Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
OTTAWA, le mercredi 2 juin 2010
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit son étude sur l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et les répercussions sur la politique étrangère canadienne.
Nous accueillons, représentant la Fondation canadienne pour l'innovation, Eliot Phillipson, président-directeur général, et Douglas Lauriault, vice-président, Relations extérieures et communications.
Précisons que la Fondation canadienne pour l'innovation est une société autonome créée par le gouvernement du Canada pour financer l'infrastructure de recherche. Le mandat de la FCI est de renforcer la capacité des universités, des collèges et des hôpitaux de recherche, de même que des établissements de recherche à but non lucratif du Canada de mener des projets de recherche et de développement technologique de calibre mondial qui produisent des retombées pour les Canadiens.
Depuis sa création en 1997, la fondation a engagé 5,3 milliards de dollars pour financer 6 800 projets menés dans 130 établissements de recherche situés dans 65 municipalités aux quatre coins du Canada.
Merci de comparaître malgré un préavis plutôt bref. Nous achevons la partie de notre étude qui est consacrée à l'Inde. Je crois savoir que vous en avez été prévenu. Vous avez une déclaration d'ouverture à faire, je crois, après quoi nous passerons aux questions.
Bienvenue à vous, messieurs.
Eliot Phillipson, président-directeur général, Fondation canadienne pour l'innovation : Merci, honorables sénateurs, de nous donner cette occasion de comparaître pour vous donner notre point de vue sur la situation du Canada sur ce que nous appelons le marché international des idées. Je le fais en ma qualité de président de la Fondation canadienne pour l'innovation.
Je signale que la présentation d'aujourd'hui sera la 24e comparution de la fondation devant un comité parlementaire depuis 1997, année de sa création.
Le sénateur Andreychuk m'a invité à être bref. Heureusement, elle a déjà donné une partir de mon introduction au sujet de la FCI. Je serai d'autant plus bref. Je me contenterai de dire que la fondation a été créée en 1997 par le gouvernement du Canada comme entité autonome dotée du mandat de financer le matériel et l'infrastructure de recherche dans les établissements de recherche du secteur public au Canada. Le mandat de la fondation s'étend à tout l'éventail de la recherche, depuis les sciences naturelles et le génie jusqu'à la santé et aux sciences humaines. À cet égard, elle est tout à fait unique dans le paysage canadien des sciences et de la technologie.
Les objectifs nationaux qui ont été confiés à la FCI sont les suivants : accroître la capacité du Canada de faire de la recherche scientifique et du développement technologique de calibre mondial; promouvoir le réseautage et la collaboration entre les secteurs universitaire et privé; soutenir la croissance économique et la création d'emplois; améliorer par l'innovation la qualité de la santé et de l'environnement.
On vous a déjà dit que nous avions investi jusqu'à maintenant 5,3 milliards de dollars dans 7 000 projets, et ces investissements ont permis de construire des installations de recherche de calibre mondial qui ont attiré des partenaires de l'étranger.
Il y a par exemple l'Atlantic Centre for Comparative Biomedical Research de l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard, le brise-glace de recherche dans l'Arctique de l'Université Laval, l'Amundsen; le laboratoire d'observation des neutrinos de Sudbury, dirigé par l'Université Carleton et l'Université Queen's, établissement international d'astrophysique des particules situé un mille sous terre, dans une mine de l'INCO; le Centre canadien de rayonnement synchrotron de l'Université de la Saskatchewan, qui est l'établissement national canadien de recherche sur le rayonnement synchrotron et le plus grand projet scientifique du Canada depuis une génération; le North-East Pacific Time-Series Underwater Networked Experiments, NEPTUNE, et le Victoria Experimental Network Under the Sea, VENUS, projets dirigés par l'Université de Victoria. Il s'agit des premiers observatoires sous-marins en ligne au monde qui soient câblés.
Si je parle de ces projets, c'est parce que des installations comme celles-là permettent aux chercheurs de relever les défis scientifiques d'aujourd'hui. Dans le contexte de vos délibérations, ils deviennent un élément indispensable à l'entrée du Canada dans la communauté internationale de la recherche aux plus hauts niveaux.
Comme la fondation ne finance que 40 p. 100 des coûts du matériel et de l'infrastructure, cette participation a permis de mobiliser un investissement total de plus de 12 milliards de dollars grâce à des partenariats avec les gouvernements provinciaux et l'industrie. Et les partenariats avec l'industrie resserrent les contacts entre les chercheurs universitaires et les scientifiques de l'industrie et les entrepreneurs. Ces contacts renforcent la conversion du savoir grâce à l'échange d'idées et d'information, bien sûr, mais aussi, et c'est peut-être encore plus important, par le passage de personnel hautement qualifié du secteur universitaire vers l'industrie.
Les investissements de la fondation ont eu de profondes répercussions sur la recherche au Canada. Conformément à notre accord de financement avec le gouvernement du Canada, la FCI a récemment fait l'objet d'une vaste évaluation de son rendement global et d'une vérification d'optimisation des ressources effectuées par un tiers, ainsi que d'une évaluation par un groupe international d'experts. Parmi de nombreuses conclusions, ils signalent que la FCI a joué un rôle dans le renforcement de la capacité du Canada de faire une recherche de pointe et qu'elle a réussi de façon remarquable à aider le Canada à attirer, à garder et à développer des compétences en recherche.
Grâce aux investissements massifs que le gouvernement du Canada a consentis dans la recherche au cours de la dernière décennie par l'entremise de la FCI, mais aussi par l'intermédiaire des chaires de recherche, des trois organismes fédéraux qui subventionnent la recherche et d'autres organisations subventionnaires, la science canadienne est très en demande sur le marché international des idées. Un indicateur de cette demande est la fréquence à laquelle les scientifiques canadiens collaborent avec des collègues d'autres pays avancés sur le plan scientifique. Et cette fréquence est mesurée par les articles que signent des scientifiques canadiens avec des scientifiques étrangers. Cet indice place le Canada au deuxième rang dans le monde, en proportion du nombre d'habitants, un peu derrière le Royaume-Uni et devant les États-Unis, l'Allemagne, la France, le Japon et d'autres grands pays avancés sur le plan scientifique.
Si je parle de cet indice, c'est parce que ce genre de classement est important. Un grand nombre de défis que l'humanité doit relever aujourd'hui ont une portée transnationale — pensez au réchauffement climatique ou aux pandémies — et un pays seul ne saurait trouver les solutions. Il est important pour la prospérité à venir du Canada que nous fassions partie des solutions, au lieu d'être un simple importateur d'innovation.
Heureusement, le Canada, étant donné qu'il a maintenant bâti une entreprise scientifique qui est respectée sur toute la planète, est bien placé, avec ses collaborateurs étrangers, pour traduire ce savoir et ces idées en des produits et services destinés au marché mondial. Toutefois, il me semble qu'il ne faut pas laisser au hasard ces collaborations en sciences et en technologie. Elles doivent plutôt être un objectif important de la politique industrielle et étrangère du Canada, faisant partie du discours au même titre que les alliances militaires, politiques et économiques. Au XXIe siècle, en réalité, le poids scientifique du Canada pourrait contribuer à affirmer sa place dans le monde aussi bien que son poids militaire et diplomatique l'ont fait au siècle précédent.
Comme d'autres alliances, les partenariats scientifiques se bâtissent à partir des avantages concurrentiels que chaque associé apporte avec lui. Par exemple, dans les chaînes d'approvisionnement classiques du secteur manufacturier, l'avantage concurrentiel dépend de l'accès aux matières premières, des capacités de production, des coûts de la main-d'oeuvre, des services de transport et du contexte financier et réglementaire. Par contre, les chaînes de valeur mondiales en recherche et développement reposent sur un ensemble différent de liens : accès à un personnel hautement qualifié, installations et organisations de recherche ultramodernes et technologies de pointe en information et en communications.
Permettez-moi de vous donner un exemple, celui d'une initiative canado-californienne en oncologie utilisant les cellules souches. Les atouts du Canada dans cette initiative sont ses chercheurs de renom en ce domaine et les bases de données sur les patients que notre système de santé a permis de constituer. Pour sa part, la Californie possède la plus forte concentration d'entreprises de biotechnologie au monde. Le partenariat, en tablant sur ces avantages complémentaires, sera à l'avantage des deux États, et il pourrait trouver de nouveaux traitements du cancer qui seront à l'avantage du monde entier.
En recrutant pour le Canada le personnel hautement qualifié qui sera indispensable à la compétitivité dans l'économie du savoir, nous devrions nous appuyer non seulement sur notre infrastructure de recherche de calibre mondial, mais aussi sur notre infrastructure sociale — notre tissu social et culturel. Ce tissu a été et demeurera un déterminant majeur dans la décision que pourraient prendre des étudiants, des scientifiques et des entrepreneurs de choisir le Canada plutôt que d'autres pays qui ont des établissements d'enseignement tout aussi prestigieux et des installations de recherche aussi avancées. Autrement dit, dans l'intense concurrence mondiale dont l'enjeu est la main- d'oeuvre très instruite et compétente qui sera le moteur de l'économie de l'innovation, nous devrions faire une promotion énergique de nos valeurs démocratiques, de la justice sociale, du respect de la diversité et de l'ouverture à l'immigration.
Un auteur a récemment fait remarquer que la mesure la plus simple de la domination d'une culture, c'est que ceux qui lui sont extérieurs veulent y adhérer, veulent que leurs enfants et leurs petits-enfants y grandissent. Si nous appliquons cette mesure, nous pouvons dire que notre culture est dominante et nous devrions en profiter à fond pour bâtir notre avenir sur le plan de l'innovation.
Un rapport récent de la U.K. Royal Society intitulé The Scientific Century signale :
[...] personne ne peut prédire ce que seront au XXIe siècle les équivalents de la théorie quantique, de la double hélice de l'ADN et d'Internet. Mais il ne fait guère de doute que les progrès de la science et de la technologie continueront de transformer notre mode de vie et de créer de nouvelles industries et de nouveaux emplois, et nous permettront de nous attaquer à des problèmes sociaux et environnementaux apparemment insolubles.
Comme j'ai essayé de l'expliquer brièvement, peu importe quelles seront les découvertes du XXIe siècle, le Canada a la capacité de jouer un rôle de premier plan dans leur développement. Le défi que notre pays doit relever, pour commencer, c'est la prise de conscience du fait que nous avons cette capacité et, ensuite, l'élaboration et la mise en oeuvre d'une stratégie qui nous permettra d'exploiter cette capacité avec succès. À mon avis, cette stratégie doit comprendre des initiatives majeures dans les affaires étrangères et le commerce international.
