LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
OTTAWA, le jeudi 20 novembre 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, auquel a été renvoyé le projet de loi C-41, Loi portant mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et la République de Corée, se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour étudier le projet de loi.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente: Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit son étude du projet de loi C-41, Loi portant mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et la République de Corée.
Nous sommes ravis d’accueillir ce matin M. Bob Kirke, directeur exécutif de la Fédération canadienne du vêtement; Mme Ailish Campbell, vice-présidente, Politique internationale et budgétaire, au Conseil canadien des chefs d’entreprise; et M. Jim Stanford, par vidéoconférence depuis Toronto, qui est économiste chez Unifor.
Je vais donner la parole à nos témoins selon l’ordre établi dans l’ordre du jour. Je vais vous demander de faire un bref exposé, et ensuite, nous passerons aux questions.
Monsieur Kirke, la parole est à vous. Je vous souhaite la bienvenue au comité.
Bob Kirke, directeur exécutif, Fédération canadienne du vêtement: Merci. Madame la présidente, honorables sénateurs, je tiens à vous remercier de m’avoir invité à m’adresser au comité au sujet des échanges commerciaux entre le Canada et la Corée. Je vais vous présenter un exposé d’environ cinq minutes, et ensuite, je serai ravi de répondre à vos questions.
Je m’appelle Bob Kirke. Je suis le directeur exécutif de la Fédération canadienne du vêtement. Notre association représente plusieurs centaines de fabricants, d’importateurs et de fournisseurs de vêtements. Les membres de notre association fabriquent des vêtements au pays et à l’étranger, ils importent aussi des vêtements et ils vendent au Canada et dans d’autres pays.
En 2012, j’ai eu le plaisir de m’adresser à vous au sujet du projet de loi C-23, qui portait sur l’Accord de libre-échange entre le Canada et la Jordanie. Avant de me pencher sur les avantages de l’accord dont nous devons discuter aujourd’hui, je vais vous expliquer les règles d’origine propres aux produits et la façon dont elles s’appliquent à l’industrie du vêtement et aux accords commerciaux bilatéraux.
Avant l’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, le Canada n’exportait pas beaucoup de vêtements. Après la mise en œuvre de l’accord, notre industrie a pris de l’expansion presque exclusivement en raison des exportations vers les États-Unis. L’industrie canadienne de la fabrication de vêtements a prospéré grâce à l’Accord de libre-échange canado-américain et à l’ALENA, et elle a davantage mis l’accent sur les exportations, surtout en Amérique du Nord.
Lorsque les quotas sur l’importation des produits des pays où la main-d’œuvre est bon marché ont été éliminés, en 2004, de nombreuses entreprises canadiennes ont réorienté leur production. Essentiellement, cela signifie qu’elles se sont mises à effectuer leur production au Canada et de plus en plus en Asie afin de fournir leurs clients au pays et à l’étranger.
Sous le régime de l’ALENA, nous avons eu et nous continuons d’avoir du succès, mais je tiens à souligner que nous avons connu cette réussite malgré les règles d’origine et non pas grâce à celles-ci. En vertu de l’ALENA, pour qu’un vêtement soit admissible au libre-échange, le fil du tissu doit avoir été fabriqué en Amérique du Nord, tout comme le tissu, et le vêtement doit avoir été taillé et cousu dans l’un des pays membres de l’ALENA. C’est une règle d’origine fondée sur la provenance du fil.
La règle d’origine crée une difficulté en établissant le scénario peu probable selon lequel l’origine d’un vêtement, semblable à celui que je porte maintenant, est déterminée par l’origine des fils tissés pour former le tissu, qui est ensuite taillé et cousu. Je tiens à préciser aux fins du compte rendu que l’industrie canadienne du vêtement n’a jamais appuyé cette règle d’origine des vêtements, car cette règle pesante entrave les échanges commerciaux.
Le succès que nous avons connu sous le régime de l’ALENA est attribuable à la capacité de notre industrie de tirer parti des exceptions précises et restreintes à ces règles. Depuis l’ALENA, presque tous les accords de libre-échange que le Canada a négociés se sont fondés sur ces règles d’origine.
En ce qui concerne l’accord avec la Corée, notre message au comité et au gouvernement est très simple: nous l’appuyons en partie parce que les règles d’origine sont beaucoup plus simples que celles de l’ALENA. Essentiellement, le gouvernement canadien a suivi le conseil de l’industrie et a adopté des règles d’origine beaucoup plus simples, ce que nous approuvons.
En vertu de l’accord proposé, les vêtements doivent seulement avoir été taillés et cousus dans le territoire de l’une des parties pour être admissibles au libre-échange. Notre industrie a précisément besoin de ce genre de règles pour les échanges avec d’autres pays industrialisés. Pour le Canada et la Corée, la production nationale de vêtements occupe surtout des créneaux, notamment ceux des biens à plus forte valeur ajoutée.
Les échanges entre les deux pays sont susceptibles d’augmenter, mais seulement si nous adoptons des règles d’origine simples, ce que nous avons fait. Cet accord devrait vraisemblablement favoriser une croissance modeste de nos échanges avec la Corée, ce qui profitera aux fabricants de produits haut de gamme dans les deux pays.
Je tiens à signaler aux fins du compte rendu que le gouvernement canadien a récemment mis en œuvre des accords comportant des règles d’origine simples fondées sur le territoire où les vêtements ont été taillés et cousus. L’accord de libre-échange entre le Canada et l’Association européenne de libre-échange, ainsi que ceux conclus avec la Jordanie et la Corée en font partie.
Lors de comparutions précédentes devant le comité, nous avons encouragé le gouvernement à conclure des accords commerciaux commercialement viables. Pour ce faire, il doit adopter des règles d’origine simples qui permettent aux entreprises de fabriquer des biens au Canada et de commercer librement avec nos partenaires de libre-échange.
Deuxièmement, nous exhortons le gouvernement à aller dans cette direction en ce qui concerne l’accord avec le Japon. Nous sommes en train de négocier avec le Japon, mais le problème est qu’en vertu du Partenariat transpacifique, les anciennes règles s’appliqueront. Ce sont les règles d’origine de l’ALENA, fondées sur la provenance du fil et largement inutiles qui s’appliqueront.
Troisièmement, il ne faut pas oublier les États-Unis. Pour vous donner une idée de la situation, je peux vous dire que nos exportations annuelles vers la Corée correspondent à ce que nous exportons vers les États-Unis en deux jours. Il faut garder en tête que les échanges entre le Canada et les États-Unis sont primordiaux pour notre industrie.
En dernier lieu, je dirai que nous sommes déterminés et nous encourageons le gouvernement à rester déterminé à faire respecter un système d’échanges fondé sur des règles. Comme je l’ai mentionné, l’industrie canadienne du vêtement est passée de la production au pays à la production à l’étranger pour les marchés mondiaux. Nous sommes actifs ici et nous le sommes en Asie; nous achetons des matières premières à l’étranger, nous les importons ici et nous exportons les produits finis. Pour que ces chaînes d’approvisionnement fonctionnent, nous avons besoin de règles commerciales multilatérales rigoureuses, et il est dans l’intérêt du Canada d’appuyer de telles règles.
Il est aussi largement dans l’intérêt du Canada d’appuyer les mesures de facilitation des échanges commerciaux qui ont été négociées l’année dernière dans le cadre de la Conférence ministérielle de l’OMC, à Bali, mais qui n’ont pas encore été mises en œuvre.
Voilà ce que j’avais à dire.
La présidente: Je vous remercie, monsieur Kirke. La parole est maintenant à Mme Campbell.
Ailish Campbell, vice-présidente, Politique internationale et budgétaire, Conseil canadien des chefs d’entreprise: Je vous remercie, madame la présidente, et je remercie les membres du comité pour cette invitation à comparaître devant vous au sujet de l’accord de libre-échange entre le Canada et la Corée.
Avant de commencer mon court exposé, permettez-moi de présenter mon organisme. Le Conseil canadien des chefs d’entreprise est un organisme sans but lucratif non partisan composé des PDG des 150 principales entreprises du Canada. Ces entreprises emploient 1,5 million de Canadiens et gèrent collectivement un actif totalisant 6 billions de dollars et elles effectuent la vaste majorité des exportations, des investissements, de la recherche, du développement et de la formation au Canada.
[Français]
Nous sommes responsables d'un programme actif de recherche, de consultation et de défense en matière de politiques publiques. Le CCCE est source de commentaires bien réfléchis sur la perspective des affaires concernant des questions d'importance nationale quant à la structure économique et sociale du Canada.
