Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
OTTAWA, le jeudi 3 février 2011
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 31 pour étudier les faits nouveaux en matière de politique et d'économie au Brésil et les répercussions sur les politiques et intérêts du Canada dans la région, et d'autres sujets connexes.
Le sénateur Percy E. Downe (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Je vous souhaite la bienvenue. Aujourd'hui, le comité entendra deux témoins : Ron Bonnett, président de la Fédération canadienne de l'agriculture, et John F. Pineau, directeur général de l'Institut forestier du Canada, qui représentera également l'Association forestière canadienne. Bienvenue au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, et merci de prendre le temps de participer à notre étude du Brésil. Je crois savoir que M. Bonnett souhaite faire une déclaration liminaire.
Ron Bonnett, président, Fédération canadienne de l'agriculture : Merci de m'offrir cette occasion de présenter un exposé au comité. Je suis président de la Fédération canadienne de l'agriculture, la FCA. Je suis également agriculteur. La FCA est la plus grande organisation agricole nationale au Canada et elle représente plus de 200 000 agriculteurs canadiens. Elle regroupe des organisations agricoles provinciales et des organisations de produit interprovinciales et nationales, unies pour faire entendre une voix qui fait autorité au nom des milieux agricoles du Canada.
Je vais d'abord parler de la position générale de la FCA en matière commerciale. L'interdépendance croissante des économies nationales et un marché mondial de plus en plus vaste et compétitif ont renforcé l'importance des débouchés sur le marché des exportations et celle de règles commerciales justes et efficaces. L'objectif de la FCA, à l'égard des accords commerciaux, est d'obtenir des résultats favorables pour les agriculteurs canadiens et des marchés internationaux et intérieurs qui fonctionnent mieux, et de contribuer à améliorer les revenus agricoles au Canada. Les buts principaux de la FCA, quel que soit l'accord commercial, sont le meilleur accès possible pour les exportations de produits agricoles et le respect des intérêts des agriculteurs canadiens au Canada, ce qui comprend les régimes de commercialisation ordonnée et de gestion de l'offre.
La gamme des processus, initiatives et options qui figurent au programme de l'actuelle politique commerciale du Canada est très étendue, et la portée de ce programme est considérable, ce qui offre des occasions à saisir, mais présente aussi des risques. Par conséquent, la politique commerciale du gouvernement du Canada doit identifier l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, comme moyen principal d'établir des règles commerciales justes et efficaces et de meilleures possibilités d'exportation. En l'absence d'accord à l'OMC, la FCA se félicite de l'initiative gouvernementale qui vise à ouvrir des marchés étrangers au moyen d'accords bilatéraux de libre-échange. Dans les négociations, toutefois, les concessions pour obtenir l'accès au marché se limitent habituellement à la réduction ou à l'élimination des droits tarifaires. Le gouvernement doit reconnaître que d'autres facteurs, comme les subventions sur le marché intérieur et les barrières non tarifaires peuvent freiner de façon importante les gains possibles sur le plan de l'accès au marché. Il est donc important que le gouvernement aborde les négociations de façon coordonnée et les fasse porter sur tout ce qui limite l'accès au marché et pas seulement sur les droits tarifaires.
Le Canada est l'un des 10 plus grands exportateurs de produits agricoles au monde. L'an dernier seulement, ses expéditions ont atteint les 40 milliards de dollars. En fait, les produits agricoles sont au deuxième rang des exportations les plus importantes du Canada, derrière le pétrole et le gaz. Et les grains et oléagineux ainsi que les viandes rouges représentent le gros des exportations agricoles canadiennes.
Le Brésil est au cinquième rang des pays les plus peuplés du monde, son économie est au huitième rang, et il deviendra rapidement l'un des plus grands exportateurs de produits agricoles au monde. Il est déjà le plus grand exportateur de bœuf, de volaille, de jus d'orange et de canne à sucre. Il fournit également le quart de la production mondiale de soya. Le Brésil est au deuxième rang des producteurs d'éthanol, et il en produit 25 fois plus que le Canada. Il est un marché plutôt modeste pour nos exportations de produits agricoles. En 2008, il se situait au 36e rang, et ses achats s'élevaient à environ 215 millions de dollars. Les grains et les oléagineux ont la part du lion dans les exportations canadiennes vers le Brésil.
Par contre, le Brésil a exporté vers le Canada des produits agricoles d'une valeur de 705 millions de dollars, ce qui en fait, par ordre d'importance, le huitième fournisseur de produits agricoles du Canada. Sans surprise, les importations brésiliennes se composaient surtout de sucre brut, de jus d'orange et de café.
La production agricole brésilienne a progressé de façon fulgurante. De 1996 à 2006, la valeur totale de ses cultures est passée de 23 à 108 milliards de dollars. En dix ans, le Brésil a multiplié par dix ses exportations de bœuf, supplantant l'Australie comme exportateur le plus important au monde. Depuis 1990, la production brésilienne de soya est passée d'à peine 15 millions de tonnes à plus de 60 millions de tonnes. Le Brésil assure le tiers des exportations de soya dans le monde, ce qui le place au deuxième rang, derrière les États-Unis.
De plus, le Brésil est le pays qui a le plus de terres agricoles de réserve au monde. L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, la FAO, situe son potentiel de terres arables à plus de 400 millions d'hectares, dont seulement 50 millions sont exploités pour l'instant. Le Brésil a beaucoup plus de terres agricoles disponibles que les deux pays qui le suivent, la Russie et les États-Unis, n'en ont à eux deux. Le gouvernement brésilien veut que l'industrie agricole croisse de 25 p. 100 au cours des dix prochaines années et, pendant la même période, double ses exportations de viande et de volaille.
Tous ces facteurs font du Brésil, dès maintenant et pour l'avenir, un concurrent redoutable pour le Canada sur le marché mondial pour de nombreux produits agricoles.
Du point de vue de l'exportateur canadien de produits agricoles, ce sont le blé et l'orge qui offrent les meilleures possibilités de pénétration du marché brésilien. Bien sûr, le climat tropical et subtropical du Brésil est idéal pour la culture de beaucoup de produits agricoles, mais il se prête mal à la production de blé. Le Brésil est même au troisième rang des plus grands importateurs de ce produit. Il en a acheté 5,6 millions de tonnes en 2010. Ses importations proviennent surtout des pays voisins, comme l'Argentine et le Paraguay. Jusqu'à maintenant, le Canada n'a été pour le Brésil qu'un fournisseur d'appoint en ce qui concerne le blé. Lorsque l'économie brésilienne sera pleinement développée et que sa population sera plus à l'aise, il est probable que les consommateurs se tourneront vers des aliments plus sains et plus fonctionnels. Il y aura peut-être de nouveaux débouchés pour les producteurs canadiens d'aliments naturels et biologiques ou sur les marchés à créneaux.
Comme je l'ai déjà dit, la majorité des importations brésiliennes sont des produits qu'on ne peut cultiver au Canada, comme la canne à sucre et le café. Toutefois, le Brésil est le seul ou l'un des seuls pays qui ont réussi, ces dernières années, à percer les contrôles canadiens sur les importations de produits de la volaille. Cette situation préoccupe la FCA, car le Brésil a enfreint, ces dernières années, les tarifs hors quota conçus par l'OMC pour protéger les produits en régime de gestion de l'offre.
En somme, le Brésil est un acteur important dans la production agricole et l'exportation de produits agricoles et il concurrence le Canada sur des marchés étrangers comme ceux de l'UE, du Japon et des États-Unis. Pour l'instant, le Brésil n'achète qu'une infime partie des exportations canadiennes de produits agricoles. La FCA estime néanmoins qu'il y aura à l'avenir des possibilités d'expansion des exportations de blé et d'orge, ainsi que des débouchés dans des créneaux particuliers comme ceux des produits naturels et biologiques.
John F. Pineau, directeur général, Institut forestier du Canada, Association forestière canadienne et Institut forestier du Canada : Je remercie le comité de cette occasion de témoigner au nom de nos deux organisations vénérables, puisqu'elles ont plus de 100 ans, soit l'Institut forestier du Canada et l'Association forestière canadienne. Plusieurs des membres de nos organisations ont pris le temps de me remettre un exposé et des renseignements détaillés sur leur expérience de première main dans les relations commerciales avec l'Amérique du Sud, et plus particulièrement le Brésil, dans le secteur international des activités et produits forestiers. Je peux transmettre cette information également, et j'ai l'assurance qu'elle vous sera utile. Nous resterons à votre disposition, après aujourd'hui, pour vous fournir tout renseignement supplémentaire au besoin, soit par écrit, soit en venant témoigner de nouveau.