La présidente : Merci, monsieur Phillipson. Vous avez couvert beaucoup de terrain en peu de temps. J'ai ici une liste de sénateurs qui veulent poser des questions, à commencer par le sénateur Segal.
Le sénateur Segal : Merci beaucoup d'avoir pris le temps de vous joindre à nous. Je vous sais gré de votre présentation à la fois directe et mûrement réfléchie.
Je crois comprendre que la raison d'être principale de la FCI est le financement des immobilisations. Une partie des difficultés qui sont à l'origine de la fondation, c'est le fait que les subventions de recherche accordées par les organismes subventionnaires dans le cadre d'un examen par les pairs prévoient les coûts opérationnels, mais non les besoins matériels comme les nouveaux laboratoires ou les nouvelles installations pour les recherches sous-marines de NEPTUNE, par exemple.
Lorsque vous cotez les propositions soumises à votre évaluation — et je sais que vous recourez à un examen par les pairs —, accordez-vous une certaine pondération au fait que les installations pour lesquelles des fonds sont demandés serviront à un projet de recherche avec collaboration internationale ou canadienne?
Il y a eu un cycle avec nos amis russes et chinois. À l'occasion, selon les pressions du moment, ce qui nous apparaît comme une collaboration sérieuse en recherche est qualifiée d'espionnage dans quelque ministère de l'Intérieur et les budgets de recherche sont coupés, ce qui laisse en difficulté certains de nos collaborateurs à l'étranger. Je voudrais connaître votre point de vue à ce sujet. Je ne parle pas de l'Inde, mais ma prochaine question portera expressément sur ce pays.
M. Phillipson : Vous avez raison de dire que le mandat de la FCI est de financer le matériel et l'infrastructure et non les frais d'exploitation et la rémunération des scientifiques. Un certain nombre de critères guident l'évaluation des demandes. Là encore, vous avez raison : nous avons des modalités d'évaluation à la fois rigoureuses et complexes de l'excellence et du mérite. De façon générale, les critères sont de nature scientifique. Si la proposition n'est pas valable du point de vue scientifique, elle ne va pas plus loin; il y a aussi le scientifique; et les besoins en infrastructure. L'évaluation de l'aspect scientifique et du scientifique tient compte notamment des succès antérieurs dans d'autres recherches et de la capacité d'obtenir des subventions de fonctionnement de la part d'autres organismes qui subventionnent la recherche.
Ce dernier point n'est pas obligatoire, toutefois, car il se peut que le premier besoin soit d'avoir du matériel en place. Il peut être prématuré de s'attendre à ce que les demandeurs aient une subvention de fonctionnement. Ce point est revu, assurément.
Nous ne nous en tenons pas à l'aspect scientifique et au scientifique. Nous essayons de voir si le projet renforcera la capacité du Canada en matière de recherche et de développement de la technologie et s'il y aura un impact sur la formation de personnel hautement qualifié; et non seulement d'étudiants diplômés et de détenteurs de bourse de perfectionnement postdoctoral, mais aussi de techniciens hautement qualifiés dont les secteurs universitaire et privé ont tous deux besoin. Nous considérons également l'engagement de l'établissement. Ceux qui nous adressent des demandes sont les établissements, et ces demandes doivent reposer sur leurs priorités stratégiques en recherche. Enfin, nous tenons compte des retombées possibles pour le Canada, sur les plans économique, social et environnemental et sur le plan de la santé. Nous essayons de choisir les demandes qui peuvent avoir le plus grand retentissement.
Nous vérifions dans quelle mesure les chercheurs réussissent à obtenir des fonds d'autres organisations qui financent les recherches. Lorsque nous voyons comment sont orientés les fonds d'autres organismes de financement, il n'est pas étonnant de constater une convergence. Si d'autres organismes utilisent l'excellence comme critère fondamental — pour que la conception de l'excellence soit comparable dans tous les organismes —, il n'est pas étonnant que les forces darwiniennes de l'excellence attirent les fonds, et la convergence des fonds est de plus en plus marquée.
Quant à votre question sur les scientifiques coincés dans ce qui, d'après vous, est perçu comme de l'espionnage ou d'autres activités à l'étranger...
Le sénateur Segal : Peut-être dans un contexte de recherche restreint.
M. Phillipson : Un grand nombre des demandes et des projets que nous finançons se situent dans un contexte international. Plusieurs de ceux que j'ai énumérés doivent attirer des participants de l'étranger. Que je sache, aucun des projets auxquels nous avons participé jusqu'à maintenant n'a eu cette difficulté de surcroît.
Le sénateur Segal : Lorsque vous considérez les évaluations scientifiques faites par des tiers et qui se rapportent à votre examen d'une demande, jugez-vous l'évaluation scientifique qui vient d'académies scientifiques ou d'organisations de recherche dans des pays comme la Chine et l'Inde en fonction de leurs mérites comme vous le feriez pour toute autre source étrangère, ou avez-vous une façon de coter selon que ces institutions ont ou non la même profondeur scientifique et la même capacité d'analyse pour faire les évaluations que ce que vous attendez d'autres éléments que vous évaluez dans votre étude des demandes de subventions.
M. Phillipson : Les évaluations étrangères provenant de la Chine, de l'Inde, des États-Unis ou du Royaume-Uni ont une incidence sur le succès des scientifiques qui veulent obtenir des fonds pour la recherche dans ces pays. Toutefois, nous faisons nos propres évaluations. Nous faisons appel à beaucoup d'évaluateurs étrangers. Environ 40 p. 100 de nos évaluateurs et experts sont étrangers parce que, d'abord, certains de nos projets sont si vastes que tous les experts canadiens sont en cause. Deuxièmement, nous essayons toujours de nous assurer et nous nous assurons effectivement que les projets que nous finançons sont vraiment de calibre mondial. Nous pouvons y veiller en faisant appel à beaucoup d'évaluateurs de l'étranger.
Nous faisons nos propres évaluations. Nous ne nous fions pas à celles dont les projets ou les scientifiques ont pu faire l'objet dans les pays d'origine.
Le sénateur Segal : Vous voudrez peut-être prendre le temps de réfléchir à la question suivante, car il n'est pas juste de vous demander de répondre sans savoir au juste. Y a-t-il une proposition que nous devrions étudier, selon vous, pour que le comité puisse formuler une recommandation en ce domaine afin de relever le niveau de l'activité de recherche et de développement et l'activité de recherche pure entre le Canada et des pays comme l'Inde, la Chine, la Russie et le Brésil? Y a-t-il des éléments dans vos prémisses de fonctionnement, de financement ou autres qui, s'ils étaient améliorés ou modifiés, faciliteraient peut-être l'établissement de relations en recherche, tout en comptant que le mérite restera un élément fondamental et non édulcoré?
M. Phillipson : Vous avez raison de dire que je préférerais réfléchir sérieusement à la question. Néanmoins, la première idée qui me vient à l'esprit, qu'il s'agisse de la FCI ou d'autres organisations qui financent la recherche, c'est que notre capacité de financer la recherche qui se fait à l'étranger est limitée.
Nous avions un fonds international pour financer certains des projets dont j'ai parlé. Dans l'ensemble, les fonds doivent financer des activités qui se déroulent au Canada. Dans tous les projets, on accueille volontiers des scientifiques étrangers et une participation étrangère, mais ces pays doivent financer eux-mêmes leurs scientifiques.
Par exemple, nous fournissons des fonds pour l'Observatoire de neutrinos de Sudbury. Si jamais vous avez l'occasion de vous rendre là-bas, je vous incite à le faire. À tout moment, il s'y trouve des scientifiques et des étudiants diplômés provenant d'une dizaine ou d'une douzaine de pays et qui utilisent ces installations financées par le Canada. Nous assumons les frais généraux et tous les frais de fonctionnement au Canada, mais les autres pays doivent payer leurs scientifiques qui viennent chez nous.
C'est peut-être là une question à considérer, pour un pays scientifiquement avancé comme le Canada, si nous voulons aider et encourager un développement scientifique de grande qualité dans d'autres pays. À cet égard, je fais une distinction entre les pays qui développent leur capacité scientifique et ceux avec lesquels nous nous comparons habituellement, c'est-à-dire les pays avancés sur le plan scientifique.
La présidente : Comme j'ai ici une longue liste, je vous demande de bien vouloir être bref.
Le sénateur Stollery : Je ne serai pas long.
Merci beaucoup de votre présence. Vous avez été appelé à témoigner parce que nous étudions ce que d'aucuns appelleraient le « nouveau monde », c'est-à-dire la Chine, l'Inde, la Russie et d'autres pays émergents. Le problème du Canada et de son passé commercial, c'est que nous avons pris l'habitude de vendre bon marché des produits bon marché. Par exemple, nous vendons des matières premières. Mettons que notre tradition d'exportateur n'a pas mis l'accent sur les produits de haute qualité.
On emploie les termes « innovation » et « qualité ». La qualité me semble importante, mais sans doute se rattache-t- elle à l'innovation, je ne sais trop.
Il existe une contradiction entre votre témoignage et celui des témoins qui ont dit que passons beaucoup de temps à vendre bon marché de la marchandise bon marché. Je comprends, étant marchand de formation, ce que cette pratique veut dire. On nous a dit que ce n'était pas une bonne voie où s'engager. Or, nous y sommes très engagés, et cette route- là ne nous mène pas très loin.
L'Allemagne est un grand importateur, tout comme la Chine, mais leurs produits sont de grande qualité. Vous avez dit que nous étions avancés sur le plan scientifique, si je vous ai bien compris. Comment se fait-il, si nous sommes avancés, que nous n'arrivions pas à utiliser nos innovations sur le plan commercial? Il y a d'autres endroits où on tient le même discours.
Que s'est-il passé ici? Ce que vous dites est important pour le Canada. Pourquoi n'avons-nous pas aussi bien réussi, comme des témoins l'ont dit, à faire la transition entre les progrès scientifiques et le commerce?
M. Phillipson : Je vous remercie de cette question, qui porte sur un sujet d'une importance extrême.
Si je peux, je vais parler de ce que la plupart des gens perçoivent intuitivement comme de la science de haut vol dans le sens commercial. Il y a les industries de haute technologie comme la biotechnologie, l'aérospatiale et les technologies de l'information et des communications. Au Canada, ces trois secteurs sont de la haute technologie, et leur succès dépend de la production de savoir et d'idées, et de la transformation de ces idées en produits et services.
