Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
OTTAWA, le mardi 29 février 2012
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 16 h 15 afin d'étudier, pour en faire rapport, la création d'une « charte du Commonwealth » tel que convenu par les chefs de gouvernement des pays du Commonwealth à la réunion tenue à Perth, en Australie, en octobre 2011, ainsi que les implications de cette charte pour le Canada.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Nous sommes le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Nous sommes ici aujourd'hui afin d'étudier, pour en faire rapport, la création d'une charte du Commonwealth tel que convenu par les chefs de gouvernement des pays du Commonwealth à la réunion tenue à Perth, en Australie, en octobre 2011, ainsi que les implications de cette charte pour le Canada.
Le ministre des Affaires étrangères et du Commerce international, John Baird, nous a demandé d'entreprendre, dans la mesure du possible, une consultation nationale sur la pertinence, la faisabilité et les modalités de ce projet et tout ce que nous jugerons utile pour aider les ministres des Affaires étrangères à décider s'ils doivent ou non recommander aux chefs de gouvernement d'adopter une charte du Commonwealth.
Cette initiative fait suite au rapport du Groupe de personnalités éminentes. Ce rapport, qui contient 106 recommandations, préconise de rédiger une charte du Commonwealth après la tenue de vastes consultations dans chacun des pays membres. Les gouvernements nationaux doivent inviter les organisations de la société civile à participer pleinement à la ronde de consultations pan-Commonwealth, y compris à leur organisation et à l'évaluation des résultats. Un groupe de travail doit être mis sur pied pour analyser les résultats des consultations nationales et faire des recommandations aux chefs de gouvernement. Les chefs de gouvernement ont demandé aux ministres des Affaires étrangères de travailler à ce projet. Le ministre nous a demandé notre aide pour le processus de consultation.
Nous allons devoir faire une utilisation très efficace de notre temps, car les comités sénatoriaux ont un calendrier très chargé. Nous allons essayer d'examiner tout ce qu'il serait souhaitable d'inclure dans une charte du Commonwealth. Nous verrons également quel genre de consultations il faudrait mener auprès du public canadien pour comprendre le Commonwealth, son rôle et ses possibilités.
Nous sommes très contents, au Sénat, d'avoir eu l'honorable sénateur Hugh Segal comme représentant du Canada au sein du Groupe de personnalités éminentes. D'après tout ce que j'ai entendu dire, il n'a pas seulement apporté sa réputation à ce groupe. Il a été un membre très actif du Groupe de personnalités éminentes dont le rapport, que j'invite tous les Canadiens et les sénateurs à lire, porte sans doute en grande partie la marque de notre collègue. Nous avons une bonne occasion de reconnaître son travail. J'espère que nous pourrons y ajouter des recommandations afin d'aider le gouvernement du Canada dans son évaluation de la charte du Commonwealth ainsi que pour le renouvellement du Commonwealth.
Nous avons un rôle particulier à jouer en ce sens que nous pouvons peut-être nous pencher sur le rôle que les parlementaires peuvent jouer dans ce processus. Il y en aurait bien plus à dire, mais j'ai pensé que ce serait un bon début pour aujourd'hui.
Nous avons le plaisir de recevoir aujourd'hui, malgré un bref préavis, les représentants d'Affaires étrangères et Commerce international Canada, M. Olivier Nicoloff, directeur, Direction de la démocratie, de la francophonie et du Commonwealth et M. Thomas Balint, conseiller principal en politiques.
J'ajouterai, avant de vous donner la parole, que le Canada a été et est encore très actif au sein du Commonwealth et de la Francophonie. Je pense que nous nous pencherons également sur le fonctionnement de ces deux organisations. Je préviens nos témoins que certaines de nos questions iront peut-être aussi dans cette direction.
Monsieur Nicoloff, je crois que vous allez commencer et je vous demanderais de bien vouloir nous décrire le contexte. Je dois vous dire que nous avons retardé nos audiences le temps d'obtenir des études et des documents concernant la charte, la dimension des droits de la personne et le Commonwealth. Les sénateurs ont reçu ces documents. Je pense qu'ils sont en train d'y jeter un coup d'oeil. Tout ce que vous pourriez nous dire au sujet du Commonwealth, du Groupe de personnalités éminentes, de la façon dont les chefs de gouvernement ont abordé la question et la façon dont vous voyez ce projet évoluer nous serait très utile.
Olivier Nicoloff, directeur, Direction de la démocratie, du Commonwealth et de la Francophonie, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Merci infiniment. Si vous le permettez, avant de commencer et par simple curiosité, vous parlez du rôle très important que votre collègue, le sénateur Segal, a joué en tant que membre du Groupe de personnalités éminentes. Comme M. Segal va parler après nous, je me demande si ce n'est pas un concert de musique rock et si nous ne sommes pas là pour réchauffer la salle avant que la vedette n'entre en scène. Nous pourrions peut- être nous entendre pour que vous gardiez les questions difficiles pour lui.
La présidente : Se pourrait-il que vous ayez déjà parlé au sénateur Segal et que vous vous soyez entendu avec lui? La parole est à vous.
M. Nicoloff : Merci. Je suis très heureux d'avoir l'occasion de m'exprimer devant vous aujourd'hui.
En fait, nous sommes extrêmement reconnaissants au Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international d'avoir entamé ces audiences, malgré un calendrier très chargé. Sa volonté d'examiner le projet de charte du Commonwealth montre clairement l'importance que le Canada accorde au Commonwealth et à son renouvellement.
J'aimerais aborder trois sujets. Il s'agit d'abord des liens passés et actuels du Canada avec le Commonwealth et ensuite, des décisions que les dirigeants des pays du Commonwealth ont prises à Perth, en Australie, pour réformer l'organisation. Comme vous l'avez dit je crois, ces réformes visaient à la rendre plus pertinente et plus ciblée et j'aborderai enfin l'idée de créer une charte du Commonwealth.
[Français]
Madame la présidente, le Commonwealth est une organisation unique en son genre parmi les organisations internationales, car il regroupe 54 pays de taille très disparates de Kiribati jusqu'à l'Inde, des pays qui ont des niveaux de développement très différents, mais qui sont tous unis par des valeurs et des principes communs qui sont unis, bien sûr, par l'utilisation de l'anglais comme langue principale ou langue de travail et pour la plupart par une histoire qui les relie au Royaume-Uni, au système de Westminster, à la common law et à d'autres traditions partagées. Ce n'est pas un traité qui les réunit, mais des valeurs et une histoire commune. Le Commonwealth se compose aussi de 90 sociétés civiles et organisations professionnelles. D'ailleurs, la reine, qui est Chef du Commonwealth, a décrit ce cadre, ce réseau, ce partenariat comme constituant le premier World Wide Web.
C'est en fonction de cette réalité que le Commonwealth donne au Canada un accès facile à des pays membres qui totalisent 2,1 milliards de personnes ou environ le tiers de la population mondiale. C'est un avantage similaire, d'ailleurs, à celui que procure l'appartenance du Canada à la Francophonie — madame la présidente y faisait référence tout à l'heure —, donnant accès à notre pays à 75 États et gouvernements, ayant des valeurs partagées et dans ce cas le français comme langue commune.
Le Canada a des racines profondes au sein du Commonwealth. Son premier secrétaire général fondateur était M. Arnold Smith, un Canadien. Encore aujourd'hui, l'appartenance au Commonwealth fait partie de l'identité canadienne et revêt une importance pour un grand nombre d'entre nous. Beaucoup d'entre nous, en fait, avons nos origines familiales dans d'autres pays membres du Commonwealth et entretenons des liens et des réseaux sociaux étroits dans ces pays.
Aujourd'hui, le Canada continue d'être un fervent partisan du Commonwealth et de ses institutions, et reste le deuxième plus important contributeur financier après le Royaume-Uni.
Le Canada apprécie particulièrement le rôle du Commonwealth dans la promotion de la démocratie, de la bonne gouvernance et de la primauté des droits de la personne dans les États membres, et de la primauté du droit également, pas seulement des droits de la personne. En fait, c'est à l'initiative du Canada que le Commonwealth a créé le Groupe d'action ministériel du Commonwealth, en novembre 1995. Ce groupe d'action constitue un mécanisme intergouvernemental de haut niveau destiné à répondre aux menaces les plus graves à la démocratie dans les pays de notre organisation.
Il est donc naturel que le Canada joue un rôle de premier plan pour saisir cette chance historique que nous avons aujourd'hui de renouveler le Commonwealth. Il est particulièrement important de renouveler l'organisation afin qu'elle reste pertinente, qu'elle demeure efficace pour répondre aux défis mondiaux et qu'elle contribue à assurer la résilience des sociétés et leurs économies.
[Traduction]
Le monde a considérablement changé depuis la création du Commonwealth il y a 60 ans. Le Canada croit que pour rester pertinent et important dans le monde d'aujourd'hui, le Commonwealth doit s'identifier et se définir par ce qu'il peut faire qu'aucune autre organisation ne peut faire et parce qu'il peut faire mieux que les autres. La conjoncture actuelle dans laquelle le Commonwealth se trouve est une occasion de répondre à ce défi en mettant en œuvre des mesures concrètes pour mieux cibler des actions; pour mesurer et communiquer les résultats de ses travaux; pour renforcer sa capacité et sa gouvernance; et pour répondre aux questions concernant sa pertinence et son profil. Dans un même temps, il faut s'assurer de promouvoir, de défendre et de préserver ses valeurs fondamentales, ses principes et ses aspirations, qui sont partagés par tous ses pays membres.
Nous en sommes à ce stade en grande partie parce que, lors de leur réunion à Port-of-Spain en 2009, les dirigeants des pays membres du Commonwealth ont décidé de créer un Groupe de personnalités éminentes chargé de les informer précisément sur les moyens de renouveler le Commonwealth, afin de le rendre plus fort, plus résistant et plus pertinent pour son temps et pour les peuples du Commonwealth à l'avenir.
Le Groupe de personnalités éminentes du Commonwealth — et madame la présidente a mentionné que le sénateur Segal en était un membre important — a présenté un plan pour le renouvellement du Commonwealth, plan qui a été examiné par les dirigeants des pays membres du Commonwealth lors de leur dernière réunion biennale, qui a eu lieu en octobre dernier à Perth, en Australie.
J'en arrive maintenant aux décisions prises à Perth par les dirigeants des pays du Commonwealth. Lors de ce sommet d'octobre dernier, les dirigeants des pays du Commonwealth ont montré leur volonté de réformer leur organisation et la délégation canadienne, dirigée par le premier ministre Stephen Harper, a joué un rôle clé à cet égard. Premièrement, les chefs des pays du Commonwealth ont convenu d'un ambitieux programme de réforme du Groupe d'action ministériel du Commonwealth, le groupe créé en 1995, afin de renforcer son rôle. D'abord, en le rendant plus proactif face à des violations graves ou persistantes des valeurs politiques fondamentales du Commonwealth qui n'entraînent pas un renversement inconstitutionnel d'un gouvernement démocratique élu. Ensuite, en élaborant pour ce groupe une approche plus constructive et plus positive face à des situations spécifiques et préoccupantes.
Lors du sommet à Perth, le Canada a décidé d'adhérer de nouveau au Groupe d'action ministériel du Commonwealth et nous voyons déjà les résultats des réformes qui ont été convenues. La crise aux Maldives a fourni un premier test de la nouvelle capacité du Groupe d'action ministériel du Commonwealth, qui a réagi comme nous le souhaitions. Convoqués rapidement par téléconférence, les ministres du Groupe d'action ont décidé de déployer une mission ministérielle d'enquête de trois membres aux Maldives pour poursuivre les travaux amorcés par la délégation du secrétariat qui avait été déployée immédiatement après la crise. Les ministres du Groupe d'action se sont ensuite rencontrés en personne pour une réunion extraordinaire au cours de laquelle ils ont publié une déclaration ferme. Tout cela s'est déroulé en quelques semaines seulement.