Je voudrais profiter de ma déclaration liminaire pour présenter une grande vue d'ensemble sur la situation actuelle du Canada dans le secteur de l'exploitation forestière et des produits forestiers et aborder aussi la question du commerce international. Le Canada a toujours considéré le bois d'œuvre, la pâte et le papier comme les principaux produits forestiers de son commerce international. C'est un élément qui est et demeurera une partie très importante du commerce du Canada, car actuellement, 80 p. 100 de cette production canadienne est exportée dans le monde entier. Les raisons qui font de ce secteur une industrie de classe mondiale sont nombreuses, et il faut en tenir soigneusement compte dans notre étude de la situation commerciale actuelle ainsi que des débouchés à venir, dont les biocarburants, les produits écologiques, les produits certifiés et les produits à valeur ajoutée. Nous devons aussi reconnaître que les forêts ne produisent pas que de la fibre de bois et qu'il existe bien d'autres services, technologies et produits fondés sur le savoir qui sont liés à la forêt, et qui peuvent faire partie du commerce international du Canada, plus particulièrement si nous ouvrons des débouchés par des accords avec le Brésil et d'autres pays de l'Amérique du Sud et d'ailleurs dans le monde.
Dans l'histoire récente, l'abondance des ressources forestières du Canada, les dispositions de tenure forestière innovatrices entre les gouvernements provinciaux et les entrepreneurs, l'application d'une gestion forestière scientifique et le développement et l'adoption de nouvelles technologies de récolte, de sciage et de sylviculture ont rendu le secteur des produits forestiers très productif. Si on veut que le Canada conserve un secteur des produits forestiers capable d'affronter la concurrence mondiale, il faut veiller sur chacun de ces facteurs. Les utilisations de la fibre produite par les forêts sont devenues plus innovatrices et diversifiées, et l'évolution se poursuivra dans le même sens. Les modifications de la tenure forestière prévues par de nombreuses provinces canadiennes devront soigneusement tenir compte des utilisateurs actuels de la fibre, dans les forêts de l'État, et offrir des occasions à de nouveaux joueurs, de nouvelles industries et technologie et un nouveau savoir-faire. Malgré des changements omniprésents qui transforment le secteur forestier au Canada, nous devons reconnaître et comprendre qu'il existe une excellente occasion d'exporter notre savoir, nos compétences et notre technologie vers les pays qui s'efforcent d'adopter une gestion durable des forêts. Le Brésil pourrait devenir un partenaire commercial clé, dans ce contexte, à l'avantage mutuel des secteurs forestiers des deux pays, surtout si les barrières et obstacles à ce genre d'échange sont amoindris ou éliminés.
Le commerce des produits du bois du Canada repose sur le prix et la qualité des produits, ainsi que sur l'assurance de pratiques forestières écologiques et socialement responsables reconnues sur toute la planète. Si nous voulons continuer à servir ces marchés, nous devrons veiller à avoir des professionnels et des praticiens de la forêt très bien formés et des travailleurs qualifiés. Ces groupes ne recrutent pas assez de jeunes pour répondre aux besoins. Par exemple, en 2009, seulement sept diplômés du secondaire dans tout l'Ontario ont dit que l'exploitation forestière était leur premier choix pour leurs études universitaires. Les raisons de ce déclin sont nombreuses, mais il y a avant tout l'impression qu'il y a peu d'emplois dans le secteur forestier, et aussi l'impression que l'exploitation forestière se résume à couper des arbres. Ces deux impressions sont d'une fausseté flagrante. Le Canada a des professionnels et des praticiens bien formés, informés, posés et dévoués. Nous voulons non seulement pouvoir continuer à l'affirmer avec confiance, mais aussi faire un meilleur usage de ces compétences au niveau international. Il nous faut un plus grand nombre de jeunes qui acceptent de relever ce défi. Cela est essentiel non seulement à une gestion durable des forêts, mais aussi à la bonne réputation que les produits forestiers canadiens ont acquise.
Nous recommandons une stratégie complexe pour atténuer le problème d'un recrutement insuffisant et pour préserver et faire progresser l'expertise forestière du Canada chez nous et à l'étranger.
Nous devrions promouvoir à l'échelle nationale des possibilités de formation pour les enseignants. L'institut et l'association ainsi que de nombreux partenaires offrent des occasions de formation permanente en milieu de travail chaque année pour les enseignants intéressés à notre bureau national, au Centre écologique du Canada, dans la vallée de l'Outaouais. Il est facile de donner plus d'ampleur à ce programme et de l'offrir dans différentes régions de tout le Canada.
Nous pouvons conserver les concours Envirothon et leur donner plus d'ampleur. Ces concours aident à informer et à sensibiliser les élèves et les jeunes au sujet d'une exploitation forestière et d'une gestion et d'une intendance durables des ressources naturelles, et de la diversité des emplois verts et axés sur la haute technologie dans le secteur forestier.
De plus, nous pouvons établir un lien entre les programmes provinciaux qui donnent aux jeunes une initiation à l'intendance pendant l'été, et les collèges et universités du Canada. Par exemple, les programmes de jeunes gardes forestiers pourraient donner aux collèges et universités la possibilité d'informer les jeunes, notamment les jeunes autochtones, sur les possibilités de carrière dans l'exploitation forestière.
Enfin, il faut consulter les facultés des sciences forestières et des ressources naturelles des universités et collèges et les financer correctement pour qu'elles puissent se préparer à relever les défis à venir et à répondre aux exigences du marché du travail et de la démographie canadienne.
Le Canada doit examiner sérieusement bien plus que les produits du bois dans son commerce international. Ses professionnels de la forêt sont une grande source de richesses qui peuvent être utiles au monde. Notre secteur des services de gestion forestière est un chef de file en inventaire forestier et en sylviculture, deux éléments clés de la gestion durable des forêts qui accusent du retard dans bien des régions du monde. La plupart de ces services sont offerts par des petites entreprises qui pourraient croître si elles trouvaient des débouchés à l'étranger. Il faut aussi admettre que beaucoup de pays n'ont pas atteint notre niveau pour ce qui est de l'intendance forestière et de la politique, de la planification et de la pratique de la gestion durable des forêts ou encore de l'application de systèmes de certification par une tierce partie. Là encore, ce sont des idées, des façons de voir et des approches concrètes dans le contexte des produits et services que nous devrions promouvoir et exporter chaque fois qu'il existe ou qu'on crée des occasions.
Il y a toutefois une considération et peut-être une contrainte importante dont il faut tenir compte : le financement provincial de la sylviculture et de la régénération forestière concurrence d'autres demandes de ressources hautement prioritaires, comme la santé et l'éducation. Il est donc difficile pour le secteur canadien de la gestion forestière de croître et même, parfois, de survivre. Le Canada doit examiner ce qui se passe dans d'autres pays qui exploitent avec succès leurs forêts, comme la Finlande, et imiter ce qu'ils ont fait pour bâtir un secteur de la fabrication de produits forestiers et de matériel forestier qui soit de calibre mondial. La Finlande affecte environ 4 p. 100 de son produit intérieur brut à la recherche et aux applications dans le domaine forestier. Le Canada doit songer à une stratégie analogue pour la recherche et les opérations s'il espère rester compétitif partout.
Quant au libre-échange avec l'Amérique du Sud, dont le Brésil, le Canada doit faire les premiers pas dans la recherche d'une association qui soit mutuellement bénéfique et reconnaisse et prenne en considération les composantes écologique, sociale et économique dans tous les pays et l'ensemble du secteur forestier à l'échelle internationale et qui fasse partout la promotion d'une gestion et d'une intendance durables de la forêt qui s'appuient sur de solides bases scientifiques.
Je tiens à souligner que le Canada a des professionnels de la forêt extrêmement compétents. Ironie du sort, leur compétence est souvent plus largement reconnue à l'étranger qu'au Canada. Ces gens-là s'attaquent à des problèmes complexes qui concernent l'utilisation de la ressource et sa conservation pour la génération actuelle et les générations futures de Canadiens, sans oublier tous les autres êtres vivants qui ont les forêts canadiennes comme habitat. On a besoin des compétences de ces spécialistes dans le monde entier pour s'attaquer à divers problèmes : déforestation, désertification, changements climatiques, atténuation de la pauvreté et implantation d'entreprises efficaces. Nos membres, aux quatre coins du Canada, ont remarqué que la pauvreté, la mortalité infantile et l'inégalité entre les sexes sont attribuables à l'effondrement des écosystèmes locaux, qui ne peuvent plus fournir les produits et services essentiels, par exemple le bois de chauffage, le logement, l'eau potable, et tout le reste. Nous pouvons atténuer ces problèmes au moyen d'une gestion durable complète des forêts.
