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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

OTTAWA, le jeudi 3 avril 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 34, pour effectuer l'étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires internationales et du commerce international poursuit son étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région et d'autres questions connexes. Nous entendrons aujourd'hui le contre-amiral David Gardam, directeur général de la Politique de sécurité internationale au ministère de la Défense nationale.

Je vous souhaite la bienvenue au comité; je suis sûre que ce n'est rien de nouveau pour vous. Notre étude porte sur la région de l'Asie-Pacifique, particulièrement sur le Myanmar, les Philippines, Singapour et l'Indonésie. Nous nous intéressons aux questions de sécurité et aux initiatives qui pourraient concerner le Canada ou que le Canada pourrait vouloir entreprendre dans la région. Tout ce que vous pourrez ajouter à notre étude sera utile.

Vous avez la parole pour faire votre exposé, puis nous passerons aux questions, comme d'habitude.

Contre-amiral David Gardam, directeur général, Politique de sécurité internationale, Défense nationale : Merci beaucoup. Je vais commencer par faire mon exposé, en espérant que celui-ci vous inspire des questions.

Je vous remercie, honorables sénateurs, de me recevoir aujourd'hui pour vous parler de cet important sujet. En tant que pays du Pacifique, les relations interpersonnelles et socioéconomiques entre le Canada et l'Asie ne cessent de grandir et font ainsi partie intégrante de notre identité, de notre prospérité et de notre sécurité.

Entre 1981 et 2011, le pourcentage de Canadiens d'origine asiatique a triplé. En Colombie-Britannique, 25 p. 100 de la population est d'origine asiatique. En Ontario, ce pourcentage s'élève à 18 p. 100. Ces pourcentages ne cessent d'augmenter. L'immigration représente la plus grande source de croissance du pays. À l'heure actuelle, 48 p. 100 des nouveaux Canadiens proviennent d'Asie.

Le commerce avec l'Asie augmente aussi. La Chine est devenue notre deuxième plus grand partenaire commercial après les États-Unis. Et l'Asie, en tant que région, obtient la plus grande proportion des importations canadiennes non destinées aux États-Unis, avec 41 p. 100. Le gouvernement travaille à élargir et à prendre appui sur ces relations. Il donne suite à des initiatives telles que les négociations du Partenariat transpacifique en vue de conclure un accord de libre-échange et d'autres initiatives semblables de commerce bilatéral.

Bien que l'augmentation des relations entre le Canada et la région de l'Asie-Pacifique offre de nombreuses possibilités, l'environnement de sécurité complexe de la région comporte des risques pour nos intérêts.

La modification de l'équilibre des pouvoirs, qui tend à aller du côté de la Chine au détriment des États-Unis et de ses alliés, a entraîné une hausse des tensions et de l'incertitude dans l'environnement de sécurité régionale.

Plusieurs litiges frontaliers de longue date, particulièrement en mer, pourraient s'aggraver et mener à des conflits ouverts en raison de malentendus, d'erreurs de calcul et d'une rigidité, influencés par des mouvements nationalistes. En Corée du Nord, le comportement imprévisible du dirigeant et sa quête d'armes nucléaires et de technologies de lancement posent une menace grave dans la région.

La région doit également relever des défis en matière de sécurité liés à la piraterie, à la migration illégale, aux pressions sur les ressources et aux catastrophes naturelles. Dans cette région où les dépenses militaires s'intensifient et où l'architecture de sécurité multilatérale évolue, il sera important pour nous de nous occuper de réduire la friction et la confrontation et de promouvoir la collaboration.

Dans le cadre de l'intérêt général que le gouvernement du Canada porte à la région de l'Asie-Pacifique, l'Équipe de la Défense s'est engagée envers la coopération en matière de défense et de sécurité pour assurer le maintien de la paix et de la stabilité dans une région avec laquelle il est intrinsèquement très lié. Nous avons comme objectif de contribuer à l'évolution d'un environnement de sécurité en Asie qui est stable dans lequel les disputes seront traitées selon les normes et les lois internationales. Cet aspect est important pour le Canada pour plusieurs raisons. Par exemple, 65 p. 100 du transport mondial de conteneurs provient d'Asie. Nous devrons donc porter une attention particulière au transport maritime, puisque ce sera important au cours des prochaines décennies.

En ce qui a trait au Canada, en 2012, 48 p. 100 du fret à destination du port de Halifax arrivait d'Asie. Le port de Vancouver vit un essor grâce au commerce avec l'Asie. Par conséquent, nous avons un intérêt direct à maintenir la sécurité des voies de communication maritimes.

Une contribution à la sécurité régionale requiert la mise au point d'une stratégie exhaustive. Nombre de nos amis et partenaires se préoccupent des mêmes questions et ont entrepris des mesures similaires. En partageant l'information et en coordonnant les interventions avec ces amis et partenaires, nous renforcerons nos approches respectives.

Or, nous travaillons déjà activement à l'atteinte de ces objectifs. Dans ce but, la première étape de l'Équipe de la Défense consistera à travailler avec ses partenaires pangouvernementaux et les pays aux vues similaires pour explorer des approches et mettre au point des plans qui nous amèneront dans cette direction. C'est ce qui a motivé le Cadre de coopération en matière de défense de l'Asie-Pacifique, qui a été signé par le ministre Nicholson et le secrétaire de la défense américain Hagel au Forum sur la sécurité internationale d'Halifax en novembre dernier.

Cependant, le fait de déterminer des exigences pour la mise au point des stratégies et des plans ne signifie pas que la Défense n'est pas déjà présente dans la région. Les Forces armées canadiennes poursuivent leur contribution à la Commission de l'armistice militaire du Commandement des Nations Unies en Corée depuis 1953. L'Équipe de la Défense contribue aussi à la résolution des questions de sécurité régionale grâce à diverses autres activités importantes, telles que la participation à l'enquête multilatérale sur le torpillage par la Corée du Nord du navire sud-coréen Cheonan en 2010, et l'envoi répété de l'Équipe d'intervention en cas de catastrophe, y compris au Sri Lanka, au Pakistan et aux Philippines, le plus récent de ces envois ayant eu lieu en 2013.

En plus de leur participation aux opérations, les Forces armées canadiennes intensifient leur participation aux exercices militaires régionaux. Depuis quelques années, après les États-Unis, le Canada est le pays qui envoie le plus grand nombre de soldats aux nombreux grands exercices qui se déroulent dans la péninsule coréenne. Parmi ces exercices, mentionnons l'exercice Rim of the Pacific; l'exercice de secours en cas de catastrophe — l'exercice DiREX — dans le cadre du Forum régional de l'Association des Nations de l'Asie du Sud-Est, ou ANASE; et l'exercice Cobra Goldle plus grand exercice multilatéral en Asie du Sud-Est auquel nous participons comme observateurs.

Dans l'établissement de relations avec les pays de la région, notre Programme d'instruction et de coopération militaires constitue un outil puissant de diplomatie. Ce programme permet au Canada de partager son expérience et son savoir-faire avec de nouveaux partenaires par l'acquisition de nouvelles capacités et le développement de nouvelles relations de défense bilatérales. En ce moment, le programme compte 11 pays membres de l'ANASE participants. Ainsi, au cours de la dernière année financière, grâce à ce programme, plus de 150 officiers des pays participants ont bénéficié de cours de langue, de maintien de la paix, d'état-major et de développement professionnel. Le Canada a également commandité plusieurs colloques de grande notoriété en Indonésie par l'entremise de ce programme, dont celui sur les opérations de maintien de la paix qui a eu lieu le mois dernier.

Nous concentrerons notre engagement sur les domaines prioritaires en visant les relations bilatérales clés, en continuant notre participation au Forum régional de l'ANASE et en cherchant à obtenir un siège à la rencontre élargie des ministres de la Défense de l'ANASE.

Les institutions de l'ANASE offrent d'importantes occasions de travailler sur les questions liées à la défense et à la sécurité et de renforcer la coopération dans la région. Nous devons également contribuer aux domaines où nous croyons que nous pouvons apporter une valeur ajoutée. Ces domaines comprennent la sécurité maritime, la médecine militaire, l'aide humanitaire et les secours en cas de catastrophe.

En bref, si le gouvernement veut atteindre ses objectifs et réaliser ses ambitions dans la région de l'Asie-Pacifique, l'engagement en matière de défense doit demeurer une priorité au sein d'un effort pangouvernemental cohérent.

Dans une région où la croissance est constante et les difficultés complexes, notre statut et nos intérêts en tant que pays du Pacifique nous obligent à continuer de contribuer à la sécurité et à nouer des relations à long terme en matière de défense et de sécurité. Nous prenons notre rôle en tant que pays du Pacifique au sérieux. Nous sommes résolus à contribuer à la sécurité de l'Asie — notre contribution devrait permettre au Canada de réaliser ses aspirations générales dans cette région dynamique.

Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Vous nous avez donné de l'information fort utile, car vous avez couvert de nombreux secteurs d'activités. Dans la région de l'Asie-Pacifique, nous sommes au courant du conflit coréen et des ambitions nucléaires de la Corée du Nord. Nous sommes toujours dans le doute concernant la Chine et ses activités dans le cyberespace et ailleurs. Les liens entre les pays ne sont pas toujours clairs pour nous; leurs relations sont parfois amicales, parfois glaciales. Je le souligne pour donner un peu de contexte.

Plus récemment, le Canada s'est engagé économiquement dans la région, et vous parlez de piraterie, de migration illégale, de pressions sur les ressources et de catastrophes naturelles comme d'autant de défis en matière de sécurité. Un autre défi en la matière, selon moi, consiste en l'absence d'un cadre de sécurité. Ce n'est pas comme dans la région de l'Atlantique, où nous savons exactement ce que font les acteurs et quels sont les accords-cadres.

Est-ce que nous essayons actuellement d'établir des accords-cadres, ou en sommes-nous encore à définir quelles sont les enjeux à aborder?

Cam Gardam : Excellente question. Si vous le permettez, je vais commencer par les cadres qui existent actuellement et auxquels le Canada participe à un niveau très élevé sur le plan stratégique. Je crois que vous constaterez que le Canada est très actif au sein de certains de ces forums.

Il y a tout d'abord le Forum régional de l'ANASE. Vous savez certainement que ce forum comprend le Brunei, le Cambodge, l'Indonésie, le Laos, les Philippines — toute la région sud. L'accent est mis sur la sécurité et la défense maritimes. Trois mots me viennent à l'esprit quand je pense à cette région : paix, stabilité et prospérité. La prospérité est ce qui compte avant tout, et pour assurer la prospérité, il faut un groupe comme l'ANASE qui permet aux pays ayant des vues similaires de discuter d'enjeux tels que la piraterie. Au cours des trois dernières années, il y a eu une baisse marquée des activités de piraterie dans la région de l'ANASE grâce à la collaboration de pays comme l'Indonésie et la Malaisie et leur garde côtière respective pour lutter contre ce fléau.

La rencontre élargie des ministres de la Défense de l'ANASE est une autre initiative plus vaste de défense et de sécurité. Tous les pays membres de l'ANASE y participent. Le Canada n'en est pas membre, mais nous essayons de le devenir en collaborant avec nos proches alliés, comme la Corée du Sud, les États-Unis, l'Australie et d'autres.

Nous avons appris au cours des trois dernières années que les rencontres en personne comptent pour beaucoup, comme le disait Confucius. Ce n'est pas dans nos mœurs, ici au Canada. Nous avons l'habitude des transactions d'affaires à l'occidentale. Ce n'est pas la même chose en Asie. Il faut que votre approche et votre leadership soient cohérents, et votre point de vue compte.

Par exemple, notre ministre va participer au dialogue de Shangri-La, en compagnie de ministres et de chefs de la défense de la région. Ce dialogue permet de tenir des discussions vastes sur, par exemple, la façon de régler un différend maritime entre, disons, la Chine et un autre pays. Ce sont des mécanismes qui existaient du temps de la guerre froide entre l'OTAN et la Russie. Nous les appliquons maintenant à une nouvelle tribune, soit la rencontre élargie des ministres de la Défense de l'ANASE.

Il y a aussi des groupes de travail d'experts auxquels le Canada commence à faire partie, dans les domaines de l'aide humanitaire et les secours en cas de catastrophe, par exemple. Le Canada participe aussi aux activités de mise en commun de l'information, parce que nous en avons la capacité.

Cela dit, nous devons faire attention de ne pas nous montrer trop gourmands. Vous le savez : la région est vaste, le Canada est un petit joueur et les distances sont grandes. Nous collaborons donc avec nos partenaires, surtout ceux du Groupe des cinq et d'autres dans la région, pour nous aider avec notre engagement dans la région.

Je dirais que nous procédons maintenant de manière beaucoup plus intelligente sur le plan de l'engagement.

Le sénateur Downe : Qui sont les membres actuels de la rencontre élargie des ministres de la Défense de l'ANASE?

Cam Gardam : Je vais consulter mes notes parce que je veux être sûr de bien les énumérer. Il y a l'ANASE, comme je l'ai dit, plus deux groupes différents. Il y a le groupe « plus trois », qui comprend la Chine, le Japon et la Corée, et il y a la rencontre élargie des ministres de la Défense de l'ANASE, qui inclut l'Australie, l'Inde, la Nouvelle-Zélande, la Russie et les États-Unis. C'est à ce groupe que le Canada souhaite adhérer.

Le sénateur Downe : Pourquoi n'en faisons-nous pas partie? N'avons-nous pas été invités en même temps que les Australiens et les Néo-Zélandais?

Cam Gardam : Parce que les intérêts régionaux ont de l'importance. Nous ne sommes pas actifs dans la région au même titre que l'Australie ou la Nouvelle-Zélande. Par exemple, quand nous avons déployé notre Équipe d'intervention en cas de catastrophe, nous avons dû envoyer un C-17 à 16 000 kilomètres de distance. Le temps et l'espace comptent pour beaucoup. L'essentiel pour nous est de veiller à ce que notre demande soit cohérente pour que nous puissions devenir membre.

Un récent événement tragique nous a donné un exemple de situation qui peut nous permettre d'ouvrir une porte. La catastrophe de cette année aux Philippines nous a permis de leur dire que le Canada est là, que nous sommes venus à leur secours et que nous étions le deuxième pays à le faire, avant beaucoup d'autres. En utilisant ces occasions de manière stratégique, le Canada pourra devenir membre, mais nous n'en sommes pas encore là. Notre présence s'accroît parce que nous savons que c'est bon pour le commerce et la prospérité.

Le sénateur Downe : Quels seraient les avantages pour le Canada de faire partie de ce groupe?

Cam Gardam : L'un des principaux avantages serait la capacité de gérer les questions touchant à la sécurité maritime. Sans cadre sûr de gestion du commerce maritime entre les points A, B et C, l'économie va pâtir. Être membre permettra à notre pays de contribuer à l'élaboration de mécanismes permettant sinon de régler les différends, d'au moins calmer le jeu.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Soyez le bienvenu, contre-amiral Gardam. Je vais faire une mise en place avant de poser mes deux premières questions, qui seront brèves.

En ce qui concerne l'exercice du Pacific Rim (RIMPAC), auquel le Canada participe, êtes-vous en mesure de nous informer sur l'ampleur de la participation des pays suivants : l'Indonésie, les Philippines et Singapour? C'est lors de la dernière tenue de cet exercice qui a eu lieu en 2012, je crois.

Ma deuxième question : lors de l'exercice de 2012, est-ce que les Forces armées canadiennes ont été en contact direct avec les forces indonésiennes, philippines et singapouriennes?

[Traduction]

Cam Gardam : Voilà deux excellentes questions. En ce qui concerne les trois pays que vous avez mentionnés, le Canada collabore activement avec eux, de marine à marine. Je vais donner un bref survol historique de la marine et de sa situation des 30 dernières années.

La Marine royale canadienne est présente dans la région depuis plus de trois décennies. Nous collaborons de très près avec les Philippines, la Malaisie et l'Indonésie, et ce, de marine à marine au moyen de visites de port. Les visites de port sont des occasions d'engagement stratégique, et les activités de nos chefs de mission, de nos ambassadeurs et de nos salons commerciaux s'articulent autour d'elles. Nous travaillons de concert avec le ministère des Affaires étrangères afin que nos programmes soient bien synchronisés.

Comme vous le savez, 14 pays participent à l'exercice Rim of the Pacific, le plus important exercice maritime de son genre du monde. Les trois pays que vous avez mentionnés y participent activement.

Notre relation la plus étroite est avec Singapour. Nous avons de nombreux accords de nature technique avec ce pays. Nos marines travaillent très bien ensemble dans le cadre d'un programme appelé PASSEX, qui donne aux marines la possibilité d'échanger des idées ou du personnel de quart et de travailler ensemble. Nous sommes très actifs auprès des trois pays en question.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Vous avez parlé d'échange et de partenariat dans votre introduction. Est-ce que vous avez des échanges d'officiers avec les officiers de Singapour, des Philippines et de l'Indonésie?

[Traduction]

Cam Gardam : Je sais que nous avons des accords de coopération en matière de formation militaire, qui n'incluent pas d'échanges, mais en vertu desquels nous formons des officiers de différents pays, y compris de deux des trois que vous avez mentionnés. Je ne suis pas au courant de nos programmes d'échanges. Je vais devoir prendre note de cette question. Je sais que nous avons des attachés de défense qui sont accrédités dans cette région, mais il ne s'agit pas d'échanges.

