LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
OTTAWA, le jeudi 2 mai 2013
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, qui a été saisi du projet de loi C-383, Loi modifiant la Loi du traité des eaux limitrophes internationales et la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux, se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour en examiner la teneur.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Mesdames et messieurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit son étude du projet de loi C-383, Loi modifiant la Loi du traité des eaux limitrophes internationales et la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux.
Nous avons le plaisir d'accueillir trois témoins au cours de la présente séance, à savoir Adèle Hurley, directrice, Programme sur les questions relatives à l'eau, École Munk des affaires internationales, Université de Toronto; J. Owen Saunders, agrégé supérieur et professeur auxiliaire, Institut canadien du droit des ressources, Université de Calgary; et Ralph Pentland, président suppléant, Conseil sur les questions de l'eau au Canada, Université de Toronto.
Si j'ai bien compris, chacun d'entre vous a une courte déclaration préliminaire à faire. Je vais d'abord céder la parole à Mme Hurley. Je vous souhaite la bienvenue.
Adèle Hurley, directrice, Programme sur les questions relatives à l'eau, Université de Toronto, École Munk des affaires internationales : Bonjour. Je vous remercie de me donner l'occasion d'être ici avec vous tous. Je suis directrice du Programme sur les questions relatives à l'eau de l'École Munk des affaires internationales de l'Université de Toronto. Je suis accompagnée aujourd'hui de mes collègues Owen Saunders et Ralph Pentland. Nous représentons le Conseil sur les questions de l'eau au Canada — le CQEC, projet mené dans le cadre du Programme sur les questions relatives à l'eau de l'École Munk des affaires internationales. Le CQEC est composé d'experts canadiens en matière d'eau et d'anciens responsables principaux de l'élaboration de politiques concernant l'eau. Créé en 2007, son mandat consiste à mener, dans un cadre universitaire, des recherches stratégiques non partisanes sur des questions relatives aux eaux transfrontalières canadiennes et américaines.
Une notice biographique concernant chacun d'entre nous, de même que nos collègues du Conseil sur les questions de l'eau au Canada, figure dans le dossier qui vous a été transmis.
Notre objectif est d'agir à titre de ressource pour toutes les parties qui font preuve de bonne volonté et de coopération en vue de protéger l'eau du Canada. Par exemple, au fil des ans, nous avons eu l'occasion de collaborer avec Francis Scarpaleggia et Lawrence Cannon sur leurs projets de loi, et nous avons fourni de l'information technique à Larry Miller au moment où il élaborait son projet de loi d'initiative parlementaire.
Nous sommes conscients du fait que le projet de loi proposé ne dissipera pas toutes les préoccupations qui ont été soulevées relativement à l'exportation de l'eau. Par exemple, les éventuelles exportations d'eau par navire-citerne ne sont pas visées par les dispositions du texte législatif. Cependant, même si nous n'excluons pas la possibilité que des mesures législatives autres que les dispositions législatives provinciales en vigueur soient prises pour parer à cette éventualité, nous reconnaissons également que ni la Loi du traité des eaux limitrophes internationales ni la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux ne sont susceptibles de constituer le mécanisme approprié pour de telles mesures.
On a également soulevé des préoccupations à propos des exemptions prévues par la loi qui autorisent l'exportation de produits fabriqués contenant de l'eau, par exemple l'eau et les autres boissons embouteillées. Là encore, d'après nous, le projet de loi proposé n'empêcherait pas la prise de mesures législatives supplémentaires permettant de régler les problèmes.
Il convient de souligner que nous reconnaissons et saluons l'esprit de coopération qui a caractérisé les diverses initiatives législatives menées à ce jour pour régler cette question, et nous sommes très heureux que le projet de loi C-383 ait été approuvé à l'unanimité à la Chambre des communes.
Je vais maintenant céder la parole à mes collègues, M. Saunders et M. Pentland.
J. Owen Saunders, agrégé supérieur et professeur auxiliaire, Institut canadien du droit des ressources, Université de Calgary : Bonjour. Je tiens à remercier moi aussi le comité de me donner l'occasion d'être ici ce matin.
Les observations que je vais formuler aujourd'hui sont le fruit de l'intérêt de longue date que le Conseil sur les questions de l'eau au Canada porte à la question des dérivations entre bassins versants en général, et à la question des exportations d'eau en particulier. Il y a cinq ans environ, le CQEC a publié une loi type sur la protection de l'eau au Canada en vue de stimuler les discussions à ce sujet. Même si la loi type proposait d'exclure la possibilité d'exporter de l'eau et était fondée sur la protection des bassins d'eau, nous reconnaissons qu'il existe d'autres moyens législatifs de s'attaquer à cette question. Peu importe les modalités de la démarche adoptée, la position des Canadiens en ce qui a trait à l'objectif ultime ne fait aucun doute : ils se sont toujours opposés à la mise en péril de leurs ressources hydriques par des dérivations entre bassins versants motivées par la recherche de gains économiques qui sont, au mieux, douteux.
À cet égard, bien que le projet de loi C-383 repose sur une stratégie quelque peu différente de celle proposée dans la loi type du CQEC, il vise des objectifs semblables.
Comme les membres du comité le savent sans doute déjà, la question de l'exportation de l'eau a été soulevée à maintes occasions durant les cinq dernières décennies, d'abord dans le cadre d'une série de mégaprojets au milieu des années 1960, puis dans le cadre de négociations commerciales au cours des années 1980 et 1990, et plus récemment, à la suite d'une proposition rejetée du secteur privé d'exporter l'eau des Grands Lacs par navire-citerne. Cette proposition a mené à la modification de la Loi du traité des eaux limitrophes internationales en 2003, et à la publication d'un renvoi conjoint par le Canada et les États-Unis à la Commission mixte internationale.
Dans le cadre des modifications de 2003, le gouvernement s'est seulement penché sur une menace éventuelle pour les ressources hydriques du Canada en interdisant, hormis certaines exceptions d'une portée restreinte, l'échange entre bassins d'eaux limitrophes — c'est-à-dire d'eaux traversées par la frontière entre les deux pays, par exemple celles des Grands Lacs. Il ne s'était pas penché sur le risque éventuel lié à l’utilisation d'eaux transfrontalières, à savoir les eaux des fleuves et des rivières qui traversent la frontière, à des fins d’exportation. Du point de vue constitutionnel, les modifications de 2003 présentaient l'avantage de respecter clairement l'article de la Constitution portant sur les traités de l'Empire, mais elles avaient l'inconvénient évident de ne pas encadrer d'autres voies d'exportation de l'eau potentiellement importantes.
