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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

OTTAWA, le jeudi 29 avril 2010

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour étudier l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui pour poursuivre l'étude sur l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.

Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui M. Gary Comerford, vice-président exécutif et chef de la commercialisation, RGA International Corporation. M. Comerford a eu l'honneur de recevoir le Prix du président 2008 de la Chambre de commerce indo-canadienne pour le rôle qu'il a joué dans les relations commerciales entre le Canada et l'Inde. C'est tout un accomplissement.

En 2002, il a été nommé vice-président, International, et directeur général, Inde, de la Financière Sun Life Asie, où il était responsable des coentreprises à risque de la Sun Life en Inde. Il convient de faire remarquer que la Sun Life est passée de 11 succursales dans 10 villes à 116 succursales dans 95 villes pendant que M. Comerford occupait ces fonctions. Il va peut-être nous donner plus de détails à ce sujet.

M. Comerford est également le directeur de Aditya Birla Minacs Worldwide Inc., du Conseil de commerce Canada- Inde et du festival Shaw. Il a aussi déjà été président de Birla Sun Life Insurance, de Birla Sun Life Asset Management et de Birla Sun Life Distribution au Canada.

Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Comerford. Les membres du comité sont impatients d'entendre vos commentaires sur les relations commerciales. Vous avez sans aucun doute acquis une bonne expérience en Inde et au Canada.

Gary Comerford, vice-président exécutif et chef de la commercialisation, RGA International Corporation : Je vous remercie beaucoup. Honorables sénateurs, je suis heureux d'être ici aujourd'hui. Je dois admettre que j'ai été un peu surpris, mais content de recevoir votre invitation. Pendant un voyage d'affaires en Europe, la semaine dernière, j'ai appris que vous m'aviez demandé de comparaître aujourd'hui à Ottawa pour donner mon point de vue sur le commerce international et, en particulier, sur le commerce avec la Chine, l'Inde et la Russie.

Pour bien nous comprendre, j'ai beaucoup plus d'expérience à l'égard de l'Inde et de la Chine que de la Russie. Actuellement, je travaille chez Reinsurance Group of America. Vous n'en avez peut-être jamais entendu parler. Notre entreprise figure néanmoins sur la liste Fortune 500. Établie aux États-Unis, à St. Louis, Missouri, notre entreprise de services financiers a très bien traversé la crise financière des 18 à 24 derniers mois.

Nous aidons les entreprises d'assurance-vie des quatre coins du monde à atténuer les risques. Nous nous spécialisons dans l'assurance-vie, et non l'assurance sur les biens et l'assurance risques divers. Toutes les grandes entreprises d'assurance-vie du monde, et même les petites entreprises des marchés locaux, traitent avec RGA pour leurs affaires et pour gérer leurs capitaux.

Nous faisons des affaires dans plus de 36 pays. Comme vous pouvez le constater, je suis souvent à l'extérieur. Nous avons également de nombreuses succursales dans les pays où nous faisons des affaires. J'ai eu la chance de voyager beaucoup.

Si vous me permettez, je ne suis pas un théoricien. Je ne viens pas ici aujourd'hui pour vous présenter un document. J'ai rédigé des articles et fait ce genre de choses dans le passé, mais je ne suis pas ici pour cela. Si vous voulez, je suis celui à qui les PDG disent normalement : occupe-toi de cela.

J'ai eu l'immense plaisir de travailler 24 ans à la Financière Sun Life. Je reçois aujourd'hui des prestations de retraite de cette entreprise, où j'ai eu une expérience merveilleuse. Pendant 15 ans, j'ai travaillé en étroite collaboration avec Don Stewart, le PDG de la Sun Life, pour étendre les activités internationales de l'entreprise.

Aujourd'hui, je fais la même chose chez RGA. Nous avons des bureaux en Inde. Nous cherchons actuellement à établir un bureau de représentation et à faire des affaires en Chine. Nous espérons y parvenir en février de l'an prochain. J'ai récemment fermé le bureau en Russie. C'est aussi avec plaisir que je discuterai de ces choses-là.

Pour mettre les choses en perspective, je pense qu'il serait bien de vous donner une idée de mon expérience professionnelle et de ce que je connais. Il est juste de dire que j'ai acquis la grande majorité de mon expérience pratique en Inde. En 15 ans, je suis allé 79 fois en Inde. Même si vous aviez raison de dire que la Sun Life avait 11 succursales quand je suis entré en fonction, en vérité, l'entreprise n'avait rien lorsque je suis arrivé en Inde au mois de décembre 1996. En 1956, la Sun Life a été nationalisée, et toutes ses entreprises ont alors été incorporées dans ce qu'on appelle maintenant la Life Insurance Corporation of India.

Cela dit, la Sun Life avait un passé glorieux. En tant que Canadiens qui étudient un modèle d'affaires canadien, nous ne devons pas l'oublier. La Sun Life s'est établie en Inde dès 1892 et elle était la plus grande entreprise étrangère d'assurance-vie dans ce pays lorsqu'elle a été nationalisée en 1956 — c'est tout un héritage.

En tant que pensionné et ancien employé de la Sun Life, je suis fier de dire que la Financière Sun Life n'a jamais cessé de faire des affaires en Inde depuis 1892 tant que la loi le lui a permis.

De plus, quand les entreprises de services financiers, en particulier, et le milieu des affaires en général ont commencé à mener des activités en Inde dans les années 1990, le président actuel, John McNeil, m'a demandé d'y aller pour trouver des occasions d'affaires. À notre arrivée, nous n'avions rien.

Notre représentant commercial d'IBM m'a accompagné pour ce voyage, parce qu'il était d'origine indienne et qu'il pouvait parler la langue du pays. Il n'y avait pas beaucoup de gens à qui je pouvais demander de l'aide ni d'autres Canadiens qui faisaient des affaires importantes en Inde. Bell Canada, SNC-Lavalin et d'autres entreprises essayaient bien de s'établir là-bas. Cependant, ce qui se faisait n'est pas du tout comparable avec ce qu'on voit aujourd'hui. Les infrastructures, la façon de faire des affaires et le temps qu'il fallait pour accomplir les choses étaient très différents.

Durant ce temps, la Sun Life, une société canadienne qui a un bon bilan et de bonnes capacités, est devenue ce qu'elle est aujourd'hui, la plus grande entreprise d'assurance-vie en Inde. Pour vous donner une idée, la Sun Life a plus de 180 000 conseillers, qui frappent aux portes pour vendre de bonnes vieilles assurances-vie. La Sun Life possède Birla Sun Life Asset Management, une société qu'elle a elle-même mise sur pied et à la création de laquelle j'ai contribué.

Pendant un certain temps, j'ai été PDG de cette entreprise. Ces deux dernières années, Birla Sun Life Asset Management a été la meilleure entreprise de fonds communs de placement en Inde, toutes les entreprises locales et internationales confondues — ce qui n'est pas peu dire.

Je fais ces commentaires et je vous parle de la Sun Life parce que c'est bien sûr là que j'ai mes meilleurs souvenirs et que j'ai acquis la plus grande partie de mon expérience, mais je veux mettre l'accent sur le fait que les responsables des entreprises indiennes veulent ardemment faire des affaires avec le Canada.

Durant ce que j'appelle le concours de beauté de 1996 à 1999, les responsables de Birla ont cherché partout dans le monde à s'associer à d'autres organisations. Les rares entreprises sur la liste, qui est plus ou moins publique, étaient MetLife, Lincoln National, à l'époque, Legal & General, du Royaume-Uni, et Prudential UK. Toutes ces grandes entreprises qui faisaient des affaires à l'étranger ont choisi la Sun Life. Je crois qu'elles ont fait ce choix pour la capacité financière et la réglementation de la Sun Life, mais aussi pour les gens qui y travaillaient. Il était très clair que les responsables de ces entreprises aimaient faire des affaires avec des Canadiens. C'est pourquoi des liens solides ont été tissés avec les années.

Si je vous parlais brièvement de l'Inde et de la raison pour laquelle j'estime que nous devons examiner ce marché plus attentivement, je donnerais des faits que les autres témoins vous ont déjà rapportés mille fois. L'Inde compte un milliard d'habitants. J'aime l'expression « il n'y en a pas deux comme toi », qu'on utilise au Canada; en Inde, il y a plein de gens exactement comme vous. Le potentiel de ce marché est stupéfiant.

Sur le plan démographique, l'Inde est très intéressante. Regardons la Chine et l'Inde. Je travaille dans le domaine de la démographie, de la gestion des risques et du vieillissement de la population. Si vous êtes jeune, je veux vous assurer; si vous êtes âgé, je veux vous vendre une rente. Ainsi, le cycle de vie est très important. Si on compare la Chine et l'Inde, il est clair que la population jeune de l'Inde est très favorable pour faire des affaires et bâtir une entreprise qui se développera avec le temps.

La population de la Chine est plus âgée, un facteur qui à lui seul rendra la progression des activités difficiles. La tendance pourra être modifiée par l'immigration et autres choses, mais elle restera un problème.