En somme, nos organisations sont d'avis que le Sénat devrait réclamer l'élaboration d'une stratégie pour veiller à conserver et à accroître le bagage de compétences et de connaissances que nous avons au Canada, en matière forestière, nous assurant en fin de compte de préserver notre compétitivité tout en exportant nos produits existants en nous diversifiant, peut-être en offrant des produits forestiers, des technologies et des services nouveaux et innovateurs. Le Canada doit aussi réexaminer ses priorités en matière d'aide internationale et songer à financer des programmes forestiers et agricoles qui seront bénéfiques pour les pauvres et atténueront les maux sociaux qui vont de pair avec la déforestation. Nos membres sont prêts à travailler et à offrir leur aide à l'étranger. L'institut a mis sur pied récemment un organisme enregistré de bienfaisance au Canada, Forêts sans frontières, pour permettre à ses membres d'amener d'autres Canadiens à établir des projets et programmes de gestion globale durable des forêts dans des pays défavorisés et en voie de développement. Nous croyons que cette initiative permettra d'exploiter un grand potentiel.
Voilà qui conclut ma déclaration liminaire au nom de l'Institut forestier du Canada et de l'Association forestière canadienne. Merci encore au comité de m'avoir permis de témoigner. J'espère que cette information sera utile.
Le vice-président : Merci de vos exposés. Nous allons passer aux questions.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Soyez les bienvenus à notre comité. Ma première question s'adresse à M. Bonnett. La hausse des prix des produits agricoles a provoqué des troubles politiques d'une proportion que nous aurions pu difficilement imaginer a estimé le directeur général de l'Organisation mondiale du commerce, M. Pascal Lamy, à l'ouverture d'une conférence de deux jours organisée par l'ONU sur la volatilité des marchés agricoles : la hausse des prix des aliments provoque une inflation mondiale, sans compter les troubles politiques d'une proportion que nous aurions pu difficilement imaginer. Je crois que lorsque M. Lamy a fait cette déclaration, il pensait à la Tunisie et à l'Égypte.
Est-ce que vous vous attendez à une augmentation des prix cette année dans les secteurs tels que le blé et les graines de soya?
[Traduction]
M. Bonnett : Oui. J'ai été heureux de vous entendre parler de la volatilité des prix, ce qui est une question centrale, compte tenu des énormes fluctuations dans les prix. Pendant 50 ans, le prix de base des denrées a décliné. Nous devons commencer lentement à faire augmenter ces prix pour que l'exploitation agricole soit rentable. Lorsque les gouvernements commencent à dire qu'il faut réagir à la crise alimentaire, ils doivent considérer un certain nombre de questions, dont celles du coût de production, du coût des intrants et de l'énorme instabilité des prix du carburant et des engrais. Il faut tenir compte de tous ces facteurs pour parvenir à une solution.
Il y a déjà des discussions sur le rôle des spéculateurs, qui feraient monter les prix du marché à un niveau excessif. Je suis réconforté du fait qu'on envisage de discuter à la prochaine réunion du G20 de la question des prix des aliments. Le cadre se prêterait bien à ces échanges. Je mets toutefois en garde tout gouvernement qui voudrait essayer de réglementer les prix sans tenir compte des questions qui se posent à long terme, comme la modération dans le coût des intrants, le rôle des spéculateurs et la rentabilité des exploitations agricoles.
Parfois, dans les discussions sur la hausse des prix des aliments, on néglige l'impact sur les pays en développement. Dans ces pays, 80 p. 100 de la population travaille en agriculture. On pourrait soutenir qu'une augmentation des prix payés aux producteurs des pays en développement est susceptible d'atténuer la pauvreté, mais il nous faut parfois séparer les deux questions que sont l'atténuation de la pauvreté dans les pays en développement et la nécessité que le secteur agricole soit rentable et durable.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Pour la Fédération canadienne de l'agriculture que vous représentez, est-ce que la recherche et le développement sont importants dans le domaine de l'agriculture?
[Traduction]
M. Bonnett : Bien sûr, toutes les organisations agricoles au Canada demandent des investissements accrus en recherche. Les travaux pourraient porter sur les pratiques de gestion agricole, l'utilisation de l'eau et l'utilisation de la technologie génétique, autant d'éléments qui revêtiront une importance critique. Les prévisions de la demande que le secteur agricole devra satisfaire d'ici 2050 semblent indiquer qu'il faudra accroître la productivité. Sur ce plan, le Canada peut jouer un rôle clé en faisant des investissements judicieux dans la recherche-développement, où il peut exercer un certain leadership.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Merci beaucoup, j'aurai d'autres questions à la deuxième ronde.
[Traduction]
Le vice-président : Au nom de tous les membres du comité, je salue le retour du sénateur Finley.
Le sénateur Finley : Merci.
Il y a un sujet que je voudrais aborder avec M. Bonnett. J'ai lu votre C.V., monsieur Bonnett, et je suis étonné que vous trouviez encore le temps d'être agriculteur, à dire vrai. Le 5 octobre, vous avez comparu devant le Comité sénatorial permanent de l'agriculture et des forêts. Vous avez parlé de la gestion de l'offre. Je vous cite :
Il s'agit d'un outil qui a très bien fonctionné au Canada. Toutefois, il ne faudrait pas que nous soyons pris en otage pour d'autres produits d'exportation pour lesquels il existe d'excellentes occasions de commercialisation.
Je place ces déclarations en regard des propos d'un témoin qui a comparu devant ce comité-ci en décembre. Carlo Dade, directeur exécutif de la Fondation canadienne pour les Amériques, a dit ceci au sujet du commerce avec le Brésil :
En ce qui a trait au Canada et au Brésil, il y a des choses que nous pouvons faire. De toute évidence, il y a le commerce. Si nous arrivons à retirer l'agriculture du programme, on pourra vraiment espérer faire des progrès [...]
Toutefois, si nous voulons avoir le moindre espoir, il faut régler la question de l'agriculture.
Je ne veux pas lui mettre les mots dans la bouche, mais il semblerait que M. Dade considère l'agriculture comme une sorte d'irritant qui gêne le développement d'autres secteurs du commerce avec le Brésil. Peut-être est-ce parce qu'il s'agit d'un élément minime. De toute évidence, d'après ce que je comprends, il y a au Brésil peu de subventions gouvernementales pour l'agriculture, et on ne semble pas non plus pratiquer tellement la gestion de l'offre. Monsieur Bonnett, pourriez-vous en quelques minutes proposer des domaines que le comité sénatorial pourrait étudier pour aider les négociations ou préparer des éléments qui permettraient de contourner le monument qu'est la gestion de l'offre?
M. Bonnett : Vaste question. À propos de la gestion de l'offre et d'autres structures de commercialisation que nous avons au Canada, je vais revenir à la réponse que j'ai donnée à la question précédente. Si nous voulons que l'agriculture soit durable à long terme, il faut qu'elle soit rentable. Sur le marché mondial d'aujourd'hui, nous vendons nos produits à de grandes sociétés. Certaines de ces structures de commercialisation sont nécessaires si nous voulons avoir un certain pouvoir de négociation sur le marché. Il faut être conscient de cette nécessité.
Pour en venir directement au Brésil et aux négociations avec ce pays, il faut dépasser l'idée qu'on doit s'en tenir aux discussions sur les barrières tarifaires. Nous devons discuter également des coûts de main-d'œuvre et des normes environnementales, qui expliquent en partie l'avantage concurrentiel du Brésil. Au Canada, les producteurs doivent se plier à un certain nombre d'exigences réglementaires s'ils veulent rester en affaires. Ils ont aussi des obligations envers les employeurs et une structure de coûts différente. C'est en partie à cause du cadre réglementaire, mais aussi de ce que la société exige de l'agriculture. Voilà pourquoi j'en reviens à ce que j'ai dit dans ma déclaration liminaire. Lorsqu'on entame des discussions sur le commerce avec d'autres pays, il faut prendre conscience du fait que d'autres facteurs interviennent, en dehors des droits tarifaires. Si nous voulons être concurrentiels, il faut l'être sur le plan de la réglementation et ne pas perdre de vue les questions de travail. Une autre question de premier plan, dans le cas du Brésil, est celle du coût du transport. L'Amazone est une voie navigable qui assure le transport des produits à bon marché.
En un mot, lorsqu'on entame des discussions, il faut dépasser les droits tarifaires et le commerce. À propos des structures de commercialisation, il ne faut pas perdre de vue le fait qu'elles seront probablement nécessaires à un certain nombre de pays. Les divers pays doivent conserver le droit de mettre en place des mécanismes qui donnent aux agriculteurs une certaine force pour négocier avec les grandes sociétés.
Le sénateur Finley : Vous avez parlé du fardeau de la réglementation. Je suppose qu'elle pèse beaucoup plus lourdement sur les agriculteurs canadiens que sur leurs concurrents brésiliens. Pour négocier un accord, chercheriez-vous à alléger le fardeau de la réglementation pour les agriculteurs canadiens et à l'alourdir, peut-être, pour les agriculteurs brésiliens?
M. Bonnett : Nous devons relever les normes pour les agriculteurs brésiliens. Toute la question de la compétitivité se pose non seulement avec des pays comme le Brésil, mais aussi avec les États-Unis. Par exemple, notre système de réglementation qui régit l'homologation d'intrants comme les pesticides et les herbicides diffère de celui des Américains. C'est un point sur lequel il pourrait y avoir beaucoup de discussions sur l'application de processus réglementaires semblables.