[Traduction]
Mesdames et messieurs les sénateurs, votre réunion d’aujourd’hui est importante et arrive à point nommé. La Corée a déjà conclu un accord de libre-échange avec les États-Unis et l’Union européenne. Les droits de douane entre ces pays sont en train d’être éliminés et l’accès au marché s’est amélioré pour les produits des entreprises établies dans ces pays. Les exportations canadiennes vers la Corée du Sud ont diminué de pratiquement un tiers depuis la mise en œuvre de l’accord entre la Corée et les États-Unis.
L’accord de libre-échange entre la Corée du Sud et le Canada donne à nos exportateurs une bonne chance de récupérer la part de marché perdue et, par le fait même, de protéger des emplois au Canada. Il est donc impératif que le Parlement ratifie cet accord avant la fin de 2014. Votre approbation permettra de faire en sorte que le premier accord de libre-échange entre le Canada et un pays asiatique entre en vigueur le 1er janvier 2015. Ainsi, la réduction des barrières commerciales entre la Corée et le Canada ne se fera pas trop longtemps après la mise en œuvre des accords conclus par nos concurrents.
Le jour de la mise en œuvre de l’accord de libre-échange entre le Canada et la Corée, près de 90 p. 100 des exportations du Canada vers la Corée s’effectueront en franchise de droits. Les autres dispositions liées à l’accès au marché entreront en vigueur au fil du temps.
Le Parlement coréen est actuellement en train d’examiner les accords de libre-échange avec le Canada et l’Australie en vue de les ratifier. L’équivalent de votre comité en Corée — et en fait de la Chambre des communes étant donné la nature unitaire de l’assemblée législative coréenne — a déjà recommandé l’approbation des accords de libre-échange avec le Canada et l’Australie. Le Parlement coréen devrait voter sur ces accords d’un jour à l’autre.
La ratification imminente par le Parlement coréen des accords de libre-échange avec le Canada et l’Australie crée une certaine urgence — et je dirais une occasion — pour vous, mesdames et messieurs les sénateurs. Je sais que le gouvernement conservateur, le Nouveau Parti démocratique et le Parti libéral du Canada sont tous en faveur de cet accord. Les trois partis conviennent que resserrer les liens commerciaux du Canada avec l’Asie est nécessaire pour assurer la prospérité du Canada au XXIe siècle.
Permettez-moi de faire valoir trois autres points à l’intention du comité.
Premièrement, les échanges commerciaux entre le Canada et la Corée sont diversifiés, et il existe une possibilité d’accroître nos relations commerciales. Len Edwards, ancien ambassadeur du Canada en Corée du Sud et ancien sous-ministre des Affaires étrangères, a souligné ceci lorsqu’il a présenté publiquement son analyse de l’accord:
L’accord de libre-échange entre le Canada et la Corée établit un cadre au XXIe siècle pour nos partenariats économiques et commerciaux, permettant ainsi de moderniser et d’approfondir les rapports que nous entretenons déjà avec la Corée par l’entremise de l’Organisation mondiale du commerce.
M. Edwards a aussi affirmé ceci:
Les secteurs canadiens des produits agricoles, de la mer et forestiers seront les grands gagnants. L’accord permet aussi aux fabricants et fournisseurs de services canadiens d’utiliser le marché de la Corée du Sud comme une porte d’entrée vers l’Asie, qui offre un accès aux chaînes de valeur mondiales et des débouchés pour les ventes, les services et les technologies.
Dans le secteur de l’automobile, les entreprises canadiennes ont fait connaître leurs préoccupations à l’égard de cet accord. Elles ont fait valoir que l’accord de libre-échange entre les États-Unis et la Corée n’a pas encore fourni le coup de pouce attendu en ce qui a trait à l’accès au marché coréen.
Le Conseil canadien des chefs d’entreprise est d’avis que l’adoption d’une stratégie propre au secteur de l’automobile pour le marché coréen permettrait de faire en sorte que les fabricants canadiens d’automobiles et de pièces d’automobiles soient en position de réussir. Une telle stratégie pourrait viser les exportations, les investissements réciproques, les barrières non tarifaires et la coopération entre le Canada et les principaux exportateurs — les États-Unis et l’Union européenne — afin d’assurer un marché ouvert avec la Corée, ce qui est essentiel.
Deuxièmement, le Conseil canadien des chefs d’entreprise recommande la création d’un comité consultatif pour le ministre Ed Fast en vue d’assurer la mise en œuvre et la promotion efficaces de l’accord de libre-échange avec la Corée du Sud. Je serai ravi d’en dire plus long à ce sujet durant la période des questions, mais permettez-moi pour l’instant de dire que l’approche de partenariat selon laquelle les entreprises et le gouvernement travaillent ensemble pour tirer parti des occasions qui existent est essentielle à la réussite du Plan d’action sur les marchés mondiaux du gouvernement, et elle est au cœur de celui-ci.
Pour mesurer le succès de l’accord de libre-échange entre le Canada et la Corée, il est important de bien comprendre le point de départ. Le Canada importe beaucoup plus de la Corée — 7,3 milliards de dollars en 2013 — qu’il n’exporte vers ce pays, ses exportations totalisant 3,5 milliards de dollars. Toutefois, nous devons aussi savoir que la Corée investit bien davantage au Canada que nous investissons dans ce pays. Les investissements de la Corée au Canada s’élevaient à 5 milliards de dollars en 2013, alors que les investissements canadiens en Corée totalisaient environ 535 millions de dollars. Les ventes de sociétés étrangères affiliées sont également en hausse dans les deux pays.
À mon avis, le comité consultatif devrait présenter au ministre un rapport annuel sur les données importantes, notamment les chiffres concernant les exportations qui sont en hausse, les sous-secteurs d’exportation, les investissements étrangers directs, les ventes réalisées en Corée du Sud par des sociétés étrangères affiliées à des entreprises canadiennes, les coentreprises et les recettes découlant des contrats de licence.
Le milieu des affaires coréen est bien organisé et largement intégré dans les efforts déployés par le gouvernement dans le domaine des échanges commerciaux, des investissements et de la promotion. Le même type de travail d’équipe devrait avoir lieu au Canada afin que nous puissions tirer pleinement parti de cet accord.
En troisième et dernier lieu, j’aimerais réitérer l’importance vitale d’une relation plus profonde entre le Canada et l’Asie. D’ici 2050, on prévoit que l’Asie représentera plus de 50 p. 100 du PIB mondial. L’importance économique croissante de la Corée et de ses voisins offre d’énormes possibilités aux entreprises et aux travailleurs canadiens. L’accord de libre-échange entre le Canada et la Corée facilitera l’établissement d’une plate-forme pour les entreprises canadiennes désireuses de vendre des biens et des services au bassin de consommateurs de la classe moyenne, qui est en expansion en Asie.
Comme l’honorable John Manley, mon PDG et le PDG du Conseil canadien des chefs d’entreprise, l’a déclaré:
Cet accord pose un jalon important sur la voie qui disposera le Canada à tirer profit de l’importance économique croissante de l’Asie.
Il permet de démontrer à d’autres pays asiatiques que le Canada est un partenaire fiable et sérieux.
Les membres du CCCE sont actifs dans les marchés asiatiques et souhaitent y accroître leurs activités, tant en Inde qu’en Indonésie. La conclusion d’un accord de partenariat économique avec le Japon pourrait constituer pour le gouvernement une prochaine étape. Le gouvernement devrait également entreprendre des négociations concernant un accord de libre-échange avec la Chine. L’accord de libre-échange que la Nouvelle-Zélande a conclu avec la Chine lui a permis, par exemple, de multiplier par cinq ses exportations de produits laitiers vers la Chine, et le récent accord de libre-échange entre la Chine et l’Australie offre un autre exemple. Ces accords commerciaux nous indiquent également que nos concurrents sont actifs dans l’ensemble de l’Asie.
Je serai ravie de répondre à vos questions au sujet des priorités plus vastes du CCCE en ce qui concerne l’Asie, y compris le Partenariat transpacifique, si ce sujet vous intéresse.
En terminant, je tiens à dire que le Conseil canadien des chefs d’entreprise félicite le ministre Ed Fast, le négociateur en chef Ian Burney et toute l’équipe de négociation pour avoir conclu le premier accord de libre-échange avec un pays asiatique. Nous exhortons maintenant les parlementaires à ratifier cet important accord afin qu’il entre en vigueur le 1er janvier 2015.
