Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
Fascicule 11 - Témoignages du 3 juin 2009
OTTAWA, le mercredi 3 juin 2009
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui à 16 h 15 pour poursuivre son étude de l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.
Le sénateur Consiglio Di Nino (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je souhaite la bienvenue à tous à cette réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Le comité poursuit son étude spéciale de l'émergence de la Chine, de l'Inde et de la Russie dans l'économie mondiale et des répercussions sur les politiques canadiennes.
Comparaît aujourd'hui devant le comité, par vidéoconférence, M. Raaj Tiagi. Il est économiste principal au R.J. Addington Center for the Study of Measurement de l'Institut Fraser. M. Tiagi a une maîtrise et un doctorat en économique de l'Université de Californie à Irvine. Il est le coauteur, avec M. Lu Zhou, du rapport intitulé Canada's Economic Relations with China.
Raaj Tiagi, économiste principal, R.J. Addington Center for the Study of Measurement, l'Institut Fraser : Je voudrais d'abord vous remercier tous de m'avoir invité à présenter ce rapport. Je crois que vous avez déjà reçu copie de mon exposé et je vais le présenter rapidement.
Le message clé que nous essayons de transmettre est que, même si les relations économiques du Canada avec la Chine ont connu une croissance importante depuis environ une décennie, il y a encore énormément de place pour l'amélioration dans les relations commerciales entre les deux pays.
Compte tenu du temps dont je dispose, je voudrais vous parler des trois aspects clés de ces relations. Ce sont le commerce des marchandises avec la Chine, le commerce des services entre le Canada et la Chine et l'investissement étranger direct Canada-Chine. Je ferai ensuite une brève comparaison entre le Canada et ses concurrents et j'exposerai les répercussions sur le plan des politiques pour le Canada.
Le premier aspect de ces relations dont je voudrais vous parler, c'est le commerce des marchandises avec la Chine. Comme vous pouvez le voir au tableau 1, à la page 4 de l'exposé, le commerce des marchandises entre le Canada et la Chine est extrêmement restreint, représentant environ 6 p. 100 du commerce total du Canada en 2007. Les États-Unis sont de loin le principal partenaire commercial du Canada, représentant environ les deux tiers du commerce total du Canada en 2007. Cependant, si l'on examine l'évolution au fil des années, il est certain que le commerce avec la Chine a augmenté. Il représentait environ 2 p. 100 du commerce total du Canada en 1998 et se situait à 6 p. 100 en 2007. Les exportations vers la Chine ont connu une hausse spectaculaire. En fait, entre 1998 et 2007, les exportations ont augmenté d'environ 250 p. 100. En 2007, la Chine était le troisième partenaire commercial du Canada. Les importations ont augmenté considérablement entre 1998 et 2007, et la Chine vient au deuxième rang comme source des importations au Canada, c'était du moins le cas en 2007.
La croissance plus rapide des importations provenant de Chine par rapport aux exportations vers la Chine a entraîné d'énormes déficits commerciaux avec la Chine; le déficit commercial avec la Chine était de 135 milliards de dollars en 2007. Cependant, si l'on fait une répartition du commerce du Canada avec la Chine selon les provinces, l'Ontario semble avoir le plus gros déficit commercial avec la Chine, mais il y a des provinces comme l'Alberta et la Saskatchewan qui ont en fait enregistré de petits surplus commerciaux.
Voyons maintenant brièvement les exportations du Canada vers la Chine. Elles consistent principalement en des minéraux et des produits forestiers, la pâte à papier représentant quelque 60 p. 100 des exportations canadiennes. Les importations de Chine sont des produits manufacturés. Les ordinateurs et l'équipement représentent la plus grande partie des importations provenant de Chine.
Le deuxième aspect des relations économiques dont je veux vous parler est le commerce des services avec la Chine. Là encore, comme pour le commerce des marchandises, le commerce des services avec la Chine est très minime; il représente environ 1 p. 100 du commerce total des services du Canada en 2005. C'est la dernière année pour laquelle nous disposons de données. Avec le temps, le commerce des services a certainement augmenté, mais si vous examinez les importations de services, elles ont augmenté, mais pas autant que les importations de marchandises.
Quant aux exportations de services, elles ont également augmenté beaucoup, mais encore une fois, pas autant que les exportations de marchandises vers la Chine et ce, pour la période comprise entre 1998 et 2005. Cependant, ce qui est différent dans les exportations de services, par rapport aux exportations de marchandises, c'est que le Canada a en fait un surplus dans le commerce des services avec la Chine.
Le troisième aspect de cette relation dont je vais vous parler rapidement est celui des investissements étrangers directs. De 1998 à 2007, les investissements du Canada en Chine ont augmenté de façon spectaculaire, soit de 300 p. 100, et atteignaient environ deux milliards de dollars canadiens en 2007; ce chiffre est certainement très bas si l'on compare aux investissements aux États-Unis, qui se chiffrent à environ 226 milliards de dollars. Par contre, les investissements de la Chine au Canada ont également augmenté d'environ 170 p. 100 et représentaient environ 928 millions de dollars canadiens en 2005.
Comment le Canada se compare-t-il à d'autres pays? Nous avons examiné le cas de l'Australie, parce que l'Australie ressemble au Canada sur le plan des ressources et de l'économie. Nous avons constaté que les échanges économiques entre l'Australie et la Chine semblent mieux équilibrés que ceux entre la Chine et le Canada. Si l'on examine le ratio importation/exportation avec la Chine ou la croissance du déficit commercial, on constate que le Canada semble importer plus de la Chine et y exporter moins; l'Australie semble exporter plus vers la Chine et importer moins, et le déficit commercial du Canada avec la Chine a augmenté tellement plus qu'en Australie.
Si l'on examine la situation d'un autre angle, là encore, l'Australie semble en meilleure posture que le Canada dans ses relations avec la Chine. Encore une fois, la Chine importe plus de l'Australie que du Canada et exporte à peu près autant en Australie et au Canada.
J'insiste sur le fait que le but de cette comparaison n'est pas d'affirmer que le commerce devrait être équilibré entre les deux pays ou que le commerce entre le Canada et la Chine ne reflète pas la réalité économique, mais simplement de montrer qu'il y a des possibilités inexploitées qui permettraient de renforcer les avantages du commerce et d'enrichir les deux pays.
Qu'est-ce que tout cela veut dire pour le Canada et ses relations économiques avec la Chine? Je pense que cela veut simplement dire que le Canada doit accroître et diversifier son commerce avec la Chine. En particulier, le Canada devrait exploiter le potentiel des villes intérieures de deuxième et de troisième plans en Chine, et le Canada doit commercialiser ses nouveaux produits de son secteur de la vente au détail, ses nouvelles technologies et augmenter le commerce des services avec la Chine.
Je pense qu'il est important pour le Canada de signer l'accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers avec la Chine. Cela aiderait certainement à augmenter considérablement les investissements des deux côtés. Le Canada n'a pas le statut de destination approuvée en Chine et la signature de cet accord permettrait au Canada de profiter du lucratif marché du tourisme chinois.
Le sénateur Stollery : Dans votre exposé, j'ai été frappé par le fait que seulement 66 p. 100, vous avez dit un peu plus des deux tiers, de notre commerce se fait avec les États-Unis, tandis qu'il y a trois ans, c'était 86 p. 100; notre commerce avec ce pays a donc diminué énormément, de 20 p. 100. Pour établir le contexte de mon propos, je signale que l'économiste principal de Goldman Sachs International m'a dit que la contribution chinoise à la demande intérieure mondiale et à la croissance du PIB mondial sera supérieure à celle de l'UE et des États-Unis combinés.
Vos prévisions corroborent et font ressortir l'état de notre propre commerce. Les États-Unis sont à seulement 50 milles au sud d'Ottawa, et pourtant notre commerce a baissé de quelque 20 p. 100 durant cette brève période. Il est de seulement 6 p. 100 avec la Chine, mais ce chiffre représente probablement une hausse importante au cours des trois dernières années. Ai-je raison?