Concentrons-nous maintenant sur le positif à propos de l'Inde, où on constate l'émergence d'une classe moyenne énorme. Lors de mon premier voyage en Inde, j'ai été frappé par la misère noire qu'on y trouvait; il y avait 800 millions de personnes pauvres dans ce pays. Cela m'a atterré et tout à fait consterné, moi qui ai grandi dans la péninsule de Niagara et profité d'un mode de vie agréable. Mes parents se situaient dans la bonne moyenne.

Il faut se demander si on veut faire des affaires dans un pays pauvre. La meilleure réponse à cette question est de fonder une entreprise qui créera des emplois et qui aidera le pays à sortir de la misère. En créant des emplois prestigieux d'actuaires, d'assureurs et de cadres supérieurs, on renforce l'économie canadienne et on permet au Canada d'être dominant sur la scène internationale. Il est difficile pour le Canada, qui compte 35 millions d'habitants, de s'imposer ailleurs dans le monde. Dans mon domaine, il faut regarder au-delà des frontières.

Hors de tout doute, l'émergence de la classe moyenne présente un potentiel énorme non seulement pour les services financiers, mais aussi pour le marché de la consommation en général. Vous avez vu les statistiques concernant la croissance des PIB et les secteurs des services, de la fabrication et de l'agriculture. Toutes les industries sont en croissance en Inde. Le secteur des services aura beaucoup de vigueur. Si on regarde les chiffres publiés par le gouvernement fédéral en ce qui a trait au commerce, on constate qu'ils sont inexacts. En fait, ils sont peut-être justes, mais ils ne reflètent pas les affaires qu'on fait présentement.

Les chiffres qui concernent les activités des entreprises financières canadiennes, comme Lombard ou la Financière Sun Life, ne sont absolument pas pris en compte dans les statistiques. Les chiffres publiés ne traduisent pas l'importance que ces activités ont prise pour les Canadiens.

Un document nous donne un aperçu social, économique, politique et technique d'une question. Vous en avez déjà vu. Il y a deux ou trois semaines, j'ai donné une conférence à Ottawa et je crois que c'est la raison pour laquelle je suis ici aujourd'hui. On doit porter attention aux aspects très positifs des relations entre le Canada et l'Inde.

J'aimerais faire cinq recommandations dont nous pourrons discuter. Parfois, les meilleurs échanges se produisent quand je réponds aux questions et aux demandes d'information qu'on me présente.

Je crois que le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international devrait désigner l'Inde comme principal marché émergent pour le Canada. Je dis cela parce que je voyage partout dans le monde, que j'étudie les possibilités et que je vois une occasion en Inde que nous ne pouvons pas laisser passer. Il y a tellement de conditions favorables, à l'heure actuelle. Certains pourraient penser autrement, mais je dis simplement qu'il est dans notre intérêt de faire de l'Inde une de nos priorités.

Il y a 12 ans, j'ai participé ici, à Ottawa, à une réunion du ministère des Affaires extérieures et du Commerce extérieur — le ministère s'appelait ainsi à l'époque. Le sous-ministre, assis devant moi, avait dit : « L'Inde est une de nos trois priorités. » Je voulais demander pourquoi nous n'agissions pas en conséquence, mais j'étais resté poli. Je suis maintenant vieux et pensionné.

Nous devons prendre le taureau par les cornes et passer à l'action. Je ne dis pas que la Chine et les autres pays ne présentent pas de bonnes occasions, mais si on regarde les relations actuelles, nous avons la possibilité de faire des affaires importantes en Inde.

Ensuite, des négociations détaillées sont en cours concernant le libre-échange. Nous devons favoriser le libre- échange et voir à ce qu'il ait lieu. Il y a un certain temps, j'ai dit dans un essai qu'on devait mettre en place ce système dans un délai de deux ans. Par la suite, je me suis rappelé qu'il était question de l'Inde.

En effet, il sera difficile pour l'Inde de passer un accord de libre-échange en aussi peu de temps. À mon humble avis, le Canada a présentement plus besoin de l'Inde que l'Inde n'a besoin du Canada. Ces 10 dernières années, j'ai participé à un certain nombre de visites en Inde avec John Major, des premiers ministres, des présidents et des rois pour rencontrer non seulement les fonctionnaires et les politiciens du pays, mais aussi les chefs de file des industries.

Je me souviens du jour où Lloyd Axworthy a présenté un exposé devant John Major, assis dans la première rangée, et 150 délégués britanniques qui portaient la même cravate et le même chapeau. Dès le départ, ces gens donnaient vraiment l'impression qu'ils allaient faire des affaires. Est-ce une mise en scène? Absolument. Toutefois, ils faisaient bien comprendre qu'ils allaient faire des affaires. Or, le Canada, lui, avait imposé des sanctions à l'Inde à l'époque à cause de l'énergie atomique. Je vous laisse en juger, mais je crois que ces sanctions ne nous ont pas aidés et que nous devons encore en subir les conséquences. Nous devrions rapidement conclure un accord de libre-échange.

Nous devrions lancer une campagne de promotion en Inde dans le premier trimestre de 2011 « Le Canada maintenant », car les Indiens ne nous connaissent pas. Ils connaissent notre système d'éducation parce qu'ils envoient leurs plus brillants élèves s'instruire ici. Les Indiens savent que nous faisons partie du Commonwealth et ils ont une image favorable du Canada. Nous devons en tirer profit. Il y a en Inde une forte concentration de gens qui veulent faire des affaires.

J'ai eu la chance de rencontrer M. Kumar Birla. Je ne sais pas si vous l'avez rencontré durant vos voyages en Inde. Quand nous avons fait connaissance, M. Birla avait à peine 30 ans. Son père était décédé et lui avait légué un immense empire. Les gens se demandaient ce qui allait arriver, car Kumar Birla était de la nouvelle génération.

Tout d'abord, Kumar Birla a engagé McKinsey. Ensemble, ils ont transformé l'entreprise, qui était avant tout axée sur la fabrication et les produits de base, pour la rendre dynamique et moderne, orientée vers les services et concurrentielle par rapport à presque toutes les autres entreprises en Inde.

Un jour, M. Singh, le stratège principal de M. Birla, m'a demandé où se situait le Nouveau-Brunswick. Je lui ai répondu que cette province se trouvait sur la côte Est du Canada. M. Singh m'a dit qu'il y avait là une usine de pâte à papier désaffectée et que les responsables de l'entreprise s'y intéressaient. Je lui ai dit qu'il devait téléphoner à Frank McKenna, avec qui il pouvait faire des affaires. Il y a deux usines de pâte là-bas. L'entreprise de M. Birla envoie la viscose en Indonésie, où on en fait autre chose que de la pâte. Ce n'est qu'une des conversations que j'ai eues.

À une autre occasion, quelqu'un m'a téléphoné pour me dire que son entreprise voulait établir un centre d'appels en Inde. Quand j'ai demandé pourquoi, la personne m'a répondu que son entreprise menait des activités importantes au Canada et qu'elle pensait faire de même en Inde. Je lui ai suggéré de trouver un bon partenaire d'affaires dans ce pays pour contribuer à la réalisation du projet et lui donner plus d'ampleur. Aditya Birla Minacs Worldwide emploie maintenant plus de 10 000 personnes, dont 4 000 travaillent en Ontario.

Kumar Birla a fait l'acquisition de Novelis. En général, quand ils nous connaissent, les Indiens font des affaires avec nous. Ce n'est pas attribuable à ma personnalité éblouissante, mais au nombre considérable d'occasions offertes au Canada pour les entreprises indiennes.

On n'a qu'à regarder la croissance du commerce de l'Inde avec les États-Unis et à examiner les statistiques. Je suis sûr que quelqu'un a déjà présenté cette information au comité. La progression des investissements de l'Inde aux États- Unis vient au deuxième rang des progressions les plus fortes au monde. Il faut simplement se demander pourquoi cette progression ne survient pas au Canada.

Le ministre du Commerce devrait mettre sur pied une équipe spéciale de leaders du monde des affaires pour examiner la possibilité de nouer des relations commerciales privilégiées avec l'Inde qui serait chargée de produire un rapport d'ici décembre 2010. On n'a pas vraiment besoin de beaucoup plus de connaissances financières. L'idée est de prendre les choses au sérieux, de mettre des gens en charge et de voir ce que nous pouvons faire. Il faut aussi donner l'impression que nous sommes déterminés.

Le cabinet du premier ministre devrait nommer un envoyé spécial en Inde pour promouvoir les relations politiques et économiques entre les deux pays. Je ne dis pas cela pour couper l'herbe sous le pied du haut-commissaire, qui fait un travail superbe. Pour renforcer encore plus notre position dans le domaine politique, je suis certain que nous avons d'autres moyens de rehausser notre image et de gagner la reconnaissance du gouvernement de l'Inde.

Le sénateur Wallin : Je vous remercie beaucoup de votre exposé, qui était tout à fait excellent.

Bien des témoins nous ont dit — je crois que vous avez été le plus éloquent à cet égard — d'accorder nos violons et d'aller faire des affaires en Inde. Vous avez aujourd'hui réaffirmé le fait que le Canada a sans doute plus besoin de l'Inde que l'Inde n'a besoin du Canada. Par ailleurs, nous avons eu des différends sur les questions du nucléaire. Pourquoi n'augmentons-nous pas nos rapports commerciaux avec l'Inde maintenant? À la lumière des relations que vous avez eues avec les gens du MAECI et d'autres personnes, qu'est-ce qui échappe à notre compréhension, selon vous? Les gens ont-ils un blocage?

