Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
OTTAWA, le mardi 27 octobre 2009
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 17 h 33 pour étudier l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.
Le sénateur Consiglio Di Nino ( président ) occupe le fauteuil.
[ Traduction ]
Le président : Je vous souhaite la bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Le comité poursuit son étude spéciale sur l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.
Le comité accueille aujourd'hui M. David T. Fung, président sortant de MEC, Manufacturiers et Exportateurs du Canada, et président et chef de direction d'ACDEG International Inc. C'est bien cela, monsieur?
Le sénateur Grafstein : Qu'est-ce que cela signifie?
Le président : Vous pourrez le lui demander plus tard, lorsque vous poserez une question.
David T. Fung, président sortant des MEC, président et chef de direction d'ACDEG International Inc. : Oui, je vous l'expliquerai plus tard.
Le sénateur Grafstein : Je brûle d'impatience.
Le président : M. Fung est venu en compagnie de M. Jean-Michel Laurin, vice-président, Politiques d'affaires mondiales, Manufacturiers et Exportateurs du Canada. À titre de président et de chef de la direction du groupe ACDEG, M. Fung a établi des partenariats commerciaux en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. Entre autres, M. Fung est actuellement coprésident des Membres de la Fondation canadienne pour l'innovation, vice-président du Conseil commercial Canada-Chine, chercheur principal de la Fondation Asie-Pacifique. Tout cela est fort impressionnant.
Nous vous souhaitons chaleureusement la bienvenue, messieurs. Je crois que M. Fung a une déclaration préliminaire à faire. Nous vous écoutons, monsieur Fung.
M. Fung : Merci de m'avoir invité ce soir. Je suis heureux d'avoir l'occasion de discuter avec vous de l'émergence de la Chine.
Vous avez un gros document sous les yeux. Je crois que vous en avez tous un exemplaire. Je vais passer rapidement en revue les diapositives, car ce sont simplement des illustrations. Je ne vais pas les lire. Dans cette présentation, les diapos portent un numéro dans le coin inférieur droit. Si le rythme s'accélère un peu trop, j'indiquerai le numéro de page.
Je suis venu ici il y a 43 ans; j'arrivais de Hong Kong. La Chine éveille encore certains échos en moi. J'y vais de quatre à dix fois par année. J'y étais encore il y a une semaine à peine.
Pendant les 15 premières minutes, j'aimerais parler du secteur manufacturier, de l'émergence de la Chine et de l'effet qu'a ce phénomène sur les industries canadiennes ainsi que de certaines des options stratégiques que le gouvernement, à mon avis, devrait envisager pour nous aider à assurer notre sécurité et notre prospérité futures.
À la page 3, vous pouvez voir ce que représente le secteur de la fabrication au Canada. J'attire votre attention sur ce qui n'est pas en blanc, les passages surlignés. Je pensais que je pourrais projeter cela en couleurs sur un écran, mais nous allons faire de notre mieux.
À la page 4, vous voyez à quel point le secteur manufacturier est diversifié. Souvent, on dit de ce secteur qu'il est à intégration verticale, on le compare à la haute technologie et à d'autres secteurs industriels. Cela est faux. La fabrication est un secteur horizontal. Elle couvre la haute technologie, les cheminées d'usine et le cinéma, si c'est ce que vous faites.
La page qui suit montre comment la crise financière a touché le secteur manufacturier au Canada, d'après des données de Statistique Canada.
La définition que Statistique Canada applique au secteur manufacturier est désuète. J'espère que vous comprendrez ce que j'entends par là d'ici la fin de mon exposé.
À la page 7, nous voyons le secteur de la fabrication au Canada. Là encore, vous constatez d'un coup d'œil qu'il s'agit d'un secteur important au Canada.
À la page 8, nous montrons l'effet du secteur manufacturier, tel que défini par Statistique Canada, sur notre économie. Lorsque j'aurai fini d'expliquer à quel point Statistique Canada sous-évalue le secteur manufacturier, j'espère que vous conviendrez avec moi que la fabrication est essentielle à l'avenir de notre pays.
La page 9 montre que le secteur de la fabrication est celui qui a réussi à atteindre les cibles de Kyoto.
Sautons la page 10, parce qu'on ne la voit pas bien du tout, mais nous y expliquons que, malgré la croissance du secteur manufacturier, les émissions de gaz à effet de serre de ce secteur ont effectivement diminué.
Notre association, Manufacturiers et Exportateurs du Canada, croit que les industries canadiennes ne peuvent plus se contenter de faire des affaires ici même. Cela n'est plus possible. Notre travail consiste à aider les entreprises à se mondialiser et à devenir plus compétitives.
La page 12 montre que toutes les nations prospères du monde sont des nations commerciales. Le plus gros exportateur de tous n'est pas la Chine, les États-Unis ni le Japon, mais bien l'Allemagne. Cela montre à quel point il importe que nous comprenions comment créer de la valeur. Il ne s'agit généralement pas d'une question de salaires. Il ne s'agit pas de travailler plus fort, mais de réussir à ajouter une valeur que le reste du monde reconnaît et veut bien acheter.
La page suivante montre que la Chine a connu une croissance bien supérieure à la nôtre, malgré l'ALENA, l'Accord de libre-échange nord-américain.
La page suivante illustre encore la croissance de la Chine. C'est du connu, je ne vais pas faire de commentaire.
À la page 15, je veux attirer votre attention sur le fait que la Chine produit plus d'ingénieurs que tout autre pays au monde. Ce sont là des statistiques que l'Université Duke a compilées après deux années d'études. Ce n'est pas une petite étude simple et superficielle. Elle montre que les Chinois décernent 500 000 diplômes techniques par année. Souvent, nous disons que la qualité n'est peut-être pas très bonne, mais même si la moitié de ces diplômés ne sont pas bons du tout, il vous reste encore l'autre moitié, c'est-à-dire 250 000 ingénieurs et technologues qui sortent des universités chinoises. Au Canada, je suis un ingénieur de profession parmi 180 000. La Chine produit annuellement plus que le double du total de nos effectifs en génie.
À la page suivante, qui porte sur les doctorats, les chiffres sont encore plus inquiétants. En 2002, la Chine décernait déjà annuellement plus de doctorats que les États-Unis dans le domaine des sciences et de la technologie. Nous avons accusé la Chine de copier et de voler la propriété intellectuelle; mais c'est nous qui devrions apprendre à lui piquer ses idées, et vite.
La page suivante montre que les étudiants chinois sont nombreux dans les établissements d'enseignement supérieur au Canada. Pensez un peu au nombre de diplômés produits annuellement en Chine et à la proportion d'étudiants chinois dans les établissements nord-américains, pas seulement ceux du Canada. Il y a vraiment de quoi s'inquiéter.
La page suivante montre à quel point l'industrie chinoise de l'automobile a pris de l'expansion. Les gens disent craindre que la Chine ne nous rattrape : ils ont 12 ans de retard. La Chine vient d'annoncer qu'elle avait monté plus de 10 millions de véhicules à la fin de septembre cette année. Elle sera bientôt en mesure d'assembler de 12 à 13 millions de véhicules sur son territoire. C'est le total pour l'Amérique du Nord cette année — au Mexique, aux États-Unis et au Canada. Si vous comptez aussi le Japon et la Corée, vous devez reconnaître que le plus important marché de l'automobile se trouve dans le nord de l'Asie. C'est ce qui est illustré à la page 19.
À la page 20, on voit que le marché américain des importations est rapidement passé aux mains des Chinois.
La page suivante montre que les États-Unis importent plus de la Chine que du Canada.
La page 22 montre exactement la même chose, mais de façon plus immédiate, car maintenant la Chine est sans contredit le principal exportateur vers les États-Unis.
Comment cela s'explique-t-il? À la page 23, j'attire votre attention sur les changements qui ont bouleversé le secteur manufacturier. La définition de fabrication utilisée par Statistique Canada se trouve au milieu, elle porte sur les systèmes de production et les aspects de ce genre. Toutefois, les valeurs réelles du secteur manufacturier sont celles qui sont au-dessus et au-dessous.
J'aimerais que vous gardiez cette page à l'esprit, car elle est essentielle à la stratégie que nous devrons adopter pour assurer la prospérité du Canada.
La page suivante illustre à nouveau à quel point le secteur manufacturier a changé et a délaissé les produits concrets au profit de produits moins tangibles. Pour l'avenir, page 25, il nous faudra convertir les connaissances en valeurs. Je vous demande de garder cela aussi à l'esprit, c'est une étape fondamentale que nous devons franchir, au Canada, si nous voulons préserver notre prospérité.
La page suivante illustre encore mieux comment il nous faut évoluer, passer de l'ancien type de fabrication au nouveau, à la fabrication de services.
La page 27 montre que les anciennes activités manufacturières, la fabrication verticalement intégrée sous un même toit, sont dépassées. Aujourd'hui, nous fabriquons des produits avec des composantes qui viennent du monde entier. Il y a de nombreux emplois, mais ce sont des emplois différents.
La page 28 illustre la définition de fabrication, c'est-à-dire la création et la production de valeur au moyen de biens matériels. Notez que la fabrication proprement dite ne fait pas nécessairement partie du processus.
