LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
OTTAWA, jeudi 25 septembre 2014
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour étudier le potentiel d’accroissement du commerce et de l’investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, y compris dans les secteurs de croissance clés des ressources, de la fabrication et des services; les mesures fédérales nécessaires à la réalisation des possibilités cernées dans ces secteurs clés; les possibilités d’intensifier la collaboration au niveau trilatéral.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous poursuivons aujourd’hui notre étude sur le potentiel d’accroissement du commerce et de l’investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, y compris dans les secteurs de croissance clés des ressources, de la fabrication et des services, les mesures fédérales nécessaires à la réalisation des possibilités cernées dans ces secteurs clés; les possibilités d’intensifier la collaboration au niveau trilatéral.
Nous avons entrepris notre étude hier avec d’excellents témoins qui nous ont donné beaucoup d’information ainsi que leurs points de vue sur notre relation avec le Mexique et sur le trilatéralisme. Aujourd’hui, c’est avec plaisir que nous accueillons M. Eric Miller, vice-président, Politique, innovation et compétitivité, au Conseil canadien des chefs d’entreprise; et M. Christopher Sands, agrégé supérieur de recherches à l’Institut Hudson.
Messieurs, je vous souhaite la bienvenue. Vous connaissez bien les comités du Sénat et de la Chambre et vous savez que les déclarations brèves sont très appréciées et qu’une période de questions suivra vos exposés. Bienvenue à tous. Qui commence? Monsieur Miller. Nous allons suivre l’ordre dans lequel vous êtes inscrits sur la liste.
Eric Miller, vice-président, Politique, innovation et compétitivité, Conseil canadien des chefs d’entreprise : Madame la présidente, je vous remercie beaucoup de nous avoir invités à comparaître aujourd’hui.
Tout d’abord, sachez que le Conseil canadien des chefs d’entreprise est une organisation sans but lucratif et non partisane composée des PDG des plus importantes entreprises canadiennes. Les sociétés membres gèrent collectivement 6 billions de dollars en actifs, sont responsables de la vaste majorité des exportations canadiennes et des investissements étrangers directs, et s’intéressent vivement à ce dossier.
L’avenir de l’Amérique du Nord est crucial pour nos membres. Presque tous nos membres font des affaires aux États-Unis, et bon nombre d’entre eux mènent des activités importantes au Mexique. Les chaînes d’approvisionnement qui sous-tendent le continent nord-américain ont créé de grandes richesses ces 20 dernières années, mais nous avons encore beaucoup de travail à faire si nous voulons poursuivre dans la même foulée.
Pour vous mettre en contexte, sachez qu’il y a un vigoureux débat opposant le bilatéralisme et le trilatéralisme. Je ne crois pas qu’on ait à faire un tel choix. Ne vaut-il pas mieux adopter le principe de la subsidiarité, selon lequel les pays d’Amérique du Nord feront les choses là où il est logique de le faire? La relation Canada-États-Unis est profonde, complexe et ne date pas d’hier, tout comme la relation États-Unis-Mexique. La relation Canada-Mexique s’est intensifiée, mais elle pourrait être nettement plus profonde. Compte tenu de nos chaînes d’approvisionnement intégrées, notre territoire géographique commun, nos réserves énergétiques abondantes et nos synergies économiques régionales, il y a un vaste éventail de questions que nous pourrions mieux régler, que ce soit en totalité ou en partie, de manière trilatérale.
En premier lieu, je vais vous parler de la relation entre le Canada et les États-Unis. Avec ses 318 millions d’habitants sur notre flanc sud et son économie dynamique, les États-Unis seront toujours notre plus important partenaire. C’est en quelque sorte la géographie qui l’impose.
Toutefois, les États-Unis sont un pays à forte intensité de main-d’œuvre où il est compliqué de faire avancer les choses. Sans parler de ses dimensions, ce qui nous distingue des États-Unis, c’est la séparation des pouvoirs. La Maison-Blanche et le Congrès se livrent des batailles, tout comme le gouvernement fédéral et les États, et il y a beaucoup de gens qui influencent les décisions. Par conséquent, pour que le Canada réussisse dans ce marché, il doit avoir un réseau de représentants dotés de suffisamment de ressources partout au pays. Ils développent de nouveaux débouchés commerciaux et se dressent contre un grand nombre de mesures protectionnistes; il est donc très important d’avoir une présence sur le terrain.
Il faut également savoir ce qui se dit sur la relation bilatérale ces jours-ci. Cela se résume à Keystone XL, à l’esplanade douanière de Détroit et à l’étiquetage du pays d’origine. Même si le Canada doit travailler fort pour obtenir des résultats favorables dans ces dossiers, il ne faut pas les laisser définir toute la relation.
Un secteur clé dans lequel nous avons beaucoup collaboré et pouvons continuer de le faire est assurément la frontière. C’est un secteur essentiel, et notre organisation considère qu’il est fondamental d’achever le Plan d’action Par-delà la frontière, y compris l’accord relatif au prédédouanement, et de rendre permanentes, si je puis dire, les initiatives pilotes de facilitation des échanges commerciaux. Dans ce contexte, on prend ce qui fonctionne et on l’applique de façon générale.
N’empêche que les États-Unis se sont montrés très intéressés par la version 2.0 du Plan d’action Par-delà la frontière, et c’est quelque chose dont nous devrions nous réjouir, puisque nous pourrions mettre en place la version 1.0 tout en planifiant la version améliorée. Est-ce possible? Nous pouvons bien mâcher de la gomme en marchant.
Dans la version 2.0, nous devrions faire preuve d’audace. Par exemple, nous pourrions réinventer la sécurité du fret en exemptant de toute pénalité douanière les firmes qui déploient des technologies de surveillance et des méthodes d’analyse de mégadonnées dans leurs chaînes d’approvisionnement. Bref, elles savent ce qui se passe au sein de leurs chaînes d’approvisionnement, elles en font part au gouvernement et elles sont un partenaire de confiance en matière de sécurité, alors pourquoi revenir cinq ans plus tard et leur imposer des amendes administratives de l’ordre de 5 millions de dollars pour une erreur administrative? Si elles sont des partenaires en matière de sécurité, il faut les traiter comme tels.
Par ailleurs, il faudrait avoir davantage recours au dédouanement sur place dans le cas des installations à volume élevé. Si vous avez une installation importante, pourquoi ne pas y affecter des douaniers? Je pense entre autres à des entreprises comme FedEx à Memphis; l’entreprise paye pour des douanes américaines sur place.
Nous avons besoin d’un conseil consultatif en matière de facilitation des échanges commerciaux. Tout au long de ma carrière, j’ai passé tellement de temps à m’entretenir avec des experts en commerce, qui se plaignent toujours qu’une telle ou telle mesure entrave indûment le flux du commerce. Il faudrait donc désigner des gens qui examineraient toutes ces règles techniques et qui détermineraient si nous sommes sur la bonne voie, et si ce n’est pas le cas, on interviendrait. On n’en est pas encore au niveau du règlement des différends, mais lorsque la plomberie fait défaut, c’est toute la maison qui s’en ressent.
Je proposerais également de réunir des spécialistes des frontières et des finances qui pourraient envisager d’autres façons de payer les infrastructures frontalières qui n’ont pas la forme de droits ou de crédits. Nous avons beaucoup innové dans ce domaine au cours des 30 dernières années, alors il faudrait peut-être miser sur cette innovation lorsqu’il s’agit des frontières.
Si on regarde notre relation avec le Mexique — et je suis allé au Mexique en juin dernier —, je considère le leadership du président Peña Nieto comme étant visionnaire. Le Mexique est devenu l’une des économies les plus dynamiques, et ses réformes énergétiques sont réelles et entraîneront des retombées économiques importantes à long terme. Le Mexique a un secteur manufacturier fort parce qu’il jouit d’un environnement politique favorable et d’un réseau de transport efficace et que ses coûts sont 4 p. 100 inférieurs à ceux de la Chine.
Si on prend les IED, le stock d’investissement étranger direct au Canada oscille autour de 5 milliards de dollars. Le stock d’investissement étranger direct au Mexique s’élève à moins de 150 millions de dollars. Même si les firmes mexicaines s’internationalisent de plus en plus, elles ne viennent pas au Canada autant qu’elles le pourraient.
Pourquoi a-t-on cette relation à sens unique? Cette unilatéralité est attribuable au fait que les Mexicains nous facilitent les choses alors que nous les leur compliquons. Le visa, que le Canada a introduit en 2009, a nui à notre relation avec le gouvernement mexicain et les dirigeants du secteur privé et a miné l’image de marque du Canada. Je crois que s’il veut renforcer ses liens économiques avec le Mexique, le gouvernement du Canada n’a d’autre choix que d’éliminer le visa.
J’ai souvent entendu des histoires de gens d’affaires mexicains qui n’ont pas pu venir au Canada en raison des longs délais. Supposons qu’une personne vous appelle le lundi et veut vous rencontrer le jeudi pour conclure une entente; elle n’aura pas son visa à temps. C’est donc une mesure qui nous nuit. Personnellement, je considère qu’on laisse d’importantes sommes d’argent — autrement dit, des échanges commerciaux et des investissements — sur la table dans un marché en pleine croissance, et ce, pour défendre un instrument politique non ciblé. Il y a sûrement un meilleur moyen de répondre aux préoccupations que nous pourrions avoir en matière de sécurité à l’égard d’un pays de 117 millions d’habitants.
Enfin, il y a la relation trilatérale. Les dirigeants se sont engagés à Toluca, en février dernier, à établir une feuille de route sur la compétitivité régionale, et il reste encore beaucoup à faire. Nous avons proposé que le Canada adhère à la Banque nord-américaine de développement et travaille aux côtés des États-Unis et du Mexique pour faire de cette petite institution, qui finance principalement des projets environnementaux de part et d’autre de la frontière, une véritable banque nord-américaine spécialisée en infrastructures. Si je peux me permettre, j’ai même sermonné quelques amis à Transports Canada sur le fait que ce serait un bon endroit où obtenir 250 millions de dollars pour une esplanade douanière, mais je m’écarte du sujet.
On nous parle souvent de la difficulté de faire entrer des gens au Canada dans le cadre d’une formation. Les entreprises devraient être en mesure de soumettre une liste des personnes qu’elles souhaiteraient former et d’obtenir une réponse en moins de cinq jours. La formation est bénéfique pour l’économie et pour la collectivité, et il est extrêmement difficile de faire entrer des gens au Canada et dans d’autres pays d’Amérique du Nord à des fins de formation. Nous devons également mettre à jour la liste des professionnels de l’ALENA. Le Canada devrait prendre l’initiative et convoquer une réunion du Groupe de travail sur l’admission temporaire, qui est plutôt inactif.
En terminant, permettez-moi de parler d’un secteur qui me tient à cœur, le secteur de l’automobile. Selon le Center for Automotive Research du Michigan, une cargaison de 4 000 véhicules assemblés en dehors de l’Amérique du Nord n’est soumise qu’à une seule inspection à la frontière. En revanche, si ces 4 000 véhicules sont assemblés en Amérique du Nord, compte tenu des nombreux mouvements frontaliers, ces mêmes véhicules font l’objet de 28 000 inspections douanières, et on estime à quelque 800 $ par véhicule les coûts de conformité qui y sont associés.
L’an prochain marquera le 50e anniversaire du Pacte de l’automobile. Le Canada et les États-Unis ont besoin d’une nouvelle entente sur la compétitivité relativement au Pacte de l’automobile d’aujourd’hui. Pour ce faire, ils devraient examiner l’ensemble du secteur en vue d’établir des partenariats avec les constructeurs et les fournisseurs d’automobiles et d’utiliser les progrès technologiques afin d’obtenir des coûts de conformité pour les véhicules assemblés en Amérique du Nord qui s’apparentent à ceux des importateurs. L’industrie de l’automobile au Canada sera confrontée à d’importantes difficultés à l’avenir — et elle l’est déjà —, si nous n’arrivons pas à minimiser les répercussions à la frontière. Misons donc sur le trilatéralisme à cet égard.
Christopher Sands, agrégé supérieur de recherches, Institut Hudson, à titre personnel : C’est un honneur d’être ici aujourd’hui, non seulement parce que je suis avec mon ami Eric Miller, qui est exceptionnel et que j’adore écouter, étant donné que j’en apprends beaucoup chaque fois, mais aussi parce que j’ai grandi à Détroit. Le sénateur Demers est une véritable légende dans ma famille. Je pense même que mes parents l’aiment plus que moi. Ils seraient d’ailleurs très emballés de savoir que je respire le même air que lui en ce moment.
Le sénateur Demers : Merci, monsieur.
M. Sands : J’ai eu l’occasion de m’adresser au comité auparavant, notamment lorsque vous êtes venus à Washington, D.C. Je suis en ville à l’occasion de la Borders in Globalization Conference, organisée par l’Université Carleton et l’Université d’Ottawa — qui est financée par le CRSH, c’est-à-dire l’argent des contribuables —, dont le but est d’établir un réseau de gens pour discuter des moyens de surmonter les obstacles que sont devenues les frontières, que ce soit au Canada, aux États-Unis et au Mexique. Cela m’a donc permis d’être ici aujourd’hui.