La sénatrice Johnson : Depuis 2008, des haut gradés de l'Armée populaire chinoise de libération ont visité le Canada à plusieurs reprises. Nous comprenons que la teneur de ces dialogues est en grande partie confidentielle, mais pouvez-vous nous dire sur quoi ceux-ci ont débouché et jugez-vous que les Chinois sont sérieux à propos du maintien de la paix et de la stabilité dans la région de l'Asie-Pacifique?

Cam Gardam : Ce sont deux excellentes questions.

Pour répondre à la première question, je dirai que, oui, le dialogue s'intensifie entre la Chine et le Canada, et notamment nos forces armées. C'est assez récent d'ailleurs; cela a commencé sous le ministre MacKay. Je vais axer ma réponse sur l'aspect militaire et ne parlerai pas des affaires étrangères ou d'autres aspects.

Nous avons récemment signé un cadre de coopération entre la Chine et le Canada, qui permettra d'échanger de l'information lorsqu'il se révélera logique de le faire. L'éducation fait partie des domaines de collaboration. Nous envisageons aussi de faire part des leçons que nous avons tirées relativement à l'aide en cas de catastrophe.

Nous avons remarqué une chose : si nous ouvrons un tant soit peu notre porte à la Chine, celle-ci cherche à en tirer parti. Il importe donc de veiller à ce que la relation avec elle soit réciproque, durable et gérable. Pour la Chine, notre pays présente un intérêt relativement faible. Ainsi, que voulons-nous obtenir de notre relation avec la Chine? C'est la question essentielle à se poser.

Je suis allé en Russie il y a quelques mois. Jamais je n'aurais pu m'imaginer que nous en serions là avec la Russie aujourd'hui. Le même processus s'est appliqué dans le cas de la Russie. Qu'espérons-nous tirer de cette relation? Ce que nous souhaitons, c'est de garder le dialogue ouvert. C'est le mieux que nous puissions espérer.

À terme, le renforcement de nos relations visera la prospérité. Ce sera toujours une question d'argent. Les relations de défense permettent souvent d'ouvrir des portes qui étaient fermées, car les parties ont une compréhension commune, en particulier sur le plan maritime, des opérations en mer. Il y a un cadre commun visant le dialogue.

J'ai oublié votre deuxième question.

La sénatrice Johnson : À votre avis, les Chinois prennent-ils au sérieux le maintien de la paix et de la stabilité dans la région de l'Asie-Pacifique?

Cam Gardam : Je vous répondrai que, pour la Chine, les véritables enjeux sont la prospérité, le développement économique et la façon de gérer l'essor de sa classe moyenne. Il s'agit pour elle d'asseoir son influence et d'assurer sa sécurité avant d'aller plus loin.

Une expression veut que « la Chine devienne vieille avant de devenir riche ». À cause de la politique de l'enfant unique, la population chinoise vieillit, et rapidement. Le vieillissement s'accompagne de troubles sociaux. Or, il est absolument vital que la Chine soit en mesure de nourrir son économie et d'assouvir l'appétit de la classe moyenne, qui prend de plus en plus d'importance, et des pauvres qui améliorent leur sort. La Chine fera tout en son pouvoir pour rester maître de ce qui se passe chez elle, c'est-à-dire pour garder la maîtrise de ses affaires internes. Je crois que pour déterminer notre manière de travailler avec la Chine sur le plan externe, il nous faut comprendre ses enjeux internes. Et ils sont nombreux.

Le fleuve Yangzi Jiang, alimenté par les glaciers de l'Himalaya, est pratiquement asséché. Cette situation a un effet environnemental déstabilisateur certain en Chine.

Celle-ci a besoin de ressources naturelles pour continuer à progresser. Elle vient tout juste d'émettre une alerte jaune à la pollution. Du jamais vu. Les problèmes environnementaux en Chine sont ahurissants. Tout ce que nous pouvons faire pour aider la Chine à se développer est autant dans notre intérêt que dans le sien.

Je pense que nous devons travailler en étroite collaboration avec tout le monde, que nous soyons favorables ou non aux politiques des autres. Il faut collaborer étroitement avec la Chine. C'est la raison pour laquelle le Canada tâche désormais d'agir simultanément sur plusieurs fronts dans sa relation avec la Chine; il ne se contente pas de l'aspect militaire ou de celui des affaires étrangères, mais également de l'élément commercial dans tous les secteurs concernés. Le but est d'avoir un cadre commun.

La sénatrice Johnson : J'imagine que la Chine est quelque peu paniquée par l'état de son environnement et la gestion que cela implique. Évidemment, nous devons entretenir une relation gérable avec la Chine, mais, elle, comment peut-elle faire face à la situation? Chaque fois que nous lisons sur le sujet, la situation a empiré.

Cam Gardam : Il s'agit d'un problème d'une importance capitale et d'un impératif national.

On n'a qu'à songer à la révolution industrielle au Royaume-Uni. J'ai étudié en histoire et en mathématiques, et j'aimerais explorer la question sous un angle différent. Au commencement, la révolution industrielle en Europe était synonyme de véritable désastre environnemental. Rappelez-vous les nuages de charbon à Londres. Il était impossible de voir quoi que ce soit. Ce n'est qu'au fil de son évolution technologique que Londres a pu juguler la pollution.

Il en va de même de la Chine. Elle doit elle aussi évoluer sur le plan technologique, et nous devons l'y aider.

La sénatrice Johnson : Cela répond à ma question.

Le sénateur D. Smith : Les membres du comité le savent déjà, mais je suis allé pour la première fois en Chine il y a 40 ans, alors que Mao vivait encore. J'y suis retourné 10 ou 12 fois depuis. La transformation est spectaculaire. Autrefois, il n'était pas permis d'aborder certains sujets, comme Taïwan, le Tibet et la place Tiananmen.

Cam Gardam : Les trois T.

Le sénateur D. Smith : J'ai constaté un léger changement à un égard. J'ai pris part à une réception il y a environ trois semaines en compagnie de l'ambassadeur de la Chine. Par ailleurs, la députée de Vancouver-Sud a organisé un lunch la semaine dernière, et l'ambassadeur était présent. Je lui ai dit que le seul pays en mesure d'aider la Corée du Nord à intégrer le monde réel était la Chine. « Êtes-vous prêts à le faire? », ai-je dit. Il aurait été impossible de soulever cette question autrefois.

Il y a deux ans, à l'occasion d'un événement à Pékin, j'ai abordé le sujet avec des responsables des affaires étrangères. C'est intéressant, car ils n'ont rien dit, mais leur langage corporel était éloquent. Impossible de rapporter les propos de ces gens.

Quel est votre sentiment? L'ambassadeur a répondu : « Nous rejetons l'idée que des pays s'ingèrent dans les affaires d'autres pays. » Or, ce que son corps disait, c'est plutôt : « Cet homme est fou, mais je ne crois pas que nous puissions faire quoi que ce soit. » Quel est votre point de vue à cet égard?

Cam Gardam : La Corée du Nord est un irritant majeur pour la Chine.

Le sénateur D. Smith : Je ne vous le fais pas dire.

Cam Gardam : Cela me ramène à la paix, la sécurité et la prospérité. La Chine cherche désespérément à ce que la paix, la sécurité et la prospérité règnent dans la région; c'est une question d'argent. Le comportement irrationnel et imprévisible de la Corée du Nord n'aide en rien la situation. Il ne fait aucun doute que la Chine est consciente qu'elle a un rôle modérateur à jouer dans ce dialogue, peu importe la forme que cela peut prendre.

Il est fascinant de savoir que les deux Corées ont chacune une Constitution axée sur l'unification, mais par des moyens différents : la Corée du Sud vise un rattachement pacifique à la Corée du Nord, tandis que celle-ci veut conquérir le Sud. Avec deux Constitutions aussi fondamentalement différentes, les problèmes dans la région sont inévitables.

La Chine surveille ce qui se passe; c'est sûr. Nous devrions tous suivre l'évolution de la situation au cours des mois et des années à venir.

Le sénateur D. Smith : La Chine ne fait pas grand-chose.

Cam Gardam : Elle est passablement active dans les coulisses. L'absence de conflit régional en témoigne.

Le sénateur D. Smith : C'est vrai.

Cam Gardam : Je ne peux pas faire de suppositions, mais je peux vous dire ce que je sais. La Chine déploie tous les efforts possibles pour calmer le jeu.

La sénatrice Ataullahjan : Je poursuis sur le même sujet : la Chine. La Chine a considérablement accru ses dépenses dans le secteur militaire, plus particulièrement dans le perfectionnement de sa marine. Elle a des prétentions territoriales dans la mer de Chine méridionale et orientale, ce qui est perçu comme une menace par un grand nombre de pays d'Asie. Comment le Canada réagit-il aux efforts de la Chine pour consolider sa défense? Y a-t-il eu ou y aura-t-il un mouvement tendant à une entente régionale en matière de sécurité?