Je sais que les coûts de la main-d'œuvre et les normes du travail sont un dossier qui exige un travail à long terme, mais il faut s'y attaquer en ayant comme objectif de relever les normes des autres pays à la hauteur de celles du Canada au lieu que ce soit l'inverse.
Le Brésil est considéré comme un pays en développement. On y trouve toutefois aussi bien certaines des exploitations agricoles les plus vastes et efficaces qui soient, couvrant des milliers et des milliers d'hectares, que des petites exploitations où on pratique une agriculture de subsistance. Si nous cherchions des moyens de relever le niveau de vie des agriculteurs des deux pays, ce serait probablement considéré aussi comme un effort de développement international.
Le sénateur Wallin : Je vais aborder la question que nous examinons dans une perspective plus large avec vous deux, messieurs. Vous n'ignorez pas que le comité a étudié les relations du Canada avec les pays du BRIC, et le Brésil a été le dernier de la liste.
Nous abordons la question dans le contexte des accords commerciaux en nous demandant s'il y a lieu d'en conclure ou non. Nous avons déjà entendu le point de vue de M. Dade et d'autres témoins.
Nous avons la question du Mercosur, du côté du Brésil. Nous devons considérer la gestion de l'offre et peut-être surtout la Commission canadienne du blé. Nous avons des points de vue différents sur des choses comme l'Organisation des États américains, l'OEA, l'OMC et même le G20, sans oublier, comme vous l'avez dit, la question de la réglementation.
Y aura-t-il jamais un accord commercial avec le Brésil, tant du point de vue du Brésil que du nôtre? Je n'ai pas l'impression que l'un ou l'autre, vous soyez convaincus que c'est une très bonne idée pour l'instant. Les Brésiliens semblent de féroces concurrents dans vos deux secteurs. Je voudrais entendre votre point de vue à tous les deux.
M. Bonnett : Une brève observation à propos de tout accord bilatéral qu'on peut chercher à conclure. Vous avez parlé de l'OMC. Je crois qu'il y a passablement d'exaspération parce que nous n'avons pas pu réaliser des progrès de ce côté. Lorsqu'il s'agit d'un accord multilatéral, l'OMC nous semble le meilleur mécanisme à utiliser. Il y a assez de pays réunis pour qu'on puisse parvenir à dégager un consensus sur un certain nombre de questions, et on discute également de questions non tarifaires.
Quant à la stratégie qui consiste à chercher à conclure des accords bilatéraux, je dois féliciter le gouvernement. Il a vraiment commencé à mettre l'accent sur les régions où le Canada a la possibilité de tirer un avantage et où, très souvent, l'autre partie peut également tirer un avantage.
Je ne suis pas convaincu qu'il faille chercher à faire du commerce à tout prix. Pas la peine de faire du commerce si cela se résume à donner le produit. Nous devons repérer les marchés où il est possible de réaliser de bons bénéfices parce que les consommateurs veulent acheter des produits de qualité, du niveau de qualité que nous pouvons offrir.
Si le Sénat considère l'ensemble des objectifs commerciaux, il me semble qu'il serait constructif de mettre l'accent sur les régions prioritaires. On travaille en ce moment à l'accord commercial avec l'Europe. Cet accord pourrait offrir des débouchés aux agriculteurs canadiens, car les Européens ont un niveau de vie élevé et cherchent des produits comme les nôtres.
Pour ce qui est du Brésil, si un accord se concrétise un jour, je ne suis pas sûr que l'agriculture en soit un élément clé. Comme je l'ai déjà dit, nous pourrions faire des gains limités dans le commerce du blé. Sauf erreur, les droits ne sont que d'environ 10 p. 100. Il n'y a aucun droit sur les produits brésiliens importés au Canada sinon pour les produits en régime de gestion de l'offre. À dire vrai, nous ne produisons pas beaucoup de jus d'orange chez nous.
J'aurais une mise en garde à faire à propos du Brésil et d'autres pays en développement : essayez de voir où les occasions se présentent, mais commencez à chercher d'abord où pourraient se trouver les marchés prioritaires.
M. Pineau : La situation est très semblable dans le secteur forestier. Je distingue bien des parallèles sur le plan des défis, des enjeux et des occasions à saisir. Il faut mettre l'accent sur les régions où nous pouvons faire du commerce et obtenir des résultats. Chose certaine, il faut que le Brésil estime lui aussi qu'il y aura pour lui des avantages et des résultats intéressants.
Comme je l'ai dit dans ma déclaration liminaire, nous avons une longueur d'avance à bien des égards, par exemple en sylviculture, en inventaire forestier et dans les technologies de cet ordre; c'est certainement le cas aussi pour certains de nos produits, comme le bois manufacturé ou le bois à forte valeur structurelle. Notre fibre est parmi les meilleures et les plus spécialisées au monde, et nous pourrions l'utiliser dans de bons ouvrages structurels. Sur ce plan, nous pouvons l'emporter sur la concurrence brésilienne. Pour ce qui est de la pâte de papier kraft et les qualités inférieures de papier, nous n'avons aucun moyen de livrer concurrence à armes égales. Nous devons nous intéresser aux domaines où nous pouvons utiliser ce qu'ont les Brésiliens et où les Brésiliens peuvent se servir de ce que nous avons.
Cela semble un peu banal, mais les Brésiliens ne tirent certainement pas de l'arrière. Voici un exemple : leur technologie d'amélioration des arbres et de clonage utilisée pour leurs eucalyptus à croissance rapide. Ils ont fait de l'excellent travail avec les semis d'arbres. Ils plantent de 1,5 à 2,5 milliards d'arbres chaque année.
Pour ce qui est de la gestion durable des forêts, je crois qu'il existe là-bas un problème de dégradations des sols. Nous n'avons pas tellement ce problème au Canada. Nous sommes conscients de la nécessité de veiller à ce que les processus écologiques soient préservés là où nous prélevons des arbres et régénérons les forêts. Nous pouvons exporter ce savoir-faire.
Au Canada, nous ne devrions pas abaisser les normes des pratiques et politiques de gestion forestière. Nous devrions continuer à essayer de les améliorer et à leur donner de solides bases scientifiques et, lorsque nous le pouvons, nous devrions exporter ce savoir et aider d'autres pays à parvenir au même niveau.
Le sénateur Wallin : Soyons clairs. Je comprends les nuances de vos réponses, mais vous semblez dire, au fond, que nous ne devrions pas nous engager dans cette voie à moins d'être sûrs de notre fait. À votre point de vue, il ne faut pas éviter de le faire parce que les Brésiliens sont des concurrents de vos industries respectives. Vous pensez que, en quelque sorte, ce sera techniquement difficile, mais qu'il y aurait aussi un abaissement des normes ou qu'il est possible que ce problème se pose.
M. Pineau : Il vaut la peine de faire l'effort d'établir un accord de libre-échange ou une sorte de système général qui englobe tout. C'est ce que je pense. Nous devons aller dans cette direction, si difficile ou stimulant cela puisse-t-il être.
Nos membres qui font des affaires en Amérique du Sud ou tentent de le faire disent parfois qu'il y a l'obstacle des droits tarifaires ou des taxes qui frappent les biens importés. Il y a aussi des problèmes de bureaucratie. Il y a partout une sorte de politique propre au Brésil.
M. Bonnett : Ce que j'aurais à dire se rapporte au caractère distinctif des objectifs d'un accord multilatéral, qui s'élabore de préférence dans le cadre de l'OMC, où il est possible d'essayer d'allier les préoccupations d'autres pays.
Quand on en arrive aux accords bilatéraux, il faut mettre l'accent sur les gains réalistes. Récemment, j'ai lu dans les journaux beaucoup de choses sur l'accord de Partenariat Asie-Pacifique. Naturellement, le discours qu'on entend du côté de la Nouvelle-Zélande, c'est qu'on ne veut pas de la présence du Canada à moins qu'il ne renonce à la gestion de l'offre. Mais la réalité, c'est que nous avons des villes dont la population est plus nombreuse que celle de la Nouvelle- Zélande.
Voulons-nous exercer un chantage sur tout notre commerce agricole parce qu'un pays, animé par son propre objectif, essaie d'orienter le processus? C'est un fait dont il faut prendre conscience.
S'il s'agit d'un accord bilatéral avec des pays comme le Japon ou la Corée, il y a un grand potentiel à exploiter pour peu que nous fassions un effort renouvelé pour obtenir un accord bilatéral. Nous devons être conscients du fait que quiconque s'engage dans cette démarche a ses propres intérêts à cœur, et il ne doit pas en être autrement pour le Canada.
Le vice-président : Je voudrais poursuivre dans le même ordre d'idée. Vous avez dit qu'il fallait se concentrer sur certains éléments. Quel est l'avantage pour l'agriculture et le secteur forestier, si nous tentons de conclure un accord commercial avec le Brésil? Quelle est notre carte maîtresse, si on peut dire?