Il y a environ 20 ans, à l’époque où on négociait l’ALENA, j’obtenais mon diplôme en études canadiennes de la School of Advanced International Studies de l’Université Johns Hopkins. Je m’intéressais vivement à l’économie politique canado-américaine et, comme j’étais originaire de Détroit, ce choix m’a semblé logique. Dès la fin de mes études, je me suis joint au Center for Strategic and International Studies, où j’ai vite réalisé que j’allais devoir en apprendre énormément sur le Mexique. Avec l’entrée en vigueur de l’ALENA, je me disais que le Mexique allait désormais jouir d’une place à la table des négociations et que l’Amérique du Nord allait prendre un nouveau tournant. Il fallait que je me renseigne sur la situation du Mexique, même si je croyais bien connaître le Canada et les États-Unis. Ils allaient influencer la relation.
Toutefois, j’ai été très surpris de voir à quel point cela n’a pas été le cas. Le modèle de l’ALENA, censé être un triangle équilatéral, selon lequel trois pays souverains s’unissent pour gouverner l’économie politique, s’est plutôt révélé être un triangle isocèle, avec les États-Unis au sommet de deux longues et profondes relations avec le Canada et le Mexique, et au bas du triangle, la relation Canada-Mexique, qui ne s’est pas développée comme nous l’avions prévu il y a 20 ans.
Il faut d’abord se poser quelques questions. Premièrement, pourquoi les États-Unis s’en soucieraient-ils? Après tout, ils sont au sommet du triangle isocèle; ils sont rois et maîtres. Dans ce contexte, pourquoi se préoccuperaient-ils de la relation Canada-Mexique? Deuxièmement, pourquoi le Mexique voudrait-il améliorer sa relation avec le Canada, et troisièmement, pourquoi le Canada souhaiterait-il établir de meilleurs rapports avec le Mexique? Je vais essayer d’aborder certains de ces éléments, mais je vais m’inspirer grandement de ce qu’a dit Eric à propos des perspectives économiques et parler des avantages psychoculturels géostratégiques que cette relation a à offrir.
Tout d’abord, sachez que si les États-Unis préconisaient une approche trilatérale pour l’Amérique du Nord, ce n’est pas parce qu’ils ignoraient les différences entre le Canada et le Mexique. Nous savons que vous êtes à deux endroits différents, mais nous voulons justement réduire les écarts afin que nous soyons tous au diapason. Toutefois, nous ne voulons pas nous en remettre au plus petit dénominateur commun et abaisser le Canada au niveau du Mexique, bien que cela se produise parfois à la frontière, mais plutôt améliorer la situation du Mexique, de sorte qu’il fasse partie des pays développés et qu’il joue un rôle au même titre que les deux autres pays d’Amérique du Nord. La tâche est ardue.
L’Accord de libre-échange nord-américain prévoyait la mise en place d’une série de groupes de travail qui n’allaient pas se limiter à la réduction des droits de douane — le marché commun, le marché unique nord-américain. Les groupes de travail trilatéraux composés de fonctionnaires et de hauts fonctionnaires devaient harmoniser les normes relatives à la réglementation et à l’inspection des activités économiques, de façon à ce que les produits puissent être expédiés partout en Amérique du Nord, étant conformes à toutes les normes.
Ces groupes de travail de l’ALENA n’ont pas donné les résultats escomptés puisque nous avons signé l’ALENA de la même façon que vous avez ratifié l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Cela a laissé un goût amer dans la bouche de nombreux politiciens, mais pire encore, les fonctionnaires étaient terrifiés à l’idée d’éliminer les obstacles au commerce avec le Mexique, de peur que Ross Perot vienne les chercher. C’était important. La structure des groupes de travail de l’ALENA qui était prévue n’a donc jamais vu le jour.
Vinrent ensuite les attentats du 11 septembre, qui nous ont obligés à dresser des obstacles de part et d’autre des frontières, des obstacles qui n’avaient jamais existé auparavant. Je ne veux pas trop insister là-dessus, mais ces barrières ont fait en sorte de limiter l’accès au marché pour les Canadiens et les Mexicains, le marché américain que vous aviez négocié dans le cadre de l’ALENA et de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, et vous deviez désormais répondre à de nouvelles exigences en matière de sécurité. On vous a imposé un nouveau fardeau qui a alourdi davantage les coûts de conformité pour toutes les entreprises, petites et grandes. Il était devenu plus difficile et coûteux d’avoir accès au marché américain, et cela a découragé un grand nombre de petites et moyennes entreprises de faire des affaires à l’échelle internationale, particulièrement avec les États-Unis.
Pendant son deuxième mandat, le président Bush, le premier ministre Martin et le premier ministre du Mexique, Vicente Fox, se sont réunis au Texas pour lancer le Partenariat nord-américain pour la sécurité et la prospérité. Vingt groupes de travail, encore une fois composés de fonctionnaires, étaient chargés d’harmoniser les normes en matière de sécurité et d’économie en vue de créer un marché unique, un travail que nous avions commencé 10 ans plus tôt, mais qui n’est toujours pas achevé.
Le partenariat n’a pas fonctionné. Il était pourtant bien pensé. Il comprenait des sommets annuels. Nous en organisons encore aujourd’hui, et c’est une bonne chose, mais le partenariat n’a tout simplement pas donné les résultats escomptés. C’est en quelque sorte la goutte qui a fait déborder le vase aux yeux des gens qui s’inquiétaient de la mondialisation et de ses effets sur leur prospérité.
Lorsque le président Obama est arrivé au pouvoir, il s’est de nouveau penché sur ce dossier. En partie à cause de l’ambivalence du Canada et du Mexique quant à une approche trilatérale, les deux côtés considérant qu’on a, à un certain moment, fait fi de leurs enjeux respectifs, nous avons adopté ce qui est devenu une approche double et bilatérale entre le Canada et les États-Unis et les États-Unis et le Mexique, sur le plan des frontières, de la réglementation et même de l’énergie verte. Dans ce contexte, les États-Unis semblent doublement concernés, et ce sont les mêmes fonctionnaires qui doivent mettre les bouchées doubles pour gérer ces dossiers.
Dans l’esprit des Américains, le but est la convergence, parce que nous essayons de créer un marché unique, un marché commun auquel nous participons tous, même si c’est un régime à deux vitesses. Ce qui est difficile pour nous, dans cet environnement, c’est que tout nous ramène au trilatéralisme, mais la raison pour laquelle le trilatéralisme est un échec, c’est que les États-Unis ont beau entretenir des liens profonds avec leurs voisins, le Canada et le Mexique ne se font pas confiance.
Pourquoi serait-ce important pour le Mexique? Après tout, on leur accorde un peu plus d’attention. C’est comme s’ils étaient l’enfant à problèmes qui fréquente les centres de détention alors que vous êtes l’étudiant qui obtient toujours des A. Pourquoi voudrait-il avoir une meilleure relation avec vous? Comme Eric en a parlé, le Mexique est sur la voie de la réforme. Les Mexicains ont perçu l’ALENA comme leur chance de faire partie des pays industrialisés et de croître, et c’est ce qui s’est produit. Ils ont maintenant une classe moyenne aussi imposante que toute la population canadienne, ce qui n’est pas rien, et c’est une classe moyenne conforme aux normes de l’OCDE; pas seulement aux normes locales. Ils ont maintenant une économie prospère.
À l’instar du Canada, le Mexique jouit de ressources pétrolières, mais il est en train de les épuiser et il a besoin de technologie s’il veut continuer à les exploiter. En même temps, comme toute société de classe moyenne, ils ont des goûts et des besoins de consommation qui ne sont pas très différents des nôtres, même s’ils ont une saveur espagnole. Ils doivent améliorer leur système d’éducation, ainsi que leur secteur de la fabrication, de sorte que les industries de l’automobile, de l’aéronautique et de l’agroalimentaire demeurent concurrentielles. Leur saison de récolte est plus longue qu’aux États-Unis, et assurément plus longue qu’au Canada, mais ils doivent produire des aliments qui respecteront nos normes nord-américaines en matière de sécurité et d’hygiène, ce qui veut dire qu’ils ont beaucoup à apprendre du Canada, non seulement sur le plan commercial, mais aussi sur les plans de l’éducation, de la technologie et de la prestation de services.
Je n’ai pas besoin de vous le dire, mais je vais le faire quand même; bien que la vie, la liberté et la poursuite du bonheur soient de grandes aspirations, le Canada a compris, au moment de sa fondation, que la paix, l’ordre et la bonne gouvernance étaient essentiels. Le Mexique a besoin de ces trois éléments. Il a besoin de paix, d’ordre et de primauté du droit. Il pourrait l’apprendre s’il s’associait au Canada. Je pense que ce serait une occasion en or pour le Mexique s’il peut réellement améliorer ses liens avec le Canada.
En même temps, vous seriez surpris de voir comment il vous considère, parce qu’au fond, il se retrouve coincé à côté d’un immense voisin qui ne lui accorde pas suffisamment d’attention et le comprend plus ou moins. Alors que nous célébrons cette année le 200e anniversaire du Traité de Gand, qui a mis fin à la guerre de 1812, que le gouvernement Harper veillera à ce que personne n’oublie, nous n’en sommes pas encore au centenaire du retrait des troupes américaines, en 1917, au milieu de la révolution du Mexique, duquel nous sommes partis simplement parce que nous devions déployer nos troupes en Europe pour qu’elles participent à la Première Guerre mondiale, où nous sommes évidemment arrivés en retard et où nous avons pris tout le mérite. Quoi qu’il en soit…
Le sénateur Dawson : Vous avez vu le film.
M. Sands : Oui. Le problème, autant pour le Canada que pour le Mexique, ce sont les rapports complexes et conflictuels qu’ils entretiennent avec les États-Unis. N’empêche que pour le Mexique, les blessures sont encore fraîches. L’anxiété est plus intense, et l’asymétrie qui les fait sentir comme le maillon faible est un sentiment que partagent non seulement les fonctionnaires, mais aussi les citoyens. Par conséquent, ses relations doivent mûrir, et le Mexique doit apprendre à gérer tout cela, comme vous l’avez fait. Vous n’avez pas abandonné la moitié de votre territoire lors d’une invasion. Vous avez négocié en personne à la frontière, et vous avez conservé le 49e parallèle. Vous n’avez pas toujours eu besoin d’intervenir. Vous avez su garder votre dignité, non seulement avec le contrepoids britannique, mais aussi plus tard en tant que fier partenaire. Vous avez montré la voie à suivre avec le Traité des eaux limitrophes : les Américains peuvent emboîter le pas si vous les traitez comme un égal et insistez pour qu’ils fassent de même. C’est ce dont le Mexique a besoin. De la part des États-Unis et du Canada. Les rapports doivent être marqués par le respect mutuel et la confiance, et ce n’est pas le cas ici. Il faut du temps pour les gagner.
Selon moi, le Canada pourrait tirer parti de meilleures relations avec le Mexique, si le triangle isocèle de l’Amérique du Nord, qui fait en sorte que les Américains sont rois et maîtres et qui, un jour ou l’autre, conduira à l’américanisation du Canada, revient au modèle équilatéral où le Canada, le Mexique et les États-Unis sont sur un pied d’égalité et travaillent ensemble à la création d’un seul marché nord-américain. À mon avis, au moyen de politiques, le comité peut encourager tous les échanges possibles, notamment dans le domaine de l’éducation, les liens de la chaîne d’approvisionnement, les rencontres entre associations commerciales et professionnelles, le tourisme, et tout ce qui peut réunir des gens en vue d’établir une relation fondée sur la confiance et la compréhension mutuelle à partir de laquelle naîtra le respect et, j’en suis convaincu, une meilleure Amérique du Nord pour nous trois.
La présidente : Merci. Vos deux exposés étaient fort intéressants, et vous avez suscité les questions que j’espérais. Avant d’enchaîner avec la période de questions, monsieur Miller, on m’a dit qu’une conférence se tiendra les 30 et 31 octobre à Toronto. Votre organisation y présentera un document renfermant une série de propositions axées sur l’action à l’égard de la compétitivité nord-américaine. Auriez-vous un document provisoire à nous fournir?
M. Miller : Madame la présidente, je dois être honnête. Je l’ai remis lundi dernier, et il fait actuellement l’objet d’une révision. Nous veillerons à ce que vous le receviez rapidement.
La présidente : D’accord. C’est un document qui pourrait se révéler extrêmement utile dans le cadre de notre étude.
M. Miller : Il comprend 35 recommandations précises et quelques voies à suivre pour y parvenir. Vous le recevrez très bientôt.
La présidente : Nous aurions dû attendre que vous ayez le document avant de vous faire témoigner devant le comité.
M. Miller : Je vous ai donné un aperçu des éléments clés du document. Nous estimons qu’il est très important de passer de la vision à l’action et d’exposer des propositions précises. Il ne faut pas se contenter de dire que nous devrions renforcer la confiance et le commerce, mais plutôt dire : voici comment on doit s’y prendre.