Cam Gardam : Ce dont vous voulez parler, sénatrice, c'est de la ligne en neuf traits, dans l'Asie du Sud-Est, qui est chargée d'histoire. Tout cela remonte au passé. La Chine a certaines revendications, valables ou non, dans le Sud-Est de la région de l'ANASE. Il en va de même d'autres pays de la région.

Par l'entremise de sa marine et de l'Armée populaire de libération, la Chine fait activement valoir ses revendications. Rappelons-nous les îles Spratlys et cette photo montrant un jeune soldat muni de ce qui ressemble à une carabine, assis sur une chaise de jardin. Il existe une réalité incontournable en matière territoriale : si une personne d'un autre pays se trouve sur un territoire et le revendique, cela a un poids devant le tribunal international. C'est ce que fait la Chine.

L'aspect maritime joue un rôle très important dans la gestion de ce genre de différends. Les mécanismes de règlement des différends doivent s'inscrire dans le droit international. L'armée canadienne refuse de prendre position dans ce conflit, car il ne lui revient pas de le faire. Ce qu'il nous appartient de faire, c'est de collaborer avec des instances animées de la même vision afin de trouver des mécanismes pour contribuer à la résolution de ces différends.

L'ANASE est un forum régional qui s'occupe de ce type de questions. La Rencontre des ministres de la Défense de l'ANASE est un autre forum régional. D'autres groupes d'experts se penchent également sur la façon de résoudre d'éventuels conflits en mer entre des navires de guerre avant que des coups soient tirés. Il faut comprendre que si des navires s'engagent dans une bataille en mer, il s'agit alors d'une guerre traditionnelle. Il n'est plus question d'un simple conflit régional. L'objectif est de prévenir cela. C'est pourquoi le Canada prend une part active aux exercices Rim of the Pacific depuis plus de 20 ans. Ces exercices en soi ne sont pas complexes; ils permettent surtout d'établir de bonnes relations. Vous avez entendu la liste des protagonistes. La Russie, la Chine et l'Inde en font partie. Ce ne sont pas des pays avec qui nous avions l'habitude de travailler, traditionnellement, mais nous collaborons de plus en plus avec eux. Plus nous travaillons de concert avec eux, plus nous sommes à même de les comprendre et de résoudre les problèmes. Je dirais toutefois que nous avons encore beaucoup de pain sur la planche.

Durant la guerre froide, les mécanismes étaient clairs. Il s'agissait d'un conflit binaire. Désormais, les enjeux sont multilatéraux.

Je ne sais pas si vous l'aviez remarqué, mais la Chine n'aime pas la collaboration multilatérale. Elle fonctionne bilatéralement, un pays à la fois, car il lui est possible de faire céder un seul pays. Or, le Canada travaille de façon multilatérale, avec ses partenaires du Groupe des cinq, avec la Chine et la Corée. Nous formulons un message commun. Si nous disons qu'une chose est inacceptable, nous le disons conjointement. Qu'il s'agisse de nos agents des affaires étrangères, du personnel des missions commerciales ou des militaires, tout le monde parle d'une même voix. Nous sommes au même diapason que tous nos alliés. Comme le Canada a un poids démographique relativement petit, il lui faut s'engager dans la région intelligemment, ce qui implique de parler avec ses alliés et de voir où il peut avoir la plus grande incidence. C'est là-dessus qu'il doit axer ses efforts. Le Canada ne peut pas agir à l'aveuglette et déployer quelques efforts çà et là.

Je reviens à ma remarque sur Confucius. Si nous nous contentons d'efforts ponctuels, nous allons échouer lamentablement. Notre engagement doit être cohérent et durable et reposer sur la représentation appropriée.

Le sénateur Downe : Je présume que les pays d'Asie s'intéressent davantage au Canada étant donné que le passage du Nord-Ouest influera sur leurs échanges commerciaux, ce qui rejoint vos observations sur la prospérité. N'est-ce pas là un atout pour le Canada? Notre importance n'est-elle pas plus grande que notre contribution militaire à ce stade-ci grâce au passage du Nord-Ouest dans l'Arctique?

Cam Gardam : Je vous remercie de la question. Il se trouve que j'ai fait mon mémoire de maîtrise sur le passage du Nord-Ouest, mais je vais m'abstenir d'en parler. Je vais plutôt parler de l'importance de la route maritime du Nord.

La route maritime du Nord est la voie qui est au large des côtes de la Russie. Elle est ouverte depuis de nombreuses années. La Russie est une nation arctique. Ses habitants vivent, travaillent et exercent des activités dans l'Arctique. La route maritime est comme une autoroute de la série 400. Le passage du Nord-Ouest, en comparaison, est comme un chemin de campagne. J'y suis allé. La navigation y est périlleuse; il y a de nombreux écueils et les eaux sont dangereuses, la météo change fréquemment; de petits morceaux de glace appelés « fragments d'iceberg » et « bourguignons » peuvent percer la coque des navires; et la visibilité est médiocre. De plus, aux termes de la Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques de 1985, quiconque veut se déplacer dans nos eaux doit avoir un navire à double coque, avoir un volume d'assurance élevé et s'engager à ne pas libérer d'effluents dans l'eau. Ainsi, ce n'est pas une panacée; c'est une destination. La véritable voie, c'est la route du Nord, au large de la Russie. Là-bas, les préoccupations environnementales ne sont pas les mêmes.

Le sénateur Downe : Il y a trois ou quatre ans, un navire chinois a emprunté cette voie pour la première fois. Il me semble que c'était la première fois que la Chine envoyait un navire jusqu'en Islande par cette route-là. En a-t-elle averti le Canada? Je présume qu'elle l'a fait, mais sans nous demander la permission. Avons-nous vérifié si elle avait respecté les conditions que vous venez d'énoncer — double coque, pollution et ainsi de suite?

Cam Gardam : Je ne peux commenter cette affaire, car cette mesure prise par la Chine ne m'est pas familière. Je peux toutefois expliquer le fonctionnement global.

La Loi sur la prévention de la pollution des eaux arctiques repose sur l'observation volontaire de certaines conditions. Il est arrivé à deux reprises seulement qu'on ne nous demande pas la permission directement. L'un des cas est celui du Manhattan. Nous avons accordé notre permission une fois qu'il avait traversé l'archipel.

Le sénateur Robichaud : Nous l'avions escorté, n'est-ce pas?

Cam Gardam : En effet. Le cadre fonctionne. Si les propriétaires de navire nous informent au préalable, nous pouvons nous rendre disponibles pour aider l'équipage en cas d'alerte médicale ou si le navire se coince dans la glace.

Le sénateur Downe : Notre position veut qu'on nous demande la permission.

Cam Gardam : Non. Notre position veut qu'on nous informe. Nous ne refusons à personne l'accès au passage du Nord-Ouest. Pourquoi le ferions-nous?

Le sénateur Downe : Et si on ne nous informe pas?

Cam Gardam : Je le répète, c'est arrivé seulement deux fois. Ce n'est donc pas vraiment un problème.

Le sénateur Downe : Quel est le deuxième cas?

Cam Gardam : Je ne m'en souviens pas. Je peux vous revenir plus tard à ce sujet.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Vous avez parlé de l'importance de la sécurité maritime pour le transport des marchandises. Vous avez aussi parlé de piraterie et du fait qu'on avait réussi à exercer un certain contrôle à ce sujet. Est-ce encore une question de grande importance? Et est-ce que ces pays, dont l'Indonésie et les Philippines, ont des moyens suffisants pour contrôler cette piraterie?

Cam Gardam : En bref, oui.

[Traduction]

Les trois pays travaillent ensemble. Les bénéfices qu'ils obtiennent du fait de ne pas perdre leur capacité commerciale et de garder ce canal international ouvert dépassent largement les coûts engagés dans leurs gardes côtières. C'est toute une réussite. Voilà des pays qui ne collaboraient pas auparavant, mais qui le font désormais. Cette coopération porte ses fruits, car la piraterie est quasi nulle dans le détroit, ce qui n'était pas le cas il y a 10 ans.

La présidente : Vous avez parlé de migration et de migration illégale. C'est un problème à cause de certains traitements. Par exemple, nous savons qu'au Myanmar, des groupes ont traversé la frontière et ont un statut officiel ou non officiel de réfugié. Les gens se déplacent pour trouver des emplois ou pour fuir des tensions sociales. C'est un problème qui prend de l'ampleur. Est-ce que nous surveillons la situation et prenons des mesures, dans l'optique où cela pourrait arriver à nos frontières?