M. Bonnett : Le seul avantage serait d'obtenir un meilleur accès au marché brésilien pour le blé. Cependant, il faudrait analyser la situation pour voir s'il y aurait des risques pour d'autres denrées, surtout si on commence à aborder la question de la gestion de l'offre.
J'ai parlé des coûts de production du Brésil, qui est avantagé par le coût du transport, celui des aliments pour les animaux et celui de la main-d'œuvre. Il est presque en mesure de s'imposer sur le marché de la volaille même avec les droits tarifaires qui sont en place. Il y a là un vrai risque.
M. Pineau : Là encore, il faut parler de la qualité de notre fibre de bois. Nous apprenons à mieux l'utiliser : produits de bois composite, produits structurels et produits à valeur ajoutée. Le Brésil est un puissant producteur du biocarburant qu'est l'éthanol, par exemple, mais nous nous rapprochons de lui sur ce plan-là aussi. Notre technologie de fabrication de nos produits du bois, à nous qui cherchons à maximiser la valeur de nos fibres, sera notre grand avantage.
Il y a aussi le niveau d'excellence que nous avons atteint dans nos pratiques de gestion forestière. Nous avons appris beaucoup de choses, nous avons beaucoup progressé, et nous voulons aider les autres à faire de même.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Vous avez parlé, monsieur Bonnett, de la réglementation, de l'utilisation des herbicides et des pesticides. Comment est-il facile pour les agriculteurs au Brésil d'utiliser des substances qui ne sont pas permises au Canada ou que nous avons beaucoup plus de difficultés à faire accepter?
[Traduction]
M. Bonnett : À propos du régime de réglementation en place, c'est beaucoup une question de ouï-dire. Il faudrait faire une étude détaillée du régime de réglementation des Brésiliens. Doivent-ils signer les mêmes accords de licence pour s'engager dans certaines productions?
On en revient à la discussion sur l'imposition de normes par une organisation internationale. Nous avons collaboré avec une organisation qu'on appelle l'OIE, l'Organisation mondiale de la santé animale, dont le siège se trouve en France. Nous essayons d'établir des normes, au lendemain de la crise de l'ESB qui a frappé l'industrie du bétail. Il y a un certain nombre d'enjeux, dont la tolérance zéro pour les produits transgéniques et la conformité aux régimes de réglementation. Il est probablement préférable d'aborder ces questions dans un cadre international, où un certain nombre de pays sont réunis. Autrement, si on essaie de s'en tenir strictement à l'approche bilatérale, on se retrouve avec une multitude de normes, ce qui, à long terme, nuit au secteur.
Le sénateur Robichaud : Vous avez parlé du commerce de la volaille et dit que les Brésiliens avaient réussi à franchir le mur tarifaire en exportant de la volaille au Canada.
M. Bonnett : Oui, leur coût de production est tellement bas. Les coûts de main-d'œuvre et de l'infrastructure de transport sont faibles, et les prix du grain local sont très peu élevés. Selon notre information, ils ne sont pas assujettis aux mêmes normes environnementales pour l'élimination du fumier.
Grâce à tous ces facteurs, ils peuvent produire de la volaille à très bon marché. Si on arrive à baisser suffisamment les coûts de production, peu importe si un mur tarifaire protège les producteurs canadiens. On peut tout de même passer.
L'autre facteur, ce sont les fluctuations du taux de change, qui peuvent avoir une influence à l'occasion.
Le sénateur Robichaud : S'ils réussissent à faire cela avec la volaille, ne pourraient-ils pas en faire autant avec d'autres produits, dans ce système?
M. Bonnett : Pour ce qui est de la gestion de l'offre, cela dépendrait du type de produit. Dans le cas du lait frais, on se heurte au problème du transport. Les Brésiliens n'ont pas un secteur laitier aussi bien développé. C'est peut-être une question de climat. C'est là une des choses dont il faut être conscient.
Selon les divers points de vue, il est assez largement reconnu que la gestion de l'offre au Canada a été un facteur de stabilisation des prix, aussi bien pour les consommateurs que pour les producteurs. Il n'y a pas eu de fortes fluctuations. Je sais que notre organisation répugnerait à mettre ce régime en péril, surtout dans des négociations commerciales avec un pays comme le Brésil, où il y a peu de chances de faire de grands progrès pour d'autres produits agricoles.
Le sénateur Robichaud : Si vous étiez négociateur commercial, vous laisseriez carrément de côté l'agriculture, n'est-ce pas?
M. Bonnett : Je considérerais les droits qui visent actuellement le blé. Nous aurions la possibilité de livrer concurrence. Vous pourriez faire valoir de façon convaincante que, en dehors des produits en régime de gestion de l'offre, nous laissons un large accès pour l'ensemble des produits, qu'il s'agisse de jus d'orange ou de produits de la canne à sucre, par exemple.
[Français]
Le sénateur Robichaud : J'ai une dernière question pour M. Pineau sur le développement durable de la forêt. Comment le Brésil se compare-t-il avec le Canada au plan de l'exploitation forestière, si on regarde le développement durable de la forêt?
[Traduction]
M. Pineau : Bonne question. Le Brésil excelle dans la production de fibre. Il peut compter sur l'eucalyptus à croissance rapide, dont le cycle est de sept ans. On y cultive aussi le pin.
Ce ne sont pas des espèces indigènes. Elles ont été introduites au Brésil. C'est de là que viennent beaucoup des produits forestiers brésiliens, des produits que le pays peut vendre, cette pâte de qualité inférieure dont j'ai parlé tout à l'heure. C'est probablement le principal produit des Brésiliens. Il y a une certaine diversité, mais ce produit arrive en tête.
Les Brésiliens ont des cultures de fibre, au fond, et ces eucalyptus croissent et produisent de la pâte selon un cycle de sept ans. Au Canada, si nous voulions faire quelque chose de semblable, il faudrait de 60 à 100 ans avec notre épinette. Nous ne pouvons pas livrer concurrence de façon réaliste.
Ce genre de culture présente bien des problèmes. Il faut avoir de vastes forêts naturelles, et il faut prendre soin des espèces indigènes du pays ou de la région. C'est essentiel. Au Canada, nous assurons cette protection au moyen des parcs, par exemple.
Pour ce qui est de la gestion des forêts naturelles au Brésil, et M. Bonnett voudra peut-être ajouter son grain de sel, il y a beaucoup de pâturages pour le bétail dans la partie nord du Brésil, où les forêts naturelles sont dégradées, et les pâturages ne reviennent pas nécessairement aux forêts naturelles. À long terme, c'est intenable.
Au Canada, nous gérons autant que possible nos forêts selon un processus très holistique et naturel. Nous avons divers niveaux de sylviculture. Il n'y a rien de mal à cultiver la fibre sur de petites parcelles. Un certain pourcentage de forêt, 10 ou 15 p. 100, présente un caractère tout à fait industriel. Puis, il y a divers niveaux de récolte et de régénération dans d'autres secteurs, et une partie de la forêt reste à l'état complètement naturel, sans qu'on intervienne dans ses propres processus. Je ne crois pas que le Brésil ait encore l'attitude nécessaire pour en arriver là.
Le sénateur Di Nino : Je vais aborder la question sous un autre angle. Ce sont des domaines que je connais tellement bien.
Au gré de nos déplacements, particulièrement dans les trois pays que nous avons visités pour notre étude, soit la Russie, la Chine et l'Inde, nous avons constaté que les gens parlent souvent des services associés à telle ou telle industrie. De toute évidence, il doit y avoir des services agricoles exportables. Je songe à l'environnement et à l'éducation. Profitons-nous de cette occasion ou est-ce que c'est un élément qui n'a pas une place particulière dans les exportations de l'industrie?
Cette réflexion m'est venue à l'esprit, monsieur Pineau, lorsque vous avez parlé de la qualité de la fibre. Est-ce que c'est un créneau intéressant pour le Canada au Brésil?
M. Pineau : Assurément. Je ne crois pas que le Brésil produise autant de bois de structure que le Canada. La fibre des espèces que nous exploitons est forte en raison des longues périodes de croissance, ou des courtes périodes de croissance, selon la façon dont on considère la chose. Pour un arbre, une année est une courte période de croissance.
À long terme, la fibre que nous produisons à partir d'un grand nombre d'essences, comme l'épinette noire, l'épinette blanche, le pin tordu et le pin gris, finit par être très forte. Beaucoup d'essences exploitées au Brésil ne sont pas indigènes et n'ont pas la qualité ni la force nécessaire pour faire du bois de structure.
Là encore nous avons un avantage avec nos produits de bois d'ingénierie. Nous pouvons produire des matériaux pour construire très bien des maisons et tout le reste. Sur ce plan-là, nous sommes très concurrentiels.
