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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

OTTAWA, le jeudi 29 septembre 2011

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 35 pour examiner, afin d'en faire rapport, les faits nouveaux en matière de politique et d'économie au Brésil et les répercussions sur les politiques et intérêts du Canada dans la région, et d'autres sujets connexes.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international continue aujourd'hui d'examiner, afin d'en faire rapport, les faits nouveaux en matière de politique et d'économie au Brésil et les répercussions sur les politiques et intérêts du Canada dans la région, et d'autres sujets connexes.

Nous avons entendu des témoins de divers horizons et nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui M. Robert Wood. M. Wood travaille à l'Economist Intelligence Unit depuis 1997. Il se spécialise dans les risques liés à la souveraineté, aux devises et aux banques en Amérique latine. Il est responsable de la couverture de la plupart des grandes économies de la région, particulièrement le Brésil. C'est pourquoi nous sommes très heureux qu'il soit ici afin de contribuer à notre étude.

Il a étudié le développement économique et politique de l'Amérique latine et possède des diplômes de l'Université de Bristol et de l'Université du Sussex.

Nous sommes très heureux de votre présence parmi nous. Je sais que vous en savez beaucoup sur notre étude et sur certains de nos témoins, et nous avons hâte d'entendre vos observations. Soyez le bienvenu au comité.

Robert Wood, rédacteur principal/économiste, Economist Intelligence Unit : Merci. Au nom de l'Economist Intelligence Unit, c'est un honneur que d'être convoqué pour témoigner devant le comité sénatorial au sujet du Brésil.

Comme vous l'avez dit, je travaille pour l'Economist Intelligence Unit depuis plus d'une décennie, à étudier les pays d'Amérique latine et, au cours des trois dernières années, à me spécialiser surtout sur le Brésil. J'aimerais faire quelques observations préliminaires très brèves sur les politiques et le rendement économiques et sur l'environnement politique au Brésil et ensuite, je parlerai des affaires étrangères. Enfin, vous pourrez me signaler vos sujets d'intérêts principaux et nous allons continuer à partir de là.

En ce qui concerne la politique économique, le Brésil a stabilisé son économie au cours des 10 à 15 dernières années. Il a également mis en oeuvre un cadre de politique macro-économique relativement solide qui a ouvert la voie à des taux de croissance plus élevés que dans le passé. Cela a également rendu l'économie plus résistante aux chocs en provenance de l'extérieur, comme on a pu le voir après l'effondrement de la banque Lehman Brothers à la fin de 2008. Si vous voulez, on peut dire que le Brésil n'a pas trop souffert de la crise.

Ce cadre de politique macro-économique, que d'autres grands pays d'Amérique latine ont également mis en oeuvre, comprend un régime de ciblage de l'inflation, un taux de change flottant, qui est géré jusqu'à un certain point, surtout au cours des derniers temps alors que le Brésil fait face à des pressions pour apprécier sa devise, ce qui préoccupe les décideurs et, pour ancrer le tout, une orientation budgétaire relativement prudente. Ce sont les trois piliers du cadre de politique macro-économique du Brésil. Comme vous le savez, le Brésil a connu une période d'inflation galopante à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Ce cadre de politique, qui est entrée en vigueur sous l'ancien président Henrique Cardoso au milieu des années 1990, a aidé l'économie du Brésil à croître plus rapidement.

En ce qui concerne les politiques économiques autres que les politiques macro-économiques, le Brésil semble poursuivre une politique industrielle relativement active. Bien que ce pays ait toujours eu un modèle économique relativement mixte, nous avons vu ces derniers temps une volonté plus forte de poursuivre des politiques industrielles actives. Nous pouvons le voir par le biais du rôle très vigoureux que joue la banque de développement nationale en mettant des prêts à la disposition de différents secteurs de l'économie et, dans une certaine mesure, en adoptant une politique de promotion de champions nationaux non seulement au Brésil, mais également auprès des entreprises brésiliennes qui désirent faire du commerce et des investissements à l'étranger.

Pour ce qui est de la politique commerciale, à titre de membre du Mercosur, le Brésil est lié, dans une certaine mesure, par les dispositions des politiques du Mercosur, alors, il n'a pas été en mesure et n'a pas cherché à s'engager dans cette voie. En ce qui concerne la conclusion d'accords de libre-échange bilatéraux, des pays comme le Chili et le Mexique ont eu beaucoup de succès et ils ont toute une panoplie d'accords de libre-échange qui les ont aidés à accroître leur commerce. Le Brésil, par l'intermédiaire du Mercosur, a été moins actif dans ce rôle, mais a plutôt cherché à s'engager dans une approche multilatérale par l'intermédiaire du cycle de négociations commerciales de Doha. Pendant de nombreuses années, le Brésil, dans le cadre du Mercosur, a eu des discussions avec l'Union européenne concernant la formation d'un bloc bilatéral entre le Mercosur et l'UE, mais ces discussions n'ont abouti nulle part. Les préoccupations du Mercosur portent plus spécifiquement sur l'accès au marché de l'Union européenne pour les produits agricoles.

En ce qui concerne le rendement économique, le Brésil arrive au septième rang des économies dans le monde, ayant dépassé le Canada il y a quelques années. Il s'agit d'une économie de l'ordre de deux trillions de dollars et plus. Selon nos prévisions à l'Economist Intelligence Unit, d'ici 2030, le Brésil pourrait bien s'élever au quatrième rang des économies dans le monde, dépassant le Japon, derrière la Chine, les États-Unis et l'Inde. Au cours de la prochaine décennie, le Brésil devrait également se hisser au cinquième rang à ce chapitre.

Au cours des dernières années, grâce au cadre macro-économique amélioré, nous avons vu une croissance plus rapide, le taux de croissance, qui était de 2,5 p. 100 dans les décennies précédant 2003, époque où le Brésil essayait toujours de stabiliser son économie, est passé à 4 et à 4,5 p. 100, et même un peu plus. Bien que le taux de croissance potentiel du Brésil soit de toute évidence toujours à la merci des aléas de l'économie mondiale, je suis d'avis que le Brésil pourrait connaître sans trop de difficultés une croissance de 4,5 p. 100 au cours des cinq prochaines années.

Au cours des dernières années, on a constaté une croissance rapide aussi bien des exportations que des importations. Le Brésil a eu bien de la chance que le prix de ses biens d'exportation ait augmenté de manière vertigineuse grâce à la demande chinoise. Nous voyons cela comme un facteur d'appui positif pour la Chine à moyen et à long terme.

Les investissements directs étrangers ont également pris leur envol, non seulement les IDE vers le Brésil — 48 milliards de dollars d'IDE entrant l'an dernier —, mais également les IDE faits par des entreprises brésiliennes participant à des activités de fusion et d'acquisition dans des pays étrangers dont, évidemment, le Canada. Vous pouvez vous attendre à ce que ces tendances se consolident à moyen et à long terme alors que le Brésil deviendra la cinquième, puis la quatrième économie la plus importante dans le monde.

Brièvement, concernant les politiques, parce que je pense que le Sénat s'intéresse davantage à l'économie et à la politique économique, le Brésil a vu une consolidation de sa démocratie depuis la fin du régime militaire au milieu des années 1980. Il reste encore beaucoup de travail à faire, particulièrement en matière de renforcement des institutions politiques et de lutte contre la corruption dans la fonction publique, mais il semble que les choses vont dans la bonne direction.

Un des principaux problèmes du système politique brésilien, c'est que la structure des partis politiques est très fragmentée, plus de 20 partis étant représentés au Congrès national. Il y a également beaucoup de politique régionale, ce qui vient compliquer le tableau d'ensemble. La structure très fragmentée du congrès signifie qu'il est difficile pour les décideurs d'entreprendre des réformes radicales ambitieuses et de les faire adopter par le Congrès national. Sous le gouvernement Rouseff, nous voyons une tentative pour pousser de l'avant des réformes progressistes sur une base très graduelle. Certaines réformes structurales seraient avantageuses pour le Brésil à plus long terme, et certaines questions doivent être résolues.

Au chapitre des affaires étrangères, en conformité avec l'accroissement de son économie, le Brésil a cherché à jouer un rôle plus important sur la scène internationale, particulièrement au sein du G20. Le Brésil veut vraiment faire valoir son poids sur la scène mondiale. Comme vous le savez sans doute, le Brésil aspire à un siège permanent au sein d'un Conseil de sécurité élargi de l'ONU.

Voilà pour ma déclaration préliminaire.

La présidente : Merci. Vous avez traité de nombreux éléments qui nous préoccupent.

Le sénateur Downe : Dans votre évaluation, où le Canada se situerait-il dans les priorités du Brésil?

M. Wood : Est-ce en termes de marché d'exportation et d'investissements étrangers?

Le sénateur Downe : Tout gouvernement se fixe des priorités. Le Brésil exerce une présence de plus en plus grande et il s'agit de la plus grande présence en Amérique du Sud. Il essaie d'établir des liens avec la Turquie, l'Égypte et d'autres pays sur des questions différentes. Je suppose que ma préoccupation, c'est de savoir combien loin se situe le Canada sur la liste des choses que le Brésil entend réaliser.

M. Wood : Au cours des dernières années, le Brésil, en particulier sous l'administration de l'ancien président Lula da Silva, a mis de l'avant une politique stratégique de coopération Sud-Sud. Cela fait partie d'un projet politique issu de son parti de travailleurs et a pour objectif de combler le désir politique de s'affranchir davantage des économies avancées comme un moyen de catapulter le Brésil sur la scène mondiale en faisant en sorte qu'il joue un rôle plus important au sein du BRIC, par exemple. Bien qu'ils soient nombreux au sein du BRIC à avoir des intérêts nationaux différents, le Brésil estime qu'en tant que bloc, il serait peut-être en mesure d'avoir plus de poids par rapport aux économies avancées dans le but de réformer, par exemple, les institutions financières internationales. Je pense que cela a été un des intérêts du Brésil.