M. Comerford : J'ai eu le privilège de m'entretenir avec nombre de ministres du Commerce en Inde, en Chine et dans d'autres endroits. Ces ministres font le travail et sont très compétents, au même titre que les autre Canadiens qui s'occupent du commerce international. Les gens d'EDC et les autres responsables représentent le Canada de façon exceptionnelle. Je dirais que le haut-commissaire actuel a une attitude, une expérience et des connaissances politiques irréprochables à propos de ce qui se passe.

Quel est le problème? D'après mon expérience, nous n'avons pas dissocié les exigences économiques des besoins politiques. Également, les politiciens du Canada, les premiers ministres comme les ministres, semblent parfois être allés en Inde dans le seul objectif de se faire prendre en photo. La visibilité est importante, je ne le nie pas.

En outre, certains premiers ministres n'ont séjourné que 24 heures en Inde. Soyons sérieux. J'ai parlé d'une rencontre au ministère qui remonte à 12 ans pour montrer que nous devons agir avec sérieux. Nous ne devons pas attendre, par exemple, que le premier ministre Singh ait la délicatesse de venir ici le premier. On m'a dit pendant très longtemps que les choses devaient se passer ainsi sur le plan diplomatique. La bonne nouvelle est que le premier ministre Harper est allé en Inde. Je crois que c'est très bien et que nous devons prendre les devants.

Si nous suivons le protocole à la lettre, nous accuserons du retard. Ce matin, j'essaie d'engager quelqu'un en Inde, parce que mon entreprise ne connaît pas une croissance aussi rapide que celle de l'entreprise que j'avais mise sur pied avant elle. Vais-je engager une personne de 27 ans qui n'a jamais rien accompli? Non, je vais engager quelqu'un de très intelligent qui travaille sans relâche, parce que je dois rattraper le temps perdu.

Je dois modifier la stratégie que j'utilise normalement dans un marché pour tirer avantage de la situation. Le Canada a l'occasion de créer des partenariats, mais il est en retard. Est-il hors de la course? Non, mais il le sera, car des relations sont en train d'être établies. En Inde, il y a les Ambani, les Tata, les Birla et toute une poignée de familles très influentes. Il est dans l'intérêt des Canadiens de s'associer aux membres de ces familles.

Il y a deux ou trois semaines, j'ai rencontré M. Tata alors qu'il était de passage en ville pour assister à une réunion. C'est un homme charmant, mais il est très important de comprendre la mentalité indienne. Par exemple, on m'a demandé récemment d'organiser une rencontre entre la société Aditya Birla et les anciens ministres Roy MacLaren et John Manley, qui étaient en visite. Roy est un ami très proche. J'ai donc téléphoné à M. Singh, le stratège en chef des Birla. Aujourd'hui, il est pratiquement à la retraite. C'est leur homme de confiance. Je lui ai demandé s'il aurait l'amabilité de bien vouloir organiser une rencontre avec les Birlas. Il a répondu qu'il s'arrangerait pour que tout le monde soit présent. Les PDG de leurs filiales y seraient, et tous les autres aussi. Il a dit qu'il n'y aurait aucun problème. Nous avons échangé plusieurs courriels. M. Singh m'a fait parvenir un mot qui disait : « Gary, je serai heureux de vous voir en Inde. » Oups! La réunion tombait le jour de mon 60e anniversaire. Je ne pourrais donc pas être en Inde. En fin de compte, j'ai rappelé M. Singh pour lui présenter mes excuses et lui dire que je ne pourrais pas y aller. M. Singh m'a répondu : « Gary, c'est important. Si vous n'êtes pas là, ce ne sera qu'une rencontre protocolaire. Mais si vous venez, nous allons faire des affaires. »

J'ai finalement établi une liaison télévisuelle pour faire preuve de respect à l'égard de M. Singh. Il faut du temps pour établir une relation d'affaires avec l'Inde, et je ne suis pas le seul à le faire. D'innombrables entreprises canadiennes y sont parvenues, mais il faut souligner et acclamer ces réussites. Il faut encourager les relations d'affaires fructueuses avec les Indiens. Quant aux hautes technologies, il faut savoir exactement où trouver les fournisseurs dont nous avons besoin.

En tant que vice-président du Conseil de commerce Canada-Inde, je me souviens d'un souper en particulier. J'étais assis devant un homme qui fabrique des essieux arrière. Qu'est-ce que je connais là-dessus? Le Conseil de commerce Canada-Inde avait trouvé une personne en Inde qui fabrique des camions et qui avait besoin de cet essieu arrière. C'est le genre de jumelage que nous devrions établir.

Le web est une source extraordinaire. Comment pouvons-nous jumeler des entreprises naissantes, des usines de fabrication, ou d'autres organisations en Inde avec les excellentes compétences techniques canadiennes, sans toutefois partir en mission commerciale, mais plutôt en voulant bâtir une relation d'affaires? Il faudra peut-être changer notre façon de penser et faire preuve de dynamisme, mais je sais que nous pourrions y arriver si nous y mettions tous nos efforts. Si nous ne changeons pas notre façon de faire, rien ne pourra avancer.

Le sénateur Mahovlich : Monsieur Comerford, je vous remercie d'être venu, mais je ne suis pas certain que vous êtes vraiment l'homme que nous espérions. À vous entendre parler de l'Inde, j'ai presque le goût d'aller voir par moi-même comment les choses se passent là-bas. Nous espérions plutôt que vous nous apporteriez toutes les réponses afin que nous n'ayons pas à visiter l'Inde nous-mêmes. Est-ce que vous recommandez au comité d'y aller?

M. Comerford : Tout à fait.

Le sénateur Mahovlich : Nous sommes allés en Chine. Nous avons étudié le pays en profondeur et avons été très impressionnés.

M. Comerford : Vous aviez raison de l'être.

Le sénateur Smith : La Russie aussi.

Le sénateur Mahovlich : Peu après être rentré de Chine, j'ai entendu Condoleezza Rice en parler. Je partageais ses idées, mais si je n'y étais jamais allé, je n'aurais pas eu l'expérience nécessaire pour bien comprendre ce dont elle parlait, notamment les progrès de la Chine et l'audace dont elle fait preuve au sein de l'économie mondiale. Je suis certain que l'Inde aurait le même effet sur moi.

M. Comerford : À titre d'exemple, il y a deux ou trois ans — je perds parfois la notion du temps —, Tom d'Aquino, l'administrateur général du Conseil canadien des chefs d'entreprise, a accompagné un groupe de PDG en Inde. À sa demande, je l'ai accompagné puisque M. Stewart de la Sun Life ne pouvait pas y aller.

Le sénateur Mahovlich : Vous y êtes allé 79 fois.

M. Comerford : Oui, j'ai fait 79 aller-retour en Inde. Après une semaine là-bas, on pouvait déjà lire la compréhension dans les yeux des PDG.

On m'a déjà demandé pourquoi je sais que je suis allé en Inde 79 fois. En vérité, la première fois que j'y suis allé, je ne voulais pas y retourner. J'ai compté le nombre de fois parce qu'en 1996, c'était un pays défait. À cette époque, il n'y avait aucune infrastructure. Nous ne pouvions boire un verre d'eau fraiche à moins qu'elle provienne d'une bouteille, alors nous nous inquiétions constamment pour notre propre santé.

Quelque part entre la cinquième et la huitième visites, quelque chose s'est passé. Plutôt que de ne voir que l'infrastructure démantelée, j'ai vu les gens, les occasions, un pays avec lequel je pourrais faire des affaires. C'est devenu une vraie passion à bien des égards.

Quand mon avion atterrit à Mumbai, une partie de moi sent vraiment qu'elle rentre à la maison, et c'est un peu étrange. Même si je ne pourrais pas être plus Canadien, un lien s'est créé; je serais ravi que les membres du Sénat puissent vivre cette sensation. Je serais heureux de vous aider à y arriver, car c'est seulement ce genre de démonstration qui vous permettra vraiment de comprendre.

Le sénateur Mahovlich : Vous avez parlé de la représentation du Canada en Inde et avez vanté les mérites de notre haut-commissaire. Pensez-vous que le Canada est assez représenté en Inde et qu'il dispose d'un nombre suffisant de bureaux commerciaux dans certaines villes?

M. Comerford : Je crois que oui, étant donné la nature des relations commerciales d'aujourd'hui et les stratégies employées par le gouvernement. On a essayé d'ouvrir plusieurs autres bureaux commerciaux, mais c'est en quelque sorte une question de proportion.

Monsieur le sénateur, tout dépend de la stratégie adoptée. Devons-nous créer des bureaux commerciaux et espérer qu'on vienne cogner à notre porte, ou bien devons-nous stimuler l'activité commerciale d'une façon telle que nous aurons besoin que ces bureaux s'en occupent? Par exemple, quand je démarre une entreprise, je commence par envoyer des organisateurs d'entreprise qui tenteront de générer des revenus, puis je développe les infrastructures. Dans le monde moderne, on ne peut pas faire grand-chose à distance.