Toutefois, quel que soit leur succès, ces secteurs représentent seulement une infime portion de l'ensemble de l'économie canadienne, comme vous l'avez fait remarquer. Le gros de l'économie repose sur les ressources naturelles et le secteur manufacturier courant — pas celui des produits de haute technologie — et sur le secteur des services.
La question est complexe, et je ne prétends pas en être un expert, mais l'un des facteurs est que, par le passé, nos industries des ressources naturelles ne proposaient pas de produits à valeur ajoutée. Nous croyons et nous présumons que nos ressources naturelles demeureront une partie importante de l'économie. Toutefois, au lieu de nous contenter d'exporter des ressources naturelles comme matières premières, il n'y a pas de raison que nous n'y ajoutions pas de la valeur.
C'est là que l'innovation intervient. Une approche innovatrice de l'exploitation des ressources naturelles et de l'ajout d'une valeur au produit avant son exportation, voilà une application du savoir. Dans ce cas, le savoir sert non pas à produire un nouvel appareil BlackBerry, mais à l'exploitation de nos ressources naturelles.
Pourquoi ne l'avons-nous pas fait? Je l'ignore. J'ai posé la question au dirigeant principal d'une société dans le secteur des ressources naturelles. Je lui ai demandé : comment se fait-il que par le passé, votre secteur et d'autres secteurs comparables n'ont pas investi davantage pour proposer des produits à valeur ajoutée? Parce que cela exige de l'innovation scientifique?
Il a répondu que, par le passé, nous n'avions pas à le faire. Nous pouvions extraire la ressource, la capturer, la pêcher, l'abattre. Les ressources étaient abondantes et ne coûtaient pas cher, et il y avait un marché tout trouvé. Il n'y avait pas d'incitation à le faire.
La situation a évolué, car d'autres pays qui ont des ressources naturelles s'y prennent d'une manière plus innovatrice. Songeons au secteur forestier et à la Finlande. L'entreprise canadienne est beaucoup plus importante, mais la plupart des innovations sont venues des Finlandais.
La situation évolue, il me semble, car les industries du secteur des ressources naturelles comprennent que, dans ce contexte concurrentiel, l'innovation est importante pour ajouter de la valeur à leurs produits. J'espère qu'elles continueront d'évoluer dans la même direction.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci, madame la présidente. Monsieur Phillipson, je suis ravie d'avoir entendu votre mémoire; il était très explicite et bien résumé. J'ai beaucoup apprécié.
Il faut des chercheurs pour faire de la recherche — c'est évident — pour la transférer ensuite en industrie afin de développer le résultat de la recherche. Selon le nombre de diplômés à la veille de leur retraite sur le marché du travail actuellement, je suis convaincue qu'une demande massive de chercheurs voudront combler ces postes.
Par ailleurs, je lisais récemment que l'Organisation de coopération et de développement économiques indique que le Canada accuse un retard important, par rapport aux autres pays, en ce qui a trait aux titulaires d'un doctorat dans des domaines comme l'ingénierie ou les sciences et qu'on a un nombre insuffisant de programmes interdisciplinaires.
De votre côté, comment voyez-vous cela? Quelles solutions nous suggérez-vous? Doit-on se tourner vers l'étranger pour les trouver? Si oui, dans quels pays? Vous avez mentionné que le Canada pouvait être un pays intéressant pour les chercheurs. En avons-nous suffisamment au Canada pour répondre à tous nos besoins?
Douglas Lauriault, vice-président, Relations extérieures et communications, Fondation canadienne pour l'innovation : Merci pour la question, madame le sénateur. Les investissements de la FCI dans l'infrastructure de recherche ont un impact important au niveau de la transformation du milieu canadien de la recherche et du développement. Cela a permis, par exemple, de renverser l'exode des cerveaux — une expérience des années 1990 — et le Canada est devenu un lieu de prédilection pour les chercheurs.
Les établissements qui sont nos clients ont été en mesure de renforcer d'une manière remarquable leurs domaines prioritaires dans leur plan de recherche stratégique. Y a-t-il toujours du travail à faire? Oui, certainement.
Existe-t-il un problème sur le plan de la retraite des professeurs? Oui, certainement.
De notre côté, nous faisons notre possible. Jusqu'à maintenant, nous avons injecté un montant de 3,5 milliards de dollars et financé plus de 6 800 projets dans 130 établissements partout au pays.
Le phénomène de l'exode des cerveaux est constaté aux quatre coins du Canada. Je peux vous donner un exemple d'une institution avec laquelle nous avons connu un grand succès, soit l'Université du Québec à Chicoutimi.
Nous avons financé un projet pour le pavillon de recherche sur le givrage à Chicoutimi. C'est le centre de recherche le plus important au monde dans ce domaine. Le potentiel existe, à Chicoutimi, d'exporter cette connaissance canadienne dans des pays comme la Chine et la Russie. Ces pays font face à certains défis qui s'apparentent à la tempête de verglas que nous avons vécue, en 1998, dans l'Est de l'Ontario et l'Ouest du Québec.
L'industrie peut également tirer des avantages économiques considérables de ces recherches. Nous avons tenu des discussions avec les gestionnaires d'Hydro-Québec. Ceux-ci nous ont confirmé que, depuis la tempête du verglas, Hydro-Québec a investi plus de 2 milliards de dollars dans les infrastructures. L'Université du Québec à Chicoutimi est présentement le centre le plus important dans ce domaine au monde. Plusieurs applications viennent donc à l'idée d'exporter cette connaissance pour empêcher l'accumulation de glace sur les fils électriques ou les pylônes qui s'écrasent sous le poids de la glace en Chine ou en Russie. On peut également penser à certaines applications pour l'industrie de l'aviation, qui est très importante au Québec. Les aéroports partout au monde doivent faire face aux difficultés reliées au climat froid.
[Traduction]
Les honorables sénateurs ici présents ont eu le plaisir d'attendre dans des avions tandis qu'on dégivrait les appareils sur le tarmac d'Ottawa par moins 200C. L'Université du Québec à Chicoutimi est le chef de file mondial dans ce domaine.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : A-t-on suffisamment de chercheurs en formation ici ou faut-il aller en chercher ailleurs?
M. Lauriault : Un des buts de la fondation consiste à aller chercher les meilleurs chercheurs au monde et les attirer au Canada. Y en a-t-il suffisamment? Dans tous les domaines scientifiques on compte toujours trop peu d'experts pour la demande. La FCI répond tout simplement qu'il y a beaucoup de travail à faire dans le domaine et nous devons continuer à investir pour attirer les chercheurs.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Dans quels pays iriez-vous les chercher?
Le sénateur Nolin : Où qu'ils soient.
M. Lauriault : Notre marché s'étend aux quatre coins du monde.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Sur la terre entière?
M. Lauriault : Oui.
Le sénateur Fortin-Duplessis : Je vous remercie beaucoup, monsieur Lauriault, pour votre réponse en français.
[Traduction]
M. Phillipson : Nous ne ciblons pas de pays, mais plutôt des établissements et des personnes sans égard au pays.
Le sénateur Jaffer : J'ai trouvé vos exposés fort intéressants.
Au cours de nos audiences, nous avons entendu des témoins dire que, en Inde, l'offre d'infrastructures est à la hausse. L'Inde, qui était un pays aux nombreux villages, se transforme en un pays qui a plus de villes, où on aura besoin de grandes infrastructures. Je voudrais savoir si le Canada se prépare à fournir ces infrastructures. Dans l'affirmative, que devrons nous faire pour devenir un partenaire de première importance à cet égard?
M. Phillipson : Les infrastructures dont vous parlez, on en a besoin dans bien des pays, et pas seulement en Inde. Regardez certaines de nos villes, et vous remarquerez le même besoin. Vous parlez de l'infrastructure générale de l'économie, alors que la FCI s'occupe du matériel et des infrastructures de recherche. Nous ne nous occupons pas directement de la conception, de l'offre ni du financement des infrastructures. Notre domaine est celui de la recherche liée à la production de meilleures infrastructures. Un grand nombre de nos projets de génie sont liés à cette recherche.
Le Canada peut offrir ses connaissances pour la construction de meilleures infrastructures. Il se peut que, selon l'infrastructure, des entreprises canadiennes la développent et l'exportent. À la fondation, nous ne nous intéressons pas directement aux infrastructures dont d'autres pays peuvent avoir besoin. Nous finançons la recherche et les établissements canadiens qui élaboreront de meilleures infrastructures pour, espérons-le, les marchés intérieur et d'exportation.
Le sénateur Jaffer : Le comité rédigera sur ces questions un rapport pour le gouvernement et les Canadiens. Je comprends bien que vous vous occupez de recherche, mais que pouvez-vous recommander au comité comme proposition à inclure dans le rapport pour que le Canada soit mieux préparé à devenir un partenaire de premier plan dans la fourniture d'infrastructures à l'étranger?
M. Phillipson : En général, des pays comme l'Inde et la Chine dont la population est énorme ont un grand nombre d'ingénieurs diplômés et autres scientifiques. Le Canada ne peut pas les concurrencer sur ce plan. Par contre, il peut leur offrir la haute qualité de son entreprise scientifique. C'est pourquoi j'ai parlé de l'indice. Si les scientifiques d'un pays veulent collaborer avec ceux d'un autre, ils veulent travailler avec les meilleurs scientifiques de l'autre pays. Le fait que le Canada se classe si bien révèle que nous avons quelque chose à offrir, tant par le volume des connaissances, puisque nous sommes au sixième rang des producteurs de savoir dans le monde, en chiffres absolus, que par la qualité de ce savoir, qui nous vaut un classement encore plus élevé.
Le sénateur Jaffer : J'ai été impressionnée lorsque vous avez parlé de la qualité de ce que nous avons à offrir. C'est encourageant. C'est le secret le mieux gardé que nous sommes les seuls à connaître, ou bien cherchez-vous à promouvoir cet aspect, de sorte que nous puissions partager avec le monde entier?
M. Phillipson : Bonne question. Nous faisons de notre mieux pour propager cette information, d'abord au Canada. C'est pourquoi nous sommes heureux d'être ici. Les milieux scientifiques du monde entier sont au courant, car c'est avec eux que les contacts s'établissent au départ.