Ma spécialisation ne porte pas sur le Canada, mais je crois comprendre que le Canada a été assez actif au sein du G20. Le Brésil a également été très actif pour essayer d'obtenir plus de pouvoirs pour le G20, par opposition au G7. En fin de compte, cela dépend du gain de pouvoirs à l'échelle mondiale, mais si le Canada appuie les aspirations du Brésil qui veut jouer un rôle plus important, alors, je pense que cela serait bien accueilli par les Brésiliens.

Plus généralement, il y a des secteurs économiques où le Canada et le Brésil ont des intérêts assez complémentaires. Je pense à l'agriculture, à l'énergie et aux énergies renouvelables. Nous avons constaté cela au moment de la visite du premier ministre Harper à Brasilia au mois d'août et où Mme Rousseff a manifesté l'intention de venir au Canada. Nous constatons de toute manière des relations plus étroites entre les deux pays. Durant ces réunions, il y a eu des avancées dans le programme bilatéral et il y avait plusieurs questions qui ont déjà été choisies et qui iront de l'avant.

Le sénateur Downe : Si vous êtes du côté brésilien de la table, votre pays prend de l'essor. Du point de vue régional, votre concurrent serait le Mexique, je suppose, mais du point de vue international, vous regarderiez le Canada qui est membre du G8, mais votre économie est plus grande que la sienne. Le Brésil n'essaierait-il pas de remplacer le Canada dans un grand nombre de ces forums internationaux? Nous sommes un membre permutant du Conseil de sécurité. Le Brésil veut être un membre permanent.

M. Wood : Je dirais que le Brésil continuera de promouvoir ses propres intérêts visant à accroître son importance dans ces forums mondiaux. D'après ce que je crois comprendre, le Canada aussi aspire à un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, alors, il y aura certainement une certaine rivalité à cet égard, selon la façon dont ce conseil de sécurité sera élargi, si jamais cette mesure était adoptée.

Certainement que dans cet organisme, le Canada serait perçu comme un rival.

Le sénateur Finley : Je me suis rendu au Brésil à quelques occasions. C'est un endroit fascinant. J'aime beaucoup ce pays. J'ai certainement entendu de nombreuses prévisions très embellies au sujet du Brésil, de son économie et de sa situation commerciale dans le monde.

Cependant, j'ai récemment lu ou entendu des choses sur un certain nombre d'initiatives prises par le gouvernement brésilien, comme dans le domaine des finances, qui sembleraient indiquer qu'il y a un obstacle sérieux en ce qui concerne les perspectives d'avenir internationales de ce pays, créant presque une mentalité de siège. Je pense que votre revue a décrit cela comme étant presque une mentalité de siège. Effectivement, le Brésil a augmenté récemment le droit à l'importation des véhicules automobiles de 30 points. Il a pris d'autres mesures. Hier, l'ambassadeur Bell a utilisé trois fois le mot « irritants », tissu éponge et diverses autres choses. Si mes souvenirs sont exacts, dans votre revue, vous avez indiqué que les uniformes militaires chinois étaient un irritant majeur pour l'économie brésilienne.

Le Brésil semble commencer à ériger des barrières. Il y règne presque une mentalité du genre « Achetez brésilien ». Ces gens font tout ce qu'ils peuvent pour faire en sorte que les importations soient rares. Et en plus, il semblerait qu'ils ont pratiquement adopté une méthode chinoise par laquelle la banque centrale du Brésil offre des modalités de crédit très avantageuses afin de permettre aux entreprises brésiliennes de prendre de l'expansion à l'extérieur du pays, par exemple, dans le secteur de la transformation de la viande.

De plus, nous voyons que de nouvelles rondes de négociations salariales débutent et que les métallurgistes de São Paulo, par exemple, ont obtenu une augmentation de salaire de 10 p. 100; ce qui, dans le monde d'aujourd'hui, est très sérieux. Nous constatons également qu'ils ont modifié de manière importante le régime de propriété foncière en milieu rural au cours des 12 derniers mois. De nombreux investisseurs étrangers ont peut-être déjà perdu beaucoup d'argent dans ce marché particulier.

S'agit-il d'un simple obstacle sur la route ou est-ce que vous voyez le Brésil se cacher derrière ce qui est presque une mentalité de siège? Ce genre de choses ne m'indique pas qu'il s'agit vraiment d'un bon endroit stable et sßr où investir.

M. Wood : Dans mes observations préliminaires, j'ai parlé des décideurs, des mesures industrielles, de l'utilisation de la banque de développement nationale, de la promotion de champions nationaux. Cela a été une tendance. C'était une tendance avant l'effondrement de Lehman. Après cela, les partisans du développement, qui sont une sorte de regroupement de décideurs qui croient dans un rôle élargi de l'État dans l'économie — pas seulement la réglementation, mais également l'orientation de l'économie et aussi, la participation active dans les secteurs de production — ont été réconfortés par les politiques qui ont aidé l'économie brésilienne à sortir de la récession mondiale en 2009 et en 2010. Cela a renforcé leur position. Nous avons vu des politiques actives en matière de gestion du taux de change.

En outre, nous avons observé que la politique industrielle tendait vers un plus grand protectionnisme. Vous avez mentionné qu'une des taxes avait augmenté ce qui, en fait, accroît les tarifs appliqués aux importations destinées aux usines d'automobiles déjà établies au Brésil. Cela a soulevé quelques préoccupations.

Voilà à quoi ressemble le tableau d'ensemble : ayant remarqué que l'économie du Brésil était maintenant en plein essor ou, du moins, qu'elle croissait plus rapidement — une croissance de 4 à 4,5 p. 100 peut être maintenue à moyen terme au cours des 10 prochaines années —, les décideurs commencent à tenir compte des producteurs et des intérêts nationaux, en particulier parce qu'ils attirent énormément l'attention des pays étrangers, et à ressentir les pressions qu'ils exercent. Je pense que, dans les situations marginales, on observera des mesures protectionnistes supplémentaires, ce qui fera sourciller et inquiétera les investisseurs étrangers, dans une certaine mesure.

Cela étant dit, compte tenu de la dynamique de croissance du Brésil, de la jeunesse de sa population, du fait qu'il est en voie de devenir une économie de l'ordre de quatre billions de dollars dans les dix prochaines années et de continuer de croître, le pays sera néanmoins une destination très attrayante mais, à l'heure actuelle, les décideurs prennent activement des mesures et écoutent, par exemple, les préoccupations des usines d'automobiles établies localement. Au cours des deux ou trois dernières années, avant l'effondrement de Lehman, nous avons observé un renforcement du real brésilien et une vague d'importations provenant en particulier de la Chine. Le Brésil a une économie très diversifiée et un important secteur manufacturier. Celui-ci est très préoccupé par la vague d'importations, en particulier celles provenant de Chine, en raison de leur compétitivité et de leur incidence sur ses entreprises. Les décideurs ont écouté ses doléances et sont intervenus.

Plus tôt, avant l'application de cette taxe sur les importations d'automobiles, on a tenté de réduire les coûts d'opération de certains secteurs de l'industrie légère, comme la chaussure et le textile, qui sont les plus vulnérables à l'accroissement de la concurrence étrangère conjugué à l'appréciation du taux de change.

Pour résumer la question de la politique industrielle, je pense que les Brésiliens souhaitent voir leur économie croître et qu'ils sont prêts à prendre certaines mesures pour répondre aux pressions concurrentielles.

En ce qui concerne la politique macroéconomique, j'ai indiqué dans ma déclaration préliminaire que son cadre, qui fonctionne très bien pour le Brésil, repose sur une politique budgétaire et un ciblage de l'inflation assez prudent, mais que les politiques qu'il conjugue sont très déséquilibrées; la combinaison de la politique budgétaire et de la politique monétaire est complètement faussée. L'orientation budgétaire nettement expansionniste doit être compensée par des taux d'intérêt élevés. Il est peu probable que le gouvernement actuel déploie beaucoup d'efforts pour contribuer à réduire l'orientation budgétaire expansionniste, ce qui permettrait d'abaisser les taux d'intérêt et réduirait les pressions que subit la devise sur le plan structurel.

Récemment, nous avons remarqué qu'on avait mis un terme, peut-être prématuré, au cycle de resserrement, parce que l'inflation est supérieure à l'objectif de la banque central; chaque année, elle s'élève à 7,2 p. 100, ce qui indique que le cycle de resserrement a pris fin beaucoup trop prématurément. À la fin du mois d'août, nous avons été témoins d'une diminution-surprise des taux d'intérêt de 50 points de base. Cela a inquiété les observateurs qui craignent que, sous la pression du gouvernement, la banque centrale se mette à tolérer davantage les taux d'inflation élevés. Certains aspects de ce cadre stratégique pourraient encore être améliorés.

Le fait d'avoir des taux d'intérêt élevés accroît les pressions exercées sur le taux de change. Le Brésil a profité énormément du supercycle des produits de base, de leurs prix très élevés. Ce supercycle ainsi que les taux d'intérêt élevés ont contribué à renforcer sa devise. Au Brésil, on craint que la devise finisse par souffrir du syndrome hollandais, comme on l'appelle, et que le potentiel industriel rétrécisse. Je ne serais pas étonné qu'on prenne d'autres mesures dans des situations marginales, en particulier pendant que la devise est forte; elle a beaucoup fluctué au cours des dernières semaines.

Le sénateur Finley : Vous ne croyez pas vraiment qu'il s'agit là d'un long processus réfléchi. Nous ne sommes pas témoins d'une politique semblable à celle adoptée par John A. Macdonald, laquelle comportait des tarifs élevés. Il me semble me souvenir que le Canada est passé par là il y a longtemps.

Est-il vrai que le degré d'endettement du Brésil par rapport à son PIB est parmi les plus élevés des pays du G20?