Pour donner suite aux engagements qu'il a pris dans le cadre du discours du Trône, le gouvernement fédéral a présenté, au printemps de 2010, sa propre mesure législative sur les exportations d'eau, à savoir le projet de loi C-26, qui est mort au Feuilleton en raison du déclenchement des plus récentes élections fédérales. Le CQEC a fait part de ses observations sur ce projet de loi dans une lettre envoyée au ministre. De façon générale, nous souscrivions à l'esprit du projet de loi, mais estimions qu'il n'allait pas assez loin pour empêcher les prélèvements massifs d'eau, surtout les projets de prélèvement massif d'une quelconque portée réaliste. Plus particulièrement, même si le projet de loi englobait la question des prélèvements d'eaux transfrontalières, il n'abordait pas le scénario beaucoup plus probable que les eaux transfrontalières soient utilisées aux fins de l'exportation d'eaux n'étant ni limitrophes ni transfrontalières.
Le projet de loi C-383, bien qu'il ressemble, à de nombreux égards, au projet de loi C-26, va plus loin sur un point crucial, à savoir la modification de la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux. À ce chapitre, la disposition clé tient à l'interdiction de délivrer des permis pour des ouvrages destinés à l'amélioration d'un cours d'eau international visant à relier des eaux limitrophes ou non limitrophes à un cours d'eau international afin d'augmenter son débit annuel. À notre avis, surtout à la lumière de la vaste portée des définitions de « cours d'eau international » et d'« ouvrage destiné à l'amélioration d'un cours d'eau international » contenues dans le texte législatif, cette mesure semble finalement empêcher véritablement l'utilisation des cours d'eau transfrontaliers pour l'exportation d'eau douce.
Enfin, je reprendrai à mon compte les commentaires formulés plus tôt par Mme Hurley et vous dirai que nous sommes conscients du fait que le projet de loi C-383 ne dissipe pas toutes les préoccupations soulevées par quelques Canadiens à propos des exportations d'eau, mais que d'autres mesures législatives peuvent être invoquées, au besoin, pour prendre en charge de manière plus qu'appropriée des questions comme celles des exportations par navire-citerne ou de l'eau embouteillée. Aucune des lois faisant l'objet de modifications proposées dans le cadre du projet de loi C-383 ne représente le mécanisme approprié pour donner suite à de telles préoccupations.
En résumé, le Conseil sur les questions de l'eau au Canada approuve et soutient le projet de loi. Comme Mme Hurley l'a indiqué, nous nous réjouissons surtout de l'importance et de la variété du soutien qu'il semble avoir reçu à ce jour.
Ralph Pentland, président suppléant, Conseil sur les questions de l'eau au Canada, Université de Toronto : Je vous remercie à mon tour de me donner l'occasion d'être ici. Mes collègues ont assez bien fait le tour de la question, mais je formulerai quelques observations supplémentaires. Je m'intéresse à la question ou mène des travaux à son sujet depuis à peu près 50 ans — pendant 30 ans à l'intérieur de l'appareil gouvernemental, et pendant 20 ans, dans le secteur privé. Je ne veux pas vous accabler de renseignements de nature historique, mais j'aimerais dire un certain nombre de choses pour mettre les choses un peu plus en perspective.
Au Canada, l'opinion selon laquelle nous ne devrions pas exporter de l'eau aux États-Unis a toujours fait l'objet d'un vaste consensus, comme de nombreux sondages l'ont montré. Toutefois, au cours des 15 dernières années environ, il y a également un consensus de plus en plus vaste au sein des professionnels des questions relatives aux exportations d'eau sur le fait qu'on ne devrait pas permettre les échanges massifs d'eau entre bassins fluviaux naturels. Le gouvernement fédéral a adopté cette politique il y a 10 ou 15 ans, et ce, pour les quatre raisons suivantes : pour maintenir l'approvisionnement naturel au sein des bassins hydrographiques; pour prévenir l'introduction de parasites non indigènes et biologiques, de maladies et de polluants dans les bassins hydrographiques récepteurs; pour protéger la biodiversité et la productivité au sein des écosystèmes; enfin, pour garantir une utilisation durable de l'eau afin de répondre aux besoins futurs des collectivités vivant à proximité d'un bassin hydrographique. Voilà en quoi consiste la politique actuelle.
Comme M. Saunders l'a dit, la situation a atteint un point critique il y a 10 ans dans les Grands Lacs. Il a mentionné que les modifications de la Loi du traité des eaux limitrophes internationales ont été l'une des conséquences de cela. En outre, en raison de la controverse, la question avait beaucoup suscité l'intérêt des parlementaires. Je me souviens que, à l'époque, je me suis présenté devant un comité du Parlement parce que l'on craignait beaucoup que les Américains souhaitent commencer à dériver des quantités massives d'eau vers le sud. On croyait que des gens voudraient peut-être prendre cette eau et l'envoyer par bateau en Chine, et d'autres choses du genre. Tout cela a donné lieu à cinq années de pourparlers très intenses entre l'Ontario, le Québec, et les huit États des Grands Lacs, qui ont abouti à deux accords très efficaces : l'un entre les provinces canadiennes et les États américains, et l'autre, entre les États des Grands Lacs et les États-Unis. Ces accords ont été mis en œuvre aux États-Unis sous la forme d'un pacte adopté par le Congrès et ratifié par le président en 2005, si je ne m'abuse. Cela a permis d'interdire efficacement toute dérivation importante des eaux des Grands Lacs.
Il y a des exceptions mineures, comme c'est le cas dans le projet de loi qui nous occupe. Les Grands Lacs sont bien régis par les dispositions législatives et les accords. Le projet de loi que nous examinons comble une dernière lacune, à savoir la possibilité que l'on dérive de l'eau au moyen d'un fleuve ou d'une rivière — et non pas nécessairement de l'eau de ce fleuve ou de cette rivière — s'écoulant vers les États-Unis. Le projet de loi vient combler cette dernière lacune.