La page 29 expose certaines des forces motrices dans les chaînes de valeur mondiales.
La page suivante prend l'exemple du iPod de Apple. Cette étude a été réalisée par l'Université Stanford et montre que les Chinois font 4 $ pour chaque iPod de 150 $ qui est exporté. Cette situation ne fait pas notre affaire. La Californie réalise 25 cents par dollar en refusant d'intervenir. Chaque conteneur qui arrive en Amérique du Nord contient 136 000 iPod. À 150 $ par iPod, vous constatez que la Californie fait de l'argent alors que nous les subventionnons.
La page suivante montre qu'il est important de bien comprendre la chaîne de valeur. Très souvent, on entend les gens dire qu'il faut remonter la chaîne de valeur. Cela s'est avéré erroné pour ce qui est de préserver nos emplois et notre prospérité. Le professeur Clayton Christensen, de l'Université Harvard, a démontré dans un ouvrage de 1998 qu'aujourd'hui, c'était la courbe de valeur qu'il fallait comprendre. L'essentiel, ce n'est pas le produit, c'est l'activité. À ce qu'on dit, Hong Kong est une économie qui repose à 90 p. 100 sur les services. Selon moi, ce n'est pas ainsi qu'il faut comprendre l'économie de Hong Kong. Hong Kong contrôle aussi 110 000 usines de fabrication en Chine. On y emploie 11 millions de travailleurs. Sans ces usines et sans ces travailleurs, la moitié de la population de Hong Kong serait au chômage. Hong Kong n'est pas une économie de services, c'est un modèle d'économie basée sur les services manufacturiers.
La page suivante reprend ce qu'affirme l'un de nos économistes réputés, c'est-à-dire que le monde rétrécira en raison des prix élevés du pétrole. La page 33 montre la couverture de cet ouvrage bien connu. Je tiens à ce que les sénateurs comprennent que cet ouvrage nous induit en erreur. Il a été rédigé par quelqu'un qui est assis derrière son bureau et qui parle de la fabrication mais qui, en fait, comprend très mal le fonctionnement du secteur manufacturier.
Je ne mâche pas mes mots parce que cet auteur fait énormément de tort à notre pays en donnant aux gens l'impression que certains des vieux emplois vont revenir; ils ne reviendront pas.
À la page suivante, on voit l'argument sur lequel il se fonde pour étayer sa conclusion, l'augmentation de la production d'acier aux États-Unis en 2008. Cette conclusion repose sur une mauvaise compréhension du phénomène. Cela s'est produit en raison de la récession aux États-Unis, parce qu'il y avait moins de conteneurs qui arrivaient d'Asie en Amérique du Nord.
En conséquence, nous n'avons plus autant de conteneurs vides qui retournent. Pour ces conteneurs vides, le tarif de fret a triplé au cours de la période. Avec de tels tarifs, il n'est plus possible d'envoyer les vieux papiers et la ferraille en Asie. Le marché nord-américain s'effondre donc, et toutes les petites usines d'Amérique du Nord qui utilisent la ferraille d'acier augmentent radicalement leur production.
Je vais vous expliquer pourquoi je me suis arrêté sur ce graphique. Parfois, nous devons examiner avec soin les preuves présentées. Si nous ne comprenons pas d'où viennent les preuves, nous risquons de tirer des conclusions erronées.
La page suivante montre l'écran de télévision plat, au plasma, celui que vous avez à la maison. Il coûte 700 $, et le coût du fret est de 10 $. Est-ce que nous nous soucions vraiment qu'il puisse atteindre 20 ou même 30 $? Cela est important. Les vieux emplois ne reviendront pas.
La page suivante illustre les moteurs de l'économie — l'Asie, la logistique et la viabilité. Et à la page suivante, je veux attirer votre attention sur la ligne en blanc, et celle qui est au-dessus et qui serait bleue si nous avions la couleur. Nous voyons que la Chine ne se contente plus d'exporter des pantoufles, des chemises et des vêtements. Elle exporte des produits de haute valeur et des produits industriels.
La page suivante montre qu'il faut bien comprendre le commerce bilatéral. Il s'agit d'une grande société productrice de machinerie et ici, dans cette pièce, je peux bien vous dire que c'est la société Caterpillar. C'est le troisième exportateur industriel en importance en Chine. Le premier est Toyota. Le deuxième est General Electric. Parmi les 10 plus grands exportateurs, aucun n'est chinois. Il faut bien comprendre cela. Si le Sénat américain impose des droits de 27 p. 100 sur les importations chinoises aux États-Unis, la première victime ne sera pas la Chine. La première victime sera l'ensemble des usines de montage de Caterpillar aux États-Unis.
Le principal bénéficiaire de cette mesure serait Komatsu, au Japon, qui fait concurrence à Caterpillar dans le monde pour les engins de chantier. On ne peut plus dire je vous achète quelque chose, et vous m'achetez quelque chose. Si nous ne comprenons pas certaines de ces questions, nous appliquerons des politiques boiteuses qui auront des conséquences fortuites.
La page suivante montre comment la Chine parvient à ses fins en utilisant les conteneurs. C'est le sommet de la courbe. On constate que les conteneurs sont sur le point de dominer le commerce mondial, en particulier le commerce de grande valeur.
La page suivante montre de façon encore plus explicite comment les conteneurs chinois dominent le monde. La Chine devient la plaque tournante d'une grande partie de l'activité manufacturière.
Les Chinois travaillent donc sans bruit et ils font d'énormes progrès. La page suivante montre les 10 principaux ports à conteneurs dans le monde. Tout à fait à droite, au bas de la page, il y a nos ports de la Colombie-Britannique. C'est notre passerelle vers l'Asie-Pacifique. Les Asiatiques nous ont dépassés sans même que nous nous en apercevions.
À la page 43, on voit que nombre des conteneurs qui arrivent dans les ports de la côte ouest poursuivent leur route jusqu'en Ontario et au Québec. La page suivante montre que, malheureusement, l'Ontario et le Québec n'ont guère l'intention de renvoyer des produits dans l'autre direction.
De fait, à la page 45, on voit les statistiques du CN, qui révèlent que nous renvoyons un grand nombre de conteneurs qui ne contiennent que le bon air canadien. L'air du Canada est propre, et les Chinois l'aiment d'autant plus qu'ils n'ont pas à le payer.
La page 46 porte sur le fret aérien international. Comment Hong Kong a-t-il pu devenir le principal terminal de fret aérien au monde? Dans le coin droit, vous voyez que notre principal terminal de fret aérien, l'aéroport international Pearson, à Toronto, ne figure même pas dans la liste des principaux terminaux du monde. Pourtant, à la page suivante, on voit toute l'importance du fret aérien. Pour 1,3 p. 100 du volume, il représente 34,5 p. 100 de la valeur. C'est le cœur du problème. C'est la valeur qui importe, pas le volume.
À la page suivante, vous avez des données concernant l'aéroport international de Hong Kong. Vous voyez le cercle du côté droit. Je veux expliquer comment Hong Kong établit sa domination, parce que là-bas, lorsque l'on construit un aéroport, on veut aussi en capturer la valeur.
La page 49 montre l'intérêt des zones économiques intégrées comme celle de Hong Kong. Et à la page suivante, à l'opposé, ce que nous faisons de l'aéroport de Mirabel. Nous avons construit un aéroport, et il n'y a rien que des champs aux alentours.
À la page 51, Transports Canada propose de vendre les terrains qui entourent l'aéroport de Mirabel, précisément ce qu'on ne ferait jamais à Hong Kong. Si nous voulons utiliser l'aéroport comme moteur de l'économie, il faut créer une zone économique intégrée autour de cet aéroport.
À la page suivante, nous montrons à quel point le monde a évolué. Il y a cinq ans, Via Systems possédait en Amérique du Nord six usines qui produisaient des cartes de circuits imprimés. Elles ont fermé leurs portes. Deux usines ont été réinstallées à Shenzhen — cela représente 12 000 travailleurs —, et aujourd'hui, tous les jours, toute la production est renvoyée par avion en Amérique du Nord. Sans ces expéditions, Celestica devrait fermer. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui la fabrication mondiale, et non pas la fabrication locale. Si nous voulons y participer, nous devons nous débarrasser de certains éléments désuets, de nos accords bilatéraux relatifs au trafic aérien, et nous devons ouvrir les cieux.
La page suivante montre le pont Ambassador. Nous avons parlé de toute cette congestion. Nous sommes fiers que l'équivalent de 2 milliards de dollars en marchandises traverse ce pont chaque jour, mais le fait d'être tributaire d'un seul pont pour une si grande partie de nos échanges constitue un énorme risque pour notre pays. Pourtant, lorsque nous avons construit la voie maritime du Saint-Laurent, nous avons créé 19 ports qui, en majorité, sont restés inutilisés. Nous, les Canadiens, nous avons investi dans ces ports, mais nous ne les utilisons pas parce que nous sommes le seul continent au monde dont la réglementation interdit d'utiliser l'eau pour le transport.