M. Wood : Il est certainement très élevé. Je ne serais pas étonné qu'il soit le plus élevé du G20. Plus tard, je pourrais comparer ses chiffres à ceux du G20 et fournir les résultats aux membres du comité. Les dettes du Brésil sont extrêmement élevées; elles équivalent en ce moment à 6 p. 100 du PIB. Cela est lié à la combinaison de politiques très déséquilibrées, ainsi qu'aux taux d'intérêt locaux qui sont très élevés. Le taux de référence de la banque centrale est maintenant de 12 p. 100, et le marché craint que la banque centrale le réduise trop rapidement.

Comme je l'ai mentionné auparavant, bien que le Brésil ait mis en ouvre un cadre stratégique solide, sa politique budgétaire continue d'être trop expansionniste. Ce secteur n'a pas été suffisamment regroupé pour créer une combinaison plus favorable de politiques. Les taux d'intérêt élevés font augmenter le service de la dette, qui représente 6 p. 100 du PIB. L'an dernier, le service de la dette s'élevait à 5 p. 100 du PIB, parce que les taux d'intérêt étaient moins élevés au cours de l'exercice précédent. C'est beaucoup plus que ce que le Brésil investit dans l'infrastructure; ces investissements ont augmenté récemment jusqu'à atteindre 3 p. 100 du PIB, et elles sont supérieures aux sommes que le Brésil consacre à son programme phare de transfert monétaire conditionnel, sommes qui représentent moins de 1 p. 100 du PIB.

C'est l'un des points faibles du Brésil sur le plan structurel, et il ternit ses perspectives d'avenir. Si le Brésil était en mesure de réduire sa dette, le service de la dette diminuerait, et cela débloquerait des ressources supplémentaires qui pourraient être investies dans l'infrastructure ou dans des programmes sociaux.

Le sénateur Finley : Comment le gouvernement fédéral du Brésil ou ses États ont-ils abordé la question des salaires minimums? Existe-t-il au Brésil un barème des salaires minimums appliqué à n'importe quelle échelle gouvernementale?

M. Wood : Lorsque le gouvernement Lula est monté au pouvoir en 2003, le Parti des travailleurs a adopté des politiques plutôt efficaces en matière de revenu, grâce à une augmentation du salaire minimum. Parce que cela a coïncidé avec la période de croissance accélérée qu'a connu le Brésil et le boom sur les produits de base qui a apporté d'importantes recettes au Brésil, le salaire minimum a fait l'objet d'augmentations supérieures au taux d'inflation. Bien que celles-ci aient nui à l'économie, cette dernière a été en mesure de les absorber. Je pense que, si l'économie avait traversé une période de croissance plus modérée, les répercussions sur les entreprises auraient été plus problématiques.

Toutefois, le gouvernement Lula avait élaboré un processus officieux qui a été officialisé sous le gouvernement Rousseff pour les quatre prochaines années. Étant donné que le salaire minimum sert de point de repère pour toutes les autres hausses salariales, si nous partions du principe que les hausses salariales devraient coïncider avec des gains de productivité, nous constaterions que le Brésil procède très différemment. Les hausses salariales sont plus en accord avec la formule dont ils se servent et qui se définit comme suit : pour l'année 2012, ils utiliseront la croissance réelle du PIB enregistrée deux ans plus tôt — en 2010, elle s'élevait à 7,5 p. 100 — à laquelle ils ajouteront le taux d'inflation évalué à l'aide d'une des mesures de l'inflation de l'année précédente — c'est-à-dire cette année. Si le taux d'inflation s'élève à environ 6,5 p. 100 et qu'on lui ajoute 7,5 p. 100, la hausse du salaire minimum qui en résultera sera assez élevée.

Très tôt durant son administration, la présidente Rousseff s'est engagée à poursuivre cette politique en matière de revenu. Elle fera l'objet d'un examen plus tard, mais je pense que nous constatons déjà que les syndicats sont enhardis par la période de croissance que connaît le Brésil et, en particulier, par la hausse du salaire minimum qui aura lieu l'an prochain. Nous observons déjà de nombreux conflits salariaux dans certains secteurs; les employés des postes, par exemple, sont actuellement en grève.

Cela contribue également à resserrer le marché du travail. Le taux de chômage a régressé. Il s'élève maintenant à 6 p. 100, ce qui est effectivement très bas pour le Brésil.

L'économie du Brésil rencontre quelques écueils sur le chemin de la croissance, mais ils doivent être surmontés.

[Français]

Le sénateur Nolin : Je vous remercie beaucoup, monsieur Wood, de votre présence. Vous ajoutez au sérieux que nous tentons de donner à notre étude sur le Brésil.

En 2010, le Groupe de la Banque mondiale a établi un palmarès des pays en fonction de la facilité d'y faire des affaires. Le Brésil était au 127e rang sur un total de 183. Dans un premier temps, accordez-vous beaucoup de crédibilité à un tel classement? Dans un deuxième temps, j'aurai une question beaucoup plus précise à poser sur le système financier et bancaire comparativement à ce qui se passe au Canada.

[Traduction]

M. Wood : Vous faites allusion au classement de la Banque mondiale concernant la facilité de faire des affaires au Brésil et aux manchettes de 2006. L'Economist Intelligence Unit classe également les milieux des affaires, après avoir analysé des indicateurs semblables. Dans notre classement aussi, le Brésil n'obtient pas de très bons résultats pour ce qui est de la facilité d'y faire des affaires.

L'examen de la Banque mondiale mettait précisément l'accent sur les questions administratives, alors que nous intégrons également dans notre étude l'analyse des débouchés commerciaux et des enjeux plus généraux.

Je pense que faire des affaires au Brésil est problématique. Cela fait plus de dix ans qu'on parle du « coût Brésil », des coûts supplémentaires associés au fait d'exercer des activités commerciales au Brésil. Cela comprend la nécessité pour les entreprises d'embaucher une armée d'avocats-fiscalistes pour présenter leurs demandes de crédit d'impôt, les nombreuses formalités administratives et les problèmes logistiques. Depuis la publication de ce rapport — encore une fois, on remarque que le Brésil croît plus rapidement que dans le passé —, le Brésil se heurte tout d'un coup aux obstacles découlant de l'absence d'investissements dans la modernisation de son infrastructure. Grâce à sa démographie favorable, le Brésil a remis de l'ordre dans sa politique macroéconomique et ses finances et, soutenu par l'insatiable appétit de la Chine pour les produits de base, sa croissance a été plus rapide que prévu, mais il n'a pas investi dans son infrastructure.

Bon nombre de domaines imposent toujours aux entreprises des coûts supérieurs à la moyenne. Dans une certaine mesure, ceux-ci ont un effet dissuasif. Les entreprises examinent ces coûts, s'efforcent de les atténuer et examinent les autres perspectives qu'offre le Brésil, avant de décider de s'établir là-bas.

Dans son rapport, la Banque mondiale a étudié occasionnellement ces questions, et il ne fait pas de doute qu'elle va soumettre le Brésil à un examen. Il ne faut pas s'attendre non plus à ce que le pays apporte de nombreuses améliorations pour atténuer les lourdeurs administratives associées aux déclarations de revenu, car ce domaine n'a pas fait l'objet de nombreuses réformes. Certains pays d'Amérique du Sud — la Colombie, par exemple — ont procédé plus rapidement à des réformes au cours des dernières années et ont grimpé dans le classement lié à l'étude de la Banque mondiale.

[Français]

Le sénateur Nolin : Dans une de vos réponses au sénateur Finley, vous faisiez référence à la crise financière. En comparaison, le Canada s'en est assez bien tiré de cette crise. Notre système bancaire hautement réglementé est pour beaucoup dans cette protection.

Comment pourrions-nous comparer ce qui se fait ici au Canada avec ce qui se fait au Brésil en ce qui concerne le régime?

[Traduction]

M. Wood : Le Brésil m'est plus familier que le Canada, mais je conviens avec vous que les systèmes financiers du Canada et du Brésil ont bien résisté aux pressions exercées par la première phase de la crise financière mondiale de 2008. Pour répondre à votre question complètement, il faudrait que je compare les particularités des cadres réglementaires des deux systèmes financiers.

J'aimerais mieux vous dire ce que je pense du système bancaire brésilien. Il a connu des crises dans le passé, tout comme ceux des autres pays d'Amérique latine, mais il en a tiré des leçons. Lorsque la crise a commencé en 2008, le système bancaire brésilien était bien capitalisé. Ses exigences en matière de capital sont beaucoup plus élevées que celles des autres pays. Les provisions des banques sont importantes, et ces dernières sont étroitement surveillées. Les institutions financières n'ont pas été en mesure d'acquérir les instruments financiers sophistiqués qui ont entraîné la faillite de certaines institutions financières des économies avancées. Je dirais qu'au Brésil, la surveillance est plutôt étroite, la réglementation plutôt stricte et que les grandes banques ont été et continuent d'être rentables. Le système bancaire du Brésil est solide.

Je pense qu'il lui rendra service si, dans les années à venir, l'économie mondiale traverse une autre récession.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je remercie M. Wood d'avoir eu la gentillesse d'accepter de comparaître devant notre comité. J'aurais deux questions à lui poser.

Pour juguler l'inflation brésilienne, hormis la hausse continue des taux d'intérêt par la Banque centrale, une des premières décisions prises par la nouvelle présidente, Dilma Roussef, a été de mettre en ouvre un plan d'austérité de 31 milliards de dollars. Vous n'en avez pas parlé dans votre présentation. Pensez-vous que cet objectif sera atteint par le moyen qu'elle a pris?

[Traduction]

M. Wood : Le Brésil a réagi à la crise en abaissant les taux d'intérêt en 2009, en offrant des allègements fiscaux et en acceptant une régression de l'excédent financier. En 2009, la politique budgétaire était très stimulante, et je dirais qu'en 2010, elle est demeurée trop stimulante, alors que la reprise économique était déjà amorcée. En 2010, ces mesures de stimulation ont provoqué une croissance économique de 7,5 p. 100.