Je m'arrêterai ici. Je suis prêt à répondre à vos questions.
La présidente : Merci de ces renseignements contextuels. Nous avons entendu des témoignages hier, et je tentais de rassembler les pièces du casse-tête, ce que les grandes lignes que vous venez de nous présenter me permettront de faire. Je crois que nous sommes prêts à passer aux questions des membres du comité.
Le sénateur Downe : J'aimerais remercier moi aussi les témoins d'aujourd'hui. À mon avis, les exposés qu'ils nous ont présentés étaient excellents, et les opinions et les questions qu'ils ont exposées étaient très claires.
Madame Hurley, si j'ai bien compris, comme les autres témoins, vous appuyez le projet de loi. Malgré les lacunes que vous avez relevées — par exemple le fait que les éventuelles exportations par des navires-citernes côtiers ne soient pas visées par le projet de loi —, les autres témoins et vous êtes favorables à l'esprit du projet de loi. C'est ce que j'ai cru comprendre de vos propos.
Mme Hurley : Vous m'avez bien comprise.
Le sénateur Downe : C'est le consensus qui rallie tout le monde ici présent, et je sais que les sénateurs membres de l'opposition soutiennent également le projet de loi.
Madame la présidente, j'aimerais que vous m'accordiez cinq minutes pour une légère digression. Comme nous sommes tous d'accord pour dire que le projet de loi est valable, j'aimerais que vous nous indiquiez les principaux problèmes relatifs à l'eau au Canada. J'aimerais profiter de votre expertise pour en apprendre davantage à ce sujet.
M. Pentland : Le principal problème tient aux changements climatiques. Les deux autres principaux problèmes ont trait aux produits chimiques toxiques et aux répercussions des grands projets d'extraction de ressources. Les produits chimiques perturbateurs du système endocrinien peuvent nuire au développement des enfants. Voilà pour le problème lié aux substances toxiques. Je me permets de faire un peu de publicité pour mon propre compte : un livre que j'ai écrit sur ces sujets sera publié dans un mois environ.
Le sénateur Downe : J'ai hâte de lire cela.
Je suis originaire de Charlottetown, où, en raison des changements climatiques, nous faisons face à un problème concernant les eaux de plus en plus important. Là-bas, les fonctionnaires municipaux prennent des mesures appropriées pour restreindre l'utilisation de l'eau. Par exemple, on interdit aux gens de laver leur véhicule dans l'entrée lorsque la surface de la nappe est peu élevée en été. Toutefois, il s'agit d'une préoccupation. Un grand nombre de paquebots de croisière accostent à Charlottetown. Leur équipage achète de l'eau en vrac. Bon nombre de résidents se demandent pourquoi l'utilisation de l'eau est restreinte pour eux, mais pas pour les paquebots de croisière, qui en achètent en quantité massive. Je présume qu'ils l'achètent. La Ville leur facture cette eau. Est-ce que cela est courant? Là encore, cette question va peut-être au-delà de votre champ d'expertise. Il s'agit de l'un de ces transferts massifs d'eau qui n'est déclaré qu'en partie seulement. Quelques-uns de ces paquebots achètent des quantités massives d'eau.
M. Pentland : Chaque bateau prend de l'eau de ballast. Ils la prennent, et, de façon générale, ils ne la paient pas. La principale préoccupation relative à l'eau de ballast tient à la question de savoir si elle constitue un vecteur de biote étranger. Une foule de problèmes liés aux espèces étrangères dans les Grands Lacs découlent du fait que des navires prennent de l'eau de ballast dans un pays et la rejettent dans un autre. Il s'agit du grand problème relatif à l'eau de ballast.
À présent, une bonne partie de l'eau exportée est embouteillée, et il n'existe aucune restriction en ce qui concerne les exportations d'eau embouteillée, vu que les accords de libre-échange l'interdiraient. Une bonne partie de cela se passe entre les continents. Ces exportations se font par bateau.
J'ignore si les exportations massives d'eau en tant que telles se font actuellement par bateau. Bien des gens tentent de le faire, mais en raison des paramètres économiques, cela ne fonctionne pas encore.
Le sénateur Downe : La plupart des paquebots de croisière qui quittent un port canadien ne disposent d'aucun système de traitement des eaux d'égout, de sorte qu'ils doivent se rendre à un certain nombre de milles au large afin de rejeter ces eaux. D'après les renseignements dont vous disposez, est-ce que cela contribue à la contamination des eaux? Est-ce que votre livre qui paraîtra dans quatre semaines traite de cette question?
M. Pentland : Non, mais les lois canadiennes interdisent le rejet des eaux d'égout dans les eaux canadiennes. Si je ne m'abuse, cette interdiction est énoncée dans la Loi sur la marine marchande du Canada. Le rejet des eaux d'égout est bien réglementé, et ne constitue ni un grave problème ni une source majeure de pollution.
Mme Hurley : Comme vous êtes originaire de l'Île-du-Prince-Édouard, vous savez sans doute que cette province dépend entièrement des eaux souterraines. C'est l'unique province canadienne qui est dans une telle situation. Le 25 juin, l'École Munk des affaires internationales et le Programme sur les questions relatives à l'eau tiendront une conférence internationale à ce sujet. On envisage d'établir la cartographie des eaux souterraines du pays afin de les surveiller, notamment dans une optique de sécurité.
Le chef du programme sur les eaux souterraines du Danemark assistera à cette conférence. À quelques points de vue, le Danemark ressemble beaucoup à l'Île-du-Prince-Édouard, dans la mesure où il s'agit d'un petit pays entièrement tributaire des eaux souterraines et extrêmement axé sur l'agriculture — on y trouve 25 millions de porcs et 5 millions d'habitants. Les nitrates et l'écoulement de surface inquiètent beaucoup les Danois. Dans les années 1970, ils ont commencé à éprouver beaucoup de problèmes, de sorte qu'ils ont mis en place un programme, qui tire à sa fin. Nous croyons qu'il sera utile pour bien des gens, surtout ceux de l'Île-du-Prince-Édouard, d'entendre parler de ce très bon modèle.
Je veillerai à ce qu'une invitation vous soit transmise.
Le sénateur Downe : Je vous en suis assurément reconnaissant.
