Comités de sénat
Page précédente

Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

OTTAWA, le jeudi 27 mars 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour examiner les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie- Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes.

Le sénateur Percy E. Downe (vice-président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le vice-président : Chers collègues, nous allons commencer. Aujourd'hui, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international va poursuivre son étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes.

Ce matin, nous avons le plaisir d'accueillir Toh See Kiat, président et membre du conseil d'administration de Goodwins; et M. Ken Sunquist, ancien sous-ministre adjoint, Opérations mondiales, et délégué commercial en chef, MAECI, et ancien ambassadeur du Canada en Indonésie.

Je crois savoir que vous avez tous les deux une déclaration liminaire à faire. Qui veut commencer?

Ken Sunquist, ancien sous-ministre adjoint, Asie et Afrique, et délégué commercial en chef, MAECI, et ancien ambassadeur du Canada en Indonésie, à titre personnel : Bonjour. Je suis ravi d'être ici aujourd'hui. C'est la première fois que je me retrouve devant votre comité depuis que j'ai quitté la fonction publique et le service extérieur il y a deux ans. Après avoir été délégué commercial et posté à l'étranger pendant plus de 20 ans, j'ai suivi vos délibérations et lu la transcription de votre dernière réunion avec beaucoup d'intérêt. Je nourris l'espoir que vous saurez examiner les enjeux politiques que soulève toute cette question et que vous parviendrez à dégager un consensus.

Je propose de faire une brève déclaration liminaire, après quoi je répondrai à vos questions. Je vais parler essentiellement de questions économiques, mais je serai ravi d'aborder d'autres enjeux pendant la discussion tout à l'heure.

Votre collègue, la sénatrice Andreychuk, a dit au cours d'une réunion antérieure que tous les chemins mènent à l'Asie. Après mon départ de l'Asie et du ministère, j'ai continué de beaucoup m'intéresser à ce continent. Je travaille actuellement pour le Centre for International Business de l'Université de la Saskatchewan, pour le China Institute de l'Université de l'Alberta, pour l'Université de Regina et pour le North Star Trade Finance de Vancouver, afin d'aider les PME à développer leurs activités.

Comme la plupart des économistes, je suis aujourd'hui convaincu, fort de mon expérience, que nos débouchés futurs se trouvent en Asie. Que nous faisons partie des pays de la région Asie-Pacifique.

En tant qu'administrateur de CARE, la plus importante ONG canadienne dans le domaine du développement, j'estime que les activités du Canada en Asie doivent être axées sur la sécurité, les échanges économiques et l'investissement, ainsi que les questions de développement.

Vous n'êtes pas sans savoir que la région abrite plus de 50 p. 100 de la population de la planète. De plus, d'après les économistes, plus de 50 p. 100 des biens et services du monde entier sont produits et consommés dans le corridor qui relie le Japon et l'Inde. En négligeant cette région, nous le faisons à nos dépens.

Le dernier poste que j'ai occupé au MAECI était celui de sous-ministre adjoint pour l'Asie et l'Afrique; j'avais la responsabilité des relations bilatérales avec 95 pays, et, à titre de délégué commercial en chef, de plus de 1 000 délégués commerciaux répartis dans 150 villes du monde. C'est à cette époque-là que je me suis vraiment rendu compte que l'Asie était la région du monde la plus dynamique.

On assiste actuellement à un réalignement du pouvoir économique, et il est essentiel que nous ayons une politique d'engagement stratégique avec les nouveaux centres de pouvoir. Nous sommes sur le point de conclure nos négociations avec l'Europe, et nous savons parfaitement que les États-Unis sont et resteront notre meilleur partenaire et notre meilleur allié. Mais l'Asie est rapidement en train de devenir, si ce n'est déjà fait, la région la plus importante pour l'avenir de notre pays.

Comme l'a dit le président Obama, les États-Unis ont compris qu'il leur fallait se tourner vers l'Asie. Sommes-nous prêts à en faire autant?

C'est un changement d'orientation difficile pour le Canada, car le marché américain est si près, alors que le Nouveau Monde est si loin. Cela met en exergue les questions de transport et de connectivité, qui ont des impacts à la fois nationaux et internationaux. Les ports, les aéroports, les transports, les visas, l'éducation, tout ça est affecté par un tel changement.

Même si la Chine occupe une place prépondérante en Asie, nos relations avec cette région ne doivent pas se limiter à ce pays. La Chine est la deuxième puissance économique mondiale, et elle devrait dépasser les États-Unis entre 2020 et 2030. Plusieurs gouvernements fédéraux et provinciaux successifs se sont intéressés sérieusement à la Chine, mais malgré cela, nos investissements dans ce pays restent assez limités, et nos échanges commerciaux, par rapport aux importations chinoises, retrouvent à peine aujourd'hui le niveau qu'ils avaient atteint dans le sillage des missions Équipe Canada. En attendant, les investissements chinois au Canada continuent de croître, surtout dans les secteurs très visibles de l'énergie et des ressources, ce qui n'a pas manqué d'avoir des effets sur notre politique relative aux investissements étrangers.

Le nombre de touristes chinois atteint des niveaux record, et la tendance s'accélère. Les étudiants chinois n'ont jamais été si nombreux au Canada. Autrement dit, nous sommes capables d'attirer des hommes d'affaires, des investisseurs, des touristes et des étudiants. Toutefois, les hommes d'affaires canadiens ne réussissent pas aussi bien que leurs concurrents. Il est donc important que, dans nos politiques publiques en matière de relations économiques, nous continuions de développer notre réseau de délégués commerciaux en Chine, afin d'aider les entreprises du secteur privé. Nous devons également exploiter davantage l'étude conjointe sur les complémentarités économiques du Canada et de la Chine.

S'agissant du Japon, nous avons avec ce pays d'excellentes relations, que nous avons toutefois tendance à tenir pour acquises. C'est un partenaire de taille en matière d'investissements, et nous devons poursuivre nos efforts en vue de la signature d'un accord économique cadre.

Les progrès en Inde sont plus lents, mais ce pays est un excellent partenaire sur le plan de la sécurité et des relations économiques. Il est important que nous entretenions la collaboration qui s'est établie entre nos deux pays, aussi bien sur le dossier nucléaire que sur celui des visas, entre autres.

Passons maintenant aux pays de l'ANASE et à l'Indonésie, notamment. C'est avec eux, à mon avis, que nous pouvons et que nous devons intensifier nos relations afin d'encourager les entreprises canadiennes. Depuis la Stratégie commerciale mondiale du ministre Emerson, en 2007 — qui fournissait des ressources et surtout un dispositif d'intervention —, jusqu'à la politique de diplomatie économique du ministre Baird, en passant par le Plan d'action sur les marchés mondiaux du ministre Fast, qui identifie les pays et les secteurs de priorité, nous avons les outils et les orientations dont nous avons besoin.

Sur le plan gouvernemental et commercial, nous avons à notre crédit un certain nombre de réalisations. Notre ambassadeur en Indonésie est accrédité auprès de l'ANASE. Nous nous sommes ralliés au plan d'action de l'ANASE, et nous avons signé une déclaration commune sur le commerce et l'investissement. Un Conseil commercial Canada- ANASE a été créé, et un sondage de la Fondation Asie-Pacifique du Canada a indiqué que les entreprises canadiennes étaient à la fois actives et rentables dans la région de l'ANASE.

Les échanges commerciaux ont augmenté de 19 p. 100 au cours des cinq dernières années, et les investissements de ces pays au Canada encore plus. Nos investissements dans les pays de l'ANASE dépassent nos investissements en Chine et en Inde combinés. De nombreux immigrants sont issus des pays de l'ANASE, sans parler des étudiants et des travailleurs temporaires. À tout le moins, notre premier ministre et ses ministres se doivent de participer au sommet de l'ANASE et de l'APEC. S'agissant de l'Indonésie, c'est un pays avec lequel le Canada entretient une relation solide, qui va dans la bonne voie. C'est le pays islamique le plus peuplé du monde. Il a entrepris des réformes démocratiques et est membre du G20, de l'ANASE et de l'APEC. De tous les pays de l'ANASE, c'est notre partenaire le plus important sur le plan du commerce et de l'investissement, et c'est sans doute un exemple de la façon dont les entreprises canadiennes peuvent réussir sur les marchés asiatiques. Je pourrai revenir plus tard là-dessus, mais auparavant, je vais conclure brièvement.