Cam Gardam : Nous prêtons attention à ce qui peut survenir à nos frontières. Je ne suis pas en mesure de faire de commentaires sur la situation dans ces pays, mais nos partenaires — Citoyenneté et Immigration, la GRC et le SCRS — s'emploient à aider le Canada à gérer la file d'attente. Je ne veux pas entrer dans les détails. J'ai acquis des connaissances dans mon ancien emploi, mais je ne suis pas un spécialiste du domaine.

Je peux dire que différents ministères canadiens travaillent de concert pour déterminer qui entre au Canada et pourquoi. C'est une question de file d'attente. Il faut envoyer des navires et des avions pour trouver le bateau avant qu'il n'arrive au Canada avec des immigrants.

La présidente : Il y a 20 ans, lorsqu'il était question de sécurité dans l'Asie-Pacifique, on parlait d'instaurer un climat de confiance et d'amener les pays à s'asseoir ensemble pour discuter, ne serait-ce que superficiellement. Vos propos laissent entendre que nous avons franchi un pas, et même plus. Sommes-nous en train de renforcer l'architecture de sécurité dans l'Asie-Pacifique?

Cam Gardam : Oui.

La présidente : Nous n'avons pas d'autres questions. Je vous remercie d'avoir comparu devant notre comité et de nous avoir fourni de l'information sur ce sujet d'intérêt. La notion de « prospérité » va de pair avec celle de « sécurité ». Je crois que nous surveillons ce qui se passe dans les pays de l'Asie-Pacifique avec lesquels nous voulons établir des relations. Nous nouerons probablement le dialogue avec tous ces pays, certains dans une mesure plus grande que les autres. Nous vous savons gré de nous avoir communiqué ces renseignements, qui seront très utiles pour notre étude.

Cam Gardam : Je vous en prie.

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se penche sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes.

Le présent groupe est composé de représentants d'Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada. Nous recevons Susan Gregson, sous-ministre adjointe (Asie); Peter MacArthur, directeur général de la Direction de l'Asie du Sud et du Sud-Est et de l'Océanie; Jeff Nankivell, directeur général pour le développement en Asie; et Leslie Norton, directrice générale, Direction de l'assistance humanitaire internationale. Je vous souhaite la bienvenue.

Je crois que vous avez tous déjà eu l'occasion de témoigner devant notre comité. Nous écouterons votre exposé, puis nous vous poserons des questions. Qui commence? Madame Gregson?

Susan Gregson, sous-ministre adjointe (Asie), Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Oui, c'est exact. Madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie infiniment. Je me réjouis d'être ici avec vous aujourd'hui.

[Français]

Les liens du Canada avec les trois pays du Sud-Est asiatique dont nous discutons aujourd'hui sont déjà solides et se renforcent rapidement. Tous trois sont d'importants partenaires non traditionnels du Canada dans une région diversifiée en pleine évolution dont l'importance pour le Canada ne cesse de croître dans les trois volets constitutifs de notre ministère, c'est-à-dire la politique étrangère, le commerce et le développement.

Je donnerai un aperçu des relations du Canada avec chacun des trois pays séparément, après quoi je serai heureuse de répondre à vos questions.

Permettez-moi de commencer par l'Indonésie, la troisième démocratie en importance dans le monde. L'Indonésie est un archipel dynamique et diversifié, composé de 17 000 îles où sont parlées plus de 300 langues. Nos relations bilatérales couvrent l'éventail des priorités du Canada : les droits de la personne et la gouvernance, la paix et la sécurité, la coopération au développement ainsi que le commerce et l'investissement.

[Traduction]

L'Indonésie est le « centre de gravité » de l'Asie du Sud-Est et elle est l'hôte du secrétariat de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est, ou ANASE. Comptant la plus importante population musulmane du monde, l'Indonésie est un partenaire du Canada dans l'effort mondial de lutte contre le terrorisme international.

Sur la question de la paix et de la sécurité, l'Indonésie a été l'un des principaux bénéficiaires du Programme d'instruction et de coopération militaires du MDN et elle a également participé au Programme d'aide au renforcement des capacités antiterroristes et au Programme de renforcement des capacités de lutte contre la criminalité du MAECD.

Forte de la plus grande économie de la région et d'une importante population en âge de travailler, l'Indonésie représente un important débouché économique pour le Canada et elle a été désignée comme un marché prioritaire dans le Plan d'action sur le commerce mondial du MAECD. C'est l'une des rares économies majeures dans le monde avec lesquelles nous avons un excédent commercial. L'investissement canadien direct en Indonésie en 2011 était plus important que notre investissement en Chine.

Cependant, une infrastructure inadéquate, des problèmes de responsabilisation et un manque de transparence constituent des obstacles importants. Une partie importante de la population vit sous le seuil de la pauvreté. Par conséquent, si l'Indonésie présente un grand potentiel de croissance, elle a un grand nombre de difficultés à surmonter sur le plan de la gouvernance et du développement pour être en mesure de réaliser ce potentiel.

Le Canada collabore depuis 50 ans avec l'Indonésie pour l'aider à surmonter ces difficultés, et l'Indonésie est l'un des cinq pays ciblés par l'aide canadienne au développement en Asie. Les programmes d'aide sont axés sur la croissance économique durable, les réformes de la gouvernance, les compétences pour l'emploi et la promotion des valeurs démocratiques. Le Canada a été le premier pays à lancer un dialogue bilatéral sur les droits de la personne avec l'Indonésie en 1997. L'Indonésie est en outre un pays d'intervention proposé pour le Bureau de la liberté de religion, et nous avons lancé notre premier projet dans le cadre de ce programme en août 2013.

Les Philippines sont un autre partenaire qui prend de plus en plus d'importance pour le Canada, comme en témoignent la visite du premier ministre Harper en novembre 2012 et la signature d'un protocole d'entente sur l'approvisionnement entre la Corporation commerciale canadienne et le ministère de la Défense philippin. Le 28 mars 2014, le ministère de la Défense nationale et les forces armées des Philippines ont acheté — dans le cadre de ce protocole d'entente — huit hélicoptères de manœuvre de combat Bell 412EP pour une valeur de près de 120 millions de dollars. Le Canada compte quelque 800 000 Canadiens d'origine philippine, et les Philippines sont l'un des principaux pays sources d'immigrants et de travailleurs temporaires au Canada. Ces liens entre les personnes donnent au Canada une grande visibilité aux Philippines et rehaussent grandement les relations bilatérales globales.

[Français]

Tout comme en Indonésie, notre travail aux Philippines est parfaitement en harmonie avec les priorités du Canada dans les domaines comme la réduction de la pauvreté, la promotion du développement démocratique, la gouvernance, la primauté du droit, la paix et la sécurité ainsi que les droits de la personne. Le Canada appuie également les priorités énoncées par le président Aquino, qui sont de favoriser le développement socio-économique, de combattre la corruption et de négocier un règlement pacifique avec le Front Moro islamique de libération pour mettre fin à l'insurrection qui perdure depuis des décennies dans le Sud des Philippines. Le Canada appuie le processus de paix, notamment en assumant la présidence de la Commission indépendante sur les services de police à Mindanao, tâche à laquelle il a affecté le commissaire adjoint de la Gendarmerie royale du Canada, M. Randall Beck.

[Traduction]

Les Philippines, dont la population est estimée à 97,4 millions de personnes, forment, après l'Indonésie, le deuxième archipel en Asie du Sud-Est, en superficie. En raison de leur géographie, les Philippines sont l'un des pays les plus exposés aux catastrophes naturelles dans le monde. Vous vous rappelez tous Haiyan, ou Yolanda, le typhon de catégorie 5 qui a frappé les Philippines en novembre dernier. Haiyan est probablement la plus puissante tempête à avoir jamais touché terre. Il a fait plus de 6 200 morts, et forcé le déplacement de quatre millions d'habitants. En réaction, le Canada a fourni 20 millions de dollars à des partenaires humanitaires pour répondre aux besoins urgents dans les deux premières semaines — nourriture, eau et services d'assainissement, abris d'urgence, soins médicaux et articles ménagers de base. De plus, l'Équipe d'intervention en cas de catastrophe des Forces armées canadiennes a été déployée pour soutenir les efforts humanitaires.

[Français]

En dépit de ces difficultés, les Philippines ont été en mesure de réaliser des progrès sur le plan économique. Un niveau élevé de consommation intérieure, un secteur des services résilient et d'importants envois d'argent de la part des 9 millions de Philippins qui travaillent à l'étranger, y compris près d'un million de dollars en provenance du Canada en 2013, sont autant de facteurs qui ont contribué à soutenir l'économie.