Je ne tiens pas à ce que nous ayons cinq consulats supplémentaires. Je tiens plutôt à ce que nous ayons cinq bureaux commerciaux de plus dont le volume d'affaires est 10 fois supérieur, puis les consulats suivront.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci pour votre intervention très remarquable et vivante. Vous êtes très positif face aux relations avec l'Inde et je suis contente de voir que, pour vous, les visites de haut niveau sont vraiment très importantes pour créer des liens avec ce pays.

La province que je représente, le Québec, appuie sans hésiter un traité de libre-échange entre le Canada et l'Inde. Nous croyons qu'il s'agit là d'une occasion extraordinaire pour nos deux économies.

Cependant, les tarifs sont encore très élevés en Inde. Dans un secteur comme l'automobile, les constructeurs étrangers, qui veulent faire des affaires dans ce pays, doivent payer un tarif de 40 p. 100. Les tarifs sont beaucoup plus bas dans des secteurs où l'Inde a des besoins pressants, comme dans la construction d'infrastructures, par exemple. Également, ce pays s'est doté d'un ambitieux plan d'investissement de 500 milliards de dollars d'ici cinq à dix ans.

Selon vous, quelle devrait être la portée d'un éventuel accord entre l'Inde et le Canada?

[Traduction]

M. Comerford : Merci, madame le sénateur, pour votre excellente question. Je ne suis pas certain de posséder toutes les compétences requises pour y répondre. J'ai déjà parlé de la théorie de Porter sur la chaîne de valeur, qui est différente pour chaque entreprise.

Dans mon secteur commercial, soit les services financiers, des entreprises comme la Financière Sun Life et RGA sont en mesure de maîtriser la chaîne de valeur du début à la fin. Bien que l'avoir des propriétaires ne représente que 26 p. 100 — ce n'est pas très élevé, mais c'est un exemple —, vous devez vous demander si vous êtes prêts à vous lancer en affaires tout en sachant que c'est tout ce que vous pouvez posséder. Mon employeur a décidé que c'était intéressant. Il préférait posséder 26 p. 100 d'une importante entreprise ayant un milliard de clients potentiels plutôt que de détenir 100 p. 100 d'une entreprise plus petite.

En ce qui concerne les mesures tarifaires, certains secteurs seront plus importants que d'autres pour le Canada. Il se pourrait très bien que nous devions faire des compromis dans l'accord de libre-échange. Si nous sommes à la recherche de l'accord parfait dans tous les secteurs, je crois que nous attendrons encore longtemps. En revanche, avant de nous lancer en affaires, nous devons évaluer stratégiquement le créneau que nous voulons occuper et déterminer ce qui est important à nos yeux; il se pourrait bien que ce soit le secteur du transport routier.

Mon expérience de la négociation avec mes associés indiens m'a appris qu'ils sont des négociateurs coriaces, mais très honnêtes, car ils exigent que les deux parties soient justes. Selon mon expérience, ils vous écouteront si, lors de négociations, vous parvenez clairement à leur démontrer les avantages qu'ils peuvent tirer d'une situation.

Il faut prendre deux choses en considération. D'abord, il y a un écart considérable entre le temps que prend, d'une part l'industrie indienne et d'autre part, le gouvernement indien pour agir. Ensuite, il faut amener l'industrie indienne à exercer une influence sur le gouvernement indien. Elle aura beaucoup plus d'emprise sur lui que le gouvernement canadien pourrait en avoir.

Je vous rappelle que si les Birla et les Tata comprennent que cela peut être avantageux, ils auront une profonde influence à Delhi. Je dirais qu'il faut savoir choisir ses combats, agir d'une façon pondérée et démontrer notre réussite. C'est une course contre la montre.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Vous avez en partie répondu à ma question, mais voyez-vous d'autres solutions? Quels sont les problèmes à régler pour renforcer les relations commerciales entre le Canada et l'Inde?

Si vous avez autre chose à ajouter, nous serions très intéressés à l'entendre.

[Traduction]

M. Comerford : J'aimerais connaître toutes les réponses. Selon mon expérience, démarrer une entreprise et faire des affaires en Inde se comparent à courir le marathon. J'ai participé au Marathon de Londres dimanche dernier. Si je m'étais attardé aux 42 kilomètres qui s'étendaient devant moi, je ne serais pas parti. Je cours les marathons un kilomètre à la fois parce que cela me permet de les réussir. Je considère les activités du Canada en Inde de la même façon. Vous avez demandé ce qui favorisera les échanges commerciaux : c'est la réussite dans les secteurs les plus importants pour nous.

Au Canada, plusieurs initiatives ont été particulièrement réussies. Dans le secteur agricole, le Canada est le plus grand fournisseur de pois chiches de l'Inde. Il existe plusieurs autres succès remarquables. En collaboration avec les entreprises canadiennes, nous devons déterminer les créneaux qui nous permettront de réussir.

Je vous prie de m'excuser. Puisque je n'ai jamais négocié d'accord de libre-échange, ce n'est pas dans mes cordes. Je sais par contre que si mes collaborateurs et mes partenaires remarquent que je remporte un grand succès dans un secteur, ils voudront faire davantage affaire avec moi; mais si, au contraire, je n'arrive pas à démontrer du succès, ils hésiteront beaucoup à le faire. Je ne suis pas certain de répondre à la question, mais je ne suis pas sûr non plus d'être la bonne personne pour y répondre.

Le sénateur Nolin : Merci d'être venu malgré le très court préavis. Plus j'écoute vos réponses et vos commentaires, plus j'aimerais comprendre pourquoi vous avez quitté la Russie.

M. Comerford : La réponse est très simple. Mes associés ont décidé de partir. L'une de nos stratégies consiste à attendre que les multinationales de ce monde, comme MetLife, Sun Life, Manuvie et AIG, pénètrent un marché et commencent à y avoir un volume d'activité assez important avant d'y aller. Nous avions un petit bureau en Russie pour leur apporter notre soutien. Au moment où nous étions en train de nous demander si nous allions passer à la prochaine étape et commencer à engager des actuaires et des assureurs, ou bien si nous n'allions rien changer, les grandes compagnies d'assurance se sont mises à se retirer du marché, alors je n'avais plus rien à faire là-bas.

Dans mon secteur, le tout premier indicateur est le succès des sociétés d'assurance directe. Ce n'est pas une critique envers la Russie, mais plutôt un commentaire sur le secteur dans lequel j'évolue. À l'heure actuelle, le marché russe est très loin de présenter le potentiel qui existe dans d'autres marchés, comme le Moyen-Orient, où j'ai établi un bureau il y a 10 mois. Puisque je peux constater que la situation sur le plan financier est très bonne déjà, je poursuis dans cette voie.

Le sénateur Nolin : Le secteur de l'assurance-vie n'est pas prospère en Russie.

M. Comerford : Pour l'instant, le secteur n'est pas assez prospère dans ce pays pour que je puisse y pénétrer en tant que réassureur. Je peux offrir mes services en Russie à partir de mon bureau en Pologne. Si l'un de mes principaux clients commençait à connaître beaucoup de succès grâce à l'un de ses produits ou services, je me joindrais à lui. Toutefois, les multinationales ont eu du mal à pénétrer le marché jusqu'à aujourd'hui.

Le sénateur Nolin : Dans vos observations liminaires, vous avez parlé de votre première entreprise en Inde, pour laquelle vous aviez engagé une personne d'origine indienne afin qu'elle vous ouvre des portes.

M. Comerford : Oui.

Le sénateur Nolin : Devons-nous en conclure que la diaspora indienne au Canada est une ressource extraordinaire et importante pour quiconque au Canada veut faire des affaires en Inde?

M. Comerford : Oui. Je vous remercie encore de poser cette question. La diaspora indienne a eu la bienveillance de me décerner le prix du président au bout de deux ans à peine.

C'est primordial, et si on repense à la première vague de contacts entrepreneuriaux, l'importance du rôle de la diaspora indienne est manifeste. Pourquoi? Ses membres connaissent le milieu. Il y a souvent l'élément du confort linguistique. Ils ont de la famille, et bien d'autres choses encore.

Je ne crois pas, cependant, que le Canada puisse appuyer une stratégie durable à long terme uniquement sur la diaspora. Ce n'est pas du tout pour dénigrer son importance, mais pour les grandes organisations, que ce soit Sun Life, dont j'ai déjà parlé, ou d'autres qui s'intéressent à la stratégie, il est important qu'elle ne soit pas axée uniquement sur la diaspora, mais sur le Canada, avec nos compétences et tout le reste. Mais il est clair que j'ai exploité ma relation avec des gens d'origine indienne pour réussir.

Vijay Singh, l'un des premiers consultants que j'ai embauchés et qui travaille encore pour la Sun Life, dont il dirige les activités de sous-traitance à Gurgaon, m'a été très précieux. Vijay fumait, et moi pas. Je disais souvent par plaisanterie que Vijay avait plus appris dans le corridor — il allait fumer dans les escaliers — sur le déroulement des négociations que moi qui, en principe, étais au cœur de l'action. Cette aptitude à établir des rapports a été précieuse.