Le sénateur Dawson : J’ai dû vérifier en quoi consistait un triangle isocèle. On dit que ce triangle garde la même taille même si on change la longueur d’un de ses côtés. Il faudrait donc trouver des moyens de le grossir. Comment pouvons-nous accroître nos liens commerciaux avec le Mexique, évidemment, mais aussi nous assurer que, malgré les obstacles dont vous parlez, notamment les attentats du 11 septembre, que notre relation commerciale avec les États-Unis continue de se développer au même rythme qu’avant? Il y a une croissance, certes, et je pense qu’on peut en être satisfaits, mais cela n’a rien à voir avec la période précédant la tragédie du 11 septembre. L’Europe et les autres États au sud du Mexique sont plus concurrentiels, ce qui nous oblige à nous tourner vers l’Asie et l’Afrique. Comment revenir à notre plus important marché, qui est le marché américain? Comment pouvons-nous le faire croître en collaboration avec les Mexicains? Comment nous assurer que nous avons bien un partenariat d’égalité? Comment amorcer un dialogue avec le Mexique, sans que les Américains soient à la table, sans que ce soit toujours trilatéral?
M. Sands : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. J’ai quelques brèves observations à cet égard. Tout d’abord, ce n’est pas comme sous l’Empire britannique où le commerce suivait le drapeau, c’est-à-dire où les Britanniques donnaient le ton et tout le monde suivait — on aurait plutôt tendance à renverser la formule en Amérique du Nord. Les entreprises ont pavé la voie et les gouvernements facilitent les échanges commerciaux. Il est intéressant de constater que les grandes entreprises qui ont les reins solides se sont implantées au Mexique. Notre secteur de l’automobile s’y est établi. Bombardier y construit des avions. Nous y trouvons des entreprises importantes et des banques, entre autres.
Lorsque nous avons signé l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis ainsi que l’ALÉNA, nous avons donné un bon coup de main aux petites et moyennes entreprises, et le Canada et les États-Unis regorgent tous deux de petites et jeunes entreprises et de petits commerces familiaux qui bénéficient du tourisme mais qui, en principe, ne font pas vraiment d’échanges ni de déplacements. Je pense que ces entreprises ont beaucoup souffert des événements du 11 septembre, parce qu’il est devenu plus difficile de voyager. Il est difficile pour eux de faire traverser des expéditions d’UPS ou de FedEx, et il y a tous les coûts liés à la paperasse, de même que le risque que s’ils montent à bord d’un avion avec la mauvaise chose dans leur valise, les Américains les jettent en prison. Ces risques accrus ont donc eu un effet néfaste sur les entrepreneurs qui caractérisent notre société. Autant que j’aime GM et les grandes entreprises, je crois qu’il faut porter une attention particulière aux petites entreprises.
Cependant, une partie de l’activité échappe à nos statistiques, ce qui m’amène, néanmoins à vous laisser ce court message d’espoir, parce qu’il est d’un maniaque qui en vit et en mange, ce que je suis. L’un des défauts de nos données sur les échanges commerciaux est de n’enregistrer que le pays d’entrée. Une bonne partie de nos échanges avec l’Amérique du Nord, qui se font par camion et chemin de fer, est comptabilisée dans nos échanges avec les États-Unis, dans le commerce canado-américain. Mais les marchandises poursuivent leur route et aboutissent au Mexique.
L’administration Obama, contrairement à celle de George W. Bush, est obsédée par les données. C’est en partie, je crois, parce que le président a gagné ses élections grâce aux données massives, que cette administration adore, mais je crois que nous pouvons vraiment, grâce aux manifestes électroniques de la plupart des expéditions de marchandises, grandes et petites, même des envois par FedEx, exploiter ces données et se faire une idée plus nuancée de nos débouchés, des lieux de destination des voyageurs et de prestation des services, mais aussi de la destination des marchandises.
Un camion de marchandises qui en livre une partie dans trois ou quatre villes peut surtout se rendre à St. Louis. Pourtant, nous devons réviser l’importance du Missouri pour le commerce canadien. Je pense que nous pouvons embellir considérablement cette description. Quand on a commencé à s’apercevoir que les États du Mexique étaient vraiment bien disposés à l’égard des entreprises canadiennes et qu’ils offraient des débouchés vraiment prometteurs…, mais c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons insisté sur l’éducation, le tourisme et les associations professionnelles. Je pense que c’est le moyen d’amener les PME au Mexique, aux États-Unis, pour rétablir les liens d’amitié et de confiance qui permettent de brasser ensemble des affaires parce, d’après moi, c’est l’aspect qui a vraiment souffert de l’obsession sécuritaire qui a suivi le 11 septembre 2001.
Le sénateur Dawson : Comment devenir votre partenaire en essayant de résoudre le problème causé par le visa qu’on exige des Mexicains? Visiblement, le gouvernement avait des raisons d’agir ainsi. Maintenant il semble vouloir faire marche arrière. Nous allons produire un rapport sur cette question. Comment pouvons-nous devenir vos partenaires en essayant d’exercer des pressions pour accélérer le plus possible ce changement?
M. Miller : Vous possédez d’abord un énorme pouvoir de mobilisation. Vous pouvez donc poser beaucoup de questions à ce sujet et examiner le problème, mais je pense que, actuellement, le gouvernement cherche une sortie élégante. D’après moi, pour cela, il s’agit essentiellement de rassembler vos principaux dirigeants d’entreprise, vos élus, vos principaux conseillers du président, quelques autres catégories d’acteurs et des possesseurs de deux ou plusieurs visas au Canada, qui en sont revenus et leur faire dire qu’ils n’ont plus besoin de visa.
Ensuite, nous ferons le bilan pour déceler, le cas échéant, une brusque augmentation, par exemple, de 15 p. 100, du nombre de demandeurs d’asile par rapport à la situation initiale. Ce ne sera probablement pas le cas. Vous autoriserez alors l’entrée de ces personnes, puis vous vous adresserez aux détenteurs d’un visa et à un groupe plus nombreux. Il est indispensable de conseiller aux fonctionnaires de procéder de la sorte, parce que, d’après moi, le Mexique suscite par réflexe l’opinion selon laquelle le visa empêche le Cartel de Sinaloa de s’installer à Toronto. Il s’y trouve peut-être déjà. Mon étude économique m’amène à croire que…
Le sénateur Dawson : Dans le cabinet du maire.
M. Miller : Mon étude économique m’amène à croire que tout produit engendrant des profits de 17 000 p. 100 arrive à destination. Là n’est pas la question. Il s’agit d’abord d’établir clairement le processus de sécurisation exigé des Mexicains et de les interroger là-dessus. Ils réclament l’autorisation électronique de voyager. D’accord. Comment faire? Où en êtes-vous, exactement, dans le processus qui y conduit? Montrez-nous.
Dans nos discussions avec les fonctionnaires mexicains et aussi certains fonctionnaires canadiens, j’entends qu’il ne s’agit pas de ne plus exiger le visa du jour au lendemain, mais d’établir ce processus. Et, grâce à votre pouvoir de mobilisation, à votre capacité de poser des questions, de convoquer des témoins, vous pouvez leur demander de présenter ce processus de façon très précise et inciter les personnes compétentes à Citoyenneté et Immigration Canada, au Bureau du Conseil privé et au Cabinet du Premier ministre de dévoiler leur jeu.
Le président Peña Nieto est censé venir à Ottawa l’hiver prochain, en février, probablement, pour le Sommet des leaders nord-américains. Croyez-moi, si ce problème n’est pas réglé ce jour-là, la journée sera encore plus glaciale.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Je vous remercie, madame la présidente. En tout premier lieu, je tiens à vous remercier tous les deux pour vos présentations. C'était vraiment très dynamique et très intéressant. Ma première question est simple et vous y avez peut-être déjà répondu en partie.
Je suis surprise de voir qu'il y a encore des irritants liés à l’exportation vers les États-Unis. Est-ce que vous pouvez approfondir davantage la question de ces irritants qui dérangent les exportateurs et les compagnies qui font partie de votre groupe?
[Traduction]
M. Miller : Madame la sénatrice, en ce qui concerne les irritants liés aux déplacements vers les États-Unis, toute relation comportant autant d’échanges bilatéraux engendre des problèmes. En général, je pense que, si le libre-échange est exempt à 98 ou 99 p. 100 d’irritants, c’est pour toute entreprise humaine un excellent point de départ.
Ce que nous avons dit, toutefois, c’est que nous devons présenter un processus très précis et très dynamique pour réimaginer la sécurité des frontières et de la chaîne logistique, et c’est un véritable partenariat. L’agence des douanes et d’autres agences veulent des données et elles n’en ont pas assez. La situation actuelle et une partie des décisions plutôt arbitraires qu’elles prennent s’expliquent donc par un manque d’information.
Voilà pourquoi, par exemple, on a ce problème que beaucoup de marchandises pour lesquelles leur importateur légal ne sait vraiment rien de huit chaînons de leur chaîne logistique en Chine et pour lesquelles la déclaration légale faite à leur arrivée au port de Vancouver sur leur nature et leur origine se fonde sur des renseignements non créés et non vérifiés par lui.
De même, tout détenteur d’une carte NEXUS a rempli son profil. Nous devrions nous trouver comme dans la situation idéale où on dispose de renseignements dynamiques en temps réel, qu’on communique aux douanes. Elles seraient donc moins susceptibles de prendre des décisions arbitraires contre un voyageur régulier. Un mécanisme devrait aussi permettre à l’avocat général d’une société ou à son fondé de pouvoir de confirmer qu’un tel détient la carte NEXUS mais que, aussi, il se déplace pour telle raison, et il produit la justification légale. S’il s’agit de service après-vente, c’est légalement permissible sous le régime de l’ALENA, mais si un tel se présente à la frontière et affirme aller à son travail, il sera dans le pétrin.
Et c’est pourquoi nous devons trouver une façon d’exiger plus de données, de les communiquer de façon plus dynamique et, il faut bien le dire, enlever un peu moins de pouvoir discrétionnaire au processus de communication qui se déroule à la ligne d’inspection primaire. Quand on dispose de données transparentes, il est plus difficile de refuser l’entrée à des personnes et à des marchandises ou d’avoir besoin d’une ligne secondaire.
Il y aura toujours des irritants. Dans toute entreprise humaine, dans tout mariage, dans toute relation, il y en a toujours. Mais si, en fait, nous améliorons les données, si nous examinons les procédures, si nous faisons participer plus de gens au programme des Voyageurs fiables et si les programmes Voyageurs fiables et Négociants fiables en viennent à signifier quelque chose, nous aurons alors fait beaucoup pour neutraliser ces irritants.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Ma deuxième question, je l’avais posée hier en partie aux personnes qui ont comparu devant nous, et maintenant, vous représentez les compagnies qui font affaire avec les États-Unis et le Mexique. On sait que les économies asiatiques occupent désormais une place beaucoup plus importante au Canada. Est-ce que les compagnies que vous représentez ont tendance à vouloir commercer davantage avec les pays asiatiques ou européens, entre autres, et peut-être à délaisser les échanges avec les États-Unis et le Mexique?
[Traduction]
M. Miller : Voici l’ironie de la chose. On a cherché à savoir quelle était la voiture la plus américaine, par la valeur des pièces fabriquées et, en fait, c’est la Honda Accord, qui possède un contenu nord-américain de 87 p. 100.
Les rapports avec la Chine, le Japon, la Corée et le Partenariat transpacifique sont complexes, mais cela ne signifie pas que nous devions nous abstenir de commercer avec eux, et ce n’est pas tout l’un ou tout l’autre, mais pas les deux. Ces pays peuvent employer différentes approches, des chaînes logistiques différentes. Des études ont permis de déterminer que 25 p. 100 des exportations canadiennes vers les États-Unis avaient un contenu américain. Au Mexique, on parle de 40 p. 100. Les relations par la chaîne logistique sont donc plus profondes qu’elles ne le semblent. Pour le commerce entre les États-Unis et la Chine, on parle de 4 p. 100.
La proximité enrichit les rapports; mais les sociétés qui prennent pied dans le marché et qui investissent, comme Honda, qui possède une usine à Alliston, en Ontario, ou comme Toyota, qui possède un certain nombre d’installations à Cambridge, elles deviennent nord-américaines.
Dans le calendrier des négociations commerciales, l’accord bilatéral sur l’automobile, par exemple, que les États-Unis et le Japon négocient à l’intérieur du Partenariat transpacifique m’inquiète vraiment.
Le Congrès des États-Unis a déclaré que, au sens de la loi, une voiture américaine, ça n’existe pas. Elle porte l’indication « produit des États-Unis/Canada », ce qui est une reconnaissance de l’intégration de nos marchés. J’éprouve beaucoup de respect pour des amis que j’ai dans l’équipe américaine de négociateurs commerciaux, mais personne n’est infaillible. L’argument que nous avons énergiquement fait valoir était que si le Congrès reconnaît l’intégration de l’industrie, le Canada et le Mexique devraient être présents à la table de négociation pour au moins savoir ce qui s’y passe, parce que nous gagnons notre pain en Amérique du Nord. Les sociétés d’ailleurs peuvent s’établir et devenir nord-américaines et conduire des opérations très dynamiques sur le continent. Nous devrions les accueillir chaleureusement. Mais, en structurant nos relations, nous devons faire en sorte de ne pas nuire à ce que nous avons déjà construit ici, en Amérique du Nord.
