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui à 16 h pour étudier l’émergence de la Chine, de l’Inde et de la Russie dans l’économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.
Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président: Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Le comité poursuit son étude spéciale sur l’émergence de la Chine, de l’Inde et de la Russie dans l’économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.
Je suis heureux de vous informer que notre témoin aujourd’hui est M. Shashishekhar M. Gavai, haut-commissaire de l’Inde au Canada. M. Gavai est entré au Service extérieur indien en 1975. Depuis, il a occupé plusieurs postes importants en Inde et il a été affecté aux missions diplomatiques de l’Inde en Yougoslavie, en Hongrie, au Zimbabwe, en Indonésie, en Allemagne, en Écosse, aux Maldives ainsi qu’à Houston, au Texas. M. Gavai occupe les fonctions de haut-commissaire de l’Inde au Canada depuis novembre 2008.
Monsieur Gavai, nous sommes très heureux de vous accueillir au Sénat. Nous allons d’abord écouter votre déclaration préliminaire. Vous êtes entièrement libre de décider des questions dont vous voulez traiter, puis les membres de notre comité vous poseront des questions.
H.E. Shashishekhar M. Gavai, haut-commissaire de l’Inde au Canada: Merci. Je tiens à remercier les membres du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international de m’accueillir ici aujourd’hui. J’en suis profondément honoré.
Je crois que certains des renseignements que je vous ai transmis vous ont déjà été communiqués. Il s’agit de quelques données essentielles sur l’économie indienne. On m’a accordé 10 minutes pour présenter mon exposé, je vais donc aller droit au but.
Mon exposé comprend deux parties. Je vais d’abord parler brièvement de l’économie indienne et de sa situation actuelle. Dans la deuxième partie, je traiterai des relations économiques avec le Canada et de la façon dont nous espérons qu’elles évolueront au cours des prochaines années.
Au sujet de l’économie indienne: après notre accession à l’indépendance, nous avions diverses restrictions. Pendant de nombreuses années, l’économie a crû au rythme d’environ 3,5 p. 100, parce qu’elle était fortement réglementée. Dans les années 1980, nous avons commencé à expérimenter et à prendre certaines mesures pour l’ouvrir progressivement.
Dans les années 1980, nous avons connu une croissance d’environ 5,5 p. 100, mais le changement véritable est survenu en 1991, lorsque toute l’économie a été ouverte assez rapidement. Un certain nombre de grandes réformes ont été réalisées.
Depuis 18 ans, notre économie a un taux de croissance supérieur à 6 p. 100 par année. Au cours des trois dernières années, cette croissance dépassait les 9 p. 100. Évidemment, la récession mondiale a eu un effet inévitable sur notre économie comme sur les autres. Dans le secteur des exportations, des emplois ont disparu; le secteur des exportations a été très durement touché.
Le SENSEX, l’indice de la Bourse de Mumbai, avait atteint les 20 000 points. Il est tombé à 7 000 en octobre l’an dernier.
Nous croyons que la croissance du PIB, qui était comme je l’ai dit de 9 p. 100 par année depuis trois ans, s’établira à environ 6,5 p. 100 pour le dernier exercice, qui s’est terminé hier, le 31 mars. Les chiffres définitifs ne sont pas encore publiés, mais nous croyons que cette croissance s’établira à environ 6,5 p. 100.
Pour l’année qui vient — c’est-à-dire l’exercice financier en cours, qui ira du 1er avril au 31 mars 2010 —, nous prévoyons que l’économie connaîtra une croissance d’environ 6 p. 100. L’Inde n’est pas vraiment en récession car l’économie continue de croître. Il s’agit d’un ralentissement. Cela est dû à diverses raisons. La consommation intérieure est le moteur de notre économie. Les exportations ne représentent qu’environ 20 p. 100 du PIB. Nos banques et nos institutions financières sont fortement réglementées. Elles sont en assez bonne position, comme celles du Canada. Les actifs à très haut risque sont relativement négligeables. Notre taux d’épargne est assez élevé; il s’établit à environ 38 p. 100. L’économie est mue par la consommation intérieure, qui demeure élevée.
Je vous donne quelques exemples. En janvier 2009, en un seul mois, 16 millions de nouveaux abonnés se sont inscrits aux services de téléphonie mobile. En février 2009, les ventes de voitures ont augmenté de 22 p. 100. Les voyages internationaux ont été touchés, mais le secteur du transport aérien intérieur continue de croître.
Comme de nombreux autres pays, nous avons annoncé un train de mesures destinées à stimuler l’économie. Il est modeste — 16 milliards de dollars —, et nous espérons que ses effets se feront sentir d’ici la fin de l’exercice actuel. La bourse est déjà en reprise. Elle s’est redressée de 30 p. 100 depuis octobre. Le marché demeure volatil; nous ignorons s’il s’agit d’une tendance qui va se maintenir. Évidemment, la situation internationale est un facteur déterminant.
C’est donc là que nous en sommes.
Nous espérons que l’économie continuera de croître. De fait, nous n’avons pas vraiment le choix, car nous ne pouvons pas nous permettre d’entrer en récession. L’économie doit poursuivre sa croissance.
Parlons maintenant de la relation entre l’Inde et le Canada. Nous avons été limités par certains facteurs par le passé. Ces dernières années, notre relation aurait sans doute pu être décrite avec une certaine justesse comme une relation d’aimable indifférence. Le commerce était à des niveaux très faibles parce que le Canada se concentrait essentiellement sur les échanges et les relations économiques avec les États-Unis. Il y a d’autres irritants mineurs, par exemple la question des visas d’affaires. Le gouvernement est conscient de cette situation, et je crois savoir que certaines mesures correctrices ont été prises.
Notre relation évolue rapidement. Elle était périphérique, elle devient maintenant prioritaire. De toute évidence, l’Inde suscite maintenant beaucoup plus d’intérêts ici. Cela transparaît dans le nombre d’allocutions que je suis prié de présenter devant des associations d’affaires et des chambres de commerce.
Quant aux ministres canadiens, quatre d’entre eux sont venus nous visiter au cours des deux premiers mois de l’année. Le secrétaire du Cabinet, M. Kevin Lynch, est venu en Inde. Les provinces ont envoyé des délégations en Inde.
Le Canada a ouvert de nouveaux bureaux des services commerciaux en Inde. J’ai vu une déclaration faite par le ministre du Commerce international, M. Stockwell Day, qui souhaite tripler les échanges d’ici cinq ans. À l’heure actuelle, le volume est de 4,5 ou 4,6 milliards de dollars, ce qui en soi constitue déjà une augmentation. Si vous examinez les données canadiennes sur les exportations, vous constaterez que les exportations vers l’Inde, en 2008, ont augmenté de 34 p. 100. Depuis 2004, cette augmentation atteint les 240 p. 100. Cela est un signe très positif.
Ma tâche, ici, ne consiste pas simplement à promouvoir les exportations de l’Inde, mais aussi à encourager les entreprises canadiennes à exporter vers l’Inde, à s’engager plus avant dans le commerce avec l’Inde.
Quelques accords vont encourager cette relation. Nous envisageons actuellement une entente sur la coopération nucléaire civile avec le Canada. Le Canada étudie maintenant la contre-proposition soumise par l’Inde, et nous espérons entamer des discussions pour régler les détails de cette entente.
Un accord bilatéral de protection des investissements viendra en outre créer une atmosphère propice à l’investissement. La balle est maintenant dans le camp indien pour ce qui est de cette entente particulière, et nous espérons parvenir à un accord très bientôt.
Vous le savez certainement, il existe aussi une proposition d’accord de libre-échange ou, comme vous l’appelez, un accord de partenariat économique global, pour lequel le ministre Day a demandé les suggestions du public et d’autres organisations. Ce sont là des initiatives très positives.
Je suis de ces gens qui, comme le gouvernement de l’Inde, croient qu’il ne sera pas du tout difficile d’atteindre les chiffres cités par le ministre Day, de porter les échanges à 12 milliards de dollars sinon plus d’ici cinq ans. Il existe des perspectives dans plusieurs secteurs.
Pour le Canada, il y a des débouchés dans les secteurs du charbon, du phosphate, de l’uranium, du papier journal, de l’équipement lié à l’infrastructure, de l’équipement de sécurité, de la transformation des aliments et de l’équipement minier. Tous ces secteurs offrent d’excellentes perspectives.