L'autre élément important, et peut-être encore plus important, du reste, c'est que, si nous pouvons attirer des étudiants étrangers au Canada pour étudier, certains d'entre eux resteront chez nous, et ils sont les bienvenus. Toutefois, ceux qui rentrent dans leur pays connaissent bien le Canada et ses capacités. Autrement dit, nous aurons des ambassadeurs au niveau scientifique dans tous ces pays, ce qui revêt la plus haute importance. C'est le genre d'initiative que j'essayais de décrire en parlant de commercialiser le Canada comme pays non seulement du point de vue de l'infrastructure scientifique, mais aussi de celui de l'infrastructure sociale de façon à attirer les étudiants et les scientifiques. Nous espérons que certains étudiants resteront, et beaucoup le font. Mais ceux qui rentrent chez eux ne doivent pas être considérés comme une perte, car ils emportent avec eux une meilleure compréhension du Canada et de ses capacités.
Le transfert de technologie ne se résume pas à la simple lecture d'un catalogue de brevets pour choisir ceux qui peuvent présenter de l'intérêt. Il s'agit d'un processus social autant que d'une transaction commerciale. Plus nous pouvons connaître ces personnes et interagir avec eux, plus nous serons bien placés.
Le sénateur Di Nino : Mes questions se situent dans le même ordre d'idées. Nous réalisons cette étude pour mieux comprendre les occasions et les défis qui se présentent au Canada non seulement sur le plan du commerce et de l'investissement, mais aussi du point de vue d'autres relations. L'étude n'est pas limitée au commerce et à l'investissement. Elle s'étend aussi à nos interactions avec ces nouvelles économies qui émergent. Nous nous sommes toujours posé des questions : est-ce que nous nous débrouillons bien? Que faisons-nous de bien? Que faisons-nous de mal. Nous voudrions avoir des réponses à ces questions.
Je vous ai écouté attentivement. J'ai dû m'absenter trois minutes environ pour m'occuper d'autre chose, et j'espère que ma question n'a pas déjà été posée. Pouvez-vous, vous deux, messieurs, nous donner une idée des domaines où nous avons réussi à trouver des occasions de commerce et d'investissement grâce à l'excellent travail de la fondation? Que devons-nous améliorer encore, dans les relations avec la Russie, la Chine et l'Inde, plus précisément? Et aussi sur un plan plus général, où laissons-nous passer des occasions?
M. Phillipson : Je comprends votre question, mais il n'est pas facile d'y répondre. Il est important de ne pas perdre de vue le fait que, quand on investit dans la recherche, dans la création de savoir, il y a toujours un décalage avant la fabrication du produit final. Car nous espérons toujours qu'il y aura des produits, des services et des politiques à proposer sur le marché. Il y a toujours un décalage, et il s'agit de savoir s'il sera long.
Mon propre domaine est celui de la médecine et de la santé. Il est bien établi que, à partir du moment où une découverte scientifique fondamentale est faite, il faut compter au moins de 12 à 15 ans pour mettre au point un médicament commercialisable. Par contre, dans les technologies de l'information et des communications, les TIC, la période est bien plus courte : probablement de deux à trois ans.
Par conséquent, nous ne pouvons pas simplement considérer les investissements dans la recherche et voir immédiatement les résultats sous forme de produits et de services. C'est pourquoi il est difficile de répondre directement à la question. Cela dépend en partie de la distance qui sépare la recherche et le marché. S'il s'agit de recherche fondamentale, les résultats concrets tardent beaucoup. Plus important encore, au moment où se fait la recherche, le plus souvent, personne ne peut prédire quels seront les avantages ultimes, car les résultats mettent souvent un certain nombre d'années à se concrétiser.
Considérez la technologie qui est présente dans cette salle. Je présume que vous êtes nombreux à posséder un appareil BlackBerry et tout l'équipement semblable. Dans bien des cas, on peut retracer leur origine lointaine dans les études qu'Einstein a réalisées en 1908. Nous espérons que les recherches que nous finançons ne mettront pas 100 ans à produire des résultats commercialisables. En réalité, on a estimé que la moitié du produit intérieur brut des pays occidentalisés a sa source dans les quatre études publiées par Einstein en 1908.
Par ailleurs, nous finançons également le développement de la technologie. Autrement dit, la recherche n'est plus une idée, mais il existe un prototype concret, et il s'agit de développer davantage le prototype et de le mettre à l'épreuve. Cette recherche est beaucoup plus proche du marché, et les exemples sont nombreux. M. Lauriault en a donné un : le dégivrage des avions est une application de recherches effectuées à Chicoutimi.
Je suis désolé de ne pas pouvoir vous faire une réponse plus directe, mais l'histoire a montré que l'investissement dans le développement du savoir finit par donner des avantages sur les plans économique et social.
Le sénateur Di Nino : Vous ai-je compris correctement? Vous dites que nous ne sommes pas à l'oeuvre depuis assez longtemps pour avoir produit des biens et services que nous pouvons vendre au monde ou pour pouvoir coopérer avec le reste du monde pour créer des occasions d'investissement et de commerce?
M. Phillipson : Non, ce n'est pas du tout ce que j'ai voulu dire. Le Canada a inventé beaucoup de produits.
Le sénateur Di Nino : Je veux parler de ce qu'on a pu faire grâce à votre fondation.
M. Phillipson : Il y a eu des inventions grâce à la FCI, effectivement. La fondation a 13 ans, mais il a fallu un an ou deux avant de commencer à distribuer des fonds et avant de mettre en place tous les processus voulus. Les exemples ne manquent pas, mais il est vrai que le gros des retombées est encore à venir. C'est pourquoi je dis qu'il faut du temps.
Il y a des avantages d'ordre social, mais tenons-nous en pour un instant aux avantages économiques de l'investissement dans les recherches en santé. Je présume que presque tout le monde pensera d'emblée aux médicaments ou aux appareils médicaux. Autrement dit, on pense immédiatement à quelque chose qu'on peut vendre sur le marché. Toutefois, les plus importantes retombées économiques de ces recherches, ce ne sont pas nécessairement les produits, mais plutôt les modifications dans les pratiques et politiques et dans la prestation des soins. La recherche sur les modalités de prestation des soins peut se traduire par des économies énormes, mais il n'y aura aucun brevet, aucun produit à trouver sur les tablettes.
Par conséquent, nous ne devrions pas croire que les avantages économiques se limitent à des produits qui se vendent et s'achètent.
Le sénateur Di Nino : Surtout dans les trois pays dont nous discutons, et plus particulièrement en Inde et en Chine, le secteur de la santé et de la médecine offrira au Canada d'énormes possibilités de commerce et d'investissement. Cet avantage est distinct des retombées sociales qui viendront évidemment de nos recherches, et bien des gens en profiteront.
Même dans ce domaine, le travail de la fondation se poursuit toujours, et nous ne pouvons pas cerner de secteurs où l'investissement que le contribuable a consenti dans la fondation nous a donné de résultats concrets.
M. Phillipson : Nous le pouvons, sénateur, et je ne voulais pas laisser entendre le contraire. Je vous donne un exemple que je trouve ici même. Certains d'entre vous auront peut-être entendu parler des règles de la cheville, à Ottawa. Autrefois, si quelqu'un se blessait à la cheville et se présentait à l'urgence, on faisait forcément une radiographie pour s'assurer qu'il n'y avait pas de fracture. Le traitement peut être différent, selon qu'il s'agit d'une fracture ou d'une entorse.
Des chercheurs de l'Université d'Ottawa ont entrepris une étude pour savoir quel patient qui entre à l'urgence en claudiquant a besoin d'une radio et quel patient n'en a pas besoin, parce que les risques de fracture sont tellement minimes que cela ne vaut pas la peine. Les règles d'Ottawa sur la cheville sont en place non seulement dans à peu près tous les hôpitaux depuis une dizaine d'années, mais elles sont aussi citées et appliquées dans le monde entier.
Cette application a permis des économies énormes, vu toutes les radiographies qui ont été évitées, mais il n'y a aucune entreprise qui peut créer ou produire quelque chose qui peut être présenté et vendu sous le nom de « règles d'Ottawa sur la cheville ».
Le savoir a des retombées économiques considérables, en plus des retombées sociales en matière de santé.
Le sénateur Finley : Je déteste intervenir après le sénateur Di Nino. Le plus souvent, il effleure tout au moins la plupart de mes questions.
Le sénateur Di Nino : Je lis vos documents.
Le sénateur Finley : Je voudrais reprendre brièvement une partie de ce qui intéressait le sénateur Di Nino. Dans le cadre des énoncés de mandat ou de mission que vous avez certainement, envisagez-vous ou établissez-vous une sorte de cible, si modeste soit-elle, de conversion des résultats de la recherche en licences, afin d'obtenir des licences sur le terrain?
Vous ne produisez par les biens, les produits, cependant je présume que, si la Fondation canadienne de l'innovation détenait une licence sur un processus, un produit ou une pratique, elle aurait une source de revenus. Ce genre de chose existe-t-il pour l'instant?
On me dit que d'autres pays sont un peu en avance sur nous, pour ce qui est des licences. Comment cela se fait-il? Est-ce que l'industrie privée constitue un obstacle?
M. Phillipson : Je vais essayer de répondre. Le mandat législatif de la FCI lui interdit de détenir une participation dans les recherches qu'elle finance. Nous finançons les établissements, et chacun d'eux a ses politiques sur la propriété intellectuelle et les licences. Nous savons que les établissements détiennent une participation si la propriété intellectuelle peut faire l'objet d'un brevet ou d'une licence, comme tous les partenaires du financement de la recherche.
Nous ne sommes qu'un élément parmi d'autres. Nous finançons le matériel et l'infrastructure. Toutefois, si le matériel reste inutilisé, il ne produit rien. Il faut également l'apport des autres organismes de financement, des gouvernements provinciaux et de l'industrie si on veut obtenir au bout du compte des connaissances commercialisables.
Le sénateur Finley : Je vais poser une question sous un autre angle. Vous avez investi quelque 5,3 ou 5,5 milliards de dollars sur à peine plus de 12 ans dans des instituts de recherche très divers. Combien de licences ont été obtenues grâce à cet investissement direct? Quel est votre taux de réussite jusqu'à maintenant?
Je sais que, probablement, pour chaque dollar investi dans la recherche, il y a peut-être 5 p. 100 qui produisent quelque chose de concret. Quels ont été les résultats du point de vue des licences, je veux dire celles auxquelles vous avez participé, même si vous ne recevez pas la licence?
M. Phillipson : Je le répète, nous ne participons pas. Ce sont les établissements qui le font. Nous avons toutefois de l'information sur cette question. Nous avons réalisé une étude, il y a quelques années, sur les entreprises essaimées des universités où l'infrastructure financée par la FCI a joué un rôle important — mais pas un rôle exclusif, comme je l'ai signalé. À ce moment-là, lorsque la FCI existait depuis six ou sept ans, 116 sociétés essaimées avaient été créées à partir des universités grâce à une infrastructure financée par la FCI.