À mon avis, cela dépassait le potentiel du Brésil, qui croissait ainsi trop rapidement. Lorsque la nouvelle administration Roussef a pris la décision de faire des économies budgétaires, les observateurs ont applaudi, car cela indiquait qu'elle était déterminée à reconstituer l'excédent du budget primaire jusqu'à ce qu'il atteigne 3 p. 100 du PIB. Le niveau sous-jacent avait reculé jusqu'à représenter 2 p. 100 du PIB, ce qui est jugé trop bas pour pouvoir continuer à long terme de réduire suffisamment le ratio de la dette publique par rapport au PIB. Cette décision a été accueillie favorablement.

Cette année, les résultats financiers ont été bons, mais je soutiens qu'ils sont principalement imputables à la forte croissance des recettes que la reprise économique de l'année dernière a entraînée, aux profits des entreprises et des particuliers découlant de l'économie prospère de l'année précédente. Par conséquent, je pense qu'il est probable que les objectifs financiers soient atteints cette année. Juste avant que la banque centrale réduise les taux d'intérêt à la fin d'août, la présidente Rousseff a annoncé des économies supplémentaires de 10 milliards de reales pour cette année, ce qui accroît en fait l'objectif en matière d'excédent budgétaire primaire. Ce sont ces excellents résultats financiers qui lui ont permis de les annoncer. Le gouvernement a d'ailleurs pris cette année certaines mesures de compressions des dépenses. Cependant, certaines de ces mesures ont touché des secteurs qui ont eu un effet négatif sur la croissance. En conséquence, les investissements n'ont pas augmenté aussi rapidement qu'ils l'auraient fait autrement.

Cette année, les finances sont bonnes, mais j'hésiterais à en dire autant de l'année prochaine, car l'affaiblissement de l'économie nuira aux recettes. La croissance du Brésil est maintenant inférieure à son potentiel. D'une part, cette fluctuation est attribuable à sa croissance de 2010 qui dépassait son potentiel, au resserrement de ses politiques et au fait que le secteur industriel est éprouvé par le renforcement de sa devise et que, dans les mois à venir, il le sera également par l'affaiblissement de l'économie mondiale. Au cours des 12 à 18 prochains mois, la croissance du Brésil sera un peu plus lente. Cela aura une incidence sur ses recettes. En même temps, le pays sera appelé à dépenser davantage. Par exemple, l'énorme hausse du salaire minimum aura un effet dévastateur sur les engagements pris en matière de dépenses publiques et sur la nécessité de moderniser les infrastructures en général et en particulier en préparation pour la Coupe du monde de 2014.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Ma question suivante concerne le volume des crédits à la consommation. On avance une progression du taux de défaut des crédits à la consommation de 22 p. 100. De plus, c'est la plus forte hausse depuis neuf ans. Comment expliquez-vous la facilité à se procurer du crédit dans le pays et cette montée du taux de défaut?

[Traduction]

M. Wood : Le tableau d'ensemble du Brésil montre que, dans le passé, la pénétration du crédit dans l'économie était très faible. Une partie du processus de stabilisation et du développement des marchés financiers a permis au crédit de passer de 25 p. 100 du PIB, il y a six ou sept ans, à 48 p. 100 du PIB, à l'heure actuelle. Son taux de croissance a été très rapide au cours des dernières années. Cela s'est produit en dépit des taux d'intérêt très élevés.

Avant l'effondrement de Lehman, les taux de croissance du crédit étaient très rapides, soit 30 p. 100 année après année. Bien que la croissance de l'enveloppe globale s'élève en ce moment à environ 18 ou 19 p. 100, il se peut que le crédit à la consommation croisse un peu plus rapidement. Toutefois, celle-ci a reculé par rapport aux anciens taux de croissance du crédit, qui étaient très élevés. En gros, on craint que cela aboutisse à une augmentation du nombre de prêts irrécouvrables. Le portefeuille de prêts à la consommation comporte une proportion assez élevée de prêts irrécouvrables, mais le système bancaire brésilien est en mesure de tolérer ces pourcentages en raison de ses profits élevés et de sa position très solide.

Le gouvernement a tenté de réduire la croissance du crédit. Après la récession, il était enthousiaste à l'idée de stimuler le crédit dans le cadre de ses politiques anticycliques mais, maintenant, il essaie de juguler sa croissance. C'est pourquoi ils ont réduit la durée du crédit pour les prêts-autos, par exemple. Elle diminue lentement. Toutefois, cela inquiète les gens, en particulier les ménages à faible revenu qui, dans le passé, n'avaient peut-être pas accès à autant de crédit. C'est un segment de la population que les autorités observent attentivement. Selon moi, si le taux de défaut augmentait au sein de ce groupe, cela n'exposerait pas l'ensemble du système bancaire à des risques systémiques, parce que celui-ci est très solide.

En ce qui concerne les risques, la création d'emplois est toujours importante, mais je crois qu'elle diminuera en raison de l'affaiblissement de l'économie. Les taux d'intérêt de la banque centrale sont maintenant dans une phase de détente; je m'attends à ce qu'on les abaisse encore de 1 ou de 1,5 point de pourcentage, ce qui entraînera une réduction des taux d'intérêt. En conséquence, la capacité des ménages à rembourser leurs dettes s'améliorera.

Ces mesures préoccupent les Brésiliens, en particulier ceux qui ont un faible revenu et qui ont accès au crédit peut-être pour la première fois. La banque centrale commence maintenant à examiner les petits versements de prêt et à les surveiller plus attentivement.

Le sénateur De Bané : Monsieur Wood, quelle part du PIB les exportations brésiliennes représentent-elles?

M. Wood : C'est relativement bas. En ce qui concerne les biens, on parle d'environ 10 p. 100 du PIB, soit environ 260 ou 270 milliards de dollars. Je pourrais vous trouver la donnée exacte.

Le sénateur De Bané : Non. C'est suffisant. Les exportations représentent environ 10 p. 100 du PIB.

Je crois comprendre que la situation des gens qui vivent sous le seuil de la pauvreté s'est considérablement améliorée, particulièrement depuis M. Cardoso et le président Lula. Quel est le pourcentage approximatif de Brésiliens qui vivent sous le seuil de la pauvreté?

M. Wood : Je vais devoir me renseigner et vous revenir avec la réponse exacte. Les autorités s'efforcent de faire passer environ 35 millions de personnes de la pauvreté à la classe moyenne inférieure. Par contre, la définition brésilienne de la classe moyenne ratisse très large. Elle inclut tous les ménages qui gagnent plus que deux fois le salaire minimum mensuel qui se situe environ à 545 real, soit environ 360 $US. Doublez ce montant.

Le sénateur De Bané : où se situent géographiquement les pauvres au Brésil?

M. Wood : Selon moi, ils se trouvent encore dans le Nord-Est du pays, malgré que ce soit cette région qui a le plus bénéficié des transferts conditionnels en espèces. Bolsa Família, le programme phare visant 12 millions de ménages, a profité majoritairement aux ménages du Nord-Est du Brésil. Je crois qu'on voit encore des problèmes en périphérie des grandes villes. Le Sud du Brésil tend à être plus riche que le Nord, qui lui, malgré les améliorations, accuse encore un peu de retard à ce sujet.

Le sénateur Bané : Les pays de l'Amérique latine ont signé plusieurs accords de libre-échange entre eux. En dépit de tous ces accords panaméricains, l'Union européenne a-t-elle essayé de courtiser le Brésil? Par exemple, il y a quelques années, j'ai remarqué qu'à l'occasion de la fête nationale française, les autorités avaient invité comme unique dirigeant étranger le président Lula, qui avait d'ailleurs été nommé invité d'honneur.

Que font les grandes puissances européennes pour renforcer leurs liens commerciaux avec le Brésil? Se passe-t-il quelque chose d'intéressant de ce côté?

M. Wood : Premièrement, les négociations en vue d'un accord de libre-échange entre l'Union européenne et le Mercosur ne mènent nulle part. Elles durent depuis plus d'une décennie. Du côté de l'Union européenne, je crois qu'il y a une certaine résistance de la part du milieu agricole. Le Brésil et les autres pays du Mercosur cherchent à améliorer l'accès aux marchés européens pour leurs produits agricoles en échange d'un meilleur accès pour le secteur de la fabrication.

Je ne crois pas que les entreprises brésiliennes de ce secteur voient particulièrement d'un bon oeil une nouvelle libéralisation du commerce. Voilà notamment pourquoi nous n'avons pas vraiment été témoins de progrès dans les pourparlers entre l'Union européenne et le Mercosur.

Le sénateur De Bané : Le Brésil ne connaît donc pas plus de succès que le Canada en ce qui a trait à la signature d'un accord avec l'Union européenne, n'est-ce pas?

M. Wood : Non. De plus, les discussions avec l'Union européenne piétinent depuis longtemps.

La présidente : Je ne suis pas certaine que ce soit positif, mais nous allons changer cette dynamique.

Monsieur Wood, merci d'être venu. Vous nous avez certainement fait part de beaucoup de renseignements. Nous avons abordé les sujets de manière générale, et vous les avez vraiment développés. En parcourant votre liste d'enjeux avec lesquels le Brésil est aux prises dans la conjoncture, je note que le Canada est également aux prises avec bon nombre de ces enjeux, dont la dette à la consommation.

Selon moi, c'est la première fois que nous avons autant de détails concernant le fonctionnement du système et les obligations politiques du Brésil. Vos renseignements seront extrêmement utiles à notre étude. Je vous en remercie.

Vous avez mentionné vouloir nous revenir avec certains détails; vous pouvez les faire parvenir au greffier.

Merci, monsieur Wood, de votre travail, de votre intérêt pour le Brésil et des renseignements dont vous nous avez fait part.