En matière d’investissement, si je ne me trompe pas, les investissements canadiens en Inde sont de l’ordre de 500 millions de dollars. Je sais que les investissements indiens sont beaucoup plus importants; d’après les chiffres dont je dispose, ils seraient de 12 milliards de dollars. Les perspectives sont excellentes. Dans le secteur minier, nous avons éliminé les restrictions sur l’investissement étranger direct. L’infrastructure est un secteur où nous avons de vastes besoins. Il nous faut développer notre secteur de l’infrastructure, sous peine de ne pas atteindre nos cibles de croissance. Nous avons un programme d’investissements très ambitieux, pour environ 500 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années, à peu près, dans ce secteur précis.
L’accueil et le tourisme, les hôtels… Il nous faut 100 000 chambres de plus en Inde. L’immobilier est un secteur vital et extrêmement prometteur. La TI, les industries agricoles, les produits pharmaceutiques, l’énergie, y compris l’énergie nucléaire, la biotechnologie, l’environnement, les télécommunications et l’éducation sont tous des secteurs prometteurs. L’éducation m’intéresse tout particulièrement. J’ai rencontré les responsables d’universités, ici. La plupart des universités que j’ai visitées ont des programmes de coopération avec l’Inde dans le domaine de la recherche. Lorsque nous aurons précisé nos propres politiques favorables à l’investissement étranger dans le secteur de l’enseignement supérieur, les occasions seront encore plus intéressantes.
Voilà qui met fin à mon exposé. Je préciserai avec plaisir tous les points qui vous intéressent.
Le président: Merci. Nous vous sommes reconnaissants de ces commentaires. La liste de mes collègues qui veulent poser des questions est déjà longue.
Le premier sur la liste est le sénateur Stollery, qui est vice-président du comité.
Le sénateur Stollery: Comme la liste est longue, je serai bref. Merci, Excellence, de cette déclaration. Ce qui m’intéresse, c’est la position de l’Inde dans les négociations sur le système d’échanges multilatéraux. Comme vous le savez, votre ministre de l’Industrie n’a pas mâché ses mots lorsqu’il a manifesté son opposition à un accord sur l’agriculture, sauf dans certaines circonstances. Je n’essaierai pas d’expliquer les circonstances en question, mais j’ai entendu le ministre traiter avec beaucoup de conviction de cette question. Certains l’on accusé, comme vous le savez, d’avoir essentiellement torpillé toute entente qui aurait pu découler des négociations de Doha. Cela s’est passé il y a environ un an, si je ne me trompe pas.
Ma question se rapporte aux négociations sur l’agriculture, évidemment, qui sont aussi importantes pour l’Inde que pour de nombreux autres pays en développement. Pourriez-vous éclairer ma lanterne et me dire si la situation a changé, où nous en sommes et, peut-être, indiquer à certains de mes collègues la position de votre ministre, parce qu’elle est plutôt radicale.
Monsieur Gavai: Premièrement, permettez-moi de dire que nous sommes aussi intéressés que quiconque à ce que les négociations du Cycle de Doha donnent des résultats positifs. Pour ce qui est de la position exprimée par le ministre Kamal Naut, la presse l’a présentée avec un certain sensationnalisme. On croirait que notre ministre s’est montré d’une intransigeance extrême et a refusé d’entendre raison, mais cela est tout à fait faux.
La position que nous avons adoptée est la même que celle qu’ont maintenue les gouvernements successifs. Il existe en Inde certaines réalités sur le terrain qu’on ne peut ignorer. Notre secteur agricole représente seulement environ 20 p. 100 de l’économie, mais 65 ou 70 p. 100 de la population en est tributaire, et ce sont des gens pauvres. Il s’agit d’un secteur que nous ne pouvons pas nous permettre de déstabiliser. Ce secteur est très délicat pour nous; les concessions que nous pourrions faire doivent donc être soigneusement pesées. Tout est dans une large mesure fonction de ce que les pays industrialisés ont à offrir à cet égard. Les subventions constituent également un problème de taille. Toutes ces questions sont liées, mais c’est un secteur qui est extrêmement délicat. Aucun gouvernement en Inde ne peut se maintenir s’il cède dans ce dossier particulier, car un très large segment de la population en est tributaire.
Le sénateur Stollery: Si je me souviens bien, le ministre a dit — et je ne traduis peut-être pas exactement ses idées — que si le projet de loi américain sur l’agriculture réduisait les subventions de 1 $, il signerait l’entente. Est-ce bien ce qu’il a dit?
Monsieur Gavai: Exactement, c’est ce que j’essaie d’expliquer, car le monde industrialisé doit offrir des concessions correspondantes dans ce secteur précis. Cela est important. Notre position n’est pas entièrement négative; c’est simplement que nous devons protéger les agriculteurs pauvres de l’Inde.
Le président: Monsieur Gavai, je vous entends parler de concessions correspondantes. Il me semble qu’il est question d’un geste symbolique. Si j’interprète bien vos paroles, certains autres pays sont vraiment intransigeants et ne veulent pas faire la moindre concession? Est-ce bien ce que vous nous dites? Je sais que vous êtes un diplomate, mais j’essaie de préciser cette position, au moins dans mon esprit.
Monsieur Gavai: Je dirais simplement que certains pays industrialisés doivent faire preuve de plus de souplesse dans ces dossiers. Nous serions disposés à manifester nous aussi de la souplesse, parce que pour nous il s’agit d’un secteur vital. Ce sont ceux qui sont sur le terrain même qui sont touchés.
Le sénateur Segal: Merci, Excellence, d’avoir pris le temps de venir aujourd’hui, malgré votre horaire chargé, et je vous remercie également de votre exposé.
Je voulais vous demander de nous donner votre point de vue sur deux questions précises, si vous me le permettez. Dites-nous d’abord si selon vous les entreprises indiennes ont suffisamment de possibilités de soumissionner pour obtenir des contrats d’approvisionnement du gouvernement canadien, qu’il s’agisse de défense ou d’autres secteurs d’activité, lorsque l’Inde a les compétences, les produits et la capacité manufacturière voulus. Existe-t-il des obstacles indus que, selon vous, notre comité pourrait examiner dans le cadre de ses travaux? À l’opposé, j’aimerais aussi savoir si vous croyez, vous qui voulez encourager les exportations indo-canadiennes et canado-indiennes, que les entreprises canadiennes qui souhaiteraient présenter des offres pour obtenir des contrats d’approvisionnement et autres en Inde se heurtent à des obstacles indus. Si oui — et cela tient peut-être à des raisons tout à fait valables en termes de développement économique —, à quoi pourrions-nous songer pour favoriser les perspectives économiques des deux côtés?
Ma question suivante porte sur une tout autre chose. Elle a trait aux progrès remarquables que votre pays a réalisés dans le dossier de la pauvreté. Je constate que votre coefficient de Gini est encourageant et que vous avez fait des progrès remarquables en termes de pourcentages bruts.
Selon vous, qui êtes diplomate et qui avez honorablement servi votre pays dans de nombreux postes, comment se caractérisent les efforts de votre gouvernement national en matière de lutte contre la pauvreté? Qu’est-ce qui a produit les meilleurs résultats et quels conseils pourriez-vous nous donner lorsque nous envisageons d’aider des pays qui ont d’autres problèmes de pauvreté? Que pouvons-nous apprendre de la réussite indienne à cet égard?
Monsieur Gavai: À ma connaissance, aucune entreprise indienne ne s’est plainte de l’accès aux divers projets ici. Certaines d’entre elles ont eu des difficultés liées aux visas, et c’est un aspect qu’elles ont mentionné.
Pour ce qui est des entreprises canadiennes, je n’en ai pas eu d’écho non plus depuis longtemps. Les entreprises canadiennes n’ont pas vraiment exprimé ce genre de préoccupations. Il y a encore quelques secteurs qui ne sont pas déréglementés en Inde, notamment les banques et le secteur financier. Ce n’était sans doute pas une si mauvaise idée, compte tenu de la situation actuelle. Il s’agit d’une réforme qui est encore sur le métier.
Le secteur de l’éducation est un secteur que les universités devraient examiner.