M. Sands : Permettez-moi un petit commentaire, sur le plan des notions, parce que je suis d’accord avec Eric. Nous sommes toujours attirés par le nouveau, l’exotique, le stimulant, et l’Asie, c’est un marché nouveau, en croissance, qui sort d’une période troublée de dictatures brutales. C’est maintenant une société beaucoup plus ouverte. Et les marchés asiatiques recherchent nos produits : nos produits innovants, notre mode de vie avec tous ses attributs, les spectacles, les vidéos, les jeux d’ordinateur, tandis que les occasions de partenariat sont énormes.
Mais pour certains produits, particulièrement les produits manufacturés, on peut tout produire pour une population de 400 ou 500 millions. La mondialisation n’a pas fait disparaître les coûts de transport — peut-être pour les logiciels, mais pas pour les pondéreux. La population nord-américaine est nombreuse. Nous pouvons produire n’importe quoi. Nous n’avons pas à nous inquiéter du départ d’aucune de nos industries. Nous pouvons produire, parce que nous avons suffisamment de consommateurs pour que ça vaille la peine, tout comme en Europe, en Chine et en Inde.
Mais alors que l’Europe a déjà négocié des normes communes dans un marché unique, alors que la Chine constitue, comme l’Inde, un marché unique, ce n’est pas le cas de l’Amérique du Nord. Ce rêve d’un marché unique reste à réaliser. Il est donc parfois plus facile de commercer avec la Corée ou le Japon qu’avec le Mexique à partir du Canada et vice versa.
Telle est la logique de l’entreprise pour commercer davantage. Nous ne devrions pas nous y opposer. Nous ne devrions pas nous disputer avec elle si c’est ce qu’elle veut. Mais la politique doit intervenir pour examiner les entraves à l’entreprise dans nos marchés naturels, pour que nos entrepreneurs discernent les possibilités qui existent, peut-être grâce à un petit coup de coude de notre part, et qu’ils en profitent. Tout comme ces pays, qui veulent s’implanter en Amérique du Nord, à cause de la richesse de ses consommateurs avides de leurs produits, nous devrions vouloir occuper, nous aussi, notre marché nord-américain.
Le sénateur Tannas : Messieurs, merci d’être ici. On a déjà plus ou moins répondu à mes questions. Je ne suis pas membre en titre du comité et on a peut-être déjà posé la question, mais existe-t-il, entre le Mexique et les États-Unis, un programme comme celui des voyageurs fiables? Est-ce que cela ne pourrait pas former la base de la première vague de visas approuvés, dont nous n’avons plus besoin? Qu’en pensez-vous?
M. Sands : J’ai mon opinion et je sais qu’Eric ne sera pas en reste.
Le Canada et les États-Unis ont élaboré ensemble et très rapidement le programme NEXUS, à partir du Pacific Northwest. Ils ont en quelque sorte été les pionniers de cette idée. Ils ont dû s’y reprendre à deux ou trois fois avant que ça ne marche bien.
Les États-Unis ont élaboré un système semblable, mais non identique, qu’ils appellent SENTRI, pour les déplacements entre les États-Unis et le Mexique, et qui s’adresse à un groupe assez régulier de voyageurs quotidiens et autres. Il est loin de compter autant de participants et il n’a pas eu autant de succès.
Au début de l’administration Obama, le ministère de la Sécurité intérieure a songé à étendre l’idée aux dimensions du globe. C’est ainsi que nous avons créé Global Entry, un système américain. Je me souviens d’avoir immédiatement entrevu que Global Entry était la prochaine vague et, pourtant, dans NEXUS, les coûts étaient également partagés entre le Canada et les États-Unis, mais la participation était à 75 p. 100 canadienne et seulement à 25 p. 100 américaine. Le nouveau programme, qui n’était accessible qu’aux citoyens et aux résidents permanents américains allait obtenir toutes les ressources. C’était écrit dans le ciel : quelqu’un demanderait pourquoi nous payions pour ce programme canadien. NEXUS risquait de devenir une sorte de ghetto canadien privé de services et ainsi de suite.
Il s’en est suivi un dialogue sur la façon de copier Global Entry dans NEXUS et d’élargir la participation à l’un des programmes aux deux. Cela a abouti à faire de notre programme TSA PreCheck, qui permet l’embarquement dans les avions, le trait d’union entre les deux.
Je ne crois pas que nous devions nécessairement fusionner les programmes, mais le Canada et les États-Unis ont donné le ton. Les deux pays essaient d’aller un peu plus loin, et nous devons assurer le rattrapage du programme SENTRI, mais, aussi, l’élaboration d’un système commun dans lequel les voyageurs communiquent volontiers les renseignements qui se rapportent à eux et obtiennent un accès privilégié aux autres pays.
Je pense que vous avez raison. Pour la solution de ce problème, le fait, pour le Canada, de posséder une base de données accessible devrait être un bon point de départ, du moins comme exception à la règle.
M. Miller : Au Sommet des leaders nord-américains de février 2013, les trois pays se sont engagés à se doter d’un cadre trilatéral pour les voyageurs fiables. Cela ne signifie pas un programme unique, mais, du moins, l’interopérabilité des programmes.
Manifestement, si on y parvenait, cela contribuerait beaucoup, sur le plan des opérations, à la résolution du problème des visas, mais le programme des voyageurs fiables ne garantit pas l’admissibilité. Il ne fait qu’accélérer et simplifier le processus.
Donc, si quelqu’un, un « voyageur fiable », est pris avec une substance illégale dans son sac, il se fera arrêter. Sur le plan opérationnel, il est délicat d’avoir un « voyageur fiable » assujetti à un régime de visa, mais je pense que la fusion des deux est nécessaire, sans être une condition suffisante pour résoudre le problème.
M. Sands : Je dois simplement ajouter quelque chose, parce que…
La présidente : Il reste peu de temps.
M. Sands : Je suis désolé, madame la présidente. Nous devons faire un peu plus comme la police française. Si vous connaissez ces vieilles histoires de détectives, le policier américain obtient un indice, enfonce une porte, bat un individu, et les méchants vont en prison. Mais le vieil inspecteur français, grâce aux méthodes de la police scientifique, travaille avec diligence à partir des indices criminalistiques pour trouver le coupable, qu’il finit toujours par découvrir, peu importe ses efforts pour brouiller les pistes.
La difficulté, pour nous, est de se représenter la frontière non comme une barrière, de ne pas s’imaginer qu’on peut, en travaillant en amont, détruire les méchants, mais que, à la place, il faut chercher à savoir comment utiliser scientifiquement les données pour résoudre le problème après coup. Cela exige la confiance. Si la frontière fonctionnait comme un point de contrôle des automobilistes en état d’ébriété, le jour de l’An, nous attraperions quelques coupables, mais les ivrognes intelligents seraient toujours libres de circuler. Si nous travaillons de l’intérieur de la société pour essayer de nous attaquer à la conduite en état d’ébriété à l’aide des bars, des parents et ainsi de suite, nous pouvons corriger le problème. C’est ce dont nous avons besoin pour ce genre de problème, le voyageur qui traverse la frontière de façon clandestine; nous devons nous communiquer les données et collaborer entre gouvernements pour le prendre au collet, en utilisant la patience et les faits scientifiques, plutôt qu’en travaillant en amont.
Le sénateur Housakos : Bonjour. Quels secteurs, au Canada, n’ont pas, d’après vous, tiré parti des possibilités qu’offre le Mexique? J’aimerais entendre vos observations. Pour ces secteurs, quels seraient les avantages et les inconvénients d’agir par rapport à leurs concurrents aux États-Unis?
En fin de compte, l’entreprise a besoin d’infrastructures; pour l’expédition de ses marchandises, les distances doivent être raisonnables. Inévitablement, dans la concurrence avec les États-Unis, qui possèdent la proximité et des infrastructures, il est, d’après moi, intrinsèquement difficile pour les entrepreneurs canadiens d’être concurrentiels.
Je voudrais aussi préciser que les affaires se brassent entre entreprises et entre personnes. Je n’ai jamais vu un gouvernement réussir dans une entreprise commerciale profitable. La réalité est que les États-Unis comptent probablement des millions et des millions de citoyens d’ascendance mexicaine, tandis que, au Canada, je soupçonne qu’ils sont peut-être quelques milliers. Quelle pente, donc, à remonter, pour le Canada, qui ne possède pas les mêmes relations interpersonnelles grâce auxquelles les États-Unis profitent d’un avantage évident? J’aimerais vous entendre sur ces deux points, s’il vous plaît.
M. Miller : Je pense que vous avez vraiment mis le doigt sur les différences démographiques entre les deux pays. Sur la frontière sud des États-Unis, les échanges avec le Mexique, juste de l’autre côté, sont nombreux, sans compter les liens familiaux et les liens de parenté. Nous n’avons pas autant de tels liens avec le Mexique. Nous devons donc travailler davantage pour obtenir la confiance dans les mécanismes institutionnels qu’on a mis au point.
Il est certain que beaucoup de nos membres sont allés au Mexique. Il y a toute la gamme qui va du fabricant de meubles Palliser à Bombardier, qui fabrique des pièces essentielles du Learjet 80. Les sociétés minières canadiennes investissent beaucoup dans ce pays. Il y a beaucoup d’investissements logistiques canadiens.
L’un des défis, pour l’ensemble de l’économie canadienne, est de posséder trop peu de marques grand public; nous avons donc besoin d’en créer plus pour établir cette base qui permet de prendre pied dans le commerce du détail, par exemple. Par rapport à d’autres pays, nous devons encourager, au Canada, la résolution de problèmes plus profonds, plus structuraux, pour la création et la croissance de marques. Les services manufacturiers peuvent sûrement être amplifiés dans le secteur touristique.
On me dit que plus de Canadiens ont choisi le Mexique comme destination touristique que les Américains. C’est un marché considérable. Chacun peut le comprendre, vu les différences météorologiques entre les deux pays. Les possibilités sont donc excellentes, mais beaucoup sont très particulières, et les entreprises ainsi que les personnes doivent nouer des rapports; c’est pourquoi je passe beaucoup de temps là-bas à essayer de tisser ces liens et de présenter nos membres.
M. Sands : C’est exactement ce qu’a dit Eric. Les affinités culturelles passent par la langue. C’est donc l’éducation, en ligne ou à la faveur d’échanges universitaires; des partenariats en recherche-développement; des services d’affaires, y compris après-vente; la comptabilité; la prestation de conseils; les divertissements et les médias. Quant aux logiciels, c’est un peu différent, parce qu’on les rédige en langage informatique, mais il y a là aussi beaucoup de ces défis. En fin de compte, dans le domaine des marques, dans le secteur hôtelier et touristique, notamment, des marques comme Fairmont et ainsi de suite sont bien connues ici, mais elles peuvent affirmer beaucoup plus leur présence.
Le dernier ingrédient que j’ajoute est l’énergie. En effet, le Mexique, coupé si longtemps des investissements étrangers dans le secteur énergétique, s’ouvre à eux dans le secteur pétrolier et un peu dans le secteur gazier. Il y a même des possibilités d’investissement dans l’électricité aussi, et je pense que tout cela pourrait constituer un avantage énorme pour le Canada, qui se trouve à exceller dans chacun de ces secteurs.
Le sénateur Downe : Monsieur Miller, dans votre exposé, vous avez parlé d’infrastructures et de péage et je crois vous avoir entendu dire qu’il existait des moyens créatifs pour contourner ces obstacles. Je me demande si vous pouvez nous en dire davantage à ce sujet.
M. Miller : Oui. Je pense que, ordinairement, les infrastructures frontalières sont financées par un péage ou un investissement approprié. On s’est lancé dans des expériences. Par exemple, l’aéroport de San Diego ne peut plus s’agrandir. On a donc décidé de faire de l’aéroport de Tijuana le nouvel aéroport de San Diego. Un investisseur privé a construit un stationnement et une passerelle au-dessus de la frontière mexicaine et il y met en permanence, à ses frais, des agents des douanes et de la protection des frontières.
Cela est fait avec de l’argent privé, à des fins privées. Il suffit d’obtenir la collaboration des douanes et des services de la protection des frontières pour y parvenir.
Conscient de ces réalisations à la frontière, je roule vers Ogdensburg puis je traverse le pont Ambassador et j’aperçois des infrastructures décrépites. Pourtant, chaque fois qu’on regarde un canal consacré aux affaires ou qu’on lit le Wall Street Journal, on y parle de tous ces financements intéressants pour des projets à long terme, et les responsables du Régime de retraite des employés municipaux de l’Ontario ou de l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada réclament de tels projets, dont les coûts sont remboursés en 40 ans, sur des marchés sûrs. Obtenons une partie de l’argent qui se trouve là-bas, investissons-le ici et mettons-le à l’œuvre dans des infrastructures frontalières. Cela a donné de bons résultats pour Infrastructure Ontario. Il n’y a aucune raison pour que cela ne fonctionne pas pour les infrastructures nord-américaines.