La diapositive suivante, et elle non plus ne donne rien dans une copie de ce genre, est une diapositive animée. Elle illustre comment la circulation des biens sur de longues distances dans le monde deviendra tributaire du transport maritime et du chemin de fer. Ce sont les courtes distances qui se feront par camion. Lorsque nous parlons d'expéditions maritimes sur courte distance, en Amérique du Nord, nous appliquons le mauvais concept; il n'y a qu'à songer au Massachusetts. Lorsque nous parlons de navires-rouliers, nous oublions qu'on peut mettre seulement un conteneur par pont.
La diapositive suivante montre comment la Chine nous bat à plates coutures. La Chine n'utilisera pas de navires- rouliers, elle se contentera d'empiler les conteneurs. Avec une petite barge, on peut transporter beaucoup plus de produits. Son coût de transport par unité pour un même nombre de conteneurs serait le tiers du nôtre. La page suivante montre plus en détails la façon dont on utilise de simples grues pour y parvenir, pour transformer le delta de la rivière des Perles, une région où l'on mourrait de faim, et en faire le moteur économique de la Chine et du monde.
Comment pouvons-nous participer à cette réussite? La page suivante montre comment nous recourons à la réglementation pour interdire d'utiliser l'eau comme moteur économique — la Loi canadienne sur le cabotage, la taxe américaine d'entretien portuaire. La General Motors se trouve à 150 mètres du port d'Oshawa, mais la compagnie charge ses pièces d'auto sur des camions qui parcourent 250 kilomètres par la route jusqu'à Windsor, où ils attendent en ligne de pouvoir franchir le pont Ambassador alors qu'un traversier relie Detroit et Windsor. Le camion de la General Motors ne peut pas monter à bord du traversier même s'il y a suffisamment d'espace, parce que s'il monte à bord de ce traversier et qu'il se rend aux États-Unis par eau, il sera assujetti à la taxe américaine d'entretien portuaire, qui est calculée en fonction de la valeur des marchandises et non pas de leur volume. Il est difficile de faire pire; c'est de cette façon que l'on rend l'ALENA non concurrentiel, en utilisant ce type de réglementation désuète.
Évidemment, le Canada contribue au problème avec le recouvrement des coûts de Douanes Canada pour les nouvelles routes, de sorte qu'il nous est impossible de transporter quoi que ce soit sur les Grands Lacs.
La page suivante montre ce que nous réserve l'avenir — le resserrement des frontières. Nous pourrions fournir des biens et des services pour que la frontière soit plus efficace et plus sûre. Le Canada participe à la troisième révolution industrielle en termes de distribution et de production d'énergie renouvelable, d'utilisation des bâtiments comme sources d'énergie et mécanismes de stockage d'énergie, et de grilles énergétiques intelligentes.
À la page suivante, je vous montre comment Hong Kong a créé son économie. Là-bas, on ne met pas tout sous le même toit. Nous devons les imiter. Nous devons capter les avantages du monde et en assurer la gestion, peu importe les étiquettes.
La page suivante montre comment notre main-d'œuvre a évolué. En l'occurrence, il s'agit de la main-d'œuvre américaine, mais la situation est la même au Canada. Nous délaissons l'agriculture au profit de la production et des services.
À la page suivante, nous voyons comment Hong Kong a progressé à nos dépens à tous, même à ceux des États-Unis, pour ce qui est de capturer la valeur des services.
La page 67 montre que le Canada est un chef de file en matière de production de diplômés au niveau postsecondaire. Et la page suivante révèle que, grâce à la Fondation canadienne pour l'innovation et à d'autres programmes, le Canada occupe une excellente place dans le monde pour la création de connaissances. Nous pouvons être fiers de nos universités. Nous produisons de la propriété intellectuelle protégée par brevet. On le voit à la page suivante.
La page 70 montre que nous nous en tirons plutôt bien pour ce qui est de l'innovation générale, mais, malheureusement, comme on le constate à la page 71, nous n'avons pas su convertir ces connaissances en valeur pour assurer la prospérité de notre société.
À la page 72, nous voyons que nous n'avons pas de catalyseurs pour commercialiser nos produits. Ce qui nous fait défaut, mesdames et messieurs les sénateurs, c'est l'ambition. Nous devons comprendre les éléments qui font avancer l'économie. Nous devons imiter les Chinois parce qu'avec l'émergence de la Chine, si nous ne faisons rien nous ne survivrons pas.
Voilà. Je vous ai expliqué que la chaîne de valeur mondiale était dominée par le secteur manufacturier, que l'Asie était en rapide croissance, et que l'infrastructure et la logistique sont des aspects dominants et essentiels de la compétitivité de l'ALENA et des services manufacturiers. Je mets l'accent sur le terme « services », parce que les services manufacturiers sont notre nouvel horizon. Sans fabrication, vous n'avez pas besoin de logistique, de banques ni de transport. Tous ces éléments que nous appelons des services sont tributaires du fait que nous avons des biens à transporter et des biens à fabriquer.
Nous ne sommes pas ici pour concurrencer la Chine. La Chine est une locomotive qui passe à toute vitesse. Si le Canada ne fait rien, il sera immobilisé sur la voie lorsque cette locomotive arrivera. General Electric, Toyota et Caterpillar nous ont montré qu'il fallait être aux commandes de la locomotive de ce train chinois. Nous sommes là pour gérer les Chinois. Je ne peux pas faire concurrence à 40 ingénieurs chinois, mais je peux en gérer 4 000. MEC est prête et disposée à établir un partenariat avec vous pour assurer la prospérité future du Canada.
Le président : Merci, monsieur Fung. Nous allons commencer par le sénateur Fortin-Duplessis.
[ Français ]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Quelles sont vos trois plus importantes priorités politiques sur le plan économique et du commerce international?
Jean-Michel Laurin, vice-président, Affaires mondiales, Manufacturiers et exportateurs du Canada : Je peux répondre au nom de l'association. Vous demandez quelles sont nos trois principales priorités politiques?
Le sénateur Fortin-Duplessis : Sur le plan économique et du commerce international.
M. Laurin : L'association demande un environnement d'affaires plus concurrentiel au Canada; autrement dit, un environnement d'affaires qui permette d'attirer et retenir d'avantages d'investissements dans le secteur manufacturier pour pouvoir aider nos entreprises à être concurrentielles non seulement au Canada, mais dans les marchés internationaux. On parle de politiques fiscales, par exemple, qui encouragent les entreprises à investir en machineries et équipements, qui encouragent les entreprises canadiennes à investir d'avantage dans la formation de la main-d'œuvre et des travailleurs à l'emploi. On parle aussi d'un système qui encourage l'innovation des entreprises canadiennes. M. Fung l'expliquait avec beaucoup de détails. Je pense à l'innovation. Il s'agit de tirer profit de l'excellent travail et de la formation offerte en milieu universitaire. Il faut travailler étroitement avec le secteur de la recherche, le milieu académique et celui des affaires.
Sur le plan commercial, nos priorités consistent à ouvrir de nouveaux marchés d'exportation aux entreprises canadiennes et signer des ententes de libre-échange, qui favorisent également l'investissement canadien à l'étranger. Il faut aussi s'assurer que les règles soient respectées. Bien entendu, il est important non seulement de négocier des ententes, mais aussi de s'assurer qu'elles soient respectées et que les entreprises canadiennes aient une part égale des marchés internationaux.
Ces priorités, au niveau des politiques gouvernementales, aideront l'industrie manufacturière à être plus concurrentielle au Canada.
Le sénateur Fortin-Duplessis : M. Fung aimerait-il rajouter à cette réponse?
[ Traduction ]
M. Fung : Je n'ai pas compris la question. Pourriez-vous la répéter?
M. Laurin : Quelles sont nos priorités stratégiques en ce qui concerne la politique manufacturière et commerciale du Canada?
M. Fung : Il nous faut comprendre que nous ne pouvons plus nous permettre de payer l'ouvrier qui installe une portière de voiture 30 fois plus cher que le travailleur chinois qui fait la même chose. Nous ne pouvons plus faire la même chose et protéger notre marché. Notre marché est trop petit, on ne peut pas le protéger. Le Canada doit s'ouvrir sur le monde. Ce faisant, nous ne devons pas remonter la chaîne de valeur mais plutôt comprendre que, dans la courbe de valeur que je vous ai montrée, ce sont les activités qui comptent — par exemple, concevoir une nouvelle voiture. Cela est plus important que de monter une automobile. Nous avons des fabricants de pièces d'automobile dans le sud-ouest de l'Ontario qui sont des chefs de file mondiaux. Pourtant, ils refusent de considérer que le nord de l'Asie fait partie de leur marché. Avec les conteneurs vides que nous avons, nous pourrions expédier à Shanghai les produits de la Dofasco, à Hamilton, et cela nous coûterait moins que de les envoyer par camion à Milwaukee. Pourtant, nos manufacturiers refusent de prendre l'avion pour aller explorer de nouveaux marchés. C'est pourquoi MEC a signé une entente avec Hong Kong pour faire venir des maisons commerciales de Hong Kong au Canada, pour constater que le Canada a beaucoup à offrir au monde. Quelqu'un a dit que si Mohammed n'allait pas à la montagne, la montagne devrait venir à Mohammed. Ce sont des aspects que le gouvernement canadien doit envisager, comment pouvons-nous encourager la croissance des services manufacturiers? Comment pouvons-nous encourager la croissance des activités à valeur ajoutée?