Certains témoins que vous avez entendus ont qualifié les 10 dernières années de décennie perdue en Asie, et en ont imputé la faute aux gouvernements ou à Bay Street. Il y a peut-être un soupçon de vérité là-dedans, mais les raisons principales sont généralement beaucoup plus profondes. L'idée que le Canada est un pays d'Asie rallie moins d'adeptes qu'il y a 10 ans. À preuve, les réactions aux investissements asiatiques au Canada et aux activités des entreprises canadiennes en Asie. Les autres facteurs sont la structure industrielle, car nous avons relativement peu de grandes entreprises pour un grand nombre de PME, lesquelles ont davantage besoin de l'aide des délégués commerciaux du gouvernement fédéral, d'Exportation et développement Canada, de la Corporation commerciale canadienne et d'organismes provinciaux comme le STEP, cet organisme de la Saskatchewan qui a comparu devant vous, et d'autres organisations.

Mais le bon côté des choses, c'est que le plus vaste marché du monde est à notre porte. Ça peut sembler relativement facile d'exporter depuis Moose Jaw, en Saskatchewan, vers Minot, dans le Dakota du Nord. Mais quand on est compétitif à l'échelle mondiale, on peut aussi le faire à partir de Mumbai ou du Myanmar.

La facilité de nos échanges avec les États-Unis a aussi une profonde influence sur la façon dont nous faisons des affaires. Pour nous, c'est la transaction d'achat ou de vente qui est importante, mais en Asie, ce sont avant tout les relations entre les personnes, entre les entreprises et entre les pays. Dans une réunion antérieure, le sénateur Smith a parlé de son bureau à Hong Kong et de l'importance de ces relations. Et c'est vrai au niveau politique, au niveau des entreprises et au niveau de nos établissements d'enseignement. Le temps et les efforts qui y sont consacrés rapporteront plus tard. L'Asie aime faire des affaires avec des amis, ce qui a un coût.

Enfin, les gouvernements fédéral et provinciaux doivent adopter une stratégie cohérente pour l'Asie, et l'ANASE en particulier. Les parlementaires et les dirigeants d'entreprises doivent y être associés. La politique de diplomatie économique des ministres Baird et Fast doit englober la totalité de MAECD et du gouvernement pour garantir le succès de tous les secteurs de l'économie canadienne. Les négociations commerciales avec la Corée doivent aboutir. Le Partenariat transpacifique doit demeurer une priorité. Pour ce qui est du Japon, de l'Inde et de la Chine, nous devons regarder vers l'avenir et, pour la première fois, nous devons accorder la priorité à un accord de libre-échange Canada- ANASE, pour mieux faire face à la concurrence. Nous devons conserver, voire développer, notre représentation commerciale dans la région. J'espère que votre comité sera en mesure de faire des recommandations pour encourager l'investissement, le tourisme, l'éducation et l'innovation avec cette région.

Je m'en tiendrai là pour l'instant, monsieur le président, jusqu'à la période des questions.

Le vice-président : Je vous remercie de votre déclaration. Nous allons maintenant écouter celle de M. Toh.

Toh See Kiat, président et membre du conseil d'administration, Goodwins, à titre personnel : Bonjour, monsieur le président et honorables sénateurs. Je me réjouis de comparaître dans cette auguste enceinte. Je témoigne à titre personnel. Je ne suis spécialiste ni en économie ni en sécurité, je suis un simple Singapourien qui passe chaque année un certain temps au Canada. Je propose de vous brosser un tableau assez général de la situation, et si les sénateurs veulent avoir plus de précisions, je m'efforcerai de leur en donner.

Singapour est, pour le Canada, le deuxième marché d'exportation en Asie du Sud-Est et la deuxième destination de l'investissement direct étranger, IDE. En dehors de la Chine, c'est à Singapour que le représentant d'Exportation et développement Canada a installé son bureau. La ville a une chambre de commerce canadienne, une association commerciale Canada-Singapour et même une école canadienne internationale. Et pourtant, les Canadiens pourraient être davantage présents à Singapour. Nous n'avons pas d'accord de libre-échange avec le Canada, alors que nous en avons signé 18 avec d'autres pays, y compris les États-Unis. En effet, les négociations avec le Canada ont bloqué après huit rondes de discussions, en 2007, et je n'ai jamais compris pourquoi.

Pourquoi les États-Unis s'intéressent-ils à Singapour? De mon poste d'observateur indépendant, je peux dire que Singapour est une porte d'entrée vers la Chine, et qu'un grand nombre de dirigeants chinois considèrent Singapour comme un modèle de développement pour l'Asie. Nous avons même un cours de MBA pour cadres qui se donne en mandarin, à l'université. En fait, nous l'appelons le « cours des maires », tellement il y a de maires et de gouverneurs qui y sont inscrits! Il y a beaucoup de choses que le Canada pourrait faire. J'ai des collègues à l'Université technologique de Nanyang qui sont canadiens.

Le problème vient peut-être de l'expérience des Canadiens et des idées fausses qu'ils peuvent avoir au sujet de Singapour. Premièrement, ils pensent que c'est une ville chère. Selon l'Economist Intelligence Unit, Singapour était la ville la plus chère du monde en 2013. Deuxièmement, comme l'a dit un témoin qui a comparu récemment devant votre comité, le gouvernement de Singapour est perçu comme un « régime très autoritaire », du même acabit, a-t-il ajouté, que le Vietnam, le Laos et le Cambodge. Je suis allé au Vietnam, et je peux vous dire que ça n'a rien de comparable. On raconte qu'à Singapour, le chewing-gum et la série télévisée Sex in the city sont interdits, et je ne peux donc pas blâmer le témoin de tirer ce genre de conclusion. Troisièmement, c'est un tout petit pays dont la population, qui est comparable à celle du Grand Toronto, est entassée sur une superficie qui ne dépasse pas celle de Toronto. Les gens pensent donc que ça ne peut pas être un grand marché et qu'en tout cas, ça paraît plutôt claustrophobique. Il y a sans doute beaucoup d'autres mythes sur Singapour, mais je vais essayer de déboulonner ces trois-là.

Le logement et la voiture coûtent très cher à Singapour; en fait, c'est une politique du gouvernement. Pratiquement tout ce que nous avons est importé, donc ça coûte cher. Mais malgré ça, si vous n'avez pas besoin de manger du filet mignon tous les jours, de vivre dans un appartement haut de gamme du centre-ville, et de conduire une voiture de luxe, le coût de la vie y est moins cher qu'à Toronto. J'en sais quelque chose puisque j'habite dans les deux villes. Dans un sondage de 2013 sur le coût de la vie, pour un citoyen moyen, dans 109 villes du monde, l'Asia Competitiveness Institute a classé Singapour au 60e rang des villes les plus chères, Toronto au 33e, Montréal au 38e, et Calgary au 41e. Ces villes sont donc toutes plus chères que Singapour.

Quant au régime très autoritaire, on y compte un policier pour 614 habitants. Ce ratio est de 303 à Tokyo, de 252 à Hong Kong, de 249 à Londres, et de 242 à New York. La ville qu'on décrit comme un « État policier » compte en fait, proportionnellement, trois fois moins de policiers que New York. Il n'est pas interdit de mâcher du chewing-gum, vous pouvez le faire librement. Par contre, il est interdit d'en vendre et d'en importer. Si vous en rapportez de votre vol d'Air Canada, vous pouvez en mâcher autant que vous voulez. Si vous avez une ordonnance médicale pour ce genre de produit, nous vous autorisons à importer et à mâcher du chewing-gum parfumé à la nicotine.

Nous avons certainement davantage de contraintes juridiques qu'au Canada, mais c'est inévitable dans un État aussi minuscule qu'un timbre-poste où se côtoient toutes sortes de religions, de races et de nationalités, et où il y a eu des émeutes raciales il y a moins de 50 ans. Cette paix que nous avons réussi à construire, de peine et de misère, nous y tenons comme à la prunelle de nos yeux et nous prenons grand soin de la préserver.