La crise n'est pas finie. Le rôle du groupe d'action pour désamorcer cette crise n'est pas terminé non plus. Mais déjà, le groupe a établi sa crédibilité aux yeux de toutes les parties à la crise. Le Canada, par le biais du ministre des Affaires étrangères John Baird, a apporté une contribution importante tout au long de ce conflit.
Deuxièmement, encore une fois au sommet de Perth, les dirigeants des pays du Commonwealth ont franchi une étape importante dans l'adoption des recommandations du Groupe de personnalités éminentes. Sur les 106 recommandations formulées par le Groupe de personnalités éminentes, le Groupe d'action ministériel du Commonwealth en a accepté 10 parce qu'elles étaient déjà compatibles avec les réformes qui avaient déjà été adoptées à ce sommet par les chefs des pays du Commonwealth. De plus, le groupe d'action a immédiatement accepté 30 recommandations supplémentaires, en a accepté 12 autres sous condition d'une vérification financière au préalable par le secrétariat, et en a renvoyé 43 autres pour un examen plus approfondi. Seulement 11 des recommandations ont été mises de côté.
En outre — et c'est très important —, le Groupe d'action ministériel du Commonwealth a convenu d'établir un processus décisionnel crédible comportant des points de décision, qui sera soumis à l'approbation des chefs des pays du Commonwealth l'automne prochain.
Le Canada joue un rôle particulièrement actif dans le renouvellement du Commonwealth. Comme je l'ai mentionné, le ministre Baird est membre du Groupe d'action ministériel du Commonwealth, qui se penche actuellement sur une recommandation clé du GPE ayant trait à la nomination d'un commissaire du Commonwealth sur la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit. De plus, le ministre Baird va probablement participer à un groupe de travail ministériel de 10 membres qui se réunira cet été pour élaborer un dossier de recommandations qui sera soumis pour examen à tous les ministres des Affaires étrangères du Commonwealth à une réunion qui aura lieu à New York en septembre.
Votre collègue, le sénateur Segal, a été nommé envoyé spécial du Canada pour le renouvellement du Commonwealth en décembre dernier. Il a reçu le mandat de conseiller directement le ministre Baird et de représenter ce dernier et le gouvernement du Canada aux consultations publiques sur le renouvellement du Commonwealth. Le ministre Baird a déclaré que :
Les droits de la personne, incluant les droits des femmes et des minorités religieuses, ainsi que la décriminalisation de l'homosexualité dans certains pays du Commonwealth, seront des priorités pour notre gouvernement, et le sénateur Segal continuera d'être une voix influente pour le Canada en cette matière.
[Français]
Madame la présidente, j'aimerais maintenant me tourner vers le troisième et dernier point de mon intervention, soit la charte elle-même. Le rapport du Groupe de personnalités éminentes, qui a été présenté aux leaders des pays du Commonwealth à leur dernière réunion en octobre, était intitulé A Commonwealth of the People : Time for Urgent Reform. Comme je l'ai mentionné, ce rapport contenait 106 recommandations. Ces recommandations touchent tous les aspects du travail du Commonwealth. Toutes les recommandations sont importantes, mais certaines le sont tout particulièrement. Une recommandation phare était l'adoption d'une charte du Commonwealth. C'était en fait la première recommandation du rapport.
Le Commonwealth est une organisation fondée sur des valeurs, il n'a pas de constitution ou de charte officielle. Il n'a même pas adopté une déclaration complète définissant les valeurs politiques fondamentales, à laquelle les membres se sont engagés. Lors de leur réunion biennales, les dirigeants des pays du Commonwealth ont enchâssé les valeurs et les principes que le Commonwealth représente, c'est-à-dire la démocratie, les droits de la personne et la primauté du droit dans une série de déclarations.
C'était à leur réunion à Singapour, en 1971, que les chefs des pays du Commonwealth ont établi une déclaration de principes du Commonwealth qui renferme le premier engagement explicite du Commonwealth en faveur de la démocratie. La déclaration de Harare de 1991 est venue renforcer cette déclaration.
Lors de leur réunion en 1995, à Auckland, en Nouvelle-Zélande, les chefs des pays du Commonwealth ont adopté le Programme d'action Millbrook du Commonwealth sur la déclaration de Harare, qui traduit, dans la pratique, les principes contenus dans la déclaration de Harare.
Enfin, à leur réunion à Port-of-Spain, en 2009, réunion qui marquait le 60e anniversaire de l'organisation, les chefs des pays du Commonwealth ont réitéré leur engagement ferme et durable à défendre les valeurs et principes fondamentaux du Commonwealth en publiant l'affirmation de Trinité-et-Tobago sur les valeurs et principes du Commonwealth. Cette affirmation définit un engagement en faveur de la paix et de la sécurité internationale, de la démocratie, des droits de la personne, de la tolérance, du respect et de la compréhension, de la séparation des pouvoirs, de la primauté du droit, de la liberté d'expression, du développement économique, de l'égalité entre les sexes, de l'accès aux soins de santé et à l'éducation, de la saine gouvernance et de la société civile.
[Traduction]
Le projet de charte du Commonwealth vise à aller encore plus loin. Le Groupe de personnalités éminentes n'avaient pas l'intention de créer un texte ayant force de loi, mais plutôt de rédiger un document d'inspiration qui serait compatible avec la nature volontaire de la participation au Commonwealth et les chefs de gouvernement ont appuyé cette approche. Le Groupe de personnalités éminentes a proposé la création d'une charte qui servirait de document juridiquement non contraignant réunissant et consolidant les principes figurant dans les déclarations précédentes. Des consultations publiques seraient menées avant d'élaborer la charte. Le but est de créer « une charte qui permettrait de définir l'esprit du Commonwealth — celui qui est partagé par les peuples du Commonwealth et leurs gouvernements, et qui instituerait fermement le concept d'un Commonwealth dont le but commun traduirait les aspirations de ses peuples ».
Madame la présidente, grâce au travail de votre comité, le Canada joue un rôle de premier plan dans le processus de renouvellement du Commonwealth. À notre connaissance, le Canada est le seul pays de l'organisation qui effectue une étude parlementaire du projet de charte du Commonwealth.
Le processus même d'élaboration d'une charte constitue une occasion de réaffirmer notre engagement individuel et collectif en faveur des valeurs et des principes fondamentaux du Commonwealth. On nous a rappelé à Perth qu'on ne peut pas tenir ces valeurs communes pour acquises.
La charte doit clairement réaffirmer les valeurs fondamentales qui sous-tendent le Commonwealth et représentent notre patrimoine commun. Ce document inspirateur et moralement contraignant doit être clair, et mettre en évidence les valeurs et les principes du Commonwealth, ainsi que les engagements pris par les membres lorsqu'ils ont témoigné de leur adhésion à l'organisation.
Devant les membres de la Royal Commonwealth Society à Londres le mois dernier, le ministre Baird a réitéré que le Canada jouera un rôle important dans la promotion et la défense de ces valeurs. Il a dit ceci :
Nous allons nous prononcer sur les questions qui importent aux Canadiens, que ce soit le rôle et le traitement des femmes dans le monde, la persécution des personnes en fonction de leur orientation sexuelle, ou les attaques lâches ciblant ceux qui prient dans des églises, des temples, des mosquées ou des synagogues. Je réitère l'engagement du Canada d'établir un Bureau de la liberté religieuse, qui montrera au monde entier que le Canada attache une grande importance à la liberté de religion.
Je vous remercie encore, madame la présidente, pour votre travail au sein de ce comité et pour m'avoir invité à témoigner à cette occasion.
La présidente : Merci. Je vais commencer par deux sujets que le comité va devoir aborder.
Vous avez fait valoir à la fois qu'il s'agirait d'une charte rassemblant les membres du Commonwealth et qu'il n'y a pas eu de charte fondatrice. Je trouve admirable que l'on fasse l'inventaire de ce qui unit les membres d'une association et de la voie qu'ils souhaitent suivre ensemble à l'avenir.
Néanmoins, lorsqu'on lit le document comme tel — ce n'est pas vraiment un document, mais une compilation des mesures prises jusqu'ici —, comment peut-on le traduire en une charte applicable?
Je sais que certains chefs de gouvernement du Commonwealth ont lu la charte proposée par le Groupe de personnalités éminentes et ont rapidement conclu que c'est une charte des droits de la personne et non pas une charte fondatrice ou une charte d'association. On peut se demander quelle valeur elle aura dans un monde où nous avons déjà la Déclaration des droits de l'homme des Nations Unies. Nous faisons partie d'autres régions qui ont des codes et des chartes.
Les fonctionnaires de votre ministère et le ministre ont-ils examiné ce que sera cette charte? Dans quelle direction voulez-vous aller? Comment envisagez-vous cela? Vous avez souligné que c'est une charte d'association, mais quand vous avez cité les paroles du ministre Baird, vous avez parlé, en fait, des questions touchant les droits de la personne. Vous avez reposé la question soulevée dans les publications et les conversations sur le sujet. Est-ce une charte d'association ou une charte des droits de la personne?
M. Nicoloff : La charte devrait être ce que les chefs d'État veulent qu'elle soit. Je vais demander à mon collègue, M. Balint, de vous en parler plus en détail.
Ce que nous avons pour le moment, c'est une idée, un modèle, une possibilité. Peut-être qu'en fin de compte, le gouvernement canadien voudra proposer quelque chose d'entièrement différent.
Lorsque j'examine la décision prise par les chefs d'État à Perth, un des principaux thèmes, selon moi, c'est l'idée d'en faire un « document d'inspiration ». Nous ne nous intéressons pas tellement, je crois, à ce qu'a été le Commonwealth et je pense que l'intention des chefs d'État était de rassembler toutes ces idées afin de voir où nous voulons aller.
Bien entendu, nous ne sommes pas en mesure, pour le moment, de faire des recommandations au gouvernement au sujet de la teneur de la charte. Pour nous, la toute première étape consistera à recevoir votre rapport, qui sera établi en consultant le public canadien. Cela éclairera dans une large mesure les recommandations que nous pourrons faire au ministre et à nos dirigeants politiques.
J'espère ne pas outrepasser mon mandat en disant, encore une fois, que ce doit être un document « inspirateur », c'est le mot clé, pour guider le Commonwealth. J'ai hâte de savoir quelles sont les opinions dont le public canadien vous fera part et ce que vous en conclurez.
Si vous le permettez, madame la présidente, je voudrais demander à mon collègue, Thomas Balint, de compléter ma réponse.
Thomas Balint, conseiller principal en politiques, Affaires étrangères et Commerce international Canada : Merci. Je voudrais seulement revenir sur le fait que, comme le GPE l'a indiqué dans son rapport, le document que vous avez sous les yeux et qui a été préparé par le juge Kirby — qui faisait partie du GPE, comme vous le savez — est, pour reprendre l'expression que le groupe a utilisée, une « version » de la charte. Ce n'est pas mentionné dans la recommandation du GPE comme telle, mais dans le contexte de la recommandation. Je pense, en tout cas, que dans l'esprit des membres du Commonwealth et du secrétaire général qui a demandé aux membres de tenir des consultations nationales, la charte que nous avons sous les yeux doit servir de base aux consultations.