[ Français ]
Le sénateur Dawson : Sans manquer de respect envers nos témoins, j'aimerais préciser que lorsqu'un document est présenté dans une langue seulement, même si c'est le français, on devrait normalement demander au comité s'il accepte le document en question.
Cela dit, j'ai eu le plaisir d'accueillir MM. Fung et Laurin au Comité sénatorial permanent des transports et des communications dans le cadre de son étude sur la conteneurisation. Ces témoins nous ont exposé clairement la situation. Le Canada est en train de rater une opportunité. Nous critiquions le Buy American Act. Or, le Jones Act et le Shipping Cost Recovery, entre autres, sont des facteurs qui, d'un aspect pratique, ont beaucoup plus d'influence sur la croissance économique au niveau de nos exportations que les politiques restrictives de certaines villes et de certains États américains.
Le comité doit formuler des recommandations. Le sénateur Fortin-Duplessis vous a demandé quelles sont vos priorités. Ma question ira dans le même sens. Dans notre rapport, quelles recommandations devrions-nous formuler afin de s'assurer que la croissance économique entre le Canada, et la Chine en particulier, puisse atteindre son potentiel maximum?
[ Traduction ]
M. Fung : Permettez-moi d'abord de dire que j'accepte l'entière responsabilité de cet exposé qui vous a été envoyé en anglais seulement. Mes enfants sont tous bilingues. Si je m'exprimais en français, ils me diraient que, vraiment, je torture la langue française. J'admets sans ambages que j'aurais dû faire mieux. Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous présente mes excuses pour ce manquement.
Le président : Monsieur Fung, cette responsabilité ne vous revenait pas. Généralement, nous recevons les documents dans une seule langue et nous les faisons traduire avant de les examiner ici, en comité. Cela n'a pas été fait ce soir pour diverses raisons pour lesquelles vous n'avez pas à nous présenter d'excuses. C'est plutôt à moi de présenter des excuses. Je demande à mes collègues francophones de bien vouloir m'excuser. S'ils veulent me demander en privé pourquoi cela n'a pas été fait, je leur répondrai bien volontiers. Cela ne nous aidera pas maintenant. Demandons plutôt à M. Fung de répondre à la question.
M. Fung : Pour nous, la priorité, c'est ce que j'ai dit. N'oubliez pas que la définition de fabrication est la création et la livraison de valeur par l'entremise de biens matériels et la conversion de connaissances en valeur. Ce sont là les éléments essentiels. Avant d'exposer nos recommandations, je dois dire que nous sommes actuellement en discussion avec le MAECI, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, avec le ministère des Finances et avec Transports Canada au sujet de l'annonce qui a été publiée dans la Gazette du Canada concernant l'élimination de tous les droits sur l'équipement de production importé au Canada et les intrants importés au Canada. Essentiellement, nous voulons transformer le Canada en zone franche. C'est exactement ce qui se fait à Hong Kong. Hong Kong a maintenant un PIB par habitant, un produit intérieur brut, supérieur au nôtre pour un pouvoir d'achat équivalent. Ce n'est qu'un amas de rochers qui sortent de la mer, et sept millions de personnes y vivent. Ces gens doivent acheter même l'eau avec laquelle ils prennent leur douche. Il n'y a vraiment pas de ressources là-bas. Pourtant, cette situation les a menés à comprendre quels éléments sont essentiels à la prospérité.
Au Canada, nous avons tout ce qu'il faut pour faire bien mieux que cela. Je vous ai montré le graphique sur notre système d'éducation postsecondaire. C'est l'un des meilleurs au monde, sauf que nous ne l'utilisons pas pour produire de la valeur. Le Canada a besoin d'une stratégie de commercialisation. Selon moi, mesdames et messieurs les sénateurs, l'approche actuelle en matière de commercialisation est un échec. Cela est inacceptable.
Cette situation s'explique en partie par la façon dont nous traitons le capital de risque. Nous imposons toutes sortes de contraintes au capital de risque qui voudrait venir au Canada. Même les plus grands inventeurs au monde ne pourraient pas commercialiser leurs produits sans capitaux ni encouragements adéquats.
Pour ce qui est d'un ensemble complet de recommandations, si c'est ce que souhaitent les sénateurs, MEC produira un mémoire sur certaines des priorités qui nous semblent fondamentales.
Le président : Cela nous donnerait une excellente occasion de recueillir d'autres commentaires. S'il vous plaît, faites- nous parvenir cela. Nous le distribuerons à nos collèges et nous veillerons à ce qu'il soit intégré aux actes et commentaires.
Le sénateur Andreychuk : Je pourrais vous poser bien des questions. J'ai certainement retenu la nécessité de la recherche et du développement ainsi que de dispositions législatives habilitantes pour assurer notre compétitivité.
Il semble que toute votre argumentation repose sur le cas de Hong Kong, et j'aimerais que vous commentiez le fait que Hong Kong se trouve en Chine. Les gens de Hong Kong sont en très bonne position à l'heure actuelle parce que le gouvernement chinois leur accorde une certaine latitude. Évidemment, en termes de gouvernance, il existe une tension quant à la possibilité que Hong Kong se tourne plus vers la Chine continentale, à long terme, et cela suscite certaines préoccupations. C'est un des aspects qui m'intéressent.
Deuxièmement, une grande partie de ce que vous avez dit tient au fait que, là-bas, les coûts de main-d'œuvre sont extrêmement faibles. Dans bien des cas, c'est d'ailleurs pour cette raison que nos entreprises se sont installées en Chine. Il faut vraiment y regarder de près, maintenant. Quelque chose peut être dessiné en Italie ou au Canada, mais fabriqué en Chine, et c'est toujours en raison des coûts de main-d'œuvre.
Selon vous, pendant combien de temps la Chine sera-t-elle en mesure de prévenir toute augmentation des coûts de main-d'œuvre? Avec l'industrialisation de l'économie, la population aura accès à des connaissances et à des normes internationales, et des pressions s'exerceront de l'intérieur du pays pour pousser à la hausse les coûts de main-d'œuvre en fonction de certaines normes internationales.
J'ai une autre question, de pure curiosité. Je m'intéresse au canal de Panama. Je vous remercie de mentionner nos installations portuaires sur la côte ouest et l'attention que nous leur avons accordée. Elles sont extrêmement importantes.
On m'a dit qu'il circulait plus de produits par le canal de Panama entre la côte ouest et la côte est des États-Unis, et que ces produits passaient par le canal de Panama plutôt que d'être transportés par camion ou par avion. Si cela est bien vrai, est-ce que nous ne devrions pas examiner aussi notre côte est, pas seulement les Grands Lacs, dont vous avez parlé, pour trouver des solutions aux questions de transport?
M. Fung : Je vous remercie de ces questions. Je répondrai à chacune d'entre elles, et M. Laurin pourra intervenir s'il le juge bon.
En 1997, tout le monde a dit que la Chine avait repris Hong Kong. En réalité, c'est le contraire qui s'est produit. Hong Kong s'est emparée de la Chine. Tous les Chinois veulent aller à Hong Kong. Shanghai veut dépasser Hong Kong. Dalian s'est surnommée la Hong Kong du nord.
Je veux vous faire remarquer, mesdames et messieurs les sénateurs, que la réussite de Hong Kong ne doit rien à la Chine. Hong Kong s'est développée sous le système colonial, à l'époque britannique. Parfois, lorsque nous voulons faire la leçon aux Chinois en matière de valeurs démocratiques, nous devrions songer que Hong Kong n'a jamais voulu être une démocratie. Les Britanniques n'ont découvert la démocratie que 10 ans avant d'être obligés de rétrocéder Hong Kong à la Chine.
Je peux vous le dire, mesdames et messieurs les sénateurs, Hong Kong ne connaîtra jamais l'échec. Vous avez raison. La Chine ne permettra jamais à Hong Kong de s'écrouler parce qu'elle ne permettra jamais que Hong Kong ne réussisse pas aussi bien qu'à l'époque où elle était colonie britannique.
Cela dit, il importe de comprendre que Hong Kong est un endroit extrêmement cosmopolite. Il n'y a pas de main- d'œuvre bon marché à Hong Kong. Il en coûte plus cher de faire des affaires là-bas qu'au Canada.
Le sénateur Grafstein : Les taxes sont inférieures.
M. Fung : En ce qui concerne les coûts de main-d'œuvre, l'évolution est la même dans le monde entier. Shanghai a réinstallé 10 millions de broches dans l'ouest de la Chine parce qu'on ne peut plus se permettre de faire fonctionner ces broches. Mes amis de Hong Kong ne veulent plus faire faire leurs chemises en Chine, ils déplacent leur production au Cambodge et au Bangladesh. Ce sont là des tendances naturelles, mais les Chinois ne regrettent pas la perte de ces emplois. Ils considèrent que c'est normal; il faut continuer et chercher des emplois de plus grande valeur. C'est cet aspect que les Canadiens doivent comprendre. Il ne sert à rien de regarder en arrière, de regretter le bon vieux temps. Cela ne nous aidera pas du tout. Lorsque j'ai dit « il faut gérer la Chine », votre entreprise a fait exactement ce que, selon nous, toutes les entreprises du Canada devraient faire.