M. Tiagi : C'est exact.
Le sénateur Stollery : Que devrions-nous faire, d'après vous? Nous savons tous que les États-Unis sont en période de déclin relatif. Personne ne soutient ou ne soutiendra jamais que les États-Unis ne seront pas toujours un important client pour le Canada, comme nous le serons pour les États-Unis, puisque nous sommes voisins, mais la situation doit être prise au sérieux. Il me semble que nous devrions prendre la Chine plus au sérieux que nous ne l'avons fait. Que pensez-vous de cet énoncé?
M. Tiagi : C'est exactement ce que nous essayons de faire valoir dans ce rapport. Ce n'est pas comme si nous devions accroître notre commerce avec la Chine au détriment de notre commerce avec les États-Unis.
Le sénateur Stollery : Personne n'argumenterait en ce sens.
M. Tiagi : Nous devrions prendre des mesures pour renforcer nos relations avec les États-Unis également et nous demander pourquoi le commerce a diminué ces dernières années avec les États-Unis. Cependant, parallèlement, il y a un potentiel et le Canada peut accroître ses relations commerciales avec la Chine.
Dans le rapport, nous faisons ressortir de nombreux ratios. Par exemple, nous examinons la propension à l'exportation et nous en concluons que nous avons énormément de marge de manoeuvre pour augmenter nos exportations vers la Chine et que nous devrions le faire, et c'est exactement ce que j'ai essayé de faire ressortir dans notre mémoire.
Le sénateur Stollery : Monsieur le président, je crois que les chiffres se passent de commentaires et je cède volontiers la parole au prochain intervenant.
Le président : Il existe de nombreuses barrières au commerce. Je voudrais connaître vos réflexions sur les barrières non tarifaires qui font obstacle aux exportations vers la Chine et d'autres pays. Pourriez-vous nous dire quelles sont, à votre avis, les barrières non tarifaires les plus difficiles à surmonter que la Chine érige pour décourager l'importation de produits canadiens?
M. Tiagi : C'est un problème qu'il faut résoudre. C'est pourquoi nous traitons aussi dans notre rapport d'autres accords qui doivent être mis en place pour augmenter les échanges commerciaux avec la Chine. Par exemple, nous traitons de l'accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers qui doit être en place pour surmonter tous ces obstacles auxquels nous sommes confrontés dans nos relations commerciales avec la Chine. Ce serait un pas dans la bonne direction et cela aiderait à augmenter le commerce entre les deux pays.
Le sénateur Wallin : D'après votre résumé, notre commerce avec les États-Unis représente les deux tiers de notre commerce total, mais représente 80 p. 100 de notre commerce des marchandises et 58 p. 100 dans le secteur des services.
Ma question porte sur le niveau de la dette américaine détenu par la Chine. Dans quelle mesure croyez-vous que cela représente un avantage ou un désavantage?
M. Tiagi : Nous n'avons pas abordé cette question dans notre rapport. Je ne sais pas quoi dire, car nous n'avons pas traité de cela dans notre rapport. Je ne veux pas faire de commentaires.
Le sénateur Andreychuk : Vous avez fait des comparaisons avec l'Australie. Si ma mémoire est fidèle, l'Australie a délibérément choisi de concentrer ses efforts en matière de commerce et d'investissement sur l'Asie et a réduit ses activités ailleurs dans le monde. Autrement dit, les Australiens ont concentré leurs activités, ont fermé certaines ambassades et ont injecté plus d'argent dans leurs efforts en Chine à la fin des années 1980. Il est certain que la Chine était au premier plan dans leur analyse et leur planification, parce qu'ils voulaient s'implanter non seulement sur le marché chinois, mais aussi dans tous les pays connexes qui peuvent avoir des liens ou un préjugé favorable avec la Chine.
Dans quelle mesure le Canada fait-il du rattrapage? Que devons-nous faire pour effectuer notre rattrapage, à part les gestes normaux que vous décrivez, par exemple de mettre les accords en place, ce avec quoi je suis d'accord? Que pouvons-nous ou devons-nous faire pour rattraper notre retard par rapport à d'autres qui se sont déjà positionnés et qui ont mis quelque 20 ou 30 ans pour le faire?
M. Tiagi : J'ai mentionné dans mon exposé que les villes intérieures de Chine ont une croissance très rapide actuellement. Une façon de tirer profit de cette croissance serait d'ouvrir des bureaux de commerce dans ces villes. C'est une excellente manière d'avoir des représentants sur place, dans ces villes qui croissent rapidement. Ces villes auront bientôt cinq millions de consommateurs et nous devons être présents pour y vendre nos produits. Ouvrir des bureaux de commerce serait un bon point de départ. C'est aussi simple que cela.
Le sénateur Andreychuk : Dans le passé, nos échanges commerciaux avec la Chine portaient surtout sur les ressources. Qu'est-ce qui pourrait être une innovation clé pour le Canada? Serait-ce dans les services, le commerce, ou une nouvelle forme de négociation dans le secteur des ressources?
M. Tiagi : Les services sont certainement un élément clé. Comme vous pouvez le voir, le commerce des services avec la Chine est extrêmement limité. À mesure qu'il y aura de plus en plus de gens dans les classes moyennes en Chine, la demande de services augmentera. Le Canada peut fournir ces services, par exemple dans les domaines de l'éducation, des télécommunications, et cetera. Les services sont un domaine clé dans lequel le Canada peut améliorer ses liens avec la Chine.
Le sénateur Andreychuk : Cela va dans les deux sens, bien sûr. Nous avons accueilli beaucoup d'étudiants chinois au Canada. Avons-nous profité de cette occasion pour établir des liens avec ces étudiants? Quand nous avions des bourses du Commonwealth, cela rapportait sous forme de liens et de relations que nous avions avec les pays d'origine de ces étudiants, quand ils étaient recrutés pour occuper des postes clés. Est-ce que quelqu'un fait le suivi pour savoir quels postes occupent dans l'économie chinoise ces Chinois qui sont venus faire leurs études au Canada? Y a-t-il des données qui nous permettraient de trouver ces étudiants et d'établir des liens d'affaires avec eux?
M. Tiagi : Nous avons examiné le cas des étudiants chinois qui viennent faire leurs études chez nous, mais nous n'avons pas suffisamment de données pour savoir où ces gens-là s'établissent ensuite. En fait, j'ai essayé d'inclure ces données, mais elles étaient trop fragmentaires. À mes yeux, c'est un élément important de l'équation. Nous pourrions voir s'il y a des liens établis entre les deux pays, mais nous n'avions pas suffisamment de données.
Le sénateur Downe : Vous avez dit que nous devrions établir des bureaux de commerce dans certaines villes de taille moyenne en Chine. Avez-vous fait une évaluation de l'investissement que cela exigerait de la part du gouvernement?
M. Tiagi : Non, je l'ignore. Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question, je suis désolé.
Le sénateur Downe : L'Institut Fraser n'a pas fait d'analyse coût-avantage à ce sujet?
M. Tiagi : Non, nous ne l'avons pas fait.
Le sénateur Downe : Avez-vous fait une analyse de la capacité qu'il nous faudrait au gouvernement du Canada et dont nous ne disposons pas actuellement pour promouvoir notre commerce avec la Chine, autre que ces bureaux de commerce?
M. Tiagi : Non, pas vraiment. Ce rapport-ci est le premier d'une série de rapports que nous prévoyons rédiger sur nos relations avec la Chine. Nous avons pensé que nous commencerions par établir les renseignements factuels de base sur nos relations économiques avec ce pays, et qu'ensuite nous examinerions différents aspects et ferions une analyse plus détaillée dans le sens de ce que vous avez évoqué, par exemple une analyse avantage-coût. À l'heure actuelle, nous n'avons pas fait d'autres travaux sur cette relation.
Le sénateur Zimmer : Je veux aborder la question sous un angle un peu différent, celui des relations culturelles et multiculturelles, qui favorisent les relations commerciales. À titre d'ancien président du Royal Winnipeg Ballet, je suis conscient de la valeur des actifs culturels et multiculturels. Je sais que cela peut renforcer les liens commerciaux. En même temps, il existe diverses associations commerciales canadiennes comme le Conseil commercial Canada-Chine et le Conseil commercial Canada-Inde, qui ont comparu devant le comité.