C'est ce qui se passe dans toutes sortes de situations. Il n'y a pas de solution miracle, pas qu'une seule solution. C'est un effort concerté, bien organisé et polyvalent pour réussir.

Le sénateur Smith : Je tiens à dire d'entrée de jeu que je suis tout à fait d'accord avec vous que les membres du comité devraient aller en Inde. J'ai eu la chance d'y aller à de nombreuses reprises, le plus souvent pour mes affaires personnelles, mais à l'occasion aussi pour assister à des événements publics, ce qui a été le cas quand j'y étais avec le premier ministre McGuinty et aussi avec le ministre Stockwell Day, et il est vrai que cela change quelque peu les choses.

Vous avez à peine effleuré le sujet, mais j'aimerais y revenir. Il y a une raison qui me donne à penser que cette relation entre le Canada et l'Inde pourrait s'annoncer sous les meilleurs auspices. Vous avez abordé la question linguistique. J'ai assisté à de nombreuses réunions là-bas et je ne me souviens pas d'une seule fois où il y ait eu un interprète. La langue des affaires, c'est l'anglais. J'ai été en Chine à quelques reprises. Il faut constamment recourir à un interprète, et cela crée une dynamique très différente.

Il faut aller au-delà de la diaspora, mais quand on a du monde, et j'ai assisté à des réunions avec Prem Watsa, là-bas. C'est synonyme d'efficacité pour un homme d'affaires canadien; il n'existe pas de meilleur réseau que celui qu'il a là- bas. Je pense que vous avez le même genre de flair en ce qui concerne le potentiel, mais est-ce qu'il me manque quelque élément?

M. Comerford : Non. Quand le sénateur Segal siégeait au conseil d'administration de la Sun Life, je me rappelle une occasion où je préparais un dossier qui devait être présenté au conseil d'administration de la Sun Life — c'est il y a 15 ans — pour expliquer notre choix de l'Inde. Il y avait des préjugés sur l'Inde. Le problème, c'est que l'Inde les validait. Beaucoup étaient vrais, mais il fallait voir au-delà d'eux.

J'ai entamé mes observations en parlant de données démographiques, de la langue et de la common law britannique. Quand je négociais le contrat avec Adesh Gupta, c'était en anglais, en présence d'avocats. Ça aurait pu être au centre- ville de New York. C'est exactement le même genre d'expérience. La seule différence, c'est qu'il peut leur arriver d'allumer la télévision s'il se dispute un match de cricket important. C'est à peu près la seule différence.

Il était très important que je puisse lire ces documents en Inde, comprendre les subtilités de la langue, qu'ils ne passent pas par la traduction ultérieurement, parce que je sais ce que je veux dire. Je me rappelle une expression en particulier qui m'est revenue à l'esprit, et c'était « s'efforcer de ». On voulait que je garantisse que je ferais quelque chose, et j'ai dit que je m'y efforcerais. Dans le contrat, on lisait « s'efforcer », et je m'y suis appliqué. Le résultat n'a pas été tout à fait celui que je souhaitais, mais je suis certainement efforcé. Pour moi, je m'étais acquitté de mon engagement. Ça aurait pu être traduit de bien des façons en Chine, et je peux vous garantir que je n'aurais pas gagné. C'est très important.

On parle aussi, si je peux me permettre d'aller un peu plus loin, de corruption. L'Inde est-elle corrompue? Y a-t-il des problèmes de comportement inapproprié? Selon des rapports qui ont été publiés, oui, sans le moindre doute. Cependant, pour les compagnies, tout est dans les choix d'action et dans le message véhiculé. Des entreprises modernes sont créées, des partenariats, et à la manière dont les nouvelles entreprises évoluent, il leur faut des placements initiaux de titres. Elles veulent appliquer les normes d'éthique d'aujourd'hui. Pourquoi? Parce qu'il le faut pour être une organisation multinationale de calibre mondial, et c'est ce que le Canada apporte. Mon partenaire ne m'a jamais demandé de faire de compromis sur quoi que ce soit, parce que c'était on ne peut plus clair depuis le tout début.

Quand on conjugue entre autres la langue, l'élément juridique et le potentiel des données démographiques du marché, c'est la formule parfaite du succès. Quand je regarde mes gars, qui ont 27 et 21 ans, et que je pense à leur avenir, dans 20 ans... Moi, j'ai grandi dans la péninsule de Niagara, et je me sentais beaucoup plus proche de Buffalo que de Toronto. L'axe nord-sud continuera d'être solide et important pour le Canada, c'est sûr, mais l'avenir est en Asie. L'avenir, ce sont ces nouvelles économies, et nous devons prendre notre part inéquitable de ce marché, pour un pays d'à peine 35 millions d'habitants.

Mais qu'est-ce que vous devez faire pour que cela arrive? Il faut une initiative résolue de la part de notre gouvernement, qu'il nous mette le vent dans les voiles.

Le sénateur Finley : Je vous remercie pour cette conversation intéressante et animée. Je n'ai qu'une question d'ordre général au sujet du troisième point de votre plan d'action en cinq points, la campagne de promotion de l'image de marque, « Le Canada maintenant ». J'ai déjà donné des images de marque à des compagnies, à des produits, et même à quelques chefs de l'opposition, mais jamais à un pays.

Je me demande si vous pouvez nous donner une idée de la manière dont on peut s'y prendre avec un pays aussi immense et populeux, et aussi lointain. Comment fait-on pour promouvoir l'image de marque d'un pays?

M. Comerford : Je me souviens avoir rendu visite à des représentants commerciaux à Mumbai il y a une dizaine d'années. Ils étaient en train de mener cette mini-campagne pour commencer à promouvoir l'image de marque du Canada et de l'Inde. Je l'ai trouvée fantastique. Il y avait la feuille d'érable, les drapeaux, c'était simpliste. C'était pour faire la promotion de la collaboration entre deux pays. Ils avaient assez d'argent pour mener cette campagne pendant un an. Après, la source de fonds s'est tarie, et il n'y a plus rien eu.

Comme vous le savez bien, la promotion d'une image de marque se caractérise par la constance du message et de la prestation. Ce ne peut être un effort éphémère. Il faudrait que ce soit une campagne à très long terme. Si vous pensez que quatre mois suffiront, ce n'est pas la peine; ce serait gaspiller de l'argent. Par contre, si vous envisagez une manœuvre de positionnement sur cinq ans, n'hésitez surtout pas.

Je me souviens de la conférence qu'il y a eu à Davos, il y a trois ou quatre ans, quand l'Inde a fait une entrée très remarquée sur les marchés. Ce n'est pas par coïncidence que j'ai choisi « Le Canada maintenant », et que l'Inde a véhiculé à la conférence de Davos l'image de marque « L'Inde maintenant » — vous vous en souviendrez si vous aviez été là à l'époque. C'était très marquant. Cela leur a été possible grâce à la présence de leur premier ministre et de leurs dirigeants du monde des affaires. Ils avaient des vidéos. Ils ont trouvé un forum auprès de leur public cible. Leur public cible, c'était les leaders de ce monde. Les médias étaient constamment en quête de quelque chose à raconter. Ce ne sont pas tous les journaux qui en ont parlé, mais c'était l'actualité. Pourquoi? Qu'est-ce qui se passait? C'était l'amorce d'une campagne, et c'est ce que j'ai vu qui ressemblait de plus près à un départ canon pour un pays sur le plan économique.

Pour ce qui est du Canada et de l'Inde, nous pouvons agir par l'entremise de nos diasporas et de nos entreprises existantes; nous pouvons attribuer des fonds à notre haut-commissaire, dans les bureaux commerciaux, qui seraient réservés à la promotion. La clé, c'est la visibilité.

Je ne m'attends pas à ce que le marchand local comprenne le Canada. Ce n'est pas le but visé. Cependant, il y a probablement une centaine de milliers de personnes en Inde, dont nous voulons qu'elles voient dans le Canada une solution de rechange. Nous voulons que le Canada le devienne, ce qui n'est pas le cas actuellement. C'est ce que j'entends par l'image de marque. Alors, nous devons acquérir suffisamment de connaissances pour que cela arrive.

Le sénateur Di Nino : Je vous souhaite moi aussi la bienvenue. J'ai trouvé vos observations très encourageantes et je dirai simplement que suis d'accord avec vous.

J'ai une certaine expérience de l'Inde. J'y suis allé huit fois, toujours à titre privé. L'Inde m'enthousiasme tout autant que vous, et je suis ravi que vos réflexions soient au compte rendu.

J'aurais deux ou trois questions précises à vous poser sur des enjeux qui reviennent constamment sur le tapis. Vous parlez de corruption. Croyez-vous possible de faire des affaires en Inde sans être mêlé à des pratiques de corruption?

M. Comerford : Oui.

Le sénateur Di Nino : Êtes-vous convaincu que l'Inde est un endroit où l'on peut faire des affaires sans avoir à se préoccuper de la corruption?

M. Comerford : J'ai parlé de la chaîne de valeur de Porter, et j'y reviens. Dans le milieu particulier où j'évolue, la réassurance ou l'assurance-vie directe, nous avons le plein contrôle sur la chaîne de valeur. Un bon exemple est celui de Birla Sun Life. Nous avons conçu le produit à l'interne, nous avons notre propre effectif de vente, nous choisissons notre propre banque comme partenaire, nous faisons nous-mêmes toute l'administration, nous acquittons les réclamations, et cetera.