Si les coûts de main-d'œuvre sont plus avantageux en Chine, au Pérou ou au Mexique, c'est là qu'il faut aller. Nous sommes ici pour gérer le monde. Nous ne sommes pas ici pour soutenir la concurrence. Si nous restons dans notre pays, nous serons en concurrence avec le monde entier.
Les coûts de main-d'œuvre sont sans importance, que ce soit en Chine, en Inde ou au Bangladesh. Le Canada doit travailler à l'échelle du monde. Nous espérons que c'est ce que votre comité recommandera et qu'il formulera une politique pour encourager les entreprises canadiennes à se lancer sur la scène internationale.
Au sujet du canal de Panama et des ports de la côte est, si vous avez assisté à mon exposé sur le transport vous savez que j'ai parlé des ports tant de la côte ouest que de la côte est. Selon moi, d'ailleurs, l'actuelle politique de la Porte de l'Atlantique restera sans effet parce qu'elle n'est pas fondée sur les besoins du monde. Elle est fondée sur notre façon de réfléchir, repliés sur nous-mêmes. Nous pensons que nous devons avoir une Porte de l'Atlantique, mais nous ignorons ce qu'elle devrait être.
La Porte d'entrée et le corridor du Pacifique ont été créés avec des objectifs et une justification bien clairs. La Porte de l'Atlantique est une initiative à caractère plus politique, qui nous permet de tirer partie de l'autre côte et d'avoir quelque chose à dire. Mais cela n'est pas vrai non plus. Je me suis rendu à Halifax à six reprises en 2006 pour parler de la Porte de l'Atlantique. Malheureusement, le Canada atlantique a pris mon concept de Porte de l'Atlantique et l'a transformé en Porte du Canada atlantique, il l'a ramené à une notion strictement régionale et locale. De fait, nous pourrions créer une plaque tournante maritime pour les conteneurs de toute la côte est de l'Amérique du Nord, comme Busan l'a fait en Corée. Nous n'inventerions rien. Nous reprendrions simplement ce qui a donné des résultats ailleurs.
Le Parlement peut maintenant influer dans une large mesure sur la situation des ports de la côte ouest, en particulier aux États-Unis, mais moins au Canada parce que nous sommes plus au nord et qu'il est possible d'arriver à Chicago plus rapidement que n'importe qui en passant par le canal de Panama.
Le sénateur Andreychuk : Pour ce qui est de la compétitivité, prenons les règles du droit d'auteur, qui suscitent bien des discussions. Que pouvez-vous nous dire au sujet de toutes ces questions relatives à la protection de nos brevets, du droit d'auteur, et à cette question de la Chine? Ce sont des questions qui reviennent constamment au sein de l'Organisation mondiale du commerce.
M. Fung : Il ne faut pas oublier qu'il y a des entreprises qui ont réussi en Chine sans rien perdre en termes de propriété intellectuelle : General Electric, Toyota et LG — une entreprise coréenne. Les histoires d'horreur que nous entendons concernent souvent des personnes qui n'ont pas pris de mesures adéquates pour se protéger. Souvent, lorsque nous prenons l'avion, nous pensons que les règles ont changé dans le monde entier. Lorsque je suis en Amérique du Nord, je dois protéger mes droits de propriété. Je réclame des accords de non-divulgation. J'achète des brevets aux États-Unis et au Canada.
Un jour, quand j'étais petit, mon père m'a pris la main. Il était herboriste, il avait une potion magique faite de 64 ingrédients. Il m'a emmené dans un magasin où il a acheté 30 ingrédients qu'il a fait moudre ensemble. Il est ensuite entré dans le magasin suivant et il a acheté 20 ingrédients. Dans le troisième magasin, il en a acheté 10, et il a pris le dernier dans un quatrième magasin. C'est ainsi qu'il protégeait ses droits de propriété intellectuelle. Très souvent, nous ne comprenons pas le fonctionnement du système et nous ne prenons pas les mesures nécessaires pour nous y adapter.
Lorsque j'étais président de Chemetics, j'ai construit des usines de produits chimiques sur les six continents. Quand je suis allé en Chine, j'ai installé mes réservoirs. Si vous n'êtes pas ingénieur, vous ignorez sans doute que pour mélanger les ingrédients dans un réservoir il faut des chicanes, sinon l'eau circule mais ne se mélange pas. Nous mettons des chicanes pour que les ingrédients se mélangent quand nous agitons la solution. J'ai mis des chicanes au-dessus du niveau de l'eau. Lorsque les Chinois ont ouvert le réservoir, ils ont dû se demander pourquoi et ils n'ont peut-être pas compris.
Il s'agissait de créer de la frustration, de rendre les choses plus difficiles à copier. C'est la théorie de la voiture volée. Si quelqu'un pose un antivol sur la direction, le voleur peut toujours l'enlever, mais pourquoi faire cet effort? La voiture d'à côté n'est pas munie d'un antivol.
Si nous voulons protéger notre propriété intellectuelle, il nous suffit de compliquer un peu nos concepts. Aujourd'hui, de plus en plus d'entreprises réussissent à bien protéger leurs droits de propriété, mais pas en fonction de notre système nord-américain. Elles comprennent le système chinois, elles achètent des brevets, elles embauchent des avocats et des gens qui poursuivront les auteurs d'infractions et elles comprennent les règles locales.
Je suis parfaitement d'accord avec vous. À l'heure actuelle, il se commet de graves infractions aux lois sur les marques de commerce et les droits de propriété intellectuelle, mais les tribunaux chinois sont très sensibles à l'opinion internationale, et cela s'est vu à maintes reprises, si les juges sont compétents, nous gagnerons en Chine. Pour que la primauté du droit soit respectée en Chine, nous devons aider les Chinois à former leurs juges.
Seulement 20 p. 100 des juges chinois ont une formation juridique quelconque. Nous pouvons dire tout ce que nous voudrons au sujet de la primauté du droit, il est impossible de l'imposer si les juges ne comprennent absolument rien à la loi. Lorsque je me présente devant un tribunal et que le juge est un ancien général d'armée, il est parfaitement inutile de parler des lois.
Le Canada peut prendre diverses mesures pour collaborer avec la Chine, l'Inde, le Vietnam et le monde en développement. Nous pouvons les aider à relever leurs normes et leurs valeurs en fonction des nôtres, pas en leur faisant la leçon mais en les aidant à construire une infrastructure qui leur permettra de fonctionner.
Comme je l'ai déjà dit, la Chine produit maintenant une grande partie de la propriété intellectuelle, et vous l'avez sans doute vu dans mes diapositives, les Chinois déposent plus de demandes de brevet que le Canada. Très bientôt, ils auront suffisamment besoin de protéger leurs propres brevets à l'interne pour adopter un système d'exécution de la loi qui répondra mieux à nos attentes.
Le sénateur Grafstein : Tout d'abord, monsieur Fung, monsieur Laurin, permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue. Votre exposé était fascinant, enthousiaste et stimulant. Si je vous comprends bien, vous nous demandez de réformer le gouvernement fédéral. Nous devrions réformer le ministère de l'Éducation, nous devrions réformer la réglementation des transports aux niveaux fédéral, provincial et municipal, parce que tous ces gens interviennent, et nous devrions aussi réaménager nos marchés d'investissement. Est-ce que j'ai bien compris?
M. Fung : Oui.
Le sénateur Grafstein : Premièrement, parlons de la Chine. Moi aussi j'ai passé du temps en Chine. J'ai parcouru 450 000 kilomètres en Chine, tout seul, et je ne connais pas un mot de chinois, sauf bonjour et au revoir.
Cela dit, j'ai découvert que tout le monde, en Chine, voulait parler l'anglais. Vous pouvez aller dans la province de Xinjiang, vous pouvez aller dans le Chongqing, vous pouvez aller à Hunan, tous les gens que vous rencontrerez dans la rue voudront travailler leur anglais. Les Chinois sont assoiffés d'anglais et de connaissances.
Pour tout dire, nous voulons bien apprendre, ici aussi, mais pas avec autant d'enthousiasme que les Chinois selon moi. Les Chinois font les choses différemment de nous et ils peuvent gérer les lois, ce qui nous est impossible dans notre système — fédéral, provincial ou municipal.
Vous devez bien connaître le projet des Trois-Gorges. Le maire de Chongqing, un de mes bons amis, m'a expliqué ce qu'il lui avait fallu faire. Il est d'abord devenu maire de Chongqing, puis dirigeant du Parti communiste de Chongqing, puis dirigeant du Parti communiste de la province du Sichuan et, dans ces trois postes, il a dû siéger au comité central. Il a ainsi pu imposer le projet des Trois-Gorges et tout moderniser.