Pourriez-vous nous dire plus précisément ce qui ne se fait pas mais qui devrait se faire pour exploiter ou explorer les atouts culturels et multiculturels que possède actuellement le Canada et qui pourraient renforcer les relations commerciales?
M. Tiagi : Encore là, j'aimerais explorer cet angle particulier, mais nous n'avons pas vraiment suffisamment de données. Nous pourrions examiner la situation des immigrants chinois et voir quel type d'entreprises ils établissent au Canada. Je suis certain que ces entreprises ont des liens dans leurs propres secteurs avec la Chine à certains égards, parce que les gens originaires de Chine ont des liens avec leur parenté ou partenaires d'affaires en Chine. Ce serait un bon point de départ que d'examiner les immigrants chinois qui ont choisi de s'établir au Canada et d'étudier cet aspect culturel.
Nous n'avons pas vraiment abordé cela dans le rapport parce que c'était difficile à mesurer.
Le sénateur Zimmer : Le ballet emploie plusieurs danseurs de Chine et c'est extraordinaire de voir à quel point l'auditoire chinois a augmenté simplement parce que le ballet compte des danseurs chinois dans ses effectifs. Le nombre d'abonnés a augmenté et cela renforce les liens que nous avons avec eux. Nous devrions explorer cet aspect.
Le président : Je voudrais une précision. Le résumé que vous nous avez remis est daté de février 2009. Quand avez-vous fait votre étude?
M. Tiagi : Nous avons commencé l'étude en octobre 2008.
Le président : Les changements survenus dans la situation économique mondiale depuis cette date entraîneraient-ils des changements à vos réflexions qui sont consignés dans votre rapport?
M. Tiagi : Ces changements sont momentanés car nous savons que les économies connaissent des hauts et des bas. Quoi qu'il en soit, la Chine est en croissance. Il y aura une forte demande pour les ressources naturelles et tous les autres produits. Encore une fois, nous devons accroître notre commerce avec la Chine parce que nous savons tous que les États-Unis ont connu un ralentissement, tandis que l'économie chinoise est demeurée comparativement forte. Je ne changerais pas mes conclusions.
Le sénateur Wallin : Je me rends compte que vos travaux portent vraiment sur les mesures, mais je vais essayer d'aborder la question sous un autre angle et je verrai bien si c'est pertinent.
Sur la question des partenariats et des gens qui font des affaires en Chine depuis longtemps, la principale préoccupation est le temps qu'il faut pour établir un partenariat et le fait qu'on insiste tellement là-dessus, ce qui n'est pas nécessairement facile pour un organisme gouvernemental. Est-ce que cela change? Avez-vous mesuré cet aspect?
M. Tiagi : Nous n'avons rien mesuré de cela. Nous avons eu des entretiens avec des gens quand je faisais mon étude et je conviens que c'est certainement un problème et qu'il faut assurément étudier la question.
Le sénateur Stollery : J'ai été impressionné l'autre jour, comme l'ont été, je crois, les autres membres du comité, par la comparution de témoins de la communauté agricole. Comme vous le savez, les Chinois sont les plus grands consommateurs de porc au monde et la Chine est le plus grand marché pour le porc. Nos producteurs de porc semblent s'être placés en difficulté parce qu'ils utilisent pour élever leurs porcs un produit chimique qui est inacceptable pour les Chinois et les Malais. Je suis sûr que je n'ai pas été le seul à avoir été pris de cours.
Sous la rubrique générale des normes — les gens jonglent avec les normes dans les négociations commerciales internationales — le problème se résume au fait qu'on utilise le même produit chimique qu'on utilisait il n'y a pas si longtemps pour le boeuf, pour le rendre plus maigre. On donne ce produit aux porcs pour les rendre plus maigres, pour augmenter leur poids au moment de la vente. Malheureusement, si j'ai bien lu, en Malaisie, on considère que c'est cancérigène, et la Chine ne permet pas l'importation de porcs canadiens, comme on nous l'a dit l'autre jour. Avez-vous des conseils à donner à ces éleveurs?
M. Tiagi : Nous n'avons pas abordé ces questions, mais je me rends compte qu'il y a différents obstacles commerciaux qu'il nous faudra surmonter. Nous n'avons pas seulement de tels obstacles avec la Chine, mais nous en avons avec d'autres pays aussi et nous devons trouver un terrain d'entente. Nous avons plein de données empiriques montrant qu'il y a d'énormes avantages à accroître le commerce.
Le sénateur Andreychuk : On nous a dit que nos concurrents en Chine sont les Australiens, les Européens et les Américains. À quoi devrions-nous accorder de l'attention si nous voulons augmenter nos exportations de produits ou même de services? Qu'apportons-nous qui nous distingue de nos concurrents, lesquels semblent avoir des contextes historiques semblables, et l'on me dit que leurs produits ressemblent aux nôtres également?
M. Tiagi : Chose certaine, je crois que nous avons beaucoup de ressources naturelles. Je sais que l'Australie a des ressources naturelles également. Je crois que ce qu'il faut retenir, c'est que les villes intérieures croissent rapidement. Je pense que nous pouvons puiser dans ce marché avant qu'il ne devienne saturé. Nous avons des ressources naturelles et nous savons que la Chine en a besoin, et c'est ce que nous avons à apporter.
Le président : Nous commémorons ces jours-ci le 20e anniversaire du massacre de la Place Tiananmen, cette tragique soirée il y a 20 ans où beaucoup ont perdu la vie. La Chine a signé de nombreux accords internationaux sur les droits de la personne, la justice et les libertés.
Existe-t-il un rôle que l'on peut définir quand on traite avec un autre pays qui est orienté sur le commerce et les investissements, pour ce qui est de l'influence que l'on peut avoir sur le traitement qu'un autre pays réserve à sa population ou quant au respect des droits de la personne dans ce pays? Avez-vous une opinion là-dessus?
M. Tiagi : Nous avons écarté de l'équation la question des droits de la personne quand nous avons examiné nos relations avec la Chine parce que c'est un élément subjectif et que nous ne pouvons pas vraiment le mesurer. Cependant, je crois que si l'on traite avec la Chine sur le plan économique, il y a moyen de régler ces autres questions. Je dirais que sur le plan économique, telle est la problématique.
Le président : Je tiens à vous remercier pour votre très aimable contribution à nos délibérations. Encore une fois, je m'excuse d'avoir commencé notre réunion en retard. Nous vous exprimons notre gratitude et avons hâte de vous recevoir de nouveau au comité. Je suis sûr que cela va arriver. Merci beaucoup.
Notre deuxième témoin aujourd'hui, également par vidéoconférence, est Mme Andrea Mandel-Campbell, journaliste expérimentée spécialisée dans le monde des affaires internationales et la compétitivité mondiale. Elle est l'auteur d'un livre que la plupart d'entre nous ont lu, sinon tous, grâce aux bons offices de notre vice-président, intitulé Why Mexicans don't drink Molson, pour lequel elle a été finaliste pour l'attribution du Prix Shaughnessy Cohen pour une oeuvre politique décerné par la Société d'encouragement aux écrivains du Canada.
Madame Mandel-Campbell, bienvenue au Sénat. Nous avons hâte d'entendre vos observations, après quoi nous inviterons les membres du comité à vous poser des questions.
Le greffier me dit que nous devrions vous faire savoir que vous êtes enregistrée. Cela vous convient-il?
Andrea Mandel-Campbell, auteure, à titre personnel : Je n'ai pas d'objection.
Le président : Vous avez la parole.
Mme Mandel-Campbell : En guise de préambule, je voudrais dire que j'ai passé beaucoup de temps à l'étranger et consacré une bonne partie de ma carrière à étudier la compétitivité mondiale, en essayant d'évaluer le Canada dans ce contexte, de jauger la compétitivité des compagnies canadiennes et de l'industrie canadienne. Je tiens à signaler que l'Inde et la Russie, en particulier, ne sont pas ma spécialité, car je ne suis jamais allée dans ces pays, mais j'espère pouvoir vous brosser un tableau général de la situation.