Nous étudions aussi toutes sortes d'autres utilisations nouvelles et innovatrices pour la fibre de qualité que nous produisons. Nous ignorons ce qui en sortira, mais il y aura là de bonnes occasions à saisir.
L'eucalyptus dont j'ai parlé et qui est exploité au Brésil ne convient pas vraiment à des utilisations structurelles. Il sert surtout à produire de la pâte de qualité inférieure, et il a aussi des utilisations ornementales. Voilà le genre d'échanges que nous pourrions avoir si les barrières étaient abaissées ou éliminées. Nous pouvons saisir cette occasion pour vendre certains de nos produits au Brésil.
M. Bonnett : À propos des autres types de service, le Canada a été un chef de file dans d'autres domaines comme ceux de la génétique du bétail, la production laitière et la production de viande de bœuf. Les généticiens du bétail sont allés partout dans le monde, et la qualité de leur travail a été reconnue.
Je fais actuellement partie d'un groupe qui fait des évaluations génétiques du bétail et conçoit des logiciels pour suivre toute l'information sur la salubrité des aliments. Le directeur général se rendra au Kazakhstan dans quelques semaines. On y est intéressé par le produit que nous avons mis au point.
Nos systèmes universitaires, qu'il s'agisse de l'Université McGill, de l'Université de Guelf ou du Olds College, ont des programmes d'échanges bien développés. Le Canada a un accord de partenariat avec le Mexique. Il y a beaucoup d'échanges d'information entre les étudiants dans le secteur des légumineuses. Le Canada est devenu un chef de file pour les légumineuses de haute qualité sur certains marchés.
Pour ce qui est des obtentions végétales, l'un des meilleurs exemples de cas où le Canada a pris les devants est celui du développement du canola, maintenant répandu dans le monde entier. Il y a énormément d'échanges portant sur la propriété intellectuelle et la génétique, sans oublier les échanges universitaires.
Le sénateur Di Nino : Y a-t-il des échanges de cet ordre qui atteignent un assez bon volume avec le Brésil?
M. Bonnett : C'est possible. Je ne suis pas très au fait de l'état de nos échanges avec le Brésil. Je suis plus au courant de ce qui se passe avec le Mexique et la Russie.
Le sénateur Di Nino : Ces échanges sont aussi très importants avec l'Inde.
M. Bonnett : Effectivement.
Le sénateur Di Nino : Je crois que M. Pineau a aussi parlé d'un certain protectionnisme. Quelle est l'ampleur de ce protectionnisme au Brésil?
M. Pineau : D'après ce que j'ai compris, nos membres qui m'ont informé estiment qu'il est très difficile d'exploiter des occasions d'affaires au Brésil, qu'il s'agisse de services ou de produits. Au Canada, nous avons élaboré nombre de bonnes technologies et de systèmes d'information, comme des modèles de planification de la gestion forestière ou des technologies de régénération forestière et de sylviculture, ou encore la mécanisation de ce travail. Il peut y avoir beaucoup de belles occasions, mais il est difficile de renverser les barrières. Bref, la situation générale au Brésil fait en sorte qu'il faut se battre, mais cela vaut l'effort.
Le sénateur Di Nino : Pourriez-vous tous les deux dire un mot de l'appui que vous recevez de nos ambassades et services consulaires? Estimez-vous que nous avons les ressources nécessaires, et est-ce que nous aidons les exportateurs qui s'intéressent à ce pays?
M. Bonnett : Je ne peux parler que de l'expérience que j'ai eue avec les différents bureaux d'ambassade avec lesquels nous avons travaillé. Je suis coprésident pour l'industrie pour l'accord de partenariat Canada-Mexique, dans le secteur agricole, et je dois dire que l'ambassade a fait un excellent travail pour faciliter l'établissement de liens.
L'automne dernier, un groupe de producteurs canadiens s'est rendu au Texas pour voir comment nous pourrions trouver des lieux de convergence avec les organisations agricoles de cet État. Là encore, des membres du personnel de l'ambassade se sont engagés à fond dans l'organisation de ces rencontres. Je ne peux que leur adresser les plus grands compliments.
De plus, lorsque les milieux agricoles dépêchent des représentants à des réunions de l'OMC, à Genève, le personnel de l'ambassade se fait chaque fois un point d'honneur de proposer une séance d'information sur l'état des négociations.
Je ne peux rien dire de l'importance du personnel ni de quelque autre sujet de cette nature, mais je sais que, pour ma part, j'ai été très heureux du soutien que nous avons reçu.
Le sénateur Di Nino : Est-ce que cela se passe au Brésil? Avez-vous quelque expérience de ce côté?
M. Bonnett : Je n'ai aucune expérience au Brésil.
Le sénateur Di Nino : Et vous, monsieur Pineau?
M. Pineau : De notre côté, j'ai entendu dire que notre personnel gouvernemental ne constituait aucunement un problème lorsque nous voulons aller au Brésil et y brasser des affaires. Il est plus difficile, pour les Canadiens et d'autres, d'obtenir des visas, par exemple. D'après ce que j'entends dire, une sorte d'accord commercial aiderait peut- être aussi les Brésiliens à venir au Canada. Ils ont aussi leurs propres difficultés à surmonter pour venir chez nous.
J'ai entendu des propos très favorables au sujet de notre gouvernement. Le gouvernement brésilien est un peu plus intransigeant en ce sens qu'il y a des obstacles à surmonter pour arriver à faire quelque chose.
En ce qui concerne la technologie forestière, les foires commerciales et tout le reste, j'entends dire qu'il y a une capacité et un intérêt croissants, qu'il y a de plus en plus de choses qui se passent au Brésil, grâce aux occasions qui se présentent sur le marché. Il y a une sorte de démonstration pratique de ce qui est disponible. Les Brésiliens voient ce qui est disponible et ils regardent les choses de plus près et avec plus d'intérêt. Ces occasions se font de plus en plus nombreuses, et il ne semble y avoir que peu de difficultés à susciter ces occasions.
Le sénateur Dawson : Et Exportation et développement Canada, EDC? Ma question porterait sur les services diplomatiques et le personnel gouvernemental — les services classiques d'Affaires étrangères et Commerce international Canada —, mais est-ce qu'EDC cherche des occasions au Brésil avec vos membres, que ce soit en agriculture ou en exploitation forestière? Est-ce que l'organisme essaie de voir s'il y a des débouchés pour vos membres, pour les Canadiens, dans ce pays-là?
M. Pineau : Je l'ignore. Je peux me renseigner et vous communiquer l'information.
Le sénateur Dawson : Je vous en serais reconnaissant, car EDC a été un partenaire par le passé. L'organisme doit choisir son champ d'action et établir des priorités. Il ne peut pas être partout. Le comité réfléchit aux recommandations qu'il doit faire au gouvernement. Aussi, je me demande si nous devrions recommander une plus forte participation d'EDC, une présence plus assidue au Brésil. Nous aimerions avoir une réponse.
M. Bonnett : Je vais devoir vous communiquer plus tard les détails à ce sujet également.
Le sénateur Mahovlich : À cause de ce qui se passe en Égypte, le prix de l'essence est à la hausse aux États-Unis et probablement aussi au Canada. Je n'ai pas fait le plein récemment. Au Brésil, il est obligatoire de vendre de l'éthanol et du biocarburant dans les stations-service. Je présume que c'est une politique gouvernementale qui veut cela, n'est-ce pas?
M. Bonnett : Oui, je crois que c'est la politique officielle au Brésil parce que ce pays possède une énorme capacité de production d'éthanol. En fait, le Canada a importé de l'éthanol pendant un certain temps. Je ne sais pas au juste où on en est maintenant. Au Canada, une réglementation gouvernementale exige une plus grande teneur en éthanol dans l'essence.
Vous parlez de la hausse du prix du pétrole. Cela rouvre encore toute la question de l'énergie. Les exploitants de la forêt et les agriculteurs peuvent aussi se lancer dans la production de biocarburants. À la faveur de la hausse des cours pétroliers, cette production peut devenir plus rentable.
Une des questions posées plus tôt portait sur la recherche. C'est justement là un centre d'intérêt de la recherche : mettre en place la technologie capable d'encourager une production rentable de biocarburants.
Le sénateur Mahovlich : Nous n'en sommes pas encore là?
M. Bonnett : Nous n'en sommes pas loin pour beaucoup de biocarburants produits en ce moment. Il n'y a pas longtemps, j'ai discuté avec les producteurs de betterave sucrière. Ils sont en train de mettre au point de nouveaux types de betterave capables de produire beaucoup plus d'éthanol à l'hectare que les betteraves ordinaires.
Il s'est fait beaucoup de choses ces dernières années. La technologie évolue. Il y aura des changements rapides dans les 15 ou 20 ans à venir.
M. Pineau : Je suis d'accord. Le Canada va se rattraper rapidement dans le secteur des biocarburants. On dirait qu'il y a constamment des conférences, des colloques et des publications consacrés à la recherche des meilleurs moyens d'y parvenir.