Je ne suis pas expert en matière de changements climatiques, mais si vous viviez à l'Île-du-Prince-Édouard, vous constateriez leurs effets. À présent, nous sommes aux prises avec d'abondantes pluies torrentielles et d'énormes quantités d'eaux de ruissellement provenant des champs agricoles. Les hécatombes de poissons sont en train de devenir un problème, qui va au-delà des répercussions qu'elles ont sur les eaux.
Et puis, il y a les étés. L'été dernier, pour autant que je me souvienne, il s'agissait de la première fois que je n'avais pas à tondre ma pelouse en août, vu qu'il ne pleuvait tout simplement jamais. Il semble que cela ne soit pas en train de changer.
J'ai hâte d'entendre parler de cette conférence. Merci beaucoup.
La présidente : Monsieur Saunders, je ne peux pas résister à la tentation de vous poser cette question : avez-vous un livre ou une conférence à annoncer aux fins du compte rendu?
M. Saunders : Je n'ai aucun produit à annoncer, mais j'aimerais peut-être exposer un point de vue juridique sur ces questions de portée plus générale. Ce que j'ai à dire concerne les changements climatiques et l'extraction des ressources, et va au cœur de la question de savoir qui fait quoi. La question, qui était implicite dans les observations de M. Pentland, est la suivante : comment le gouvernement fédéral envisage-t-il son rôle par opposition à celui des provinces?
Dans le passé, nous avons laissé les provinces gérer leurs ressources, mais quelques-uns des problèmes dont nous parlons en ce moment, par exemple les changements climatiques, soulèvent la question de savoir si les choses de ce genre peuvent être prises en charge adéquatement par les provinces. Le cas échéant, quel rôle le gouvernement fédéral doit-il jouer à ce chapitre? Ce rôle n'a pas nécessairement à être autoritaire. Cependant, à mon avis, surtout si on tient compte d'une partie de la déception découlant des mesures prises pour donner suite à la Politique fédérale relative aux eaux de 1987, on peut se demander si le gouvernement fédéral lui-même — et cela s'applique à un certain nombre de gouvernements — a clairement défini son rôle, qu'il s'agisse d'un rôle de chef de file ou d'un rôle actif.
J'ai une assez bonne idée du rôle que joue le gouvernement à l'échelle fédérale aux États-Unis, mais en ce qui concerne le rôle joué par le gouvernement fédéral au Canada, j'estime que les choses sont beaucoup moins claires. Comme je l'ai mentionné, je crois que le fait que le gouvernement fédéral n'ait pas donné suite à sa propre politique largement bipartite adoptée en 1987 relativement aux eaux — et qui, je dois le mentionner, avait été rédigée par M. Pentland — a provoqué beaucoup de déception.
La présidente : Monsieur Saunders, j'aimerais vous poser une autre question. J'ai beaucoup de respect pour la Constitution du pays et pour les compétences respectives des gouvernements fédéral et provinciaux, et je n'ai aucune raison de croire que les provinces ne sont pas aussi préoccupées que le gouvernement fédéral ou qu'elles devraient l'être moins.
J'estime que le projet de loi parvient prudemment à combler les lacunes, si je peux dire. D'aucuns ont dit qu'ils permettaient le transfert d'eau d'une rivière à une autre. Bon nombre des sujets que vous avez mentionnés concernent directement la relation entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Est-ce exact?
M. Saunders : C'est exact. Je dois dire que cela concerne également la relation entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Si les provinces n'ont pratiquement pas réagi à cela, même si l'on affirme que cela vise la paix, l'ordre et le bon gouvernement ou le commerce international, cela tient, d'après moi, au fait que les gouvernements fédéral et provinciaux ont un objectif commun. Par exemple, de nombreuses provinces disposent de leurs propres dispositions législatives, et j'estime donc que vous avez raison de dire qu'elles sont complémentaires.
Les choses sont un peu plus compliquées dans les cas où une province située en amont d'un cours d'eau et une autre située en aval ont un point de vue très différent sur l'utilisation appropriée de ce cours d'eau. On pourrait, par exemple, mentionner les projets de développement qui se déroulent dans le réseau hydrographique du fleuve Mackenzie. Il est très possible que l'Alberta — ma province d'origine — ait un point de vue quelque peu différent de celui des Territoires du Nord-Ouest — situés en aval du fleuve — quant à ces projets. Dans les cas où l'on ne parvient pas à aplanir les divergences, on peut se poser la question du rôle que doit jouer le gouvernement fédéral.
Il s'agit d'une question sur laquelle le comité Pearse s'est penché dans les années 1980 dans le cadre de son enquête sur la Politique fédérale relative aux eaux. D'après ce comité, la plupart des gouvernements fédéraux et des États fédéraux ont un rôle à jouer, à savoir celui d'imposer une certaine méthode afin d'assurer le règlement des différends. Il ne s'agit que d'un exemple.
La présidente : Il s'agirait non pas de régler un différend, mais d'instaurer un processus.
M. Saunders : Exactement — pour assurer le règlement du différend.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : J’aimerais tout d’abord vous souhaiter la bienvenue. Je suis très impressionnée par votre vaste expérience à tous trois. Cela me fait vraiment plaisir que vous soyez ici. Je me réjouis de connaître votre accord au projet de loi.
J’ai déjà posé ma première question hier, mais j'aimerais entendre une réponse de votre part. Le parrain du projet de loi, M. Miller, a mentionné hier que le niveau de l'eau dans certains des Grands Lacs n'a jamais été aussi bas. Selon vous, quelles peuvent en être les conséquences à court et long terme au niveau environnemental et à quoi est due cette baisse actuellement?
[Traduction]
M. Pentland : Pour ce qui est des Grands Lacs, le lac Michigan et le lac Huron, par exemple, les changements sont attribuables à trois, quatre ou cinq facteurs. Tout d'abord, la variabilité naturelle du climat a pour effet de faire fluctuer le niveau de l'eau d'environ cinq pieds au fil du temps. En outre, le niveau de l'eau varie d'à peu près un pied chaque année en raison d'un cycle annuel. De surcroît, il y a les changements climatiques, qui ont probablement pour effet d'abaisser le niveau de l'eau des lacs. Les bateaux qui draguent les rivières St. Clair et Detroit ont fait baisser de un pied le niveau du lac Michigan et du lac Huron depuis un siècle. Il y a l'exploitation non rationnelle de l'eau par les gens, puis les activités de dérivation de l'eau, par exemple celles menées à Chicago.