[Traduction]

Le commerce bilatéral de marchandises se maintient à des niveaux modestes, mais le potentiel de croissance est important pour les entreprises canadiennes aux Philippines, particulièrement dans les secteurs de l'agroalimentaire, de l'infrastructure, des technologies de l'information et des communications et de l'éducation. Les exportations canadiennes pourraient progresser davantage s'il y avait une plus grande transparence et moins de protectionnisme, à la faveur des efforts actuels du gouvernement des Philippines.

Le Canada, dans le cadre de son programme de coopération au développement, travaille avec les Philippines pour assurer au pays une croissance économique durable en renforçant le climat d'investissement et multipliant les possibilités d'emplois pour les pauvres, deux priorités pour le gouvernement philippin.

[Français]

Nous en arrivons finalement à la dynamique Cité-État de Singapour. Singapour est le cœur économique de l'Asie du Sud-Est et elle joue dans la cour des grands à l'échelle internationale. Nos relations bilatérales se caractérisent par la coopération dans les domaines du commerce et de l'investissement, des sciences, de la technologie et de l'innovation, ainsi que de la sécurité et de la défense. Ces relations sont renforcées par les quelque 6 000 Canadiens qui vivent à Singapour, les 83 000 Canadiens qui visitent le pays chaque année et les 16 000 Singapouriens diplômés d'universités canadiennes. Plus de 20 universités canadiennes ont des échanges ou entretiennent d'autres liens avec des universités de Singapour.

[Traduction]

En 2013, Singapour était la deuxième destination en importance en Asie du Sud-Est, après l'Indonésie, pour ce qui est des investissements canadiens directs à l'étranger, et Singapour constituait la plus grande source d'investissements étrangers directs au Canada en provenance de l'Asie du Sud-Est. Plus de 100 entreprises canadiennes ont établi une présence régionale à Singapour. Étant l'un des terminaux portuaires à conteneurs les plus achalandés du monde, Singapour s'est positionnée comme porte d'entrée du commerce en Asie. Tout comme l'Indonésie, Singapour a été désignée comme un marché prioritaire dans le Plan d'action sur le commerce mondial du MAECD, et nous nourrissons de grands espoirs pour l'avenir de nos relations commerciales.

Singapour est aussi un important partenaire du Canada en matière de sécurité et de défense. Nous avons coopéré dans des domaines comme la formation de pilotes, la sécurité maritime, la non-prolifération des armes de destruction massive et la lutte contre le terrorisme. En outre, nous coopérons étroitement au sein d'organisations internationales, dont l'ONU, l'OMC, l'ANASE, l'APEC et tout récemment le Conseil de l'Arctique — qui offre de nombreuses possibilités de collaboration. Enfin, nous nous apprêtons à célébrer le 50e anniversaire de nos relations diplomatiques avec Singapour en 2015.

[Français]

En conclusion, c'est dans ce contexte que nous envisageons les événements à venir dans ces pays importants et dynamiques. Près de 190 millions d'Indonésiens voteront aux élections législatives et présidentielles qui s'amorcent la semaine prochaine. Les Philippines accueilleront le sommet de l'APEC en 2015. Et Singapour célébrera le 50e anniversaire de son indépendance l'année suivante.

[Traduction]

Tous trois sont des intervenants importants au sein de l'ANASE et de ses organismes connexes. L'Indonésie est le pays coordonnateur du Canada pour les questions économiques auprès de l'ANASE et Singapour, le pays coordonnateur global du Canada au sein de l'organisation pour 2012-2015. Pour la période de 2015 à 2018, Singapour passera le flambeau aux Philippines.

Les relations du Canada avec ces trois pays ne feront que gagner en importance à mesure que croîtront la force économique et le poids politique de l'Asie du Sud-Est, que s'approfondiront les relations entre les populations, que l'ANASE poursuivra son intégration et élargira ses liens avec ses partenaires de dialogue comme le Canada, et que les entreprises canadiennes renforceront leur présence dans la région.

La présidente : Merci.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : J'ai deux brèves questions. Les Indonésiens iront aux urnes le 9 avril pour élire un Parlement et en juillet prochain pour élire leur prochain président. Dans un premier temps, êtes-vous en mesure de nous dire si nos diplomates à Jakarta ont eu des entretiens avec les principaux candidats à la présidence et les principaux chefs de partis politiques?

Mme Gregson : Je peux dire seulement, pour l'instant, que notre chef de mission a bien eu des contacts avec M. Jokowi Dodo. J'ai aussi participé à la réunion à l'automne 2013. Je suis sûre que notre ambassade rencontrera tous les autres candidats et que nous recevrons des rapports de leur part concernant ces candidatures et les positions de leur parti.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Deuxième question : est-ce que le Canada envoie des observateurs à ces élections?

Mme Gregson : Non, ce n'est pas prévu pour l'instant.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur D. Smith : J'ai été plutôt étonné d'entendre la déclaration qui figure à la première page, au troisième paragraphe, sous la rubrique « Indonésie » :

L'investissement canadien direct en Indonésie est plus important que notre investissement en Chine.

Cela ne signifie pas pour autant que nos investissements directs là-bas sont très importants, mais je ne peux pas concevoir qu'ils sont aussi peu élevés en Chine. Peut-être que vous pourriez nous donner une définition de ces mots. Puisque vous parlez d'investissements directs, pourriez-vous nous donner une définition de ce que sont les investissements indirects? Parle-t-on ici du fait de se porter acquéreur de 30 p. 100 d'une entreprise donnée, par exemple?

J'ai peine à croire que notre présence en Chine — selon la façon dont vous la définissez — n'est pas plus importante que notre présence en Indonésie. Comment définissez-vous ces termes? Est-ce que notre présence est moins importante en Chine parce que les lois ne nous permettent tout simplement pas de prendre le contrôle de petites entreprises?

Mme Gregson : Je vais commencer par dire que j'ai été moi aussi très étonnée lorsque j'ai vu ce chiffre. Vous savez que nous avons négocié un accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers avec la Chine. Il n'a pas encore été ratifié, mais il a été conclu.

Je vais maintenant céder la parole à mon collègue, Peter MacArthur, qui pourra vous fournir plus de renseignements sur l'Indonésie.

Le sénateur D. Smith : J'aimerais savoir si vous avez les chiffres exacts.

Peter MacArthur, directeur général, Direction de l'Asie du Sud et du Sud-Est et de l'Océanie, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : C'est une bonne question. La masse économique de cette économie du G20, l'Indonésie, et ses ressources naturelles, qui sont très importantes, ont incité bon nombre d'entreprises canadiennes des secteurs minier, pétrolier et gazier à investir directement dans leurs propres exploitations, leur propre présence sur le terrain, dans leurs filiales.

Des entreprises comme celles que je vais nommer représentent une proportion importante des investissements étrangers directs provenant du Canada. Je pense par exemple à Talisman Energy dans le secteur du pétrole et du gaz, à Husky Energy dans le secteur du gaz naturel et à Ballard dans le secteur des piles à combustible. SNC-Lavalin joue un rôle dans le secteur des services, mais a des employés sur le terrain. Il y a aussi CAE dans le secteur des simulateurs de vol et de l'aérospatiale, et Sherritt dans le secteur minier.

Dans le secteur des services, qui représente aussi un investissement sur le terrain, la Manulife et la Sun Life sont aussi présentes. La classe moyenne de l'Indonésie suscite un grand intérêt. Au fur et à mesure que le pays s'industrialise et qu'une classe moyenne se crée, l'industrie des services est de plus en plus présente.

La protection des droits de propriété intellectuelle en Chine est peut-être un aspect qui préoccupe certains gens d'affaires canadiens.

Le sénateur D. Smith : Il est difficile d'intervenir. On entend toutes les discussions entourant la Russie et l'Ukraine et les investissements canadiens. En Russie, les ressources minérales sont très importantes, mais la seule entreprise dont nous entendons parler, c'est la mine Kinross Gold, alors qu'en ce qui concerne l'Indonésie, je crois que vous avez mentionné sept ou huit entreprises. C'est donc sur cela que ces chiffres reposent?

M. MacArthur : Ces chiffres reposent sur les ressources naturelles et davantage sur l'intérêt manifesté par notre industrie, et probablement plus sur l'ouverture que l'Indonésie manifeste à l'égard de nos entreprises. Pour répondre à votre question, la valeur totale des investissements étrangers directs du Canada en Indonésie en 2012 était de 3,2 milliards de dollars.

Le sénateur D. Smith : Savez-vous quel était le total pour la Chine?

