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LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 5 mai 2010

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui à 16 h 15 pour étudier l’émergence de la Chine, de l’Inde et de la Russie dans l’économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.

Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, nous accueillons cet après-midi, président et directeur exécutif du Conseil de Commerce Canada-Inde, M. Rana Sarkar, et un associé de cabinet d’avocats Borden Ladner Gervais, M. Robert R. Shouldice.

Soyez les bienvenus, messieurs. Vous connaissez à fond les questions qui nous intéressent, et je crois comprendre que M. Shouldice va prendre la parole en premier.

Robert R. Shouldice, partenaire, Borden Ladner Gervais S. R. L. : Je vous suis reconnaissant de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui. Je dois dire d’entrée de jeu que je parlerai surtout de l’Inde. Je ne traiterai ni de la Russie ni de la Chine. Évidemment, comme je représente un important cabinet d’avocats au Canada, j’exposerai le point de vue d’un cabinet d’avocats qui, de temps à autre, intervient dans des transactions et des projets qui concernent des entreprises canadiennes et indiennes. Je suis moi-même intervenu d’assez près, ces dernières années, dans des projets d’infrastructure publique en Inde, car j’ai conseillé des entreprises canadiennes qui participaient à ces projets et j’ai aussi représenté des sociétés qui investissent dans des entreprises dont le siège social se trouve en Inde.

Comme tout grand cabinet d’avocats canadien, nous représentons de temps à autre un large éventail de clients qui s’intéressent au commerce bilatéral entre le Canada et l’Inde. Nous avons un vaste réseau de contacts avec lesquels nous travaillons et échangeons au sujet de ce que nous observons dans le cadre législatif et de réglementation. Mes propos, aujourd’hui, seront fondés dans une large mesure sur l’information que nous recueillons par l’entremise de ce réseau de personnes avec lesquelles nous travaillons.

Je ne suis pas un spécialiste du droit indien ni de la politique de réglementation indienne, mais je possède quelques connaissances, acquises dans le contexte de nos relations de travail et de notre réseau professionnel.

Je prévois qu’un certain nombre, sinon la totalité, des points que je soulèverai ont déjà été examinés par le passé. Permettez-moi d’en souligner quelques-uns ou de les présenter sous un jour nouveau. J’espère pouvoir au moins mentionner quelques éléments qui faciliteront la poursuite du dialogue entre le Canada et l’Inde dans le domaine du commerce bilatéral et des investissements.

Je vous ai remis un résumé d’une page des questions que je prévois aborder aujourd’hui. Mon commentaire préliminaire sera bref et très général. Je veux vraiment mettre en évidence la nature des questions que je soulève. Vous constaterez que les thèmes inscrits sur la liste sont assez limités. Il ne s’agit vraiment pas d’un examen exhaustif de toutes les questions juridiques et fiscales qui touchent le commerce et les investissements bilatéraux.

Je veux souligner quelques questions dans le domaine fiscal, quoique je ne sois pas avocat-fiscaliste. Je suis un avocat de sociétés qui traite des transactions, mais je travaille assez souvent avec des avocats-fiscalistes.

Parce que je collabore à ces dossiers de transactions commerciales bilatérales, je veux faire valoir certains aspects qui découlent de l’introduction relativement récente de changements apportés au droit fiscal en Inde et plus précisément au code d’impôt direct. C’est ce qui a mené au budget déposé par le ministre des Finances vers la fin de février ou au début de mars et dans lequel, entre autres, il était proposé d’adopter ce que l’on appelle le principe de l’ultériorité qui, sous la forme actuellement envisagée, pourrait considérablement affaiblir les conventions fiscales existantes entre l’Inde et divers pays.