Il y a un certain nombre de facteurs, mais celui qui est le plus inquiétant à long terme tient aux changements climatiques, dont on ignore l'ampleur qu'ils prendront. Selon certains modèles, ils n'auront aucune répercussion, et d'après d'autres, ils se traduiront par un abaissement du niveau de l'eau de quatre ou cinq pieds. Les effets pourraient être très importants.
Les habitants de la baie Georgienne doivent déjà composer avec de graves répercussions — là-bas, le niveau de l'eau a probablement baissé de trois pieds au cours du dernier siècle. Les gens qui possèdent un chalet dans cette région doivent à présent parcourir un mille à pied de plus pour se rendre à l'eau. Ils sont incapables d'y faire flotter leurs bateaux. Cela a de graves répercussions sur la navigation commerciale, de même que sur la production d'hydroélectricité, vu que moins d'eau s'écoule dans le réseau. D'importants effets esthétiques et économiques sont liés aux niveaux de l'eau dans les Grands Lacs.
La question de savoir si l'on devrait bâtir des ouvrages afin d'élever le niveau de l'eau a suscité beaucoup de controverse. La Commission mixte internationale a publié un rapport sur le sujet au cours des deux dernières semaines. Vu l'ampleur de la controverse, les membres de cette commission ne sont pas parvenus à s'entendre sur une solution. Les uns recommandent une chose, et les autres — notamment le président américain de la commission — recommandent quelque chose d'autre.
[Français]
La sénatrice Fortin-Duplessis : Existe-t-il des lois qui interdiraient le rejet des déchets industriels dans les eaux du Grands Lacs?
Il y a quelques années, j'ai vu un reportage à RDI qui nous montrait les effets dévastateurs des déchets industriels. Et on voyait le maire d’une ville industrielle des États-Unis qui disait qu’il préférait que les gens de sa ville travaillent plutôt que de se soucier de la pureté de l'eau.
Savez-vous s’il y a des lois qui interdisent cela?
[Traduction]
M. Pentland : Oui, il y a des lois fédérales, provinciales et étatiques dans les deux pays. La question est d'établir la mesure dans laquelle elles sont efficaces. Il s'agit d'un sujet épineux et délicat. L'incidence du cancer et des problèmes liés au développement des enfants dans les régions extrêmement polluées est beaucoup plus élevé qu'elle ne l'est dans les régions moins polluées. Il est difficile d'établir d'autres distinctions. La pollution est un facteur, mais le style de vie en est un autre. Par exemple, il se peut que les gens fument ou boivent davantage dans certaines régions. Il y a aussi des considérations liées au sexe et à la race. Il est difficile d'imputer directement la responsabilité à ces facteurs.
Dans les années 1960 et 1970, les algues ont commencé à proliférer sur les Grands Lacs, plus particulièrement le lac Érié en raison de la grande quantité de nutriments polluants. Au cours des années 1970 et 1980, on a réglé une grande partie du problème grâce au contrôle des nutriments contenus dans les détergents et à d'autres types de mesures de contrôle prises par les administrations municipales. Au cours des 10 dernières années, le problème a commencé à réapparaître parce que nous ne suivons pas l'évolution de la situation. Une fois de plus, on constate une grande quantité d'algues fétides rejetées sur les rivages. Cela devient de nouveau un grand problème.
Au cours des derniers mois, le Canada et les États-Unis ont conclu un nouvel accord sur la qualité de l'eau des Grands Lacs. Cet accord comporte quelques éléments nouveaux, dans la mesure où ils ont trait aux changements climatiques — dont il n'était pas question auparavant —, aux espèces envahissantes et à quelques autres éléments. D'après moi, à certains égards, cet accord est moins solide que l'ancien, vu qu'il contient un moins grand nombre d'objectifs spécifiques et que ses calendriers sont moins précis. À certains égards, il s'agit d'un meilleur accord, et à d'autres, d'un moins bon accord. Le problème dont je vous parle est en train de s'aggraver une fois de plus, alors que la situation s'était améliorée pendant un certain nombre d'années.
Le sénateur Nolin : D'importantes infractions sont instaurées par le projet de loi. Ces infractions peuvent s'assortir, par exemple, d'amendes pouvant s'élever à 1 ou à 12 millions de dollars. Ma question vous semblera peut-être d'ordre général, mais vous comprendrez pourquoi il est important que je la pose au moment où nous examinons le projet de loi.
Selon l'article 36, un tribunal peut tenir compte de circonstances aggravantes. La première de ces circonstances qu'un juge pourrait prendre en considération tient au fait de savoir si l'infraction a causé un dommage ou un risque de dommage à l'environnement. Pourriez-vous nous décrire les répercussions environnementales, économiques et sociales que pourraient avoir les prélèvements massifs d'eau des lacs, des fleuves et des rivières du Canada?
M. Pentland : Je vais commencer.
Le sénateur Nolin : Vous n'avez pas à fournir une longue réponse. Je veux simplement que vous m'indiquiez le type de renseignement qui pourrait convaincre un juge du fait qu'il existe une circonstance aggravante.
M. Pentland : Je vous répondrai en tant qu'ingénieur, et M. Saunders pourra peut-être vous répondre en tant qu'avocat.
L'interdiction, comme je l'ai mentionné plus tôt, est fondée sur quatre facteurs, à savoir le fait de maintenir l'approvisionnement naturel d'eau à l'intérieur des bassins; de prévenir l'introduction de biote non indigène, de parasites, de maladies et de polluants dans les bassins récepteurs; de protéger la biodiversité et la productivité au sein des écosystèmes; et, enfin, d'assurer l'utilisation durable de l'eau afin de répondre aux besoins futurs des collectivités situées à proximité d'un bassin hydrographique. Le fait de dériver l'eau d'un bassin afin qu'elle se dirige vers les États-Unis par un cours d'eau transfrontalier pourrait avoir des répercussions sur les quatre éléments que j'ai mentionnés, à savoir l'eau servant à répondre aux besoins des collectivités à proximité du bassin hydrographique, la biodiversité de ce bassin, l'introduction dans un bassin de biote provenant d'un autre et l'approvisionnement naturel d'eau dans les bassins. Cela aurait des effets sur tous ces éléments.