Mon impression générale, d’après mes contacts ici, c’est que l’Inde suscite un vif intérêt. Les sociétés d’ici croient qu’elle offre d’excellentes perspectives commerciales. J’ai eu la même expérience lors d’une affectation antérieure aux États-Unis. Les sociétés qui avaient des activités en Inde étaient extrêmement satisfaites de leur rentabilité et du rendement de leurs investissements.
Si des problèmes surviennent, nous avons des mécanismes pour les régler. Nous avons des consultations au niveau des ministères du commerce, dans les services des Affaires étrangères. Ces questions sont signalées à ce moment. Et nous sommes heureux de les régler.
Votre deuxième question porte sur la pauvreté. Nous serons bientôt en campagne électorale.
Le sénateur Segal: Je mentionne, pour le compte rendu, que le gouvernement indien actuel est une coalition qui réunit « seulement » quelque 16 partis. Cela devrait remettre les choses en perspective, lorsqu’ici, de temps à autre, nous nous inquiétons de la possibilité d’en avoir deux ou trois.
Monsieur Gavai: Oui. Il n’en a pas toujours été ainsi. Nous en avons discuté, ici. Pendant plusieurs années, l’Inde a eu un gouvernement à parti unique. La coalition est une réalité à laquelle nous nous sommes adaptés. Nous nous en tirons bien. Il y a toujours des problèmes, dans une coalition.
Je veux traiter de la réduction de la pauvreté. C’est une grave question, quel que soit le gouvernement au pouvoir en Inde. Même si à nos débuts, en 1947, 80 p. 100 de la population vivait sous le seuil de la pauvreté, aujourd’hui il n’y a plus qu’environ 25 p. 100 de la population qui est sous le seuil de la pauvreté. C’est un succès. Pourtant, cela signifie qu’il y a encore 250 millions de personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté, et ce chiffre est inacceptable.
En conséquence, il est impératif que le gouvernement, quel qu’il soit, considère la pauvreté comme une priorité. Nous avons divers programmes. Le programme de garantie d’emploi rural en est un. Il y en a d’autres qui habilitent les villageois. Le secteur agricole est important car un grand nombre de ces personnes sont tributaires de l’agriculture.
Nous avons fait l’essai d’un système socialiste de type fabien dans les années qui ont suivi l’accession à l’indépendance. Pendant 30 ans, nous avons eu un système qui réglementait entièrement l’économie. Nous n’avons réussi à obtenir qu’un taux de croissance d’environ 3,5 p. 100 par année. De toute évidence, le système ne donnait pas les résultats souhaités. Comme je l’ai dit, nous avons fortement déréglementé depuis 1991. Nous avons constaté que plus de personnes étaient sorties de la pauvreté depuis que nous avions ouvert l’économie et amorcé la croissance qu’au cours des 35 ou 40 ans qui ont précédé.
Il y a un lien entre la croissance et la réduction de la pauvreté. Évidemment, on peut dire que ce type de situation profite seulement à un certain nombre de personnes, que certains s’enrichissent plus que les autres. Pourtant, si un petit groupe de personnes sont de plus en plus riches, un grand nombre ont quand même réussi à se sortir de la pauvreté.
Nous avons reconnu qu’il y avait un lien entre la croissance et la réduction de la pauvreté. Bien sûr, nous devons veiller à ce que la croissance soit inclusive; il nous faut mieux répartir la croissance et l’amener jusque dans les villages. C’est ce que l’expérience nous a appris.
Le président: J’aimerais faire part aux honorables sénateurs d’une expérience que j’ai vécue. Récemment, à l’occasion du sommet Vibrant Gujarat, en Inde — toute une révélation —, nous avons longuement discuté de la pauvreté dans le cadre de la conférence à laquelle j’assistais.
J’ai été surpris par certains des arguments qu’une ou deux personnes présentaient aux participants à la conférence. Selon elles, si nous arrivions à relever le niveau de vie de cet important groupe de 250 ou 300 millions de personnes qui vivent dans la pauvreté, nous créerions un marché plus grand que celui des États-Unis. Ces personnes affirmaient que, dans l’intérêt même de la population indienne, nous devrions faire tout en notre pouvoir pour créer ce marché pour nous, pour que l’Inde soit capable de nous vendre des services. Cela m’a frappé.
Le sénateur Andreychuk: J’aimerais donner suite, en quelque sorte, à la question du sénateur Segal. Je savais que l’un des présidents de votre industrie de la haute technologie avait parlé des réussites et des défis de l’Inde. Comme vous l’avez mentionné, en 1991, un plan stratégique a été instauré pour mettre fin au protectionnisme et mondialiser l’économie. La mondialisation a été adoptée, avec toutes les structures et les changements qu’elle comporte. Parallèlement, une importance accrue a été accordée à la recherche et développement et à l’éducation, et un effort conscient a été fait pour comprendre de quelle manière l’utilisation de l’anglais dans le monde des affaires contemporain constituait un avantage. Cette approche a été adoptée de façon stratégique et associée à la démocratie bien établie de l’Inde, dans toute sa complexité.
Les défis auxquels vous devez encore faire face sont peut-être notamment l’infrastructure et l’environnement.
Compte tenu de la crise économique actuelle, de quelle façon croyez-vous qu’il faille réviser ce type d’analyse et de planification stratégique pour l’avenir afin de poursuivre une croissance du genre que celle qu’a connue l’Inde?
Incidemment, il a aussi été mentionné que la Chine avait fait d’autres choix et que l’Inde pourrait sortir de cette période économique difficile plus facilement parce qu’elle s’y est préparée — de façon fortuite, grâce aux infrastructures que vous avez mises en place.
Monsieur Gavai: Vous avez parlé de démocratie. Cela, évidemment, est un aspect dont nous sommes fiers. Nous sommes la plus grande démocratie au monde. Cette situation comporte évidemment des contraintes, et nous les acceptons. Nous savons que nous n’avons pas un système du type adopté par la Chine, qui nous permettrait de croître au rythme de 12 ou 13 p. 100, ce qui est le taux de croissance que connaissait la Chine depuis quelque temps déjà. Cela aussi nous devons l’accepter. Ce n’est pas une variable.
La libéralisation — lorsque nous avons déréglementé l’économie, en 1991 — ne s’est pas faite soudainement. Certaines mesures générales ont été prises, mais le changement s’est fait dans le calme, au fil des ans, sans créer trop de vagues. Nous sommes en démocratie, et il y a bien des opinions dans une coalition.
Par exemple, vous savez peut-être ce qui s’est passé pendant la négociation de l’accord sur le nucléaire avec les Américains. À ce moment, le gouvernement avait l’appui de la gauche, des communistes. De l’extérieur, ils appuyaient le gouvernement. Finalement, bien sûr, nous avons dû les forcer à dévoiler leur jeu. Le gouvernement s’est avancé et il a survécu.
Le processus a été mené sans éclat. La libéralisation s’est faite de façon continue. Les gouvernements ont changé. Après 1991, nous avons eu un certain nombre de gouvernements. Nous avons commencé sous un gouvernement du Congrès, et le ministre des Finances de l’époque a lancé le processus. Nous avons eu deux autres gouvernements entre-temps, puis un troisième, celui du BJP. Malgré tout, le processus de réforme a suivi son cours.
Il existe en Inde un vaste consensus, indépendamment du gouvernement de l’heure, quant à la direction qu’il convient de prendre. Nous ne reviendrons pas à ce que nous avons connu avant 1991. La nouvelle campagne électorale commence au milieu du mois et se poursuivra jusqu’à la mi-mai — c’est un exercice herculéen. Les élections se font en cinq étapes, sur une période de un mois. Nous ignorons qui prendra le pouvoir à l’issue de cet exercice. Quel que soit le gouvernement élu, il est certain que le processus de progrès, d’ouverture de l’économie, se poursuivra.
J’ignore si j’ai bien compris votre question et si j’y ai bien répondu.
Le sénateur Andreychuk: Je vous demandais de comparer certains choix en matière de mondialisation et d’éducation, dans le domaine de la recherche et développement; l’utilisation de l’anglais m’intriguait. On m’a dit que vous aviez clairement perçu le lien — que le monde utilise de plus en plus l’anglais dans le domaine des affaires, et que vous aviez réussi à vous positionner grâce à cet outil dans d’autres marchés.