Au Canada, nous ne pouvons pas agir ainsi. En Chine, bien des réformes dirigées par Hong Kong sont le fait de sociétés d'État, quand elles ont les capitaux et la main-d'œuvre nécessaires. La primauté du droit n'a vraiment pas beaucoup de poids. La primauté du droit commercial ne signifie pas grand-chose non plus, parce qu'ils peuvent en faire fi.
Notre problème, c'est que nous avons un système démocratique bien différent du système chinois. Là-bas, on peut imposer des décisions et exproprier, mais ici, nous ne pouvons pas exproprier une ligne de transport d'électricité pour la remplacer par deux lignes entre deux provinces.
Arrêtons-nous un instant et demandons-nous ce que nous pouvons faire.
Parlons d'abord des transports. Je conviens avec vous que nous n'avons pas bien conçu le système, même si c'était une belle vision du pays à l'époque, en 1957. Je suis un libéral, mais j'admire le programme de routes mis sur pied par M. Diefenbaker pour donner accès aux ressources, et la grille de transports qu'il a construite. Notre pays s'est bâti essentiellement sur un modèle de transports, et ce, au cours des 20, 30 ou même 40 dernières années, vraiment.
Il faut toutefois se demander où nous trouverons la volonté, les capitaux et les concepts pour réaliser un seul des éléments de votre modèle, et je parle de la modernisation de nos voies navigables intérieures. Le système est en place, mais pourquoi ne pouvons-nous pas faire cela? Vous avez analysé le problème. Nous connaissons le problème. Dites- nous comment procéder.
M. Fung : Vous voulez que je réponde d'abord à cette question?
Le sénateur Grafstein : S'il vous plaît.
M. Fung : Je crois que vous vous demandiez d'où venait le nom de mon entreprise. C'est ACDEG. Je ne l'épelle pas : A-C-D-E-G. Le A est pour Amanda; le C, pour Celeste; le D, pour David, c'est moi; le E, pour Eric, mon fils; le G, pour Grace, mon épouse. C'est ma famille. David et Grace ont trois enfants, cela donne « ACE ». C'est ainsi que j'ai nommé ma compagnie. C'est une entreprise familiale.
Parlons de notre concurrence avec la Chine. Ce que vous avez décrit, monsieur le sénateur, est tout à fait exact. Toutefois, chaque année, 40 000 Chinois décident de venir au Canada parce que notre société civile est supérieure. Je suis Canadien parce que j'admire la société civile canadienne. Je pourrais m'installer n'importe où dans le monde. Avec mon entreprise, aujourd'hui, avec la technologie, je n'ai absolument pas besoin de vivre au Canada. C'est le Canada. C'est un modèle pour le monde. Évidemment, il y a un certain prix à payer pour la démocratie, et cela comprend les consultations au sujet de la primauté du droit.
La Chine s'inspire du modèle européen. Il ne faut pas oublier que la Magna Carta n'a pas remis les pouvoirs du roi à la population, elle les a simplement transférés à la noblesse et aux propriétaires fonciers. Cela se passait en l'an 1200. Il a fallu 600 ans à l'Europe pour arriver à la deuxième Révolution française. Ce n'est qu'en 1848 que l'Europe a adopté la démocratie telle que nous la connaissons aujourd'hui. La Chine aura besoin d'une transformation.
Le sénateur Grafstein : Je connais la Chine. Je ne m'inquiète pas de l'évolution de la Chine, qui saura passer des ménages à responsabilité spéciale dans la province du Sichuan aux grandes agences de commercialisation des produits agricoles. Je connais cette évolution et je la comprends. Honnêtement, la Chine ne m'intéresse plus. Ce qui m'intéresse, c'est le Canada. Autrement dit, comment allons-nous moderniser le Canada de façon démocratique pour atteindre les objectifs que vous nous proposez et que nous partageons tous?
Je dis que c'est grâce au transport maritime, en effet. Il est indéniable que le transport maritime et le chemin de fer sont plus efficaces que le camionnage, et ce, à bien des égards, y compris pour les empreintes carboniques. Nous n'avons pas parlé des empreintes carboniques de la Chine. C'est un coût que nous payons aussi, mais c'est une autre question.
Concentrons-nous sur le transport maritime. Votre argument est bien présenté. Le Comité sénatorial permanent des transports et des communications a étudié votre travail. J'ai vu une partie de ce travail. De fait, j'ai suivi une partie de votre travail.
Cela dit, parlons uniquement de transport maritime pour l'instant. Le réseau de transport naturel que nous avons la chance d'avoir dans notre pays — les Grands Lacs et, de nos jours, la voie maritime —, comment pouvons-nous le rendre plus efficace, plus économique, plus productif et plus compétitif pour le transport des marchandises?
M. Fung : Merci de réorienter ma réponse. Premièrement, j'aimerais dire que j'ai décrit la Chine entre autres parce que la Chine a utilisé un modèle que nous devrions peut-être imiter. En Chine, toutes les routes que vous prenez sont des routes à péage, à tel point que vous en avez le bras fatigué. Ce sont des partenariats publics-privés. Ici, au Canada, nous rejetons ce modèle pour toutes sortes de raisons qui se rapportent à l'ingénierie sociale. Pourtant, un pays communiste, socialiste, administre le plus vaste programme de partenariats publics-privés au monde.
Le sénateur Grafstein : Cela est fort intéressant.
M. Fung : Où allons-nous trouver les fonds pour moderniser nos routes, nos chemins de fer et nos voies navigables? Il nous faudrait un partenariat public-privé.
J'espère que le comité sénatorial mettra de côté le concept bipartisan et les questions idéologiques et se demandera ce qui donnerait les meilleurs résultats pour le Canada. Il est temps pour nous de retrousser nos manches et de travailler de concert.
Le sénateur Grafstein : Monsieur Fung, je suis bien d'accord avec vous sur ce point.
Le président : Je dois continuer. Nous avons trois autres collègues qui veulent poser des questions.
Le sénateur Grafstein : Je vais terminer sur une autre idée. Vous pourriez peut-être examiner nos questions et nous fournir une réponse par écrit?
J'ai un projet auquel je travaille depuis une décennie, et il vous intéressera peut-être. À Toronto, au Canada, nous avons la technologie la plus avancée au monde pour creuser des tunnels sous la mer. Nous savons comment creuser des tunnels, mais nous ne pouvons pas utiliser nos connaissances au Canada. Nous pourrions construire un tunnel sous le détroit de Béring. De fait, si nous réalisions un tel projet — le détroit est plus étroit et moins profond que la Manche —, nous pourrions monter à bord du train à Londres, en Angleterre, et en descendre à Halifax. Mais ce projet nécessite de l'ingéniosité et de la volonté, et nous pourrions prévoir un train, un oléoduc et un lien routier avec l'Alaska en passant par le Yukon.
C'est une belle idée qui changerait le monde, mais malheureusement personne dans le secteur privé ne s'intéresse à ces belles idées. On veut que le gouvernement le fasse, et le gouvernement ne fait rien. Le gouvernement réagit aux belles idées d'hommes comme vous. C'est ainsi que nous faisons les choses.
Comment pouvons-nous promouvoir ces idées, et pourquoi est-ce que le secteur privé ne prend pas l'initiative et n'exerce pas de pressions sur le gouvernement dans ces dossiers? Nous ne percevons aucune pression du secteur privé dans aucun de ces dossiers, et cela fait 25 ans que je suis ici.
M. Fung : Les choses commencent peut-être à changer. Comme vous l'avez bien résumé, il est important pour nous de modifier la taxe américaine d'entretien portuaire pour pouvoir commencer à utiliser le transport maritime.
Je vous ferai aussi remarquer qu'il y a 10 ou 15 ans, j'ai déplacé des capitaux de l'Amérique du Nord vers la Chine pour construire à Shanghai une centrale électrique qui fonctionne encore très bien et qui a été inaugurée par le ministre Goodale en 2000. Ottawa touche encore des retombées de ce programme à Shanghai, grâce à mes impôts.
Ce qui est important, ce que nous devons bien comprendre, c'est que la Chine a aujourd'hui tellement d'argent qu'elle ne sait pas quoi en faire. Je suis toujours prêt à aider mon prochain. La Chine a besoin de quelqu'un pour l'aider à utiliser son argent. Lorsque vous avez un billon de dollars dans une devise qui se déprécie, qui ne vous rapporte que 2 ou 3 p. 100 par année... ne pensez-vous pas qu'il est temps de faire remarquer aux Chinois qu'ils pourraient faire mieux?
Sommes-nous prêts à un tel virage, sur le plan politique? Selon moi, les Canadiens ne sont pas prêts à cela, en partie parce que nous n'avons pas suffisamment de Canadiens qui sont disposés à prendre l'avion, comme vous, pour aller en Chine et constater que les Chinois sont comme vous et moi. Ils ne nous menacent pas. Ils veulent simplement vivre avec leurs familles et leurs enfants. Ils ont les mêmes aspirations que nous. Si nous pouvons arriver à une telle compréhension, nous pourrons proposer aux Chinois de devenir nos partenaires, et pas simplement aux Chinois, mais aussi aux Coréens et aux Japonais.