La présidente : Trois autres intervenants veulent poser des questions. Je vais vous demander de les poser, puis, avec la collaboration de nos témoins, nous pouvons conclure près de l’heure fixée.
Le sénateur Demers : Je vous remercie pour vos observations. Nous en sommes vraiment reconnaissants. Quelles sont les possibilités les plus prometteuses pour l’augmentation des investissements dans le commerce au Canada, aux États-Unis et au Mexique dans le secteur manufacturier? Dans quel secteur manufacturier en particulier ces possibilités sont-elles les meilleures?
Le sénateur Oh : Se peut-il que l’Ontario ou la Colombie-Britannique, qui sont plus à l’ouest, mettent sur pied une zone d’échange spéciale semblable à celle qui existe à Hong Kong et à Shenzhen, la zone spéciale de libre-échange, là-bas, pour les traités nord-américains?
[Français]
Le sénateur Robichaud : Vous avez parlé du fait qu'il devait régner une grande confiance entre les gens qui négocient ou qui veulent faire des affaires ensemble.
Je comprends qu'il y a peut-être un manque de confiance. De quelle catégorie de gens parle-t-on? Où trouve-t-on le plus grand manque de confiance? Est-ce parmi les gens d'affaires, les fonctionnaires ou du côté de la classe politique?
[Traduction]
M. Miller : Les meilleures occasions, dans le secteur manufacturier, se présentent sûrement, comme l’a dit Chris, dans l’énergie. Il y a de nombreuses possibilités, dans ce secteur, pour les produits transformés.
Il y aurait d’énormes possibilités de croissance dans le secteur pétrochimique, aussi dans la production de biens pour le secteur de l’électricité, puis, honnêtement, la simple construction en fer et en acier, particulièrement de produits servant aux infrastructures.
N’est-il pas ironique que le secteur manufacturier puisse concerner de nombreux produits? Je pense que le principal secteur manufacturier au Canada est maintenant le secteur alimentaire. Vu la croissance de la classe moyenne au Mexique et les normes de qualité des aliments dont le Canada est doté, ce secteur est très prometteur.
Sur la zone spéciale d’échange, j’ai longtemps été un partisan des zones de libre-échange. Jusqu’ici, ça n’a pas été une tendance de la politique publique canadienne. Les Américains y ont eu beaucoup recours.
Cela exigerait un énorme travail de pionnier, mais nous devons faire cesser les pratiques qui imposent des coûts à l’entreprise. La mise sur pied d’un régime séparé sur le plan de la politique soulèverait un énorme débat, mais je pense que c’est le moyen qu’on essaie d’utiliser pour mettre en place un milieu plus efficace, moins réglementé et moins coûteux pour faire des affaires, par opposition au régime particulier qui fait cela.
Nous devons donc nous intéresser aux méthodes de surveillance de la chaîne logistique pour les besoins de la sécurité. Quels renseignements demandons-nous aux négociants? Comment payons-nous les infrastructures? Comment mobilisons-nous les gens pour la formation? Comment agréons-nous les compétences? Et dire que nous allons faire ce difficile travail de réparation pour toute l’économie.
Il ne s’agit pas seulement d’abroger un règlement chaque fois qu’on en promulgue un. Il s’agit de promulguer des règlements et de préconiser des processus « plus intelligents ». C’est la meilleure façon d’investir notre énergie.
Maintenant, quant à savoir qui manque de confiance et où ce manque se manifeste, je répondrai que nos membres ont certainement beaucoup confiance en leurs partenaires mexicains. La visite d’une importante usine mexicaine vous permettra d’apercevoir d’excellents produits de qualité, d’excellents gestionnaires, des travailleurs très compétents, mais la question tend à concerner un peu plus la classe politique, certaines perceptions du Mexique actuel par rapport au Mexique révolu ainsi que les intentions canadiennes à l’égard du Mexique.
Les meneurs ont besoin de mener, et c’est un domaine où, sous certains aspects, le secteur privé mène et nous gagnerions vraiment à ce que les dirigeants politiques et l’élite du gouvernement s’orientent favorablement. C’est en partie cela. Je pense que des mesures ont été décidées, mais votre comité pourrait donner un coup de pouce qui serait énormément profitable.
M. Sands : L’avantage de la collaboration avec Eric Miller, c’est qu’il s’occupe du travail de force et qu’il me suffit de couronner le tout par un petit détail qui l’enjolive.
Permettez-moi d’ajouter, en réponse à la question du sénateur Demers que les plastiques, en aval du secteur pétrochimique, pour la diversification de l’économie, possèdent les produits bruts, mais ils n’ont pas été aussi loin qu’on pourrait le faire dans l’utilisation des produits pétrochimiques. Les possibilités sont nombreuses : outils de précision, machines-outils, automatisation.
Le surplus de main-d’œuvre au Mexique n’est pas un surplus de main-d’œuvre qualifiée. Le Mexique va vraiment chercher à adopter la robotique à un rythme qui lui permettra de rattraper le Canada et les États-Unis. Je pense que les possibilités de croissance de l’industrie manufacturière y sont énormes et le Canada pourrait beaucoup y aider.
Pour les zones, j’ai une idée dont j’ai parlé ailleurs : nous devons passer à autre chose que Par-delà la frontière 2.0, que l’idée de projets pilotes, que des expériences limitées entre le ministère de la Sécurité intérieure et Sécurité publique Canada, pour adopter l’idée de zones pilotes où nous faisons des expériences pour faciliter les échanges, mais en faisant appel à un État et à une province ainsi qu’à des autorités locales pour obtenir les bonnes infrastructures, bien coordonner l’application de la loi, pouvoir déplacer les produits de manière plus efficace. Si nous élargissons le cercle et obtenons une plus grande participation les autorités locales, étatiques et provinciales sur la façon de gérer la frontière, cela fera une différence énorme. En cela, nous pouvons faire beaucoup.
Eric a raison : les zones de libre-échange étaient une bonne idée quand les tarifs exigeaient la fabrication orientée vers l’exportation. Les tarifs ne nous causent pas de problèmes, mais nous en éprouvons vraiment en gestion. La concentration dans des zones donne du poids à l’idée d’essayer de trouver des solutions utiles grâce à des projets pilotes, particulièrement dans des endroits comme la Colombie-Britannique.
La méfiance ensuite. Avant de commencer à parler d’intégration nord-américaine ou d’intégration entre le Canada et les États-Unis, l’intégration, du moins aux États-Unis, représentait celle des Noirs dans la main-d’œuvre active et des femmes aussi. C’était l’intégration que nous connaissions, que nous avons éprouvée. La leçon à tirer de ces expériences, pour les faire assimiler par la population active, les fondre dans nos vies, c’est que les débuts sont toujours brutaux. Vous avez suivi Mad Men. Vous vous souvenez de ces émissions où l’on présente des stéréotypes peu exemplaires, dont les blagues sont d’un goût très douteux, dont les attitudes devront manifestement changer. Je pense que la seule façon d’y mettre fin, c’est l’interaction — définir le stéréotype à partir d’une personne réelle qui ne correspond pas tout à fait à cette caricature.
Pour cela, revenons à ce que je disais plus tôt, amener les Canadiens et les Mexicains à interagir et à ne pas se faire mutuellement, les uns des autres, une image qui date d’un Western américain des années 1950, interagir d’une manière plus riche même, au niveau de l’amitié. Je pense que les gens d’affaires y ont investi. Les politiques pourraient faire beaucoup sur ce plan, grâce au dialogue des premiers ministres avec les gouverneurs, à des missions commerciales faisant la navette entre les deux pays, à des échanges entre les législateurs. Notre champ de manœuvre est vaste. Le Sénat mexicain est tout à fait une élite. C’est votre homologue. Plus nous tisserons de liens, plus nous échapperons aux caricatures exagérées par lesquelles nous nous représentons mutuellement. Ainsi a plutôt fonctionné l’intégration. Je sais qu’elle donnera ici des résultats.
La présidente : Messieurs, je vous remercie. Nous avons terminé à peine plus tard que prévu. Je tiens à remercier M. Sands d’être ici. Les renseignements que vous nous avez présentés de façon si succincte ont été extrêmement utiles. Vous avez abordé tant de sujets et ils correspondaient exactement à ceux auxquels nous nous intéressions. Votre témoignage d’aujourd’hui nous sera extrêmement utile. Nous sommes susceptibles de vous contacter encore pour vous soutirer d’autres renseignements et nous vous sommes reconnaissants de votre collaboration et de votre présence ici.
Chers collègues, le comité poursuit son étude du potentiel d’accroissement du commerce et de l’investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, y compris dans les secteurs de croissance clés des ressources, de la fabrication et des services; les mesures fédérales nécessaires à la réalisation des possibilités cernées dans ces secteurs clés; les possibilités d’intensifier la collaboration au niveau trilatéral.
Nous accueillons maintenant en personne M. Colin Robertson, que nous connaissons bien, et qui est vice-président du Canadian Defence and Foreign Affairs Institute et chercheur à l’École de politique publique de l’Université de Calgary; par vidéoconférence, à partir de Calgary, nous accueillons aussi M. Carlo Dade, qui est le directeur du Centre for Trade & Investment Policy, de la Canada West Foundation. Soyez tous les deux les bienvenus. Nous sommes un peu en retard. Nous allons donc commencer immédiatement. Monsieur Robertson, si vous pouvez nous livrer votre déclaration préliminaire, puis M. Dade, nous pourrons ensuite passer aux questions.
Colin Robertson, vice-président et chercheur, École de politique publique, Université de Calgary, Canadian Defence and Foreign Affairs Institute : Merci, madame la présidente. En guise d’introduction, je précise que j’ai été membre du service diplomatique canadien pendant près de 33 ans, en me spécialisant dans les relations canado-américaines, y compris à la faveur d’affectations à l’ONU, à New York, pendant que le Canada faisait partie du Conseil de sécurité, en 1977, puis d’un retour au consulat général en 1978, à la fin de la présidence de M. Carter et au début de celle de M. Reagan, alors que je faisais partie de la cuvée de jeunes agents dont la mission était de connaître les délégations locales du Congrès dans le cadre de notre travail diplomatique aux États-Unis sous la houlette d’Allan Gotlieb. Ce travail englobait le Congrès et l’administration. Le livre de Gotlieb, I’ll Be With You In a Minute, Mr. Ambassador (Je suis à vous dans un moment, monsieur l’ambassadeur) reste le meilleur guide sur la diplomatie canadienne aux États-Unis.
Pendant les présidences de Reagan, de George H. W. Bush et au début de celle de Clinton, j’ai fait partie des équipes canadiennes de négociation pour le libre-échange entre le Canada et les États-Unis et le traité nord-américain de libre-échange. À la fin de la présidence de Clinton et au début de celle de George H. W. Bush, j’ai été affecté au consulat général de Los Angeles. Le premier ministre Martin m’a nommé premier chef du Secrétariat de représentation à Washington, pour promouvoir nos intérêts sur le Capitole, en collaboration étroite avec nos provinces et en recourant à la diplomatie publique.
Pendant mes deux dernières années dans le service diplomatique, j’ai travaillé à une étude majeure sur les relations canado-américaines avec Derek Burney et Fen Hampson à l’Université Carleton, pour aider à préparer une politique canadienne à l’égard de ce qui devait devenir l’administration Obama. À ma retraite, j’ai été embauché par le Canadian Defence and Foreign Affairs Institute ainsi que le cabinet juridique McKenna Long & Aldridge, à Washington.
Par conviction et expérience, je favorise une intégration nord-américaine plus poussée, parce qu’elle renforcera le Canada et consolidera ce qui nous définit comme Canadiens.
Je vais débuter par une petite blague. Au septième jour, Dieu a créé le Canada, un pays de montagnes, de lacs, de forêts, riche en poissons et en autres ressources, un royaume paisible qu’il a peuplé d’habitants de partout, agiles, particulièrement sur des patins, monsieur le sénateur Demers. Alors saint Pierre lui a demandé : « Ne croyez-vous pas que vous êtes un peu trop généreux pour les habitants de ce pays? » Et Dieu de répondre, en souriant : « Attendez de voir leur voisin ».
La carrière dans la diplomatie donne le privilège de parler à nos premiers ministres, et chacun d’eux m’a dit qu’il avait trois dossiers sur son bureau : la sécurité nationale, l’unité nationale et les relations avec les États-Unis.
Lisez la splendide biographie de Sir John A. Macdonald par Richard Gwyn. Vous verrez que notre voisin du Sud est dans nos pensées depuis bien avant la Confédération. Les Mexicains partagent un point de vue semblable. Le président mexicain Porfirio Díaz, contemporain de Macdonald, déplorait la proximité de son pays avec les États-Unis : « Si loin de Dieu, si près des États-Unis ».
Mais autant nous aimons nous plaindre de l’Oncle Sam, autant je n’ai jamais oublié le son de cloche différent que j’ai entendu alors que j’étais jeune agent à l’ONU. Nous étions un groupe à déblatérer contre les États-Unis après que l’administration Carter avait refusé de ratifier l’accord sur les pêches sur la côte Est. Un diplomate polonais — son pays était encore sous la botte soviétique — qui nous avait entendus nous a alors demandé : « Préféreriez-vous être à notre place? » Cela nous a coupé le sifflet.