J'essaie de me rappeler les chiffres, mais nous vous ferons parvenir l'étude. Il y a largement plus de 1 milliard de dollars de l'industrie qui a été investi dans ces sociétés essaimées. Nous avons essayé d'établir des statistiques pour voir quelles étaient les retombées économiques.
Il se trouve que nous sommes au milieu des préparatifs d'une étude bien plus vaste des retombées socioéconomiques de nos investissements. Comme cette étude est simplement en préparation, je ne peux encore vous donner aucune réponse. Il nous a semblé que, au bout de 13 ans d'existence environ, après avoir fait des investissements pendant une dizaine d'années, il convenait que voir quelle information nous pouvions trouver pour répondre à des questions semblables à la vôtre.
Le sénateur Finley : Si vous pouviez remettre au greffier un exemplaire du premier rapport, je voudrais le consulter. Et j'ai hâte de voir le nouveau.
Au début de votre présentation, vous avez dit que le Canada avait une expérience considérable en recherche et excellait dans un certain nombre de domaines, probablement un grand nombre de domaines, et qu'il était vraiment formidable dans certains. Nous travaillons à une étude du développement coopératif du commerce international avec l'Inde. Vous ne ciblez pas nécessairement les compétences selon les pays, les personnes ou les établissements, mais si vous le faisiez dans le cas de l'Inde, quelles seraient les complémentarités idéales entre les compétences ou les ressources de l'Inde et les points forts du Canada? Cette information, dans le cadre de notre étude, pourrait être utile du point de vue de la politique gouvernementale ou des relations bilatérales. Pourriez-vous me dire à quoi ressembleraient ces complémentarités?
M. Phillipson : Il faudrait que j'étudie plus en détail les atouts particuliers de l'Inde dans chacun des domaines. Je ne crois pas que ce soit une réponse satisfaisante que de généraliser en disant « la santé ». La santé, c'est un domaine énorme. Je sais qu'il y a des secteurs où le Canada et l'Inde collaborent et peuvent collaborer davantage.
C'est exactement ce que j'essayais de dire tout à l'heure : chaque pays devrait avoir un avantage concurrentiel qu'il apporte dans le partenariat, car c'est ce qui fait un vrai partenariat. Mais je ne peux pas vous donner une réponse intelligente.
Le sénateur Finley : J'ai examiné un secteur, par exemple. Vous avez dit que le Canada, et je le sais, puisque j'ai travaillé dans ce secteur, a fait des investissements énormes en recherche et a accumulé de vastes connaissances en aérospatiale. Le marché de l'aérospatiale de l'Inde est probablement celui qui connaît, ou pourrait connaître, le plus grand essor. Deuxièmement, l'Inde forme un nombre énorme d'ingénieurs dans un large éventail de spécialités, ce dont on a besoin dans l'infrastructure aérospatiale. Est-ce que ce serait un secteur de complémentarité, ou y a-t-il des exemples de cas où le Canada collabore actuellement avec l'Inde par l'entremise de votre centre?
M. Phillipson : C'est certainement un bon exemple. Quant à savoir ce qui se fait en ce moment, je ne peux pas vous le dire. Nous avons financé 7 000 projets et je ne peux pas, au pied levé, vous donner un exemple particulier.
Le sénateur Finley : Puis-je vous demander de remettre au greffier, en respectant vos règles sur la confidentialité, la liste des programmes que vous avez d'abord avec l'Inde, mais aussi avec la Russie et la Chine. Je m'intéresse surtout à l'Inde. Est-ce possible?
M. Phillipson : Nous allons essayer. Encore une fois, n'oubliez pas que nos fonds sont versés à des établissements canadiens. Ils peuvent établir des partenariats avec d'autres pays. Il nous faudra donc faire appel aux établissements pour trouver la réponse.
Le sénateur Finley : Je comprends. Je ne voulais pas une réponse éclair. Lundi, prochain, ça ira. Plaisanterie à part, je vous remercie.
Le sénateur Downe : Si je comprends bien, la fondation a été mise sur pied pour combler les lacunes relevées dans l'infrastructure de façon à stopper l'exode des cerveaux, dont il était question dans l'actualité, à l'époque. On craignait de ne pas pouvoir garder au Canada des chercheurs et des scientifiques importants. Cette fondation a été un élément clé pour mettre en place tout ce qui allait venir par la suite, c'est-à-dire les chaires de recherche.
Dans votre déclaration d'ouverture, vous avez parlé du travail qui se fait à l'Université de l'Île-du-Prince-Édouard, qui doit sa réussite à votre fondation et à l'aide qu'elle a donnée. Grâce à ce succès, elle a pu créer un certain nombre de chaires de recherche. L'école de médecine vétérinaire a bénéficié de la nouvelle initiative du gouvernement, soit des fonds de 10 millions de dollars pour des scientifiques de renommée mondiale.
L'université a réussi à obtenir que le scientifique, de l'Australie au départ et qui a travaillé récemment dans des universités de la Californie, déménage et s'installe dans l'île. L'hiver sera pour lui tout un changement. Cela dit, je crois qu'il est reconnu pour ses recherches dans la prévention des maladies transmises au saumon sauvage par le saumon d'élevage.
Les résultats éventuels des recherches seront transférables dans le monde entier. Je présume que nous aurons des occasions à saisir dans le monde entier grâce aux fonds qui seront venus de la fondation au départ. Je voudrais vous poser une question sur votre budget. Combien d'argent aviez-vous au départ, combien vous en reste-t-il et recevez-vous des subventions annuelles?
M. Phillipson : Nous n'émargeons pas au budget des services votés. La FCI a reçu ses premiers fonds en 1997. Ce devait être une initiative ponctuelle : 800 millions de dollars à dépenser sur cinq ans pour remettre à niveau le matériel et l'infrastructure dont vous avez parlé. Le matériel était dépassé et, bien des fois, il était même rouillé.
Avant la fin des cinq ans, le gouvernement en place et ceux qui l'ont suivi ont jugé bon, tous les deux ou trois ans, d'accorder de nouveaux fonds à la FCI pour les quelques années à suivre. Dans le budget de l'an dernier, nous avons reçu 600 millions de dollars pour financer un ou plusieurs concours à compter de cette année. En ce moment, nous avons ces 600 millions qui n'ont pas été engagés. Nous lancerons un certain nombre de concours de types divers cette année et l'an prochain pour attribuer ces 600 millions de dollars.
Le sénateur Downe : Tous les gouvernements méritent qu'on leur reconnaisse le crédit d'avoir financé cette institution, et je me réjouis de constater que l'on continue à accorder des fonds. Je suis sûr que vous n'avez pas ces renseignements sous la main, mais pourriez-vous nous faire parvenir une ventilation par province de tous les fonds accordés au cours des dix dernières années?
M. Phillipson : Vous voulez parler de la répartition de nos fonds?
Le sénateur Downe : Effectivement.
M. Phillipson : Nous pouvons le faire rapidement. Nous avons ces renseignements au bureau, et nous nous ferons un plaisir de vous les faire parvenir.
M. Lauriault : Pour revenir sur la question que vous avez posée à propos de 1997 et de la création de la fondation, je dirai que 13 ans plus tard, en mars dernier, dans le cadre de l'accord de financement conclu avec le gouvernement du Canada, nous avons fait une vérification et une évaluation. Une partie du processus qui a été confiée à KPMG s'est accompagnée d'un examen par un groupe international d'experts qui a constaté que la FCI et ses pratiques étaient les meilleures au monde. La FCI est vraiment une innovation canadienne.
S'agissant des pays BRIC, que vous étudiez, et de pays plus avancés sur le plan scientifique dont M. Phillipson a parlé, il ne se passe pas une semaine au bureau sans que nous pratiquions la diplomatie scientifique. Nous recevons chaque semaine des délégations de divers pays, en plus de ceux du G20, qui veulent savoir comment fonctionne le modèle de la fondation et comment il intègre tous les protagonistes du système canadien pour créer les conditions propices pour que, comme M. Phillipson l'a dit, le Canada puisse devenir un chef de file mondial dans un grand nombre de domaines.
Le sénateur Downe : Vous avez parlé de vérifications. Le Bureau du vérificateur général vous vérifie-t-il également?
M. Lauriault : Depuis 2006 et l'adoption de la Loi fédérale sur la responsabilité, la vérificatrice générale peut vérifier la fondation. Jusqu'à maintenant, elle a préféré ne pas le faire.
La présidente : Messieurs Phillipson et Lauriault, merci de l'information que vous nous avez communiquée. Vous avez traité des grands éléments de votre mandat, et vous nous avez donné des exemples précis intéressants. Je ne vais pas oublier de sitôt les règles de la cheville. Votre participation est utile pour les grandes lignes de notre étude, qui porte sur les avantages pour le Canada de partenariats avec d'autres pays ou du travail dans d'autres pays. Vous nous avez donné la perspective canadienne, et nous vous en sommes reconnaissants.
Merci du temps que vous nous avez accordé.
M. Phillipson : Merci de nous avoir accueillis.
La présidente : Honorables sénateurs, nous accueillons M. Panday, président-directeur général de la PanVest Capital Corporation. Nous sommes heureux que vous puissiez vous joindre à nous par vidéoconférence.
À titre d'information pour les sénateurs et l'auditoire, je dirai que la carrière de M. Panday s'étend sur plus de 30 ans. Il a occupé plusieurs postes importants dans l'industrie des services financiers et exercé des fonctions en matière d'expertise comptable au sein d'ICICI, de la Banque du Canada, de HSBC Canada, de la Banque de Montréal et de PriceWaterhouse Coopers.
À l'heure actuelle, M. Panday est président et dirigeant principal de PanVest Capital Corporation, un courtier du marché dispensé dont il est l'unique propriétaire. PanVest offre actuellement aux investisseurs canadiens accrédités la capacité de faire des placements en Inde au moyen de fonds d'actions ordinaires non cotées en bourse, de co- investissements et d'autres mécanismes financiers structurés.
En juin 2009, il a reçu le prix du dirigeant d'entreprise de l'année, décerné par la Chambre de commerce Inde-Canada. En 2008, India Abroad l'a inscrit sur sa PowerList des 35 Indo-Canadiens les plus influents.
Nous étudions l'ascension de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et ses conséquences pour la politique canadienne. Si vous pouviez faire votre déclaration d'ouverture pour que nous passions rapidement aux questions, nous vous en serions reconnaissants.