Les Canadiens ont un avantage de taille : ils sont cosmopolites. Nous devrions être le récepteur des fonds de tous les autres pays, sans discrimination.
Le sénateur Jaffer : Votre exposé m'a paru très intéressant. J'aimerais revenir aux diapos 43, 44 et 45, au sujet des conteneurs. Je viens de la Colombie-Britannique et j'aimerais que vous développiez un peu votre propos. Ce que vous disiez au sujet de la diapositive 44 m'intrigue. Vous disiez que d'ici 2015 il fallait espérer que la Colombie-Britannique serait en bien meilleure position, mais que nous avons un défi à relever. Avec des ports à Portland, à Seattle, à Prince Rupert et à Vancouver, nous sommes effectivement confrontés à un défi. Vous avez ces diapositives. Évidemment, vous n'en avez pas pour Seattle ni Portland. J'aimerais que vous nous parliez de votre compétition, là-bas, et que vous nous expliquiez un peu mieux votre idée.
M. Fung : Le Canada a la chance d'avoir deux grands chemins de fer, le CN et le CP. Ils ne sont pas toujours parfaits, alors on a raison de leur adresser des reproches, mais nous allons parfois trop loin. Ce sont — en particulier le CN — les chemins de fer les plus efficaces d'Amérique du Nord et sans doute du monde. Nous devons créer un système dans lequel les Canadiens peuvent participer au développement de ces ports et de ce corridor.
En principe, je peux envoyer un conteneur plein de Montréal ou de Toronto jusqu'à Shanghai pour 1 150 $. Si je le ramène, cela me coûte 4 500 $. Pourtant, dans les provinces des Prairies, à Winnipeg, à Regina et à Saskatoon, les expéditeurs paieront entre 2 000 et 2 200 $ pour le même conteneur, pour l'envoyer à Shanghai. Ils trouvent qu'il est injuste que ce conteneur qui vient de Montréal ou de Toronto passe sans s'arrêter chez eux et que nous puissions payer la moitié de ce qu'eux doivent payer et ils exigent une étude du service ferroviaire pour corriger cette apparente injustice.
Toutefois, pour utiliser cette injustice apparente et pour utiliser ces conteneurs qui reviennent vides, il nous faut modifier le fonctionnement de nos trains. J'élabore actuellement avec le CN un programme pilote qui permettrait aux trains de s'arrêter dans les Prairies pour charger des marchandises sans exiger ce genre de primes. Le CN peut s'arrêter à Prince George et le CP peut s'arrêter à Kamloops pour prendre des marchandises avant d'arriver au terminal portuaire.
Aujourd'hui, 50 000 camions entrent à Vancouver chaque jour en provenance de Kamloops pour charger des marchandises dans les conteneurs vides. Nous avons des camions qui doivent poursuivre le conteneur vide sur la voie jusqu'à Vancouver. Lorsque ces conteneurs vides arrivent à Vancouver, il faut appeler un autre camion pour les emmener dans le faisceau de garage. Les marchandises qui viennent de Kamloops sont mises en entrepôt et il faut les décharger. Quelqu'un appelle ensuite le service du faisceau de garage, et un tracteur vient chercher un conteneur vide pour l'amener à l'entrepôt où il sera chargé, puis un autre tracteur devra l'amener au port.
C'est de cette manière que nous diluons notre compétitivité. Nous ne créons pas de système. Si nous chargions ces conteneurs immédiatement à Kamloops, il y aurait moins de routes à construire à Vancouver. Nous investissons des milliards de dollars pour régler les problèmes de congestion à Vancouver alors que la question aurait dû être réglée avant même de toucher Vancouver.
Il nous faut perfectionner des mécanismes pour optimiser notre utilisation du corridor et de la porte dans lesquels nous investissons afin d'ajouter de la valeur à ces marchandises. Plutôt que d'expédier de la ferraille et des vieux papiers en Chine, mettons-y quelque chose de plus précieux, qui ajoutera à la prospérité du Canada.
Le sénateur Wallin : Votre exposé est l'un des plus intéressants que nous ayons entendus, je vous remercie d'avoir pris le temps de nous le présenter.
Nous sommes censés parler de l'émergence de la Chine et pas vraiment du déclin ou des occasions manquées au Canada, mais vous êtes ici parce que vous avez foi en notre pays. Vous parlez de votre amour pour le Canada, où vous avez librement choisi de vivre alors que rien ne vous y contraignait, et de la valeur que vous accordez à la démocratie et à la société civile. Selon les statistiques que vous nous avez présentées au sujet de l'éducation, nous créons une masse intellectuelle critique dans notre pays, mais nous semblons incapables de l'exploiter. Qu'est-ce qui nous fait défaut? Où faisons-nous fausse route? Nous sommes pourtant des gens intelligents?
M. Fung : À en croire le dicton, une aiguille ne peut pas être pointue aux deux extrémités. Au Canada, nous avons les États-Unis à notre porte. Évidemment, c'est un cadeau empoisonné pour notre avenir. Notre complaisance et notre dépendance à l'égard du marché américain nous empêchent de voir plus loin.
Je parle à des fabricants de pièces automobiles dans le sud-ouest de l'Ontario, et les temps sont durs pour eux. Je leur dis de regarder les statistiques et je leur propose de se tourner avec moi vers le nord de l'Asie. Ils me répondent que c'est trop loin. Je leur explique qu'il y a une sous-capacité à l'heure actuelle, mais ils préfèrent attendre que le cycle s'inverse.
Il est plus facile d'attendre le prochain cycle que de prendre l'avion, d'apprendre une nouvelle langue et de se familiariser avec une nouvelle culture. Les sénateurs disent que les Chinois veulent apprendre l'anglais. Combien de Canadiens pensent que le chinois sera une langue importante à l'avenir?
La Chine s'est bien intégrée au monde commercial, tout comme l'Europe. La Chine vient d'annoncer que l'enseignement de l'anglais allait commencer non plus en quatrième année, mais en troisième. Selon elle, à compter de cette année, le nombre de Chinois qui apprennent l'anglais est supérieur au total de toutes les autres personnes qui étudient l'anglais dans le monde. Nous devrions y voir à la fois une bénédiction et une menace.
Au Canada, nous devons mettre un terme à notre complaisance face au marché américain. Il nous faut comprendre le caractère cosmopolite du Canada et intégrer nos immigrants.
Regardez la composition des conseils d'administration des banques, on n'y trouve aucun membre des minorités. Avant moi, en 140 d'existence, MEC n'avait jamais eu de président qui ne soit pas un Blanc. Nous faisons peut-être des progrès, mais ils sont encore trop lents. Il nous faut faire sauter le plafond invisible. Nous avons tenté de le faire pour les femmes et les minorités, mais il est important d'y arriver non pas parce que la loi l'exige, mais parce que c'est ce qu'il nous faut faire; c'est ce que nous devons faire pour accroître notre capacité et être compétitifs sur la scène mondiale.
Le président : J'ajouterais quelque chose à ce que le sénateur Wallin nous a dit, au début. Notre mandat est d'étudier l'émergence de la Chine et de quelques autres pays et les conséquences de cette situation sur la politique canadienne, et je crois que la réponse du témoin s'inscrit très bien dans cela, alors je vous en remercie.
Le sénateur Stollery : J'ai une question similaire à celle du sénateur Wallin. Je tiens à vous remercier de cet exposé d'une qualité exceptionnelle. Il est un peu déprimant de regarder les chiffres concernant les échanges commerciaux du Canada. Vous savez aussi bien que moi, j'en suis certain, que nos échanges avec les États-Unis sont plus ou moins en train de s'effondrer, mais certains éléments des milieux d'affaires ne semblent pas l'avoir encore compris. Lorsque les exportations vers les États-Unis chutent de 40 ou de 50 p. 100, cela devrait vous mettre la puce à l'oreille, ne croyez- vous pas?
J'ai visité Hong Kong pour la première fois à la fin des années 1950. À l'époque, Hong Kong était beaucoup plus petite, et ceux qui s'y trouvaient venaient d'arriver de Shanghai. Puis, il y a deux ou trois ans, j'y suis retourné avec notre président et j'ai été surpris. Je connais un peu Hong Kong et j'ai été étonné de rencontrer un agent de district. Il y a encore un agent de district britannique, un agent du service colonial, et il m'a dit qu'il était l'agent de district pour Kowloon.
Il faut dire que le système de transport à Hong Kong est extraordinaire.
Votre témoignage se passe d'explications, mais je m'étonne toujours de constater à quel point nous sommes paresseux, au Canada. Je me dis que c'est parce que nous avons un grand pays. Tout a été relativement facile ici, en comparaison des pays très populeux où il n'y a pas beaucoup d'espace. Au Canada, après avoir ruiné quelques kilomètres carrés, nous pouvons toujours passer à la parcelle d'à côté.