M. MacArthur : Je n'ai pas ces chiffres en main, mais je pourrai sans aucun doute vous les communiquer.

Je tiens à signaler que du point de vue statistique, il est parfois difficile de mesurer les investissements étrangers directs. Dans le cas de l'Inde, par exemple, nous savons qu'ils sont plus élevés, mais certaines entreprises canadiennes, comme bon nombre d'entreprises étrangères, font passer leurs investissements par des pays tiers, comme l'île Maurice ou Dubaï. C'est pour cette raison que du point de vue statistique, il est difficile d'avoir une vue d'ensemble des investissements étrangers directs. Cela dit, nous sommes convaincus que dans le cas de l'Indonésie, il est beaucoup plus facile d'effectuer un suivi de ces investissements, étant donné qu'ils sont effectués dans les secteurs minier, gazier et pétrolier. C'est écrit noir sur blanc.

[Français]

Le sénateur Demers : Bonjour à tous nos témoins. Madame Gregson, j'aimerais souligner que votre français est impeccable et je vous en félicite.

[Traduction]

Récemment, il y a eu beaucoup d'émeutes dans certains pays de l'Asie-Pacifique, qui étaient attribuables aux aliments de base, comme le riz. Quelle est la cause de ces émeutes? Elles semblent se multiplier.

La croissance de la population dans les pays de l'Asie du Sud-Est rend ceux-ci particulièrement vulnérables à des émeutes de ce type. Pourquoi? Comment envisage-t-on la sécurité alimentaire à l'avenir en Asie?

Mme Gregson : C'est une excellente question. Je vais demander à mon collègue, Jeff Nankivell, d'y répondre.

Jeff Nankivell, directeur général pour le développement en Asie, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Du point de vue du développement, au cours des dernières années, les médias ont fait état d'émeutes, et bien entendu, dans chaque cas, les causes sont propres au pays touché. Il y a eu des émeutes et des manifestations en Thaïlande et le centre-ville a été paralysé en raison des contestations de nature politique. Ces manifestations ne sont donc pas vraiment liées au prix de la nourriture ou à d'autres enjeux de même nature.

Au cours des dernières années, en Indonésie, il y a eu des manifestations portant sur les changements apportés au prix du pétrole et du gaz ou au prix de l'essence, car il existe toujours un programme de subventions, que le gouvernement essaie d'éliminer. Tout cela a d'importantes répercussions sur la population.

En ce qui concerne la production alimentaire, certains pays ont marqué d'énormes progrès pour ce qui est de leur capacité de nourrir leur propre population. Bon nombre de pays de cette région sont maintenant de grands exportateurs presque tous les ans, mais il s'agit tout de même d'une région très sensible aux aléas climatiques, et il en a toujours été ainsi. La production peut être durement touchée par les violentes tempêtes. Par exemple, aux Philippines, nous avons pu constater que le typhon de novembre a eu de graves répercussions sur l'agriculture. Ces phénomènes jouent un rôle très important dans les pertes économiques.

Dans une optique à long terme, les tendances sont bonnes. Les entreprises canadiennes jouent un rôle dans l'amélioration de la productivité grâce à la technologie et à l'exportation d'engrais dans certains de ces pays.

Par ailleurs, grâce aux programmes d'aide au développement que nous avons offerts au cours des dernières années dans la région, nous avons pu appuyer le travail dans le secteur agricole aux Philippines, mais du point de vue de l'agroalimentaire, de l'agriculture à petite échelle jusqu'à la chaîne de production, en travaillant au développement du secteur privé pour améliorer la logistique et la distribution et offrir des débouchés aux agriculteurs. La principale difficulté n'était pas la sécurité alimentaire en tant que telle, mais plutôt le fait qu'on a dû déployer des efforts pour tenter d'établir cette chaîne de valeur en travaillant avec des partenaires, comme l'International Finance Corporation de la Banque mondiale. Nous menons également des projets similaires en Indonésie et au Vietnam.

Nous ne nous attardons pas au Vietnam aujourd'hui, mais c'est l'un des endroits où, dans le cadre de nos programmes d'aide au développement à long terme, nous avons travaillé dans les domaines de la production alimentaire ainsi que de la qualité et de la salubrité des aliments au cours des dernières années. Ce sont des aspects clés de nos programmes.

Pour ce qui est de la sécurité alimentaire, peut-être que Mme Norton aura quelque chose à ajouter. Mentionnons tout simplement que lorsqu'une catastrophe survient, l'un de nos modes d'intervention habituels — nous investissons des millions de dollars chaque année dans la région pour les interventions en cas de catastrophes en tous genres — consiste surtout à faire affaire avec des organismes comme le Programme alimentaire mondial pour offrir de la nourriture, ou encore de la nourriture pour ceux qui participent aux activités de reconstruction.

[Français]

Le sénateur Dawson : J'aimerais revenir sur la question de la sénatrice Duplessis concernant l'envoi d'observateurs aux prochaines élections en Indonésie.

Au-delà du fait que l'on n'envoie pas d'observateurs tels que Démocratie en surveillance en Indonésie, quelle est la crédibilité et la fiabilité de leur processus électoral selon le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international?

Mme Gregson : Je ne crois pas qu'on ait de préoccupations majeures concernant les élections en Indonésie.

M. MacArthur : Selon nous, la démocratie en Indonésie a fait beaucoup de progrès depuis les 15 dernières années.

Nous sommes d'avis que cela est très bien fait et que la société civile est vibrante et active en comparaison aux années précédentes, y compris les médias qui sont libres.

Le sénateur Dawson : C'est une bonne nouvelle. Maintenant, au sujet des Philippines.

[Traduction]

Vous avez parlé d'envois d'argent totalisant 1 million de dollars. Comment pouvons-nous mesurer ces envois dans le contexte actuel, qui est axé sur les transferts électroniques? Par le passé, étant donné que les transferts passaient par les grands organismes, qui conservaient 15 p. 100 de chaque dollar envoyé, il était plus facile de faire un suivi. Vous avez parlé de 1 million de dollars. D'où tirez-vous ce chiffre?

Mme Gregson : Il provient des données des comptes dont nous disposons en ce moment. Le gouvernement des Philippines dispose d'un système très bien structuré qui permet d'effectuer le suivi de ces envois d'argent provenant de l'étranger. Ceux-ci représentent une bonne partie de l'économie de ce pays, et le gouvernement est très au courant des sommes qui entrent au pays.

Le sénateur Dawson : Donc, le pays qui reçoit l'argent effectue un suivi?

Mme Gregson : C'est exact.

Le sénateur Dawson : Peut-être que nous pourrions faire un suivi pour déterminer combien d'argent nous pouvons obtenir des riches Canadiens qui se trouvent à Singapour. Peut-être qu'ils pourraient nous envoyer de l'argent.

La sénatrice Johnson : Contrairement à Singapour, à la Birmanie et à l'Indonésie, trois des pays sur lesquels le comité axe son étude, les Philippines ne font pas partie du Plan d'action sur les marchés mondiaux de 2013 du gouvernement. Je me demande donc ce qu'il en est des autres marchés qui, comme vous l'avez mentionné, sont très prometteurs. Qu'en est-il des Philippines? On a dit qu'il ne s'agit pas d'un pays très prometteur pour les entreprises canadiennes. Je me demande pourquoi il n'a pas du tout été désigné comme un marché prioritaire pour les entreprises canadiennes dans le plan d'action, étant donné le type de relation que nous établissons avec les gens de ce pays.

Mme Gregson : Comme pour tout plan d'action, il est nécessaire d'établir des priorités, et c'est ce que nous avons fait : nous avons déterminé quels étaient les pays les plus prometteurs. Nous avons constaté des problèmes liés à la reddition de comptes et à la transparence aux Philippines, ce qui a suscité notre inquiétude.

Peut-être que M. MacArthur voudra ajouter quelque chose à ce sujet.

M. MacArthur : C'est une très bonne question. Merci, madame la sénatrice.

Pour ce qui est de la désignation des marchés prioritaires, la décision a été prise en fonction de la participation au Partenariat transpacifique. Brunei et Singapour y adhèrent. Pour le moment, les Philippines n'en font pas encore partie. C'était l'un des critères utilisés.

Cela dit, nous pouvons compter sur une solide équipe de délégués commerciaux à Manille, et nous interagissons aussi avec la Banque asiatique de développement à Manille.

Prenons par exemple Bombardier ou la vente d'hélicoptères Bell dont Mme Gregson a parlé. Ces projets ont grandement bénéficié de l'appui de la Corporation commerciale canadienne, du gouvernement du Canada et de l'ambassade du Canada à Manille. Donc, nous sommes bien présents aux Philippines. Comme vous l'avez entendu, nous avons dû prendre certaines décisions afin d'accorder la priorité au travail proactif, mais le travail réactif existe encore et nous avons établi de bonnes bases pour appuyer les entreprises canadiennes au pays.