Pouvez-vous répondre à la question d'un point de vue juridique?
M. Saunders : Je mentionnerai que les dispositions relatives aux infractions n'ont probablement pas été conçues expressément pour le projet de loi qui nous occupe. Elles semblent en grande partie tirées d'autres textes législatifs, par exemple la Loi canadienne sur la protection de l'environnement. Le projet de loi comporte quelques éléments étranges, par exemple le droit d'effectuer des fouilles dans les maisons, mais il s'agit plus ou moins de paragraphes types que l'on ajoute aux textes législatifs. Dans certains cas, les moyens prévus sont même disproportionnés, mais à coup sûr, ils permettront l'application adéquate de la loi.
Le sénateur Nolin : Les dispositions ne peuvent pas être vagues — elles doivent être précises, car elles confèrent à un juge le pouvoir de décider s'il existe une circonstance aggravante. Le juge sera influencé par cela. Ma question était formulée avec des termes d'une portée très vaste et très générale, mais j'ai employé le libellé exact du projet de loi. Je tente de me mettre à la place d'un juge qui n'est pas expert en la matière, et d'établir dans quelle mesure il serait influencé par les propos que vous avez tenus durant votre témoignage. Un juge cherchera assurément à ce qu'on le convainque de l'existence d'une circonstance aggravante, vu l'ampleur des amendes, qui peuvent osciller entre 1 et 12 millions de dollars — nous parlons ici d'une amende salée.
M. Saunders : Il s'agit d'un problème lié au droit environnemental auquel la plupart des juges sont confrontés, surtout parce que le Canada ne dispose pas de tribunaux spécialisés en environnement, comme on en trouve dans d'autres pays.
Il est intéressant que vous souleviez cette question, car il y a deux ou trois semaines, nous avons tenu un colloque visant à informer les juges et les praticiens à propos de la manière dont les éléments de preuve de cette nature doivent être présentés à un tribunal et du poids qu'il convient de leur accorder.
L'un des juges présents, à savoir un juge de la Cour d'appel de l'Ontario, a clairement reconnu qu'il s'agissait d'un problème. Les juges doivent constamment s'informer puisque nous ne disposons pas de tribunaux spécialisés.
Le sénateur Nolin : Le projet de loi contient une longue liste de circonstances aggravantes.
M. Saunders : Cette liste n'est pas propre à ce projet de loi — il s'agit en grande partie d'un paragraphe législatif type.
Le sénateur Day : Le fait que nous soyons tous du même avis en ce qui concerne le projet de loi est une bonne chose. Je tente de saisir la portée du projet de loi. Le fait qu'il s'agisse d'un projet de loi d'initiative non pas gouvernementale, mais parlementaire, vous a-t-il paru singulier? Êtes-vous content qu'il semble soutenu?
M. Saunders : Nous sommes heureux de voir quiconque présenter un tel projet de loi. Comme vous le savez, le projet de loi d'initiative gouvernementale original, à savoir le projet de loi C-26, est semblable à celui qui nous occupe. La principale différence — d'une importance cruciale — tient aux dispositions relatives à la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux. Pour le reste, le projet de loi que nous examinons est semblable au projet de loi C-26. Au moins un autre député d'un autre parti, à savoir M. Francis Scarpaleggia, a déposé un projet de loi à la Chambre. Cela dénote que, peu importe qu'il s'agisse d'une initiative gouvernementale officielle ou d'une initiative d'un autre genre, les projets de loi de cette nature obtiennent un vaste soutien. La démarche utilisée peut varier, mais le but ultime semble faire l'objet d'un assez vaste assentiment.
Le sénateur Day : Nous sommes tous heureux qu'il ait été déposé, peu importe la manière dont il l'a été.
Ma deuxième question porte sur les cours d'eau transfrontaliers, plus particulièrement ceux qui prennent leur source au Canada, coulent vers les États-Unis puis reviennent au Canada, par exemple le fleuve Columbia.
Le sénateur Wallace et moi sommes tous deux originaires du Nouveau-Brunswick. Le cours inférieur du fleuve Saint-Jean est très important. Hormis un accord international, une entente bilatérale canado-américaine ou un autre mécanisme élaboré par la Commission mixte internationale, quelle solution existe-t-il? Ma question concerne non seulement le Canada et les États-Unis, mais d'autres pays du monde.
La sénatrice Fortin-Duplessis et moi avons eu l'occasion de voir ce qui se passe dans le cours supérieur du fleuve Mékong et les répercussions que cela a sur tous les pays situés au sud. Y a-t-il un quelconque principe international qui puisse être appliqué dans des cas de ce genre, ou faut-il que les pays en cause aient conclu une entente bilatérale pour régler ce type de situation?
M. Saunders : Je crois qu'il y a deux réponses à cette question. La plupart des grands bassins, par exemple celui du Nil, du Danube et du Rhin, sont visés par des accords ou sont en voie de l'être. Ce que l'on peut dire, c'est que, en l'absence d'une entente, il y a souvent de graves problèmes.
Vous avez fait allusion au fleuve Mékong. J'ai quelque peu participé aux activités de la commission du fleuve Mékong. Ce qui m'a le plus frappé, c'est la mesure dans laquelle les intérêts et la situation des pays en cause étaient disparates. Sur le plan de l'industrialisation, la situation de la Thaïlande est très différente de celle du Laos. Cela dit, des principes internationaux ont été élaborés au fil du temps, et à présent, on reconnaît généralement qu'ils énoncent les règles du droit international coutumier en matière de gestion des bassins fluviaux. Ces principes figurent dans la Convention des Nations Unies sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau à des fins autres que la navigation et dans des documents comme celui énonçant les Règles d'Helsinki, publié par l'Association de droit international. Un certain nombre de principes ont été élaborés au fil du temps, et, en fait, la majeure partie du droit environnemental moderne découle des premiers travaux sur la gestion des bassins fluviaux.
Cela dit, il est presque plus avantageux pour un pays de conclure un accord spécifique, précisément parce que ces principes coutumiers sont d'une portée très générale. Le Canada et les États-Unis ont conclu un accord qui fait l'envie de la plupart des pays du monde, et ce, en partie pour des raisons de nature historique, entre autres le fait que les deux pays possèdent une tradition de common law et partagent un certain nombre de caractéristiques culturelles communes.