Pour revenir à votre première question : comment traduire ce document en une charte applicable? Cela peut exiger quelques raffinements, dirons-nous. Pour le moment, nous avons certainement entendu dire à Perth — et le gouvernement britannique a tenu ses consultations publiques pas plus tard qu'hier, à Londres — qu'avec cette ébauche de charte nous avons beaucoup de pain sur la planche, c'est le moins qu'on puisse dire.
Je pense qu'il revient à chaque gouvernement membre à qui on a demandé son avis de faire savoir au secrétariat à quoi une charte devrait ressembler. Ressemblera-t-elle à ce texte? Sera-t-elle beaucoup plus courte et facile à digérer pour les gens ordinaires? Ce que nous avons devant nous abonde en jargon juridique, si vous voulez.
Une autre chose que nous avons entendu dire au cours de nos voyages, depuis la publication du rapport, est que l'ébauche de charte que nous avons là dépeint la situation actuelle du Commonwealth, car le juge Kirby a pris grand soin de s'inspirer des documents existants.
Néanmoins, cela soulève une autre question que d'autres témoins ou les membres du comité pourraient poser eux- mêmes. La charte devrait-elle décrire la direction dans laquelle le Commonwealth doit aller plutôt que sa situation actuelle?
La présidente : Merci. Vous êtes chargé de la Francophonie et du Commonwealth. Suivent-ils des voies différentes? Nous savons comment les deux ont commencé.
Y a-t-il des leçons que le Commonwealth peut tirer de l'orientation que prend la Francophonie et qui pourraient nous éclairer au sujet de la charte et de la direction que le Commonwealth devrait prendre, ou les deux organisations évoluent-elles de façon trop différente? Je dis cela car de nombreux pays veulent se joindre à la Francophonie et au Commonwealth. Le Commonwealth a été construit sur certaines racines. La question est maintenant de savoir quelles étaient ces valeurs et ces racines lorsque nous avons élargi le Commonwealth à des pays qui n'ont pas les mêmes racines. Qu'avons-nous en commun? Cette question a été soulevée à propos du Mozambique, du Rwanda, et de la Francophonie. Des débats ont eu lieu à ce sujet dans les deux tribunes et je ne sais pas où ils en sont. Y a-t-il, du côté de la Francophonie, quelque chose dont le Commonwealth pourrait s'inspirer?
M. Nicoloff : Comme dirait un professeur lorsqu'il ne sait pas trop comment répondre à une question complexe, pour se donner le temps de réfléchir : « C'est une excellente question. » J'apprécie cette question. Oui, nous sommes responsables des deux organisations. Je dirais qu'elles ont toutes deux les mêmes problématiques. Les deux sont ce que nous appelons des organisations généralistes. Dans le monde très encombré d'aujourd'hui, il y a de nombreux acteurs internationaux. Dans les années 1960 et 1970, il y avait beaucoup moins de mondialisation; ce n'était pas un facteur aussi important qu'aujourd'hui. Il y avait moins d'acteurs sur la scène internationale. La frontière entre les questions nationales et internationales était plus claire et la question des ressources se posait moins qu'aujourd'hui. Ce sont deux organisations généralistes qui se concurrencent pour des ressources en diminution — surtout celles que fournissent les différents États membres —, sans pouvoir dire : « Nous allons résoudre le problème de la dette », par exemple. Elles ont un mandat beaucoup plus général.
Je dirais donc que la révolution se fait certainement de façon parallèle. Sous le leadership inspirateur du Canada, la Francophonie a fait ses débuts en tant qu'organisation ayant pour but de défendre et de promouvoir la langue française et la diversité culturelle. Elle a commencé un peu plus tard que le Commonwealth à s'intéresser à la démocratie et à la bonne gouvernance. Néanmoins, c'est, comme le Commonwealth, une excellente organisation où discuter de ces questions, car elle se fonde également sur des valeurs et des principes communs. La Francophonie est dirigée par le secrétaire général Diouf, un ancien chef d'État qui s'est fait battre aux élections en Afrique francophone. Il a manifesté un engagement personnel envers la démocratie et il peut parler avec beaucoup d'autorité sur ce sujet; les deux organisations évoluent parallèlement et ont également les mêmes défis à relever.
Vous avez aussi mentionné la question des membres. Le contexte de la Francophonie est un peu différent, car elle a une catégorie de membres différente, celle de pays observateurs. Elle compte actuellement 75 membres dont 19 observateurs. Ce n'est pas facile, dirais-je. Des questions se posent actuellement au sein de la Francophonie. Nous nous réjouissons de voir tous les nouveaux membres, mais cela dilue un peu notre mandat. On est actuellement en train de réfléchir à ce qui constitue une question très importante, mais aussi difficile.
La présidente : Merci.
Le sénateur Downe : Je voudrais faire suite à certaines des questions que la présidente a posées. Les miennes seront peut-être un peu plus directes, pas aussi diplomatiques que les siennes étant donné qu'elle est une ancienne diplomate.
Comme la plupart des Canadiens, je ne pense pas du tout au Commonwealth. Quel avantage a-t-on à en être membre? Quand j'ai lu pour me préparer à cette étude, j'ai vu que le Rwanda, une ancienne colonie de la Belgique et de l'Allemagne en fait maintenant partie. Ensuite, après avoir lu les rapports, j'ai l'impression que le Commonwealth s'efforce de justifier son existence. Pour ce qui est du passé, je peux comprendre quel était son rôle il y a 40 ou 50 ans. Néanmoins, lorsqu'on parle de démocratie, de la primauté du droit et des droits de la personne, tout le monde est d'accord sur ces principes. Le Conseil de l'Europe, où le Canada a le statut d'observateur, a exactement le même mandat.
Vous avez mentionné dans vos observations les multiples organisations internationales qui travaillent toutes vers ces mêmes objectifs. Vous travaillez au ministère. Je ne veux pas vous mettre sur la sellette au sujet de questions politiques, mais j'aimerais vous poser certaines questions précises au sujet des coûts.
Quel est le coût total, pour le Canada, de notre participation au Commonwealth? D'après le document d'information, je crois que c'est de l'ordre de 25 millions de dollars. Est-ce exact? Nous sommes le deuxième pays contributeur après le Royaume-Uni. Savez-vous quelle est la contribution annuelle du Royaume-Uni ou pourriez-vous nous faire parvenir un chiffre approximatif?
M. Nicoloff : Je ne peux pas vous citer ce chiffre de mémoire.
Le sénateur Downe : Vous pourriez nous envoyer ce chiffre et nous dire aussi quel est le troisième contributeur le plus important. Je m'intéresse à la contribution, à moins que vous vous souveniez du chiffre.
M. Balint : Je sais que c'est l'Australie, mais nous pouvons vous faire parvenir ces renseignements.
Le sénateur Downe : Les Canadiens voudraient savoir ce qu'ils obtiennent pour ces 25 millions de dollars. Par exemple, si vous arrivez au Royaume-Uni par avion, il y a une file d'attente séparée pour les immigrants de l'Union européenne et les autres. Y en a-t-il une pour les membres du Commonwealth? Y a-t-il un attachement sentimental à la reine et à la famille royale? Était-ce un accord commercial, il y a 40 ans? Quels avantages en tirons-nous? Je crois que les chefs d'État se sont rendu compte de l'existence d'un problème. C'est pourquoi ils ont formé ce comité : pour essayer de trouver une solution. Néanmoins, ont-ils envisagé la possibilité que le Commonwealth n'a plus sa raison d'être étant donné l'existence de toutes ces autres organisations multinationales?
M. Nicoloff : Je remercie le sénateur pour cette question. Je pensais que nous étions d'accord pour que les questions difficiles soient posées au prochain témoin.
À la fin de la dernière CHOGM, à Perth, on a posé au premier ministre Harper une question qui n'était pas exactement formulée en ces termes. J'ai bien peur de ne pas me souvenir des mots exacts. Néanmoins, on lui a demandé avec quelle efficacité l'organisation faisait la promotion des valeurs et des principes auxquels les Canadiens adhèrent, qui sont importants pour nous et qui sont importants également pour notre politique étrangère. Dans sa réponse, il a dit que c'est une des meilleures organisations pour le faire, car elle se fonde sur des principes et valeurs communs. Nous pouvons avoir des discussions franches et parfois difficiles au sujet de ces valeurs. Il s'agit vraiment de promouvoir les valeurs et les principes canadiens et le Commonwealth est un excellent instrument pour cela.
Le Commonwealth a également donné au gouvernement canadien accès à de nombreux pays où nous ne sommes pas représentés. Comme vous le savez, les ambassades et les hauts-commissariats coûtent cher. En participant régulièrement à ces réunions, en ayant des rencontres entre les chefs d'État et les hauts fonctionnaires, nous avons accès à des pays avec lesquels nous n'aurions normalement pas ces relations.
Une autre chose que nous avons tendance à oublier, c'est le réseau d'organisations associées au Commonwealth — les avocats, les infirmières, les étudiants — qui offre d'excellentes occasions de partager les connaissances canadiennes, d'apprendre des autres pays et de permettre aux Canadiens de rencontrer des gens des autres pays et d'avoir des échanges avec eux. Ce sont les avantages qu'apporte l'appartenance à une organisation comme le Commonwealth.
Un des défis — et le sénateur Segal voudra peut-être en parler plus en détail — que présente cette occasion unique que nous avons d'apporter des réformes est de veiller à ce que l'organisation insiste sur la valeur ajoutée qu'elle apporte. Oui, nous investissons de l'argent, mais nous savons où va cet argent.
Comme organisme d'aide, le Commonwealth n'est peut-être pas la meilleure organisation qui soit; il ne se compare pas à la Banque mondiale. Il a néanmoins un rôle particulier à jouer pour aider les petits pays — les pays insulaires, par exemple — qui n'ont pas accès aux contributions de la Banque mondiale ou des grandes organisations parce qu'ils sont trop petits. Ils ont parfois besoin d'une aide technique très limitée, très particulière mais essentielle et le Commonwealth peut la leur apporter. Nous incitons le Commonwealth à mettre l'accent sur cette dimension. Où peut-il apporter quelque chose de valeur?
Le sénateur D. Smith : À propos de ce que vous avez dit au sujet de la situation actuelle du Commonwealth, je ne peux pas résister à l'envie de donner un exemple. Le sénateur Andreychuk et moi-même avons fait partie de la délégation canadienne l'été dernier, en juillet, pour le 100e anniversaire de l'Association parlementaire du Commonwealth. Le premier a été célébré à Westminster, en 1911. Le Commonwealth était alors composé du Royaume-Uni, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, des Sud-Africains blancs et des Canadiens. Au grand dîner — ils étaient tous dans la même pièce et vous pouvez voir la photo d'il y a 100 ans —, toutes les personnes sur la photo sont des hommes blancs, tous âgés de plus de 50 ans et tous en smoking. Cent ans plus tard, je dirais qu'au moins le tiers étaient des femmes, au moins la moitié avaient moins de 50 ans et sans doute les deux tiers n'étaient pas blancs. Il y avait quelques smokings, mais c'était ceux des serveurs. Je ne peux pas résister à l'envie d'en parler, car j'ai le sens de l'humour.
En ce qui concerne la charte, avez laquelle je suis d'accord, lorsque vous examinez le texte, il est difficile de contester les éléments qu'il contient. Certains d'entre eux pourraient être qualifiés de platitudes. Néanmoins, les éléments essentiels sont, je pense, une véritable démocratie, les droits de la personne, ce qui comprend les droits des femmes, les droits religieux, les droits des minorités et la question de l'orientation sexuelle; et toutes ces choses sont respectées grâce à l'état de droit.