Pour ce qui est maintenant d'être un petit marché, je dois vous dire que Singapour est l'endroit idéal où installer votre siège social, mais pas où faire des transactions commerciales. C'est à 7 heures de vol d'un pays de 3,1 milliards de personnes, dont le PIB était de 10 600 milliards de dollars américains en 2010. C'est le port d'escale de plus de 100 routes maritimes reliées à 600 ports internationaux, et de 200 lignes aériennes desservant plus de 200 villes. Il faut savoir que 5 400 vols décollent chaque semaine de l'aéroport international de Changi. L'impôt des sociétés n'est que de 17 p. 100, et le régime fiscal offre beaucoup d'allégements, d'incitatifs et d'exemptions, surtout pour les entreprises qui installent leur siège social régional ou international à Singapour.

J'ai ici quatre exemplaires d'un livre intitulé Accessing Asia Through Singapore, qui a été publié par la Singapore Business Federation. Je vous les laisserai pour que vous puissiez les consulter. Si vous en voulez davantage d'exemplaires, je vous en ferai parvenir.

Que peuvent faire les Canadiens pour tirer parti de ce centre de création de la richesse, où le taux d'imposition personnel est inférieur à 15 p. 100, où la TPS n'est que de 7 p. 100 et où l'on trouve la plus forte concentration de millionnaires per capita, à l'échelle du monde?

Je vais conclure ma déclaration par quelques suggestions. Premièrement, Singapour est en train de rapidement devenir un centre de recherche fondamentale et appliquée dans les technologies vertes — ce que j'appelle « les cinq pôles propreté ». Ce sont aussi des technologies canadiennes, puisque ces « cinq pôles propreté » concernent l'air, la nourriture, l'énergie, l'eau et les déchets. Ça peut vous paraître paradoxal que les déchets en fassent partie, mais le fait est que nous pouvons transformer les déchets en engrais et en provendes.

Il existe en fait un sixième « pôle propreté », qui concerne le gouvernement, mais ça c'est difficilement exportable, malgré nos efforts. Des cours sont dispensés à la Lee Kuan Yew School of Public Policy, et j'ai moi-même enseigné au programme de MBA de l'Université technologique de Nanyang, afin d'inculquer les principes de leadership que nous tirons de notre expérience à Singapour.

Les Canadiens pourraient mettre au point des technologies vertes dans ces cinq pôles propreté, et nous les vendre, à nous et à l'Asie tout entière. Ils pourraient se prévaloir des subventions et des incitatifs qu'offrent les différents gouvernements pour mettre au point et exporter ce genre de technologies aux 3,1 milliards de personnes qui nous entourent et qui en ont grandement besoin.

Deuxièmement, Singapour est en train de se positionner pour devenir une plaque tournante de l'éducation supérieure. De grandes écoles internationales ont des campus et des antennes à Singapour : l'INSEAD, l'ESSEC, la Sorbonne, Yale, le MIT, Wharton, Berkeley de l'UC et Duke, pour n'en nommer que quelques-unes. Les universités de Singapour, dont deux se classent parmi les 100 meilleures universités du monde, attirent l'élite des étudiants asiatiques et les font participer à des échanges avec l'Ouest, notamment avec le Canada. En qualité de président de l'association des anciens élèves de l'Université nationale de Singapour à Toronto, je reçois régulièrement ces étudiants et leurs parents à Toronto. Ils doivent payer non seulement l'enseignement qu'ils reçoivent, mais aussi leur logement, leurs déplacements touristiques et bien d'autres services.

Les Singapouriens envoient aussi leurs enfants dans des écoles internationales du Royaume-Uni et des États-Unis. Ils n'entendent pas beaucoup parler des universités canadiennes, ou ils n'en pensent pas grand bien. C'est une anomalie à laquelle il faudrait remédier. Après tout, l'Université de Toronto arrive au 16e rang dans le monde, alors qu'UBC et McGill sont ex aequo au 31e rang. Ce sont là les classements de The Times Higher Education, d'autres sont peut-être différents.

À ce propos, l'Université nationale de Singapour se place au 16e rang, et UNT, l'université de technologie, se place à peu près au 41e.

Troisièmement, Singapour se présente comme une plaque tournante pour les services et la fabrication haut de gamme. Nos coûts de main-d'œuvre sont élevés, mais dans la fabrication haut de gamme, la marge de profit est, elle aussi, élevée.

Les services informatiques, les services de l'information et des télécommunications et leurs produits dérivés, les médias et les divertissements sont les exportations de l'avenir. Il y a de bons acteurs au Canada et on y produit de bons films, mais vous pourriez aussi les produire à Singapour. Universal Studios, par exemple, et certains studios Disney sont implantés à Singapour.

Nous voudrions que Singapour devienne une plaque tournante en matière de services financiers, juridiques, comptables et de règlement des litiges, comme c'est le cas de Londres et de New York.

S'agissant des services médicaux, nous sommes les médecins de la région. Nous mettons l'accent sur les produits biomédicaux et pharmaceutiques. Nous avons en fait créé une île simplement pour l'industrie pharmaceutique. Nous mettons l'accent sur la mécanique de précision et l'optique, les services de logistique, et les services liés à l'industrie du gaz et du pétrole.

Je donne tous ces exemples parce que je sais fort bien que le Canada a des entreprises d'avant-garde dans ce secteur. Pourquoi ne regardent-elles pas du côté de Singapour? C'est le moment de le faire.

J'aurais encore beaucoup de choses à dire, mais je sais que votre temps est précieux, alors je vais m'arrêter là. C'est avec plaisir que je répondrai aux questions des sénateurs. Merci beaucoup.

Le vice-président : Je vous remercie de votre déclaration. J'ai eu l'occasion de me rendre dans votre pays à deux reprises, et, quand on vient du Canada, on se dit que c'est quasiment une cité-État. C'est un pays extraordinaire, quand on voit ce que vous avez réussi à faire, au point de vue infrastructures et niveau de prospérité. Vous avez fait allusion à un gouvernement « propre », et aux efforts que vous avez déployés dans ce domaine. C'est incroyable ce que vous avez réussi à faire. La prospérité que vous avez réussi à apporter à tous ceux qui vivent à Singapour est vraiment un modèle non seulement pour les pays de la région, mais pour le monde entier. C'est avec beaucoup d'intérêt que je vous ai écouté.

D'autant plus que vous m'avez rappelé, ce que j'avais oublié, que nous avons entrepris des négociations de libre- échange avec votre pays, mais qu'elles ont avorté, alors que les Américains sont allés jusqu'au bout. C'est quelque chose que nous allons devoir réexaminer. Je comprends bien que vous n'êtes pas un expert en la matière, mais je vais chercher à savoir pourquoi.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Je remercie nos témoins pour leurs intéressantes présentations. Ma première question s'adresse à M. Sunquist. Notre comité a déjà visité la Chine et l'Inde et il se penche actuellement sur d'autres pays de l'Asie du Sud-Est. Je vais vous poser une question au sujet de ce qui se passe en Indonésie.

Il est notoire que les infrastructures constituent un des éléments les plus importants pour favoriser le commerce et le développement économique. Or, plusieurs investisseurs internationaux soulignent la piètre qualité des infrastructures aux Philippines et en Indonésie. D'ailleurs, un récent sondage auprès des gens d'affaires japonais révèle que c'est la mauvaise qualité des infrastructures en Indonésie qui constitue le principal frein à l'investissement là-bas. Depuis plusieurs années, le gouvernement indonésien affirme que les infrastructures sont sa principale priorité.

Avez-vous remarqué une amélioration quant à la qualité des infrastructures en Indonésie? Est-ce que la volonté du gouvernement indonésien d'améliorer ses infrastructures se concrétise en un investissement massif dans le domaine?

M. Sunquist : Je vous remercie pour vos questions, sénatrice. Si possible, j'aimerais répondre en anglais.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Vous pouvez répondre en anglais sans problème.