Monsieur Gavai: Nous avons une longue expérience de l’anglais, car la puissance coloniale nous l’a laissé en héritage. Dès l’indépendance, l’anglais a été la langue officielle des communications. En effet, dès 1947, les communications se faisaient en anglais au bureau des Affaires étrangères ainsi que dans la fonction publique et au gouvernement. Cette décision n’a pas été prise consciemment. C’est quelque chose dont nous avons hérité, en l’absence d’une langue nationale commune.
Nous avons le hindi, que comprennent la majorité des Indiens, mais cette langue n’est pas comprise dans tout le pays. Si nous insistions pour que le hindi devienne une grande langue de communication, la population du sud éprouverait de sérieuses difficultés. Les habitants du nord-est auraient également un problème.
L’anglais était la langue qui convenait. Ce n’est pas vraiment une langue que nous avons choisie. Nous en avons hérité, nous l’avons conservée et je pense que nous avons pu en bénéficier. Je ne crois pas que nous puissions nous en arroger le crédit.
Le sénateur Andreychuk: D’après les gens d’affaires, il s’agissait d’une décision délibérée.
Le président: On m’a dit, lors de ma dernière visite, qu’il y avait 18 langues officielles en Inde. Cela doit présenter un défi intéressant pour les rédacteurs et les traducteurs.
Monsieur Gavai: Oui, vous avez parfaitement raison.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis: Excellence, j'apprécie que vous ayez accepté de comparaître devant notre comité.
À la veille du sommet du 2 avril à Londres, 20 principales économies du monde étant présentes, la discussion s'intensifie à propos d'une nouvelle architecture financière globale préconisant une organisation multipolaire du monde, la Russie et la Chine souhaitent instituer une nouvelle monnaie mondiale de référence. Les États-Unis rejettent cette idée proposant de garder au dollar son rôle de moyen de paiement essentiel dans le monde. La Russie et la Chine ont déjà formulé des initiatives en prévision de ce sommet, et en gros, elles coïncident. Selon la Russie et la Chine, le grand atout de cette éventuelle monnaie de réserve est qu'elle ne sera pas rattachée à des États concrets, ce qui permettra de maintenir sa stabilité à long terme. La Russie serait également en faveur d'un retour partiel à l'étalon d’or pour résoudre la crise financière.
Quelle est la position de l'Inde face à l’idée d’une monnaie de référence alternative au dollar, selon ce que la Chine et la Russie préconisent?
[Traduction]
Monsieur Gavai: Je crois que cela vient tout juste d’être annoncé. C’est une idée toute nouvelle. Je n’ai encore vu aucune précision ni aucun commentaire du gouvernement indien à ce sujet. Nous sommes sans doute encore en train de l’étudier. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que la question puisse être examinée à fond au cours du sommet du G-20. Il y a un tel battage publicitaire autour de ce sommet, et tous semblent croire que les participants pourront se pencher sur toutes les questions.
J’ai lu l’entrevue que notre premier ministre a accordée au Financial Times. Je crois que c’est dans le Financial Times d’aujourd’hui que cette entrevue a été publiée. Nous avons de modestes attentes à l’égard du sommet du G-20. Nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une panacée.
Toutefois, nous espérons au moins que certaines questions pressantes pourront être examinées. Nous nous intéressons surtout aux questions qui ont une incidence sur les pays en développement — en particulier, le protectionnisme. Le premier ministre a bien indiqué cela. Nous sommes modérément optimistes quant à l’issue du sommet, et nous espérons que l’on parviendra à un certain consensus.
Nous n’avons pas encore commencé à examiner sérieusement la question d’une nouvelle monnaie mondiale. Je ne suis pas en mesure d’affirmer quoi que ce soit à ce sujet.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis: Vous avez mentionné tout à l'heure que l'éducation au niveau des universités semble aller assez bien ainsi que la formation dans la haute technologie, mais ce qui m'a préoccupée, après avoir lu en fin de semaine sur la situation en Inde, c'est que l’éducation au niveau primaire en Inde est particulièrement inquiétante. En effet, il est très difficile d’enseigner aux femmes analphabètes les principes d’hygiène de base.
Les hommes analphabètes ne sont pas en mesure d'obtenir un emploi productif. Cependant, 65 p. 100 de la population était alphabétisé, en 2001 — si on s'exprime de façon optimiste — comparé à 90 p. 100 en Chine, et ce, même si depuis deux décennies les gouvernements indiens promettent de redresser l'éducation primaire.
Le présent gouvernement ne fait pas exception. L'année dernière, le budget consacré à l'éducation représentait un peu moins de 3 p. 100 du produit national brut, soit environ la moitié de la somme dépensée par le Kenya.
Pouvez-vous nous dire si le gouvernement indien compte augmenter le budget en éducation; et si oui, de combien?
[Traduction]
Monsieur Gavai: Oui. Je conviens que le système d’éducation, au niveau tant élémentaire que supérieur, ne donne pas entièrement satisfaction en Inde, les installations laissent à désirer. En ce qui concerne l’enseignement primaire, nos taux d’analphabétisme sont beaucoup trop élevés. Trente-cinq pour cent de notre population est encore analphabète. C’est un pourcentage très élevé. Même s’il y a eu des progrès depuis 1947, alors que seulement 15 p. 100 de la population était alphabétisée et que 85 p. 100 était illettrée, il nous reste encore un long chemin à parcourir. C’est une question de ressources. Le gouvernement a maintenant mis en œuvre un certain nombre de programmes.
Par exemple, le programme des repas du midi est offert dans toute l’Inde. Ce programme vise à faire en sorte que les enfants de familles pauvres, lorsqu’ils fréquentent l’école, aient un repas. La mesure les encourage à rester à l’école et à s’instruire.
Il y a aussi des partenariats avec des ONG. Un grand nombre d’ONG interviennent dans l’éducation élémentaire. Le gouvernement finance ces projets, car nous avons reconnu qu’il était préférable que des ONG mettent en œuvre certaines de ces mesures, plutôt que de laisser le gouvernement tout faire par lui-même.
Il s’agit là de quelques-unes des mesures adoptées. Le gouvernement souhaite bien sûr affecter plus de ressources à ce secteur. Oui, il est indéniable qu’il nous faut faire beaucoup plus, car le lien entre pauvreté et analphabétisme est pertinent et réel.
Nous avons des établissements d’enseignement supérieur qui sont excellents, mais nous en avons trop peu. Pour certains de ces grands établissements, par exemple les Instituts indiens de technologie, il y a 100 étudiants prometteurs pour une même place. S’ils ne l’obtiennent pas — et c’est le cas de 99 p. 100 d’entre eux —, ils doivent se tourner vers un établissement moins prestigieux.
C’est un secteur où nous voulons attirer en Inde les universités étrangères. La question me tient particulièrement à cœur. Je crois qu’il nous faut des partenariats avec de bonnes universités étrangères — et les universités canadiennes sont parmi les meilleures au monde. J’essaie d’établir des contacts avec elles. Nous avons évidemment besoin d’adopter certaines politiques, en Inde, en matière d’éducation supérieure, et nous le ferons parce que nous n’avons pas d’autre choix.
Lorsque cela sera fait, nous serons en mesure de corriger aussi les problèmes liés à l’éducation supérieure.
Le sénateur Mahovlich: J’ai deux questions à vous poser, Excellence. Traditionnellement, les marchés d’exportation du Canada se sont toujours situés surtout aux États-Unis. Quels secteurs canadiens, en particulier, seraient le plus touchés si une plus grande part des exportations canadiennes était destinée à l’Inde?
Mon autre question est la suivante: quelles ont été les répercussions des récentes attaques terroristes à Mumbai pour les exportateurs et les investisseurs canadiens?
Monsieur Gavai: J’ai mentionné que nos échanges s’établissaient seulement à environ 4,5 milliards de dollars, ce qui est l’équivalent de trois jours d’exportations canadiennes à destination des États-Unis. Les perspectives sont immenses. L’Inde est un pays importateur net. Il l’a toujours été et il continuera de l’être dans un avenir prévisible. Nous importons beaucoup de charbon. Il nous faut du phosphate pour notre agriculture. Nous importons déjà du Canada, mais il y a beaucoup de possibilités là-bas.
L’uranium deviendra un nouveau secteur lorsque l’accord de coopération dans le domaine du nucléaire civil aura été signé. Le Canada a les plus importantes réserves d’uranium au monde. L’uranium sera un secteur important.
Nous avons un grand nombre de journaux, en Inde. Nous importons du papier journal. Nous produisons très peu de papier journal.