La présidente: Je vous remercie, madame Campbell.
Je vais maintenant donner la parole à M. Stanford. Les sénateurs ont reçu un mémoire assez volumineux de la part de M. Stanford. Je tenais seulement à le souligner.
Monsieur Stanford, allez-y avec votre exposé. Je vous souhaite la bienvenue.
Jim Stanford, économiste, Unifor: Merci, madame la présidente. Je vous remercie, ainsi que les membres du comité, de m’accueillir. Je vous signale que je vous entends, mais que je ne vous vois pas. Quand viendra le temps de m’arrêter — et je sais que le moment viendra, madame — faites-moi le savoir verbalement, et non avec un geste de la main.
Comme vous avez sous les yeux mon exposé, je vais seulement aborder certains des principaux points. Vous y trouverez quelques lectures plus longues qui pourraient vous être utiles.
Je suis économiste et directeur des politiques économiques chez Unifor, qui est le plus grand syndicat du secteur privé au Canada. Nous représentons plus de 300 000 membres dans pas moins de 20 secteurs de l’économie canadienne. Cet accord commercial aura des retombées à la fois positives et négatives sur un grand nombre d’entre eux.
Je tiens à souligner que, selon mon point de vue en ma qualité d’économiste et selon celui d’Unifor en tant que syndicat, promouvoir les exportations canadiennes et régler les problèmes concernant notre balance commerciale est crucial pour le gouvernement ainsi que pour les entreprises et les travailleurs. Le Canada enregistre un très important déficit courant et observe une tendance régressive sur le plan de la composition des exportations. Il s’agit de deux éléments très négatifs qui ont eu une incidence sur la performance économique globale du Canada au cours des dernières années.
Je tiens aussi à souligner que nous appuyons largement les accords commerciaux et les stratégies qui stimulent les exportations canadiennes. Nous sommes d’avis qu’il n’y a pas suffisamment d’échanges commerciaux et que nous n’effectuons pas le bon type de commerce.
La plupart des accords de libre-échange font très peu pour régler les problèmes, qu’il s’agisse du problème quantitatif, à savoir que nous n’exportons pas suffisamment, ou qu’il s’agisse du problème qualitatif, qui concerne la composition de nos exportations. Au contraire, ils aggravent considérablement ces problèmes. J’estime que c’est ce que fera également cet accord avec la Corée.
Pour ce qui est du déséquilibre quantitatif, nous avons enregistré un énorme déficit découlant du commerce avec la Corée de près de 4 milliards de dollars en 2013. Mme Campbell y a fait allusion. Pour chaque dollar de marchandise que nous exportons en Corée, nous en importons pour une valeur de 2 $, et ce déficit découlant du commerce bilatéral a contribué à notre bilan négatif global sur les marchés commerciaux internationaux.
Je tiens à signaler que les exportations du Canada vers la Corée sont en baisse depuis la fin des années 1990. Je pense qu’il est très trompeur d’affirmer que le déclin de nos exportations avec la Corée est attribuable à la signature de l’accord de libre-échange entre les États-Unis et la Corée. Nous avons un problème de longue date bien plus grave dans nos échanges avec la Corée, et il ne repose pas seulement sur le déséquilibre quantitatif. La composition de nos échanges avec la Corée est également très négative pour le Canada.
Le Canada exporte principalement des matières premières non transformées ou à peine transformées vers la Corée, alors que nous importons des produits de grande valeur perfectionnés et novateurs. L’an dernier, nos principaux produits d’exportation vers la Corée étaient le charbon, le cuivre, l’aluminium et les pâtes. Nos principales importations de la Corée, comme vous vous en doutez sûrement, étaient des automobiles, des circuits électroniques, des pièces automobiles et des téléphones intelligents. C’est un déséquilibre qualitatif incroyable qui n’est pas rentable pour le Canada à long terme.
Avec l’accord de libre-échange, en raison du déséquilibre et de l’inadéquation structurelle dans nos relations commerciales avec la Corée, il y a peu d’avantages pour les exportations canadiennes et beaucoup d’inconvénients.
Plus particulièrement, les exportations de nos ressources qui représentent la majeure partie de nos exportations vers la Corée ne seront pas touchées substantiellement par un accord de libre-échange. Le problème est exacerbé par la nature relativement peu axée sur la main-d’œuvre de nos importations, ce qui signifie qu’un plus grand nombre d’emplois seront perdus en raison de la hausse des importations de la Corée par rapport à la croissance modeste de nos exportations.
Dans les observations que j’ai faites au Comité du commerce de la Chambre des communes à ce sujet, j’ai proposé un pari aux membres de tous les partis. J’ai parié 500 $ de ma propre poche que le déséquilibre dans nos échanges bilatéraux avec la Corée s’accentuera d’au moins 1 milliard de dollars au cours des trois premières années suivant la mise en vigueur de l’accord de libre-échange.
J’attends toujours celui qui acceptera mon pari. Je tiens à préciser que c’est mon argent et pas celui du syndicat. Je lance le pari à tous les membres du comité qui veulent gager sur l’incidence probable de l’accord sur notre déséquilibre découlant du commerce bilatéral.
Les trois quarts du déficit du Canada qui découle du commerce bilatéral avec la Corée se concentrent dans le secteur de l’automobile. Nous n’exportons pratiquement aucun produit automobile vers la Corée: 15 millions de dollars d’exportations en 2013 par rapport à 3 milliards de dollars d’importations. Ce déséquilibre s’est nettement accentué à la fin des années 1990. Nos exportations dans le domaine de l’automobile, qui n’ont jamais été élevées, ont chuté de 82 p. 100 depuis 1999. Nos importations ont bondi de 450 p. 100.
Ce n’est pas un accident. Ce déséquilibre est attribuable aux efforts stratégiques délibérés et réussis des Coréens en vue de stimuler le rendement et le succès à l’échelle internationale des multinationales coréennes. Citons notamment une approche commerciale que nous ne pourrions pas qualifier de libre-échange ou de règles du jeu équitables. La Corée a délibérément fait la promotion de ses exportations, limiter ses importations et offert tout l’appui possible pour favoriser la croissance axée sur les exportations des entreprises coréennes. C’est pourquoi le Canada a 5 milliards de dollars en investissements étrangers directs des entreprises coréennes et investit très peu en Corée. C’est une autre dimension du succès de la stratégie nationale de promotion des exportations.
Nous pouvons tirer des leçons de l’expérience d’autres pays, dont les États-Unis. Ce n’est pas seulement dans le secteur de l’automobile que la relation des États-Unis avec la Corée a été décevante en matière de libre-échange. En fait, les exportations américaines de produits manufacturés vers la Corée ont diminué depuis la signature de l’accord de libre-échange, tandis que le déficit découlant du commerce bilatéral s’est profondément creusé.
Dans le secteur de l’automobile, les importations en provenance de la Corée ont enregistré une croissance 22 fois plus rapide que les exportations vers les États-Unis. Malgré tout, l’accord entre les États-Unis et la Corée est supérieur à celui du Canada à bien des égards. Les exigences de rendement étaient beaucoup plus élevées en Corée pour qu’elle ouvre ses marchés aux produits américains, et une disposition sur le retour au droit NPF était prévu pour rétablir la protection tarifaire au cas où les marchés ne seraient pas ouverts. Le Canada n’est pas doté de ces protections, si bien que notre expérience sera pire que celle des Américains.
Pour ce qui est de l’Europe, le nombre de véhicules coréens importés a triplé par rapport à celui des véhicules européens exportés vers la Corée, et les Européens ont l’avantage de produire des marques mondiales de grande valeur comme Mercedes, BMW et Audi, que les Coréens à revenu élevé veulent acheter. Le Canada n’offre pas ces marques de luxe.
Ce n’est pas seulement dans le secteur de l’automobile que nous prévoyons perdre. Nous avons réalisé une analyse de 20 secteurs non agricoles différents. Nous pensons que 15 d’entre eux perdront des ventes nettes à la suite de l’élimination des tarifs douaniers entre la Corée et le Canada.
Le secteur de l’automobile n’est pas le pire. Nous nous attendons à ce que le secteur de la fabrication d’ordinateurs et de matériel électronique accusera les plus importantes pertes d’emplois, suivi du secteur de la machinerie et des produits automobiles. Le secteur de la transformation des métaux sera touché également. Nous prévoyons des pertes de 30 000 emplois dans les secteurs manufacturiers et d’autres secteurs de production de biens.