L’antiaméricanisme est un virus profondément logé dans notre ADN. D’après moi, Dieu nous a grandement favorisés non seulement par le cadre géographique et les habitants de notre pays, mais aussi par notre voisin. Nous sommes amis, alliés et partenaires, bon gré mal gré, à son su et à son insu.
Franklin Roosevelt, qui a probablement été le président à avoir le mieux compris l’importance stratégique du Canada pour les États-Unis, a établi en 1938, avec Mackenzie King, le cadre de nos relations qui existe toujours.
En échange d’un accès privilégié à ce qui demeure le premier marché mondial, nous avons décidé d’être un allié digne de confiance, profitant du bouclier protecteur des États-Unis. S’étant acquitté d’une portion plus grande de la charge qui lui revenait en matière de sécurité, les États-Unis demandent maintenant à leurs alliés d’en faire un peu plus. Pour notre propre sécurité et pour prouver notre engagement à l’égard de la sécurité collective, nous devons investir, particulièrement dans la construction de navires pour contribuer au maintien de l’ordre maritime dont notre commerce dépend.
Les présidents et les premiers ministres qui se sont succédé, les plus intelligents, de toute façon, ont été fidèles à cette formule de maintien des institutions, de la sécurité par l’entremise de l’OTAN et du NORAD, de nos échanges par l’entremise de nos multiples accords commerciaux, notablement l’Accord de libre-échange et l’ALÉNA, qui nous conduisent maintenant à l’Accord économique et commercial global et au Partenariat Trans-Pacifique, sans oublier les accords sur l’environnement, à commencer par la Commission mixte internationale, puis l’Accord sur les pluies acides et le protocole de Montréal sur l’ozone.
Les institutions uniformisent les règles du jeu et travaillent dans le plus grand intérêt du Canada.
Brian Mulroney, le premier ministre qui comprenait probablement le mieux les États-Unis, a récemment affirmé ceci :
« Si vous ne pouvez faire cela, vous n’avez pas beaucoup de poids sur le plan international. Le premier ministre doit prendre soin des relations avec les États-Unis de la même façon qu’il s’occuperait des fleurs les plus fragiles dans un jardin. C’est important à ce point. »
Mulroney a compris que notre influence sur la scène internationale repose sur le fait que nous comprenons mieux que quiconque les États-Unis, et que nous sommes ainsi en mesure de jouer les interprètes entre le reste du monde et les États-Unis, et vice versa. Cela signifie qu’il faut réinvestir dans nos services diplomatiques.
Nous sommes un pays de l’Amérique du Nord. Nous ne pouvons pas changer notre situation géographique, et ce ne serait pas souhaitable non plus. Poursuivons donc l’intégration qui a déjà été amorcée avec les investissements et les rapports dynamiques de la chaîne d’approvisionnement, de même que les liens de personne à personne dont nous bénéficions avec les États-Unis, et maintenant avec le Mexique.
Je vais conclure sur les trois recommandations suivantes. D’abord, pour ce qui est des États-Unis, nous nous plaisons à croire que nous savons tout sur eux, et ils se plaisent à croire qu’ils savent tout ce qu’ils doivent savoir sur nous. Tout le monde se trompe, mais vu l’asymétrie des échanges commerciaux et des investissements, nous dépendons beaucoup plus d’eux qu’ils ne dépendent de nous.
Pour commencer, le Canada devrait avoir un représentant dans chaque État américain pour être au courant de ce qui s’y passe et, dans certains cas, faire valoir la position du Canada. Lorsque le Congrès et les États prennent des décisions à notre détriment, ils ne le font pas par malice, mais par manque de compréhension du point de vue canadien. Nous devons être sur place pour clarifier les choses et déboulonner les mythes urbains qui persistent encore, comme celui voulant que les terroristes des attaques du 11 septembre arrivaient du Canada. Il ne s’agit pas de gentilles notes diplomatiques, mais de discussions franches entre amis. J’ai appris qu’il fallait être bref, clair et rapide, parce qu’il est difficile de déloger un mythe qui a pris racine.
Assurons nos services diplomatiques différemment et de façon rentable en embauchant des Canadiens qui habitent déjà aux États-Unis. Donnons-leur le mandat d’établir des groupes d’affaires, comme cela a été fait en Arizona avec le Canada-Arizona Business Council. Cette brillante initiative a pour but d’accroître le nombre de vols directs vers l’Arizona. En 10 ans, sous l’égide de Glenn Williamson, aujourd’hui consul honoraire, le nombre de vols hebdomadaires est passé de huit à 800. Cela donne lieu à une quantité considérable de transactions commerciales et d’investissements. N’attendons plus.
L’administration Obama a peut-être la réputation d’être un canard boiteux, mais les canards boiteux ne chôment pas pour autant. Les négociations de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis n’ont été entreprises que dans les deux dernières années de l’administration Reagan. L’accord sur les pluies acides et l’Accord de libre-échange nord-américain ont été négociés dans les deux dernières années de l’administration Bush. Le partenariat Canada-États-Unis ne s’est concrétisé que dans les dernières années de l’administration Clinton, pour devenir plus tard l’accord sur la Frontière intelligente.
Prenons l’initiative et tâchons de faire avancer des enjeux communs, comme le programme Par-delà la frontière, la coopération réglementaire, l’Arctique, l’énergie et la collaboration environnementale. Le développement durable ne nous force pas à choisir entre l’environnement et l’économie; les deux vont de pair.
L’ambassadeur Bruce Heyman veut faire bouger les choses, mais il a besoin de notre aide pour résoudre les problèmes de manière constructive. Le harcèlement et le bizutage fournissent peut-être de l’excellent matériel pour la une des journaux, mais ce ne sont pas des techniques diplomatiques intelligentes, et l’histoire nous a démontré que c’est également une piètre façon de faire de la politique. Les Canadiens s’attendent à un comportement mature de leurs représentants dans les échanges avec les États-Unis.
En ce qui a trait au Mexique, c’est l’occasion de solidifier nos liens commerciaux, grâce aux réformes de l’administration Peña Nieto, notamment en ce qui concerne la vente de notre savoir-faire énergétique et de notre expertise en génie et en infrastructure, et la formation des futurs dirigeants mexicains dans nos écoles et nos universités.
Les Mexicains veulent faire affaire avec nous. Notre secteur privé veut qu’il y ait convergence en vue de faciliter la circulation et de déréglementer la frontière. L’ambitieux programme d’infrastructure du Mexique offre de réelles possibilités au Canada, dont des chemins de fer, la prolongation des lignes de métro, la construction du nouvel aéroport de Mexico et plus de 10 000 kilomètres de nouveaux pipelines. La révolution énergétique nord-américaine se traduira par la réduction du prix de l’essence et permettra de réindustrialiser nos pays, particulièrement dans les industries qui consomment beaucoup d’énergie. On va au-delà du pétrole et du gaz; il est question d’investissements dans des centrales électriques fonctionnant au gaz. Ce sont tous des secteurs dans lesquels excelle le Canada.
Le président Peña Nieto a personnellement choisi l’ambassadeur Francisco Suarez en lui donnant le mandat d’ouvrir la porte aux échanges. Suarez est un homme d’action, mais il a besoin d’un partenaire.
Pour faire des affaires, les Mexicains doivent venir chez nous. Notre processus actuel pour l’obtention d’un visa est long, pénible et humiliant. Nous l’avons compris avec les Tchèques, à qui on a imposé le visa en même temps que les Mexicains.
La solution immédiate consisterait à reconnaître les Mexicains qui sont admissibles à un accès privilégié aux États-Unis, de la même manière que les États-Unis accordent un privilège d’entrée aux Canadiens dans le cadre du programme NEXUS. Au bout du compte, il faudra harmoniser ces programmes de voyageurs dignes de confiance.
Nous devrions rejoindre le Mexique dans ses efforts pour établir des liens étroits entre nos universités, pas seulement en multipliant le nombre d’échanges étudiants — pourquoi ne pas essayer de les quadrupler au cours des quatre prochaines années —, mais aussi en prenant part à des projets de recherche communs.
Pour des raisons stratégiques, le Mexique devrait figurer en haut de notre liste d’aide au développement, qui comprend la formation policière et judiciaire. Certains croient qu’il serait préférable de transiger uniquement avec les États-Unis. Ils avancent que les accords trilatéraux compliquent les choses. C’est vrai, mais nous pouvons sans doute marcher tout en mâchant de la gomme. Si vous n’êtes pas convaincus par la montée fulgurante des investissements canadiens dans le secteur minier, le secteur bancaire et maintenant le secteur manufacturier au Mexique, vous devez savoir deux choses : le Mexique, d’une population de 122 millions de personnes, est déjà le deuxième partenaire commercial en importance des États-Unis, et son secteur commercial croît plus rapidement que le nôtre. Au total, 40 p. 100 de ce que le Mexique envoie aux États-Unis provient du Mexique. Au Canada, c’est 25 p. 100 — à noter notre stratégie commerciale intégrée.
Quelque 51 millions d’Américains ont des origines latines, et la plupart sont issus du Mexique. C’est un bloc d’électeurs vital. Des législateurs aux origines latines siègent aux deux chambres, au Congrès, aux postes de gouverneur et au cabinet, et avant longtemps, il y en aura un à la Maison-Blanche.
Ce qui alimente discrètement les relations entre le Canada et les États-Unis, ce sont les différents réseaux qui vont au-delà du premier ministre, du président et de nos cabinets respectifs, et cela se joue principalement entre les premiers ministres provinciaux, les gouverneurs et les législateurs du Canada et des États-Unis. Ce réseau doit s’étendre au Mexique.
Je lève mon chapeau au nouveau Groupe interparlementaire Canada-États-Unis, qui est dirigé par la sénatrice Janis Johnson et le député Gord Brown. Nous devrions fusionner les groupes Canada-États-Unis et États-Unis-Mexique pour former un groupe interparlementaire nord-américain. Cela nous aiderait grandement à maintenir l’attention des sénateurs et des membres du Congrès des États-Unis. En outre, avec l’appui de nos collègues mexicains, nous pourrions mettre de la pression sur les États-Unis pour régler des dossiers communs, comme les difficultés entourant le camionnage, l’infrastructure à la frontière et l’amélioration de la logistique des chaînes d’approvisionnement qui traversent maintenant toutes nos frontières.
À l’instar des bernaches du Canada qui s’envolent vers le Sud et que j’ai entendues ce matin, l’intégration nord-américaine est devenue une force de la nature. Cela représente des avantages communs à accueillir con mucho gusto. Laissez l’Amérique du Nord démontrer au reste du monde ce que c’est que le bon voisinage.
La présidente : Merci, monsieur Robertson. Nous entendrons maintenant M. Carlo Dade. Avant de lui céder la parole, je tiens à lui préciser que s’il voit que quelqu’un me remplace à la présidence, cela n’aura rien de personnel. Je dois faire acte de présence auprès du Président de la Chambre, alors le vice-président, le sénateur Downe, va prendre la relève. Bienvenue, monsieur Dade.
[Français]
Carlo Dade, directeur, Centre for Trade and Investment Policy, Canada West Foundation : Bonjour à tous. Avant tout, je dois remercier le Sénat et madame la présidente pour votre invitation à témoigner ce matin et à exprimer quelques points de vue sur l’Amérique du Nord.
[Traduction]
C’est un réel plaisir d’être de retour devant le Comité sénatorial des affaires étrangères pour parler d’un dossier qui préoccupe grandement l’Ouest canadien. Permettez-moi de me présenter brièvement. Avant de me joindre à la Canada West Foundation, j’ai occupé le poste de directeur exécutif de la Fondation canadienne pour les Amériques. C’était le groupe de réflexion du Canada sur l’Amérique latine.
Notre mandat portait principalement sur l’Amérique du Nord, mais surtout sur les relations entre le Canada et le Mexique. Nous avons mené un projet spécial de trois ans avec le Conseil mexicain des relations extérieures, une initiative qui avait pour but d’examiner les relations Canada-Mexique et de trouver des moyens de les renforcer et de les revitaliser. Quelques-uns de mes commentaires de ce matin s’appuieront sur le travail que nous avons fait pendant de nombreuses années avec nos homologues mexicains.
Fait intéressant à noter, certaines des idées évoquées à l’époque sont toujours d’actualité. L’idée du programme NEXUS, que Colin a eu l’amabilité de mentionner, est le genre de choses qui font l’objet de discussions depuis un certain temps entre le Canada et le Mexique.
Aujourd’hui, nous nous penchons sur les secteurs de croissance, la fabrication et les services, ainsi que les mesures fédérales nécessaires à la réalisation des possibilités cernées dans ces secteurs clés et des possibilités d’intensifier la collaboration au niveau trilatéral. Je perçois aussi à ce niveau la possibilité pour le Mexique ou le Canada d’effectuer une montée en vue de contribuer au renforcement de l’Amérique du Nord, dans l’intérêt du pays et de ceux de ses voisins.