Je me demande ce que vous en pensez. Il y a bien d'autres éléments, ce qui est bien, mais je voudrais centrer mon attention sur les principaux : une véritable démocratie et les droits de la personne, y compris les droits des minorités, respectés grâce à la primauté du droit. J'aimerais presque qu'on insiste davantage sur ces principes que sur tout le reste. Vous y avez fait allusion, je crois, mais je me demande quelle est votre réponse à cela.
M. Nicoloff : Je remercie le sénateur pour cette question. Il faut un juste équilibre. N'oublions pas qu'autour de la table du Commonwealth qui réunit 54 pays, vous avez un grand nombre de très petits pays confrontés à des défis quotidiens et pour qui la coopération, et l'accès à la technologie et au financement des autres pays sont absolument essentiels. Nous essayons de maintenir un juste équilibre.
Bien entendu, pour nous, le principal avantage qu'apporte une organisation comme le Commonwealth, ce sont les propositions concernant la démocratie, la primauté du droit et les droits de la personne. En même temps, une organisation de petite taille comme le Commonwealth a un rôle à jouer, mais elle doit reconnaître que son travail doit se fonder sur la valeur ajoutée qu'elle peut apporter. C'est une des choses qui entrent en ligne de compte dans le cadre du processus de renouvellement en cours.
Le sénateur D. Smith : Je ne le conteste pas, mais si vous prenez la liste des pays qui ont été expulsés ou suspendus comme le Zimbabwe de Mugabe, par exemple, tous faisaient partie de la catégorie des pays qui une fois admis comme membres le restent à vie. Je voudrais simplement que nous insistions sur les principes fondamentaux, mais je ne conteste pas vraiment le reste. J'aimerais qu'on insiste beaucoup sur ces simples principes fondamentaux.
Le sénateur Buth : Je m'interroge, monsieur Nicoloff, au sujet de ce que vous avez dit à propos d'une charte inspiratrice. Vous avez dit simplement qu'elle vise à promouvoir la démocratie et les droits de la personne. J'aimerais que vous expliquiez le rapport entre la charte et le Groupe d'action ministériel du Commonwealth et comment vous voyez le lien entre les deux. Le GAMC a-t-il officialisé cette approche avec la charte ou comment cela se passerait-il?
M. Nicoloff : Il n'y a pas de lien officiel entre la charte et le Groupe d'action ministériel. Un train de réformes a été soumis aux chefs de gouvernement au dernier sommet, à Perth, par le Groupe de personnalités éminentes; en fait, il y en a eu deux. Le premier était le rapport du Groupe de personnalités éminentes, qui comprenait les 106 recommandations dont la première concernait la charte. La deuxième consistait à réformer le Groupe d'action ministériel du Commonwealth pour le rendre plus proactif.
La notion même de démocratie est en évolution dans le monde d'aujourd'hui. Par le passé, nous avions tendance à ramener la démocratie à de simples élections. Vous aviez des élections, des résultats et le gouvernement était alors constitué. La démocratie, c'est non seulement la tenue d'élections, mais aussi la capacité de la société civile, par exemple, de s'exprimer, de faire le lien entre la population et le gouvernement. Il faut s'assurer que les conditions requises soient réunies pour tenir des élections efficaces, ce qui explique pourquoi la situation évolue parfois de façon inquiétante dans certains pays. Cela suffit à soulever des doutes.
Un des problèmes que nous avons eus au Commonwealth était que l'ancien GAMC, si je peux l'appeler ainsi, intervenait quand il y avait une crise, un coup d'État. Une organisation comme le Commonwealth pourrait être plus efficace si elle pouvait intervenir avant, si elle pouvait tirer le signal d'alarme, si elle pouvait s'inquiéter de l'état de la démocratie dans un pays et si elle pouvait vérifier si une tendance inquiétante n'est pas en train de se dessiner dans un pays. Il faut pour cela la capacité et le désir le de le faire. Je crois que le nouveau GAMC est maintenant beaucoup plus actif et qu'il sera mieux en mesure de jouer ce rôle.
Une autre recommandation du Groupe de personnalités éminentes est de nommer un commissaire aux droits de la personne, à la primauté du droit et à la démocratie qui aurait aussi la capacité de voir un peu à l'avance ce qui se passe dans un pays donné.
En ce qui concerne la charte, le sénateur Segal voudra peut-être en parler. La charte correspond davantage à l'idée que nous avons besoin d'un document facile à lire afin que nous sachions tous où nous en sommes. Pour le moment, nous avons trois ou quatre documents différents. Ils ne se contredisent pas les uns les autres, mais cela complique les choses. Il vaut mieux en avoir un seul.
Encore une fois, j'ai hâte de voir les résultats de vos consultations auprès des Canadiens et de voir vos recommandations. J'ai toutefois le sentiment que si nous pouvons avoir un document vraiment orienté vers l'avenir et facile à consulter, ce sera une grande source d'inspiration. Pour réformer le Commonwealth, il ne s'agit pas tant de se demander ce qu'il a été par le passé, que de voir ce que nous attendons de lui à l'avenir. Comment voulons-nous l'utiliser? Comment le voyons-nous évoluer à l'avenir dans un monde bien différent de ce qu'il était quand il a été établi?
Le sénateur Buth : Sur les 54 pays, combien ont participé ou ont exprimé un intérêt pour une charte?
M. Balint : Quand le rapport du GPE a été examiné à Perth, les ministres des Affaires étrangères avaient beaucoup de pain sur la planche avec ses 106 recommandations. Je peux dire néanmoins qu'ils ont passé beaucoup de temps à discuter du projet de charte, sans doute pour diverses raisons, notamment le fait que c'était la première des 106 recommandations et qu'elle a donc attiré leur attention.
Pour ce qui est de l'accueil qu'ils ont réservé à cette recommandation, à Perth, je pense que les pays se partageaient en trois catégories. La première était constituée de ceux qui pensaient que c'était une excellente idée, qui aimaient l'ébauche de texte que vous avez sous les yeux et qui pensaient qu'il faudrait l'adopter à Perth. Il y avait ceux qui estimaient que les pays devaient suivre de plus près la recommandation et le contexte de cette recommandation du rapport du GPE, à savoir que le processus qui sera suivi pour l'établissement de la charte est aussi important que la charte comme telle. Ce sont mes propres mots, pas ceux du GPE. Par conséquent, ils ont dit : « Nous avons besoin de plus de temps pour mettre un processus en place » et chaque pays mène son propre processus, comme c'est le cas du Canada. Il y a eu aussi un petit groupe de pays qui étaient assez hésitants.
Par exemple, des questions ont été soulevées au sujet des répercussions juridiques de la charte. C'est pourquoi le communiqué du CHOGM stipule de façon très explicite que ce sera un document non contraignant. La recommandation du GPE ne le précisait pas et l'un des résultats des discussions de Perth a donc été inséré dans le texte du communiqué.
Je dirais qu'en général, les membres tenaient beaucoup à se doter d'une charte, mais qu'il y avait seulement quelques divergences d'opinions quant à la façon d'en créer une.
Le sénateur Jaffer : Merci pour vos exposés. Je vais faire une brève observation qui sera suivie de deux questions.
Je reviens sur ce dont mon collègue, le sénateur Downe, a parlé à propos du Rwanda. J'y ai passé beaucoup de temps. Oui, c'était une colonie française à une certaine époque, mais le pays a beaucoup changé. Paul Kagame ne maîtrise même plus le français; il parle anglais. Il a été élevé en Ouganda et le Rwanda a davantage de contacts avec des pays anglophones que des pays francophones. À mon avis, le fait que le Rwanda veuille appartenir au Commonwealth montre que le Commonwealth évolue et que des pays veulent faire partie de cette grande famille.
J'ai trouvé très intéressant, monsieur Nicoloff, de vous entendre parler de la voie de l'avenir pour le Commonwealth. Il vous sera sans doute difficile de répondre, mais vous pourriez peut-être nous dire où le Commonwealth en est actuellement. Il se passe au sein du Commonwealth beaucoup de choses dont nous n'avons pas conscience, ici au Canada. Le Commonwealth est très dynamique et de nombreux pays contribuent de façon très importante à son bien- être.
L'autre question dont vous avez parlé et que j'aimerais que vous approfondissiez est celle de l'accès. Je pense qu'à Ottawa, nous oublions les occasions formidables auxquelles les Canadiens ont accès en faisant partie du Commonwealth.
M. Nicoloff : Je suis entièrement d'accord avec vous. Le Rwanda était dans une situation un peu particulière en étant entouré par des pays anglophones. En même temps, il ne veut pas se dissocier de la Francophonie. C'est une simple précision.
Où va le Commonwealth? Nous avons, je pense, la possibilité de le diriger là où nous voulons qu'il aille. Une occasion unique s'offre à nous maintenant et nous devrions vraiment la saisir. Il serait dommage de ne pas faire du Commonwealth une organisation plus dynamique dans l'intérêt de nos citoyens et, comme vous l'avez mentionné, en raison des avantages énormes qu'il apporte à nos citoyens, au gouvernement et autres pays également.
Le sénateur Jaffer : Ce que nous étudions ici c'est la charte et je me réjouis de voir que le ministre Baird fait partie des 13 personnes qui, si j'ai bien compris, vont rédiger cette charte. Cela nous fournit une bonne occasion d'inclure certaines de nos valeurs dans la feuille de route du Commonwealth. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?
M. Nicoloff : Pour répondre brièvement, je dirais qu'effectivement, c'est une excellente occasion. Je crois, et j'espère ne pas me tromper, que c'est seulement le ministre Baird, qui fait à la fois partie du Groupe d'action ministériel du Commonwealth et du groupe de travail, qui examinera aussi les recommandations restantes du Groupe de personnalités éminentes. C'est pour le Canada une occasion unique d'exercer une influence au sein de l'organisation.
Comme je l'ai dit, votre comité est le seul groupe parlementaire, à ma connaissance, qui mène ce genre d'étude, ce qui en dit long sur l'importance que nous attachons au Commonwealth.
Le sénateur Mahovlich : Ce n'est peut-être pas une question intelligente, mais qu'en est-il des Jeux du Commonwealth? Font-ils partie de la charte?
M. Balint : Les prochains auront lieu à Glasgow. Les jeux sont une organisation distincte de ce qu'on appelle généralement le Commonwealth, qui est le secrétariat situé à Londres.
Le sénateur Mahovlich : C'est une entité privée? Elle ne participe pas du tout à ce projet?
M. Balint : Non, elle n'y participe pas vraiment. C'est une organisation distincte qui est affiliée au Commonwealth.
Le sénateur Mahovlich : Les membres de la royauté y participent.
M. Balint : Oui. Néanmoins, pour ce qui est de son rapport avec la charte, il n'y en a pas.
La présidente : Vous avez mentionné qu'il y a une association des avocats du Commonwealth, une association des juges du Commonwealth, une fédération des infirmières du Commonwealth, un fonds du Commonwealth pour l'apprentissage, et cetera. Les Jeux du Commonwealth sont-ils affiliés d'une quelconque façon au Commonwealth?
M. Balint : Je crois qu'ils y sont affiliés, mais comme les organismes que vous avez énumérés, il s'agit d'une entité distincte affiliée au Commonwealth. Bien entendu, les jeux sont une énorme entreprise et le secrétariat, qui est la composante politique du Commonwealth, si vous voulez, n'a rien à voir avec les jeux. Je veux dire par là qu'il ne participe pas à l'organisation des jeux.
La présidente : Le lien entre les jeunes et le Commonwealth est peut-être une chose que nous pourrions promouvoir. C'est une simple observation. Je ne veux pas empêcher le sénateur Robichaud de prendre la parole.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Vous avez fait allusion au fait que nous devions avoir un document simple et facile à comprendre si on voulait une charte du Commonwealth. La recommandation compte 27 articles et la Charte de la Francophonie en compte 17. On a résumé l'objectif en un paragraphe, en un article. C'est soit trop simple ou trop compliqué. Pourriez-vous commenter cela?