Bien entendu, on a beaucoup parlé du fait que les exportations de bœuf et de porc canadiens vers la Corée augmenteront dans le cadre de l’accord de libre-échange. Je présume que c’est vrai. Toutefois, le potentiel de ces avantages dans le secteur des viandes transformées doit être évalué en fonction de l’incidence sur d’autres secteurs. Dans mon mémoire, vous verrez que nous faisons cette évaluation même à partir du meilleur scénario possible où toutes les parts du marché seraient récupérées. Les nouvelles exportations de viande vers la Corée pourraient compenser seulement le vingtième de la hausse anticipée du déficit découlant du commerce bilatéral que nous enregistrerons après la signature d’un accord de libre-échange.
Cet accord, comme d’autres accords de libre-échange, ne repose pas principalement sur la réduction des tarifs douaniers. Il y a de nombreuses autres dispositions structurelles et stratégiques qui nous préoccupent, dont le règlement des différends investisseur-État, que nous percevons comme étant extrêmement néfaste et risqué pour les décideurs canadiens, la déréglementation du secteur des services et la libéralisation des marchés publics.
Nous aimerions que des changements importants soient apportés aux relations bilatérales avec la Corée avant de conclure un accord. Nous aimerions aussi que le mécanisme de règlement des différends investisseur-État soit éliminé. Plus nous acquerrons de l’expérience, moins ce sera important et inquiétant.
Nous aimerions que des efforts délibérés soient déployés pour essayer de relier les politiques commerciales et les investissements étrangers directs au Canada. Dans le secteur de l’automobile, par exemple, Mme Campbell a proposé d’établir une stratégie propre au secteur de l’automobile. Un volet important de cette stratégie consiste à convaincre les fabricants d’automobiles coréens, Hyundai et Kia, de construire des voitures au Canada, et non pas seulement de les vendre. Nous disons depuis des années que les négociateurs commerciaux canadiens devraient essayer d’établir ce lien. Faute de quoi, nous proposerions d’exclure complètement de l’accord le secteur de l’automobile, qui en subirait les répercussions négatives.
L’incidence des fluctuations monétaires dans notre commerce bilatéral doit également être prise en compte. Les Coréens sont très proactifs dans le cadre de leur stratégie généralisée axée sur les exportations pour essayer de faire baisser la valeur de leur monnaie afin de rendre leurs exportations plus concurrentielles. Le Canada ne l’a pas fait, ce qui est à son désavantage.
Voilà qui conclut mon exposé liminaire, madame la présidente. Je vous remercie de votre attention. Je suis impatient de discuter avec vous.
La présidente: Merci, monsieur Stanford. Nous pouvions vous voir, mais vous ne pouviez pas nous voir. Est-ce réglé maintenant?
M. Stanford: Je peux vous voir maintenant. L’image est revenue à peu près au milieu de mon exposé. Merci aux techniciens qui ont réglé le problème.
La présidente: Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis: À tous les trois, merci pour vos présentations. Ma première question s’adresse à Mme Campbell. Le président de votre association, l'honorable John Manley, a écrit une lettre au ministre du Commerce international dans laquelle il signifie son appui à cet accord de libre-échange, et il a ensuite écrit un article sur le sujet. Dans le plus récent article, il mentionne que, pour que l'accord soit à la hauteur de son potentiel, il faudra des ressources pour promouvoir activement les entreprises canadiennes afin de faire respecter l'accord. À quel genre de ressources faisait-il allusion?
[Traduction]
Mme Campbell: M. Manley et ceux qui ont une vaste expérience pour promouvoir les échanges commerciaux du Canada — John Weekes, notre ancien ambassadeur auprès de l’OMC a rédigé de nombreux articles à ce sujet — ont laissé entendre que la commercialisation est un aspect important pour pouvoir améliorer notre situation commerciale une fois que l’accord est mis en œuvre.
Je dirais deux choses précises. Tout d’abord, les entreprises qui ont le plus d’expérience sur le marché coréen devraient être les principaux intervenants dans les groupes de consultation et de promotion. Ces entreprises expérimentées sur le marché qui comprennent la culture et les goûts des consommateurs coréens sont importantes, de même que celles qui ont accès à des chaînes de valeur extrêmement vastes et précieuses des entreprises coréennes du système de chaebols. Ce sont parmi les plus grandes entreprises du palmarès 500. La Corée compte 13 de ces entreprises et le Canada, 11.
Mon deuxième point se rapporte, mais je pense qu’il va dans le même ordre d’idée que l’observation de M. Stanford, au fait qu’un système de recours commerciaux pour nous protéger contre les marchandises sous-évaluées est également un élément important pour promouvoir la confiance des Canadiens dans le système de libre-échange que nous utilisons activement et que nous favorisons davantage dans le cadre de cet accord. J’entends par là qu’il faut protéger les entreprises canadiennes contre les pratiques anticoncurrentielles. Je prends note du jugement préliminaire du TCCE contre les barres d’armature, par exemple, de la Corée du Sud, de la Turquie et de la Chine également, je crois.
L’économiste en moi vous rappellerait que les consommateurs canadiens profitent des meilleurs prix et de biens de valeur, mais l’entrepreneur dirait que ces biens et services ne peuvent pas être importés au pays par l’entremise de pratiques anticoncurrentielles.
J’espère que cela vous donne une idée de la nature pleinement intégrée dont nous avons besoin pour tirer le meilleur parti possible de cet accord. Je signale que les ressources gouvernementales du Service des délégués commerciaux, d’Exportation et développement Canada et pour les PME qui envisagent d’exporter leurs produits par l’entremise de la Banque de développement du Canada constituent également un aspect important pour faire la promotion de cet accord.
La présidente: J’ai une question supplémentaire. Le ministre Fast a comparu devant le comité et expliqué pourquoi il était en faveur de cet accord et l’a conclu, mais il a aussi présenté certaines de ses stratégies mondiales. Grâce aux questions du sénateur Downe, nous avons approfondi le sujet un peu plus.
Je ne sais pas si vous avez pris connaissance de son témoignage au comité. A-t-il abordé des sujets semblables à ceux dont vous faites allusion?
Mme Campbell: J’ai lu le témoignage du ministre Fast plus tôt cette semaine. Il a certainement abordé certains de ces aspects, et j’irais encore plus loin en recommandant qu’un comité consultatif portant précisément sur l’accord de libre-échange entre le Canada et la Corée soit mis sur pied. Il comprendrait des membres des sous-secteurs, dont le secteur de l’automobile, qui sont tous évidemment regroupés dans la mise en œuvre du Plan d’action sur les marchés mondiaux.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis: Certaines dispositions de cet accord de libre-échange portent sur le travail. Celles-ci engagent les parties à respecter les critères internationaux en matière de normes fondamentales du travail et à faire respecter les lois nationales en la matière.
Selon vous, dans quelle mesure ces dispositions sont-elles nécessaires? Sont-elles suffisantes pour garantir le respect de ces normes et des lois nationales en matière de travail?
Le sénateur Robichaud: Bonne question.
[Traduction]
Mme Campbell: Je pense qu’il est essentiel d’avoir des conventions de travail dans le cadre de nos accords de libre-échange. Je tiens à signaler également que dans les accords de libre-échange, grâce aux travaux de comités parlementaires comme le vôtre, nous avons vu d’excellentes innovations dans ces accords au Canada. Ils ne restent pas toujours pareils. On les modernise, de même que les normes, les valeurs et les impératifs de la population canadienne. Dans l’accord de libre-échange entre le Canada et la Colombie, nous avons vu un ajout important de rapports sur les droits de la personne. Là encore, je pense que c’est un aspect nécessaire pour offrir un appui plus vaste à la mondialisation et aux échanges commerciaux. Les Canadiens s’attendent à ce que les conventions de travail et les lois nationales soient respectées et appliquées. Je ferais également remarquer que le Canada a ratifié les normes du travail fondamentales de l’Organisation internationale du travail, l’OIT, qui couvrent des questions allant du travail des enfants jusqu’au travail en milieu carcéral, en passant par le droit d’association.
Je pense qu’en plus de ces accords de libre-échange et de nos lois nationales, ces normes internationales constituent également un élément important du respect, de la structure et de la primauté du droit entourant le traitement de la main-d’œuvre.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis: Monsieur Kirke, est-ce que vous vouliez ajouter autre chose?