Je précise d’abord que la préoccupation de l’Ouest canadien et de la Canada West Foundation est la prospérité et la croissance de l’ouest du pays — la solidité de l’Ouest canadien est aussi celle du Canada. Notre travail a une toute nouvelle importance sur la scène internationale. Si l’Ouest canadien est fort dans un Canada fort, il le sera aussi dans les principaux marchés mondiaux. C’est l’objectif qui était derrière la création du Centre for Trade and Investment Policy de la Canada West Foundation.
Autre fait intéressant, lorsqu’il est question de commerce dans l’Ouest canadien, on présume que notre point de mire est l’Asie et qu’il n’y a que l’Est qui nous intéresse. En réalité, l’Amérique du Nord est le plus important partenaire commercial de l’Ouest canadien en ce qui a trait à la circulation des marchandises, des services, des gens, des idées et de l’argent, et elle le restera pendant encore un bon moment. On l’oublie souvent avec cette nouvelle fascination pour la Chine et les autres économies émergentes. C’est un secret bien mal gardé dans l’Ouest canadien : nous devons protéger notre part du marché, défendre nos intérêts et, là où c’est possible, faire croître nos marchés en Amérique du Nord.
Notre centre a comme priorité première de défendre notre part de marché en Amérique du Nord et de cerner de nouveaux débouchés dans ce marché. Vu la situation commerciale en Amérique du Nord, la concurrence est de plus en plus féroce et continuera de s’accentuer au cours des prochaines années. Cela mérite notre attention.
Évidemment, nous nous intéressons également aux possibilités de croissance dans la région du Pacifique. Nous avons accès à tout un arc de marchés dans le Pacifique grâce aux accords commerciaux qui ont été conclus récemment, sans compter les accords en attente de signature, comme ceux avec la Corée et le Japon. Nous surveillons aussi l’essor de la classe moyenne mondiale — la discussion passe donc des marchés émergents à la montée de la classe moyenne mondiale — et les marchés qui présentent des possibilités précises pour le Canada, et c’est autour de cela que j’aimerais articuler la discussion sur l’Amérique du Nord.
Un des changements les plus profonds dont nous avons été témoins au Canada a effectivement été l’essor de la classe moyenne au Mexique. C’est un sujet tout indiqué pour l’étude du Sénat de ce matin, qui porte entre autres sur les possibilités commerciales et les possibilités d’intensifier la collaboration nord-américaine. Lorsque l’ALENA a été conclu il y a 20 ans, le Mexique était un pays majoritairement pauvre. La majeure partie de la population vivait dans des conditions austères, et elle avait peu de moyens financiers et peu de possibilités pour améliorer la situation des familles et des collectivités. Les choses ont pris tout un tournant depuis.
Aujourd’hui, on peut dire que la classe moyenne est majoritaire au Mexique. Cela a profondément changé les politiques du pays, mais aussi les possibilités économiques qui s’offrent au Canada. On retrouve également un autre équilibre dans les relations entre les partenaires nord-américains, et cela nous permet de nous rapprocher de l’Amérique du Nord qu’on avait imaginée il y a 20 ans à la signature de l’ALENA.
Un mot rapidement sur la classe moyenne mexicaine. L’Association mexicaine des organismes de recherche sur les renseignements commerciaux et l’opinion publique se fondent sur les données de l’enquête sur le revenu des ménages pour établir des comparaisons entre les classes de revenu au Mexique. Le pays se divise entre les classes A, B, C, D et E, la classe A correspondant au 1 p. 100, et la classe E aux personnes marginalisées et vivant dans la pauvreté extrême. Le groupe le plus nombreux au pays est maintenant celui de la classe D supérieure, des gens aux revenus moyens, qui n’ont pas de diplôme d’études secondaires, mais une éducation primaire, pas de voiture, mais la capacité de répondre à leurs besoins de base et d’améliorer leur situation. Ce groupe représente 36 p. 100 de la population.
Les catégories D et E, les gens qui vivent dans des conditions austères, qui ont peu de scolarité primaire, et qui n’ont pas suffisamment de moyens pour répondre à leurs besoins de base — les démunis, autrement dit —, ne composent que 25 p. 100 de la population. Le groupe représentant 36 p. 100 de la population serait considéré comme la classe moyenne inférieure. Les groupes se situant au-dessus de ce seuil et ayant un diplôme d’études secondaires et une voiture, ou un diplôme d’études collégiales et deux voitures, qui font un voyage par année et qui envoient leurs enfants à l’école privée — l’équivalent de l’école publique au Canada — représentent quant à eux 32 p. 100 de la population du Mexique.
Encore là, cela a entraîné un bouleversement des politiques nationales. Le Mexique se rapproche beaucoup plus de la situation qu’on connaît aux États-Unis et au Canada. Les gens appartenant à la classe moyenne ou qui ont tendance à améliorer leur situation sont plus ouverts à un modèle politique ouvert, démocratique et libéral. Ce sont des gens qui travaillent pour Walmart, pas pour l’État. C’est dans leur intérêt de souhaiter le succès du Mexique au sein de l’Amérique du Nord post-ALENA, qui est ouverte, en pleine réforme et qui continuera de prendre de l’expansion et de créer de l’emploi. C’est une possibilité qui s’offre pour le Canada et le Mexique.
Le secteur commercial s’en trouve lui aussi changé. Nous avons maintenant la possibilité de faire des affaires dans une gamme de services et d’industries qui n’existeraient pas autrement dans un pays majoritairement pauvre. Le Mexique s’est transformé au cours des 20 années qui se sont écoulées depuis la conclusion de l’ALENA, mais au Canada, notre perception de ce pays est toujours la même et n’a pas suivi sa fulgurante évolution. Le Mexique est aujourd’hui un pays de classe moyenne qui s’est hissé au 14e rang des plus grandes économies mondiales. Selon Pricewaterhouse, d’ici 2034, si je ne me trompe pas, il pourrait devenir la huitième économie mondiale, devançant même le Canada. Thomas Friedman a publié un article il y a quelques années dans le The New York Times, dans lequel il explique pourquoi il juge que le Mexique est le pays offrant le plus de potentiel, plus que la Chine et l’Inde. En effet, dans un pays qui partage notre fuseau horaire, à seulement cinq heures et demie de vol, comparativement à 12 ou 13 heures, et qui a une culture commerciale essentiellement à l’image des pays nord-américains, l’essor de la classe moyenne mexicaine est d’une importante capitale pour le Canada.
Très brièvement, en ce qui concerne l’énergie, comme Colin l’a mentionné et Chris également, je crois, les réformes du secteur énergétique au Mexique auront une grande incidence sur le Canada, et particulièrement sur l’Ouest canadien. Je le répète, les réformes s’appliquent à l’ensemble du secteur énergétique, pas seulement aux hydrocarbures. Nous avons eu la chance de recevoir à Calgary le sous-secrétaire en charge des réformes au ministère de l’Énergie du Mexique, ainsi que le sous-secrétaire à l’environnement, l’ambassadeur et plusieurs autres représentants du gouvernement. Ils ont préféré Calgary à Houston et à d’autres marchés pour faire leur première présentation à l’étranger sur les réformes. Je crois qu’il s’agissait d’un message important pour le Canada.
Ce qui est intéressant, c’est qu’ils n’ont pas parlé uniquement des hydrocarbures. Ils ont parlé de la réforme de l’électricité, des énergies renouvelables et de la nécessité d’avoir des pipelines de gaz naturel pour produire de l’électricité, afin de rendre le secteur manufacturier mexicain plus concurrentiel. Ce sont des secteurs pour lesquels le Canada possède d’importantes compétences, je devrais même parler d’expertise, et la demande est là. Les Mexicains ont clairement indiqué qu’ils étaient intéressés à obtenir ces services du Canada. Il y a des possibilités de ce côté.
Le Mexique a aussi conclu une entente avec l’organisme de réglementation de l’énergie de l’Alberta, un autre signe que l’intérêt va au-delà des échanges commerciaux et des services au sens propre du terme. Ils s’intéressent à notre modèle, à notre façon de faire des affaires, et les représentants du Mexique semblent croire qu’il est possible de collaborer avec le Canada à cet égard.
Très brièvement, que peut-on faire? Et je ne parlerai pas de rapatriement. Avec un peu de chance, quelqu’un va me poser des questions à ce sujet, mais c’est un excellent d’exemple de l’importance que revêt l’essor du Mexique pour des entreprises comme Palliser Furniture, qui se dote d’une nouvelle équipe de concepteurs à Winnipeg. C’est le genre de choses que permet la réforme du secteur énergétique, qui favorise la productivité du secteur manufacturier du Mexique. Il existe ainsi des exemples de la façon dont l’essor du Mexique profite au Canada.
Mais que peut-on faire? En bref, je dois dire que je ne suis pas d’accord avec mes collègues. Je pense que la réussite et la croissance qu’on a pu voir en Amérique du Nord sont attribuables au niveau sous-régional, aux relations entre les États et les provinces. Nous n’avons pas vraiment une bonne idée du nombre d’ententes conclues par les provinces et les États mexicains. Aux dernières nouvelles, nous en avions trouvé 23. Si on compte les provinces canadiennes et les États américains, le nombre est encore plus élevé.
Tous les politiciens de Washington craignent les efforts nord-américains qui visent à revitaliser l’ALENA. Les détracteurs de l’accord avec l’Union européenne, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, l’ont surnommé « ZLETA », pour Zone de libre-échange transatlantique. Pour Washington, la meilleure façon de faire échouer un accord commercial est de le faire rimer avec « ZLEA » (Zone de libre-échange des Amériques). C’est dire l’hostilité que nourrit Washington à l’égard de la ZLEA. Les choses sont différentes au niveau des États et des provinces. En effet, les ententes se multiplient et nous sommes en mesure de régler différents problèmes à ce niveau-là.
La reconnaissance des titres professionnels, l’éducation et la santé sont des enjeux de compétence provinciale, et les progrès sont possibles à ce niveau. Évidemment, il serait préférable d’avoir des solutions applicables à l’ensemble de l’Amérique du Nord, mais selon mon analyse, cette option a déjà été écartée. Le plan B consiste donc à se tourner vers les relations entre les provinces et les États. Ce que le gouvernement fédéral peut faire dans ce cas-ci, c’est en fait d’en faire moins et de laisser les provinces et les États s’en charger, pour ne pas faire obstacle à ce secteur naissant de la croissance nord-américaine.
Je suis d’accord avec Colin pour dire qu’il faut envoyer un message au Mexique. Les Mexicains ont essuyé une déception en tentant de prendre un rôle plus prépondérant en Amérique du Nord. Je pense qu’Ottawa n’a pas répondu positivement à l’appel de Mexico. Washington l’a fait, mais le fait qu’Ottawa n’ait pas réagi a clairement causé des frustrations. L’idée proposée par Colin de former un groupe parlementaire est une excellente idée. Pour dépêcher un représentant spécial, un secrétaire parlementaire pour le Mexique et pour l’Amérique du Nord, cela vaut certainement le prix de quelques billets d’avion vers le Mexique. Cela enverrait un message très clair et nous pourrions ainsi renforcer grandement notre capacité de comprendre le Mexique et de travailler avec lui.
Une idée plus innovatrice, si vous voulez d’une initiative à l’échelle de l’Amérique du Nord en dehors du secteur commercial, pensez aux interventions en cas de catastrophe. Après l’ouragan Katrina, les troupes mexicaines se massaient le long de la frontière du Texas, pas pour se venger des États-Unis et des guerres qu’ils ont menées il y a une centaine d’années, mais pour intervenir d’urgence. Il s’agissait des unités d’intervention en cas de catastrophe. Touché par les ouragans et les séismes, le Mexique a une grande expertise en fait d’intervention en cas de sinistre et en fait profiter ses voisins, notamment dans les Caraïbes et en Amérique centrale. Nous l’avons vécu avec les États-Unis lors de tempêtes hivernales. Rien ne nous empêche d’étendre cette idée à une approche nord-américaine d’intervention en cas de catastrophe naturelle. Vu l’occurrence accrue récemment de tempêtes et de catastrophes naturelles au Canada, aux États-Unis et au Mexique, il est tout simplement sensé de partager nos ressources. Cela pourrait paver la voie à une forme de coopération plus large.
Encore une fois, je pense que les États et les provinces ont été les auteurs silencieux du succès de l’Amérique du Nord, et nous devrions tout faire pour encourager ces relations. Merci beaucoup.
Le sénateur Percy E. Downe (vice-président) occupe le fauteuil.
Le vice-président : Merci, monsieur Dade. Merci pour votre contribution et vos commentaires.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur Robertson, en tout premier lieu, bienvenue et félicitations pour votre magnifique carrière, parce que vous nous en avez parlé, et je vous admire beaucoup. Monsieur Dade, merci pour votre intéressante présentation.
Ma question s'adresse à M. Robertson. Existe-t-il actuellement des consortiums, c'est-à-dire des industries canadiennes qui collaborent avec des industries américaines à la production de matériel de défense?
J'ai également une deuxième question : les États-Unis achètent-ils des produits canadiens de défense, et vice versa?