Nous sommes privilégiés d'accueillir, comme prochain témoin, M. Douglas Bland. Il est professeur agrégé et ancien titulaire de la chaire d'études sur la gestion de la défense à l'École d'études politiques de l'Université Queen's. Ses recherches portent sur la défense, l'élaboration des politiques et la gestion sur les scènes nationale et internationale, l'organisation et le fonctionnement des ministères de la Défense, et les relations civilo-militaires

M. Bland est diplômé du Collège d'état-major de l'armée canadienne et du Collège de défense de l'OTAN, à Rome. Il possède aussi un doctorat en administration publique de l'Université Queen's. L'OTAN lui a octroyé une bourse en 1992- 1993. Je crois que M. Bland peut couvrir pratiquement tous les sujets d'intérêt relativement aux structures de défense du Brésil, de ses voisins et du Canada.

Merci de prendre le temps de venir témoigner. Vous n'en êtes pas à votre première présence devant un comité. Comme vous le savez, nous vous invitons à faire un exposé, puis nous vous poserons des questions.

Monsieur Bland, vous avez la parole.

Douglas Bland, ancien titulaire, Chaire d'études en gestion de la défense, Université Queen's : Merci, madame la présidente. C'est avec plaisir que je témoigne devant vous. J'espère que cette séance vous sera utile dans votre étude et qu'elle vous amènera à vous pencher sur des domaines connexes à la politique étrangère. Après tout, la politique de défense est une façon différente d'aborder la politique étrangère.

Madame la présidente, d'entrée de jeu, je dois vous mentionner un détail technique. J'ai passé 30 ans dans les Forces canadiennes, principalement à titre d'officier dans un véhicule blindé et d'instructeur d'artillerie. Je prenais un malin plaisir à faire exploser des trucs en utilisant beaucoup de munitions. Après avoir quitté les Forces canadiennes, j'ai reçu en remerciement de mes bons services deux appareils auditifs, mais il faut un certain temps pour s'y habituer. Lorsque je parle, les gens me font parfois remarquer que je chuchote, alors que je croyais crier. Madame la présidente, si mon ton diminue, faites-moi signe ou dites-moi ce que ma femme me dit toujours, soit : « Pourrais-tu parler plus fort? »

Ensuite, je dois dire que je ne suis pas un latiniste, au sens traditionnel du terme, qui possède de vastes connaissances sur tous les thèmes d'intérêt en Amérique latine. J'y ai voyagé et j'ai notamment discuté avec des autorités militaires de l'Amérique centrale, du Nord de l'Amérique du Sud, de Cuba, du Mexique et des Caraïbes. Je donne encore des cours de temps à autre au Centre des études hémisphériques de la défense, à Washington. Au cours des 15 dernières années, l'objectif de ce centre a été d'essayer de renforcer le concept du contrôle civil des forces militaires. Voilà pour mes antécédents.

Dans les quelques minutes que j'ai, permettez-moi d'aborder la question de la politique étrangère à partir d'un cadre théorique.

Durant la quasi-totalité de l'histoire canadienne, les politiques étrangères et de défense ont été arrimées à un concept central, à savoir que le Canada est un pays de l'Atlantique Nord. Par exemple, les Forces canadiennes ont toujours été pensées en fonction de mener des opérations dans l'Atlantique Nord. Il suffit de penser aux stratégies, aux alliances ou aux capacités de notre armée. Selon moi, ce concept est moins pertinent depuis la fin de la guerre froide. En fait, j'irais même jusqu'à dire que ce concept est dépassé et qu'il n'est pas aussi pertinent qu'on l'entend.

Je prône depuis des années, comme mes collègues le disent, que le Canada ne peut théoriquement plus être considéré comme étant simplement un pays de l'Atlantique Nord. Nous devons maintenant nous considérer comme un pays de l'hémisphère occidental. Je n'utilise pas seulement ce terme au sens géographique. Au contraire, il s'agit d'un concept stratégique et politique fondamental qui devrait influer sur nos futures politiques étrangère et de défense, comme le faisait le concept disant que le Canada est un pays de l'Atlantique Nord. Certains vont même jusqu'à dire qu'il dictait, jusqu'à tout récemment, les politiques étrangère et de défense du Canada.

Si vous adhérez au concept selon lequel le Canada est un pays de l'hémisphère occidental, il est important de comprendre qu'on ne peut pas tout bonnement appliquer à cette région ou à nos politiques les idées, les stratégies et les structures de l'armée que nous avions, lorsque nous considérions le Canada comme étant seulement un pays de l'Atlantique Nord. Permettez-moi de vous réexpliquer brièvement le concept en mettant l'accent sur la sécurité et la défense, où ce concept pourrait nous mener.

Tout d'abord, les conflits ne sont pas de même nature en Europe et en Amérique latine, incluant le Mexique. Comme les Latino-Américains vous le diraient, et ils aiment le faire, les guerres en Europe opposaient des nations. En Amérique latine, les guerres font rage à l'intérieur des pays. Les forces armées en Amérique latine sont peut-être structurées de façon à ressembler à une armée prête à défendre l'État contre un agresseur externe, mais elles passent la majeure partie de leur temps à défendre leur pays contre des coups d'État, des séditions et des menaces à la paix, à l'ordre et à la saine gouvernance. Ce sont les forces armées et non les gouvernements qui les définissent.

Ensuite, dans l'histoire militaire de l'Amérique latine, l'armée a toujours été perçue comme étant le sauveur de l'État. Ce concept est, en fait, un code d'honneur pour les militaires, qui considèrent les politiciens, lorsqu'ils n'en font pas tout simplement abstraction, comme étant de simples citoyens, des civils dépourvus d'honneur. Les coups militaires qui se produisent souvent en Amérique latine ne sont pas seulement motivés par la soif de pouvoir des forces armées. Au contraire, les autorités militaires les voient comme des moyens de sauver l'État de l'emprise de politiciens incompétents. La constitution de certains pays énonce clairement la supériorité de l'armée par rapport au gouvernement. Lorsque nous participons à des rencontres en Amérique latine et que nous lançons : « Eh bien, vous faites toujours des coups d'État. » en nous disant qu'il s'agit d'actes criminels, les gens nous renvoient à leur constitution et nous font savoir qu'il s'agit plutôt d'actes tout à fait légitimes et que les forces armées sont chargées de protéger l'État, même de lui-même.

Les situations évoluent tranquillement. Nous pouvons discuter de ce qui motive les changements au sein des forces armées, mais les décideurs canadiens doivent comprendre l'importance centrale des relations civilo-militaires et la place de l'armée en Amérique latine. Cette compréhension est particulièrement importante si des gouvernements civils de la région deviennent instables, en raison, par exemple, d'activités économiques ou criminelles, et que les forces armées jugent nécessaire d'intervenir pour rectifier le tir.

J'ai écouté avec intérêt l'autre témoin. Parmi les soi-disant causes profondes des séditions et des coups d'État en Amérique latine, on retrouve les soudains déclins de la richesse ou les crises économiques qui forcent un gouvernement à sabrer, notamment, les programmes économiques. Le gouvernement perd alors le contrôle. Des émeutiers prennent d'assaut les rues, et les militaires s'interposent et prennent le contrôle. Cette possibilité plane au loin.

Ces deux réalités, à savoir que l'instabilité en Amérique centrale et en Amérique du Sud tire principalement son origine de causes internes et que les forces armées jouent un rôle central dans les politiques nationales et la stabilité de l'État, ont des effets majeurs sur les plus importantes politiques nationales en Amérique latine. Le Canada doit tenir compte attentivement de ces effets, lorsqu'il contemple son avenir dans l'hémisphère occidental.

Que cela veut-il dire pour les politiques étrangère et de défense du Canada et peut-être même les Forces canadiennes?

Plusieurs problèmes importants se dressent devant le Canada par rapport à l'Amérique latine et au fait de savoir si le Canada devient, de fait, un pays de l'hémisphère occidental. Je vais vous en dresser brièvement la liste.

Premièrement, la violence relative au commerce de la drogue connaît une croissance, et ses effets sur la région et notre société se font de plus en plus sentir.

Deuxièmement, il y a la montée des États criminels, ou des États dirigés par des criminels, à savoir le Mexique. Une guerre fait rage aux frontières du Sud des États-Unis; 20 000 personnes y ont trouvé la mort au cours des deux ou trois dernières années. Nous n'en entendons pas autant parler dans les nouvelles, mais c'est la même situation qui prévaut partout en Amérique centrale.

Troisièmement, il y a un boom démographique majeur, et la proportion de jeunes augmente. Les instabilités sociales, politiques et économiques que l'avenir nous laisse entrevoir sont inquiétantes. Des réfugiés ou d'autres immigrants viendront peut-être frapper à nos frontières. Il est très difficile de lutter contre ces instabilités. Dans la majorité des cas, les interventions canadiennes dans la région n'exigeront pas beaucoup de troupes terrestres, contrairement aux déploiements typiques de l'OTAN. Les troupes canadiennes n'auront pas à être déployées très souvent dans la région, sauf dans certains petits pays, comme nous l'avons récemment fait en Jamaïque. Il est possible que nous ayons à déployer des troupes là ou dans d'autres petits pays pour principalement aider les autorités en place à y combattre les trafiquants de drogue.

Par ailleurs, et c'est dans notre intérêt, les capacités de surveillance et d'interception sont très recherchées dans la mer des Caraïbes, le long de la côte Ouest de l'Amérique centrale et de celle du Mexique, et sur les routes qui relient ces régions au Canada.

J'estime que si le Canada se considérait comme un pays de l'hémisphère occidental, les conséquences sur le plan de la sécurité le forceraient à se concentrer, pour la première fois de son histoire, sur les forces aériennes et sur la marine, plutôt que sur l'armée de terre.