[Traduction]
M. Kirke: Certainement. Je suis d’accord avec Mme Campbell, mais je veux dire une chose. La Corée est parmi les différents pays avec qui nous négocions des accords de libre-échange. Je pense que le respect des règles du travail n’est pas un problème aussi important en Corée que dans d’autres pays. Nous avons pris des positions différentes dans différents pays. Comme je l’ai dit dans mes remarques, le dernier accord pour lequel j’ai comparu devant votre comité était l’accord de libre-échange entre le Canada et la Jordanie, qui renfermait les mêmes dispositions relatives au travail, mais surtout, dans le cadre de la stratégie mondiale, les pays essayaient d’aligner les accords commerciaux sur l’aide et d’autres aspects de notre participation internationale.
J’étais à New York la semaine dernière pour assister à une réunion de l’Organisation internationale du travail sur le programme Better Work. Le Canada a joué un rôle essentiel pour financer le programme, ce qu’il a fait parallèlement à ses négociations avec la Jordanie pour conclure un accord de libre-échange. Nous n’avons pas fait part de nos points de vue et de ces principes uniquement dans ce cadre. Je pense que nous avons fait de l’excellent travail. L’accord est un élément, mais il y en a d’autres. Là encore, je dirais que plus que jamais auparavant, nous avons une politique pour les harmoniser.
La présidente: Monsieur Stanford, voulez-vous ajouter quelque chose, ou puis-je passer au prochain intervenant?
M. Stanford: C’est un sujet très intéressant. À notre avis, ces accords parallèles relatifs à la main-d’œuvre ou les chapitres sur la main-d’œuvre des accords de libre-échange existent en grande partie pour des raisons symboliques. Les exigences prévues dans ces chapitres selon lesquelles les gouvernements doivent participer aux accords sont minimes et les obligent généralement à respecter leurs propres lois. Les renvois aux normes internationales sont vagues et inapplicables. Dans des cas comme l’accord entre le Canada et la Colombie, que l’on a mentionné, ces accords parallèles relatifs à la main-d’œuvre n’ont pas mis fin à la répression et même à l’assassinat de syndicalistes en Colombie. À notre avis, ces accords parallèles existent en grande partie pour bien paraître et contribuer à l’adoption des accords.
Cela dit, ce n’est pas ce qui nous préoccupe avec cet accord. La Corée n’est pas une dictature. Elle a un mouvement syndical solide. Les salaires ne sont pas bas en Corée. En fait, ils augmentent très rapidement à la suite de ces hausses impressionnantes de la productivité et de l’innovation. L’énorme avantage asymétrique des producteurs coréens à valeur ajoutée dans leurs échanges avec nous ne découle pas de la main-d’œuvre bon marché. C’est davantage le succès du système de chaebols, les relations étroites entre le gouvernement et les entreprises et une stratégie très asymétrique axée sur les exportations. C’est la raison pour laquelle nous constatons un énorme déséquilibre commercial avec la Corée qui s’accentuera, mais pas à cause de la suppression des droits de la main-d’œuvre, à notre avis.
La présidente: Merci.
Le sénateur Moore: Je remercie les témoins d’être ici. Madame Campbell, vous avez mentionné que 90 p. 100 des exportations actuelles seront exemptées de droits de douanes dans le cadre de cet accord. Quelles sont les autres 10 p. 100, et combien de temps faudra-t-il pour qu’elles deviennent exemptées de droits de douane, le cas échéant?
Mme Campbell: Dans le cadre de l’accord, le Canada obtiendra un accès complet en franchise de droits dans tous les secteurs industriels et manufacturiers, qui représentent la majorité de nos exportations, et garantira un accès semblable aux marchés du poisson et des fruits de mer où les droits de douane atteignent jusqu’à 50 p. 100 à l’heure actuelle.
La période de mise en œuvre varie. Je pense que c’est une question pour laquelle vous devriez convoquer des experts du ministère des Affaires étrangères à comparaître. Je crois savoir qu’il peut falloir parfois jusqu’à 10 ans. À vrai dire, nous aurions aimé voir une entente pour que toutes les franchises de droits soient appliquées en une seule journée, mais il faut évidemment négocier. Je prends note également des excellents arguments évoqués par M. Stanford au sujet du secteur de l’automobile. Si seulement on pouvait choisir les secteurs que l’on veut libéraliser. Malheureusement, dans le cadre d’un accord de libre-échange, c’est tout ou rien, d’après les règles de l’Organisation mondiale du commerce.
Le sénateur Moore: Je ne le savais pas. Quoi qu’il en soit, j’aimerais savoir à quels produits renvoient les 10 p. 100 qui restent?
Mme Campbell: Je vais devoir vous revenir avec une réponse plus précise.
Le sénateur Moore: Vous pourriez peut-être transmettre la réponse au greffier.
Mme Campbell: Bien sûr.
Le sénateur Moore: Est-ce que votre organisation a eu l’occasion de réagir à l’ébauche de cette entente? Était-ce la première fois que vous pouviez l’examiner?
Mme Campbell: Nous étions en communication constante avec le négociateur en chef et le ministre Fast, de même qu’avec l’ensemble des intervenants, mais comme les autres, nous n’avions pas vu l’entente détaillée avant sa publication.
Le sénateur Moore: Que pensez-vous du fait que le Canada n’a pas pu obtenir une disposition sur le retour au droit NPF comme l’ont fait les États-Unis?
Mme Campbell: Dans un monde idéal, je pense que le Canada devrait négocier avec les États-Unis, et le Mexique, en fait, étant donné que notre produit provient de l’Amérique du Nord. Cela dit, si nous avions fait cela, nous n’aurions pas pu conclure l’entente commerciale Canada-Union européenne, et je suis très satisfaite de voir que le gouvernement est allé de l’avant de ce côté. On voit que les négociations de l’accord global du PTP encadrent un processus bilatéral entre les États-Unis et le Japon concernant le marché automobile. C’est incroyablement négatif, en ce sens que le Canada devrait participer à la négociation de ces dispositions. Je note cependant que le Canada a obtenu un mécanisme permanent de règlement accéléré des différends pour le marché automobile, tandis que le mécanisme équivalent obtenu par les États-Unis doit venir à échéance dans sept ans.
Le sénateur Moore: Je ne fonde pas beaucoup d’espoir dans ces mécanismes de règlement des différends. J’ai vu ce qui est arrivé au Canada avec le bois d’œuvre. Même les Américains n’ont pas respecté la primauté du droit. Tous les cas ont été réglés en notre faveur. Je ne sais donc pas ce que cela signifie. Je constate qu’il y a un grave déséquilibre commercial. Je ne sais pas pourquoi nous n’avons tout simplement pas dit à la Corée que sans ces dispositions, compte tenu du déséquilibre actuel, elle ne pourrait pas bénéficier des mêmes conditions commerciales. Je ne comprends pas pourquoi votre organisation n’a pas plus insisté. Il faut voir ce qui se passe dans le secteur automobile canadien. Selon le mémoire de M. Stanford, le négociateur du Canada n’a même pas essayé de gagner quelque disposition que ce soit en ce sens. Est-ce que votre organisation était au courant? Avez-vous fait des pressions pour changer l’issue des négociations?
Mme Campbell: Personne n’aime les avocats, mais je vous dirais que pour le Canada, c’était cette entente ou rien du tout; c’est un système commercial brutal. Le Canada offre un marché de 35 millions. Je préfère de loin compter sur un régime axé sur la primauté du droit sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce et sur ces ententes que de faire concurrence à des marchés beaucoup plus importants que le nôtre, et d’affronter des entreprises qui sont intégrées aux gouvernements de façon beaucoup plus complexe qu’ici, si je puis dire. La division entre l’État et le marché est beaucoup moins claire qu’elle ne l’est au Canada.
Ce n’est peut-être pas un monde idéal, mais c’est le monde dans lequel nous vivons, alors je crois que ces ententes sont précieuses. Notre organisation est convaincue qu’ouvrir le marché coréen au secteur automobile est la chose à faire. Je note également que nos fabricants de pièces automobiles ont pénétré le marché coréen et fournissent des pièces pour la fabrication de voitures coréennes, alors le secteur n’est plus l’affaire d’une seule nation comme autrefois, mais est le résultat de l’ingénierie issue des quatre coins du monde.
Le sénateur Moore: J’aimerais voir cette ingénierie à l’œuvre dans le secteur automobile du Canada.
Mme Campbell: Elle l’est, monsieur, et c’est une composante cruciale de nos exportations.
Le sénateur Moore: Je suis heureux d’apprendre que nous exportons des pièces.