Selon le principe de l’ultériorité, comme les mots l’indiquent très simplement, si une nouvelle loi fiscale nationale est adoptée après la signature d’une convention existante et qu’elle entre en conflit ou ne s’harmonise pas d’une façon quelconque avec cette convention, la loi fiscale nationale, parce qu’elle est ultérieure, a primauté sur la convention. La plupart des observateurs dans ce domaine y voient une approche très agressive et plutôt exceptionnelle. Elle est controversée, ce qui n’est peut-être pas étonnant en Inde. Elle suscite bien des commentaires, des avis et des discussions. Il y a à peine un mois, le ministre des Finances, dans une allocution publique, a confirmé son intention d’aller de l’avant avec cette mesure.

Un récent dialogue avec des membres de notre réseau m’a appris qu’il y avait encore des pressions qui s’exerçaient, que les discussions se poursuivaient et que le gouvernement était encore à l’écoute, alors il se peut que le projet soit un peu dilué.

Le deuxième point dans mon résumé est la taxe sur les revenus de source étrangère. Il est également proposé dans le code d’imposition directe d’imposer les revenus de source étrangère des entreprises non résidentes qui font des affaires en Inde, c’est-à-dire imposer les compagnies non résidentes pour les revenus qu’elles produisent ailleurs qu’en Inde. Cela est également très éloigné des principes fiscaux normaux et pourrait faire du tort à la pratique très courante qui consiste à faire appel à des entreprises étrangères pour fournir des services à des pays comme l’Inde dans le cadre de vastes projets.

Nombre d’entre vous le savez, lorsqu’elles réalisent de vastes projets de construction ou d’infrastructure, les entreprises de services divisent souvent les contrats entre les services locaux, qui sont fournis par des sociétés locales ou nationales, et les services à l’étranger, qui sont assurés par des entreprises distinctes. Elles procèdent ainsi pour des raisons d’ordre fiscal. Les structures de ce genre, qui sont courantes dans le monde entier, seraient, je crois, sérieusement menacées par les propositions actuellement envisagées en Inde.

Ce sont les deux nouveautés dans le domaine de la fiscalité qui inquiètent le plus les entreprises canadiennes et les investisseurs canadiens qui songent à faire des affaires en Inde. Quelques autres attirent aussi l’attention, dont la proposition d’instaurer une nouvelle taxe sur le capital. Dans le cadre du dialogue Canada-Inde, les représentants canadiens pourraient peut-être expliquer à leurs homologues indiens l’expérience canadienne, qui a été d’éliminer l’impôt sur le capital progressivement et dans toute la mesure du possible. Nous avons constaté qu’il s’agissait d’un impôt régressif. C’est en quelque sorte un facteur qui dissuade l’investissement des entreprises, à l’étranger comme au pays.

Il convient aussi de mentionner que l’Inde projette d’adopter une nouvelle disposition générale anti-évitement. L’ébauche actuelle de cette disposition est très générale. Elle s’appliquerait à de nombreuses structures d’investissement utilisées par les entreprises canadiennes et indiennes. Cela, évidemment, suscite de l’appréhension et une certaine colère. Nous avons peut-être tiré des leçons que nous pourrions partager avec nos homologues en ce qui concerne la DGAE. Nous pouvons peut-être leur suggérer des façons de gérer cette politique.

Il y a aussi des plans concernant l’instauration d’une nouvelle taxe sur les succursales. Les entreprises canadiennes qui ne projettent pas de créer une filiale nationale en Inde apprendront avec intérêt comment cette nouvelle taxe sur les succursales pourrait les toucher.

Je voudrais maintenant parler d’initiatives qui ne relèvent pas de la fiscalité, mais plutôt de la marche à suivre pour effectuer un investissement étranger en Inde. Je veux aussi traiter de l’administration et du processus d’approbation du contrôle des changes qui s’appliquent aux structures commerciales généralement instaurées pour les besoins des ententes commerciales bilatérales.

En matière d’investissement étranger, l’Inde se compare largement au Canada, car elle a une philosophie et des politiques générales qui encouragent notablement l’investissement étranger. Elle tente de rationaliser le processus dans les secteurs où elle veut attirer les entreprises. Elle a ce qu’on appelle un « processus automatique », c’est-à-dire qu’aucune approbation préalable n’est requise de la part du gouvernement. Il y a aussi une autre catégorie d’investissements étrangers qui sont assujettis au processus d’approbation. Toutefois, cela s’applique à des industries bien définies, et l’approche canadienne présente des parallèles puisque les secteurs protégés sont ceux qui sont importants pour les collectivités de l’Inde.