M. Nicoloff : Encore une fois, je remercie le sénateur de sa question. Le document devant vous — et là encore, le sénateur Segal pourra le préciser — est un modèle, une possibilité. Ce n'est pas nécessairement sur ce texte que vous voulez travailler.
Vous pouvez faire un peu ce que vous voulez essentiellement avec un projet de charte. Il est effectivement rédigé d'une façon différente de celui de la Charte de la Francophonie qui ne contient qu'un paragraphe sur les valeurs et principes, mais qui ensuite par contre, s'étend assez longuement sur la structure de l'organisation elle-même. Je dirais qu'il y a là vraiment, et c'est typique, un héritage historique, ce qu'on appelle le génie français par rapport au génie britannique au Commonwealth, qui est très différent.
Au Commonwealth, on a beaucoup plus, la common law, la tradition et le précédent, côté français, c'est beaucoup plus structuré. On ne peut pas lire, par exemple, la Charte de la Francophonie et comprendre vraiment le mandat et les engagements de l'organisation sans référer aussi à deux autres documents, la Déclaration de Bamako et la Déclaration de Saint-Boniface, qui font état plus précisément des valeurs et principes de l'organisation.
Cette idée, cette demande des leaders du Commonwealth d'avoir une charte inscrite dans un contexte un peu différent, la Francophonie voulait structurer vraiment son organisation. On en était rendu là dans son évolution. Le Commonwealth a maintenant beaucoup plus besoin de rassembler en un même document ses principes et valeurs sur lesquels elle repose et voir comment elle veut projeter son action dans l'avenir sur la base des principes et valeurs. Il semble que le besoin n'est pas le même et je ne serais pas surpris si, à la fin de cet exercice, les deux chartes soient assez différentes l'une de l'autre.
[Traduction]
La présidente : Si la charte doit être une source d'inspiration, d'aspiration et non contraignante, quels instruments envisagez-vous pour faire bouger les choses? Si vous avez une charte qui s'accompagne d'instruments de mise en oeuvre, vous savez dans quelle direction aller et vous disposez d'un certain consensus quant à ce qu'il faut faire lorsqu'on s'écarte des objectifs et des intérêts communs. Un des problèmes du Commonwealth — le GAMC a eu ce problème et le Commonwealth aussi — est que lorsqu'un problème interne se pose, il est difficile de faire bouger les choses de façon positive. Comment nous doter d'une charte qui sera une source d'aspiration et d'inspiration pour la mise en oeuvre des valeurs et des principes communs auxquels nous aspirons? Y travaillez-vous? C'est une question politique, je le sais, et le sénateur Segal en est informé à l'avance, car il devra y répondre.
M. Nicoloff : Je dirais que c'est une autre excellente question qu'il faudrait peut-être poser au sénateur Segal.
J'avoue que nous avons grand hâte de voir votre rapport et les résultats de ces consultations nationales. D'après mon expérience des organisations internationales, vu le genre d'engagement que nous prenons et la direction où nous voulons aller, je me dis que nous pourrions avoir un texte vraiment court, précis et pertinent auquel nous pourrions nous référer, non pas un guide qui vous dit exactement ce qu'il faut faire. Si vous prenez une décision et qu'il est évident que cette décision ne respecte pas la charte, vous saurez que vous êtes sur la mauvaise voie. Je ne peux pas être plus précis. Comme je l'ai dit, nous n'en sommes pas au point où nous pouvons faire des recommandations au ministre. Encore une fois, votre rapport va beaucoup nous aider dans notre travail. D'après mon expérience, je pense qu'il serait très utile d'avoir un texte clair et court auquel se référer. Nous pourrons le consulter et dire : « Ce que nous faisons ne correspond peut-être pas à ce que prévoit la charte, aux valeurs et aux principes que nous nous sommes engagés à respecter. »
La présidente : Personnellement, et je ne suis pas certaine que le comité sera d'accord avec moi, c'est là le problème. Vous pouvez être d'accord sur des principes parce qu'ils sont vastes et non contraignants, mais comment alors poursuivre des objectifs dans l'intérêt de la population des pays du Commonwealth et pas particulièrement dans l'intérêt des gouvernements? Vous établissez un document disant quelles sont les valeurs que nous défendons. Lorsqu'un pays membre s'en écarte, comment le ramenez-vous dans le droit chemin pour continuer à défendre des valeurs dans l'intérêt des citoyens de nos pays, et non pas nécessairement dans l'intérêt des parlementaires ou des gouvernements? Je crois que c'est la problématique devant laquelle vous nous placez en proposant cette charte comme solution. Je pense que nous allons devoir nous demander si nous avons des réponses à proposer. Je recherche également l'inspiration et je pense que c'est une des questions que nous voudrons poser et chercher à résoudre.
Monsieur Nicoloff et monsieur Balint, vous êtes arrivés à temps et nous voulons vous en remercier. Vous avez répondu assez rapidement. Je sais que vous deviez témoigner ailleurs. Nous sommes contents que le ministère et le ministre nous ont donné la priorité, ont compris nos contraintes de temps et n'ont épargné aucun effort pour nous communiquer beaucoup de renseignements et soulever beaucoup de questions. Merci pour votre contribution. Si vous avez autre chose à ajouter à votre témoignage en cours de route, suivez nos délibérations et n'hésitez pas à communiquer avec nous par écrit en tout temps. Je vous remercie au nom du comité.
Honorables sénateurs, nous allons continuer d'étudier, pour en faire rapport, la création d'une charte du Commonwealth tel que convenu par les chefs de gouvernement des pays du Commonwealth à la réunion qui a eu lieu à Perth, en Australie, en octobre 2011, ainsi que les implications de cette charte pour le Canada. Les chefs de gouvernement ont examiné un rapport du Groupe de personnalités éminentes qui contenait 106 recommandations concernant la feuille de route que le Commonwealth devrait suivre à l'avenir. Ce document, comme le dira notre témoin, fait le bilan de l'action passée du Commonwealth et décrit un agenda très ambitieux pour le Commonwealth.
Nous avons le grand plaisir de recevoir quelqu'un qui n'est pas étranger à la Chambre. L'honorable sénateur Hugh Segal était membre de notre comité, mais il s'en est retiré afin de pouvoir nous communiquer des renseignements en tant que témoin, car il a fait partie du Groupe de personnalités éminentes qui a adressé des recommandations aux chefs de gouvernement. Vous avez tous reçu le rapport. Il se trouve dans Internet.
Je dois également mentionner qu'à la suite de son travail au sein du Groupe de personnalités éminentes ainsi qu'à l'occasion de la réunion des chefs de gouvernement et des réunions des Affaires étrangères, le ministre John Baird a nommé le sénateur Segal envoyé spécial pour le renouvellement du Commonwealth. Vous êtes très bien placé pour témoigner devant le comité. Vous nous connaissez, vous savez comment nous aimons travailler et vous savez que nous allons poser de nombreuses questions. Sénateur Segal, bienvenue au comité en tant que témoin. La parole est à vous.
L'honorable Hugh Segal, Sénat du Canada : Merci beaucoup. J'ai été ravi quand le ministre des Affaires étrangères a dit qu'il voulait consulter le comité au sujet de la charte. Je dis cela, non seulement parce que j'ai eu le privilège de siéger avec vous au comité pendant de nombreuses années, mais aussi en raison de l'ensemble des compétences réunies autour de cette table et de vos antécédents, par exemple, au sein de l'Association parlementaire du Commonwealth, de la Commonwealth Magistrates' and Judges' Association, en tant que hauts-commissaires, de membres du corps diplomatique, de la Francophonie, de l'OTAN et d'autres organisations. C'est un ensemble d'expérience très utile pour pouvoir évaluer ce document. Une telle expertise a énormément de valeur pour le Commonwealth et pour le gouvernement du Canada qui est en train de s'informer en vue de l'étape de la rédaction qui reste encore à franchir.
Nos collègues du ministère étaient optimistes et raisonnablement constructifs, mais les membres du Groupe de personnalités éminentes qui était composé de gens de l'Ouganda, de l'Australie, du Ghana, de la Jamaïque, d'Antigua, de la Malaisie et des Kiribati avaient beaucoup plus de craintes quant à l'avenir du Commonwealth.
[Français]
C'était l'avis du groupe de personnes qui ont travaillé ensemble que, si on n'a pas de changements clairement établis, une réforme des perspectives, de nouvelles initiatives pour souligner la valeur fondamentale du Commonwealth, l'avenir de l'association n'est pas tout à fait garanti.
[Traduction]
Pour les raisons qu'un de nos collègues a soulevées tout à l'heure, il y a de nombreuses organisations internationales. Pensez à tout ce à quoi nos chefs de gouvernement doivent participer. Ils participent au G8, au G20, aux Nations Unies, à l'OTAN et à la Francophonie. À un moment donné, on peut se demander s'il est nécessaire de consacrer tout ce temps à une organisation et à ses objectifs et si ce qui en ressort suffit à justifier l'investissement et l'engagement nécessaires.
Bien entendu, ceux d'entre nous qui siégions autour de la table — nous avions un ancien ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni, un ancien premier ministre des Kiribati, et un ancien premier ministre de Malaisie qui était notre président, Tun Abdullah Badawi. Ces personnes avaient une vaste expérience des organisations du Commonwealth, bien plus que moi, je m'empresse de le dire. Tous estimaient qu'à moins de présenter un rapport qui serait une véritable feuille de route pour augmenter les résultats, la pertinence et la rentabilité du Commonwealth, la survie de cette organisation deviendrait problématique. À la réunion de Perth, 54 chefs de gouvernement étaient invités et 38 se sont présentés. D'autres pays ont envoyé des haut-commissaires ou des vice-présidents, mais pas leurs chefs de gouvernement et le manque de participants est un problème qui s'est posé à plusieurs reprises. C'est une des choses qui ont conduit, si vous voulez, aux travaux du Groupe de personnalités éminentes.
Nous étions très inquiets du manque de liens, pour revenir à la question du sénateur Mahovlich, entre les organisations qui font partie de la grande famille du Commonwealth, comme les Jeux du Commonwealth, et les valeurs fondamentales ainsi que la structure de gouvernance du Commonwealth. Si vous y réfléchissez, les chefs de gouvernement se réunissent tous les deux ans et ensuite le Groupe d'action ministériel du Commonwealth se réunit selon les besoins. Il joue un peu le rôle de conseil de sécurité du Commonwealth et l'élément positif est qu'il n'y a pas cinq membres permanents et pas de droit de veto. Il y a un roulement au sein du groupe. Dans un certain sens, il reflète beaucoup mieux l'ensemble de l'organisation que le Conseil de sécurité des Nations Unies.
Néanmoins, si l'organisation n'a pas un cadre cohérent pour guider son action, si elle n'a pas un cadre de référence logique, elle finira par perdre son efficacité.
La recommandation concernant la charte est qu'elle soit — pour utiliser un terme que nous comprenons mieux, au Canada, que pratiquement partout ailleurs dans le monde — non justiciable; cette charte énoncerait une série de principes qui ont déjà été approuvés lors de réunions antérieures. Ils ont été approuvés à Harare, à Singapour, à Latimer House. Il ne s'agit pas de demander à qui que ce soit d'adopter des nouveaux principes, mais de prendre les principes existants dont nous avons tous convenu en tant que chefs de gouvernement et de les inscrire dans un document succinct. Lorsque les gens diront : « Quels sont vos objectifs et que fait le Commonwealth? », nous répondrons : « Voici notre charte. »
Idéalement — compte tenu des conseils du comité et des autres processus consultatifs du Commonwealth —, les responsables se réuniront et s'entendront sur un libellé. Avec un peu de chance, dans le contexte de l'année du jubilé, Sa Majesté pourra peut-être signer une charte qui deviendra alors l'un des documents officiels qui seront utilisés dans le cadre de ce processus.