[Traduction]

M. Sunquist : J'ai parlé de la Chine, du Japon et de l'Inde parce que ce sont les trois principaux pays. Comme l'a dit l'autre témoin, Singapour est la porte d'entrée par excellence vers la Chine, et vice versa. Il est évident que, par son statut de superpuissance économique, la Chine est en train de devenir le chef de file de toute la région. Mais il faut comprendre comment ça marche en Chine pour comprendre comment ça marche dans les pays de l'ANASE et comment le reste de la région s'intègre dans tout ça, que ce soit sur des questions de sécurité comme la mer de Chine méridionale, sur des questions commerciales, ou sur d'autres questions. Mais permettez-moi de répondre à votre question sur l'amélioration des infrastructures.

L'Indonésie a connu des hauts et des bas, mais il est évident que, en tant que membre responsable du G20, et en tant que membre influent de l'ANASE et de l'APEC, elle a su apporter des améliorations à ses infrastructures institutionnelles depuis les deux dernières décennies. D'un autre côté, sur des dossiers comme la corruption, qui étaient très importants il y a 15 ans — et je ne dis pas que c'est parfait maintenant —, il faut quand même reconnaître qu'il y a eu des améliorations, ne serait-ce qu'en ce qui concerne les droits de la personne.

Quand on parle d'infrastructures, il n'y a pas que les éléments physiques. Il y a aussi les banques, les services financiers, l'indice démographique, et j'en passe, sans parler du contexte juridique. Certes, n'importe quel pays pourrait s'améliorer, mais si vous comparez la situation d'aujourd'hui à l'époque où j'étais ambassadeur, il y a une dizaine d'années, à l'époque de la dictature, je pense qu'on peut dire, en toute objectivité, que des progrès considérables ont été réalisés, malgré l'apparition d'autres enjeux comme le terrorisme. Il y a eu des bouleversements spectaculaires, comme la crise asiatique à la fin des années 1990, et l'effondrement des marchés en 2008. Mais on peut affirmer que la qualité des infrastructures s'est nettement améliorée.

Toutes sortes de facteurs sont intervenus, mais le gouvernement indonésien a été particulièrement réceptif aux investissements étrangers et à l'implantation de firmes étrangères. Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais pour ce qui est des infrastructures, il y a eu assurément une nette amélioration.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Avant que vous répondiez, j'aimerais faire un petit commentaire. Il y a encore des bureaux mobiles en Indonésie. Il y a des gens qui ont des entreprises, mais qui font des affaires à partir de leur véhicule. Cela dénote peut-être un manque d'infrastructure sur le plan du réseau routier. Alors j'aimerais entendre votre réponse, monsieur Toh.

[Traduction]

M. Sunquist : Si vous regardez l'horizon de Jakarta ou de Surabaya, il se compare tout à fait aux villes canadiennes les plus modernes. Il est évident que les installations de télécommunications y sont nettement meilleures. Les installations portuaires sont un peu désuètes, mais c'est un secteur qui attire beaucoup d'investisseurs singapouriens. Manifestement, c'est en train de bouger.

C'est aussi un pays qui a eu largement sa part de catastrophes et de tsunamis. Quand on dit que les gens travaillent à partir de leur voiture, je ne l'ai pas vu personnellement, mais c'est sûr que dans le Nord, à Ache, ils ont eu à faire face à des tsunamis et à des actes de terrorisme, mais la reconstruction est en cours. J'ai parlé tout à l'heure de mon action au sein de CARE Canada. Nos interventions en Indonésie ont toujours été, jusqu'à récemment, des réactions à des catastrophes, des éruptions de volcans, des tsunamis... Mais aujourd'hui, c'est plutôt sur des dossiers concernant l'égalité des sexes, la démocratie, les droits de la personne et le développement à long terme. Je ne pense pas que le problème des étrangers qui sont obligés de travailler dans leur voiture soit toujours aussi pressant, mais je me trompe peut-être.

M. Toh : J'aimerais ajouter qu'en ce qui concerne les infrastructures, il y a bien sûr encore beaucoup à faire. Mais je suis d'accord avec M. Sunquist pour dire que celles de Jakarta sont adéquates pour le commerce et l'industrie. En fait, le gouverneur de la ville, qu'ils surnomment « Jokowi », est très populaire et il a fait beaucoup pour Jakarta. À telle enseigne qu'il est maintenant candidat à la présidence du pays, donc il y a de l'espoir. J'ai personnellement donné des cours à des représentants du gouvernement indonésien, à l'Université technologique de Nanyang, et je peux vous dire qu'ils sont motivés et qu'ils veulent apprendre.

Je voudrais simplement ajouter que, si les Canadiens sont réticents à investir directement en Indonésie, il y a deux îles qui sont à environ 45 minutes en bateau de Singapour, je parle d'un catamaran rapide. Nous avons des services là- bas. Il s'agit des îles Batam et Bintan. En fait, Singapour y a investi beaucoup d'argent, en partenariat avec les Indonésiens, pour faire de ces deux îles des centres touristiques et des zones industrielles. Vous pouvez ainsi investir en Indonésie tout en étant très proches de Singapour, exporter vos biens et services via Singapour et éviter tous les problèmes d'infrastructure de l'Indonésie. À partir de Singapour, il faut compter une à deux heures d'avion pour rejoindre n'importe quelle ville d'Indonésie. Donc, vous pouvez facilement vous y rendre sans y être vraiment installés.

La sénatrice Johnson : Je vous souhaite la bienvenue. Vos exposés m'ont beaucoup intéressée, surtout ce que vous avez dit au sujet du chewing-gum. Ça va être difficile de s'en passer.

Monsieur Toh, le PIB de Singapour a augmenté de 6 p. 100, et en 2013, de 4,1 p. 100, c'est bien ça?

M. Toh : Je crois que c'est plutôt 5 p. 100.

La sénatrice Johnson : Il est prévu qu'il augmentera de 4,5 p. 100 en 2015. Quels sont les secteurs de l'économie qui vont à votre avis afficher la plus forte croissance? Deuxièmement, quelles sont les contraintes de l'économie singapourienne?

M. Toh : Le gouvernement a pour politique d'encourager la prestation de services à partir de Singapour, et ce sont ces secteurs, à mon avis, qui vont enregistrer la plus forte croissance. L'un de ces secteurs est le règlement des litiges. Beaucoup de cas d'arbitrage sont réglés à Singapour. Il y a plusieurs raisons à cela, l'une d'entre elles étant l'arriéré accumulé dans les pays où les litiges se produisent. Il y aussi beaucoup d'autres raisons politiques et économiques, et en plus, nous avons de très bons spécialistes à Singapour. La profession juridique est moins fermée qu'avant, de sorte que n'importe quel arbitre canadien peut venir travailler à Singapour. Il n'a même pas besoin d'un permis, il lui suffit d'ouvrir un bureau. Et il n'est pas obligé de le faire dans sa voiture, il peut louer de très beaux bureaux.

Nous cherchons également à développer le secteur des services de traitement des données et de l'information, ainsi que les industries pharmaceutiques et biomédicales. Il y a beaucoup de secteurs en croissance, notamment celui du tourisme. La ville n'est pas grande, elle abrite 5,6 ou 5,7 millions de personnes, mais elle accueille des millions de touristes par an. Nous avons plus de touristes que de résidents.

Pour ce qui est des contraintes, il y a, comme je l'ai dit, le coût de la vie. Beaucoup d'expatriés veulent conserver le même niveau de vie qu'en Occident, et ils trouvent que ça coûte très cher. Mais nous avons un gouvernement proactif, qui s'emploie à réduire cet écart le plus possible. Vous savez, ce n'est pas un cadeau d'être la ville la plus coûteuse pour les expatriés.

La deuxième contrainte est le manque d'espace. Comme je l'ai dit, la ville est à peine plus grande que Toronto, avec 712 kilomètres carrés. Cela signifie que nous devons encourager les industries qui ont besoin d'espace à s'installer en dehors de Singapour. Comme je l'ai dit, nous sommes en train de développer, avec l'Indonésie, les îles Bintan et Batam, qui sont à 45 minutes de bateau. Au nord, à une demi-heure à peine de Singapour, après le passage de deux ponts, vous avez la ville de Johor, en Malaisie. Johor est en train de construire une vaste zone industrielle qui sera accessible sans passeport. Elle s'appelle Iskandar, du nom du sultan de Johor, le père du sultan actuel, je crois. Autrement dit, la région d'Iskandar va devenir l'arrière-pays de Singapour.