Je porte peut-être la cravate de mon régiment, mais il y a des limites à la loyauté. Si nous nous engageons davantage avec l'Amérique latine, les choix que nous ferons dans le cadre de notre politique de défense devront être cohérents avec notre politique étrangère.

Permettez-moi de vous raconter une anecdote qui s'est produite dans un cours que j'enseignais au Center for Hemispheric Defense Studies, à Washington. L'auditoire, restreint, était composé de représentants officiels, de militaires et de politiciens des petits pays du Nord de l'Amérique du Sud, de l'Amérique centrale, des Caraïbes, et cetera. Cuba, bien sßr, n'était pas représenté.

Nous avions un groupe d'experts, et à mes côtés se trouvait un représentant du Pentagone. Nous parlions de la gestion de la défense, c'est-à-dire comment on décide de la répartition des fonds et du matériel. Le représentant du Pentagone a livré un exposé très intéressant, expliquant à l'auditoire quelle taille devait avoir l'organisme et comment il devait planifier pour réussir à dépenser 500 000 milliards de dollars par année. À la fin de son exposé, un politicien du Honduras, je pense, lui a fait remarquer que le ministère de la Défense de son pays n'employait que 17 fonctionnaires. Ce qu'il faut retenir de cette histoire, c'est que le Canada tient une occasion en or de jouer un rôle de premier plan en Amérique latine; en effet, il peut être le contrepied des États-Unis. Je ne parle pas seulement de la position des deux pays dans l'histoire des conflits de la région; je veux dire que le Canada peut être le contrepied des États-Unis dans le contexte de la question du politicien hondurien. Après tout, notre gestion publique et nos budgets s'effectuent à la même échelle que ces petits pays, et nous faisons face aux mêmes restrictions. Nous pouvons discuter avec les représentants de ces pays — comme nous le faisons maintenant et comme nous l'avons fait dans le passé — de la gestion des forces armées et de la façon de veiller à ce que les autorités civiles le soient vraiment. Pour diverses raisons, on n'accueille pas toujours les États-Unis à bras ouverts au sein des différents gouvernements et des assemblées publiques des Amériques.

J'espère avoir réussi à vous exposer le lien entre la politique étrangère et la politique de défense. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

La présidente : Merci, monsieur Bland.

J'aimerais clarifier un point : vous avez dit que si nous nous engagions à faire partie de cet hémisphère, il serait dans notre intérêt de développer nos forces aériennes et notre marine plutôt que notre armée de terre. Je comprends, mais puisque vous semblez maintenant parler de transferts techniques de notre expérience et de notre savoir-faire sur le terrain, cette tâche ne serait-elle pas plutôt du ressort de la police? Par exemple, en Haïti et dans d'autres pays, nous travaillons à transférer les tâches de la police et du service du renseignement si la menace vient de l'intérieur.

M. Bland : Vous amenez un point important. Il se peut que nous ayons à aider les pays, surtout les plus petits, à se doter d'une approche qui fait intervenir l'ensemble du gouvernement dans les questions de sécurité nationale. Nous pourrions aussi procéder au transfert de nos compétences dans ce domaine. Les problèmes et les vulnérabilités de la sécurité nationale, comme nous le savons tous, concernent la police, le système juridique, la criminalité, l'armée, et cetera.

La présidente : Et les catastrophes naturelles.

M. Bland : Au Canada, nous avons tenté, avec des résultats plus ou moins heureux, de mettre au point cette approche basée sur l'ensemble du gouvernement et nous pouvons transférer ce concept dans les régions et les sociétés où l'armée, et non le gouvernement, s'occupe de la sécurité et définit les problèmes et la façon dont ils seront réglés.

Le sénateur Wallin : Pour le moment, nous nous efforçons de remettre de l'ordre dans nos affaires commerciales entre le Nord et le Sud dans cette région. Sur le plan militaire, par contre, nous avons vu un peu de cela. Par exemple, fait intéressant, Haïti a fourni au Brésil et au Canada l'occasion d'intervenir. Si on demeure réaliste, étant donné l'état de l'armée dans la région et de l'utilisation qu'on en fait, comme vous l'avez dit, verra-t-on, selon vous, d'autres occurrences ou cela fera-t-il partie, à un autre moment, d'une coalition de pays volontaires dans le cadre d'un évènement quelconque, mais où il n'y a pas vraiment de structure ou de mécanisme à l'oeuvre pour en faire autre chose, si on fait abstraction des États-Unis?

M. Bland : Des moyens sont en place pour tenter de conclure ou de favoriser des ententes de défense entre les pays d'Amérique latine; par exemple, on fournit des endroits propices aux discussions des chefs d'état-major de la défense, le comité tient des réunions annuelles, et cetera. L'OAE rapproche les gens. Le président Clinton a mis sur pied le Center For Hemispheric Defense Studies, à Washington, dans le but précis d'encourager l'étude et le transfert d'idées au sujet du contrôle civil dans le domaine militaire et de l'administration publique, dans les budgets de la défense, et cetera dans ces pays à partir des États-Unis, et dans une moindre mesure, du Canada.

La structure est très douteuse si on la compare à l'Alliance de l'Atlantique Nord, à son nombre de membres et à l'appareil bureaucratique — un peu trop lourd, parfois — qui la gère. Une telle structure globale n'est pas en place là- bas, et je ne pense pas qu'elle le sera bientôt. Un grand nombre de ces pays ne s'entendent pas du tout et leurs buts diffèrent, mais le Brésil a un vaste système de production militaire. Le pays serait heureux de nous vendre ses avions de chasse.

Comme nous l'avons vu, le Brésil, en ce moment, ne tente pas d'être reconnu comme un pays d'Amérique latine, mais comme un pays du monde. Il travaille sur un projet intéressant — mais je ne sais pas où il en est à ce moment; en effet, on construit un important chantier maritime sur la côte Nord-Est du Brésil et on lance un vaste programme de construction de bateaux pour au moins faire du Brésil un pays de l'Atlantique Sud, ce qui lui servira de tremplin.

Comme de nombreux pays, le Brésil souhaite participer aux soi-disant opérations de maintien de la paix ou aux opérations policières partout dans le monde. Depuis 1956, il a collaboré avec le Canada à des missions de ce genre, mais l'Amérique latine n'a pas d'organisme ou de stratégie de défense concertée.

Le sénateur Downe : J'aimerais revenir sur votre commentaire au sujet de la volonté du Brésil d'entamer le dialogue. D'un côté, comme vous l'avez expliqué, le rôle principal de l'armée est de protéger l'État des problèmes internes, mais d'un autre, le Brésil tente d'occuper une place de choix dans les organismes mondiaux. Plus tôt cette année, j'ai remarqué que le gouvernement avait sabré le budget de la défense, éliminant plus de deux milliards de dollars. Cela ne va-t-il pas à l'encontre de ses objectifs à l'échelle internationale?

M. Bland : Je pense plutôt qu'il réaménage le budget de la défense. Dans un grand nombre de pays, par exemple, dans le Chili de Pinochet, les budgets de la défense étaient élaborés par l'armée, qui possédait même des industries et des usines. Sous le régime Pinochet, au Chili, le budget de la défense suivait le prix du cuivre, qui appartenait à l'armée. C'est ainsi que les choses fonctionnaient.

Un grand nombre de ces pays, et je pense que c'est toujours le cas du Brésil, ont de grandes conscriptions et des forces terrestres élargies qui leur coûtent cher en personnel. Je pense que vous pourrez vous rendre compte que certaines ressources autrefois affectées aux domaines plus traditionnels sont maintenant transférées dans d'autres domaines comme la marine et l'industrie aérienne.

Le sénateur Downe : À votre avis, le pays va augmenter sa capacité. Essaiera-t-il d'accroître sa production militaire nationale?

M. Bland : Je pense que oui. D'ailleurs, les choses avancent. Le pays possède depuis longtemps sa propre industrie militaire, en partie parce qu'il ne pouvait rien obtenir des États-Unis. Au Pérou et au Venezuela, par exemple, les Chinois participent à une grande partie des transactions. Ce qui transpire des discussions au sujet de la politique et des budgets de défense ne reflète pas toujours la réalité.

Comme je l'ai dit, l'armée campe sur ses positions lorsque les gouvernements civils empiètent sur ses platebandes. J'ai mentionné que les choses commençaient à changer sur le plan des relations entre les civils et l'armée. Certains pays, par exemple le Brésil et le Pérou, où j'ai donné des cours sur le sujet il y a quelques années, ont maintenant des ministres de la Défense nationale civils. Toutefois, les militaires trouvent très bizarre qu'une personne aussi incompétente dans le domaine, c'est-à-dire un civil, occupe ce poste. Lorsque j'étais au Pérou, on s'efforçait énergiquement d'appliquer ce concept. Le civil qui occupait le poste de ministre de la Défense était évidemment un ancien général; il peut donc avoir changé son fusil d'épaule. Lorsque je me suis adressé à un auditoire nombreux, avec quelques Américains et Britanniques intéressés par les relations entre civils et militaires, les officiers se sont levés l'un après l'autre pour demander comment on pouvait être assez stupide pour donner le poste de ministre de la Défense nationale à un civil. Je ne nommerai personne, mais je leur ai expliqué que nous étions une démocratie de longue date, une démocratie libérale, et que les autorités civiles, c'est-à-dire les élus, avaient toujours été sous la direction d'un ministre de la Défense civil et que cela ne nous avait pas empêchés de gagner plusieurs grandes guerres.

Cet argument les calme un peu, mais ils ne sont toujours pas emballés à l'idée. Je vous rappelle que c'est contraire au concept fondamental de l'époque espagnole selon lequel la force militaire doit assurer le salut du pays, c'est-à-dire le roi et l'armée, et non pas les civils.

Le sénateur Downe : J'espère qu'ils n'ont pas lu ce que les médias ont dit la semaine dernière sur les fonctionnaires militaires, qui ont ignoré les directives de différents ministres de la Défense au cours des dernières années. Mais n'en parlons pas tout de suite.