Comme je l’ai dit, nous avons un vaste programme d’infrastructure, plus de 500 milliards de dollars pour la construction de centrales électriques, de routes, de ponts, de ports. Il nous faut de l’équipement pour les projets liés à l’infrastructure.
Le sénateur Mahovlich: Et qu’en est-il des automobiles?
Monsieur Gavai: Nous fabriquons nos propres voitures.
Le sénateur Mahovlich: Vous n’importez pas de voitures canadiennes?
Monsieur Gavai: Non, nous n’importons pas de voitures canadiennes. Nous fabriquons nos propres voitures. Ce sont des entreprises étrangères. GM a des installations en Inde. Mercedes-Benz, les sociétés japonaises et des entreprises françaises ont toutes leurs propres installations en Inde. Ces voitures sont montées ou fabriquées en Inde. Les importations directes ne seraient pas très concurrentielles, il nous faut donc des installations de production ou de montage. Une voiture finie ne sera pas concurrentielle.
Dans certains secteurs — l’exploitation minière, la transformation des aliments —, le Canada se distingue. Il existe de nombreux débouchés dans ces domaines.
Vous parlez de la situation après les attentats de Mumbai. Mumbai est une ville qui a du ressort. Je viens de Mumbai. J’étais là trois jours avant l’attaque, à l’hôtel Taj. Évidemment, cela nous a secoués, mais Mumbai s’est rapidement relevée. Le Taj, où les attentats ont eu lieu, rouvrira bientôt. À Mumbai, la situation est pratiquement revenue à la normale. Il n’y a pas d’inquiétudes, parce que nous délivrons régulièrement des visas au haut-commissariat et à nos deux consulats, à Toronto et à Vancouver, et nous n’avons perçu aucun effet négatif à la suite des attaques contre des gens d’affaires à Mumbai.
S’il y a une diminution du tourisme, cela s’inscrit dans un phénomène mondial. L’Inde, comme destination d’affaires, est encore très présente et elle le restera.
Le sénateur Corbin: Excellence, vous m’avez dit avant la réunion qu’il y a quatre mois vous étiez à Washington. Vous êtes maintenant au Canada. Comment comparez-vous la façon dont les Indiens font des affaires avec les États-Unis et avec le Canada? Est-ce qu’il y aurait des leçons à tirer pour nous? Existe-t-il des aspects qui présentent des problèmes et que nous pourrions améliorer ou corriger?
Monsieur Gavai: J’étais consul général à Houston et je couvrais neuf États du Sud. J’ignore si je suis en mesure de vous donner des conseils, mais les États-Unis sont notre principal partenaire commercial. Les entreprises américaines sont probablement plus actives que les sociétés canadiennes en Inde, et ce depuis des années. Il nous faut vraiment créer un climat où les sociétés canadiennes ne se contentent plus de commercer dans leur voisinage immédiat et s’intéressent aussi à d’autres pays, y compris l’Inde. Je crois que cela est en train de se produire.
Dans un tel contexte, les occasions seront les mêmes pour les sociétés américaines et pour les sociétés canadiennes, car les entreprises et la technologie canadiennes sont tenues en haute estime. C’est simplement qu’en Inde, nous n’avons pas eu avec des entreprises canadiennes autant de contacts qu’avec des entreprises américaines. Toutes les grandes sociétés américaines sont installées en Inde et ce, depuis des années, en particulier depuis la libéralisation. Elles ont des installations de recherche, là-bas. Des grandes sociétés comme Microsoft, Dell et HP y sont. Toutes ont d’importantes installations de recherche et développement en Inde ainsi que des activités commerciales et des installations de production.
Il faut que les sociétés canadiennes commencent à se tourner vers l’Inde, et mes contacts avec des entreprises canadiennes indiquent que cela est en train de se faire. Il y a beaucoup plus d’intérêt à l’égard de l’Inde aujourd’hui qu’au cours des dernières années.
Le président: J’aimerais en profiter pour glisser une question au nom de l’opposition.
Nous constatons, depuis deux ou trois mois, une certaine activité — un peu tard sans doute, mais mieux vaut tard que jamais — de la part de nos ministres en ce qui concerne les visites en Inde. Selon vous, est-ce que nous manquons le coche parce que nous ne sommes pas aussi prompts et audacieux que les Américains?
Vous vous exprimez en termes fort diplomatiques, mais d’autres nous ont dit que les gens d’affaires canadiens et, de fait, le gouvernement canadien n’étaient pas aussi proactifs et dynamiques qu’ils devraient l’être pour trouver des occasions d’affaires en Inde. Cette affirmation vous paraît-elle exacte?
Monsieur Gavai: Cela est assez juste, monsieur le président. Pendant quelques années, nous avons vécu dans une sorte d’aimable indifférence. Le marché américain était tout près, et les sociétés canadiennes n’avaient pas besoin de chercher ailleurs. Je crois que les choses vont peut-être changer. À bien des égards, c’est une évolution positive puisque alors vous jouirez d’une plus grande indépendance et vous ne mettrez pas tous vos œufs dans le même panier. Vous aurez une meilleure diversification.
J’ai le sentiment que les choses évoluent au niveau du gouvernement, mais aussi au niveau des entreprises. Nous nous en réjouissons et nous considérons qu’il s’agit d’une évolution positive.
Le sénateur Housakos: Monsieur Gavai, j’aimerais savoir ce que vous pensez de la situation dans certains secteurs au Canada. Ici, au Canada, nous nous considérons généralement comme des chefs de file mondiaux en matière de télécommunications, de transports et d’énergie ainsi que dans certaines autres industries de haute technologie, et nous avons été assez actifs et concurrentiels dans des régions comme l’Afrique et l’Extrême-Orient. Ces dernières années, j’ai constaté que le Canada faisait face à une concurrence féroce de la part des Américains, des Européens et même des Chinois. J’aimerais savoir ce que vous pensez de notre situation, en Inde, en ce moment précis, pour ce qui est de ces industries. Que doivent-elles faire pour conserver leur avantage, si effectivement elles ont un avantage, vis-à-vis de nos concurrents?
Pourriez-vous nous éclairer à ce sujet, nous dire ce que ces industries devraient faire pour mieux se préparer, d’ici 10 ans, pour bien se positionner en Inde?
En outre, que doit faire le gouvernement fédéral pour mieux équiper ces industries — les télécommunications, les transports, l’énergie et les industries de haute technologie — afin qu’elles puissent conserver leur avantage ou, si elles n’ont pas d’avantage, qu’elles puissent en créer un comparativement à nos concurrents?
Monsieur Gavai: L’ouverture de nouveaux bureaux commerciaux est une mesure positive. C’est un pas dans la bonne direction. Rien ne vaut une présence concrète sur le terrain. Ces bureaux commerciaux font office d’agents catalyseurs et favorisent le changement requis.
Parallèlement aux bureaux commerciaux, les provinces s’efforcent actuellement d’établir des contacts plus directs avec des entreprises indiennes et d’assurer une présence en Inde. Le Québec a ouvert un bureau au consulat, à Mumbai. Nous voyons de plus en plus d’initiatives mises en œuvre par les provinces et qui ciblent l’Inde.
J’ai également parlé aux représentants de diverses entreprises, des sociétés qui entretiennent déjà des relations avec l’Inde, par exemple SNC-Lavalin et quelques autres. Il se passe beaucoup de choses.
Parfois, c’est un peu comme l’œuf et la poule. Faut-il d’abord ouvrir un bureau ou commencer par trouver des débouchés, puis ouvrir un bureau? Certaines de ces sociétés doivent se montrer un peu plus audacieuses et investir un peu plus pour ouvrir un bureau en Inde; je parle de sociétés qui voient des débouchés mais qui n’ont peut-être pas une forte activité ou de celles auxquelles l’Inde pourrait offrir tout un nouveau domaine à explorer, un terrain vierge. Elles devraient aller de l’avant, prendre quelques mesures et assurer une présence, ne serait-ce qu’en désignant un représentant local, parce qu’une présence locale fait toute la différence. Je suis convaincu que certaines sociétés le font déjà. Je crois que SNC a ouvert un bureau en Inde. C’est une approche dont les sociétés reconnaîtront bientôt d’elles-mêmes la valeur.