Mme Campbell: C’est ce qui a le plus de valeur dans une voiture.
Le sénateur Moore: C’est très important, mais comme le dit M. Stanford, ce n’est pas un très bon compromis, selon moi. On verra bien. J’espère que vous avez raison, mais je ne gagerais pas contre lui. Merci beaucoup.
La présidente: C’est bien que vous l’ayez déclaré officiellement. Tout le monde ne l’a pas fait. Ce n’est pas une invitation pour discuter du pari.
Le sénateur Housakos: Ma question s’adresse aux trois témoins. On dirait que pour certains, les ententes commerciales se résument à « est-ce que j’exporte plus que j’importe? ». Je me demandais si les témoins pouvaient nous faire part de leur point de vue à cet égard. Y a-t-il autre chose à considérer, outre le ratio importation-exportation?
Je suis un sénateur du Québec et je peux vous dire que l’industrie du porc est ravie de cet accord, et nous avons eu le même son de cloche du secteur de l’élevage bovin et de l’industrie agroalimentaire. Différentes industries canadiennes sont très enthousiastes à l’idée de pouvoir faire leur entrée dans ce marché.
J’aimerais savoir quels sont les éléments à considérer, selon vous, à part la simple équation « exportations contre importations ». De quoi devrait-on tenir compte dans l’évaluation d’accords commerciaux comme celui-ci?
M. Kirke: Comme je l’ai déjà dit, la position actuelle de notre industrie est qu’il est presque absurde de mesurer le ratio importation-exportation, car la conception se fait à Montréal, mais la fabrication et la vente se font à l’échelle mondiale. C’est la réalité de notre industrie. Notre partenaire principal au gouvernement fédéral est Exportation et développement Canada. L’ancien président d’Exportation et développement Canada, qui occupe maintenant d’autres fonctions, appelait cela le commerce d’intégration. Nous sommes un modèle pour ce type de commerce dans l’industrie du vêtement.
C’est le premier point. C’est dans ce contexte que nous évoluons. Certains produits sont fabriqués ici, alors pour cela, le calcul sera simple. Nos exportations vers la Corée ont augmenté de 60 p. 100 l’an dernier, et j’ai pu le constater par moi-même dans les rues de Séoul en décembre dernier. Il faisait un froid de canard et les gens se baladaient dans leur parka Canada Goose. C’est bien.
Notre position est plutôt limitée concernant cet accord, mais j’aimerais en profiter pour formuler un commentaire. Jusqu’à la reprise des négociations, il y a un an environ, on tentait d’établir une règle d’origine semblable à ce que prévoit l’ALENA. Je pense qu’il faut saluer l’initiative du ministre, qui a demandé à son personnel de revenir en arrière pour vérifier que c’était approprié.
Première des choses, le gouvernement a fait preuve de souplesse, et bien qu’il s’agisse d’un accord exportation-importation de style donnant-donnant, nous en sommes très satisfaits et nous pensons que nous devrions l’utiliser dans d’autres pays développés. Sinon, cela pourrait permettre de bâtir des liens plus étroits avec l’industrie textile de la Corée, qui est la championne du monde. Je me souviens d’avoir eu une conversation téléphonique avec un fabricant au Nicaragua et il avait fallu tout traduire en coréen, car les entreprises coréennes ont tellement investi en Amérique centrale et au Nicaragua, qu’elles dirigent essentiellement l’industrie là-bas. Au bout du compte, si nous pouvons établir de meilleures relations avec ces conglomérats, notre industrie pourra y gagner au change.
Mme Campbell: Je vais vous donner quelques faits stylisés en guise de réponse. Le Canada est un petit marché national. Nous produisons beaucoup plus que nous pouvons consommer nous-mêmes. Pour maintenir notre niveau de vie, il est absolument impératif de pouvoir accéder à d’autres marchés. Je vois que nous sommes dans la magnifique salle des Nations Unies. Les œuvres d’art exposées ici sont formidables. Ce sont les premiers commerçants du Canada; ils n’avaient pas, eux, à composer avec les frontières. En fait, on pourrait dire qu’ils avaient une vision du monde plus progressive que nous.
Nous y voilà. La primauté du droit est ce qu’elle est, et je dirais que notre sort dépend de l’accès au marché américain. Aujourd’hui, c’est de la Corée dont il est question, bien sûr, mais je salue tout effort visant à actualiser les dispositions de l’ALENA et à remédier au problème qu’a soulevé le sénateur Moore, soit celui du protectionnisme aux États-Unis. C’est une problématique qui se présente de manière insidieuse, sous le couvert de subventions et de politiques dites « Buy America ». Je dirais également qu’il faut porter attention à l’expansion future de la classe moyenne en Asie, là où la demande de produits canadiens est énorme. L’avenir est d’ailleurs l’essence de cet accord.
Nous nous devons de suivre les importations comme les exportations, de même que les investissements directs étrangers, et je recommanderais au comité, et au comité du commerce de la Chambre des communes, de veiller à ce que Statistique Canada puisse mesurer de façon opportune le travail qui se fait. Cela veut aussi dire de tenir des statistiques à jour sur le commerce des services, le commerce des investissements directs étrangers et les ventes des sociétés affiliées à l’étranger. Je vous assure que certaines données à ce sujet sont plutôt vaseuses. Les séries chronologiques ne sont pas toutes à jour. Sans vouloir manquer de respect, je crois que nous devons améliorer notre façon de mesurer notre empreinte, car en regardant un peu autour de nous, on voit un pays qui offre un bon niveau de vie et qui est prêt à faire concurrence aux autres.
M. Stanford: Sénateur Housakos, C’est une question importante, car elle fait référence à l’écart qui sépare la théorie économique du libre-échange dans un monde idéal, et la réalité des courants du commerce international tels que nous les connaissons.
La théorie du libre-échange suppose l’existence d’un équilibre ou d’un déséquilibre commercial. La supposition veut que toutes les ressources d’un pays soient employées avant et après l’ouverture du marché à un partenaire de libre-échange. Grâce à l’accord de libre-échange, on a l’assurance que tout le monde pourra travailler et que personne ne va perdre son emploi, et que l’accord n’aura pas de répercussions sur l’équilibre commercial ni sur le nombre d’emplois disponibles, mais plutôt une incidence positive sur l’efficacité du travail. La réattribution de la main-d’œuvre issue d’un tel accord permettrait de gagner en productivité.
Cette approche théorique est également utilisée dans les modèles d’équilibre général calculable, des outils clés qu’on voit souvent. Lors de la négociation d’un accord de libre-échange, des économistes sont engagés pour appliquer un de ces modèles informatiques qui se fondent sur le plein emploi et l’équilibre commercial pour estimer les gains en productivité qui découleront de l’accord.
Il y aura des gains de productivité. Cela ne fait aucun doute. Un accord de libre-échange mène effectivement à une certaine réattribution des extrants, de l’emploi, du capital et de la main-d’oeuvre. Au Canada, cela s’est principalement traduit par l’investissement accru de capitaux et de main-d’oeuvre dans l’extraction de ressources plutôt que dans d’autres secteurs de l’économie.
Le problème, c’est que ces suppositions ne s’appliquent pas au monde réel. On ne peut pas présumer que le Canada profitera d’un plein emploi grâce à un accord de libre-échange. Le taux de chômage officiel est de 1,4 million aujourd’hui et le taux de chômage réel de plus de 2 millions, et le déficit courant de plus de 50 milliards par année explique pourquoi des milliers et des milliers de personnes sont sans travail.
On ne peut pas ignorer les effets de l’équilibre commercial, ce que voudraient qu’on fasse les modèles informatiques et les responsables des politiques de libre-échange. On pourrait voir une légère réattribution ou une légère hausse de productivité dans la chaîne d’approvisionnement mondiale, mais tout cela ne ferait pas le poids comparativement à la perte d’emplois attribuable au déséquilibre commercial croissant, une perte estimée à 30 000 emplois.
L’incidence de la chaîne d’approvisionnement mondiale peut être importante pour les entreprises canadiennes, mais pour le secteur des pièces automobiles, dont a parlé Mme Campbell, les exportations vers la Corée ne sont pas si nombreuses, et l’empreinte des entreprises canadiennes en matière d’investissements directs étrangers est négligeable dans l’industrie automobile coréenne.