Quelles en seraient les conséquences sur le plan opérationnel? Un pays décide de participer au Commonwealth et en fait la demande.
[Français]
Disons un nouveau Rwanda.
[Traduction]
Sur quelle base va-t-on évaluer la candidature en tant que membre potentiel? Comme nous le savons ici, le processus n'est pas dénué de toute considération politique. Si le président de l'Afrique du Sud est déterminé à ce que le Mozambique fasse partie du Commonwealth, que ce président soit Madiba ou Nelson Mandela, il y a une bonne chance que le pays soit admis. Si le premier ministre du Royaume-Uni estime qu'il faudrait inviter le Rwanda pour toutes sortes de raisons, il est peu probable que cette candidature ne puisse pas aboutir.
Ce que nous avons dit au sein du Groupe de personnalités éminentes — et c'est là que la charte jouerait un rôle important —, c'est qu'il faudrait un processus d'accession respectant certains principes. En ce qui concerne le haut- représentant ou le commissaire à la primauté du droit, à la démocratie et aux droits de la personne dont nous avons recommandé la nomination, le GAMC pourrait l'envoyer dans un pays pour rencontrer le gouvernement, les médias, les groupes d'opposition et les groupes de la société civile afin de faire une évaluation indépendante avant qu'on ne prenne officiellement la décision d'inviter un pays à devenir membre. Nos collègues du GPE estimaient que ce genre de document serait alors utile.
Pour revenir sur l'excellente question de la présidente, si le document n'avait pas le statut de document de référence officiel pour le GAMC, il n'aurait aucun lien, comme vous l'avez fort justement souligné, avec les instruments nécessaires pour appliquer concrètement les valeurs de l'organisation. Nous estimons qu'une fois cette charte signée et adoptée par les chefs de gouvernement, elle aura une influence peut-être encore plus grande que les autres déclarations importantes comme celles de Harare, de Singapour et de Port-of-Spain qui définissent actuellement le processus politique.
J'ai encore deux choses à ajouter avant de rendre la parole à la présidente.
[Français]
Au Canada, le réseau du Commonwealth, comme le réseau de la Francophonie, est perçu comme un grand réseau mondial qui permet au Canada d'avancer ses valeurs, ses intérêts commerciaux et de développement. Le gouvernement actuel veut que le Commonwealth soit plus apte, plus compétent, plus efficace et que nous ayons un certain niveau de performance qui puisse être mesurable.
[Traduction]
Quand le gouvernement du Pakistan demande à Commonwealth of Learning, un organisme établi à Vancouver, de l'aider à résoudre certains problèmes précis concernant l'élevage, Commonwealth of Learning peut réunir des spécialistes des moutons, des chèvres et autres animaux d'élevage de l'Université de Guelph et leurs collègues de l'Université d'Auckland, en Nouvelle-Zélande pour aider les agriculteurs du Pakistan dans le cadre d'un programme d'éducation à distance. Il aide, de façon très concrète, en partageant de précieuses compétences techniques.
Quand des jeunes du Commonwealth vont étudier dans d'autres pays — le GPE a recommandé l'élargissement de ce programme et le projet de charte en fait mention —, c'est alors que vous commencez à mesurer pleinement ce que peuvent faire 54 pays qui travaillent ensemble, dont la situation est différente, mais qui partagent le désir de favoriser les débouchés économiques, l'équité et une civilité fondamentale dans les sociétés où nous essayons tous d'améliorer les choses.
Le GPE ne tient pas absolument, madame la présidente, à ce que le libellé ou la structure de l'ébauche de texte que vous avez sous les yeux soient respectés. Tous les conseils que le comité pourrait donner, suite à ses consultations, au sujet de la taille, de la structure, de la longueur ou du ton de ce texte seraient, je pense, les bienvenus et extrêmement utiles. J'invite les membres du comité à ne pas se laisser limiter par le libellé actuel de ce document. Ce n'est qu'un exemple de ce à quoi une charte pourrait ressembler.
Ma déclaration préliminaire doit s'arrêter là. Je m'en remets à vous, madame la présidente.
La présidente : Merci, sénateur.
Le sénateur Wallin : Il est intéressant que nous ayons cette discussion maintenant que notre pays a sa charte des droits depuis 30 ans. Cela soulève certaines questions évidentes. Un défaut que nous constatons dans cette charte est sans doute qu'elle reflète les idées et les enjeux qui étaient alors d'actualité. Cela peut susciter certaines questions.
Également, cela fait 30 ans que nous allons devant les tribunaux pour essayer d'établir ce qu'on a vraiment voulu dire ou même de définir la charte sans parler du fait qu'elle peut être contestée devant les tribunaux. Cela faisait simplement partie du processus de définition. Avec des choses comme les clauses d'exemption, que faites-vous si un pays, qui est accepté au sein de l'organisation, change ensuite de comportement? Je suis sûre que vous vous êtes penchés sur certaines de ces questions. Parlez-nous un peu de ces idées.
Le sénateur Segal : Merci, sénateur.
L'application de cette charte ne ressemblerait en rien à une charte constitutionnelle des droits et libertés comme celle que nous avons au Canada. Les parlementaires du Commonwealth qui sont ici n'ignorent pas que le Commonwealth ne légifère pas pour ses membres. Tous les pays sont souverains et prennent leurs propres décisions. Comme nos collègues de la fonction publique l'ont mentionné, c'est vraiment un document d'inspiration et d'aspiration. C'est un document emblématique des valeurs auxquelles nous souscrivons. Nous ne pensons pas que la charte pourrait être invoquée avec succès devant les tribunaux. Quand nos collègues des Affaires étrangères ont parlé des pays qui avaient des réserves, ce sont les pays qui ont réfléchi à votre question — si je puis dire — quant à savoir comment éviter d'imposer de nouvelles responsabilités juridiques alors que nous en avons déjà trop. Les pays diront : « Le Conseil des droits de l'homme des Nations Unies nous envoie un questionnaire à remplir. Nous sommes un petit pays qui doit aussi remplir les questionnaires du FMI et de diverses autres organisations. » Certains de ces pays ont des petits ministères des Affaires étrangères. Ils n'ont pas beaucoup de personnel et n'ont pas besoin qu'une association volontaire comme le Commonwealth leur impose un fardeau supplémentaire.
À cet égard, votre question est tout à fait pertinente. Tous les conseils que le comité pourrait donner pour que le Commonwealth n'aille pas empiéter dans cette autre sphère, si je puis dire, seraient bien accueillis par un bon nombre des pays membres.
En ce qui concerne les sanctions et les exemptions, il suffit de penser à notre propre perception historique du Commonwealth et aux voies dans lesquelles il s'est engagé. Nous nous souviendrons de son engagement à l'égard de l'apartheid et de la façon dont le Canada a appuyé très énergiquement les États de première ligne sous les gouvernements des premiers ministres Mulroney et Trudeau. Les premiers ministres de cette époque-là étaient en contact direct avec Mandela, au sujet des diverses étapes et avec De Klerk, dans le camp adverse, en Afrique du Sud.
En réalité, le seul pouvoir du Commonwealth, en plus des choses positives qu'il peut faire dans le cadre de certaines de ses organisations, est le pouvoir d'exclure et de sanctionner. Quand le Pakistan et ses dirigeants n'ont pas pu résoudre le conflit entre un leadership militaire et un leadership démocratique, il a été suspendu du Commonwealth jusqu'à ce qu'il le fasse. Fidji est encore sous le coup d'une suspension. Pour toutes sortes de raisons, le Zimbabwe est en dehors du Commonwealth, simplement parce qu'il s'est clairement écarté de ses valeurs et à cause de ce qu'a fait son gouvernement.
La question est la suivante : voulons-nous que la charte soit l'un des phares qui guideront le Groupe d'action ministériel du Commonwealth lorsqu'il se réunira pour étudier tel ou tel pays ou telle série d'événements? J'estime qu'il serait extrêmement utile que la charte soit un des éléments jouant ce rôle. Si c'est sa fonction, elle intégrera les principes que les chefs de gouvernement ont déjà tous acceptés — la Déclaration de Harare, la Déclaration de Port-of-Spain au sujet de la démocratie, de la primauté du droit, de l'équité entre les sexes, et cetera. C'est de cette façon qu'elle sera utilisée. C'est de cette façon qu'elle pourrait être utilisée en ce qui concerne les exemptions.
Il arrive parfois que des pays du Commonwealth soient priés de partir ou soient suspendus. D'autres pays sentent le vent tourner et décident de partir d'eux-mêmes, comme c'était le cas du Zimbabwe qui a reproché à l'organisation de n'être rien d'autre que le prolongement du colonialisme britannique. Néanmoins, le résultat est le même et ces pays sont exclus. Au moment où nous parlons, il y a au Zimbabwe des groupes qui cherchent des moyens de réintégrer le Commonwealth, car nous avons pour politique, comme notre présidente s'en souviendra vu ses nombreuses années de service à l'Association parlementaire du Commonwealth, que nous pouvons fermer la porte à un pays qui a enfreint les règles de base de la démocratie, mais que nous gardons toujours une chandelle à la fenêtre pour les peuples du Commonwealth. C'est pourquoi notre rapport s'intitulait Un Commonwealth des peuples, pas seulement pour les gouvernements, mais pour les peuples que nous essayons tous de servir.
[Français]
Le sénateur Nolin : Sénateur Segal, vous avez répondu à certaines de mes préoccupations et je vous en remercie.
Monsieur Nicoloff, le témoin qui vous a précédé, faisait un peu la comparaison entre le monde de la common law et le monde plus républicain. Cela m'étonne de voir un groupe qui a en commun la common law se diriger vers la rigidité de la république. Maintenant, votre première réponse m'éclaire. Je comprends que ce n'est pas ce que vous voulez.
J'ai ouvert le texte du traité de Washington pour me rafraîchir la mémoire. Ce traité a donné naissance à l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord qui comporte uniquement 14 articles, mais remplie d'obligations. C'est très rassembleur pour les premiers membres et ce l'est devenu pour les 28 qui forment maintenant l'alliance. Donc, les pays ont choisi une approche rigide dans un traité en disant voici ce à quoi on croit, voici nos valeurs et voici ce que l'on s'impose comme règles dorénavant en matière de sécurité collective. Je comprends que ce n'est pas ce que vous voulez.
[Traduction]
Ce n'est pas ce que vous visez. Ce que vous voulez, c'est plutôt un document collectif qui va rassembler l'ensemble des valeurs et des principes qui guident collectivement les pays formant le Commonwealth. Ai-je raison? Vous ne voulez pas d'un traité. Vous voulez un document qui vous guidera à l'avenir. Si je comprends vos intentions, vous ne voulez pas de quelque chose comme l'OTAN. Vous voulez un document plus souple, conforme à la tradition de la common law, une convention qui évolue avec le fil de l'histoire. C'est ce que vous voulez.
[Français]
Le sénateur Segal : Vous avez totalement raison. Comme vous le disiez, la grande différence entre l'OTAN et le Commonwealth, c'est que l'OTAN est définie par un traité. C'est clair, fondamental. Le Commonwealth, aucun traité, aucun contrat, même aucun accord sauf qu'on a des membres bénévoles du Commonwealth parce qu'ils veulent être associés au club pour une raison ou une autre; des raisons de développement, d'histoire, d'opportunité, d'éducation et peut-être, la renommée du Commonwealth en tant qu'organisation mondiale importante.