Le haut-commissaire du Canada en Inde vient d’entrer en fonction, tout comme moi. Lorsque je l’ai rencontré, avant de venir ici, nous avons décidé d’organiser conjointement des manifestations commerciales pour bien faire comprendre que l’Inde est un bon endroit où faire des affaires. Nous organisons deux manifestations au cours des mois qui viennent: une en avril, à Montréal, et l’autre en mai, à Toronto. C’est la première fois que nous produisons ce type de synergie, où les deux hauts-commissaires s’unissent pour présenter un message commun.
L’un des messages que nous voulons communiquer est qu’il faut établir une présence là-bas. Il ne faut pas penser en termes de dollars et de cents, parce que le rendement ne sera pas nécessairement immédiat, mais il faut envisager l’Inde à long terme plutôt qu’à court terme, car le marché que l’Inde représente continuera de croître.
Le sénateur Housakos: Si je comprends bien votre réponse, certaines de nos industries qui, selon nous, sont des chefs de file mondiaux dans d’autres régions du monde ne sont pas aussi présentes là-bas qu’elles pourraient l’être, si on compare avec d’autres régions du monde.
Monsieur Gavai: Je crois que oui, en effet. Il nous faut une présence canadienne plus forte là-bas. Il faut mieux vendre le Canada et les sociétés canadiennes, en quelque sorte.
Le sénateur Housakos: Y aurait-il une façon de favoriser les alliances entre des sociétés qui présentent une certaine valeur ajoutée technologique et des sociétés qui se trouvent déjà en Inde, afin de créer des partenariats?
Monsieur Gavai: Je viens de lire dans un article que CAE collabore avec HAL, une société indienne du secteur de l’aéronautique. Elles vont construire des installations de 600 millions de dollars à Bangalore pour l’entraînement des pilotes d’hélicoptère.
C’est ce genre de choses que l’on peut faire, parce que le Canada possède les connaissances spécialisées. Bombardier a également d’excellentes perspectives en Inde, parce que notre industrie aéronautique est parmi celles qui ont le plus fort taux de croissance au monde. En outre, dans le domaine de la défense, nous avons d’importants besoins en termes d’équipement, etc.
Rien ne peut remplacer la présence physique. L’ouverture de nouveaux bureaux commerciaux en Inde constitue donc un grand progrès.
Le sénateur Downe: Excellence, je me demande si vous pouvez nous dire dans quelle mesure la communauté indo-canadienne participe aux échanges entre l’Inde et le Canada.
Monsieur Gavai: Nous avons une importante communauté, ici; elle compte environ un million de personnes. La plupart sont des ressortissants canadiens et se trouvent surtout dans les régions de Toronto et de Vancouver. Il y en a un certain nombre à Montréal et un peu moins à Ottawa. Je ne suis pas certain, car je ne suis pas ici depuis très longtemps. Toutefois, certaines de ces personnes sont propriétaires d’entreprises et font des affaires. Nombre d’entre elles sont dans le domaine de la haute technologie, des logiciels et de la TI et elles ont des liens avec l’Inde.
Je me demande si nous sommes ici au même niveau que la communauté indienne des États-Unis. J’ai travaillé trois ans là-bas, alors j’ai une assez bonne idée de l’ampleur de la participation de la communauté indo-américaine. Ici, je n’ai pas encore pu me faire une idée. Je ne veux pas me prononcer, car ce que je dirais ne serait peut-être pas exact.
Jusqu’à maintenant, je n’ai pas eu l’impression que la participation sur le plan des affaires était aussi forte ici qu’aux États-Unis. Évidemment, aux États-Unis, les entrepreneurs indo-américains ont pénétré quelques industries importantes. Il n’y en a pas beaucoup ici. Toutefois, je n’ai aucune idée des chiffres. La communauté aux États-Unis compte environ 2 ou 2,5 millions de membres, soit deux fois plus qu’au Canada.
Toute proportion gardée, elle joue un rôle important, même si elle ne constitue qu’une petite fraction de la population américaine. Elle joue un rôle important dans le monde des affaires, les milieux universitaires, les secteurs de la haute technologie et le domaine médical, en recherche. J’ignore si cela vaut aussi au Canada. Je ne sais pas si, dans les villes où je suis allé, il y a des Indiens qui font partie du corps professoral et qui font de la recherche. Je ne suis pas encore en mesure de me prononcer avec assurance sur leur possible participation.
Le sénateur Downe: Lorsque les dirigeants du G-20 se sont réunis, en 2008, ils ont dit qu’ils refuseraient d’ériger des obstacles au commerce. Pourtant, la Banque mondiale a signalé que, depuis cette rencontre, 47 obstacles au commerce avaient été adoptés. Craignez-vous que, si cette tendance se maintient, votre économie n’en souffre terriblement?
Monsieur Gavai: Je crois que nous sommes tous inquiets, et c’est ce que le premier ministre a exprimé à l’occasion de l’entrevue dont je vous parlais, dans le Financial Times. Il a indiqué que le protectionnisme devrait être une des grandes préoccupations du G-20, car la tendance naturelle dans le monde et dans les divers pays est de se retirer et de protéger son territoire. Nous sommes très inquiets à ce sujet parce que nous pensons que cela touchera tous ceux qui sont tributaires des exportations et des produits de base, et en particulier les pays en développement.
Dans notre cas, notre dépendance à l’égard des exportations n’est pas très importante, mais notre secteur des logiciels est très dynamique et fortement axé sur les exportations. Il a déjà été touché par la récession. Si des mesures protectionnistes sont adoptées, en particulier aux États-Unis et dans d’autres pays — qui sont à la base d’une grande partie de l’activité commerciale du secteur des logiciels en Inde et des exportations de logiciels par l’Inde —, cela nous nuira énormément. Nous sommes extrêmement inquiets de tout cela.
Le président: En ce qui a trait à la première question, vous souhaitez peut-être faire quelques commentaires sur les conférences de la diaspora que l’Inde organise. J’ai assisté à l’une d’entre elles. C’était une expérience fascinante, car 2 000 ou 3 000 personnes étaient venues de tous les coins du monde et elles ont parlé de la relation entre leurs deux pays. Pour notre édification, et aussi pour le compte rendu, pourriez-vous s’il vous plaît nous expliquer l’origine de cette manifestation et ce que l’Inde considère comme les réussites ainsi obtenues?
Monsieur Gavai: Cela vient du fait que nous avons reconnu, après 1991, que nous avions cette extraordinaire ressource, une main-d’œuvre prête à travailler et très compétente. La diaspora indienne comprend quelque 20 millions de personnes, sinon plus, dans le monde. Si nous pouvions, en quelque sorte, harnacher leurs points forts, nous pourrions mieux développer nos liens et nos relations dans le monde. C’est vraiment ainsi que tout a commencé.
Cette notion sous-tend ce que nous appelons les Pravasi Bhartiya Divas, une manifestation qui a lieu au début de chaque année dans diverses régions de l’Inde. Nous invitons des gens d’origine indienne et nous rendons hommage à ceux qui ont apporté une contribution particulière ou qui se sont distingués. Cette année, Deepak Chopra était la lauréate de ce prix prestigieux.
Voilà pour la première raison d’être de l’initiative. L’autre tient à ce que la communauté indienne outre-mer demandait une plus grande reconnaissance. Je n’irai pas par quatre chemins, cette communauté veut la double citoyenneté, parce que ses membres croient qu’ils pourraient mieux contribuer s’ils avaient la double citoyenneté.
C’est une possibilité que nous examinons depuis plusieurs années. Il serait compliqué de la mettre en œuvre, car là où il n’y avait que l’Inde avant 1947 le territoire a été divisé pour former l’Inde et le Pakistan. Le Pakistan oriental est bien sûr devenu par la suite le Bangladesh. Et il y a aussi les Indiens qui sont partis au XIXe siècle pour travailler dans les plantations, à l’île Maurice et ailleurs. Il est donc plutôt compliqué d’accorder une double citoyenneté comme cela se fait au Canada.
Nous avons trouvé une solution mitoyenne, en quelque sorte. Nous avons dit que si l’un des grands-parents était né en Inde, nous accorderions ce que nous appelons la citoyenneté indienne outre-mer. Il ne s’agit pas tout à fait d’une double citoyenneté, mais cela vous permet de vous établir en permanence en Inde. C’est pour ainsi dire un visa permanent, un permis de résidence permanent. Cela vous permet de faire des affaires en Inde. Vous ne pouvez toutefois pas être propriétaire de terres agricoles, car des contraintes s’appliquent même aux Indiens lorsqu’il s’agit d’acheter des terres agricoles en Inde. Nous protégeons ainsi les agriculteurs et les zones tribales de l’Inde contre l’exploitation.