On peut aspirer à produire certains effets sur la chaîne d’approvisionnement, mais les politiques devraient en priorité faire en sorte que les Canadiens ont de bons emplois bien rémunérés, et qu’ils contribuent à la productivité au meilleur de leurs compétences. À cette échelle, un important déséquilibre au détriment du Canada, ce à quoi je m’attends avec cet accord, aurait bien plus de répercussions négatives qu’il n’y aurait de gains marginaux résultant de la réattribution traditionnelle de facteurs mis en vedette par les modèles économiques.
Le sénateur Housakos: Merci pour vos réponses. Ma prochaine question s’adresse à vous, monsieur Stanford.
Je vais y aller d’une interprétation simplifiée des accords commerciaux. Pour moi, conclure un accord de libre-échange, c’est permettre à l’industrie canadienne d’accéder à des marchés auxquels elle n’aurait pas eu accès autrement, et d’y faire des affaires. Dans un tel contexte, ce sont inévitablement les secteurs les plus rentables, efficaces et concurrentiels à l’échelle mondiale qui vont en profiter. Selon la théorie capitaliste du libre-échange, il est aussi inévitable que les moins rentables et efficaces vont devoir trouver d’autres façons de s’occuper. Il y aura des concessions à faire et il faudra s’adapter.
Nous avons vécu d’importants bouleversements au cours des 20 dernières années, soit depuis la conclusion de l’accord de libre-échange avec les États-Unis. À l’époque, les plus pessimistes prédisaient que le ciel allait nous tomber sur la tête et que les Canadiens allaient perdre des millions d’emplois; cela n’est jamais arrivé. Essayez d’imaginer ce qui serait advenu de l’économie canadienne si les États-Unis avaient dit: « Nous achetons plus que nous vendons, alors nous fermons nos frontières et il n’y aura plus d’échange dans les secteurs des technologies, des services ni des finances. »
Est-ce que les États-Unis et l’Union européenne sont aussi malavisés que nous? Ce sont deux des plus grands marchés au monde et ils accusent un déséquilibre commercial encore plus important que celui du Canada, et pourtant, ils ont négocié avec ardeur des ententes avec la Corée.
M. Stanford: C’est une très bonne question. En fait, je trouve que votre interprétation est assez bonne, c’est-à-dire que l’accord de libre-échange va profiter aux industries qui ont ce qu’il faut pour se mesurer aux entreprises concurrentielles de l’autre pays, et les autres devront s’occuper autrement. Vous avez tout à fait raison. Quand on décortique la relation commerciale entre le Canada et la Corée, notre analyse démontre que cinq secteurs ne subiraient aucun contrecoup ou bénéficieraient de ventes nettes grâce à l’élimination des barrières bilatérales. Dans ces cinq secteurs, le calcul penche en notre faveur.
Dans les autres secteurs, ce serait plutôt l’inverse, car les Coréens ont eu plus de succès que nous, même s’il s’agit d’une petite économie. Rappelez-vous, la Corée a un PIB inférieur à celui du Canada, mais elle a concentré davantage d’efforts, qui ont porté fruit d’ailleurs, à bâtir des compagnies nationales d’envergure comme Hyundai, Kia, Samsung, LG et j’en passe. Elle a bâti des compagnies qui peuvent atteindre et pénétrer les marchés mondiaux. Au Canada, nous avons mis l’accent sur l’extraction et la vente des ressources naturelles, et nous achetons ensuite au reste du monde les produits fabriqués à partir de nos ressources. Cette asymétrie est la source même du problème.
Les Américains sont-ils aussi malavisés que nous? Malgré l’ALENA, si nous vendions aux États-Unis deux fois plus de produits qu’ils ne peuvent nous en acheter, j’ai bien peur qu’on en aurait des échos. Il est certain que cela poserait problème. Mais le déséquilibre entre le Canada et les États-Unis est minime par rapport au total des échanges qui vont dans les deux sens, surtout si on inclut les services et les revenus de placement, où les États-Unis enregistrent un important surplus. Des échanges bilatéraux équilibrés comme ceux que nous avons avec les États-Unis pourraient vraiment s’avérer bénéfiques. Ce n’est toutefois pas le cas avec la Corée. Il y a encore une grande remise en cause, notamment dans l’industrie automobile, tant en Europe qu’aux États-Unis. On pense que ces deux accords n’auraient pas dû être conclus dans leur forme actuelle. Cela permet au Canada d’éviter de reproduire les mêmes erreurs.
Le sénateur Downe: Monsieur Stanford, je n’accepterais pas votre pari parce que j’ai examiné les chiffres, et les vôtres sont très prudents. Dans le cadre de nos échanges commerciaux avec le Chili, par exemple, nous sommes passés d’un excédent de 73 millions de dollars en 1996, l’année précédant l’accord de libre-échange, à un déficit de 950 millions de dollars en 2013, et cela ne s’arrête pas là. Plus récemment, nous avons signé un accord de libre-échange avec le Pérou il y a deux ans. Notre déficit est passé de 2,1 à 2,5 milliards de dollars. Je pense que votre argent est en sécurité, même si vous trouvez quelqu’un pour accepter votre pari.
Je m’intéresse à votre observation sur la perte potentielle de 38 000 emplois. Le déficit commercial constitue un problème de taille depuis longtemps dans notre pays, et il a eu des répercussions réelles sur les emplois manufacturiers, particulièrement en Ontario et au Québec. Des milliers d’emploi ont été transférés à l’étranger, et ces emplois stables et bien rémunérés de classe moyenne qui soutenaient des familles et des communautés sont maintenant partis. Avez-vous évalué que cet accord entraînerait la perte de 38 000 emplois en vous fondant sur la valeur actuelle du dollar canadien? Un grand nombre de ces pertes sont survenues quand notre dollar était à égalité avec le dollar américain. Je ne suis pas certain de la valeur du dollar aujourd’hui, mais il valait 87 ou 88 ¢ la semaine dernière. Cela a-t-il une incidence sur vos chiffres, et dans l’affirmative, de quelle manière?
M Stanford: Vous avez entièrement raison de faire référence à ce qu’il s’est passé avec d’autres accords de libre-échange que nous avons conclus. En fait, dans une autre recherche que nous avons effectuée et dont il est question dans les notes devant vous, nous nous sommes penchés sur la question et avons examiné une série d’autres accords de libre-échange que le Canada a signés afin d’en évaluer l’incidence sur la balance commerciale. Dans pratiquement tous les cas, nous avons observé une détérioration notable de la balance nette au détriment du Canada. Voilà qui témoigne de l’asymétrie structurelle et du fait que nous ne comptons pas suffisamment d’entreprises faisant figure de championnes mondiales qui vendent des produits à valeur élevée à ces pays. L’élimination des obstacles des deux côtés fera en sorte qu’il y aura bien plus d’importations que d’exportations.
Nous n’avons pas estimé l’incidence nette à environ 30 000 pertes d’emplois en présumant que le dollar se maintiendrait à sa valeur actuelle. Nous n’avons pas présumé qu’il aurait une valeur donnée, mais plutôt que sa valeur restera constante après la signature de l’accord. L’étude ne tient compte que de l’effet de la réduction des tarifs des deux côtés, compte tenu de l’empreinte actuelle que le Canada et la Corée ont mutuellement sur leurs marchés.
Nous n’avons fait aucune supposition quant à la valeur que doit avoir la devise pour atteindre ces chiffres. Les fluctuations futures de la devise pourraient jouer à notre avantage ou à notre désavantage. Ces fluctuations pourraient avoir des effets bien plus importants que ceux des tarifs. Si le dollar canadien continue de se déprécier comme il le fait depuis quelques années, comme j’espère qu’il le fera — une juste valeur viable s’établirait à environ 80 ¢ américains —, cela compenserait certains des torts qu’on prévoit que l’accord entre le Canada et la Corée aura.
Cependant, les Coréens sont très actifs sur le plan de la manipulation des devises. Ils ont utilisé leur structure de marché financier et leur banque centrale pour tenter de réduire la valeur de leur devise afin de stimuler leur excellente croissance fondée sur les exportations. À long terme, je ne m’attendrais pas à ce que les Coréens restent les bras croisés si leur devise les pénalise. Leur gouvernement et leur banque centrale interviendront presque certainement pour préserver un avantage sur le plan de la devise.
Pour répondre précisément à votre question, l’estimation de la perte de 30 000 emplois ne repose sur aucune hypothèse quant à la valeur du dollar, mais présuppose simplement que le dollar se maintiendra plus ou moins au même niveau par rapport à la devise coréenne.