Je crois qu'il est crucial pour le Canada de pouvoir tirer profit des marchés mondiaux. Dans mon livre, j'exprime les inquiétudes que j'avais de nous voir tellement dépendants d'un seul marché, celui des États-Unis. Je donnais en exemple les secteurs de l'automobile et des forêts.
J'écrivais des articles à ce sujet en 2003, quand je commençais mes recherches. Malheureusement, beaucoup d'éléments se sont avérés, pour beaucoup de raisons différentes. Il est crucial que les compagnies canadiennes soient présentes dans d'autres pays, parce que c'est toujours dangereux pour n'importe quel pays de mettre tous ses oeufs dans le même panier.
Je signale qu'on a annoncé aujourd'hui que l'Australie a eu une croissance positive du PIB pour le premier trimestre de 2009. C'est essentiellement le seul pays de l'OCDE qui a été en mesure d'éviter une récession technique, et c'est en fait le seul pays de l'OCDE qui ait connu une croissance positive. En fait, ce pays a connu des exportations records — enfin, la deuxième meilleure année pour les exportations, après 1961. Les matières premières en représentent une grande partie, surtout le charbon, le minerai de fer et les denrées agricoles. L'Australie croit vraiment au commerce libre et ouvert et a fait de nombreuses réformes qui lui ont permis d'en tirer profit. Ce pays a une attitude d'ouverture et cherche à être compétitif dans tous les marchés du monde, et cela a mis ce pays en bonne posture. Pour l'avenir, ce devrait être un élément crucial pour le Canada sur le plan de sa capacité de créer de la prospérité et de maintenir notre niveau de vie.
Le président : Vous avez parlé d'une attitude de franche ouverture. Pourriez-vous nous en dire plus long là-dessus?
Mme Mandel-Campbell : Dans le cas de l'Australie, en particulier, ce pays a vraiment adopté le libre-échange en ce sens qu'il est à la tête des pays du Groupe de Cairns, qui se sont débarrassé de beaucoup de subventions agricoles et de droits de douane et d'autres mesures auxquelles nous, au Canada, continuons de nous accrocher. Les Australiens ont été d'ardents partisans du libre-échange qu'ils ont défendu beaucoup plus énergiquement sur la scène mondiale et c'est pourquoi ils ont, dans bien des cas, remplacé le Canada en termes d'importance dans le Cycle de Doha.
Le Canada a été retranché de ce qu'on appelle le « groupe des quatre ». Nous étions l'un des quatre grands pays qui ont imprimé l'élan au GATT et aux cycles de négociation qui se sont succédé par la suite en direction du libre-échange. L'Australie nous a remplacés dans une grande mesure. C'est ce pays qui est maintenant le point de référence. Dans le débat et les négociations dans ce domaine, le monde se tourne maintenant plus vers eux que vers nous, à mon avis.
Ils ont en ce moment même des négociations de libre-échange avec la Chine et ont déjà conclu plusieurs accords de libre-échange avec des pays comme Singapour que nous avons nous-mêmes dans notre mire depuis longtemps. Ils ont été beaucoup plus énergiques dans la poursuite du libre-échange.
Le président : Cela donne à mes collègues une bonne amorce en vue d'un bon débat.
Le sénateur Downe : Vous avez dit dans votre allocution que l'Australie a fait de nombreuses réformes. Pourriez-vous nous en parler?
Mme Mandel-Campbell : Ces réformes touchent tous les domaines, depuis le commerce jusqu'à l'agriculture en passant par l'innovation. Les Australiens ont adopté un mode de fonctionnement qui est toujours axé sur le consommateur, qu'il s'agisse d'une compagnie, d'une institution gouvernementale ou même d'un laboratoire national.
Cela ne veut pas nécessairement dire qu'ils fonctionnent toujours grâce à des subventions gouvernementales. Leur laboratoire national, par exemple, est financé par les frais payés par les clients; il travaille avec des compagnies australiennes et internationales qui font de la recherche et de l'innovation.
Un bon exemple est celui de l'agriculture, où les Australiens sont à l'avant-garde de la recherche dans le domaine des variétés cultivées et de la génétique. Ils y sont parvenus en créant une entité indépendante du gouvernement qui travaille en étroite collaboration avec l'industrie et les utilisateurs finaux.
Comme leur gouvernement est plus centralisé que le nôtre, ils ont réussi à concentrer leurs diverses ressources dans différentes universités; c'est un modèle convivial axé sur la consommation du produit fini. Cela leur a permis d'être à l'avant-garde des recherches en génétique pour les cultures, par exemple. À bien des égards, ils sont devenus des chefs de file mondiaux.
Le sénateur Downe : Dans quelle mesure ce qu'ils ont fait est-il transférable au Canada? Pour l'agriculture, par exemple, vous avez évoqué l'élimination des droits de douane. Le grand avantage que nous avons sur le plan du commerce est que nous sommes les voisins des États-Unis, la plus grande économie du monde. C'est aussi un handicap quand on doit rivaliser avec leurs subventions agricoles. Par exemple, au Canada, nous avons un système de gestion de l'offre pour les produits laitiers qui permet aux agriculteurs canadiens de recevoir un rendement élevé sur leur investissement. Cela disparaîtrait si nous éliminions les droits de douane.
L'Australie n'est limitrophe d'aucun autre pays; elle doit exporter ou importer. Dans quelle mesure ce que les Australiens ont fait peut-il s'appliquer au Canada, à votre avis?
Mme Mandel-Campbell : C'est transférable dans une grande mesure. Je ne peux pas vous dire le nombre d'entrepreneurs et d'agriculteurs canadiens que je rencontre dans le cadre de mon travail et qui me parlent des possibilités d'affaires dont ils aimeraient profiter, mais ils ne le peuvent pas. Dans le secteur laitier, ils sont empêchés d'exporter; ou quand il s'agit de la Commission du blé, ils sont empêchés de prendre différentes initiatives en tant que gens d'affaires à cause de la domination totale de la Commission du blé dans ce secteur.
À mon humble avis, je pense que la raison pour laquelle l'Australie a réussi à faire un bond en avant est le simple fait que ce pays a supprimé dans son secteur agricole beaucoup des contraintes que nous avons encore au Canada.
La Nouvelle-Zélande est un chef de file mondial dans le secteur laitier. Je pense que le secteur laitier privé de ce pays est le plus grand fournisseur du monde. Ils sont à l'autre bout du monde, c'est un pays extrêmement isolé et cela ne les a certainement pas empêchés de connaître le succès.
Le sénateur Wallin : Cela fait deux ans que votre livre est sorti et, quand vous parlez d'une « troisième option recalibrée », pensez-vous que nous avons fait des progrès sur ce plan, en amorçant des discussions avec l'UE et en prenant d'autres initiatives?
Mme Mandel-Campbell : Oui, absolument. En fait, je pense que ce sont d'excellentes initiatives et je les appuie sans réserve. Je pense que nous aurions dû donner suite aux pourparlers avec l'UE et je pense aussi que nos initiatives avec la Colombie et le Pérou sont fabuleuses. Franchement, nous pouvons tirer profit du fait qu'il y aura à mon avis aux États-Unis un blocage des initiatives de libre-échange qui étaient traitées de façon super accélérée sous l'administration Bush. Je pense que ce sera bloqué pendant un certain temps et que cela nous offre d'immenses possibilités, surtout que dans le cas de l'Amérique latine, du Pérou et de la Colombie, ce sont des pays où il y a déjà des intérêts canadiens immenses. À bien des égards, je crois que cela ne peut qu'être avantageux pour nous.
Le sénateur Wallin : Nous avons suivi l'évolution de compagnies comme Power Corporation du Canada, qui est présente en Chine depuis longtemps. D'autres y sont allées et ont essayé d'opérer le virage plus rapidement et n'arrivent pas vraiment à conclure le partenariat qui est obligatoire. Percevez-vous des changements du côté chinois?