L’expérience générale de notre cabinet auprès des entreprises canadiennes qui font des affaires et qui investissent en Inde est que, même si le processus d’approbation de haut niveau a été rationalisé et est assez souple pour l’investissement étranger, il y a encore un processus administratif et bureaucratique très lourd pour le suivi, une fois l’investissement effectué. Il y a énormément de formalités, des documents à remplir même pour les investissements les plus simples. Un investissement minoritaire dans une entreprise privée nécessite encore la production de nombreux rapports et formulaires. Malheureusement, cette situation offre parfois des occasions de pots-de-vin et de corruption pour les fonctionnaires qui participent au processus.

L’encouragement que constitue un processus plus rationnel, avec l’allègement des formalités administratives et la réduction du nombre de rapports et documents exigés, sera bien accueilli dans les milieux d’investissement et d’affaire du Canada.

Parallèlement, les dispositions législatives sur le contrôle des changes suscitent une grande incertitude lorsqu’elles s’appliquent, entre autres, aux structures d’investissement du type de la coentreprise internationale, si par exemple une entreprise indienne s’associe à une entreprise canadienne afin d’investir conjointement dans un projet qui peut se dérouler en Inde, pour le financer et le gérer. Cela présente certains défis, vu l’incertitude concernant le moment où les approbations préalables sont requises de la réserve fédérale et les facteurs qui font qu’il faut obtenir ces approbations préalables ou, possiblement, les éléments qui entraîneront la nécessité d’obtenir des approbations par la suite du processus.

Prenons par exemple les indemnités que doit payer une entreprise indienne aux termes d’une entente commerciale. Le paiement des indemnités prévues dans ces contrats peut nécessiter l’approbation de la Reserve Bank of India au moment où le paiement est effectué. Évidemment, la société de contrepartie qui est signataire de cette entente avec la société indienne se trouve dans une position plutôt incertaine car elle ne sait pas si elle sera en mesure de faire respecter l’entente qu’elle a conclue avec l’autre société. On pourrait aussi penser au cas d’une garantie de personne morale qui pourrait être négociée au sein d’une structure de transaction commerciale. Dans un tel cas, il se pourrait que la garantie soit assujettie à l’approbation préalable de la Reserve Bank of India.

Les autres pays industrialisés n’ont généralement pas recours à ce type de processus d’approbation lorsque des sociétés de deux pays distincts font ensemble un investissement et concluent une entente commerciale de ce genre. Dans la mesure où nous pouvons encourager les responsables de la réglementation en Inde à éviter ces processus d’approbation administratifs réglementaires, cela vaudrait mieux.

J’ai quelques points de détail à mentionner, le premier étant la structure de la société à responsabilité limitée, la S. R. L. L’Inde a réalisé certains progrès l’an dernier en adoptant des dispositions législatives pour instaurer le concept de société à responsabilité limitée. Elle accuse un net retard face à nombre d’autres pays du monde, où les sociétés à responsabilité limitée sont reconnues depuis de nombreuses années. Une société à responsabilité limitée est une entité souvent utilisée pour les transactions commerciales transfrontalières. Elle offre certains avantages pour les compagnies internationales qui s’allient dans le cadre de transactions de coentreprise de ce type.

C’est le côté positif. Le côté irritant, l’incertitude qui nous reste, est dû au fait que la participation d’une société étrangère à une société à responsabilité limitée pourrait s’inscrire dans la catégorie des investissements étrangers assujettis à l’approbation du gouvernement. Il ne semble pas logique que le gouvernement indien exige une approbation préalable, mais c’est apparemment une question qui n’est pas encore tout à fait réglée.