Nous avons mis au point ce système assez complexe où les demandeurs peuvent obtenir un document qui leur permet de demeurer en permanence en Inde, de faire des affaires là-bas mais non pas de participer à la vie politique en ce sens qu’ils ne peuvent pas briguer de fonctions électives au Parlement ni d’emploi au gouvernement. Le régime a été adopté avec ces conditions. Il a donné d’excellents résultats au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde.
Il s’applique à 35 pays avec lesquels nous n’avons pas de dossiers chauds, et le Canada est du nombre. Le projet a donné lieu à de longues délibérations, et il reste encore des questions à résoudre. Quelques aspects n’ont pas été suffisamment examinés, et il nous faudra les régler, par voie législative au besoin.
Le président: Ce que je voulais faire valoir, et je ne veux pas m’attarder plus longtemps sur cette question, c’est que lorsque j’étais là-bas, on a beaucoup discuté des ponts que l’on construisait entre les deux pays et des liens dans le domaine des affaires. D’après ce que j’ai pu voir, cela a vraiment eu pour effet d’élargir les perspectives commerciales — l’import-export, les possibilités d’échanges — entre un pays donné et l’Inde, et ce pour les 35 pays concernés. Je crois que la majorité d’entre eux y étaient représentés, alors cela a été utile.
Le sénateur De Bané: Excellence, ces derniers jours, 80 pays se sont réunis à La Haye pour traiter de l’Afghanistan. Comme vous le savez, toutes proportions gardées, le Canada a probablement consenti des sacrifices plus importants que ceux de tous les autres pays pour établir la démocratie dans ce pays.
Vous nous avez à juste titre rappelé que l’Inde était la plus grande démocratie au monde. Quelle est la contribution de l’Inde pour créer dans ce pays une base viable qui lui permettrait de fonctionner normalement? Est-ce que vous intervenez ou vous contentez-vous d’observer de loin?
De plus en plus, comme vous le savez, les Canadiens croient que toute la communauté internationale doit s’attaquer au problème, mais plus encore les puissances régionales dans cette partie du monde. Vous êtes une des grandes puissances de l’Asie, avec le Japon et la Chine.
Dans deux semaines, il y aura une autre réunion internationale pour parler de la situation au Pakistan. Quelle est la position de l’Inde? Vu d’ici, nous avons l’impression que vous laissez à d’autres le soin de régler le problème de l’insurrection. J’aimerais beaucoup connaître la position de votre gouvernement à ce sujet.
Monsieur Gavai: Voilà une excellente question. Nos relations avec l’Afghanistan sont très anciennes. Nos relations traditionnelles remontent à 2 000 ou 3 000 ans.
La question est complexe. Nous ne sommes pas militairement engagés en Afghanistan. Nous n’avons pas de soldats là-bas, pour diverses raisons que je ne veux pas aborder ici, mais nous avons un important programme d’aide dans ce pays. Nous avons un programme d’aide de plus de 1 milliard de dollars.
Nous construisons une grande route, pour créer un trajet de rechange pour entrer en Afghanistan par l’Iran. Cette route est terminée, et elle a été construite entièrement grâce à l’aide indienne. Nous avons aussi construit des lignes de transport d’électricité et nous avons restauré un vieil hôpital que nous avions construit il y a plusieurs années.
Nous réalisons également d’autres projets, de moindre envergure. La valeur totale, comme je l’ai dit, est de plus de 1 milliard de dollars. Nous nous intéressons à l’Afghanistan parce que nous reconnaissons que la stabilité de l’Afghanistan et son développement économique ont une incidence directe sur l’Inde, d’une façon ou d’une autre.
Nous sommes très engagés en Afghanistan. Nous assistons nous aussi à la conférence. Nous croyons que le monde entier doit s’engager dans le dossier afghan. Sinon, le pays redeviendra ce qu’il était à l’époque des talibans.
On parle des bons talibans et des mauvais talibans. Nous sommes incapables de comprendre ce que sont ces deux entités. Nous pensions que les talibans n’étaient que les talibans. Selon nous, les pays doivent maintenir le cap. Il faut absolument que l’Afghanistan, d’une façon ou d’une autre, retombe sur ses pieds.
Le Canada a fait des sacrifices immenses. Vous avez perdu 116 soldats, là-bas; vous maintenez 2 800 soldats sur place, et vous êtes dans l’une des provinces les plus dangereuses d’Afghanistan. Pour cela, vous avez notre admiration et notre reconnaissance.
Il faut que tous tiennent le cap. Tous ces projets menés par divers pays — qu’il s’agisse de la situation des femmes et des enfants, de l’eau potable, de l’électricité, de la construction de routes, de soins de santé — ne serviront à rien si les talibans reprennent le pouvoir demain. Tant d’efforts ont été investis en Afghanistan, et cela n’aurait aucune utilité si la sécurité n’était plus assurée.
Le sénateur De Bané: Comme vous le savez, le Pakistan explique qu’il ne peut pas intervenir dans ce dossier — et les talibans vont et viennent entre les deux pays — parce qu’il a concentré ses forces militaires à la frontière avec l’Inde.
Dans quelle mesure les problèmes peuvent-ils être atténués, afin que le Pakistan soit en mesure d’apporter sa propre contribution?
Monsieur Gavai: Le Pakistan est la source de tous ces problèmes. Il est bien connu que ce pays est l’épicentre du terrorisme, aujourd’hui. Sa propre existence est menacée par cette activité terroriste. Si le Pakistan n’a pour excuse que le déploiement militaire à la frontière indienne, son argument est parfaitement fallacieux. Il est inacceptable.
J’aimerais revenir sur ce qui s’est passé à Mumbai. C’était une attaque terrible. La colère était palpable. Il y a encore une grande colère en Inde. Toutefois, nous ne nous sommes pas mobilisés et nous n’avons pas affecté plus de soldats. Les Pakistanais ont dit que l’Inde le faisait. C’était une excuse pour faire oublier leur inaction, délibérée ou parce qu’ils sont incapables d’agir, la raison importe peu. C’était une excuse pour justifier ce qu’ils font. Nous n’avons pas massé de troupes et nous avons clairement signifié que nous voulions que les responsables soient traduits en justice. Nous avions entièrement le droit d’exiger cela.
Les troupes sont déployées à la frontière depuis l’indépendance. Cela n’est pas d’hier. Aucun nouvel élément n’a été ajouté depuis les événements de Mumbai. On ne peut pas dire que nous avons ajouté des troupes et que nous en avons mobilisé.
Un fait intéressant s’est produit. Quelqu’un a appelé le premier ministre du Pakistan. Il s’est identifié comme étant le ministre des Affaires étrangères de l’Inde et il a menacé le premier ministre. Pour cette raison, le Pakistan a envoyé quelques divisions à la frontière. En réalité, nous n’avons jamais fait d’appel de ce genre. Ils n’ont pas vérifié si l’appel avait été fait ou non. Ce n’est pas ainsi que l’on procède en diplomatie internationale. Évidemment, ils essayaient de saisir toutes les excuses possibles. Cela n’a rien de valable. Cet argument n’a aucun poids.
Le président: Nous avons une certaine latitude, mais nous ne devons pas oublier que nous parlons ici de commerce et d’échanges, des affaires que nos deux pays pourraient faire.
Le sénateur Banks: Ma question est beaucoup plus terre-à-terre, le président s’en réjouira.
Excellence, je crois vous avoir entendu dire — et j’aimerais que vous le confirmiez — que les investissements des Canadiens en Inde s’élevaient à environ 500 millions de dollars.
Monsieur Gavai: En effet.
Le sénateur Banks: Les investissements des Indiens au Canada sont de l’ordre de 12 milliards de dollars.
Monsieur Gavai: Oui.