La sénatrice Johnson : Je viens du Manitoba, une province qui compte la plus importante proportion d'habitants originaires des Philippines par comparaison au reste de sa population. Il en est ainsi depuis de nombreuses années. Nous savons que ce nombre ne cesse d'augmenter. Nous savons aussi que ces gens envoient beaucoup d'argent chez eux, et je ne parle pas seulement de ceux qui habitent au Manitoba, bien sûr, mais aussi de ceux qui habitent ailleurs au Canada. Ce sont des citoyens extraordinaires. Ce sont des personnes exceptionnelles pour le Manitoba, et le travail qu'ils accomplissent est également formidable.

Il est intéressant de constater qu'un très grand nombre d'entre eux souhaitent encore quitter leur pays. Est-ce un phénomène qui prend de plus en plus d'ampleur? Ils veulent vraiment venir ici.

Mme Gregson : Je crois que les gens de l'immigration seraient mieux placés pour répondre à cette question.

La sénatrice Johnson : C'est vrai.

Mme Gregson : Compte tenu de ma propre expérience dans ce domaine, je peux vous dire que depuis longtemps, il y a beaucoup d'immigrants qui proviennent des Philippines, mais qu'en raison des différents programmes que nous offrons ici, au Canada, et plus particulièrement au Manitoba, dans l'industrie du vêtement, ils sont d'abord venus ici pour travailler dans cette industrie. Beaucoup de travailleurs étrangers viennent au pays pour travailler comme aides familiaux résidants. Beaucoup d'autres sont venus au Canada pour occuper des postes dans le domaine des soins infirmiers.

Cela fait vraiment partie de la situation économique des Philippines, et c'est ce qui pousse les gens à chercher du travail à l'étranger.

La sénatrice Johnson : Cela dit, dans un article publié dans Foreign Affairs, Karen Brooks mentionne que les Philippines représentent une grande surprise et figurent parmi les économies les plus prometteuses et dont la croissance est la plus rapide.

Vous avez dit que vous devez établir des priorités. Je comprends cela, mais c'est aussi très contradictoire compte tenu du potentiel qu'offrent certains pays. Cela dit, bien sûr, il y a tant de gens que nous ne pouvons pas prédire ce qui se produira. C'est une région incroyable et très importante, qui présente beaucoup d'intérêt pour le Canada et les entreprises, mais on trouve au Canada énormément de gens originaires de cette région. C'est incroyable.

M. MacArthur : Madame la sénatrice, je vous répondrai qu'il est très clair que les Philippines jouent un rôle clé puisqu'elles nous permettent de combler de nombreux besoins en main-d'œuvre spécialisée, plus particulièrement dans l'Ouest du Canada. C'est entre autres parce que bon nombre de ces travailleurs des Philippines ont travaillé dans l'industrie pétrolière et gazière dans le golfe Persique, et donc, ils possèdent les compétences nécessaires. Ils retournent aux Philippines et ils peuvent ensuite mettre ces compétences à profit dans l'Ouest du Canada.

Par exemple, une province m'a dit que les soudeuses des Philippines excellent dans ce domaine. Nous pouvons donc puiser dans cette importance source de main-d'œuvre de la région de l'Asie-Pacifique pour combler les besoins en la matière.

Vous avez bien raison. Les Philippines jouent un rôle de plus en plus important dans l'avenir économique du Canada.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Vous avez dit que plus de 9 millions de Philippins faisaient des transferts vers leur pays. On nous a dit qu'en plus il y avait une contribution directe du Canada d'un million. On nous a dit, hier, si mes chiffres sont bons, qu'on transférait 2,1 milliards de dollars à l'économie des Philippines. Est-ce que ce chiffre, selon vous, serait exact?

Mme Gregson : Je crois que oui.

Le sénateur Robichaud : Merci. On nous a dit aussi que la production de nourriture était déficiente. Vous nous avez parlé d'efforts qui sont faits actuellement pour aider les gens à produire plus de nourriture aussi avec l'infrastructure, mais il y a toujours des gens, des familles qui ne mangent pas à leur faim. Lorsque les gens sont dans cette situation, souvent cela porte au désordre.

Est-ce qu'on réussit à contenir cette situation et fait-on suffisamment d'efforts pour s'assurer que ces familles ont quelque chose à manger?

M. Nankivell : Merci pour la question. C'est toujours un défi. Nos efforts en tant que bailleur de fonds se situent sur le plan systématique et sur celui du cadre économique pour générer des emplois afin que les gens puissent avoir de bons emplois, mais c'est un projet à long terme. En fin de compte, cela dépendra de l'état de l'économie en général, et là on a fait beaucoup de progrès au Philippines. Mais le taux de pauvreté reste encore trop élevé. Le pourcentage de gens qui vivent avec moins de 1,25 $ par jour aux Philippines, selon les dernières statistiques, est d'environ 18,4 p. 100.

Dans le cas des gens qui vivent avec moins de 2 $ par jour, c'est 41 p. 100. Cela veut dire qu'il existe une susceptibilité à la pauvreté. C'est aussi un problème qui est exacerbé par des catastrophes naturelles, comme le typhon Haiyan (Yolanda).

C'est un effort à long terme pour encourager la croissance économique et le développement durable au plan social. On travaille toujours à ce chapitre, mais c'est un défi à long terme.

Leslie Norton, directrice générale, Direction de l'assistance humanitaire internationale, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : J'aimerais ajouter quelque chose. Lorsqu'il y a des secteurs ayant des besoins humanitaires comme sur l'île de Mindanao, on travaille de près avec nos partenaires humanitaires internationaux pour répondre à ces besoins. Cela complète ce que vient de dire M. Nankivell.

Le sénateur Robichaud : Ce sont des interventions de pointe, n'est-ce pas, en cas de désastres naturels?

Mme Norton : Et aussi de conflits.

Le sénateur Robichaud : Bien sûr.

Vous avez dit que 18 p. 100 de la population vit à l'aide de 1,25 $ par jour et que ceux qui vivent avec 2 $ et moins sont de 40 p. 100?

M. Nankivell : 41 p. 100. Y compris les gens en dessous.

Le sénateur Robichaud : C'est énorme. On peut dire que les riches deviennent plus riches et que les pauvres perdent du terrain?

M. Nankivell : La situation des pauvres s'améliore constamment toutefois, aux Philippines et en Indonésie, quoiqu'il y ait eu un ralentissement lors des dernières années. Ce n'est pas vrai que les pauvres deviennent encore plus pauvres non plus. Ces statistiques se sont améliorées dans les dernières années.

[Traduction]

La malnutrition, ou la sous-alimentation, est un indicateur distinct. Il est vrai qu'il est tout à fait différent de vivre avec 2 $ par jour dans un pays comme les Philippines ou l'Indonésie et dans une ville comme Montréal, Ottawa ou Fredericton. Il ne fait aucun doute qu'il y a beaucoup de gens pauvres dans ces pays.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Madame Gregson, j'aimerais savoir dans quelle mesure et de quelle manière les différents ministères et organismes fédéraux coordonnent-ils leurs priorités et leurs activités en ce qui concerne la région de l'Asie-Pacifique?

Mme Gregson : La coordination dans la région se fait en grande partie dans nos ambassades et dans nos zones communautaires. Il y a plusieurs ministères sur le terrain, il est plus facile de coordonner les efforts ainsi. Ici, à Ottawa, notre ministère est en contact constant avec nos collègues d'autres ministères, surtout en ce qui concerne les visites officielles ou nos stratégies régionales. On parle souvent avec nos collègues d'autres ministères. On a la présence d'autres ministères dans notre champ de vision. Il y a beaucoup de collègues du ministère de l'Immigration dans nos ambassades. Il y a aussi les ministères de l'Agriculture, des Ressources naturelles et de l'Industrie.

M. MacArthur : Trois fois par année, je convoque une réunion avec mes homologues de tous les ministères en ce qui concerne le dossier de l'Asie du Sud-Est afin de mieux coordonner nos plans, nos visites et nos relations et de mieux partager nos informations sur cette question.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Donc, vous pouvez dire que c'est bien coordonné et que vous êtes au courant de tout ce qui se passe et de la façon dont cela se passe?

Mme Gregson : Oui.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie d'être venus témoigner au comité et d'avoir mis l'accent sur les pays sur lesquels nous commençons à nous concentrer. Cela nous est utile. Il se peut que nous vous demandions de revenir, mais nous n'en sommes pas encore certains. Vos observations nous seront utiles dans le cadre de notre étude puisqu'elles nous ont permis d'obtenir le point de vue du gouvernement. Nous vous remercions d'avoir témoigné devant le comité aujourd'hui.

Mme Gregson : Madame la sénatrice, me donnez-vous la permission d'ajouter quelque chose?

La présidente : Je vous en prie, allez-y.

Mme Gregson : Récemment, nous avons commandé une étude sur les débouchés commerciaux que l'ANASE offre aux entreprises canadiennes, et nous aimerions la déposer. Nous avons des exemplaires dans les deux langues officielles, que nous remettrons au greffier.

La présidente : Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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