Mme Mandel-Campbell : Que voulez-vous dire par « le côté chinois »?
Le sénateur Wallin : Je veux dire les exigences du gouvernement, l'obligation d'avoir un certain pourcentage, qui change constamment, de participation, un partenariat, de l'argent, la présence du gouvernement, à tout le moins des partenaires du secteur privé chinois, mais habituellement la présence du gouvernement est requise.
Mme Mandel-Campbell : J'ai le sentiment que la participation gouvernementale dans l'économie chinoise, même si elle est toujours considérable d'après nos critères à nous, a en fait beaucoup diminué et que c'est beaucoup plus le secteur privé qui a le dernier mot dans bien des cas. Dans le secteur des services financiers, c'est un peu différent. Il semble que les autorités puissent dire aux banques de prêter, et elles prêtent.
Je dirais que dans mes conversations avec des Chinois, ces derniers me disent que l'économie est beaucoup plus dominée par le secteur privé que les gens ne s'en rendent compte. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas beaucoup de subtilités cachées; il est certain qu'il y en a.
L'autre question que les compagnies canadiennes doivent poser, c'est pourquoi elles s'en vont là-bas et dans quelle mesure c'est rentable d'aller en Chine. Elles doivent se demander si elles vont là-bas pour profiter du marché intérieur chinois, ou si elles veulent simplement délocaliser leurs activités. Beaucoup de chiffres indiquent que la Chine n'a plus un ratio coût-efficacité aussi favorable qu'avant et que c'est peut-être 8 p. 100 ou 9 p. 100 moins cher qu'aux États-Unis. Le pays qui a le meilleur avantage sur le plan des coûts est peut-être le Mexique.
Le sénateur Wallin : Même la Chine délocalise des activités dans ces pays voisins où les salaires sont plus bas.
Mme Mandel-Campbell : Exactement, notamment au Vietnam.
Le sénateur Wallin : Je voudrais votre avis sur ce dernier point, à cause du secteur dans lequel vous travaillez. Nous savons que les titres américains détenus par les Chinois représentent un montant absolument renversant, à tel point que Tim Geithner est à bord d'un avion en ce moment même pour en discuter et rassurer tout le monde.
Quelle en est l'importance sur le plan mondial, à la fois pour les États-Unis et pour la Chine?
Mme Mandel-Campbell : Je pense que c'est effectivement préoccupant. Je sais qu'il y a un mouvement en faveur de l'établissement d'une nouvelle devise de réserve, autre que le dollar américain. À vrai dire, je ne crois pas que ce soit très réaliste dans un avenir rapproché. Est-ce que je prévois une dévaluation du dollar américain? Probablement. D'aucuns estiment qu'elle atteindra environ 50 p. 100 au cours des cinq prochaines années, à peu près. Cela a assurément d'immenses répercussions pour le Canada; il n'y a aucun doute là-dessus.
Pour ce qui est du rééquilibrage du monde où il existe des inégalités flagrantes qui ont bien sûr alimenté en grande partie les bouleversements auxquels nous assistons, je ne suis pas certaine d'entrevoir un changement du portrait, à vrai dire. Les Chinois que je connais aimeraient restructurer leur modèle pour qu'il ne soit plus autant axé sur l'exportation et qu'il y ait davantage de consommation intérieure, mais il y a un détail intéressant dans tout cela et c'est que plus les taux d'intérêt baissent, plus les Chinois ont tendance à épargner. Ils se disent que pour faire plus d'argent, ils doivent mettre plus d'argent de côté pour en gagner plus même si les taux d'intérêt sont plus bas.
Ce qui m'inquiète, c'est que j'ignore dans quelle mesure nous réussirons à rétablir ces déséquilibres mondiaux, qui ont exacerbé beaucoup des problèmes actuels. J'entrevois, comme je le disais, une dépréciation du dollar US et une montée des taux d'intérêt, assurément, et cela provoque l'inflation.
Le sénateur Stollery : C'est une grande discussion, en ce sens que notre témoin a parlé du Cycle de Doha et de l'agriculture et, au point où nous en sommes, je vais ennuyer les gens en disant que Don Macdonald a déclaré dans son rapport sur l'économie en 1983 ou 1984 que les deux éléments les plus difficiles à négocier sont la culture et l'agriculture. Je rappelle à notre témoin que le Cycle de Doha porte essentiellement sur l'agriculture.
Mme Mandel-Campbell : Oui.
Le sénateur Stollery : J'étais avec notre président aux rencontres ministérielles à Hong Kong et, comme je le dis souvent à mes amis, il y avait 10 000 délégués et 9 500 d'entre eux étaient là pour veiller à ce que rien ne se passe. C'est une sorte de face à face mexicain. Vous avez passé du temps au Mexique et vous comprendrez donc ce que je veux dire par là. Au Mexique, ils se tirent dessus sans crier gare.
Mme Mandel-Campbell : Oui, j'allais dire qu'ils font couler le sang.
Le sénateur Stollery : Vous avez parlé de la Commission du blé. Je ne pense pas que la Commission du blé n'ait jamais été un facteur dans les négociations commerciales. Je pense que les offices de commercialisation ont été un facteur dans les négociations commerciales. Comme vous le savez, les offices de commercialisation, en particulier dans le domaine du lait, ont perdu leur cause à l'OMC, mais pas contre les États-Unis, comme certains le croient, mais plutôt contre la Nouvelle-Zélande. Cela s'est révélé un important obstacle à la participation du Canada au Groupe de Cairns, dont nous faisions partie.
Je pense que le Canada devrait en faire beaucoup plus pour affronter ce géant émergent que nous appelons la Chine.
Nous avons reçu les producteurs de porc et nous avons discuté des exportations agricoles; le Canada est le cinquième ou sixième exportateur agricole. Nous avons constaté que les producteurs de porc donnent de la ractopamine à leurs porcs; c'est un médicament favorisant l'accumulation de protéines. Cela veut dire que l'on peut faire plus d'argent en vendant les porcs parce que les protéines pèsent plus que le gras, mais c'est considéré carcinogène en Malaisie et c'est interdit en Chine, qui est le plus grand consommateur de porc au monde.
Avez-vous des recommandations à faire aux producteurs canadiens de porc, s'ils veulent encourager leurs exportations en Chine?
Mme Mandel-Campbell : J'ai peur de la deuxième question.
J'ai passé pas mal de temps dans l'Ouest à discuter avec différents producteurs de bétail. Je ferai d'abord une observation générale : nous n'avons pas vraiment passé énormément de temps à étudier les marchés internationaux parce que jusqu'à récemment, c'était relativement facile d'expédier du bétail vivant ou d'exporter aux États-Unis. Encore une fois, c'est le même modèle, le même paradigme. Les États-Unis envisagent maintenant des règles d'origine pour le bétail et les animaux, et nous ne pouvons donc plus camoufler nos produits canadiens en les faisant passer pour des produits américains, ce qui a généralement été notre stratégie pour rivaliser.
Le secteur du bétail est passé par une crise et le secteur du porc également, mais pour d'autres raisons, mais en général, et mon observation est valable pour de nombreux secteurs canadiens, nous n'avons pas fait d'énormes efforts pour tailler nos produits sur mesure pour répondre aux demandes des clients dans le monde entier parce que jusqu'à maintenant, c'était assez facile de vendre nos produits aux États-Unis. Il faudra que ça change.
Je sais que le secteur du bétail commence à déployer beaucoup d'efforts, mais les producteurs devront réfléchir à ce que leurs clients veulent et ils devront adapter leur production aux besoins de leurs clients. Je me rends compte qu'il y a aussi des problèmes de protectionnisme, mais l'occasion est là s'ils sont désireux de la saisir.
Le sénateur Stollery : Nous avons entendu de nombreux témoins à ce sujet et nous avons lu votre livre sur la Molson, une bière que je déteste; je trouve qu'elle a un goût affreux. Je n'aime aucune bière canadienne; je trouve qu'elles sont sûres.
Mme Mandel-Campbell : C'est une déclaration publique, n'est-ce pas?