Le sénateur Banks: Nous sommes à la hauteur de nos propres attentes lorsqu’il s’agit d’investissements. Nous sommes bien timorés. Vous avez dit que l’Inde était un endroit où faire des affaires. Si j’étais un entrepreneur canadien qui veut se lancer en Inde, qu’est-ce qui m’empêcherait de le faire? J’imagine qu’il y a des obstacles, parce que le FMI a déclaré que l’Inde n’était pas le meilleur endroit pour faire des affaires. Quel genre d’obstacles est-ce que je pourrais rencontrer? Est-ce la bureaucratie?
Monsieur Gavai: Les gens sont intimidés par certaines de nos procédures. Nous avons beaucoup simplifié nos façons de faire depuis 1991, mais certains sont encore intimidés par ce qu’ils perçoivent comme des obstacles.
S’il y avait véritablement des obstacles, ou si ces obstacles étaient véritablement difficiles à surmonter, pourquoi y aurait-il autant de sociétés Fortune 500 en Inde, des sociétés qui non seulement sont présentes mais qui en outre s’en tirent très bien? Si vous posez la question à ces entreprises américaines, que ce soit HP, Dell ou GE, elles vous répondront qu’au niveau commercial elles sont heureuses de faire affaire en Inde. Leurs marges de profit sont élevées. Elles sont concurrentielles.
J’ignore ce que le FMI a à dire à ce sujet, mais les compagnies qui ont des activités en Inde actuellement sont très heureuses là-bas, y compris les sociétés Fortune 500 qui s’y trouvent. Je me fierais à l’expérience concrète des sociétés qui font des affaires en Inde plutôt qu’aux paroles d’un fonctionnaire assis dans son bureau à Washington, qui réalise des études et qui affirme qu’il y a des obstacles. Bien sûr, il y a des difficultés qu’il faut régler.
Le sénateur Banks: Sont-elles d’ordre bureaucratique?
Monsieur Gavai: Dans certains cas, ce sont des questions bureaucratiques, mais ces sociétés ont réussi à les surmonter et elles ont créé des entreprises saines et rentables. Cela ne suscite plus de difficultés. Ce sont des irritants plutôt que des problèmes.
Le président: Le sénateur Banks n’était pas ici lorsque j’ai mentionné que j’avais assisté à la conférence commerciale Vibrant Gujarat. Le monde entier se pressait pour faire des affaires avec l’Inde. Je suis plutôt d’accord avec les commentaires du haut-commissaire.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis: Ma question touche l’incidence que pourrait avoir un de vos voisins sur votre pays et l’économie. Le Bangladesh, présentement sous une dictature militaire, est un État de 153 millions d'habitants du delta hostile à l'Inde. Des immigrants clandestins déclenchent déjà des conflits armés dans le nord-est de l’État d’Assam en Inde. À cause des inondations et de la cru des eaux, le groupe d'experts intergouvernemental de l'ONU sur l'évolution du climat estime que, d’ici 2050, 35 millions de personnes franchiront les frontières en provenance du Bangladesh. On peut dire que ce phénomène risque de changer le portrait du pays. Ces gens traverseront la frontière afin de fuir des problèmes liés aux changements climatiques.
Selon un rapport de la Banque mondiale, de 2007, les pays d'Asie du Sud sont les moins intégrés politiquement et économiquement au monde. En effet, le commerce international compte pour moins de 2 p. 100 de leur produit national brut. En Asie de l'Est, le chiffre est de 20 p. 100.
Que font les pays d'Asie du Sud afin de mieux coopérer en matière, entre autres, de changements climatiques? Ces problèmes pourraient également avoir une incidence sur votre économie.
[Traduction]
Monsieur Gavai: J’ai vu le rapport dont vous parlez. Je dois toutefois faire une petite correction: le Bangladesh est, depuis, devenu une démocratie. Des élections ont eu lieu là-bas et le Bangladesh a maintenant un gouvernement démocratiquement élu. Évidemment, le pays éprouve toujours des difficultés parce qu’il y a eu cette mutinerie des gardes-frontières qui a créé d’énormes problèmes. Nous étions très inquiets à ce sujet, parce que cela s’est passé à la frontière avec l’Inde. Nous avons une frontière de 2 000 kilomètres avec le Bangladesh.
Ces questions sont préoccupantes. Vous avez parlé du problème des immigrants. Nous en avons déjà environ 10 millions. Il est difficile de citer un chiffre précis, mais on dit qu’environ 10 millions de Bangladais se trouvent illégalement en Inde, ils y sont venus au fil des ans. Ils se sont installés dans diverses régions du pays, pas simplement dans l’Assam ni dans le nord-est, mais aussi à Mumbai, à Delhi et dans d’autres grands centres. C’est un énorme problème. Nous sommes tout à fait d’accord, il faut assurer un développement régional global. C’est ce que nous avons dit: il nous faut accroître la coopération.
Certains pays l’ont fait et en ont bénéficié. L’Inde est une énorme économie. L’Inde à elle seule compte environ trois fois plus d’habitants que tous les pays voisins réunis. La possibilité de se brancher sur l’économie indienne est intéressante pour les pays voisins, et ils doivent en profiter.
Le Bangladesh a du gaz naturel, par exemple. L’Inde est un marché logique pour le gaz naturel du Bangladesh. Tata était très intéressé à mettre sur pied un grand projet au Bangladesh. Ses efforts ont échoué. Le projet de gaz naturel, comme d’ailleurs le projet de Tata, n’a jamais vu le jour en raison d’attitudes politiques qui sont difficiles à vaincre. On craint que les Indiens essaient de dominer le pays sur le plan militaire, économique, ou qu’ils tentent de l’obliger à faire certaines choses. Nous ne pouvons pas lutter contre de telles inventions.
Les pays qui se sont branchés, de petits pays comme le Sri Lanka et le Bhoutan, ont énormément bénéficié de ce lien avec l’économie indienne.
Le Bhoutan est un petit pays. Le revenu par habitant au Bhoutan, qui était le plus faible de l’Asie du Sud-Est, vient aujourd’hui au deuxième rang, simplement parce que le pays a lié son économie à celle de l’Inde et qu’il a mis en valeur ce qu’il avait à offrir. Des projets hydroélectriques ont été réalisés au Bhoutan, et l’Inde est le consommateur naturel de cette énergie. Il y a une grave pénurie d’électricité en Inde.
Le Népal peut faire la même chose, car le Népal a le plus vaste potentiel hydroélectrique au monde. Je crois qu’il y a environ 80 000 mégawatts de potentiel hydroélectrique non exploité. L’Inde a besoin de cette énergie. Si le Népal avait la volonté politique de réaliser de tels projets, il en bénéficierait. Le Népal est un pays de 20 millions d’habitants. Il pourrait profiter énormément de cette activité, et son niveau de vie s’en trouverait considérablement amélioré.
L’Association pour la coopération régionale de l’Asie du Sud-Est est confrontée à certains problèmes. Elle se réunit chaque année, à divers niveaux. Toutefois, en raison de ces problèmes, elle n’a pas pu progresser autant qu’elle aurait dû le faire.
Ce sont là quelques-unes des raisons qui expliquent que nous n’ayons pas réussi à coopérer autant que nous aurions dû le faire.
Le président: Les échanges sont généralement décrits comme des exportations et des importations entre deux pays et, en principe, ils profitent aux deux pays. Il y a toutefois un aspect des échanges entre l’Inde et le Canada qui a beaucoup profité au Canada, probablement aux dépens de l’Inde. Je veux parler de l’exportation d’un million, sinon plus, d’Indiens qui sont venus dans notre pays pour s’y établir et qui y font une immense contribution. De ce point de vue, cette relation nous profite sans doute plus qu’elle ne profite à l’Inde, et nous vous en remercions.
Merci de vos commentaires. Ils étaient fort intéressants. Vous nous avez beaucoup aidés.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis: J'ai qualifié le Bangladesh de dictature, je m'excuse, c'est démocratique, je tiens à rétablir ce commentaire que j'ai fait.
[Traduction]
Le président: Excellence, je vous remercie à nouveau d’avoir pris le temps de venir, et nous serons toujours heureux de vous revoir à l’occasion, non seulement comme invité du comité, mais aussi sur la Colline. Comme vous venez de vous joindre au corps diplomatique, nous vous souhaitons beaucoup de succès.
Monsieur Gavai: Merci beaucoup de m’avoir invité à vous adresser la parole.
Le président: La séance est levée. Nous reprendrons le mardi 21 avril. Nous vous enverrons les avis habituels une semaine à l’avance.
(La séance est levée.)
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