Vous avez mentionné la Chine, qui est actuellement un des partenaires commerciaux majeurs du Brésil. Est-ce que ce pays a un rôle à jouer dans les acquisitions d'ordre militaire du Brésil?

M. Bland : Je pense que oui. Je ne connais pas les chiffres, mais je sais que la Chine prend part à ce genre d'activités commerciales depuis quelque temps, et pas seulement avec des pays d'Amérique latine.

Si vous me le permettez, j'aimerais préciser que je suis l'auteur de l'article mal cité portant sur ceux qui induisent en erreur le ministre de la Défense nationale. Si quelqu'un est intéressé, j'en ai une copie dans mon sac.

Nous avons étudié ce qui s'est passé pendant la majeure partie des années 2000, et le problème, c'est que les rapports que les comités de la Chambre ou du Sénat, les universitaires ou les organismes non gouvernementaux soumettent au ministère de la Défense sont écartés, rejetés, laissés de côté ou ignorés par les fonctionnaires, qui représentent les ministres et leur disent ce qu'ils veulent entendre. Les gens agaçants comme moi sont expédiés sans ménagement par le ministère, mais pas par les forces militaires qui, elles, essaient de faire connaître la vérité aux politiciens.

Monsieur le président, j'aimerais vous donner l'exemple d'un commodore, un officier supérieur de la Marine royale canadienne, qui avait rédigé une note d'information au ministre de l'époque, le sénateur Eggleton, à propos d'une étude menée par l'Institut de la Conférence des associations de la défense. Or, il a eu le malheur d'indiquer dans son document que nous assistions à un déclin constant des forces armées selon l'ICAD. Il a estimé que cette conclusion devait être vraie puisque l'institut avait obtenu des renseignements ministériels au moyen de la Loi sur l'accès à l'information, et ainsi de suite. Le jour suivant, il a dß présenter ses excuses par écrit au ministre pour avoir tenu de tels propos. C'est ce sur quoi porte l'article.

J'ai quelques conseils à vous donner pour que vos rapports aient plus de poids, mais en résumé, il faut faire du bruit pour attirer l'attention.

La présidente : Je pense que nous pourrons en discuter dans le cadre d'une autre étude, mais nous allons maintenant revenir au Brésil, si vous le voulez bien. La liste des intervenants est longue.

Le sénateur Downe : Je m'intéresse particulièrement à vos propos concernant la réserve. La bonne nouvelle, c'est que la présidente du Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense est avec nous, et je suis certain qu'elle en a pris bonne note.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Monsieur Bland, c'est très agréable d'avoir votre opinion sur le volet de la défense et ce qui se passe au Brésil.

En 2008, un des objectifs de la défense au Brésil consistait à accroître la capacité de surveillance du pays. Cela demandait donc peut-être de nouveaux avions; pour ensuite renforcer l'effectif militaire en transférant les troupes de 22 000 soldats qui étaient dans le sud et les envoyer dans la zone de l'Amazonie. Aussi, ils voulaient renforcer leurs forces marines.

Le 16 février dernier, le ministre Nelson Jobim — ministre de la Défense du Brésil — a annoncé que le gouvernement allait réduire d'environ 2,4 milliards de dollars américains le budget de la défense et que les dépenses discrétionnaires seraient limitées à 26,5 p. 100 du total de l'enveloppe budgétaire du ministère de la Défense.

Ces compressions s'inscrivent naturellement dans les efforts déployés par le gouvernement pour contrer les pressions inflationnistes.

Selon vous, quelles seront les conséquences de cette annonce sur les plans à court terme et à long terme du Brésil visant à moderniser son armée?

[Traduction]

M. Bland : Comme je l'ai dit plus tôt, je crois que le Brésil tente de redistribuer et de diminuer son budget de défense. Sur son territoire, plutôt que de continuer à alimenter l'infanterie habituelle, composée de militaires, de chars d'assaut et ainsi de suite, le Brésil va développer des systèmes d'arme à la fine pointe de la technologie au sein de ses forces aériennes et de sa marine, et il va construire de nouvelles bases militaires dans le nord du pays.

Le fait que le Brésil déplace ses forces armées situées dans le sud vers les régions du nord indique, je crois, que les pays limitrophes du sud ne représentent plus une grande menace à ses yeux. Pour l'instant, la défense brésilienne a plutôt besoin de dominer les secteurs du nord-est, comme l'Amazone, et de prendre de l'ampleur dans cette région relativement peu peuplée. J'ai visité des unités militaires au beau milieu de l'Amazone, notamment à Manaus, et elles sont extrêmement modestes. Le Brésil est donc en train de retirer ses troupes des frontières et de les réinstaller parmi ces gens et dans ces secteurs, où elles ne joueront plus leur rôle habituel. Je parie que les réductions toucheront le personnel, mais pas le matériel de haute technologie.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Ces compressions de 2,4 milliards de dollars n'auront donc pas d'influence et tout fonctionnera de la même façon?

[Traduction]

M. Bland : Si le Brésil délaisse véritablement sa bonne vieille armée nationale et adopte des services techniques plus efficaces comme la marine et les forces aériennes, on peut dire que les forces armées gagneront en efficacité même si leur budget diminue un peu.

[Français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup.

Le sénateur Nolin : Monsieur Bland, merci d'avoir accepté notre invitation.

J'aimerais savoir, dans un premier temps, pourquoi le Brésil continue d'imposer le service militaire obligatoire?

[Traduction]

M. Bland : Habituellement, les pays qui imposent la conscription, comme l'Italie, ne le font pas pour disposer d'une force opérationnelle considérable, mais plutôt pour faire vivre une expérience sociale à sa population. Ils répondent ainsi à un besoin social. La conscription permet de mélanger au sein des forces armées des gens qui viennent des quatre coins de vastes pays, qui ne se connaissent pas, qui ne voyagent pas beaucoup et qui, parfois, ne connaissent pas bien le concept de nation puisqu'ils appartiennent aux populations les plus pauvres.

J'ai mentionné l'Italie, car il était courant que les jeunes appelés soient envoyés à Milan s'ils étaient Siciliens et en Sicile s'ils venaient de Milan, ce qui permettait à l'armée de consolider l'idée de nation et de pays. C'est ainsi que procèdent de nombreux pays d'Amérique latine, surtout les plus vastes.

Le sénateur Nolin : En août dernier, le premier ministère a visité le Brésil, où il a fait une déclaration conjointe avec la présidente. Permettez-moi de vous en lire un extrait :

Ils ont aussi pris acte de l'avancement des travaux bilatéraux au chapitre du dialogue et de la coopération en matière de défense. Dans ce contexte, ils ont salué la tenue des prochains entretiens politico-militaires [...] et les négociations en cours portant sur un instrument juridique qui servira de cadre à la coopération entre le Brésil et le Canada en matière de défense.

De quels entretiens s'agit-il?

M. Bland : Je ne le sais pas vraiment.

Le sénateur Nolin : Ils prennent acte de l'avancement des entretiens.

M. Bland : J'imagine que la coopération en matière de défense dont parle le premier ministre ne consiste pas à mener conjointement d'importantes missions d'entraînement opérationnel, et ainsi de suite. Il s'agit plutôt de transmettre au Brésil certains concepts canadiens sur les relations entre les civils et l'armée afin d'aider le pouvoir civil à renforcer son contrôle des forces armées.

En deuxième lieu, il existe un vaste marché industriel entourant le matériel militaire, comme vous l'avez dit. La coopération entre les industries ou établissements liés à la défense du Canada et du Brésil est fondamentale. À mon avis, c'est ce que nous visons. Ce genre de discussions entre les chefs de la défense, les visites de représentants brésiliens au Canada et leur participation à certaines conférences de taille sur ces enjeux à l'Université Queen's normalisent les relations entre les deux pays. Ces dernières années, de nombreux officiers brésiliens sont venus nous expliquer leurs politiques, dont la toute nouvelle politique en matière de défense nationale conçue par l'armée, mais approuvée par le gouvernement. Ceci contribue également à normaliser les relations entre les civils et les militaires du Brésil.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Monsieur Bland, est-ce que j'ai bien compris votre réponse au sénateur Downe, à savoir que même si dans certains pays de l'Amérique du Sud des ministres civils de la défense sont nommés, les militaires croient encore qu'ils ont l'autorité suprême, n'est-ce pas? Est-ce que c'est le cas pour le Brésil? Est-ce qu'il y a un changement de l'attitude des militaires vis-à-vis les civils pour le contrôle des activités militaires?

[Traduction]

M. Bland : Au Brésil, au Pérou et au Chili, je pense que notre conception des relations entre les civils et les militaires s'est enracinée, mais on peut difficilement savoir à quel point. Au Chili, par exemple, un changement considérable s'opère chez les civils. Le fait qu'ils s'attendent à ce que les militaires soient subordonnés au gouvernement en place donne du poids au pouvoir civil du pays. L'armée de voyous de Pinochet a fait honte aux forces armées du pays pendant longtemps. En Argentine, les citoyens ne croient plus aux forces armées en raison des histoires de disparitions et d'attaques de civils durant la guerre des Malouines. Depuis que les citoyens connaissent mieux la relation entre les forces armées et les sociétés démocratiques libérales, il est de plus en plus difficile de défendre la conception traditionnelle selon laquelle l'armée doit assurer le salut du pays, même si c'est inscrit dans la Constitution.

À l'époque de Bill Clinton, les représentants de l'armée américaine, un gros joueur, devaient convaincre leurs homologues d'Amérique latine d'adopter le type de relation qui existe aux États-Unis et ailleurs entre les civils et les militaires pour avoir accès aux ressources et au soutien des Américains et de leur armée. Il s'agissait là d'un des éléments essentiels de la politique américaine à l'égard de l'Amérique latine entourant la création du centre, entre autres.