Le sénateur Stollery : Non, c'est vrai.
Le président : Nous en ferons une recommandation.
Le sénateur Stollery : Cela m'amène à ma question.
Le président : C'est subjectif.
Le sénateur Stollery : D'autres peuvent aimer, mais pas moi, et je m'y connais un peu en bière.
Nous avons entendu un témoin représentant l'Association des exportateurs qui a donné au comité une liste de mesures que le Canada devrait prendre pour améliorer le commerce avec la Chine, la Russie et l'Inde. Nulle part dans cette liste d'une dizaine de mesures on ne trouve le mot « qualité ». J'ai dit à ce moment-là que je venais tout juste de payer environ 2 500 $ pour un télescope — je suis observateur d'oiseaux —, un télescope Swarovski coûteux. Ce télescope est fabriqué en Autriche et tous ceux qui partagent mon passe-temps veulent s'en procurer un. Des employés très bien payés fabriquent ces télescopes dans une entreprise familiale et ce qu'ils vendent, c'est de la qualité. Dans ce cas précis, nous voulons ce qui se fait de mieux, et c'est Swarovski qui le vend. Si vous achetez un autre télescope, il sera fabriqué par une autre compagnie quelconque.
Je n'ai pas vu le mot « qualité » dans les listes qu'on nous a présentées de ce que le Canada doit faire pour améliorer les exportations. Qu'en pensez-vous? Est-ce que ce n'est pas une question de qualité?
Mme Mandel-Campbell : C'est un point intéressant. Je pense que l'argument que j'apporte dans mon livre ressemble un peu au vôtre en ce sens que — je suis certaine que tout le monde dans cette salle le sait — au Canada, nous avons essentiellement été concurrentiels grâce au volume et au prix. Cela a toujours été notre modèle pour livrer concurrence. Comment vendre moins cher que les Américains? Le Canada a choisi le volume et les produits sans nom et génériques.
Nous sommes maintenant dans un monde en mutation. Dans le secteur de l'automobile, par exemple, on assiste à un véritable changement de paradigme et les règles du jeu ne sont plus les mêmes. On ne peut plus compter avoir un emploi bien payé chez GM, un emploi qui sera protégé et qu'on pourra occuper toute sa vie. Les gens ne peuvent plus espérer gagner 80 000 $ par année dans une usine de GM à la fin de leurs études secondaires. Pour moi, ce n'est que l'amorce des bouleversements auxquels on va assister.
Le Canada ne peut plus continuer de concurrencer sur cette base. Le dollar canadien oscille de nouveau autour de 90 ¢ US et, à mesure que le dollar américain continuera de se déprécier, nous continuerons d'avoir ce problème. Il faut vendre des produits de haut de gamme taillés sur mesure.
Le sénateur Stollery : Notre comité pourrait-il recommander entre autres que le gouvernement du Canada, peut-être à la rubrique du gouverneur général, décerne des prix annuels aux compagnies canadiennes qui fabriquent des produits de qualité, au lieu de se contenter, comme vous le dites — et je sais que c'est vrai — de vendre moins cher que leurs concurrents? Qu'importe; à quoi cela ressemble-t-il? Au Royaume-Uni, comme vous le savez, on décerne le prix de la Reine pour l'exportation et la technologie, et c'est un prix très important.
Pourquoi ne pourrions-nous pas en faire autant au Canada pour essayer de relever la qualité de nos produits manufacturés?
Mme Mandel-Campbell : Je suis d'accord avec vous et c'est une observation valable. Nous avons des prix provinciaux accordés à l'exportateur de l'année, et autres prix semblables, mais c'est vrai que l'on pourrait assurément décerner un tel prix à l'échelle nationale. Ce pourrait être très médiatisé et l'on pourrait vraiment fêter les compagnies qui le méritent. En fait, il y en a beaucoup.
Le sénateur Stollery : Pourquoi le Canada ne serait-il pas synonyme de qualité? Je ne crois pas que ce soit le point de vue des gens à l'heure actuelle.
Le président : Madame Mandel-Campbell, je voudrais vous poser une question bien simple : à l'heure actuelle, vers quoi se dirige-t-on dans le Cycle de Doha, à votre avis?
Mme Mandel-Campbell : Franchement, je n'entretiens pas énormément d'espoir quant à l'issue du Cycle de Doha. Je sais qu'il y a encore des gens qui font savoir qu'ils voudraient relancer le dossier. Les temps sont difficiles. Beaucoup de mesures protectionnistes sont prises, plus que les journaux n'en rapportent, à mon avis, et je ne sais vraiment pas s'il y a beaucoup d'intérêt à l'heure actuelle. On voit beaucoup d'arbitrage national. On l'a vu en Europe, où divers pays rivalisent pour essayer d'attirer une usine chez eux. On voit cela partout et je n'ai donc pas beaucoup d'espoir, du moins dans un avenir immédiat, que l'on puisse aboutir à quelque chose de concret.
Le sénateur Zimmer : Merci, madame Mandel-Campbell. Comme le sénateur Stollery l'a dit, c'est la culture ou bien l'agriculture. Dans votre liste de choses à faire et à ne pas faire, vous dites que nous devrions renforcer nos aptitudes culturelles. Je voudrais aborder ce volet de la culture.
D'autres intervenants que le comité a entendus durant cette étude ont insisté sur le fait que le multiculturalisme du Canada est un atout précieux non exploité qui peut renforcer les relations commerciales canadiennes. J'en ai pris quelque peu conscience quand j'étais président du Royal Winnipeg Ballet. Nous avions deux danseurs de Chine. Quand nous les avons embauchés, nous avons constaté durant les réceptions dans la communauté des gens d'affaires qu'il y avait un changement d'attitude quant aux relations d'affaires que nous avions avec eux parce que nous avions des danseurs de leur pays.
Pourriez-vous nous dire plus précisément ce qui ne se fait pas ou devrait se faire pour explorer et exploiter les atouts culturels et multiculturels du Canada en vue de renforcer les relations commerciales? Avez-vous des idées ou des réflexions à ce sujet?
Mme Mandel-Campbell : Je vais vous en donner un bon exemple. Pour revenir à l'actualité, on dit que Frank Stronach et Magna ont apparemment remporté la mise en vue d'acquérir une participation dans Opel. Il a dîné pendant deux heures en tête-à-tête avec Mme Merkel, chancelière de l'Allemagne. Pourquoi pensez-vous qu'il a réussi à obtenir cette rencontre? C'est parce qu'il est né en Autriche et qu'il parle allemand. Il n'y a aucun doute dans mon esprit que cela a joué un rôle important dans l'établissement de relations cordiales. Ils avaient des affinités culturelles et étaient en mesure d'avoir une discussion. Il comprend bien la dynamique du pays.
Même Sergio Marchionne, qui est aussi un citoyen canadien et qui est à la tête de Fiat, a dit que l'une des raisons pour lesquelles nous réussirons à faire quelque chose de Chrysler, c'est parce qu'il comprend l'Amérique du Nord; il est allé à l'école à Windsor et il comprend la culture canadienne. Je donne l'exemple de ces deux personnes pour montrer comment le multiculturalisme canadien joue en notre faveur, mais nous devons l'utiliser de manière plus stratégique.
Quant à savoir comment, c'est une bonne question. Je pourrais donner deux exemples que j'ai vus moi-même, au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Je connais des gens de ce ministère qui sont très brillants et qui ont passé des années à travailler en Chine, et aujourd'hui, ils travaillent derrière un bureau en Amérique latine. Cela me dépasse. Ils parlent couramment le mandarin, mais on gaspille leurs talents.
Je signale dans mon livre que, du point de vue du gouvernement, si l'on examine la manière dont nous faisons appel au talent de nos ambassadeurs, c'est la même chose. Pourquoi n'utilise-t-on pas nos ressources multiculturelles alors que notre service des délégués commerciaux est présent aux quatre coins du monde? Je pourrais vous donner toute une liste d'exemples de Canadiens nés en Colombie qui travaillent à la promotion des exportations et dans des ministères du gouvernement et qui montent des foires commerciales aux États-Unis. On n'utilise pas à bon escient leurs talents. On pourrait utiliser ce multiculturalisme de manière plus stratégique.