La sénatrice Johnson : Vous avez dit que le manque d'espace risquait de poser un problème, étant donné que vous accueillez un grand nombre de travailleurs migrants. Dans quelle mesure cela affecte-t-il économie?

M. Toh : Comme je l'ai dit dans ma déclaration, nous essayons de mettre l'accent sur l'ingénierie haut-de-gamme, l'ingénierie de précision, pour que les coûts de main-d'œuvre ne vous effraient pas. De cette façon, vous n'êtes pas obligés de faire appel à des travailleurs migrants, vous pouvez embaucher des Singapouriens très qualifiés. Vous avez donc intérêt à vous intéresser à ce genre d'industrie. S'agissant du manque d'espace, comme je l'ai dit, nous avons toutes sortes d'incitatifs pour encourager les industries et les services qui ont besoin d'espace à s'installer dans des tours, et nous avons donc des usines dans des tours comme nous avons des appartements dans des tours.

La sénatrice Johnson : Monsieur Sunquist, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Sunquist : Simplement pour dire que, d'après les statistiques que j'ai vues, environ 60 p. 100 des entreprises canadiennes ont choisi Singapour parce que c'est un endroit où on peut installer un siège social, où le système juridique est fiable et où il n'y a pas de problèmes de langue et de transport. Les entreprises canadiennes installent souvent leur siège régional et leurs services à Singapour parce que c'est dans la logique des choses.

Celles qui travaillent dans le domaine de l'aéronautique ont tendance à être plus proches du pays. Celles qui sont implantées en Indonésie, aux Philippines ou en Thaïlande vendent généralement de l'agroalimentaire aux utilisateurs finaux, mais elles peuvent aussi utiliser des agents basés à Singapour.

S'agissant de l'industrie automobile, il est intéressant de constater que l'Indonésie est aujourd'hui le plus gros importateur d'automobiles de toute la région. Pour ce qui est des technologies vertes, Singapour est en tête, mais si vous allez dans les autres pays, vous verrez qu'ils en ont eux aussi besoin, c'est le moins que l'on puisse dire. Pour ce qui est des TIC et des hydrocarbures, les entreprises de TIC seront plus attirées par Singapour, tandis que les entreprises de pétrole et de gaz naturel seront plus intéressées par la Malaisie, le Vietnam et l'Indonésie.

Tout dépend de votre secteur d'activité. Prenez le cas de Manuvie et de Sun Life, il n'y a rien qui réjouisse autant un Canadien que de voir un bureau de ces sociétés, parmi les 20 ou 30 qu'elles ont ouverts dans toutes les îles. Ils arborent tous un immense drapeau canadien, encore plus grand que celui qui flotte au-dessus de la Tour de la paix, et il y en a une bonne trentaine dans tout le pays. Manuvie et Sun Life sont bien implantées dans le pays; elles y ont établi des relations, et leurs cadres sont sur place. BlackBerry est en train de regarder du côté de l'Indonésie, car c'est l'un de ses plus grands marchés. C'est d'ailleurs un marché très rentable.

Singapour est un créneau au-dessus, et c'est ce genre de services qu'elle cherche à attirer, selon les types d'entreprises.

M. Toh : Je voudrais ajouter que nous sommes en train de construire un grand parc aéronautique. Cela suscite un très grand intérêt dans l'industrie aéronautique, et les entreprises canadiennes sont les bienvenues.

S'agissant de l'agroalimentaire, vous pensez peut-être qu'avec un territoire aussi restreint, Singapour n'a pas de place pour l'agriculture. Nous faisons comme pour les autres industries, nous avons des exploitations agricoles à plusieurs étages. Et nous nous servons de la technologie pour la culture hydroponique et pour la culture aéroponique. C'est un secteur qui présente un excellent potentiel pour les exportations vers les pays du Moyen-Orient qui manquent d'eau et de terres arables. Nous utilisons des technologies agricoles d'avant-garde, et nous pourrions envisager des collaborations avec le Canada.

Le sénateur Oh : Je vous souhaite la bienvenue parmi nous. Si on compare les entreprises canadiennes et les entreprises australiennes qui ont des activités en Asie, on voit que l'Australie n'a pas d'assise manufacturière, alors que le Canada en a une. Et pourtant, les exportations australiennes en Asie dépassent largement les exportations canadiennes. Faut-il en conclure que les entreprises canadiennes ne sont pas assez dynamiques?

M. Sunquist : Permettez-moi de vous donner un premier élément de réponse, car je crois que mon collègue aura sans doute une perspective différente sur les entreprises canadiennes établies à Singapour.

Je pense que les entreprises canadiennes sont dynamiques, mais il faut bien comprendre que cette région est l'arrière- pays de l'Australie. Souvenez-vous de la crise qui a éclaté entre l'Indonésie et le Timor-Oriental : toutes les opérations étaient organisées à partir de l'Australie. L'Australie s'est aussi occupée des bateaux qui transportaient des réfugiés. Ça fait partie d'un dispositif de sécurité auquel s'intéresse l'Australie.

Le positionnement du Canada vis-à-vis des États-Unis, vis-à-vis de la politique américaine, et ses relations traditionnelles, pour ainsi dire, avec l'Europe, font que, même si nos marchés futurs se trouvent en Asie, nous ne sommes peut-être pas assez de ressources pour tout couvrir. L'Australie, elle, a toujours considéré, dans sa politique étrangère comme dans sa politique commerciale, que l'Asie était à sa porte, et par conséquent, elle y consacre le temps et l'énergie nécessaires, plutôt que de disperser ses efforts.

C'est vrai que les entreprises australiennes sont très dynamiques, et que, depuis une vingtaine d'années, elles supplantent les entreprises canadiennes dans toute la région, mais ce n'est que petit à petit qu'elles et leurs gouvernements ont pris conscience de l'importance des enjeux. Souvenez-vous, il y a 20 ans, leur politique d'immigration vis-à-vis du reste de l'Asie était odieuse. Aujourd'hui, l'Australie accueille des immigrants asiatiques. Il y a 20 ans, elle se sentait rattachée au Royaume-Uni, qu'elle considérait comme un partenaire naturel. Aujourd'hui, elle est ouverte aux investissements chinois, et elle est présente en Indonésie, à Singapour et au Vietnam. C'est vrai que l'Australie est, de loin, l'un de nos principaux concurrents dans la région, mais les États-Unis le sont aussi.

Je pense avoir déjà essayé d'expliquer pourquoi les entreprises canadiennes ne réussissent pas toujours aussi bien dans cette région. J'ai dit qu'elles ont tendance à privilégier la transaction elle-même, au détriment de l'établissement de bonnes relations sur place. Je constate aussi un certain repli sur soi, ce que je déplore.

M. Toh : Monsieur le président, je ne voudrais vexer personne, car je ne suis qu'un invité au Canada. Je ne sais pas si c'est parce que les entreprises canadiennes ne sont pas assez dynamiques, mais je suis d'accord avec M. Sunquist pour dire que vos priorités sont peut-être différentes parce que vous êtes très loin, en comparaison de l'Australie.

J'ai aussi parlé tout à l'heure des idées fausses qu'on a au Canada sur Singapour. Je pense qu'il y aurait encore beaucoup à faire sur ce plan-là, même si, comme je l'ai dit, il y a déjà beaucoup d'IDE et d'entreprises canadiennes dans la région.

Je pense que les Canadiens, comme tous les hommes d'affaires occidentaux, sont très professionnels et qu'ils ne prennent une décision qu'après y avoir mûrement réfléchi. S'ils estiment qu'ils ne gagneront pas assez d'argent à Singapour ou en Asie, ils n'iront pas, surtout s'ils en gagnent suffisamment sur des marchés plus proches.

L'absence de relations sur place n'est sans doute qu'une partie du problème. Je pense que, du point de vue des pays asiatiques, le Canada n'a pas su manifester suffisamment d'intérêt. J'ai parlé justement de la négociation d'un accord de libre-échange qui a bloqué, en 2007, après plusieurs années de discussions avec nous. Ça montre que vous n'êtes pas vraiment intéressés à venir chez nous.

Le sénateur Oh : La république de Singapour a le même gouvernement depuis son indépendance de la Malaisie en 1965. Pensez-vous qu'elle aura encore le même gouvernement pendant les 20 prochaines années?