Hari Panday, président-directeur général, PanVest Capital Corporation : Merci beaucoup, honorables sénateurs. Bonjour et merci de me donner l'occasion de participer à vos travaux aujourd'hui. Je suis ici pour parler de l'Inde et faire, à l'occasion, des comparaisons avec d'autres pays.
Je ne perds pas de vue le fait que de multiples considérations politiques et économiques interviennent dans l'établissement de relations souveraines. Je vais faire porter mon intervention sur les considérations économiques et commerciales qui pourraient devenir le fondement durable d'un cadre de politique canado-indien sain et propice à la prospérité.
Le Canada et l'Inde ont besoin l'un de l'autre. Les besoins du Canada tiennent à sa volonté de diversification, étant donné son intégration économique à long terme avec les États-Unis et le plafonnement de la croissance de ce côté depuis une dizaine d'années. De plus, il se préoccupe de plus en plus des principes privilégiant l'achat de biens américains.
Les besoins propres à l'Inde sont dominés par l'ouverture de son économie, évolution dont la plupart des gens ignorent qu'elle a commencé il y a 18 ans, en 1992. Je peux affirmer sans crainte que j'ai commencé à parler de cette question immédiatement après l'instauration des premières réformes.
Il est déraisonnable de croire que nous avons perdu du temps, puisqu'il s'est passé beaucoup de choses au Canada, tout comme en Inde. Nous avons atteint le point où l'émergence de l'Inde comme protagoniste sur la scène mondiale se remarque. L'Inde n'est pas seulement une destination pour les biens et services canadiens, mais aussi un concurrent sérieux des entreprises canadiennes sur la scène internationale. D'un côté comme de l'autre, nous avons beaucoup appris au cours des 18 dernières années. Il ne faut pas laisser dormir ce que nous avons appris.
En tendant la main à l'Inde, le Canada devient un concurrent direct et indirect de nombreux pays, comme les États- Unis, le Royaume-Uni, le Japon, l'Australie, Singapour, le Brésil, Israël et bien d'autres. Ces pays sont bien installés en Inde. Ils ont remporté des succès concrets qui ne sont pas dus au hasard ni au fait qu'ils ont été les premiers à prendre l'initiative, mais à un plan mûrement réfléchi. Ces pays vendent normalement des biens et services, mais ils encouragent aussi les échanges d'investissements qui se dirigent en Inde. Ces investissements viennent de fonds souverains de pays comme la Chine, Oman, l'Australie, l'Irlande, Brunei, la Nouvelle-Zélande et même notre propre Office d'investissement du Régime de pension du Canada. Le Canada semble en être aux premières étapes d'un engagement sérieux avec l'Inde. Il a remporté lui aussi des succès, mais il n'a pas autant fait les manchettes dans les médias internationaux ou indiens.
Je passe maintenant au contexte indien. Nous devrions examiner notre position dans une perspective d'une vingtaine d'années, jusqu'en 2030. Comme l'a dit un jour le grand joueur de hockey, Wayne Gretzky : « Je me dirige vers l'endroit où la rondelle va se trouver, pas là où elle est. » D'après le plus récent Mckinsey Report on Urban India 2030 : Projections and Statistics, en 2030, la population indienne atteindra 1,47 milliard d'habitants. On estime que son produit intérieur brut va quintupler. Environ 590 millions de personnes, soit 40 p. 100 de la population, habiteront dans les villes, qui assureront 70 p. 100 du PIB de l'Inde d'ici 2030. Le pays comptera 68 villes de plus d'un million d'habitants, contre 42 dans l'Inde d'aujourd'hui et 35 en Europe.
Environ 13 villes compteront plus de quatre millions d'habitants. Par exemple, on estime que Bombay aura une population de 33 millions d'habitants en 2030; Delhi aura une population de 26 millions; Calcutta, de 23 millions; Chennai, Bangalore et Pune en auront plus de 10 millions chacune. Pour accueillir cette croissance, il faudra ajouter chaque année des espaces commerciaux et résidentiels de la taille de Chicago. Il faudra aménager 7 400 kilomètres de réseaux de métro. Les chiffres continuent d'arriver. Ce contexte étant esquissé, je vais faire de mon mieux pour traiter des sujets dont le comité est saisi.
Au niveau macroéconomique, nous avons vu qu'aucune économie ne pouvait s'isoler des perturbations financières, quel que soit le niveau de mondialisation d'un pays et la solidité de ses politiques intérieures. Les banques centrales, les gouvernements, les organismes de réglementation et les entreprises ont été mis récemment à très rude épreuve. La Banque centrale du Canada aura un rôle important à jouer pour développer notre renseignement dans ce domaine.
Pour élaborer un plan directeur national et une politique stratégique, éléments qui sont importants, il vaut mieux comprendre d'abord les enjeux structurels. Nous devons savoir qui fait quoi. Le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, les provinces, les villes, les sociétés d'État, les entreprises privées et publiques et les organisations commerciales sont tous présents en Inde, mais il ne semble pas exister de source complète d'information sur leurs activités. Est-ce que Statistique Canada est équipée pour recueillir les données pertinentes pour ceux qui ont besoin d'une information rapide et sûre? Nous l'ignorons, mais il est important que Statistique Canada joue ce rôle, si elle ne le fait pas déjà. Où en sommes-nous aujourd'hui? Nous réfléchissons un peu au passé, mais nous mettons l'accent sur l'avenir, comme je l'ai déjà dit.
Quels efforts les deux gouvernements déploient-ils aujourd'hui? Nous devrions examiner les questions qui sont importantes pour les deux parties. Que savons-nous l'un de l'autre en ce qui concerne l'ensemble de l'économie et les industries? Des principaux façonneurs d'opinion? D'autres questions sur le plan humain comme les arts, la culture et la philanthropie? Il faut faire une analyse détaillée du type FFPM, comme nous disons dans les affaires, pour définir les forces, les faiblesses, les possibilités et les menaces, et il faut fournir certaines réponses. Si le temps le permet, je vais donner des exemples tout à l'heure.
Ensuite, comment sera assuré notre apport d'information? Comment notre pays va-t-il mettre à jour ses renseignements au moyen d'un « télescopage » périodique?
En ce qui concerne les partenariats, des questions comme celles d'un accord de libre-échange, d'une convention fiscale avec l'Inde et de la reconnaissance réciproque des institutions continuent de surgir. Par exemple, vous devriez savoir que la bourse de Bombay n'est même pas une bourse désignée dans la réglementation canadienne. Cette situation a des répercussions sur la fiscalité et la circulation des investissements. Nos bourses peuvent donner aux entreprises indiennes la possibilité d'accéder aux marchés nord-américains des capitaux par l'intermédiaire du Canada sans que nous devions nous plier aux complexités de la loi Sarbanes-Oxley ni à d'autres exigences américaines. Cette capacité est un avantage concurrentiel pour les banques d'investissement, les cabinets d'avocats et les services comptables au Canada, ainsi que pour les bourses et les investisseurs. Plus de 8 100 sociétés sont inscrites à la bourse de Bombay. L'an dernier, elle a réuni près de 2 milliards de dollars US sur le marché intérieur. Nous devrions intervenir à cette étape, lorsqu'on apporte la dernière main à la politique stratégique. On est en train de refondre un grand nombre de nouvelles politiques, notamment le code minier. L'exploitation minière est l'une des compétences principales du Canada, comme vous le savez. Depuis plusieurs années, des délégations du secteur minier en Inde viennent au Canada, mais il n'y a qu'une poignée d'entreprises secondaires qui ont des contacts avec elles.
Les relations de l'Inde avec Israël sont un bon exemple à suivre à cet égard. L'Inde est au deuxième rang des partenaires économiques d'Israël. En 2008, Israël et l'Inde ont signé un protocole prévoyant un colloque juridique israélo-indien pour faciliter les discussions et les programmes d'échange entre juges et juristes des deux pays. Le Canada peut créer son propre argument publicitaire unique, un USP, en encourageant l'échange d'investissements et pas simplement la vente de biens et services. Cet échange est particulièrement important si le Canada veut exploiter le programme de dépenses en infrastructure de l'Inde, qui sera l'un des plus importants de l'histoire du monde.
Les institutions canadiennes, notamment certaines de ses sociétés d'État comme la Banque de développement du Canada, la BDC, et Exportation et développement Canada, EDC, peuvent jouer un rôle important. Selon moi, lorsque nous injectons des capitaux dans des projets de cette nature, les entreprises canadiennes peuvent en retirer des avantages réciproques acceptables. Nous avons des programmes qui existent déjà et il arrive que leur succès dépende de la présentation. Par exemple, nous avons le programme d'assurance d'EDC, qui peut être élargi pour s'étendre aux investissements à destination de l'Inde.
Les Canadiens ont une capacité limitée d'investissement en Inde. Ils doivent compter sur des fonds communs de placement choisis et les certificats de titre en dépôt qui s'échangent à la bourse de New York. Comme je l'ai déjà dit, la PanVest Capital Corporation prêche la bonne nouvelle de l'investissement au moyen des fonds d'actions privés.
La main-d'oeuvre coûte moins cher en Inde, mais pas à tous les niveaux ni dans tous les segments de l'économie. Il y a eu un mouvement à la hausse des salaires. Si nous tenons compte de tous les autres facteurs, l'écart est beaucoup plus étroit qu'autrefois. La vieille impression selon laquelle l'Inde était la capitale mondiale des centres d'appel a changé. Les entreprises se lancent dans des activités de pointe et abordables comme les biotechnologies et les sciences appliquées. Les innovateurs canadiens peuvent se tourner vers des organisations de recherche indiennes pour faire des essais cliniques, des essais sur les patients, pour lancer leurs produits en Inde et se servir de l'Inde comme plate-forme de lancement en Extrême-Orient. Il y a également pour les Canadiens, des possibilités extraordinaires dans le secteur agricole et le secteur de l'automobile.
Je vais terminer là ma déclaration d'ouverture. Avec votre permission, je vais répondre aux questions et avoir un échange dynamique avec toutes les personnes présentes à Ottawa.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci, madame la présidente. Monsieur Panday, j'ai une question assez brève à vous poser. La reprise économique de l'Inde semble assez fragile. Vous êtes d'avis contraire. J'arrive à cette conclusion parce que dans le contexte international, avec l'Europe et les États-Unis qui ne sont pas complètement encore sortis de la crise financière, il faut être très prudent.