Cette politique est un puissant levier, et je crois que le concept est en train de s'enraciner dans certains pays. Toutefois, il reste encore bien des obstacles à surmonter. Même si le Mexique ne fait pas partie de l'Amérique latine, le pays a connu des difficultés semblables au fil du temps, et il a aujourd'hui un sérieux problème sur les bras. En effet, des cartels de la drogue, comme Los Zetas, des unités militaires qui se sont rebellées, sont en train de prendre le pouvoir de certaines régions du pays. Si le secteur entame une période de forte instabilité, l'armée devrait peut-être s'imposer à nouveau. Il ne reste qu'à voir ce qu'il adviendra.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Au Brésil, est-ce que vous voyez un changement d'attitude?

[Traduction]

M. Bland : Oui, je pense bien. Le pouvoir civil a plus d'emprise dans ces pays depuis qu'on a accepté un ministre civil à la tête de la Défense nationale, même s'il s'agit d'un ancien officier de l'armée.

Vous devez comprendre qu'auparavant, l'armée n'avait aucun compte à rendre au gouvernement et au Parlement. Elle était indépendante, car c'est ce qui était prévu dans la Constitution de certains pays. On disait aux jeunes élèves- officiers comme aux généraux qu'ils devaient assurer le salut du pays dans toutes ses facettes. Cette idée est en train de s'estomper, notamment grâce aux efforts du Canada, des États-Unis et d'autres pays, qui ne cessent d'organiser des conférences et des réunions entre des Brésiliens et des politiciens et militaires d'autres pays pour faire comprendre au Brésil que son système ne convient pas.

Le sénateur Johnson : Le président Lula considérait la création de l'Union des nations sud-américaines comme une grande réalisation. Celle-ci vise surtout à favoriser la stabilité régionale ainsi que l'intégration militaire et économique. Par la suite, la CELAC, la Communauté des États d'Amérique latine et des Caraïbes, a vu le jour. Elle n'a tenu aucune réunion cette année, mais elle le fera probablement l'an prochain.

Dans le cadre de cette union, comment les pays arriveront-ils à être efficaces sur le plan militaire sans l'aide du Canada et des États-Unis, qui ne font pas partie de la CELAC? Le regroupement a de plus en plus de poids, et selon nos recherches, il collabore étroitement avec l'Afrique pour que le Sud de l'Atlantique devienne lui aussi une zone exempte d'armes de destruction massive. Les pays ne veulent pas travailler avec le Canada ou les États-Unis à ce chapitre. N'est-ce pas bien clair?

M. Bland : Je crois qu'ils ne ressentent pas vraiment le besoin de collaborer avec le Canada à ce propos. Certains pays aimeraient travailler avec les États-Unis, mais pas l'ensemble d'entre eux.

Le sénateur Johnson : La CELAC a une incidence sur l'Organisation des États américains dans les pays qu'elle regroupe, n'est-ce pas?

M. Bland : Oui, mais même si les militaires et les politiciens se réunissent au sein d'organismes internationaux pour discuter et prendre des décisions, chaque pays demeure souverain. Ils devraient aller en discuter à Washington, puisqu'il s'agit du centre de ressources, entre autres. Or, les pays, y compris le Brésil, veulent également être indépendants, à l'image des États souverains au sein de l'ONU ou de l'Union européenne, entre autres. Les pays sont sur la bonne voie, mais on est encore loin d'assister à la création du pendant latino-américain de l'Union européenne.

Le sénateur Finley : J'ai une question faisant suite à celle du sénateur Robichaud. Tout à l'heure, vous avez dit que les forces armées d'Amérique latine concentrent leurs efforts à l'intérieur des frontières plutôt qu'à l'étranger. C'est naturellement sans compter les guerres causées par les parties de soccer, ce qui est déjà véritablement arrivé. Vous avez parlé des drogues. Si un coup d'État survenait aujourd'hui en Amérique du Sud, il serait probablement lié au trafic de drogues, à des criminels prenant le pouvoir d'une nation, à la croissance incroyable de la population ou à l'instabilité généralisée. Or, il me semble actuellement qu'aucun de ces éléments ne s'applique au Brésil. C'est pour étudier les enjeux commerciaux touchant le Brésil que nous nous penchons sur la question.

À votre avis — la réponse devrait être toute simple —, le Brésil court-il un risque imminent de coup militaire?

M. Bland : Non.

La présidente : Monsieur Bland, si j'ai bien compris, vous dites que le Canada a tout intérêt à adopter le concept d'hémisphère occidental, mais nous n'abordons pas vraiment les enjeux militaires avec les autres pays. Je crois que ce sont les dictatures, les coups d'État, et ainsi de suite, qui empêchent depuis toujours les forces armées et les gouvernements d'en discuter entre eux. Si je vous ai bien compris, une relation de confiance se tisse depuis plusieurs années, puisque votre université a noué un dialogue avec les Brésiliens en les invitant à participer à des colloques.

Par conséquent, proposez-vous un concept de sécurité pour l'hémisphère occidental qui va à l'encontre des pratiques militaires traditionnelles et qui comporte une définition plus large de la sécurité, un peu comme l'OTAN essaie de faire? Croyez-vous qu'il est temps d'agir en raison des changements dont vous avez parlé qui s'opèrent par rapport au pouvoir civil, entre autres? Le moment est-il venu pour le Canada de jouer un rôle prépondérant dans la redéfinition du concept de sécurité afin d'y inclure la surveillance mutuelle des frontières, le trafic de stupéfiants et les catastrophes naturelles de toute origine, étant donné que tous les pays de l'hémisphère occidental en ressentent les effets?

M. Bland : Oui, c'est en partie ce que je propose. Je vais vous présenter le concept, comme je l'ai dit, qui s'est appliqué à partir de la création du Canada jusqu'à la fin de la guerre froide, et duquel nous nous éloignons en quelque sorte. Le Canada, en tant que pays de l'Atlantique Nord, est le concept fondamental qui a défini nos efforts diplomatiques, nos échanges commerciaux et nos relations avec l'Europe, ainsi qu'avec les Premières nations de l'Alliance de l'Atlantique Nord. Nous n'avons pas toujours suivi un concept militaire, car il s'agissait plutôt d'une politique étrangère. En quelque sorte, c'est l'Atlantique Nord qui assure notre subsistance. C'est là que se situent nos racines, nos idéologies et notre type de gouvernement.

Si nous nous considérons également comme un pays de l'hémisphère occidental, nous pourrons alors appliquer ces idées de partenariat, de liens, de création d'institutions, et ainsi de suite, non seulement sur le plan militaire, mais aussi dans le cadre de nos échanges, entre autres, comme nous le faisons. Nous pouvons bien sßr influencer à notre avantage les politiques en matière de sécurité de ces pays, mais ce ne serait pas nécessairement dans leur intérêt.

Vous avez raison de dire que nous n'avons pas du tout eu affaire à l'Amérique du Sud pendant bien longtemps, surtout à l'Amérique centrale, car nous n'y voyions pas vraiment l'intérêt. Nous sommes un pays de l'Atlantique Nord et avons agi comme tel; nous nous tournons maintenant un peu vers le Pacifique.

Pour illustrer le changement qui s'est opéré, nous n'avions aucun attaché des Forces canadiennes au sud de Washington en 1990, à la fin de la guerre froide. Or, nous en avions 27 en Europe à la même époque. Depuis la fin de la guerre froide, nous avons au moins sept ou huit attachés militaires permanents sur place, dont certains s'occupent de plusieurs pays. Le chef d'état-major de la Défense joue un rôle actif à cet égard. Le général Walter Natynczyk est allé plusieurs fois au Brésil. Les militaires brésiliens viennent nous visiter, alors nous aussi allons là-bas. Cette relation ressemble à celles que nous entretenons avec nos partenaires de l'Atlantique Nord ou ceux de l'hémisphère.

La présidente : C'est donc à nous de définir nos intérêts mutuels dans l'hémisphère.

M. Bland : C'est ce que je crois. Un comité parlementaire ou sénatorial pourrait recommander des moyens de tisser ces liens pour servir notre intérêt, mais aussi pour créer dans l'hémisphère un environnement prospère et sécuritaire dans lequel règne le respect des droits de la personne.

La présidente : Vous avez abordé une grande variété d'enjeux, et nous vous remercions de nous donner un point de vue très différent sur la défense et la sécurité. J'ai bien saisi votre message, et vous avez parlé assez fort. Monsieur Bland, je vous remercie de votre témoignage.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Sur un plan plus technique, est-ce qu'il y aurait moyen, avant le début des audiences, de s'assurer que le système d'interprétation fonctionne bien dans une langue comme dans l'autre? Parce que ça devient embarrassant, pour nous et pour les témoins, d'essayer de jouer avec les dispositifs.

[Traduction]

La présidente : Sénateur Robichaud, j'ai déjà avisé le greffier. Vous siégez au Sénat depuis plus longtemps que moi, je crois, ou depuis aussi longtemps, du moins.

Le sénateur Robichaud : Non.

La présidente : Pas tout à fait aussi longtemps. Toutefois, vous étiez au Parlement. Nous avons déjà fait cette demande. On m'avait dit que tout le matériel était vérifié avant chaque séance. Je suis même allée jusqu'à demander au greffier de veiller à ce que chaque écouteur soit vérifié et de m'aviser des canaux français et anglais, et de l'indiquer aussi aux témoins.

Or, il semble que le système est tombé en panne aujourd'hui, et même le télécopieur s'est mis en marche pendant la séance télévisée. Nous avons encore un retard à combler sur le plan technologique. Je vais donc renvoyer le message, et vous pourriez même le faire parvenir au comité responsable des outils de communication. Il faut les tenir informés.

Je vous remercie de le signaler. Il est important de veiller à ce que nos témoins soient à l'aise et que chacun puisse entendre l'information dans la langue de son choix.

Merci, monsieur Bland.

Notre prochaine réunion aura lieu la semaine prochaine. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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