Si je devais construire un pont au Gujerat, ce serait autre chose; il faudrait que je traite avec les politiciens locaux, que j'obtienne des permis, que je négocie avec les fabricants de ciment et avec les petites compagnies locales qui présentent quantités d'occasions de comportement non approprié. Dans ce contexte, il serait beaucoup plus difficile de faire des affaires, et il faut le reconnaître. Cela ne signifie pas qu'il faille transiger sur nos principes au point d'avoir un comportement non approprié.

Un incident est survenu, que j'aurais pu prévoir. J'assistais à une réunion, au début, quand une liste m'a été présentée, et on m'a dit que mon nom — c'est-à-dire celui de la compagnie que je représentais — n'y figurait pas. J'en ai eu le souffle coupé. Je n'avais jamais rien connu de tel. Je ne savais pas quoi faire. J'étais assis, là, figé par la peur. Ils sont sortis de la pièce. Vijay, qui m'accompagnait, m'a regardé, et je l'ai regardé. J'ai dit : « On part? » Il a dit : « On part sur-le-champ. » Nous n'y sommes jamais retournés. C'était quelqu'un de très haut placé. Je suis sûr que tout le monde qui allait là ne retrouvait pas son nom sur la liste. C'était un jeu.

J'ai toujours travaillé pour des compagnies où ce que j'avais à faire était on ne peut plus clair. C'est tellement important. Mon message était clair : ce n'est pas envisageable pour moi personnellement, pas plus qu'à titre de cadre d'une société. La valeur qu'on apporte est importante, parce qu'on ne la retrouve jamais une fois qu'on l'a perdue; c'est irrémédiable.

Le sénateur Di Nino : Je suis tout à fait d'accord avec vous, et je tenais à le dire. J'aime votre réponse.

Nous avons entendu le témoignage du ministre du Transport routier et des Autoroutes, M. Nath, il y a quelques semaines. Il a répondu à un commentaire que j'avais fait en disant que le Canada s'est peut-être réveillé, mais n'est pas encore sorti du lit. D'après vous, que faisons-nous de bien et où faisons-nous fausse route?

M. Comerford : Le ministre Nath est l'un des plus grands fervents du Canada. Je me souviens d'avoir assisté à une réunion, il y a trois ou quatre ans, à Montréal, avec le ministre Nath et le premier ministre Charest. La discussion tournait autour du même sujet : où en êtes-vous, le Canada? Vous n'êtes pas assez visible.

J'ai oublié les détails, mais si je me souviens bien du ministre Nath, c'est sur les établissements d'enseignement de Montréal qu'il se fiait pour parfaire les connaissances et l'éducation de ses enfants. Je me souviens d'un lien de ce genre. Il a dit sans détour : « Nous voulons être avec vous, nous voulons faire des affaires, mais vous êtes endormis. » Il a employé l'expression « Vous êtes encore au lit ». C'était il y a quelques années. Nous savons ce que nous devrions faire, mais nous devons sortir du lit et le faire.

Je fais une fois par année un exposé devant un vaste groupe d'élèves du secondaire. Je suis rotarien, depuis déjà plus de 30 ans. Cela s'appelle Camp Enterprise. Mon exposé vise à les pousser à se lancer. Je dis : « Les enfants, quand vous aviez six ans, si vous ne vous étiez pas lancés, vous n'auriez pas commencé à vous instruire. Vos parents ont veillé à vous lancer, mais maintenant, en tant qu'adultes de demain, si vous ne vous décidez pas à vous lancer, vous n'aurez pas la vie que vous pourriez avoir. »

Nous devons nous lancer. Nous parlons de le faire. Nous nous mettons dans la file pour le faire. Nous disons que la ballade va être superbe. Nous devons franchir le pas, mais il ne se fait pas tout seul; nous devons faire un effort. J'ai dit cela à des jeunes de 17 ans il y a trois semaines. Si je peux me permettre de vous dire la même chose, je répéterai que nous devons nous lancer.

Le sénateur Robichaud : Cela m'amène à ma question, à laquelle vous avez répondu en partie en répondant au sénateur Mahovlich, au sujet d'une visite en Inde. Nous envisageons en ce moment de rédiger un rapport, et nous débattons des avantages d'une visite en Inde et du moment qui serait opportun. Est-ce que nous manquerions le coche si nous n'y allions pas?

M. Comerford : Absolument. Ce qui est plus important encore, c'est la manifestation d'intérêt. Ce n'est qu'une autre goutte ajoutée à ce qui deviendra un lac, mais c'est une goutte très importante. Les politiciens et les centres politiques d'influence accorderont une importance phénoménale à votre visite. Vous essuierez quelques critiques pour ne l'avoir pas faite plus tôt. Vous serez bien accueillis, mais on vous demandera : « Mais où étiez-vous? » Tant que vous pouvez comprendre que c'est un peu comme un grand frère qui vous dit : « C'est bon, mais ne recommencez pas », tout ira bien.

Oui, c'est certain, vous devriez y aller. Cependant, votre visite doit être orchestrée de manière à vous donner une idée de la manière que vous pouvez faire avancer le dossier. Il ne s'agit pas simplement de vous faire accompagner d'un groupe de gens d'affaires comme moi pour vous informer sur l'Inde. Nous avons déjà fait cela.

Quelle valeur ajoutée votre visite pourrait-elle représenter? Est-ce pour le libre-échange? Est-ce que c'est pour la promotion de l'image de marque du Canada? Qu'est-ce que c'est? Je vous suggérerais de vous associer à un événement positif particulier qui fera qu'on vous accueillera avec d'autant plus de plaisir.

Le sénateur Stollery : Lors des Jeux du Commonwealth, par exemple, qui doivent avoir lieu le 2 octobre à Delhi?

La présidente : Dans la même veine, est-ce que vous diriez qu'il faudrait donner au voyage en Inde un objectif spécifique qui n'a rien à voir avec ce que fait un premier ministre d'habitude, notamment participer à une séance de photos ou établir des contacts à un plus haut niveau?

L'un des problèmes, c'est que l'Inde est un continent. À titre de parlementaires, sur quoi devrions-nous axer nos efforts pour obtenir un effet optimal, par exemple si nous y allions en groupe? Qu'est-ce qu'une telle visite apporterait de plus que celle faite par le premier ministre, les entreprises, les conseils et fondations? Où iriez-vous et où est-ce que vous mettriez l'accent?

M. Comerford : Il y a plusieurs options. Ma première réaction serait d'aller à Delhi pour appuyer le travail du haut- commissaire. Je crois que vous pouvez avoir de l'influence politique, en particulier sur le libre-échange. L'APIE et d'autres accords sont encore en cours de négociations. Le temps qu'on prend pour conclure un accord est trop long. Si vous pouvez conclure ces accords, je vous prie de le faire. Lorsque le premier ministre Singh nous rendra visite, si nous pouvions régler la question nucléaire, ce serait positif. Si vous visitez l'Inde en tant que sénateurs, c'est un autre pas en avant. Nous nous attaquons à la question du libre-échange et ce sera fait, mais ce n'est pas la dernière étape; ce n'est que le début.

Avec tout le respect que je vous dois, je crois que vous devez déterminer ce qui est le mieux. Plus vous montrerez que vous êtes sérieux et que c'est différent, plus vous aurez de résultats. Si vous visitez le Taj Mahal, si vous voulez voir un fort indien, il se trouve que l'un des membres du conseil d'administration de Birla Sun Life en possède un et qu'une visite au maharajah peut être organisée pour vous. C'est une visite charmante. Toutefois, ce n'est pas une occasion de promouvoir le commerce. Je vous encouragerais absolument à visiter le Taj Mahal, car c'est un emblème de l'Inde qu'on doit respecter. Il y a des choses que l'on fait parce que c'est respectueux; il y en a d'autres que l'on fait pour tenter de faire avancer les dossiers. Le respect est très important en Inde.

Ma femme n'est jamais allée en Inde et nous avons été invités à un mariage qui aura lieu en octobre. Ce voyage rend Kathy nerveuse. Elle me fait penser à moi lorsque j'ai fait mon premier voyage. Je lui ai dit qu'il nous faut visiter le Taj Mahal et elle comprend. À bien des égards, il fait partie du patrimoine des Indiens et ils en sont très fiers.

Comprendre la culture et ce qui doit être fait est un peu compliqué, mais il est possible d'y arriver. Il y a deux ou trois semaines, l'un des enfants m'a demandé comment je fais pour faire affaire dans toutes ces différentes cultures? J'ai utilisé un mot : respect. Si l'on montre du respect, c'est incroyable comment on peut bien s'en tirer lorsqu'on fait des erreurs. Les Canadiens ont appris cela; c'est dans notre ADN. C'est très important.

Selon moi, ce serait 60-40 et 70-30; il faut mettre la priorité sur Delhi et ensuite Mumbai, parce que c'est une capitale d'affaires importante.