L'économie tire sa croissance d'une hausse de l'investissement davantage que celle de la consommation. À votre avis, quel effet la fin de ces mesures exceptionnelles de relance, décidées au début de la crise mondiale, aura sur le développement de l'économie indienne?
[Traduction]
M. Panday : Il y a une ou deux choses à examiner. La locomotive de l'économie indienne, c'est en grande partie sa demande intérieure. Seuls 20 p. 100 de son économie dépendent des exportations. Le secteur des exportations est une composante modeste de l'activité économique en Inde, et 80 p. 100 de son produit intérieur brut est destiné à la consommation intérieure.
Ce que nous sommes amenés à croire en lisant les journaux sur les États-Unis et l'Europe, c'est que la situation en Inde est à l'opposé.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Que pourrions-nous faire pour renforcer les liens entre les universités, les organisations scientifiques et technologiques et les centres de recherche canadiens et leurs pendants indiens?
[Traduction]
M. Panday : Dans les domaines des sciences, des établissements universitaires et de la recherche, je crois que les établissements peuvent eux-mêmes conclure entre eux des accords de coentreprise. Ce qui est plus important, c'est l'élaboration d'une stratégie d'application et de commercialisation des résultats de la recherche.
Au bout du compte, nous faisons de l'argent en commercialisant toutes les innovations disponibles. Il sera important de comprendre la législation des deux côtés pour commercialiser un produit. Par exemple, dans les domaines pharmaceutique et bioscientifique, les résultats des recherches faites au Canada ou dans une coentreprise avec une université indienne ne doivent pas rester dans les laboratoires des établissements. Il faut qu'ils soient commercialisés en Amérique du Nord et sur d'autres marchés. C'est seulement à ce moment-là que nous tirerons le maximum de l'investissement consenti.
L'Inde est avide de technologie étrangère et de recherche de pointe. Néanmoins, elle a ses propres établissements de calibre mondial dans certains domaines. Et le Canada a beaucoup à offrir.
Le sénateur Jaffer : Monsieur Panday, vous êtes très connu et respecté, notamment à Toronto. Ce que vous nous dites est important.
À propos de votre rôle d'ancien président de la Chambre de commerce Inde-Canada, comment cette chambre de commerce a-t-elle aidé les Canadiens à mieux comprendre l'Inde et les Indiens à mieux comprendre le Canada?
M. Panday : Bonne question.
Le parcours de la Chambre de commerce Inde-Canada a été long. Des groupes locaux ont décidé, il y a une vingtaine d'années, que, d'abord et avant tout, la collectivité devait s'intégrer à la société majoritaire. D'après notre plan, nous voulions que la génération de l'heure comprenne comment faire sa place dans le milieu professionnel et le milieu des affaires. Nous avons commencé à reconnaître les réussites de la collectivité indienne au Canada au fur et à mesure que nos membres s'affirmaient dans différentes industries et professions. Nous avons mis en valeur ces exemples de réussite dans la société majoritaire et donné à tous de bonnes possibilités de réseautage.
Ce qui a fait le succès de la Chambre de commerce, c'est que nous n'en avons pas fait un ghetto. Elle est devenue une organisation indo-canadienne intégrée à la société majoritaire, suscitant des compétences et préparant des gens à travailler dans d'autres conseils. Beaucoup d'anciens présidents ont utilisé la Chambre de commerce pour se préparer pendant qu'ils prenaient de l'expansion dans l'économie locale. Certains ont ensuite siégé au conseil de beaucoup d'organisations bien connues, comme la Chambre de commerce de l'Ontario, le Festival Shakespeare de Stratford, le Roy Thomson Hall et le Musée royal de l'Ontario. Ils ont aussi contribué à beaucoup de travaux communautaires dans un sens plus large.
Le sénateur Jaffer : Notre étude est axée sur les moyens d'accroître le commerce entre le Canada et l'Inde et d'améliorer notre relation commune. Le Canada compte une diaspora de plus en plus importante originaire de l'Inde et d'autres régions du monde où la population est d'origine indienne. Vous êtes un homme d'affaires d'expérience. Que recommandez-vous pour ce qui est de la collaboration avec la diaspora indienne afin d'intensifier le commerce avec l'Inde?
M. Panday : Comme vous le savez, la diaspora indienne est partout présente au Canada dans des industries diverses. Le nombre de personnes qui s'occupent d'échanges bilatéraux avec l'Inde est à la hausse.
Certains sont présents dans le secteur de la technologie de l'information, pour laquelle l'Inde est réputée. Des entrepreneurs canadiens sont très engagés dans ce secteur en Inde. Ils y ont des bureaux, et ils emploient des centaines de milliers d'Indiens pour appuyer leurs affaires en Amérique du Nord et ailleurs.
Dans les services financiers, des entreprises comme Fairfax Financial Services, qui possède des sociétés d'assurance, sont dirigées par des Indo-Canadiens. Elles sont présentes dans le secteur des services financiers en Inde.
Pour collaborer avec la diaspora, il faut recueillir des renseignements sur des industries diverses. Je reçois toutes les semaines des demandes de gens qui veulent de l'aide pour se débrouiller dans le labyrinthe de divers domaines : sciences médicales, services de santé ou inscription à Toronto. Par exemple, une entreprise indienne souhaite en ce moment se faire inscrire à la Bourse de Toronto. Nous l'aidons dans ses démarches. La diaspora peut être utile dans le domaine des fusions et des acquisitions.
Il y a divers moyens, d'un côté comme de l'autre, de collaborer avec la diaspora.
Le sénateur Di Nino : Bonjour, monsieur Panday. Je vais rester simple. Nous convenons tous qu'il y a un nombre infini de possibilités d'améliorer le commerce et l'investissement ainsi que d'autres relations entre l'Inde et le Canada.
Vous vous occupez de la question depuis longtemps. Selon vous, que faisons nous de bien et que faisons-nous de mal?
M. Panday : Excellente question. Vous avez raison de dire que les occasions sont illimitées. Avec une possibilité semblable, je dis que l'Inde est mon client et je demande ce dont mon client aura besoin dans les 12 ou 24 prochains mois et plus tard. Dans un mode de relation entre États souverains, comme celle que nous avons avec l'Inde, il nous faut considérer un horizon de 10 à 20 ans, car ce que nous faisons aujourd'hui doit porter fruit dans un avenir prévisible.
Nous devons nous demander de quoi l'Inde aura besoin. L'infrastructure est un secteur énorme, comme nous le savons. Kamal Nath, le ministre qui est venu au Canada il y a quelques mois consacrera environ 50 milliards de dollars par année à l'infrastructure. Les services de santé et l'éducation sont également des secteurs importants. L'Inde n'a pas l'équivalent de l'Institut canadien des valeurs mobilières. Des écoles commerciales des quatre coins du monde vont s'implanter en Inde.
De quoi l'Inde a-t-elle besoin et que les autres ne fournissent pas? Je réfléchis à notre position de vente unique et à nos avantages concurrentiels. J'essaie d'associer les deux. Il est certain que, dans l'avenir prévisible, nous pouvons tabler sur le secteur minier, l'automobile, les services de santé, l'infrastructure et les services financiers. Il y a des besoins énormes dans le secteur juridique, et le Canada a des compétences exceptionnelles à faire valoir dans la législation sur l'insolvabilité, la gouvernance des sociétés, les brevets et la propriété intellectuelle, le droit de l'environnement et le droit du travail.
Nous avons tendance à considérer l'Inde comme homogène, ce qu'elle n'est pas. Les données me disent que nos entreprises devraient cibler au plus une demi-douzaine de provinces en Inde, là où il y a de la croissance et où les consommateurs dépensent. En Inde, le revenu disponible augmente à un rythme convenable.
Nous devons examiner les besoins et voir où les choses se passent. Nous devons faire une analyse par secteur et par région et ensuite cibler nos efforts en conséquence. Vous avez tout à fait raison de dire qu'il y a beaucoup de possibilités, mais nous devons élaguer. Nous devrions prendre ce que j'appelle l'approche laser pour choisir nos cibles des 12 à 24 derniers mois.
J'ignore quelle est la grille d'évaluation de ceux qui travaillent dans les bureaux du commerce, par exemple, mais elle devrait être structurée en fonction de réalisations quantifiables, qu'il s'agisse d'accroître les chiffres du commerce ou celui des appels qu'ils font. La grille peut tenir compte du nombre d'entreprises canadiennes qui ont fait une percée dans de nouveaux secteurs. Nous devons mettre en place des systèmes pour mesurer cet effort également.
Je ne crois pas que, pour l'instant, nous ayons un plan très cohérent. Il y a encore bien des éléments qu'il faut relier les uns aux autres.
Le sénateur Di Nino : Selon vous, si des entreprises ne sont pas présentes là-bas depuis longtemps, elles feraient mieux de se trouver des associés en Inde ou peut-être parmi la diaspora, ou bien doivent-elles s'attaquer à la tâche toutes seules?
M. Panday : Chaque cas est différent. Cela dépend de la puissance de l'entreprise canadienne et du segment de l'industrie où elle mène ses activités. Prenons les services financiers, par exemple. Ce n'est pas un secret, peu importe le pays où une entreprise veut s'installer, que les services financiers sont étroitement réglementés. Il leur faut une stratégie différente pour pénétrer ce secteur. Elles peuvent avoir besoin de s'associer à quelqu'un sur le terrain, quelqu'un qui pourra les aider. Les PME jouissent de plus de souplesse, surtout dans les secteurs non réglementés.
L'astuce, c'est le renseignement sur le terrain en Inde. C'est actuellement un très lourd défi pour les entreprises canadiennes. Il est indispensable de faire à l'avance une étude de marché pour comprendre le contexte, mais toutes les PME n'ont pas les moyens de s'offrir les services de consultants. Les ministères et les bureaux commerciaux du gouvernement devraient étendre la portée de leur action pour donner accès à cette information.
Il est important, également, que nous nous greffions à d'autres entreprises qui sont présentes en Inde depuis des années. Certaines de celles qui sont là depuis longtemps ne jouent pas le rôle de mentor qui devrait être le leur. Il faut que des entreprises comme Bombardier et SNC-Lavalin participent à cet effort et montrent aux autres entreprises comment obtenir le rendement voulu de leurs sous-traitants, par exemple, pour ramener une certaine activité au Canada.
Le sénateur Segal : Monsieur Panday, merci de ce don généreux de votre temps et de la clarté de votre exposé. Nous avons de la chance de pouvoir compter sur l'un et l'autre.