Le sénateur Zimmer : C'est intéressant. Je siège au conseil d'administration de Magna, la compagnie de M. Stronach, et c'est vrai que cela favorise les relations. Cela ouvre des portes. Cela vous donne un autre point de vue. Les liens que l'on établit sont extraordinaires et vous avez absolument raison. Merci.
Le sénateur Downe : Avant de poser ma question, pour faire suite aux observations du sénateur Stollery, je dirai que votre collègue Scott Reid, député au Parlement, est l'hôte ce soir d'une dégustation de bière. Je vous invite à y amener le vice-président du comité.
Le président : Ce n'est pas de la Molson, malheureusement. Je peux vous dire pour y être allé l'année dernière que vous aurez de la difficulté à trouver une place, mais je vous encourage à essayer.
Le sénateur Downe : Je m'adresse au témoin. Il y a aujourd'hui une controverse qui prend de l'ampleur au sujet du lien entre le commerce et l'aide au développement; je suis certain que vous connaissez bien la question. Qu'en pensez-vous?
Mme Mandel-Campbell : Je suis d'accord pour dire que le Canada a tendance à éparpiller son aide en donnant des miettes à droite et à gauche. Nous aimons bien répartir notre aide et donner un peu à chacun. Franchement, c'est mieux d'être stratégique et de choisir une poignée de pays dans lesquels nous pouvons faire une grande différence. Il y a eu une certaine controverse à cause du fait que nous n'accordons pas autant d'argent et d'aide à l'Afrique que nous le faisions auparavant, mais je soutiens par ailleurs qu'au lieu de donner un peu ici et là et d'obtenir des résultats négligeables, nous ferions mieux de nous concentrer sur quelques pays dans lesquels nous pouvons faire bouger les choses. Franchement, je n'ai pas d'objection à ce qu'on fasse le lien entre le commerce et l'aide au développement.
Le sénateur Downe : Par exemple, vous avez évoqué tout à l'heure l'Accord de libre-échange Canada-Pérou qu'on vient de signer. Dans le cas du Pérou, moins de 1 p. 100 de l'économie totale de ce pays dépend de l'aide étrangère, mais certains pays d'Afrique auxquels on a supprimé notre aide avaient une dépendance supérieure à 20 p. 100. Évidemment, nous avons un accord de libre-échange avec le Pérou et pas avec les autres pays en question. C'était une décision délibérée. À votre avis, était-ce une bonne politique?
Mme Mandel-Campbell : Je pense que vous devez examiner le pays en question et vous demander s'il a besoin d'aide. L'économie du Pérou connaît un essor fulgurant depuis plusieurs années. Cela ne veut pas dire, toutefois, que ce pays n'a pas besoin d'aide ou qu'il ne pourrait pas en recevoir plus. Je pense que c'est une bonne idée d'utiliser notre capacité comme un levier. Si l'on fait des investissements importants dans un pays, par exemple dans le secteur minier au Pérou, beaucoup de communautés dans la région où les compagnies canadiennes ont des activités bénéficieraient vraiment d'une aide au développement. À mes yeux, c'est un très bon partenariat à bien des égards.
Le sénateur Downe : Je conviens que beaucoup de communautés bénéficieraient du développement, mais selon nos renseignements, la dépendance à l'aide au développement est beaucoup plus faible au Pérou que dans les pays africains dont nous nous sommes retirés. L'argument est que nous l'avons fait parce que nous voulions conclure un accord commercial avec le Pérou et que cette décision n'est pas vraiment fondée sur les besoins, mais plutôt sur une politique commerciale.
Le sénateur Andreychuk : Je ne pense pas que nous ayons supprimé notre aide à l'Afrique; nous avons changé les pays désignés et nous devions faire suite à ce changement.
Vous avez dit que nous ne devrions pas dépendre autant du commerce avec les États-Unis et que nous devrions diversifier nos échanges. Avez-vous accordé une attention quelconque aux possibilités perdues au chapitre des échanges commerciaux entre les provinces? Le commerce interprovincial est préoccupant pour beaucoup d'entre nous. Quand nous avons conclu l'ALENA, en Saskatchewan, dans certains cas, pour certains produits agricoles à valeur ajoutée, c'était plus facile d'expédier vers le sud que vers l'est ou l'ouest. Je me demande si nous devrions accorder plus d'attention à notre propre commerce intérieur.
Mme Mandel-Campbell : Je ne crois pas que ce soit mutuellement exclusif. Nous pouvons faire plusieurs choses à la fois. En fait, plus on a de balles en l'air en même temps, plus la magie opère.
Je l'ai déjà dit : c'est franchement gênant que nous n'ayons pas le libre-échange entre les provinces. Je n'en reviens toujours pas d'entendre des histoires comme celle de cette compagnie de croustilles de l'Ontario qui a des usines en Ontario et au Nouveau-Brunswick, mais qui ne peut pas importer ses pommes de terre du Nouveau-Brunswick vers l'Ontario à cause des barrières commerciales. Ce fabricant essaye en vain d'y parvenir depuis cinq ans et il doit se résoudre à importer ses pommes de terre des États-Unis. Il y a une foule de cas de ce genre.
Gordon Gibson a écrit un éditorial dans le Globe and Mail, hier ou aujourd'hui, justement sur ce sujet. Il n'y a aucun doute qu'il aurait fallu y voir depuis longtemps. Plus nous serons riches de possibilités et plus la concurrence sera forte au Canada, plus cela nous aidera à affronter les marchés internationaux.
Le sénateur Andreychuk : Vous avez dit que vous n'êtes pas contre le lien entre l'aide et le commerce. Le Canada a-t-il exploré à fond sa capacité d'utiliser une forme quelconque d'aide, peu importe qu'on l'appelle aide au développement, pour venir en aide à divers pays dans le cadre des échanges commerciaux?
Je songe à certains pays africains pour lesquels l'OMC avait besoin d'expertise pour mener les négociations. Avez-vous envisagé une aide de ce genre pour faciliter le commerce?
Mme Mandel-Campbell : C'est une immense possibilité. Beaucoup de gens me disent que la meilleure chose que le Canada pourrait faire à bien des égards, et nous l'avons déjà fait à l'occasion en Chine, notamment, c'est d'aider l'infrastructure institutionnelle d'un pays. Dans le cas de la Chine, nous avons fait beaucoup pour renforcer le système judiciaire et créer un système de comptabilité plus transparent. Quand on en discute avec des gens d'affaires, ils vous disent que le mieux que le Canada pourrait faire pour les aider au Mexique, c'est d'aider à créer un système judiciaire plus transparent dans ce pays. Il n'y a pas de doute que nous pourrions apporter de l'aide sur ce front, et les Canadiens sont assez bons dans ce domaine.
Le sénateur Stollery : Nous sommes censés discuter de la Chine, de l'Inde et de la Russie. Je pense que nous sommes probablement passablement d'accord. C'est important pour nous de diversifier nos échanges et de profiter de ce nouveau marché émergent.
Vous avez parlé des accords de libre-échange avec la Colombie et le Pérou. Comme vous le savez, dans le cas du Mexique, l'une des faiblesses de l'ALENA, du point de vue mexicain, était que cet accord englobait l'agriculture. Ma foi, je me demande parfois qui invente les chiffres au Mexique.
Je dirais que 40 p. 100 de la population travaille dans l'agriculture, surtout de subsistance. Des producteurs efficients ont exporté des haricots et du maïs au Mexique, ce qui veut dire que les agriculteurs mexicains n'étaient pas compétitifs et c'est l'une des raisons qui expliquent l'énorme exode aux États-Unis depuis des années, et nous sommes bien au fait de la situation. Nous avons interviewé des représentants de tous les partis à Mexico et ils étaient tous d'accord là-dessus; ce n'est pas seulement mon avis personnel. Les agriculteurs mexicains ne pouvaient pas rivaliser avec la concurrence.