La présidente : Vous avez dit que l'Inde devrait être la priorité pour le Canada, par rapport à tous les autres pays. Comment justifiez-vous cela au gouvernement d'un point de vue politique, étant donné que nous sommes voisins des États-Unis et que tous les autres disent que la Chine est le partenaire le plus important auquel on doit donner la priorité? Certains vont vers des groupes régionaux, de sorte que l'Australie choisit l'Asie en raison de sa proximité géographique, et en ce qui nous concerne, l'Amérique du Sud et l'Amérique centrale font partie de notre hémisphère.

Comment faites-vous valoir l'idée qu'on devrait choisir l'Inde et non les autres pays qui offrent également des possibilités commerciales et vers lesquels nous nous tournons pour ce qui est de nos discussions multilatérales, des questions de sécurité, et cetera? Comment faisons-nous valoir cette idée?

M. Comerford : Mon but est de stimuler le débat. Je le dis parce que c'est probablement impossible politiquement parlant.

Le sénateur Mahovlich : Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

M. Comerford : Je ne propose pas de mettre tous les œufs dans le même panier. Quand j'écris une stratégie d'expansion internationale, j'utilise l'expression « nous plantons des drapeaux ». Cela veut dire qu'on ouvre des bureaux à plusieurs endroits dans le monde, et comment les appuie-t-on? C'est ce que j'appelle la canalisation, tout simplement. J'ai rapidement appris en affaires, encore une fois dans mon monde de services financiers, qu'il est préférable de faire peu. Quand je visais un objectif, que j'étais prudent et que j'utilisais beaucoup de ressources pour réussir, je réussissais bien mieux.

À un moment donné, nous avions une stratégie visant à examiner la possibilité d'ouvrir une multitude de nouveaux bureaux dans des pays comme le Pérou, le Chili, la Chine et l'Inde. Nous avons choisi deux d'entre eux, la Chine et l'Inde, nous avons axé nos efforts sur ces pays, travaillé fort et consacré les ressources nécessaires. C'est ce qui me vient de ma formation en affaires, et c'est ma stratégie commerciale.

Cela ne voulait pas dire que j'abandonnais tous les autres bureaux dans lesquels je faisais des affaires. Ces deux marchés ont nécessité énormément de concentration et d'efforts. Je crois qu'il est présentement plus avantageux pour le Canada d'axer ses efforts sur l'Inde. C'est une opinion partiale, étant donné que j'ai fait des affaires dans les deux pays. Il est plus facile et opportun de privilégier l'Inde; c'est un choix. Il n'est pas question de politique dans ce que nous faisons maintenant, mais bien d'économie. Faire des affaires, c'est une question de choix.

J'ai lu les mémoires de Margaret Thatcher, qui doivent faire 850 pages, si vous vous en souvenez bien. Quelque part autour de la page 550, je suis tombé sur la définition d'un compromis : lorsque deux personnes intelligentes ne peuvent pas s'entendre sur la bonne solution, elles s'entendent sur la mauvaise. Ce que je dis, c'est que les compromis, c'est bien d'un point de vue politique, mais dans ce cas en particulier, pour réussir, il faut faire des choix délibérés. Cela nécessitera de la volonté politique.

Le sénateur Downe : Ma question porte sur la conjoncture. Vous avez indiqué que l'entreprise Sun Life est en Inde depuis 1892 et qu'elle a été nationalisée en 1956. Ensuite, je crois comprendre, d'après votre témoignage, qu'il y a un plafond de propriété de 26 p. 100.

Craignez-vous un changement du climat politique et la perte de vos investissements? Est-ce inquiétant pour les entreprises canadiennes, ou ces jours sont derrière nous en Inde?

M. Comerford : Il s'agit de mesurer les risques. Aujourd'hui, le niveau de risque politique en Inde est relativement bas. C'est la plus grande démocratie au monde. Si vous examinez le système parlementaire et les gouvernements de coalition, je ne me souviens pas du nombre exact de partis, mais historiquement, il y a eu 18 ou 20 partis différents. Ils réussissent à se réunir et à faire bouger les choses. Il y a le parti du Congrès, le BJP et d'autres partis importants, mais ils doivent travailler à partir d'un compromis. Ils ont réussi à le faire.

La semaine dernière, j'étais en Grande-Bretagne et nous avons parlé d'un parlement en suspens, qui n'accomplit rien. Les Indiens prennent leur temps et sont méthodiques. Avons-nous pensé que le plafond de 26 p. 100 augmenterait à 49 ou 50 p. 100 il y a longtemps? Absolument. Cependant, on doit respecter le fait que c'est leur pays et qu'ils établissent les règles, tout comme vous, en tant que législateurs, vous établissez les règles pour le Canada. Alors, il faut déterminer si les règles établies conviennent. Nous avons déterminé que nous pouvions construire une entreprise rentable de cette façon.

Au cours de la période où j'y étais, tout indiquait que l'Inde était politiquement stable. Parfois, j'y fais référence en parlant d'une législation stable. Les entreprises trouvent qu'il est difficile de travailler dans le monde quand il y a de l'instabilité — des changements de gouvernement et de règles. Toutefois, les règles ne changent pas en Inde. On peut ne pas aimer cela, mais elles ne changent pas. Elles sont essentiellement ce qu'elles sont, et elles évoluent. En affaires, on peut choisir de travailler avec cette stabilité. L'Inde est meilleure que bien d'autres pays. Je préfère en rester là, plutôt que de la comparer à d'autres pays.

Le sénateur Downe : Je comprendrai si vous ne le savez pas, mais si l'Inde a conclu des accords de libre-échange avec d'autres pays, alors les règles seraient modifiées et seraient plus souples. Par exemple, si le Canada concluait un accord de libre-échange avec l'Inde, les conditions des entreprises indiennes qui viendraient au Canada seraient les mêmes que celles des entreprises canadiennes qui iraient en Inde.

Êtes-vous au courant d'accords de libre-échange qui ont ouvert des possibilités à des entreprises? Par exemple, vous espériez que le plafond de 26 p. 100 augmente à 49 ou à 51 p. 100, ce qui ne s'est pas produit. Y a-t-il eu des améliorations dans les négociations commerciales avec l'Inde?

M. Comerford : Je ne suis pas en mesure de parler de ce sujet. Je m'excuse.

Le sénateur Downe : Je comprends.

M. Comerford : Quelqu'un en parlait il n'y a pas longtemps. Quelque chose me donne à penser que des discussions ont eu lieu. Je ne sais pas s'il y a un accord de libre-échange. Il faudrait que je m'adresse à un spécialiste à cet égard.

Le sénateur Downe : Je ne le sais pas moi-même. C'est pourquoi je pose la question. Nous trouverons les renseignements.

Le sénateur Stollery : J'ai une question qui fait suite à celle que vous avez posée sur l'Amérique du Sud, l'hémisphère, notamment, par opposition à l'Inde. Vous avez dit avoir étudié le cas du Chili.

M. Comerford : J'ai passé beaucoup de temps au Chili.

Le sénateur Stollery : J'ai vécu 25 ou 30 ans dans une bonne partie de l'Amérique du Sud. Comme je parle et lis l'espagnol couramment et que j'ai beaucoup étudié certains de ces pays, je comprends très bien le système. Je suis arrivé à la conclusion que tous ces pays sont différents. Quelques-uns ont un comportement bizarre et leur économie n'est pas particulièrement prospère.

J'ai accompagné l'un de mes amis à sa banque en Colombie centrale, un endroit qu'on appelle Nueva. Comme il n'avait pas son compte bancaire, il a sorti deux dollars du guichet automatique. Je n'ai jamais vu quiconque sortir seulement deux dollars. La taille de leur économie et des marchés, par exemple dans l'assurance-vie, est différente, mais elle est petite quand on regarde la situation de plus près.

Je suis curieux de savoir combien de millions de personnes dans ces pays entrent dans la classe moyenne, selon vous, comparé à un marché comme celui de l'Inde.

M. Comerford : Selon les critères utilisés, de 350 à 500 millions de personnes entrent dans la classe moyenne.

Le sénateur Stollery : Je ne tiens pas compte du Mexique, mais des pays d'Amérique centrale, comme la Colombie, l'Équateur et le Chili — je ne tiens jamais compte du Brésil, car comme vous le savez tous, on y parle portugais. Je peux lire le portugais, mais je ne peux pas le parler. C'est un pays distinct. Je parle des autres pays.

M. Comerford : J'envoie des équipes au Brésil.

Le sénateur Stollery : Le Brésil, c'est autre chose.

M. Comerford : Cela soulève une toute nouvelle série de questions. Si je peux parler de mon expérience en Amérique latine, lorsqu'on m'a envoyé mener des activités internationales pour la première fois, Sun Life avait embauché quelqu'un qui mènerait nos affaires au Pérou. J'ai pensé que c'était une bonne idée. La personne était aimable et avait fait ses preuves en tant que responsable, et cetera. Lorsque j'ai fait les calculs et l'analyse de valeur et de rentabilité, le résultat était presque équivalent à ceux d'un de nos bureaux à Scarborough. Le travail initial qui consiste à écrire la première police d'assurance-vie est le même, peu importe qu'on se rende en Inde ou au Pérou.

C'est la même chose pour ce qui est du commerce, c'est-à-dire qu'il est difficile pour les Latino-Américains de se concentrer sur le commerce, car ils ne pensent pas de cette façon. Ils pensent de façon individuelle.