Je vais vous soumettre une interprétation, et je voudrais que vous me corrigiez là où je suis injuste ou commets une erreur. Voici : on peut dire que, dans une grande mesure, le Canada a loupé le coche, pour ce qui est des relations avec l'Inde. Si on le compare à des joueurs de taille bien plus modeste, les Israéliens, par exemple, nous n'avons pas pris la question au sérieux, probablement parce que, à la différence des Israéliens, nous estimions avoir d'autres choix. Israël, pour sa part, devait être plus stratégique dans ses choix pour une foule de raisons que nous comprenons tous. En outre, les milieux des affaires et gouvernementaux indiens, qui sont toujours polis jusqu'à l'exagération, ne sont pas impressionnés par le comportement du Canada à ce jour. Ils estiment que nous n'avons pas su intensifier l'effort. Ils sont contents qu'il y ait eu un cadre de référence constructif dans le dossier nucléaire, mais ils ont l'impression que les gouvernements au Canada ont mis tellement de temps à s'apercevoir de ce qui se passait, que cela traduit un manque de concentration et d'intérêt.
Voilà pourquoi il ne suffit pas maintenant que notre pays essaie de se tailler une part du marché, de faire des investissements stratégiques et de faire le travail difficile qui s'impose s'il veut se faire une place en Inde. Il faut en plus prendre conscience du fait que la situation est désespérée et que nous tirons beaucoup de l'arrière par rapport à nos concurrents. Il nous faut faire une analyse complète à partir de zéro de ce qui s'est passé et trouver une série de mesures plus ciblées et urgentes dans les secteurs privé et public.
Si nous ne le faisons pas, notre chance risque de passer plus tôt que nous ne le pensons. Que pensez-vous de mon interprétation?
M. Panday : Vous avez tout à fait raison. Je suis très heureux que vous posiez cette question, car les éléments contenus dans votre intervention sont cruciaux.
Je commencerai par dire que nous n'avons pas loupé le coche. Je ne crois pas que ce soit le cas. Sénateur Segal, mon observation personnelle, c'est que, à ce rythme, l'Inde va nous offrir des occasions pendant les 50 prochaines années. Ce pays a un certain type de croissance. Depuis 18 ou 20 ans, les taux de croissance sont de 6 p. 100 ou plus en moyenne.
La meilleure chose que je remarque en Inde, aujourd'hui, c'est que les jeunes ont de l'espoir. Je rencontre mes collègues en Inde, et ce sont des jeunes de 25 ans qui ont une maîtrise en administration des affaires et qui n'envisagent pas du tout leur avenir avec pessimisme. Même dans les villes de deuxième ou de troisième niveau, on peut trouver dans son quartier quelqu'un qui a pu aller à Dubaï, à Singapour ou en Thaïlande pour un contrat d'un ou deux ans. Ils rentrent avec des devises étrangères dans leurs poches et sont considérés comme des modèles par les autres jeunes de ces villes.
En Inde, on a les villes du premier niveau, comme les cinq grandes agglomérations que sont Bombay, Calcutta, et cetera. La prospérité gagne également les villes de deuxième et de troisième niveau, et même les villages. Le microcrédit, par exemple, prend de plus en plus de place, et cela aide les petits agriculteurs et les microentreprises. Il y a maintenant des femmes entrepreneurs.
En Inde, les choses avancent à tous les niveaux. C'est aux Indiens de décider où ils veulent se positionner, mais il y a énormément d'activité a tous les niveaux de l'économie.
J'ai rencontré le président-directeur général de Fairfax hier. Nous avions tous les deux un exposé à la Ted Rogers School of Management. Son entreprise a une coentreprise en Inde avec la filiale d'ICICI, ICICI Lombard, qui est la branche de la banque qui s'occupe de l'assurance des biens et des risques divers. Il me dit qu'elle a vendu plus d'un demi- million de polices à des agriculteurs indiens. Autrefois, lorsqu'il y avait des inondations, la récolte était emportée, et l'agriculteur était anéanti. Maintenant, une coentreprise canadienne vend de l'assurance-récolte, et les agriculteurs peuvent repartir à neuf si leur récolte est détruite.
Ce sont de petits exemples que je peux citer pour confirmer ma conviction générale que nous n'avons pas raté le coche.
Quant à la question nucléaire, il ne fait pas de doute que l'Inde s'est sentie blessée. Lorsque j'ai été engagé par ICICI Bank Ltd en Inde, en 2003, pour lancer ses activités bancaires au Canada à partir de zéro, j'ai demandé au ministre des Finances notre décret pour démarrer des activités ici. Ma plus grande crainte, en 2003...
Le sénateur Segal : Aux termes de l'annexe II?
M. Panday : Effectivement, il s'agissait des activités d'une banque à charte inscrite à l'annexe II.
Il n'y avait pas eu d'autres institutions financières indiennes au Canada depuis plus de 25 ans. La seule autre banque présente au Canada était la State Bank of India, qui est une institution souveraine. Toutefois, ICICI Bank Ltd est une banque du secteur privé en Inde. Elle est la deuxième de l'Inde par ordre d'importance.
Lorsque j'ai été engagé, je n'avais même pas un endroit où poser ma mallette. Nous sommes littéralement partis de zéro. Ma femme et moi sommes allés chez Bureau en gros pour acheter le premier télécopieur de la banque. Ce sont les débuts d'une banque de l'annexe II au Canada.
Comme le sénateur Jaffer l'a dit tout à l'heure, me voici. Je suis l'exemple vivant d'une personne qui est venue au Canada il y a 35 ans, et nous avons été engagés et nous avons pris le risque de créer une banque de l'annexe II alors que planait la menace de l'embargo commercial à cause du nucléaire. Ma plus grande crainte, c'est que je me demandais comment j'allais faire tout ce travail après avoir quitté mon emploi à la Banque HSBC pour lancer cette nouvelle institution. Que se passerait-il si la licence était refusée, pour quelque raison, à cause de l'embargo? Entre-temps, j'avais attiré tous ces gens pour qu'ils viennent travailler avec moi, ils avaient cru ma parole lorsque je leur avais dit que nous allions bâtir une magnifique institution et que nous marquerions l'histoire.
Cette banque, nous l'avons bâtie. Nous employons maintenant 180 personnes au Canada. Elle a des actifs de 5 milliards de dollars. Je l'ai fait croître jusqu'à hauteur de 4 milliards de dollars, et sa feuille de paie s'élevait à environ 10 millions de dollars par année.
Nous nous sommes servis de nos compétences essentielles. Nous avons établi des opérations en Inde pour assurer un renfort. Nous avons proposé un produit aux consommateurs canadiens et fourni l'environnement concurrentiel que le gouvernement du Canada voulait créer. Nous avons fourni tout cela. Mais j'ai été sur les charbons ardents pendant neuf mois à cause du problème nucléaire, jusqu'à ce que nous recevions la licence.
C'est à ce moment-là que j'ai eu mes premières impressions de la réaction des Indiens à toute cette affaire. Cela ne m'avait pas frappé jusque-là. Pour moi, ce n'était pas bien important. Il y a des choses qui se passent dans le monde et qui ne nous plaisent pas, mais la vie continue. Toutefois, les Indiens ont pris la chose à coeur.
Est-ce que l'Inde se préoccupe de cette question aujourd'hui? Je ne le pense pas. Tout cela s'est atténué, et il ne faut pas exagérer. Notre pays devrait prendre appui sur une position de force. Nous avons beaucoup de points forts sur lesquels nous pouvons compter. Nous sommes respectés. Nous avons d'énormes réserves de capitaux dont l'Inde a besoin.
Comme je l'ai déjà dit, nous devons considérer nos compétences de base. Nous avons beaucoup à offrir. Nous avons une personnalité nationale que les Indiens admirent. Ils nous croient lorsque nous faisons des promesses parce que nous tenons parole. Je n'ai jamais vu une entreprise indienne qui essayait de faire affaire avec une entreprise canadienne et que l'entreprise canadienne a laissé tomber.
Les réalités commerciales sont ce qu'elles sont. Il y a des négociations et des dispositions commerciales sont prises. Toutefois, au coeur de la question, il y a le fait que nous devrions être très fiers de notre système de valeurs et de ce que nous avons à offrir. Nous devons être fiers du fait que, sur la planète, nous nous sommes créé notre espace, et il nous faut mettre ces atouts en avant et mettre en veilleuse toute cette histoire de l'incident nucléaire.
Vous avez demandé comment nous créons notre part de marché. Cette question est complémentaire de celle que le sénateur Di Nino a posée plus tôt. Nous devrions sélectionner trois ou quatre secteurs clés et nous devrions nous y bâtir une réputation, tout comme les Israéliens sont maintenant reconnus en biosciences et en technologie de l'information. Nous ne devrions pas essayer de faire une foule de choses en un court laps de temps.
Nous avons besoin d'une image de marque. Il faut que nous nous fassions connaître pour ce que nous faisons de mieux. Nous sommes connus pour nos capitaux, pour nos industries minière et automobile, et pour nos établissements universitaires. Ces secteurs sont essentiels. Trois ou quatre secteurs clés nous tiendront occupés pendant les 10 ou 15 prochaines années. Nous pouvons faire beaucoup d'argent, ce qui n'est pas mauvais, à mon avis.
La présidente : Là-dessus, monsieur Panday, je dois conclure que vous envisagez avec optimisme les relations entre l'Inde et le Canada. En peu de temps, vous nous avez donné, comme ces jeunes Indiens de 25 ans qui ont leur maîtrise en administration des affaires, bien des motifs d'espérer que le Canada et l'Inde pourront travailler ensemble.
Pour ma part, j'ai bien aimé que vous disiez qu'il y a une multitude de manières de travailler là-bas. Je suis sûre que cela n'aura pas déplu au comité non plus. C'est à nous de susciter l'optimisme et le dynamisme nécessaires pour que ces relations soient fructueuses.
Il est probable que le comité fera écho à certaines de vos réflexions et de vos impressions, ainsi qu'à votre idée qu'il faut se mettre à l'oeuvre. Vous nous avez dit que 50 années de travail nous attendent. Nous verrons si nous pouvons inciter les Canadiens à s'engager dans cette voie.
Monsieur Panday, merci. Il aurait été préférable que vous soyez parmi nous, mais il se trouve que la solution de rechange a été tout aussi bonne.
M. Panday : Ce fut un plaisir. Merci beaucoup. Si jamais vous avez besoin de moi pour un suivi, je serai très heureux de vous rencontrer de nouveau.
La présidente : Merci beaucoup. Nous allons retenir votre offre.
(La séance est levée.) |