Si vous examinez la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, vous constaterez que, à quelques égards importants, elle rompt avec les principes du droit coutumier. De plus, ce traité l'emporterait sur ces principes coutumiers internationaux, vu qu'il s'agit d'un accord bilatéral. Le traité en tant que tel ne date pas d'hier, mais tous les intervenants sont d'accord pour dire qu'ils ne devraient jamais disparaître.
En outre, nous ferions face à quelques difficultés au moment d'entreprendre des pourparlers pour conclure un nouveau traité, vu que le traité actuel est un traité de l'Empire. Si on le modifie de façon substantielle, des questions seront soulevées quant au pouvoir du gouvernement fédéral de le mettre en œuvre.
Le sénateur Day : La compétence provinciale, oui.
La sénatrice Ataullahjan : Pouvez-vous me fournir de brèves explications concernant la loi type conçue par le CQEC et la manière dont elle se distingue du projet de loi qui nous occupe? Elle semble axée sur les bassins plutôt que sur les frontières internationales. Qu'est-ce qui explique cela?
M. Saunders : Il est vrai que la loi type que nous avons proposée était axée sur les échanges entre bassins plutôt que sur les frontières internationales. Cela s’explique par quelques raisons. L’une d’entre elles tient à l’harmonisation. En effet, dans la Loi du traité des eaux limitrophes internationales, et plus particulièrement dans les modifications qui y ont été apportées en 2003, il était question des frontières des bassins, de sorte qu’il était logique pour nous de continuer à utiliser les frontières des bassins lorsque nous faisions allusion aux cours d’eau transfrontaliers.
Une autre raison était liée au fait que c’est sur cela que nous devions nous concentrer, du point de vue de la gestion des cours d’eau. Les rivières et les fleuves ne savent pas qu’ils peuvent passer d’un pays et à un autre, et nous devrions donc gérer un bassin hydrographique plutôt que de faire de la gestion fondée sur les différences géographiques.
Enfin, il y avait une raison qui était liée à nos obligations en matière de commerce international. J’estime que le projet de loi C-383 cadre avec les obligations qui nous incombent au titre de l’ALENA, mais il convient de souligner qu’une démarche fondée sur les frontières des bassins concorderait davantage avec le texte de l’ALENA ou, à tout le moins, avec son esprit. Il s’agit là d’un portrait général des principales raisons pour lesquelles nous avons mis l’accent sur les frontières des bassins plutôt que sur les frontières géographiques.
Cela dit, en ce qui a trait au fait d’empêcher les échanges entre bassins, l’effet net des deux démarches est, dans les faits, probablement le même.
La sénatrice Ataullahjan : Vous avez mentionné que nous ne devrions pas courir après les gains économiques. Si j’ai bien compris, l’objet du projet de loi est de nature environnementale plutôt qu’économique. Avez-vous des commentaires à formuler là-dessus?
M. Saunders : Je suis d’accord avec cela, et c’est la raison pour laquelle j’ai dit que le projet de loi cadrait avec notre proposition selon laquelle nous ne devrions pas poursuivre les gains économiques, lesquels, de surcroît, sont très douteux. Si vous examinez les projets qui ont été présentés dans le passé, plus particulièrement les mégaprojets proposés dans les années 1960 et même dans les années 1990, vous constaterez que les aspects économiques qui les caractérisent sont très incertains. En règle générale, ces projets consistaient à envoyer de l’eau à l’étranger, et ce, presque gratuitement.
Je n’ai rien contre les gains économiques. Je crois que la plupart des gens sont favorables à de tels gains, mais j’estime que les gains économiques liés à la plupart des projets qui ont été présentés étaient d’une nature très hypothétique.
Le sénateur Oh : Pourrions-nous exporter de grandes quantités d’eau du fleuve St-Laurent, vu que cette eau se jette dans l’océan Atlantique? Est-ce qu’une quelconque étude a été menée sur l’exportation d’eau douce de ce fleuve, et sur la question de savoir si cela aurait une incidence sur le niveau de l’eau des lacs?
M. Pentland : Je vais tenter de répondre à cette question.
Il y a sept ou huit ans, une étude d’une assez grande ampleur a été menée à Terre-Neuve. Selon les conclusions de cette étude, il ne serait pas possible, d’un point de vue économique, d’exporter de l’eau par navire-citerne depuis Terre-Neuve. S’il n’est pas possible de le faire depuis Terre-Neuve, il n’est assurément pas possible de le faire depuis le Québec, vu que cela exigerait quatre ou cinq jours supplémentaires de navigation.
En outre, depuis à peu près 20 ans, l’Alaska tente de vendre son eau, mais n’a pas encore expédié sa première cargaison. Cela ne fonctionne pas sur le plan économique.
Le sénateur Downe : Je ne savais pas que Terre-Neuve avait mené une étude sur l’occasion économique que cela pouvait représenter.
M. Pentland : Terre-Neuve avait reçu une proposition spécifique concernant un lac. L’étude a été lancée par suite de cette proposition formulée par le secteur privé. On s’est énormément penché sur les aspects juridiques de la proposition, de même que sur ses aspects économiques et environnementaux. Il s’agissait d’une étude d’envergure, et, au bout du compte, on a conclu que le projet n’était pas rentable, du moins à ce moment-là.
Le sénateur Downe : Le gouvernement de Terre-Neuve n’a pas rejeté d’emblée le principe de la vente de quantités massives d’eau?
M. Pentland : Non, il a simplement dit que cela ne fonctionnerait pas à ce moment-là.
Le sénateur Downe : On peut en conclure que, si cela s’était révélé viable, sur le plan financier —
M. Pentland : Il existe un autre cas très intéressant, à savoir celui de Sun Belt Water, société privée qui, à un moment donné, s’était vu délivrer un permis en vue d’exporter de l’eau de la Colombie-Britannique vers Santa Barbara. Au bout du compte, à Santa Barbara, on a conclu que, d’un point de vue économique, il serait plus réaliste d’opter pour le dessalement et, pour cette raison, le projet est tombé à l’eau. De plus, le gouvernement de la Colombie-Britannique avait changé d’idée et adopté une loi énonçant que, de toute façon, il n’autoriserait pas l’exportation d’eau. Depuis ce temps, l’affaire est devant les tribunaux, et je ne sais pas si elle a jamais été réglée.