[Traduction]
Vous avez parfaitement raison; il ne s'agit absolument pas de mettre en place un traité.
Cela dit, comme nous le savons au Canada, la combinaison de traditions comme la tradition républicaine où tout était bien précisé par écrit, les chartes des droits et libertés, les constitutions détaillées et la tradition britannique, où presque rien n'est consigné par écrit — qui fonctionne entièrement en fonction des précédents — est une chose que nous avons réussi, au Canada, à intégrer dans des négociations concernant le rapatriement de la Constitution.
Le principe que nous suivons ici est que, même si nous ne voulons pas d'un traité ou d'un document à la républicaine qui serait très précis, un peu plus de clarté, une façon plus succincte de décrire ce qu'est le Commonwealth et quels sont les principes qu'il défend auraient une valeur éducative générique dans l'ensemble du système. Le fait que la charte pourrait être accrochée au mur des classes de l'Ouganda à Kuala Lumpur, le fait que ce serait un instrument de commercialisation...
Le sénateur Nolin : Un document que l'homme de la rue comprendrait.
Le sénateur Segal : Absolument.
Le sénateur Nolin : Dans le cercle de l'OTAN, c'est ainsi que nous décrivons ces documents. Donnez-moi quelque chose de court, de précis et que tout le monde peut comprendre.
[Français]
Le sénateur Segal : Voilà le principe fondamental. C'est pour cette raison que les chefs du gouvernement, à Perth, n'ont pas approuvé le contenu qui était là. Ils ont plutôt opté d'obtenir les conseils des pays du Commonwealth ayant une plus grande expérience pour trouver une meilleure façon de procéder.
Le sénateur Nolin : Au Canada, le fait de nous être dotés d'un document constitutionnel contraignant, soit la Charte, était, pour les non-Québécois, — et l'histoire nous montrera que les Québécois ne l'ont pas acceptée — quelque peu anathème de se contraindre à accepter un document républicain dans un pays qui évolue avec la coutume et l'évolution du précédent, soit la common law. Vous voyez l'évolution à laquelle faisait référence ma collègue au début. Vous allez devoir convaincre les autres pays du Commonwealth du bienfait de ce mariage, qui n'est pas évident à l'origine. La preuve est que le Québec n'y a pas encore dit oui politiquement. Même si légalement le Québec est lié par la Charte, il n'en reste pas moins que politiquement les Québécois n'ont pas encore accepté.
Le sénateur Segal : Le Canada peut agir de façon constructive dans toutes ces discussions, au nom de ses ministres et fonctionnaires, car il connaît précisément le problème que vous venez de souligner. Nous sommes un acteur important, le deuxième pays en importance dans le Commonwealth et dans la Francophonie. Cela nous permet de faciliter la compréhension au sein des deux organisations et faire avancer les choses. Un des défis constitue à trouver une façon de concevoir une charte, pour profiter de cette opportunité de façon positive, qui ne créera pas des lacunes, mais qui sera une plateforme pour faire avancer les buts de l'organisation.
Le sénateur Nolin : Lorsque les chefs d'États se sont réunis à Washington pour rédiger le traité, le Canada a exigé ce qu'on a appelé « l'article du Canada », soit l'article 2. Ce traité parlait de défense, et le Canada a dit que l'on doit parler plus que de défense. On doit parler de sécurité, de paix et d'intérêts économiques que nous pouvons projeter en étant unis derrière un traité de défense.
Il existe de bons exemples dans l'histoire qui pourront vous aider à trouver des solutions.
[Traduction]
Le sénateur Jaffer : Sénateur Segal, je vous remercie pour vos observations et pour vous être chargé de cette tâche très difficile au nom des Canadiens.
En me préparant pour cette séance et en réfléchissant à la charte, la première chose qui m'est venue à l'esprit est qu'il faut examiner quelles sont les valeurs du Commonwealth. Quelles étaient les valeurs communes avant que vous ne commenciez ce travail et depuis? S'entend-on sur certaines valeurs? Il y a divers pays qui ont diverses difficultés, mais comme nous avons tous fait partie de l'empire britannique, nous avons des valeurs communes. Je voudrais que vous nous disiez ce que vous considérez comme les valeurs communes au sein du Commonwealth.
Le sénateur Segal : Merci. Je pense que les Canadiens — cela répondra aussi un peu à la question du sénateur Downe — voient le Commonwealth comme une organisation que je qualifierais de préventive et de constructive. Quand il y a trop de morts, nous nous tournons alors vers l'OTAN ou le Conseil de sécurité des Nations Unies, lorsqu'il y a des enjeux militaires et autres.
Une des choses que les pays civilisés peuvent faire et pour lesquelles on peut les aider et les encourager, c'est éviter ces situations extrêmes et de bâtir une base d'activité démocratique, de civilité, de respect pour la diversité, les droits et la primauté du droit, ce qui constitue le cadre dans lequel les peuples peuvent résoudre leurs difficultés. Bien des gens diraient sans doute que c'est la force de la tradition britannique de Westminster. L'héritage de cette tradition n'est pas entièrement positif, mais il l'est en grande partie.
Si vous parlez comme je l'ai fait avec sir Alan Haselhurst, qui dirige l'Association parlementaire du Commonwealth, la question qu'il pose est comment établir un lien entre les parlementaires afin que ces valeurs soient partagées, les valeurs qui respectent la diversité, les droits de la personne, la primauté du droit ainsi que le développement, les débouchés économiques et la démocratie? La théorie selon laquelle le développement et la démocratie vont main dans la main est récente, mais cela fait des décennies que le Commonwealth travaille dans ce sens grâce à une technique et à d'autres programmes.
J'hésite à utiliser ce mot, mais c'est presque une organisation prophylactique qui est là pour empêcher que des mauvaises choses arrivent et quand elle fait son travail efficacement, les pays qui en sont membres progressent sur la voie du développement ou travaillent avec d'autres pour faciliter ce processus. Mais surtout, nous rejoignons les différentes générations, religions, couleurs de peau, continents et modes de vie différents pour partager ces valeurs communes. Voilà, à mon avis, ce que le Commonwealth a représenté jusqu'ici.
À l'avenir, le défi sera de voir comment aider cette organisation à utiliser ces valeurs dans le contexte de la vie quotidienne des 2,2 milliards de personnes qui vivent dans ses pays membres. Comment apporter une contribution vraiment utile sous la forme d'une présence éducative et d'une aide au développement?
J'ai eu le grand privilège de visiter l'école de l'Aga Khan, à Dar. Dar est une ville, comme vous le savez mieux que la plupart des gens, où il y a un grand nombre de différences importantes et de divergences, mais on pouvait voir des enfants de toutes les origines et de tous les milieux bénéficier de ces merveilleuses possibilités avec des professeurs exceptionnels. Il y avait un directeur d'études à la retraite de Scarborough, en Ontario, qui était ravi de travailler là gratuitement, sans rémunération, pour apporter son aide. C'est le genre de choses que j'aimerais que le Commonwealth représente et fasse.
Il me semble évident qu'un énoncé de valeurs parlant de ces choses aiderait à promouvoir la présence de l'organisation sur le terrain de façon constructive, dans la vie des gens.
Le sénateur Jaffer : Merci, sénateur. Vous nous avez certainement donné une idée des valeurs que partagent les membres du Commonwealth et je suis convaincue que le Commonwealth a un très grand rôle à jouer. Il aide aussi le Canada. Il ne se contente pas de nous aider. Il occupe une place importante dans notre existence.
Certains d'entre nous aiment la charte que nous avons au Canada, certains ont des réserves, certains disent qu'elle date d'une autre époque; au Canada, toutes sortes de choses tournent autour de la charte. La charte du Commonwealth dont vous parlez ne peut pas être invoquée pour poursuivre quelqu'un devant les tribunaux. N'envisagez-vous pas un énoncé de mission plutôt qu'une charte?
Le sénateur Segal : Le processus de consultation permet certainement d'émettre des opinions à ce sujet. L'idée selon laquelle cela pourrait être un énoncé de principes fondamentaux, un énoncé des valeurs du Commonwealth est parfaitement envisageable, je pense. Je sais que le mot « charte » est lourd de sens, ce qui me ramène à la question du sénateur Wallin. Ce mot a une signification commerciale comme les avocats qui sont ici le savent, lorsqu'on parle de la charte d'une société.
Nous vivons dans un monde où les églises ont des plans d'affaires et où les oeuvres de bienfaisance ont des énoncés de mission. Nous allons probablement devoir réfléchir à ce qui serait la meilleure appellation. Votre observation me semble tout à fait pertinente.
Le sénateur Jaffer : Pour continuer sur le sujet de cette charte en tant qu'énoncé de mission, ce n'est pas tant le libellé qui m'intéresse que ce que nous essayons de faire. Nous essayons de parvenir à une sorte d'entente sur ce que sont les valeurs au sein du Commonwealth. Jusqu'ici, la tradition britannique repose sur des conventions. Vous n'écrivez pas les choses noir sur blanc; vous suivez simplement des conventions. Dans ce cas-ci, le Commonwealth s'oriente peut-être vers le modèle canadien des conventions en consignant certaines choses par écrit.
N'envisagez-vous pas d'établir un point de référence, des normes que chaque pays devrait suivre ou devrait atteindre? Ce serait le point de référence. N'est-ce pas ce que vous envisagez?
Le sénateur Segal : Ce qu'envisageait probablement le GPE, à mon avis, ce sont des objectifs que chaque pays devrait chercher à atteindre. Le problème en ce qui concerne les normes, c'est qu'aucune des 54 démocraties n'est parfaite. Nous pourrions tous citer des problèmes qui existent sur tous les fronts dans tous nos pays. Néanmoins, il serait extrêmement utile de se fixer des objectifs en disant que c'est là où nous voulons aller, voilà le genre de société que nous essayons de construire. C'est, je crois, à quoi pensait le juge Kirby quand il a essayé de rédiger le document, par exemple.
La présidente : Sénateur Segal, j'ai quelques questions. Je comprends pour ce qui est de la valeur éducative. Si vous aviez un instrument que vous pourriez utiliser dans l'ensemble du Commonwealth, que ce soit en l'affichant au mur dans les écoles ou ailleurs, ce serait un point de ralliement reflétant les valeurs qui seront celles des générations à venir. Je suis d'accord et je vous félicite d'insister sur ce point dans votre rapport.
Mes réserves concernent l'exemple de Dar que vous avez donné. Un Canadien va travailler là-bas gratuitement. C'est une excellente chose. Je n'ai pas passé autant d'années que le sénateur Jaffer en Afrique, mais le problème est que nous continuons à promouvoir nos valeurs, notre assistance, au sein du Commonwealth. La réaction n'est pas tant celle de la population, au départ, que celle de la gouvernance, des bureaucraties, et cetera.
Nous n'avons pas fait comprendre que les valeurs dont nous parlons sont plus universelles que les anciennes valeurs coloniales. C'est ma première remarque.
L'autre est que nous n'avons pas agi vis-à-vis des nations africaines et des petits états insulaires autrement que les Nations Unies. Aux Nations Unies, quand vous êtes un petit État, vous le savez. Vous savez que vous n'avez pas de pouvoir de veto ou d'autres pouvoirs. Néanmoins, vous savez que si vous pouvez vous unir, vous pouvez disposer d'un pouvoir important à l'Assemblée générale. Le groupe des États non alignés a été un des premiers à s'en servir.