Le sénateur Stollery : Il n'y a pas d'Amérique latine; elle n'existe pas.

M. Comerford : Elle n'existe pas. Donc, le type de campagne qu'il faut pour atteindre la masse critique est plus difficile. Cela ne signifie pas que nous ne devrions pas entretenir de relations commerciales. Ce n'est pas ce que je dis. Je me demande si c'est une question prioritaire pour vous.

Même lorsqu'on fait des affaires, par exemple, une partie d'une acquisition dont je m'occupais au Chili, c'était merveilleux. C'était un bon investissement, mais les fluctuations monétaires en ont fait quelque chose d'encore mieux. Le Brésil est toujours le prochain marché émergent.

Le sénateur Stollery : Ils disent cela depuis 1958.

M. Comerford : J'avais une équipe qui faisait une étude sur le marché là-bas. Il est naturel pour moi de mener des activités dans d'autres marchés au Moyen-Orient, en Inde et en Chine. Ce n'est pas le cas au Brésil, et c'est le meilleur marché.

Si je choisis, comme je choisis l'Amérique latine, les ressources nécessaires pour accéder à ces marchés de la façon dont je l'exige, c'est cher et cela demande beaucoup de temps de gestion. Souvent, lorsqu'on fait cela, c'est une distraction. Je crois que ce serait la même chose pour le gouvernement canadien. Choisissez ce que vous voulez. C'est ce qu'il nous faut faire présentement. En vous éparpillant en toute justice, vous n'obtiendrez pas les résultats qu'une stratégie de sélection vous donnerait.

Le sénateur Finlay : Récemment, j'ai lu un article dans l'Economic Times sur l'extraordinaire explosion dans les infrastructures en Inde et les possibilités offertes aux entreprises canadiennes dans ce pays. Je remarque également que Bombardier est l'un des fondateurs du Conseil de commerce Canada-Inde.

Bombardier a reconnu le potentiel du marché indien, un potentiel allant jusqu'à 850 avions au cours des 20 prochaines années. On dit que ce sera fondé en grande partie sur un réalignement du marché de l'aviation et de l'industrie du transport en Inde. Connaissez-vous un peu ce sujet?

En passant, il y a plusieurs années, j'ai travaillé dans l'industrie de l'aviation en Inde. On demandait constamment à ce qu'un nombre donné de produits soient produits dans le pays auquel ils étaient vendus. C'était une forme de compensation, mais je ne sais pas comment on appelle cela maintenant.

Pourriez-vous nous parler des affaires dans ce type d'industrie, par rapport au secteur des services financiers? Est-ce facile ou non? Que faut-il faire de particulier pour accéder à ce marché?

M. Comerford : Il est difficile pour moi de parler de tous les aspects de cette question, mais je peux parler en tant qu'utilisateur et personne présente sur le terrain.

En 1996, lorsque je suis allé en Inde pour la première fois, je ne pouvais recourir aux services que d'un seul transporteur aérien, Jet Airways, qui n'en était qu'à ses débuts. On y a embauché de jeunes diplômés universitaires bien formés, qu'on appelait les jeunes agités. Le contraste était énorme entre Jet Airways et Air India ou Indian Airlines. Les avions étaient sécuritaires.

En traversant les aéroports, on se rendait compte du chaos qui y régnait. Ils étaient terribles. J'aurais aimé avoir filmé les deux ou trois premières fois où mes bagages sont arrivés à Mumbai. C'était ridicule. Les gens et les bagages étaient entassés. Le mot chaotique est le seul qui pouvait décrire la situation.

La dernière fois que j'y suis allé, j'ai atterri au même aéroport. Il y avait de nouveaux tourniquets, et cetera. Malheureusement, c'est le même vieux bâtiment dans lequel ils ont mis du marbre. C'est très beau, mais pour ce qui est de l'efficacité, c'est une autre histoire.

Le problème principal que présentent les aéroports indiens actuellement, c'est le manque d'heures d'atterrissage. On demande que les gens se déplacent du point A au point B. Vous avez raison quand vous dites qu'il y aura une énorme demande d'aéronefs modernes et économiques en carburant. C'est à l'avant-plan du type d'activités commerciales actuel.

L'Inde a besoin d'aéroports et de systèmes de contrôle modernes. C'est ce qui se produit à Bangalore. Cela se produira. Lorsqu'on aura cette infrastructure, ce sera comme dans le cas des chemins de fer au Canada il y a 150 ans; le pays s'ouvre. En Inde, les villes principales n'étaient pas liées par des routes revêtues. Le ministre Nath soutient que les Indiens font 30 kilomètres en une heure ou quelque chose du genre. J'ai dit à Jim Bradley, pourriez-vous faire les 30 milles par Reine-Élizabeth, en passant par ma maison d'abord? Cela nous a pris 10 ans.

Les choses se font tellement plus rapidement. Dans mon esprit, monsieur le sénateur, la possibilité est tout à fait là. Le Canada possède une superbe technologie, celle de Bombardier. Vous avez parlé d'aéronefs. Je ne sais pas si, tout comme moi, vous avez déjà eu le plaisir d'utiliser un véhicule sur rail en Inde. Me permettez-vous de dire que les Indiens pourraient être un peu plus modernes?

Le sénateur Stollery : Étiez-vous sur le toit?

M. Comerford : Je ne suis jamais allé sur le toit.

Le sénateur Di Nino : C'est parce qu'il a payé.

M. Comerford : C'est incroyable. C'est le système qui lie tout le pays. Ce seront les véhicules sur rail de qui? Bombardier ou un fabricant européen? Comment pouvons-nous faire en sorte que la priorité sera accordée à Bombardier? Des véhicules et des avions de Bombardier et des camions de SNC-Lavalin circulent sur les routes revêtues et nous avons le plaisir d'être témoins du lancement de RIM en Inde. Il s'agit de la présence de la technologie canadienne en Inde. J'ai été très fier de le rappeler à mes amis indiens. Nous pouvons le faire et nous avons la technologie qu'il faut. Il nous faut seulement prendre la tête du mouvement.

Le sénateur Finley : Nous devons monter à bord. Merci.

Le sénateur Di Nino : Le ministre Stockwell Day a ouvert un bureau commercial au Gujerat et j'ai été ravi de l'apprendre. Nous avons encore quelques problèmes dans cet État. Y avez-vous fait des affaires? À votre avis, comment devrions-nous régler ce point épineux?

M. Comerford : Oui, j'y ai ouvert des bureaux. J'y suis allé à plusieurs reprises. J'étais en Inde pour le tremblement de terre qui s'est produit au Gujerat il y a plusieurs années. La présence d'entreprises canadiennes là-bas donne beaucoup d'avantages. Bon nombre d'entreprises canadiennes, y compris la Sun Life, ont fait des dons substantiels aux victimes du tremblement de terre du Gujerat à l'époque. Nos entreprises canadiennes vont là-bas et tout ne se fait pas à sens unique. C'est dans des projets comme ceux-là que nous nouons des relations.

En ce qui concerne les troubles politiques, d'après ce que j'ai lu, des influences externes ciblent souvent l'Inde pour diverses raisons. J'étais en Inde lorsque l'attaque s'est produite sur le réseau ferroviaire il y a un certain nombre d'années. C'était effrayant. Je me souviens que c'est Don Stewart, le chef de la direction de Sun Life, qui m'a téléphoné le premier. Il m'a demandé où je me trouvais. C'était dans les nouvelles du monde. C'était effrayant, tout comme l'incident qui s'est produit au Taj Mahal Palace et à l'hôtel Oberoi et à d'autres endroits, il y a un an et demi. C'est inquiétant.

Quand j'étais à Mumbai, un grand nombre de personnes ont été tuées. À l'époque, j'étais chef de la direction de la compagnie de gestion de l'actif et nos employés, lorsqu'ils se rendaient au travail, passaient par les stations où des bombes avaient explosé. Les gens étaient incroyablement résilients. La vie suivait son cours. C'est l'attitude qu'il faut adopter. Il y aura toujours des influences négatives. Nous avons parlé de risques politiques dans un pays. Nous pouvons parler de risques de terrorisme. Au centre Sun Life où j'étais, il parait que quelqu'un a immobilisé un camion rempli d'engrais à côté de la Bourse; mon bureau n'existerait plus si on était passé à l'acte.

Nous vivons dans une période périlleuse, mais nous ne pouvons pas cesser de faire ce que nous devons faire. Il faut être respectueux. On accomplit plus de choses en faisant des affaires et en ayant des engagements qu'en adoptant une politique isolationniste parce qu'on n'approuve pas un aspect précis. Il est important d'en prendre note, mais il est encore plus important d'avoir un dialogue et de ne pas isoler des régions en particulier.

La présidente : Monsieur Comerford, vous constatez tout l'intérêt que vous avez suscité. Vous êtes un excellent vendeur de l'Inde, de votre entreprise, et particulièrement du Canada. Nous vous remercions d'être venu nous parler de votre expérience et de vos idées.

M. Comerford : Merci, mesdames et messieurs les sénateurs.

La présidente : Chers collègues, notre prochaine réunion aura lieu mercredi prochain.

(La séance est levée.)

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