M. Toh : Monsieur le président, je ne suis pas devin, et je préfère laisser les diseurs de bonne aventure se perdre dans ce genre de conjectures.

Je dirai cependant que le gouvernement actuel est encore là pour un certain temps. Certes, il y a de plus en plus d'opposition parmi les jeunes, qui veulent davantage être entendus au Parlement. Mais nous avons créé toutes sortes de mécanismes pour qu'ils puissent entendre le message d'autres partis.

Ce n'est pas la faute du parti au pouvoir si les partis d'opposition ne réussissent pas à se faire élire. N'empêche qu'ils sont de plus en plus représentés. À l'heure actuelle, sur 90 députés, il y en a au moins neuf ou dix qui sont de l'opposition, ce qui est quand même mieux qu'en 1965, où il n'y en avait aucun.

Par ailleurs, nous avons créé ce qu'on appelle la catégorie des députés désignés, parce que la population veut que des gens bien siègent au Parlement, mais ces députés ne sont pas élus, ils sont désignés. Comme nous n'avions pas assez de place pour créer une deuxième Chambre, une Chambre haute, nos députés désignés constituent en quelque sorte une Chambre haute au sein même de la Chambre basse. Bref, nous n'avons qu'une Chambre, mais avec deux catégories de députés : ceux qui sont élus et ceux qui sont désignés. Ces derniers sont au nombre de neuf, ce qui fait un total de 99 députés.

Nous avons aussi une catégorie très spéciale de députés qu'on appelle les députés sans circonscription. Ce sont les trois députés de l'opposition qui ont recueilli le plus grand nombre de votes. Autrement dit, ce sont « les meilleurs perdants » de l'opposition. Ils obtiennent un laissez-passer, sans toucher 200 $, une carte Go et peuvent siéger au Parlement immédiatement.

La sénatrice Ataullahjan : Je vous remercie des déclarations que vous avez faites ce matin. J'ai deux questions à poser, et la première s'adresse au professeur Toh.

Ma question concerne votre expertise en propriété intellectuelle et en commerce électronique. Nombreux sont les cas de violation des lois sur la propriété intellectuelle dans la région Asie-Pacifique, et je veux parler notamment des produits, des films et des logiciels de contrefaçon. Il semblerait que ce n'est pas parce que les lois sont inadéquates ou en nombre insuffisant, mais plutôt parce qu'elles ne sont pas appliquées. Ce serait donc davantage un problème d'exécution des lois. J'aimerais savoir si les pays de l'Asie-Pacifique sont conscients de ce problème et s'ils prennent les mesures pour y remédier? Et la communauté internationale?

M. Toh : Je vous remercie de votre question. Vous avez raison de dire que, dans beaucoup de pays, les lois ne sont pas suffisamment appliquées. Certaines de ces lois sont très bien faites, car beaucoup de pays sont membres de l'OMC et par conséquent signataires de l'accord ADPIC sur la propriété intellectuelle. S'agissant de la Chine, par exemple, j'ai déjà eu l'occasion, en tant qu'avocat, d'examiner ses lois, et je dirai qu'elles sont quasiment parfaites, mais comme vous le dites, le problème est leur non-application.

Je dis souvent aux étudiants qui suivent mon cours sur la propriété intellectuelle que la Chine commencera à s'intéresser sérieusement au problème lorsqu'elle constatera des atteintes à sa propre propriété intellectuelle. Je dis cela parce que, dans les années 1960, par exemple, les États-Unis s'intéressaient peu à la question du droit d'auteur, jusqu'à ce qu'ils deviennent eux-mêmes gros producteurs de documents protégés par le droit d'auteur, dans les années 1980. Aujourd'hui, ils sont prêts à prendre les mesures nécessaires pour protéger la PI, et je pense que la Chine, l'Indonésie et des géants comme l'Inde vont suivre le même chemin.

À Singapour, cela vous étonnera, je suis appelé à régler des litiges de propriété intellectuelle. C'est ainsi que j'ai eu à arbitrer un cas de violation de PI dans une affaire qui opposait un investisseur taïwanais et une entreprise chinoise, lesquels avaient décidé de s'adresser à un arbitre de Singapour. Nous avons parlé de l'Indonésie tout à l'heure. Ils font arbitrer leurs litiges à Singapour, car nous sommes les banquiers du monde, et comme les entreprises indonésiennes et chinoises ont des avoirs à Singapour, s'il faut faire appliquer le jugement, on n'a pas besoin d'aller jusqu'en Indonésie ou en Chine. Il suffit de le faire appliquer par l'intermédiaire des banques de Singapour.

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Sunquist, un témoin nous a dit hier que l'Indonésie dépend des exportations de ses matières premières, dont la majeure partie sont destinées à la Chine. Mais si ce pays connaît un ralentissement économique, a ajouté le témoin, l'Indonésie en sera affectée. Est-ce que l'Indonésie reste quand même un débouché économique intéressant pour le Canada? Et les ressources humaines de l'Indonésie? Ce pays vient au quatrième rang des pays les plus peuplés au monde. Quel est le niveau de développement de ses ressources humaines?

M. Sunquist : Vos questions sont excellentes, je vous en remercie.

J'ai dit tout à l'heure que la Chine avait aujourd'hui une influence considérable sur l'ensemble de la région, de sorte que Singapour y fait des investissements considérables. L'Indonésie est un peu comme le Canada, elle a beaucoup de ressources, et elle exporte du GNL vers le Japon à partir de ses îles septentrionales, ainsi que de la bauxite et du charbon dans le reste du monde. C'est vrai que plusieurs pays s'intéressent à l'exploitation de ses ressources, mais dans le contexte de l'économie mondiale, s'il y a un ralentissement, l'Indonésie sera vulnérable, tout comme nous d'ailleurs, même si ce n'est pas le même genre de vulnérabilité.

Je voudrais dire aussi que l'Indonésie a une population très dynamique — je n'aime pas les expressions mixtes et je les évite généralement — de Sino-Indonésiens, et pendant longtemps, les milieux d'affaires indonésiens ont compté proportionnellement davantage de citoyens d'origine chinoise que d'autres. En fait, les parents d'un de nos anciens gouverneurs généraux ont vécu et travaillé en Indonésie. Il y a beaucoup d'affinités entre les habitants de la Chine et ceux de l'Indonésie. Prenez l'exemple de la province chinoise du Fujian, dont beaucoup d'habitants ont émigré en Indonésie. Ils ont beaucoup d'affinités.

Votre deuxième question, sur les ressources humaines, est beaucoup plus vaste. Des efforts ont été consentis au cours des dernières décennies pour stimuler l'ascenseur social, surtout dans les villes mais aussi de plus en plus dans les campagnes. Pour ce qui est des universités, certaines sont bonnes, d'autres moins, mais on sent que l'éducation est une priorité. La main-d'œuvre est de plus en plus qualifiée. Ils auront toujours besoin d'ouvriers non qualifiés, mais il y en a moins aujourd'hui parce que toute la population active a progressé dans l'échelle sociale.

À l'instar de la plupart des pays de l'ANASE, à l'exception de Singapour, l'Indonésie est encore à prédominance rurale, et ce sont ces populations qui ont besoin d'éducation et de formation.

Le sénateur Demers : Je vais adresser ma question à M. Sunquist, mais M. Toh pourra y répondre lui aussi, s'il le désire.

La population de l'Indonésie compte 54 millions de jeunes, dont 30 p. 100 ont moins de 30 ans. La plupart de ces jeunes aspirent à appartenir un jour à la nouvelle classe moyenne. Toutefois, selon l'OCDE, les investissements dans l'éducation restent désespérément faibles, par rapport à ce qui se fait dans les autres pays de l'ANASE. Qu'a fait le gouvernement pour améliorer le niveau d'instruction? Est-il probable que le prochain gouvernement investira davantage dans ce secteur? Le Canada jouit d'une excellente réputation internationale sur le plan des programmes, produits et services liés à l'éducation. Savons-nous en tirer parti en Indonésie?