M. Robertson : Oui, il existe des consortiums canadiens et américains, comme les grandes entreprises General Dynamics, Lockheed Martin et Boeing qui produisent tous les armements. Cela a commencé pendant la Seconde Guerre mondiale et nous avons de bons traités qui ont bien servi les intérêts des Canadiens. Ils ciblent surtout le Québec et l'Ontario, mais aussi le reste du pays. Il s’agit de divers produits, comme les avions et les chars d'assaut, mais il y a une lacune en ce qui a trait aux navires, et c'est dû à la loi américaine, la Jones Act. Cela empêche la collaboration entre le Canada et les États-Unis, et c'est quelque chose d'un peu difficile dans le cadre de la coopération avec les États-Unis à long terme.
La sénatrice Fortin-Duplessis : Dans le cadre des industries un peu moins grandes, existe-t-il aussi une coopération pour la préparation d'armes, tels des fusils et des canons?
M. Robertson : Oui, pour les armements aussi. En termes de dollars, il s’agit de gros montants et cela fait les manchettes, mais c'est très important pour la création d'emplois aux États-Unis et au Canada.
[Traduction]
Le vice-président : Merci. Monsieur Dade, M. Robertson en a fait mention dans sa déclaration préliminaire, mais pourriez-vous nous parler des investissements qui sont faits aux États-Unis et au Mexique par le corps diplomatique et les missions commerciales du Canada? Nous avons reçu des témoins à la séance d’hier, et pendant la soirée, je suis retourné à la maison et j’ai consulté le site Web du gouvernement du Mexique. Je sais que l’argument invoqué a toujours été que cela impliquait un important travail consulaire, en raison de la vaste population d’origine latine. Mais le Mexique assure une présence en Alaska et au Nebraska. Il semble être très présent aux États-Unis, et nous avons réduit nos activités en raison des compressions budgétaires imposées au ministère.
J’aimerais savoir dans quelle mesure le Canada est présent au Mexique. Devrions-nous investir davantage là-bas pour récolter les retombées espérées?
M. Dade : Les investissements du Canada dans la diplomatie commerciale et la facilitation du commerce au Mexique comportent deux volets. Il y a le Service des délégués commerciaux du Canada, et je pense qu’il faut étendre ses activités à la grandeur du Mexique, pour couvrir des endroits comme Querétaro, où sont les installations de Bombardier, et les régions du Nord, où Palliser produit des meubles. Je pense que cela aiderait si le Canada était plus présent dans ces régions.
Le deuxième volet de la diplomatie commerciale canadienne est assuré par les provinces. Le gouvernement de l’Alberta a un bureau à Mexico, et un autre à Guadalajara. Il a une entente avec cet État. Le gouvernement ontarien a aussi un bureau à l’ambassade mexicaine à Mexico, et le Québec a sa propre mission.
Toutes ces missions se sont avérées utiles, tant au niveau national que provincial, à mon avis.
Pour ce qui est d’accroître les investissements, nous avons toujours réussi à faire de bonnes affaires avec les délégués commerciaux dans le secteur pétrolier et gazier, notamment dans le secteur des services pétroliers et gaziers. C’est donc un programme très efficace.
Oui, nous devons accroître notre présence. Oui, certains marchés clés sont faciles à reconnaître, et ce ne serait pas trop compliqué à faire. Mais nous avons réduit nos activités diplomatiques aux États-Unis. À un certain moment, on envisageait d’abolir le consulat à Houston. Dans l’Ouest canadien, on n’a jamais compris pourquoi on voulait couper les ponts avec un marché si crucial pour la production pétrolière et gazière et les services pétroliers et gaziers.
Pour ce qui est du Mexique et des États-Unis, le Mexique a aussi une approche à deux paliers : les consulats, mais aussi les associations de Mexicains aux États-Unis — la diaspora; des gens d’origine mexicaine qui font partie d’associations et d’organisations en lien avec leur ville natale. Ces associations sont partout aux États-Unis. Il y en a des dizaines de milliers. Tous les consulats du Mexique aux États-Unis et le consulat de Toronto ont un représentant chargé de veiller aux intérêts de la diaspora et de travailler avec ces groupes. Alors oui, le Mexique assure une bonne présence.
Il s’apprête également à ouvrir un consulat à Winnipeg, alors le Mexique sera aussi bien représenté au Canada que le sont les États-Unis. Dans l’Ouest canadien, il y a des consulats à Vancouver et à Calgary, et maintenant à Winnipeg.
On pourrait à tout le moins rejoindre les efforts que déploie le Mexique au Canada et faire de même au Mexique.
Le vice-président : Monsieur Robertson, compte tenu de votre expérience aux États-Unis, avez-vous des commentaires à formuler concernant les compressions? Le ministère a évidemment réaffecté des sommes à d’autres marchés émergents, mais en examinant les chiffres des 30 dernières années, on pourrait avancer que tous les gouvernements au pouvoir ont tenté de diversifier le commerce, mais le gros des échanges commerciaux demeure tout de même avec les États-Unis. Il me semble que ces compressions nous éloignent de notre objectif, qui est d’accroître nos échanges commerciaux non seulement avec les États-Unis, mais aussi avec le Mexique.
M. Robertson : Monsieur le président, je pense que nous devons aborder les efforts diplomatiques autrement. Nous n’avons pas nécessairement besoin de gros immeubles flanqués de drapeaux, de voitures et d’artifices. Il faut travailler sur le terrain, comme nous l’avons fait pendant un certain temps sous l’égide du premier ministre Chrétien. Nous avions accru notre présence aux États-Unis et nous avions recruté des Canadiens qui étaient déjà là-bas, comme je le disais dans mon exposé.
Je vais vous donner un exemple pour avoir une idée des montants en jeu. Lorsque j’étais à Los Angeles, pour dépêcher un délégué canadien aux États-Unis, il en coûtait environ 325 000 $. J’ai donc plutôt décidé d’embaucher un Canadien qui vivait déjà à L.A., là où se trouvait notre administration centrale, et j’ai fait la même chose à Phoenix, à Tucson et à San Diego, tous des postes axés sur les sciences de la vie. Je leur versais un salaire de 65 000 $ à 75 000 $, et je leur fournissais une voiture, dont le prix était amorti sur trois ans. À Phoenix, comme les activités se concentraient autour de la chambre de commerce locale, les délégués travaillaient à partir de là. Et à Tucson, c’était semblablement la même chose, mais au conseil économique.
Je signale qu’à l’époque, Janet Napolitano était la gouverneure de l’Arizona, et elle est plus tard devenue secrétaire à la Sécurité intérieure. C’est donc une relation qui s’est avérée très fructueuse.
Nous avons fait la même chose à San Diego. En fait, nous avons inauguré notre bureau de San Diego sur une frégate canadienne de passage aux États-Unis. Une façon de souligner les rapports de nos deux pays en matière de sécurité.
Tout cela essentiellement pour le prix de l’affectation d’une personne. Il y a ainsi moyen de faire les choses économiquement. Ils étaient nos yeux, nos oreilles et notre voix là-bas, comme je le disais, et cela a très bien fonctionné.
Nous avons aussi créé quelque chose à Washington — qui existe toujours, d’ailleurs — appelé Connect to Canada, ou C2C. Il s’agit de faire appel aux nombreux Canadiens en sol américain par le pouvoir d’Internet. Une des choses à surveiller aux États-Unis, particulièrement de nos jours, vu le chaos dans lequel le monde se trouve, c’est cette peur que les méchants arrivent par le Canada. C’est comme le jeu de « tape-la-taupe ». Dès qu’on entend quelqu’un y faire allusion, il faut démentir cette croyance, car ces mythes peuvent finir par s’incruster, et cela nuit à nos relations et à nos échanges commerciaux.
Donc, en tenant ces Canadiens au courant de ce qui se passe… le premier ministre Harper l’a fait il y a quelques années après l’arrestation des 18 de Toronto, et cela s’est avéré extrêmement bénéfique. Les Canadiens nous ont dit : « Merci. Mon voisin me demandait si le Canada était un incubateur à terroristes. » Non, nous sommes aussi vigilants que le reste du monde. Il faut se faire les alliés des Canadiens qui sont en sol américain.
Carlo a parlé de la mise à contribution des provinces, une chose à laquelle nous croyons également. Notre ambassadeur actuel aux États-Unis, Gary Doer, a reçu des gouverneurs mexicains alors qu’il était premier ministre du Manitoba, de concert avec la Western Governors’ Association. Je me souviens d’être allé à Gimli, où on puise l’eau pour faire le Crown Royal. Il s’est bu du Crown Royal et de la tequila. Cela a contribué à solidifier les liens de personne à personne entre l’État et la province. C’est particulièrement important dans les secteurs de responsabilité provinciale, comme les transports.
Le réseau d’autoroute dont nous avons besoin pour assurer le transport par camion d’une foule de marchandises entre le Canada, les États-Unis et le Mexique est en grande partie la responsabilité des gouverneurs mexicains et des premiers ministres provinciaux canadiens.
Le vice-président : Merci. La dernière question s’adressera à vous deux. Monsieur Robertson, vous pourriez y répondre en premier. Devons-nous améliorer les relations bilatérales avant de pouvoir accroître la collaboration trilatérale? Il semble que notre faiblesse se situe actuellement au niveau des relations entre le Canada et le Mexique.
M. Robertson : En effet. Non, je pense que les unes aident à consolider les autres. Le sommet trilatéral de l’an prochain aura lieu au Canada. La rencontre des ministres de l’Énergie qui se tiendra plus tard cette année sera une rencontre trilatérale. Il est possible d’améliorer les relations à plusieurs niveaux. Encore une fois, je pense qu’elles se renforcent mutuellement.
Différents ministres mexicains seront présents. Il serait utile que nous fassions de même lors de réunions tenues au Mexique. Comme je le disais dans ma déclaration préliminaire, il faut encourager les parlementaires à faire leur part. Il est parfois difficile d’avoir l’attention des États-Unis. Je suis convaincu que si le Mexique et le Canada unissaient leurs efforts, nous aurions plus de facilité à accéder au Congrès américain, une étape cruciale des politiques américaines.
Le vice-président : Merci. Monsieur Dade? Même question.
M. Dade : Tout dépend du dossier. Si on aborde la chose d’un point de vue nord-américain, que ce soit de manière bilatérale ou trilatérale, la réalité est que de nouveaux enjeux font surface tous les jours en plus de ceux déjà au programme, et certains dossiers se prêtent mieux à une collaboration avec les États-Unis — peut-être l’Arctique —, et d’autres avec le Mexique. Je pense aux échanges commerciaux avec l’Asie, pour lesquels on travaillerait avec l’Alliance du Pacifique à certains groupes d’intégration des économies émergentes.
Certains débouchés touchent donc l’Amérique du Nord à titre de chaîne d’approvisionnement régionale ou de bloc régional de production de marchandises, peu importe qu’il soit question de rapports bilatéraux ou trilatéraux.
Le hic, par contre, concernant les relations avec les États-Unis, c’est qu’on craint toujours de créer une distance avec Washington si le Canada travaille plus étroitement avec le Mexique. Aujourd’hui, toutefois, Washington accorde plus d’attention au Mexique, comme Colin l’a mentionné. Si on jette un coup d’œil au nombre de visites de dignitaires, de sous-secrétaires et de représentants au Canada et au Mexique, même en tenant compte de l’écart démographique, on est loin du compte.
Donc, si nous pouvions harmoniser nos efforts à ceux du Mexique dans certains dossiers — je répète que la classe moyenne est majoritaire maintenant au Mexique, qui n’est plus le même pays qu’il y a 20 ans non plus sur le plan politique —, je pense que nous pourrions faire progresser certaines questions importantes.
Pour la mention du pays d’origine sur les étiquettes — la Food Safety Modernization Act —, notre plus grand allié dans ce dossier avec Washington est le Mexique. Nous collaborons déjà avec eux à différents dossiers, mais il serait possible d’en faire beaucoup plus. Je reprends encore les paroles de Colin, c’est-à-dire qu’il nous faut juste un peu plus de temps, d’attention et de ressources.
Le grand problème au Parlement, au Sénat et aux autres institutions du Canada, c’est que nous ne connaissons tout simplement pas le Mexique. Il n’y a pas de centre d’étude sur le Mexique au Canada, pas plus qu’il n’y a de centre de recherche sur les politiques mexicaines ni d’université qui offre une expertise particulière sur le Mexique, alors qu’au Mexique, je connais au moins trois ou quatre institutions qui se spécialisent sur le Canada ou qui ont des experts qui se concentrent sur le sujet.
Fondamentalement, avant d’aller plus loin, je pense que le Canada doit vraiment se doter des bons outils pour comprendre le Mexique, mais aussi pour comprendre les États-Unis, comme Colin le disait dans sa déclaration préliminaire. Nous pensons connaître les États-Unis, mais ce sont surtout des connaissances anecdotiques, pas des connaissances issues de recherches menées par une pléthore d’établissements à l’échelle du Canada. Je ne connais aucun centre de recherche sur l’Amérique du Nord, et encore moins sur le Mexique.
Le vice-président : Très bien. Chers collègues, je remercie en votre nom nos deux invités de nous avoir présenté leurs exposés et de nous avoir consacré de leur temps. Cela nous sera très utile pour poursuivre notre étude. Sur ce, la séance est levée.
(La séance est levée.) |