Il est certain que le Brésil a un avantage, et il y a eu une réglementation rigoureuse pour qu'il réponde lui-même à ses besoins en éthanol. Il a le grand avantage de la période de végétation. Je crois que le prix a diminué notablement au Brésil au sommet de la période de croissance de la canne à sucre. C'est ce qu'on m'a dit. Les Brésiliens ont mis en place une industrie incroyable et sont parvenus à une très solide autosuffisance.
Le sénateur Johnson : À propos des débouchés au Brésil, que savez-vous au sujet de l'augmentation de la demande d'aliments sains ou fonctionnels? Y a-t-il dans les entreprises brésiliennes un intérêt croissant pour le développement de ce secteur?
M. Bonnett : Cela se produirait en grande partie dans les villes. Au gré du relèvement du niveau de vie, soudain, la demande augmente.
C'est ce que nous observons au Canada également. Beaucoup de produits destinés à certains créneaux du marché qui se vendent au Canada sont achetés par les consommateurs assez à l'aise. La tendance veut que les consommateurs commencent à se tourner vers ces produits lorsqu'ils deviennent riches.
Au cours des dernières années, l'économie brésilienne, qui était très en retard, est devenue très dynamique. À notre point de vue, il est difficile de parler de pays en développement, vu les progrès qu'on y accomplit. Il pourra y avoir un marché pour ces produits de grande valeur.
Le sénateur Johnson : Pensez-vous que cela se produira au cours des dix prochaines années? Parmi nos exportations, les lentilles et les pois représentent près de 22 millions de dollars. Ce sont des ingrédients fondamentaux pour ce type d'aliment. Il est intéressant qu'il y ait progression. Les lentilles, les pois et autres aliments secs du Canada sont populaires dans d'autres pays.
M. Bonnett : Bien des gens ne savent pas que le Canada est devenu l'un des premiers producteurs de lentilles. Il y aura un marché pour ces produits de grande valeur, qu'ils soient non transgéniques ou qu'ils soient biologiques. C'est là que la croissance se fera sentir. Toutefois, comme je l'ai dit, ce sera une croissance qui concernera le consommateur à l'aise qui est disposé à payer le surcoût exigé par la production de ces denrées.
Le vice-président : Monsieur Bonnett, je présume que la Fédération canadienne de l'agriculture craint la mise de côté de la gestion de l'offre, puisque les avantages sont si minces et les coûts pour les agriculteurs si élevés. Par ailleurs, avez- vous d'autres préoccupations au sujet de la salubrité et de la sécurité alimentaires au Canada si la gestion de l'offre est éliminée et si, par exemple, le nombre de producteurs laitiers diminue de façon radicale? À un moment donné, si nous ne pouvons plus recevoir de lait ou de fromages d'un autre pays pour quelque raison, les consommateurs constateront- ils qu'il n'y a plus de producteurs canadiens pour les approvisionner? Est-ce un grand sujet d'inquiétude pour la fédération?
M. Bonnett : Qu'il y ait gestion de l'offre ou non, la préservation d'exploitations agricoles rentables au Canada est un sujet de préoccupation. À propos de cette question de sécurité alimentaire, la FCA a entamé des discussions avec un certain nombre de groupes de producteurs ainsi qu'avec des transformateurs et des détaillants pour réfléchir aux moyens à prendre pour que nous ayons dans l'avenir une agriculture durable. Si nous nous interrogeons sur une stratégie à long terme, nous savons qu'il y a des marchés intérieurs émergents pour les produits de grande valeur dont nous venons de parler, et nous savons aussi que nous sommes bien positionnés pour exporter les produits propres à satisfaire les nouvelles tendances croissantes de la consommation.
Il faut qu'il y ait un débat non seulement dans les milieux agricoles, mais aussi dans l'ensemble du Canada sur les moyens à prendre pour garantir la sécurité alimentaire et la rentabilité des exploitations agricoles à l'avenir. La gestion de l'offre est l'un de ces moyens.
Le vice-président : Au sujet de la salubrité alimentaire, lorsque le comité s'est rendu en Chine, le consul général du Canada a apporté à une réunion une bouteille de vin de glace de la Colombie-Britannique. La bouteille portait une très belle étiquette, mais tout était de la frime. Actuellement, les Canadiens ont une grande confiance dans la salubrité des produits canadiens. Comment se pose la question de la salubrité des aliments si la gestion de l'offre est éliminée?
M. Bonnett : J'ai été producteur laitier. Nous avons vendu notre cheptel il y a un certain nombre d'années. Les milieux agricoles participent à fond à l'effort de mise en place de normes de salubrité alimentaire. Il faudrait reconnaître au Canada ce que font les agriculteurs, au niveau de l'exploitation, pour assurer la salubrité, qu'ils soient ou non en régime de gestion de l'offre.
L'une des difficultés, quand on traite avec des pays en développement, c'est de les amener à mettre des normes en place et de veiller à ce qu'ils se dotent d'un processus de vérification pour veiller au respect de ces normes. Cela existe au Canada, mais pas dans certains autres pays.
Le vice-président : Dans votre exposé, monsieur Pineau, vous avez parlé de Forêts sans frontières, votre nouvelle association. Votre groupe fait-il quelque chose dans ce domaine? De quoi s'agit-il?
M. Pineau : L'organisme en est encore à ses débuts, mais nous avons accompli un certain travail en Zambie, essentiellement du reboisement — le rétablissement de plantations d'arbres — et le rétablissement de certains processus de l'écosystème pour aider les collectivités là-bas, et plus précisément la forêt collective de Petauke, en Zambie. L'un de nos membres de Vancouver dirige le projet.
Nous envisageons un voyage de reconnaissance en Haïti pour voir s'il est possible de lancer un projet là-bas. Il y a d'assez bonnes chances que quatre de nos membres aillent là-bas pour voir si nous pouvons faire quelque chose de semblable afin de rétablir des forêts ou une zone forestière et d'en assurer la pérennité, avec tous les produits et services que la forêt peut fournir : eau potable, bois de chauffage, combustible et le reste. Nous n'avons encore rien fait ailleurs, mais l'organisme de bienfaisance est né il y a seulement quelques années et il commence tout juste à se mettre à l'œuvre.
Le vice-président : Je présume que la formule s'inspire des autres groupes sans frontières, comme les ingénieurs, les vétérinaires, et cetera : des gens qui sont des spécialistes dans leur domaine vont dans des zones sous-développées pour aider les populations locales grâce à leurs compétences?
M. Pineau : C'est le même principe.
Le vice-président : Avez-vous obtenu une bonne participation de l'industrie? Y a-t-il eu beaucoup de bénévoles?
M. Pineau : Cette initiative a donné une nouvelle énergie à nos membres. Comme dans bien des secteurs d'activité, nous avons beaucoup de gens qui sont sur le point de partir ou ont déjà commencé à le faire. Ils sont encore jeunes et énergiques, ils ont une riche expérience et ils cherchent des moyens d'apporter une contribution un peu partout dans le monde.
C'est la même chose chez les jeunes, chez nos membres qui sont aux études. Ils sont également très intéressés. Il y a donc beaucoup d'intérêt et de participation, et une foule d'activités de financement. Nous constituons des réserves pour faire du très bon travail dans le monde.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Ma question s'adresse à M. Pineau. J'aimerais faire suite aux propos du sénateur Robichaud lorsqu'il a parlé du développement durable.
Je vais toucher un peu à l'environnement. On a appris dernièrement que sous la pression des industriels de l'agrobusiness, la loi forestière brésilienne pourrait être modifiée. Des amendements seront prochainement discutés au congrès et pourraient conduire à la remise en cause du statut de protection d'environ 70 000 hectares, ce qui conduirait à l'émission de 25 millions de tonnes de CO2 dans l'atmosphère.
Les fragiles efforts qui ont permis de réduire le taux de déforestation en Amazonie ces dernières années risquent de voler en éclats avec la remontée des cours des commodités agricoles. S'appuyant sur une demande internationale croissante, les entreprises de l'agrobusiness sont en train de mener un plaidoyer agressif pour relancer la déforestation.
Selon vous, la communauté internationale doit-elle faire pression sur le Brésil afin que les lois existantes ne soient pas affaiblies? Qu'est-ce que le Canada peut faire pour cela? Un jour, si le Canada s'oppose à la déforestation, est-ce que cela pourrait empêcher un accord de libre-échange entre le Canada et le Brésil?
[Traduction]
M. Pineau : Nous devons encourager les autres régions du monde à relever leurs normes et ne jamais abaisser les nôtres. Je tiens à le réaffirmer. Dans ce cas particulier, je dois dire que c'est une très bonne idée que de préserver des zones forestières naturelles. Dans l'ensemble des forêts d'un pays, le niveau d'activité forestière varie, mais une certaine partie des territoires boisés doit être préservée dans son état naturel.