Le sénateur Downe: Madame Campbell, vous avez indiqué dans votre exposé que votre association est composée de grands exportateurs actifs sur les marchés extérieurs. Face au problème que posent notre balance commerciale et la perte d’emplois manufacturiers, qu’a fait votre association à part dépendre du gouvernement pour agir? J’ai remarqué que la Chambre de commerce a publié récemment un rapport intitulé Un point tournant: Comment rétablir notre succès commercial sur les marchés étrangers, que vous connaissez certainement. Je me demande si votre association prend des mesures également. De par le monde, les pays qui s’en sortent bien au chapitre des exportations et qui conservent leurs emplois manufacturiers, comme le Royaume-Uni, l’Australie et l’Allemagne, accordent beaucoup plus de ressources à leurs exportations que nous ne le faisons. Ils semblent bien plus proactifs. Les Américains ont Direct Line et d’autres initiatives pour aider leurs entreprises.
D’après ce que nous entendons, et la Chambre de commerce renforce cette impression, le problème vient en partie du fait qu’une fois l’accord signé, c’est au milieu des affaires qu’il revient d’agir, et c’est là que les choses semblent mal aller comparativement à d’autres pays. Quelles mesures votre association a-t-elle prises par elle-même, le cas échéant, pour aider les exportateurs canadiens?
Mme Campbell: Permettez-moi de dire que l’impératif ici, ce sont les entreprises exportatrices et actives à l’étranger. Ce sont les stratégies des entreprises et leur capacité à pouvoir exploiter leurs avantages comparatifs au Canada, à proposer un produit novateur et à accéder à de nouveaux consommateurs qui sont réellement essentielles, ainsi que l’environnement habilitant que vous avez évoqué. Votre question couvrait beaucoup de matière. Permettez-moi d’y répondre en trois temps.
Premièrement, en ce qui concerne le gouvernement, je pense que nous jouissons d’un excellent environnement d’affaires, qui se classe au deuxième rang mondial après Hong Kong. D’importants facteurs habilitants, comme nos réseaux logistiques et le transport ferroviaire et aérien transfrontalier, sont essentiels. Le gouvernement a également un rôle crucial à jouer en finançant l’innovation. Je ferais remarquer que les États-Unis jouent ce rôle bien mieux que le Canada en utilisant les marchés de l’armée et du gouvernement pour encourager l’innovation. Nous pourrions tenir une séance entière sur ce sujet seulement. Je me contenterai de dire que l’environnement commercial et fiscal est très favorable au Canada.
Deuxièmement, pour ce qui est des entreprises, elles doivent avoir comme stratégie d’aller là où se trouve leur clientèle et donc accroître leurs activités au Canada. Nous avons vu, dans des conditions économiques mondiales incroyablement difficiles, l’empreinte de notre industrie des services financiers s’élargir rapidement pour faire croître des marchés, et ce, tant pour les banques que pour les assurances. C’est une réussite remarquable. Évidemment, il faut pour cela augmenter l’empreinte au Canada, mais aussi aller là où se trouvent les clients, en Inde, en Indonésie, en Amérique latine et en Amérique du Sud.
Troisièmement, c’est un monde d’associations. Je peux vous assurer que notre rôle consiste à collaborer avec nos membres et avec le gouvernement pour leur faire connaître les occasions qui se présentent.
Par exemple, sachez que nous avons un partenariat avec le Conseil commercial Canada-Chine et le Forum des PDG Canada-Inde, dont nous faisons partie, afin de tenter de faire connaître les occasions qui s’offrent aux Canadiens sur ces marchés en expansion. Ici encore, quand il est question du Canada, je pense que la complaisance est notre pire ennemie et la fragmentation, malheureusement, notre plus grand problème. Il faut que le gouvernement, les entreprises et les associations collaborent avec des institutions comme Exportation et développement Canada afin que nous exploitions tous le savoir-faire les uns des autres.
Le sénateur Downe: Merci de cette réponse. Mais pour revenir à nos moutons, vous disposez d’un imposant service de recherche.
Mme Campbell: Non. Au Conseil canadien des chefs d’entreprise, c’est moi qui s’occupe de la question en ce qui concerne le commerce.
Le sénateur Downe: Je pensais que vous dirigiez tout un service, avec tout le travail que vous faites. Ainsi, la Chambre de commerce, dans le document Un point tournant, a décelé le problème et a affecté des gens pour s’en occuper. Vous n’avez pas de document indépendant semblable, n’est-ce pas?
Mme Campbell: Je connais l’excellent document de la chambre intitulé Un point tournant. Pour notre part, nous avons réalisé des études portant sur des marchés précis, comme la Chine et l’Inde, et avons commandé une étude sur la proposition de libéraliser unilatéralement le commerce au Canada, notamment sur la gestion de l’approvisionnement. Lors d’une discussion sur le commerce avec un comité, j’aime toujours entendre le mot « consommateur ». Le prix que les consommateurs paient en bout de ligne nous aide à être concurrentiels et attrayants, et à avoir un marché où le niveau de vie est élevé et qui repose certainement sur le libre-échange.
Je pense qu’il est également important de parler des tarifs. Ces derniers sont essentiellement une taxe, un prix supplémentaire que le gouvernement impose sur un produit et que l’entreprise refile finalement au consommateur. Je m’étonne qu’une économie avancée comme le Canada, qui est capable d’imposer ou de taxer les entreprises, la consommation et les particuliers, applique encore le moindre tarif. Il continue de verser au Trésor de 3 à 5 milliards de dollars annuellement en imposant aux produits une taxe qui les rend plus chers pour les consommateurs.
Voilà le genre de problèmes qui se posent. S’il y a un problème précis, l’excellent rapport de la chambre traite également de la promotion du commerce et de la reconstitution du comité consultatif du ministre du Commerce. C’est une autre proposition, par exemple, que le Conseil canadien des chefs d’entreprise appuierait sans réserve.
La présidente: Merci. Nous n’avons plus de temps ou d’intervenants.
J’aimerais remercier M. Kirke, Mme Campbell et M. Stanford de leur contribution à notre évaluation du projet de loi C-41.
Je devrais indiquer aux fins du compte rendu que le comité continue d’étudier les questions relatives au commerce international, que ce soit du point de vue géographique ou concernant des questions précises, et nous entendons conserver cette approche. Certaines des questions plus larges que vous avez soulevées sont très utiles dans le cadre de notre étude continue. Nous vous remercions tous de votre contribution aujourd’hui.
Mesdames et messieurs, nous suspendons la séance pour cinq minutes.
(La séance est suspendue.)
(La séance reprend.)
Mesdames et messieurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international reprend sa séance. Nous poursuivons notre étude du projet de loi C-41.
Plaît-il au comité de procéder à l’examen article par article du projet de loi C-41, Loi portant mise en œuvre de l’Accord de libre-échange entre le Canada et la République de Corée?
Des voix: Oui.
La présidente: L’étude du titre est-elle réservée?
Des voix: Oui.
La présidente: L’article 1, qui contient le titre abrégé, est-il réservé?
Des voix: Oui.
La présidente: Le comité convient-il de regrouper des articles?
Des voix: Oui.
La présidente: Les articles 2 à 10 sont-ils adoptés?
Des voix: Oui.
La présidente: Les articles 11 à 20 sont-ils adoptés?
Des voix: Oui.
La présidente: Les articles 21 à 30 sont-ils adoptés?
Des voix: Oui.
La présidente: Je n’entends aucun avis contraire. Les articles 31 à 40 sont-ils adoptés?
Des voix: Oui.
La présidente: Les articles 41 à 50 sont-ils adoptés?
Des voix: Oui.
La présidente: Les articles 51 à 60 sont-ils adoptés?
Des voix: Oui.
La présidente: L’article 61 est-il adopté?
Des voix: Oui.
La présidente: L’annexe 1 est-elle adoptée?
Des voix: Oui.
La présidente: L’annexe 2 est-elle adoptée?
Des voix: Oui.
La présidente: L’article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?
Des voix: Oui.
La présidente: Le titre est-il adopté?
Des voix: Oui.
La présidente: Le projet de loi est-il adopté?
Des voix: Oui.
La présidente: Plaît-il au comité que je fasse rapport du projet de loi non amendé au Sénat?
Des voix: Oui.
La présidente: Merci, sénateurs. Nous déposerons le rapport au Sénat. Nous reprendrons la semaine prochaine notre étude, sur le Canada, les États-Unis et le Mexique avec des témoins. Merci sénateurs. La séance est levée.
(La séance est levée.) |