Je suis assez vieux pour me souvenir de certains des dommages qui ont été faits, parce que je suis né avant la guerre. Je viens de Toronto. Nous avions un traversier qui naviguait sur les Grands Lacs, qui allait jusqu'à Rochester, dans l'État de New York. Il était financé par la municipalité de Rochester. Il a fait faillite. À Toronto, on s'est contenté d'en rire. Un journaliste a écrit une série d'articles demandant qui pourrait bien vouloir aller à Rochester. Comme vous le savez, pour aller à New York par la route il faut contourner le lac Ontario par l'ouest avant de mettre le cap au sud. Le traversier me paraissait très logique. Ni l'Ontario ni la municipalité de Toronto n'ont voulu contribuer à financer ce projet. Pourtant, nombre de remorques et de camions de transport l'auraient utilisé. Il aurait été rentable, il aurait fait des profits. Ce bateau avait été construit en Australie, si je ne me trompe pas.
Pourquoi manquons-nous tellement d'imagination, de discipline, pourquoi sommes-nous si généralement paresseux?
M. Fung : Je vous remercie de cette question, monsieur le sénateur. La réponse se trouve à la page 61. C'est la taxe américaine d'entretien portuaire qui interdit aux camions de traverser les Grands Lacs. Vous ne pouvez pas vous permettre d'expédier aux États-Unis des marchandises de valeur en passant par l'eau. C'est le recouvrement des coûts de Douanes Canada pour les nouvelles routes qui tue dans l'œuf tout projet de traversier. Nous tenons à ce que l'expéditeur paie tous les coûts de fonctionnement des services douaniers. Nous sommes les artisans de notre propre échec.
M. Laurin : Je veux ajouter quelque chose à ce qu'a dit M. Fung. Votre commentaire sur le manque d'imagination m'oblige à intervenir. Ce que dit M. Fung est bien compris ici. Nous ne pouvons pas tenir les choses pour acquises, continuer sur la même voie n'est pas une option, que vous soyez au Canada ou en Chine. La situation évolue très rapidement. Les entreprises doivent adopter une stratégie pour tenir le rythme des changements qui les entourent. En tant que décideurs, nous devons veiller à ce que nos politiques soient adaptées à un monde en évolution.
Pour ce qui est de notre manque d'imagination, nous faisons bien des choses extraordinaires, au Canada. Nous créons de nombreux nouveaux produits et de nombreuses solutions qui nous aident à régler certains des problèmes du monde. Pour poursuivre dans la même veine que M. Fung, je dirais que la collaboration entre l'industrie et le gouvernement sera encore plus importante à l'avenir. La mission de l'entreprise est de créer des produits et des services pour lesquels il existe un besoin et un marché. La mission du gouvernement est de créer les conditions nécessaires pour que les entreprises puissent faire leur travail. Il y a bien des défis à relever dans le monde, qu'il s'agisse d'environnement ou de développement des compétences, pour arriver à maintenir notre niveau de vie. Nous pouvons faire beaucoup. Nous sommes déjà en train d'élaborer de nombreuses solutions créatrices, au Canada. À l'avenir, le secteur manufacturier devra encourager le développement de ces nouveaux produits et de ces nouvelles technologies qui nous aideront à régler les difficultés que nous rencontrerons. L'étude de votre comité sur l'émergence des marchés en développement et l'incidence de ce phénomène sur le Canada fait ressortir des défis extraordinaires. M. Fung en a parlé dans la première partie de son exposé. Toutefois, il y a aussi des perspectives extraordinaires qui s'ouvrent aux entreprises, des perspectives qui n'existaient pas auparavant. Nous essayons de développer notre économie et de capturer une grande partie des connaissances créées dans les entreprises et les universités. Je ne veux pas vous donner l'impression que nous ne voulons pas nous attaquer à certains des défis auxquels nous sommes confrontés. Nous devons faire le point et reconnaître que les défis qui nous attendent ne sont pas insurmontables. Nous sommes mieux équipés pour relever ces défis aujourd'hui que par le passé.
Le sénateur Stollery : C'est un grand problème pour le pays, car nous avons un taux de chômage d'environ 9 p. 100. Nous avons entendu des témoins nous parler des problèmes de qualité au Canada. Les produits allemands ne sont pas bon marché, mais ce sont les meilleurs, et c'est pourquoi les gens les achètent. Selon moi, c'est ce que nous devrions faire au Canada.
Le président : Lorsque le comité a étudié l'ALE, l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, et l'ALENA, les mêmes questions ont été soulevées, et nous les avons. Il est intéressant de voir qu'elles nous reviennent.
Le sénateur Downe : Nous discutons ce soir de l'émergence de la Chine, alors qu'il y a 25 ans, nous parlions de l'émergence du Japon. Les gens se bousculaient pour dire que nous devions adopter les techniques de gestion japonaises, la livraison juste à temps, parce que le Japon allait devenir la première puissance économique au monde, et nous savons ce qui s'est passé.
Selon vous, si les choses devaient mal tourner en Chine, quelle en serait la cause? Est-ce que ce serait leur système politique, leur contrôle central, ou la masse des paysans qui ne peuvent pas trouver d'emploi? Si un problème survenait en Chine, quelle en serait la principale cause?
M. Fung : Sénateur, votre remarque est fort judicieuse. En Chine, 20 dynasties se sont succédé, et seulement quelques-unes ont été renversées par des invasions étrangères. La plupart des dynasties sont tombées sous la pression des paysans. En Chine, aujourd'hui, la principale préoccupation qui revient constamment lorsque nous parlons de valeurs démocratiques et de droits de la personne, l'argument que la Chine ne cesse de répéter, se résume en un seul mot : stabilité. La stabilité est la clé de la mentalité chinoise, parce qu'au XX e siècle, 100 millions de Chinois sont morts en cherchant à découvrir comment se gouverner eux-mêmes, et la plupart sont morts non pas par balle ni par l'épée, mais des suites de la dislocation.
Pour comprendre la mentalité chinoise, nous devons comprendre le point de vue des Chinois. Pour eux, la stabilité est synonyme de survie. Tout le reste est secondaire. Nous pouvons parler de valeurs démocratiques et de tout ce que vous voudrez, mais pour 20 millions de personnes à Shanghai, une interruption d'une semaine dans l'approvisionnement en denrées alimentaires de la ville aurait de terribles conséquences.
Vous avez parfaitement raison, mais aujourd'hui, dans un monde entièrement ouvert, le problème ne concerne plus uniquement la Chine. Si la Chine était déstabilisée et que son économie devait s'écrouler, cela aurait de graves conséquences pour le monde entier. Par ailleurs, la Chine adopte un modèle très distinct de celui du Japon. Je construisais des usines de produits chimiques pour le reste du monde à Vancouver, au Canada, mais ni les Japonais ni les Coréens ne m'auraient permis de m'installer sur leurs marchés. Aujourd'hui, vous ne pouvez toujours pas expédier de véhicules au Japon ni en Corée. La Chine a imposé des droits sur ces importations. La Chine sait très bien qu'elle ne peut pas suivre les exemples japonais et coréen et bâtir une économie fondée uniquement sur les exportations. Elle doit stimuler son marché intérieur. La crise financière lui a donné l'occasion de progresser et d'encourager la croissance de son économie intérieure. Elle ne peut pas développer son économie intérieure si la population ne se sent pas en sécurité et refuse de dépenser. Elle doit créer un filet de sécurité sociale pour que ses citoyens perdent l'habitude d'épargner 50 p. 100 de leurs revenus. C'est pour cette raison que, si nous les aidons à définir leur régime de pensions et leur régime de santé national, les Chinois remplaceront les Américains parce que leur pouvoir intérieur leur permettra de devenir le moteur de l'économie mondiale.
J'accepte sans réserve les valeurs canadiennes en ce qui concerne les droits de la personne, mais les droits de la personne sont un privilège, pas un droit. On a refusé de traiter mon père dans un hôpital à Hong Kong parce qu'il n'avait pas d'argent. Le médecin m'a dit : qu'est-ce que vous voulez que je fasse? Je n'ai qu'un lit. Est-ce que je devrais le donner à votre père, qui a 70 ans, ou à un jeune homme qui a 30 ans? Qu'est-ce que je pouvais lui répondre? Toute personne raisonnable reconnaîtra qu'un homme de 30 ans a toute la vie devant lui.
Dans nos relations avec la Chine, il faut essayer de mieux comprendre le point de vue des Chinois pour pouvoir traiter avec eux efficacement et pour que notre contribution soit utile et ne soit pas interprétée comme un reproche et un affront.
Mesdames et messieurs les sénateurs, l'émergence de la Chine a des conséquences pour le Canada, et les Canadiens ont maintenant l'occasion d'élaborer des réponses politiques adaptées qui aideront le secteur privé à conjuguer ses forces pour gérer la Chine plutôt que de lui faire concurrence.
Le président : Messieurs, vous avez vu à quel point nous avons apprécié votre intervention, ce soir. Je suis d'accord avec vous, l'avenir de la Chine se trouve dans son marché intérieur.
Je suis totalement d'accord avec vous, monsieur Fung, sauf pour ce qui est des droits de la personne qui, selon vous, seraient un privilège. Mais c'est une discussion qui devra attendre. Nous serions heureux de vous accueillir à nouveau pour contester vos opinions sur la question. Votre sagesse nous a éclairés, et vous avez énormément enrichi nos délibérations.
(La séance est levée.) |