Quand on entoure d'une clôture une zone forestière naturelle, cela ne veut pas nécessairement dire que l'affaire est classée et qu'on n'a plus à s'en occuper. Les forêts subissent des changements très rigoureux et souvent cataclysmiques dont la cause vient d'ailleurs, disons. Les forêts meurent. Elles sont d'abord jeunes, puis elles vieillissent et elles finissent par mourir. À n'importe quel moment, une forêt peut être un émetteur net de carbone ou séquestrer du carbone et des émissions, atténuant ainsi les changements climatiques ou les autres problèmes de notre atmosphère.
Ce n'est pas si simple. Il ne suffit pas de mettre la forêt en réserve et de se dire que tout ira bien. Chez nous, au Canada, par exemple, un grand nombre de nos parcs et de nos zones naturelles ont besoin d'une certaine forme de gestion forestière. Il faut parfois intervenir parce que des éléments extérieurs à la zone naturelle influencent le cours des choses.
Pour répondre expressément à votre question, nous ne devrions certainement pas tolérer, au niveau international, que des zones biologiques, naturelles, à l'écologie fragile, qui ont été protégées fassent l'objet d'empiétements, si c'est bien ce qu'on veut faire dans ce cas-ci. Ce n'est pas parce qu'il y a une occasion de faire de l'argent qu'il faut assouplir les lois ou les règlements. Nous devrions nous exprimer et encourager les bons choix.
Nous n'avons aucune objection contre un prélèvement respectueux des ressources et une gestion durable de la forêt dans l'ensemble d'un pays, mais il faut veiller à ce qu'il y ait tous les niveaux d'utilisation, depuis la protection de zones à l'état naturel jusqu'à une sylviculture très intensive, en passant par toutes les autres possibilités intermédiaires.
Nous devrions faire valoir notre opinion et il doit y avoir des pressions internationales pour que les bons choix soient faits.
[Français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : J'ai été complètement sidérée le jour où j'ai vu à la télévision de quelle façon on procédait à la déforestation. C'étaient des immenses tracteurs qui détruisaient complètement la forêt. Il y avait tous les animaux qui s'enfuyaient. C'était assez impressionnant. Je vous remercie de votre réponse.
[Traduction]
M. Bonnett : Une observation rapide à ce sujet. Vous avez abordé une question qui a été discutée, et les milieux agricoles ont participé à une partie de ce débat. Il s'agit de savoir comment affecter une valeur à d'autres utilisations des sols. Cela ramène le débat sur les changements climatiques et les moyens de séquestrer le carbone, sur la façon de faire intervenir le marché pour que d'autres valeurs soient reconnues, en dehors de la seule valeur productive. Je sais que les milieux agricoles participent passablement à cette discussion.
Nous apporterions une solution dès aujourd'hui, mais c'est l'un de ces enjeux pour lesquels il faut mettre un mécanisme en place, et là encore, un accord international, pour trouver comment traiter la question de la séquestration du carbone et comment amener le marché à servir l'intérêt public.
[Français]
Le sénateur Robichaud : Monsieur Bonnett vous avez parlé de l'agriculture au Brésil. Vous avez dit qu'il y a des opérations très grandes et d'autres très petites. Pouvez-vous nous dire combien de temps les petites pourront rester en opération et qu'elles ne seront pas prises en charge par les grandes opérations?
[Traduction]
M. Bonnett : Je ne crois pas qu'il existe de réponse simple. C'est un problème qui a été cerné. Nous avons eu des échanges avec des organisations agricoles dans cette région du monde. Il y a un conflit entre certaines des grandes exploitations et les petites. Sur le plan intérieur, c'est une question dont le Brésil devra s'occuper.
Les petits producteurs peuvent-ils livrer concurrence sur les grands marchés des denrées? Ils n'en ont pas la capacité. Par contre, on peut envisager de mettre un dispositif en place pour que les petits producteurs puissent exploiter des débouchés sur le marché local. Il peut s'agir de chercher des créneaux sur le marché ou de faire d'autres choses semblables. C'est un problème. Combien de temps les petites exploitations vont-elles survivre? Cela dépendra des mesures prises à l'intérieur du Brésil.
Le sénateur Robichaud : Est-ce qu'on s'en occupe? Fait-on des efforts afin de trouver ces créneaux sur le marché?
M. Bonnett : Il se fait passablement de travail au niveau international pour essayer d'établir un lien entre les petites exploitations agricoles et les marchés, et des organisations comme la FAO, rattachée à l'ONU, étudient la question. Il y a toutefois un lien avec les questions soulevées au sujet de la hausse du prix des aliments. La solution, c'est de s'attaquer à un certain nombre de questions. Il faut améliorer les installations d'entreposage. Dans un certain nombre de pays en développement, il n'est pas rare de subir des pertes de 30 ou de 40 p. 100 pendant l'entreposage. Il faut aborder aussi les questions de l'infrastructure de transport, de l'éducation, de la formation et de l'infrastructure d'irrigation.
Il y a eu quelques réussites par endroits. Je ne sais pas trop ce qu'il en est du Brésil. Je suis au courant de certaines initiatives qui ont donné des résultats dans le sous-continent africain. C'est le type d'approche où on souhaiterait avoir certaines politiques pour les grandes exploitations, mais il faut mettre en place une série d'autres moyens pour les petits producteurs.
Le sénateur Finley : J'ai une question à poser à M. Pineau, si on me permet. Par le passé, j'allais au Brésil très souvent. Je n'y suis pas allé depuis un certain nombre d'années, mais je me souviens d'avoir été absolument renversé par la pauvreté abjecte qui s'étalait dans beaucoup de grandes villes comme Rio de Janeiro, São Paulo et Belo Horizonte. Il y a des logements dans un état de décrépitude incroyable.
Je suis persuadé que le sénateur Mahovlich me corrigera si j'ai tort, car je n'ai pas siégé au Comité de l'agriculture depuis un certain temps. L'industrie forestière canadienne a acquis, avec diverses organisations gouvernementales, la capacité de bâtir en bois d'assez grands bâtiments commerciaux et résidentiels d'un certain nombre d'étages. Il me semble que certaines de ces grandes villes brésiliennes sont un marché idéal pour ce genre de produit.
Y a-t-il un effort concerté de la part des exportateurs canadiens de bois pour exploiter ce créneau en faisant modifier la réglementation, en assurant la formation et en offrant les matériaux?
M. Pineau : Je crois qu'il y a des efforts, mais, que je sache, il n'y a pas d'efforts vigoureux et concertés. En fait, je vais vérifier et vous communiquer une réponse. Je ne suis au courant de rien de particulier, toutefois.
Le sénateur Finley : Je souhaiterais recevoir une réponse, car je suis sûr que le sénateur Mahovlich conviendra qu'on est en train de développer un marché considérable au Québec.
Le Brésil sera l'hôte de deux grandes manifestations mondiales au cours des sept ou huit prochaines années : la Coupe mondiale de la FIFA, qui est la plus grande manifestation au monde, et les Jeux olympiques, qui sont au deuxième ou au troisième rang, selon qu'on est ou non un amateur de hockey. Pendant les Jeux olympiques d'hiver, à Vancouver, le Canada a montré qu'il avait une facilité remarquable pour adapter le bois dans des circonstances tout à fait hors du commun. Savez-vous si nous faisons des efforts pour exporter cette capacité ou offrir ces compétences pour l'un ou l'autre de ces deux programmes d'infrastructure?
M. Pineau : Je ne suis pas au courant, mais je vais me renseigner. Je suis tout à fait d'accord avec vous. J'ai visité l'ovale des Jeux olympiques à Vancouver, et j'ai été fasciné par l'utilisation qu'on avait faite du bois des arbres tués par le dendroctone du pin. Comme chacun le sait, le dendroctone a décimé de nombreuses forêts en Colombie-Britannique. Les constructeurs ont réussi à récupérer ce bois et à l'utiliser dans beaucoup de bâtiments, et c'est très beau. Non seulement le bois est solide, structurellement, mais il est aussi très agréable du point de vue esthétique.
Le sénateur Finley : Le sénateur Mahovlich, qui est connu pour quelques réalisations sportives, à son époque, m'a expliqué avoir remarqué que la respiration était plus facile pour les athlètes lorsque les bâtiments sont faits de matériaux naturels et notamment de bois. Je crois que ce serait un excellent argument de vente pour ce genre d'entreprise.
Merci beaucoup d'avoir pris le temps de répondre à mes questions.
Le vice-président : Au nom du comité, je remercie les témoins. Nous vous savons gré de vos exposés réfléchis et des réponses que vous nous avez données aujourd'hui. Je vous demande de bien vouloir communiquer les renseignements supplémentaires à la greffière, qui les distribuera à tous les membres du comité.
Honorables sénateurs, nous aurons deux séances la semaine prochaine. L'information a été envoyée à vos bureaux. Merci beaucoup.
(La séance est levée.) |