J'ai l'impression qu'il est difficile, au Commonwealth, d'être sur un pied d'égalité et de se traiter les uns les autres avec dignité. Ce gâchis historique continue d'influencer tous les leaders. Il influence le Parlement, le Parlement du Commonwealth, les chefs d'État et il s'est certainement cristallisé à l'égard du Zimbabwe. N'est-il pas ironique que Mugabe ait présidé à l'adoption de la Déclaration du Zimbabwe dans les années 1980 et que nous ayons invoqué la Déclaration du Zimbabwe pour l'obliger à suivre les règles. Le retrait du Zimbabwe est le résultat d'une volonté politique.
À quoi rimait cette déclaration s'il faut de nouveau imposer une volonté politique?
Comment faire sentir à tous les pays qui étaient émergents à l'époque ou qui sont émergents maintenant que leur parole et leur façon de vivre comptent autant que celles des autres dans le contexte des droits de la personne et de la démocratie? Il y a des chefs de gouvernement qui s'égarent, mais il y a une organisation qui veut discuter commerce avec nous, qui représente différentes formes de diversité et qui nous demande : Que faites-vous avec vos Autochtones, que faites-vous de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones? Il y a eu une discussion à ce sujet avec le Canada et l'Australie. On en discute maintenant au Kenya. Je voudrais que ce document d'inspiration confère la même force à tout le monde, que l'on soit un petit pays ou un grand pays et que le Canada ne se contente pas de belles paroles.
Vous avez dû vous poser la question et essayer de la résoudre. Comment produire un document d'inspiration qui nous place tous sur le même niveau aujourd'hui, en oubliant le passé?
Le sénateur Segal : Pour citer les gens des Affaires étrangères, c'est une très bonne question à laquelle il est très difficile de répondre. Je n'attendais pas moins de notre présidente.
J'aurais deux choses à dire. Comme vous le savez, dans nos recommandations du GPE, nous avons parlé de consolider le bureau des petits États que le Commonwealth a à Genève et à New York, afin d'aider les petits États à faire face à la complexité de l'OMC, à traiter avec les Nations Unies en obtenant les compétences et l'aide nécessaires pour qu'ils puissent défendre efficacement leurs intérêts. Dans notre rapport, nous avons parlé d'assurer une représentation efficace afin que les règles de financement de la Banque mondiale et du FMI n'excluent pas les petits États. Nous avons parlé de faire en sorte qu'ils soient traités équitablement et que le Commonwealth en fasse un de ses engagements. En ce qui concerne les changements climatiques, nous avons parlé de pratiques exemplaires et d'établir pour cela, au sein du secrétariat, une section opérationnelle commune qui réunira un grand nombre de petits États. Cela garantira qu'ils seront traités équitablement d'un bout à l'autre du processus.
Selon moi, l'intérêt de cette charte ou de cet énoncé de mission, selon le cas, serait que son texte exprimerait officiellement l'égalité entre les États les plus petits et les plus grands, les plus riches et les plus pauvres, le fait que nous faisons tous partie de la famille du Commonwealth et que nous devons tous travailler ensemble.
Prenons, par exemple, la façon dont le GAMC travaille. J'ai eu le privilège d'en faire partie la semaine dernière et il y avait là la Tanzanie, l'Australie, le Canada et le Vanuatu qui est peut-être un des plus petits États au monde. Ces pays étaient tous sur un pied d'égalité. Ils ont pu s'exprimer autant les uns que les autres en ce qui concerne la teneur du communiqué et la teneur de la décision.
Peut-être faudrait-il que ce document soit beaucoup plus explicite au sujet de cette égalité d'opportunités entre les pays petits et grands pour traduire ce que vous dites. Il faudrait probablement remédier à cette lacune pour que le document ait les effets que nous espérons qu'il aura s'il est bien rédigé.
La présidente : Il y a deux autres questions auxquelles j'ai réfléchi. Compte tenu de toutes les années que vous avez passées ici, sur la Colline, à divers titres, vous savez combien le Parlement est important pour assurer une bonne gouvernance, la démocratie et la primauté du droit. Cette charte pourrait-elle faire comprendre la nécessité, ce qui n'est pas souligné, d'accorder un rôle aux parlementaires? Nous parlons des chefs d'État, de la société civile, mais il me semble que nous ne parlons pas beaucoup du rôle important du Parlement.
Prenons le NEPAD, le document. Il ne disait pas un mot au sujet des parlementaires. Il parlait du gouvernement. Il parlait des citoyens. Si vous utilisez ce texte comme outil éducatif, s'il doit servir de norme, il faut que le Parlement ait un rôle à jouer pour que les efforts aboutissent.
Deuxièmement, un enfant du Malawi ne peut-il pas rejoindre un enfant canadien avec un téléphone ou un autre gadget? La situation a beaucoup changé depuis l'époque où nous avions des bourses, où nous faisions venir les gens ici et où nous allions à l'étranger avec le CUSO. Ne devrions-nous pas faire de ce genre de charte un outil éducatif pour établir le lien entre ces enfants qui seront inévitablement plus égaux dans le monde que les générations précédentes d'enfants du Commonwealth?
Le sénateur Segal : Merci pour cette question, madame la présidente. Je peux vous dire que lorsque j'ai rencontré sir Alan Haselhurst, qui a été élu à la tête de l'Association parlementaire du Commonwealth, nous partagions le même souci à l'égard des recommandations concernant un processus plus détaillé pour l'observation des élections. Je vais vous donner un exemple.
La vice-première ministre de la Barbade dirigeait la mission d'observateurs en Ouganda. Elle s'appelle Billie Miller et elle a fait un excellent rapport disant que la journée des élections méritait une note d'environ 6 ou 7 sur 10. L'organisation générale du pays en ce qui concerne les règles de financement de la campagne électorale et les relations entre les ministères et les partis politiques était nettement en dessous des normes d'équité. Par conséquent, elle a dit que le Commonwealth devrait travailler avec l'Ouganda pour améliorer son processus d'ici les prochaines élections. Museveni a remporté de nouveau une importante majorité à ces élections.
Nous reconnaissons tous les deux qu'il n'est pas possible de jouer un rôle plus important en envoyant des observateurs sur place plus tôt, pendant plus longtemps et en publiant leur rapport à moins qu'ils ne soient dirigés par des parlementaires. Il faut qu'ils soient dirigés par des parlementaires qui ont été élus dans d'autres pays du Commonwealth afin d'avoir la légitimité nécessaire pour faire rapport de ce qu'ils constatent, parce qu'ils comprennent ce qu'ils voient, parce qu'ils sont des parlementaires.
Une des grandes difficultés vient de l'incapacité des secrétariats du Commonwealth en tant qu'organisations intergouvernementales et du Secrétariat parlementaire du Commonwealth à Marlborough House de travailler ensemble. J'ai constaté, avec une certaine déception, qu'ils se soucient davantage de leur statut, de savoir qui sera le premier ou le second, qui a un drapeau sur sa voiture, de questions qui n'ont rien à voir avec les résultats. Heureusement, on peut dire que sir Alan Haselhurst, qui est à la tête de l'Association parlementaire du Commonwealth, partage tout à fait cet avis. Il a demandé ce que l'association pourrait faire pour donner suite à certaines recommandations essentielles qui sont encore en veilleuse. Ces renseignements ont été échangés. Si cela fonctionne bien, il y aura une nouvelle coopération entre les parlementaires et le Commonwealth, ce qui a été problématique jusqu'ici, pour des raisons que je ne comprends pas très bien et que vous comprenez sans doute mieux que moi.
Nous avons examiné le Commonwealth de très près, en tant qu'organisation qui communique avec des gens âgés de 50, 40, 30 ou 20 ans. Nous n'étions pas satisfaits de ce que nous avons constaté. Par exemple, le Groupe d'action ministériel du Commonwealth a tenu d'excellentes réunions sur les Maldives et a émis un communiqué. À moins de vous intéresser vraiment aux Maldives, vous ne saurez pas ce qui s'est passé la semaine dernière. Cela ne correspond pas aux réalités d'aujourd'hui. Le Canada estime qu'il faudrait adopter un mode de communication numérique, diffuser de l'information pour l'adolescent du Malawi à la recherche d'un tas de choses concernant la culture, la politique, la formation, les voyages, la carrière, un hublot sur le Commonwealth auquel il pourra se connecter pour obtenir des renseignements utiles. Cela n'existe pas. Tant que cela n'existera pas, nous sommes convaincus que l'organisation sera confrontée à une tendance démographique qui ne va pas l'aider. Ce que vous avez dit à ce sujet reflète largement les craintes et les aspirations du Groupe de personnalités éminentes.
Le sénateur D. Smith : Ce n'est pas une grande question, mais je ne peux pas oublier le passé, car je suis fana d'histoire. En ce qui concerne l'évolution de ces valeurs fondamentales qui figurent dans l'ébauche de texte et que je trouve très louables, dans un de nos documents d'information, il y a la liste des expulsions où figurent le Nigeria, le Sierra Leone, Fidji qui a été suspendu environ trois mois après que la conférence de l'APC ait eu lieu là-bas, le Pakistan et le Zimbabwe qui ont été suspendus.
Si l'on remonte un peu plus loin, vous connaissez peut-être la réponse à cette question. L'Afrique du Sud n'a-t-elle pas été suspendue au pire moment de l'apartheid? Je pense que oui. Le sénateur Jaffer le sait sans doute, mais l'Ouganda n'a-t-elle pas été mise à la porte du temps d'Idi Amin ou quelqu'un le sait-il?
Le sénateur Segal : Je ne connais pas la réponse pour l'Ouganda.
Le sénateur Jaffer : Il n'a pas été expulsé.
Le sénateur Segal : Je pense que Jawaharlal Nehru et M. Diefenbaker ont allié leurs efforts sur le dossier de l'Afrique du Sud. Ils ont produit une situation qui a forcé l'Afrique du Sud à se retirer. Tel était l'objectif visé. Le Canada s'est toujours allié avec nos amis indiens pour appuyer les pays de première ligne. Quand le vote a eu lieu, des trois pays ABC — l'Australie, la Grande-Bretagne et le Canada —, le Canada a été le seul à soutenir les pays de première ligne. Tous les autres se sont laissés prendre par d'autres considérations anti-communistes voyant l'Afrique du Sud comme un rempart contre l'expansionnisme soviétique, et cetera. Le Canada a maintenu son appui aux pays de première ligne, ce qui lui vaut actuellement d'excellentes relations avec ces pays, comme notre présidente, ancienne haut-commissaire au Kenya, le comprendra, grâce à la position que nous avons prise il y a des décennies.
Le sénateur D. Smith : Je suis heureux que vous le confirmiez, car je pensais que ce pays avait dû se retirer. Il est toutefois incroyable que l'Ouganda n'ait pas été mis à la porte du temps d'Idi Amin, car les choses allaient mal.
Le sénateur Segal : J'ignore quelle est la réponse, mais je vais laisser cela au sénateur Jaffer, qui la connaît sans doute.
La présidente : Sénateur Segal, vous avez été un excellent témoin. Vous nous avez fourni plus de renseignements que nous ne pouvons en digérer pendant le peu de temps dont nous disposons. Vous avez lancé un défi au Commonwealth et vous en avez mis une partie entre nos mains. Je suis certaine que vous allez suivre nos travaux et n'hésitez pas à nous faire part de vos opinions. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire qu'il vaut la peine de sauver le Commonwealth, mais il s'agit de voir comment. Si nous pouvons contribuer à motiver les dirigeants et citoyens du Commonwealth, nous aurons rempli notre mission. Vous avez certainement rempli la vôtre. Merci.
Le sénateur Segal : Merci, madame la présidente.
(La séance est levée.) |