M. Sunquist : Cela rejoint la question précédente, qui portait sur les jeunes de moins de 30 ans. C'est un pays à démographie galopante. Quand j'y étais il y a dix ans, on disait qu'il y avait 210 millions d'habitants. Aujourd'hui, on en compte 240 millions. D'où l'augmentation considérable du nombre de jeunes.

En zone urbaine, le niveau d'instruction a augmenté, c'est indéniable. Mais dans les zones rurales, c'est exactement ce que vous disiez. C'est dans ces zones que l'ACDI, les Américains et bien d'autres concentraient leur aide. Il y a aussi les madrasas, les écoles musulmanes, qui parfois ne sont pas prises en compte dans les statistiques. Il y a bien sûr beaucoup d'universités privées, et je me demande si le gouvernement n'a pas pour politique d'encourager la création d'écoles privées, car elles ne lui coûtent rien. En tout cas, même si bon nombre d'établissements d'enseignement ne sont pas pris en compte dans les statistiques, ça ne fait pas, de toute façon, énormément de différence.

Vous avez posé une question à laquelle je réponds toujours que je ne suis pas un devin. Je ne sais pas ce que le gouvernement actuel ou son successeur a l'intention de faire dans le domaine de l'éducation. Il n'en reste pas moins que la population réclame pour la jeune génération un niveau de vie supérieur. En fait, il y a deux priorités : l'éducation et l'environnement, et aussi la création d'emplois.

Bref, je pense que le gouvernement va consacrer davantage de ressources à l'éducation, car l'avenir du pays en dépend.

M. Toh : J'ajouterai que l'Indonésie sait parfaitement qu'elle doit investir dans l'éducation. Le pays est tellement vaste, et il y a tellement de besoins à satisfaire. Je sais que de plus en plus d'étudiants indonésiens poursuivent leurs études à Singapour, aussi bien à la National University qu'à l'université NTU où j'enseigne.

J'ai enseigné à des fonctionnaires indonésiens, qui étaient envoyés par leur gouvernement. Et les riches Indonésiens ont toujours envoyé leurs enfants étudier à Singapour.

Il y a quelque chose que le Canada pourrait faire. J'en profite, même si c'est un peu tard après toutes ces années, pour remercier le Canada d'avoir investi dans le Plan Colombo. Un grand nombre de ministres et de dirigeants industriels et universitaires ont participé au Plan Colombo. Ces étudiants ont pu étudier au Canada et ensuite revenir apporter leur contribution à Singapour. Un grand merci au Canada. Aujourd'hui, le Canada pourrait en faire autant pour l'Indonésie.

Le sénateur Demers : Je vous remercie de vos réponses, elles sont très claires.

Étatnt donné les chances grandissantes du gouverneur de Jakarta, Joko Widodo, de succéder au président indonésien lors des prochaines élections, quelles sont les perspectives de croissance et de prospérité pour les jeunes sans éducation? Je reviens sur la question que je vous ai posée, mais j'aimerais avoir une réponse plus détaillée.

M. Sunquist : Ça va manifestement représenter un changement de génération dans la gouvernance de l'Indonésie. C'est déjà un point de départ, même si le président actuel est relativement jeune. J'avais d'ailleurs fait sa connaissance quand il était général des forces armées indonésiennes et qu'il était leur représentant au Parlement. Il a joué un rôle important dans leur mise à l'écart du gouvernement, et c'est ensuite qu'il a présenté sa candidature à la présidence. Il a été élu parce que les gens voyaient en lui la possibilité d'avoir un gouvernement non corrompu en Indonésie.

Pour les citoyens ordinaires, la corruption est un problème encore plus grave, car ils ne possèdent pas grand-chose. En Indonésie, c'est vraiment grave.

Donc, ils ont élu un président qui venait des forces armées et qui a promis de lutter contre la corruption et de stimuler la croissance économique, ce qu'il a réussi à faire dans une certaine mesure.

Aujourd'hui, vous avez parmi les candidats à la présidence le maire actuel de Jakarta, et quelques autres, qui sont plus jeunes et qui sont donc plus en phase avec les moins de 30 ans et avec l'idée que l'avenir de l'Indonésie passe par le développement économique. C'est la raison pour laquelle ils jouent un rôle au G20, à l'ANASE et à l'APEC. Ils savent que leur avenir dépend de ces investissements.

C'est une autre génération. Il y a 10 ans, quand vous rencontriez une personne d'âge mûr à Singapour, il y avait de fortes chances qu'elle ait fait des études à l'Université McMaster, grâce au Plan Colombo. Ce plan est arrivé à terme il y a 10 ans, et nous avons perdu contact avec ce que j'appellerai la classe dirigeante de Singapour.

En Indonésie, un grand nombre de citoyens d'origine chinoise ont fait leurs études à Singapour, ou, sinon, à l'Université Concordia avant d'aller à Sir George Williams, ou vice-versa. C'est là qu'ils allaient faire leurs études. Les Indonésiens de souche, eux, allaient à UBC.

Il y a de grandes différences. C'est certainement intéressant d'imaginer que la présidence pourrait aller à un maire dynamique qui est parfaitement conscient des problèmes des grandes villes, que ce soit la pollution, la criminalité ou le chômage, et qui vit avec tous les jours. C'est ça qu'il faut.

Le sénateur D. Smith : Singapour est une ville fascinante. J'y suis allé. Son histoire m'a passionné, et j'ai bien sûr arpenté les couloirs de l'hôtel Raffles. Ça fait découvrir une nouvelle dimension du mot « propre ».

Vous avez parlé d'un lien avec McGill. De quoi s'agissait-il?

M. Toh : J'ai dit que McGill occupait la 31e place au classement des universités du monde entier. Je ne pense pas qu'il y ait actuellement de programme d'échanges avec McGill, mais je sais qu'il y en a avec Ryerson et avec l'Université de Toronto.

Le sénateur D. Smith : Ryerson se développe de plus en plus. Je trouve que c'est logique, pour une école de commerce, d'avoir un programme de jumelage. Les autres écoles devraient explorer sérieusement cette possibilité, car Singapour est vraiment la porte d'entrée de toute la région.

J'ai toujours aimé le film de Mel Gibson, L'Année de tous les dangers. L'avez-vous vu?

M. Sunquist : J'ai une casquette de base-ball avec cette inscription; la casquette m'a été donnée par l'ambassadeur américain, peu de temps après l'effondrement du prix de l'or, mais bon.

Le sénateur D. Smith : C'est un superbe film.

Vous dites qu'il y a moins de corruption. Pourtant, quand on consulte l'Index de 2013 des perceptions de la corruption, on voit que Singapour est au 5erang, ce qui est bien, mais que l'Indonésie est encore au 114e rang. Le gouvernement a-t-il pris des mesures véritables pour lutter contre la corruption? Vous dites que c'était pire avant, mais pour être à la 114e place, il faut quand même le faire. Quelles mesures le gouvernement a-t-il prises pour lutter contre la corruption?

M. Sunquist : Ne vous méprenez pas, je trouve que la 114e place, c'est encore un très mauvais résultat. Il y a 10 ans, quand j'y étais, c'était autour de 150 ou 155, donc il y a une amélioration relative. La corruption reste le plus gros obstacle pour les entreprises canadiennes et ceux qui veulent s'implanter sur ce marché.

En fait, les obstacles sont, dans l'ordre, la corruption, des lois incohérentes et la non-protection de la propriété intellectuelle. Je pense qu'il y a eu à la fois de la rhétorique et des efforts réels. La situation s'améliore, mais pas assez vite pour la plupart des gens.

Le sénateur D. Smith : Je ne peux pas m'empêcher de vous dire qu'à Paris, je descendais souvent dans un hôtel où habitait leur plus célèbre expatriée, Mata Hari, et chaque fois que j'entrais dans l'hôtel, je pensais à elle.

M. Sunquist : La corruption est un fléau dans toute la région, mais pas plus en Indonésie qu'ailleurs. Il y a des pays asiatiques qui sont encore plus bas sur cette liste, c'est vraiment un fléau.

Le sénateur D. Smith : C'est vrai que c'est encore pire au Myanmar, qui se place au 157e rang. Des témoins nous en ont beaucoup parlé hier.