Le sénateur Oh : S’il était possible d’exporter de grandes quantités d’eau, on pourrait le faire.
M. Pentland : Le projet de loi C-383 ne l’empêcherait pas. Toutefois, cela pourrait être interdit, dans certains cas, par des dispositions législatives provinciales. À coup sûr, ce serait le cas en Colombie-Britannique, mais pour ce qui est du Québec, je ne saurais le dire. Là-bas, il existe une loi qui est fondée non pas sur les bassins hydrographiques, mais sur les frontières géographiques. Quoi qu’il en soit, les dispositions législatives fédérales n’empêcheraient assurément pas cela. Le projet de loi n’empêcherait pas l’exportation d’eau par navire-citerne.
[Français]
Le sénateur Demers : Bonjour et merci d’être avec nous ce matin.
[Traduction]
Je suis ici aujourd’hui en remplacement d’un autre sénateur. Je suis impressionné par le projet de loi C-383 et par vos exposés. J’ai moi aussi appris des choses.
Avez-vous des commentaires à faire concernant le caractère judicieux des dispositions législatives ou réglementaires adoptées dans diverses provinces afin de protéger les plans d’eau entièrement situés à l’intérieur de frontières provinciales contre les prélèvements massifs d’eau?
M. Pentland : À l’heure actuelle, 9 des 10 provinces ont adopté des dispositions législatives — le Nouveau-Brunswick est l’unique exception. Je crois que, si cette province n’a pas encore adopté de telles dispositions, c’est simplement parce qu’elle n’a pas encore pris le temps de le faire. Ces dispositions varient d’une province à l’autre. Dans certains cas, elles contiennent des failles, et dans d’autres, non. Dans certains cas, on peut passer outre à ces dispositions par suite d’une décision du Cabinet, et dans d’autres, on peut le faire plus facilement que cela. Dans certains cas, ces dispositions pourraient ne pas résister à une contestation fondée sur le droit commercial; les dispositions axées sur les bassins hydrographiques y résisteraient probablement puisqu’elles sont de nature environnementale, mais les dispositions axées sur les frontières géographiques risquent de ne pas résister à une telle contestation. Il s’agit de l’une des raisons pour lesquelles le fait de disposer de dispositions législatives fédérales d’une plus vaste envergure est une bonne chose — cela permet de combler une foule de lacunes que contiennent les dispositions législatives provinciales.
Le sénateur Demers : Pourriez-vous nous décrire les prélèvements massifs d’eau qui sont visés par le projet de loi C-383, et ceux qui ne le sont pas?
M. Pentland : Je crois que M. Saunders a mentionné que les exportations de grandes quantités d’eau par navire-citerne, les exportations d’eau embouteillée ou les exportations d’eau se trouvant dans des contenants dont la capacité peut aller jusqu'à cinq… Cela est défini dans le droit commercial. On ne peut pas empêcher l’exportation d’eau se trouvant dans des petits contenants.
Le projet de loi n’empêche peut-être pas l’exportation d’eau par train ou par camion, par exemple. Il vise tous les grands projets, par exemple celui du canal Grand, dans le cadre duquel on aurait prélevé de l’eau de l’Alaska. Le projet de loi empêche tous les projets de grande envergure, mais ceux de petite envergure peuvent passer entre les mailles du filet.
La présidente : Madame Hurley, monsieur Pentland, je vous remercie. Vous avez pu constater l’intérêt et les réactions que vous avez suscités chez les sénateurs. Il a été extrêmement utile de placer le projet de loi dans le contexte des questions relatives à l’eau au Canada. Nous vous remercions de vous être présentés ici.
Chers sénateurs, si vous le souhaitez, nous pouvons passer au vote article par article. Nous pourrions prendre une pause avant de le faire, ou procéder immédiatement au vote. Je vois des sénateurs qui hochent la tête en signe d’approbation. Est-ce que le comité est d’accord pour procéder à un vote article par article relativement au projet de loi C-383, Loi modifiant la Loi du traité des eaux limitrophes internationales et la Loi sur les ouvrages destinés à l’amélioration des cours d’eau internationaux?
Des voix : Oui.
La présidente : Est-ce que l’étude du titre est réservée?
Des voix : Oui.
La présidente : Est-ce que l’étude de l’article 1, qui contient le titre abrégé, est réservée?
Des voix : Oui.
La présidente : L’article 2 est-il adopté?
Des voix : Oui.
La présidente : L’article 3 est-il adopté?
Des voix : Oui.
La présidente : L’article 4 est-il adopté?
Des voix : Oui.
La présidente : L’article 5 est-il adopté?
Des voix : Oui.
La présidente : L’article 6 est-il adopté?
Des voix : Oui.
La présidente : Les articles 7 à 15 sont-ils adoptés?
Des voix : Oui.
La présidente : L’annexe est-elle adoptée?
Des voix : Oui.
La présidente : L’article 1, qui contient le titre abrégé, est-il adopté?
Des voix : Oui.
La présidente : Le titre est-il adopté?
Des voix : Oui.
La présidente : Puis-je faire rapport du projet de loi au Sénat?
Des voix : Oui.
La présidente : Je vous remercie de votre coopération et de vos connaissances à propos de l’eau. Je pense que nos travaux nous ont permis d’apprendre des choses.
Avant de lever la séance, je souligne que nous attendons de recevoir le rapport sur notre étude concernant la Turquie. J’ai examiné la version préliminaire, que Mme Mychajlyszyn est en train de remanier. La version préliminaire était un document extrêmement brut, de sorte qu’elle voulait que je formule des commentaires pour l’orienter. J’ai trouvé qu’elle était sur la bonne voie. Comme le document était assez long, elle va le condenser, et nous devrions le recevoir lundi matin. À ce moment-là, nous disposerons du corps du texte du rapport, et le comité directeur le recevra au même moment.
Je vais examiner l’introduction et la conclusion du rapport, de même que la partie contenant les recommandations, puis je consulterai ensuite le comité directeur. J’espère que nous aurons, d’une façon ou d’une autre, du matériel pouvant alimenter une discussion sur notre étude concernant la Turquie au cours de la semaine prochaine, de manière à ce que nous puissions faire progresser le plus rapidement possible le processus.
(La séance est levée.) |