La Colombie est encore plus dépendante de l'agriculture. Le Pérou est quelque peu différent à cause de son immense désert. Le débat est en cours au Panama. Je vais très souvent au Panama et je lis les journaux en espagnol. Il y a toute une controverse au Panama. En Colombie, c'est un peu plus bizarre. Je n'ai pas encore tout à fait compris. Le gouvernement colombien et le gouvernement panaméen veulent un accord de libre-échange avec les États-Unis. L'opposition était menée par le secteur de l'agriculture. C'était une très forte opposition.
Je ne suis pas convaincu qu'ils aient eu gain de cause. Nous n'avons pas encore examiné les accords. Ils s'en viennent. Je crois que nous recevrons bientôt celui avec le Pérou. Quelqu'un m'a dit qu'on ne pourrait pas exporter des produits agricoles au Pérou à un prix inférieur au coût de production péruvien. Il y a certaines limites, mais j'ignore en quoi elles consistent.
En Colombie, sans aucun doute, 60 p. 100 de la population travaille dans l'agriculture de subsistance et c'est l'une des raisons pour lesquelles c'est tellement dangereux.
Que pensez-vous de tout cela? C'est peut-être bon pour les exportateurs canadiens de haricots, de maïs et de diverses denrées, mais qu'arrive-t-il de la population rurale colombienne, si ce qui s'est passé au Mexique se répète dans leur cas? Ils seront déplacés et cela renforcera le pouvoir des FARC. Nous connaissons tous le Sendero Luminoso. Il y a au Pérou une fracture ethnique qui n'existe pas en Colombie de manière aussi prononcée.
Ces accords de libre-échange sont conclus avec des pays dont la population est fortement concentrée dans l'agriculture de subsistance. C'était très dangereux pour les Mexicains. Cela a causé d'énormes problèmes. Ne pensez-vous pas que ces problèmes seront encore pires en Colombie, en particulier, et peut-être aussi au Pérou?
Mme Mandel-Campbell : Dans le cas du Pérou, certains de leurs produits agricoles sont extrêmement compétitifs. Nous les consommons ici au Canada.
Le sénateur Stollery : Ce sont des fruits et légumes.
Mme Mandel-Campbell : Des asperges, du brocoli et autres légumes.
Le sénateur Stollery : Je suis désolé, je ne voulais pas vous interrompre. Le libre-échange agricole a été favorisé par les exportateurs extrêmement efficients des produits de l'horticulture, les fruits et légumes, mais bien sûr, ce n'est pas ce que la plupart des gens produisent. Ils cultivent plutôt les haricots, le maïs, et cetera.
Mme Mandel-Campbell : Les agriculteurs de subsistance, dans une grande mesure, produisent pour subvenir à leurs propres besoins, d'après mon expérience au Pérou et au Mexique. Ils ont un petit lopin de terre et nourrissent leurs familles et vendent peut-être un petit surplus au marché local.
Cela pose quelques difficultés, quoique je sais que des compagnies de Saskatchewan vendent déjà des légumineuses dans ces pays de toute façon. Si c'est préoccupant dans l'ensemble, ces pays doivent y réfléchir parce qu'ils veulent éloigner une bonne part de ces gens-là de l'agriculture de subsistance. On constate le même phénomène en Inde et c'est le défi qui se pose en Inde, le fait d'avoir une telle masse de paysans qui n'arrivent pas à gagner leur vie.
Ces pays tentent d'attirer des investissements pour aider une partie de leur population à sortir de l'agriculture de subsistance qui n'offre aucun avenir sur le plan économique. En attirant des investissements étrangers, ils créent des emplois de meilleure qualité. Ce n'est pas qu'ils ne devraient pas avoir en place certaines structures et c'est la difficulté à laquelle sont confrontés beaucoup de ces pays en développement. Comment opérer cette transition? Quand nous élaborons ces accords de libre-échange, il n'y a aucune raison de ne pas poser ces questions et de ne pas faire des efforts, allant même jusqu'à aider ces pays à créer ces fondations nécessaires.
Le président : Le gouvernement du Canada a-t-il débloqué des ressources suffisantes, autant sur le plan intérieur qu'au niveau international, pour aider la communauté des affaires dans sa recherche de partenaires d'affaires et d'investissement ailleurs dans le monde?
Y a-t-il des bureaux consulaires? Avons-nous ici au Canada des gens qui peuvent conseiller et préparer les travaux qui sont faits par exemple par la chambre de commerce? Appuyons-nous nos efforts en faveur du commerce, autant au Canada qu'à l'étranger?
Mme Mandel-Campbell : Je suis ambivalente à ce sujet, en ce sens que j'ai rencontré des gens au MAECI qui font de l'excellent travail. Ce qui me frappe parfois, c'est que si les compagnies canadiennes font des efforts, elles ont vraiment accès à des ressources extraordinaires qui sont gratuites, disponibles et fournies par le gouvernement.
Je soutiens que, dans certains cas, cela doit être réparti de manière plus stratégique. Nous devons accorder plus d'attention à nos ambassadeurs; nous devons les choisir soigneusement parce que ce sont eux qui nous représentent dans les pays où ils sont en affectation. Nous en rencontrons parfois et ils sont très brillants. Je considère les ambassadeurs — je pense l'avoir dit dans mon livre — comme les premiers vendeurs du Canada. Cela devrait figurer dans leur description de fonctions. Certains d'entre eux le savent, mais pas tous.
Quant aux Chambres de commerce, à l'heure actuelle, c'est très disparate. Nous avons de petites associations d'expatriés ici et là et peut-être une petite Chambre de commerce dirigée par un type qui s'en occupe dans son temps libre le samedi après-midi.
Pouvons-nous tirer profit de cela? Absolument. Il faut aussi que cela reflète la présence de compagnies canadiennes dans ces pays. Si cet intérêt ou cette présence n'existe pas, c'est difficile de les créer.
Le président : Enfin, dans votre livre, vous dites que notre système financier, le système bancaire, est peut-être surréglementé, ce qui nuit aux affaires.
Mme Mandel-Campbell : Je savais que quelqu'un poserait cette question.
Le président : Je le dis avec le plus grand respect pour votre travail. Comme c'est une question d'actualité, je me demande si vous aimeriez nous en parler.
Mme Mandel-Campbell : Oui. C'est intéressant. Les dés ne sont pas encore complètement jetés. Il se trouve qu'il y a des banques comme Citigroup qui étaient en fait trop grosses et trop lourdes et qui, en dépit de leur grande envergure, ne faisaient pas nécessairement bien ce qu'elles faisaient. Nous avons certains avantages.
Je suis personnellement d'avis que nous avons été chanceux dans cette affaire. De par leur nature même, les banques répugnent à prendre des risques et elles ont réussi à faire tellement d'argent au Canada grâce au marché captif à leur disposition qu'elles n'ont jamais vraiment été incitées à acheter des actifs risqués ou rien de tel.
Cela dit, je ne crois pas que nous puissions crier victoire et dire que nous avons le bon système. Il y a beaucoup de lacunes dans ce système. Bien qu'actuellement, on semble connaître le succès avec un mode opératoire axé sur la répugnance au risque, je ne crois pas qu'à long terme, ce soit la solution. Le système financier va se prendre en main et se rénover et l'on verra des banques comme la Santander en Espagne, ou Barclays au Royaume-Uni, ou encore certaines banques australiennes qui ont réussi à prendre une ampleur internationale tout en évitant de se retrouver dans le gâchis des actifs toxiques.
Je pense qu'il y a un juste milieu.
Le président : Merci beaucoup. Au nom de nous tous, au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, je vous exprime notre reconnaissance pour votre témoignage d'aujourd'hui. Mes collègues conviendront que c'était une réunion très fructueuse. Nous vous savons gré de l'aide que vous nous avez apportée dans l'élaboration d'un rapport au gouvernement. Nous comptons avoir le plaisir de vous revoir.
Mme Mandel-Campbell : Je suis honorée que vous m'ayez demandé de participer.
Le président : Madame Mandel-Campbell, merci beaucoup.
(La séance est levée.)
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