M. Sunquist : C'est un pays qui a vécu pendant plusieurs décennies sous une dictature qui prélevait 10 p. 100 sur tout. On appelait ça la règle des 10 p. 100. Ça finit par faire partie de la culture, et c'est difficile de s'en débarrasser. Ça n'est possible qu'avec un changement de génération. Il y a beaucoup de problèmes comme ça qui nécessitent plus de temps.

Mais ne croyez surtout pas que je sois un zélateur ou un défenseur de ce système.

Le sénateur D. Smith : Mais vous constatez quand même des progrès.

M. Sunquist : Oui, et les entreprises canadiennes en constatent aussi, mais elles disent que le problème est toujours là.

Le sénateur Moore : Suite à la question posée par la sénatrice Ataullahjan au sujet de la propriété intellectuelle, j'aimerais savoir quel est le régime mis en place par le gouvernement de Singapour pour protéger la PI et pour endiguer la fabrication de produits de contrefaçon?

M. Toh : J'estime que les lois adoptées par Singapour en matière de propriété intellectuelle sont le nec plus ultra. En fait, elles vont au-delà des obligations que nous avons contractées dans l'accord ADPIC de l'OMC, et c'est en majeure partie le résultat de notre accord de libre-échange avec les États-Unis. La plupart des règles que nous avons sont là parce que les États-Unis ont insisté pour les avoir, avant de signer l'accord de libre-échange.

Si vous craignez que la propriété intellectuelle canadienne ne soit pas assez protégée, sénateurs, signez un accord de libre-échange avec Singapour.

Le sénateur Moore : Je sais que la protection de la propriété intellectuelle est et restera un dossier important entre le Canada et les États-Unis, mais j'ai vu ce qui sortait de Singapour. Est-ce que le gouvernement de Singapour se rend compte que ça a un impact dissuasif sur les gens qui voudraient aller y faire des affaires?

M. Toh : Monsieur le président, ça fait partie des idées fausses qui circulent. Il y a toujours des produits de contrefaçon qui sortent d'un port franc comme Singapour, mais ils n'y ont pas nécessairement été fabriqués, il se peut qu'ils y aient seulement transité.

Lors de mon premier séjour à Toronto, par exemple, je suis allé dans une boutique de vidéos située dans un centre d'achats bien connu de Scarborough, dont je tairai le nom. Vous savez sans doute de quoi je parle. J'y ai vu une vidéo d'un spectacle très populaire à Singapour. C'était une copie pirate. J'ai appelé mon ami, qui est PDG du studio qui produit le spectacle, et je lui ai demandé s'il était au courant. Il m'a répondu que non, mais qu'il ne savait pas comment intenter des poursuites au Canada. Le problème venait du Canada, pas de Singapour. Je regrette vraiment qu'il n'ait pas jugé bon de venir au Canada pour dénoncer cette violation de la propriété intellectuelle et faire respecter ses droits. Mais Singapour, je le répète, est très strict dans ce domaine. Nos douaniers ont le pouvoir de saisir toutes les marchandises piratées qu'ils voient.

Je ne pense pas que nous soyons la source de produits de contrefaçon. Ils passent sans doute en transit chez nous, en provenance de Malaisie, d'Indonésie ou même de Chine.

Le sénateur Moore : Je trouve surprenant que Singapour et le Canada aient négocié un accord de libre-échange pendant huit ans pour finalement échouer. Quelles étaient les principaux obstacles? Savez-vous ce qui s'est passé à ce moment-là?

M. Toh : Je suis désolé, sénateurs, mais je n'étais pas dans le secret des négociations. Je crois savoir, toutefois, qu'il y a eu un désaccord sur certaines choses, et puis tout s'est arrêté. Je n'ai jamais su ce qui avait tout fait échouer.

Le sénateur Moore : Et vous, monsieur Sunquist, en avez-vous une idée?

M. Sunquist : Malheureusement, oui. Les négociations en vue d'un accord de libre-échange avec Singapour ont été suspendues à plusieurs reprises par les deux pays.

Je me souviens très précisément y être allé une fois, sous la direction du ministre Emerson, pour essayer de relancer les négociations.

Pour parvenir à un accord de libre-échange, il faut que les deux parties soient disposées à examiner les enjeux et qu'elles aient une idée de ce qu'elles veulent faire. Parmi les grands enjeux de l'époque, et ça remonte à 2006-2007, il y avait la libre circulation de la main-d'œuvre, et les services financiers entre le Canada et Singapour.

Le sénateur Moore : Pour obtenir la réciprocité?

M. Sunquist : Oui. C'était les deux obstacles à l'époque. Aujourd'hui, je ne sais pas si les obstacles seraient les mêmes, car les temps ont changé. Les discussions qui se sont déroulées au PTP et les négociations par le Canada d'un accord de libre-échange avec l'Europe ont changé les règles du jeu.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Ma question s'adresse à M. Toh. J'ai bien aimé entendre que l'économie de Singapour est une histoire à succès, parce que vous en avez témoigné en long et en large. J’aimerais faire suite aux questions de la sénatrice Ataullahjan et aussi du sénateur Moore concernant la propriété intellectuelle.

On vous a posé des questions sur la propriété intellectuelle au niveau de Singapour. J’aimerais toutefois savoir si d'autres gouvernements de l'Asie du Sud-Est font davantage dans le domaine de la propriété intellectuelle?

[Traduction]

M. Toh : Les pays d'Asie du Sud-Est, comme je l'ai dit, sont membres de l'OMC, et par conséquent, ils se doivent d'adopter des normes minimales pour la protection de la propriété intellectuelle. Que je sache, ils ont tous adopté les lois requises, mais pour en revenir à ce qu'on disait tout à l'heure, la question est de savoir dans quelle mesure elles sont appliquées. Prennent-ils vraiment la chose au sérieux? Je ne peux pas parler en leur nom.

Je dirai simplement que l'une des choses que le Canada pourrait faire serait de faire savoir, de gouvernement à gouvernement, qu'il s'attend à ce que la propriété intellectuelle canadienne soit protégée.

J'ai dit, et je le répète, Singapour se préoccupe beaucoup de son image. Dans les années 1950 et 1960, c'est vrai que Singapour avait la réputation d'être la capitale mondiale du piratage. Ce n'est plus vrai aujourd'hui, et nous avons adopté des lois tellement strictes qu'il est pratiquement impossible de fabriquer de la contrefaçon à Singapour. Si on trouve des produits à Singapour, c'est à cause des pays qui nous entourent.

La sénatrice Ataullahjan : Monsieur Sunquist, je voudrais vous poser une question. Vous avez parlé des madrasas en Indonésie. Est-ce que l'enseignement y est gratuit? Sont-elles situées principalement dans les campagnes ou y en a-t-il dans les villes? Dans les autres pays, les madrasas sont populaires parce que l'enseignement y est gratuit, si bien que les gens qui n'ont pas les moyens d'envoyer leurs enfants dans les écoles ordinaires les envoient dans les madrasas. Est-ce aussi le cas en Indonésie?

M. Sunquist : Je crois que oui. Jadis, il n'y en avait que dans les campagnes, et si je me souviens bien, c'était gratuit.

Je pense qu'on peut dire que la pauvreté s'est urbanisée. Le pays s'est urbanisé, et l'ACDI y a contribué, mais la pauvreté s'est déplacée des campagnes vers les villes. C'est un grave problème dans un grand nombre de pays asiatiques, et je ne pense pas qu'on en ait pris toute la mesure. Nous conservons une perspective traditionnelle du développement, mais nous devons nous rendre à l'évidence que la pauvreté s'est déplacée vers les villes.

Ce qui est arrivé, c'est que les madrasas se sont elles aussi déplacées vers les villes, et avec succès, d'après ce que je sais. Je ne suis pas expert en la matière, et je peux simplement dire qu'elles sont populaires auprès d'une couche de la population qui n'a pas accès à d'autres établissements d'enseignement.

Le vice-président : Au nom du comité, j'aimerais remercier nos témoins de ce matin, non seulement d'avoir pris le temps de venir nous voir, mais surtout de nous avoir fait profiter de leur expérience et de leur sagesse. Vos témoignages nous seront très utiles pour la préparation de notre rapport.

(La séance est levée.)

Back to top
©2008 Tous droits réservés | Avis de non-responsabilité | English
Site Web conçu par SYPROSE