J’ai mentionné quelques ententes bilatérales qui, d’après ce que nous savons, sont encore à l’étude ou au stade des discussions. Le réseau de clients, de sociétés de contrepartie et de conseillers professionnels qui s’intéressent aux échanges transfrontaliers avec l’Inde appuie ces ententes bilatérales et souhaite qu’on trouve un moyen de les concrétiser. Moi aussi, je les appuie, et notamment la loi sur la promotion et la protection de l’investissement étranger, l’accord de coopération nucléaire dans le domaine civil et la nécessité de convaincre l’Inde qu’elle ne doit pas se contenter d’un rôle d’observateur de l’Accord sur les marchés publics de l’OMC. Je répondrai avec plaisir à vos questions tout à l’heure.

Rana Sarkar, président et directeur exécutif, Conseil de Commerce Canada-Inde : Je vais diviser mon exposé en quelques sections : premièrement, une brève description de notre organisation, deuxièmement, quelques questions clés que nous jugeons prioritaires, et troisièmement, un ensemble de mesures normatives qu’il nous semble urgent d’appliquer et qui touchent les activités de votre comité.

Le Conseil de Commerce Canada-Inde a été créé en 1982 par des intervenants comme Bombardier, Bata et la Sun Life, avec l’aide d’un conseil d’entreprises des deux pays, pour mobiliser les dirigeants des milieux d’affaires dans les deux pays afin de créer une plateforme commune pour dialoguer.

Comme vous le savez sans doute d’après vos travaux antérieurs, ce dialogue a été plutôt tiède pendant de nombreuses années, mais il s’anime depuis deux ou trois ans car l’Inde est devenue une priorité stratégique pour les entreprises canadiennes. À l’heure actuelle, nous comptons environ 130 membres, surtout au Canada mais aussi en Inde, et certains de nos principaux intervenants sont des organisations commanditaires comme Bombardier, Research In Motion, Énergie atomique du Canada limitée, Cameco et Sun Life. Du côté indien, nous avons Tata et ICICI Bank Limited. Cet ensemble d’entreprises de plus en plus nombreuses représente la majorité des grands intérêts commerciaux entre les deux pays et ouvre la voie, au niveau commercial, à un dialogue qui complète la collaboration entre les gouvernements et la petite et moyenne entreprise ainsi que la circulation des talents dans les deux directions.

Sous cet angle, nous participons à la promotion d’un certain nombre d’accords bilatéraux et nous facilitons la visite de délégations de membres de gouvernement et de dirigeants des milieux d’affaires. En outre, nous agissons pour appuyer nos nombreux membres qui s’efforcent de développer leurs entreprises en Inde. Nous sommes une organisation nationale et notre siège social est à Toronto.

Avant de vous présenter mes commentaires, je vais soulever une question dont d’autres témoins vous ont certainement parlé. Les relations avec l’Inde revêtent à l’heure actuelle une extrême urgence, car nous sommes en plein réalignement économique mondial. Votre comité est certainement au fait de la question, et sa création est sans aucun doute un reflet de cette prise de conscience.

Toutefois, il est bon de rappeler que l’Inde sera la troisième économie mondiale d’ici 2030, c’est-à-dire dans seulement 20 ans. Pensez qu’il y a 20 ans, à cette table, c’était sans doute le débat sur l’Accord du lac Meech qui se déroulait, et cela ne paraît pas si loin à certains d’entre nous aujourd’hui. Dans 20 ans, nos enfants et nos petits-enfants vivront dans un monde qui aura été complètement transformé par l’émergence de l’Inde, de la Chine et du Brésil, d’une façon que nombre d’entre nous ont peut-être de la difficulté à imaginer.

Selon nous, nous vivons à une époque passionnante pour les entreprises et pour l’édification d’un pays. De fait, nous sommes confrontés à une très grande priorité. L’Inde a une population extrêmement jeune. Actuellement, 50 p. 100 de sa population a moins de 25 ans, ce qui représente à la fois un immense défi et de très belles perspectives du point de vue démographique.

Par ailleurs, l’Inde participera à certaines des grandes révolutions économiques qui marqueront les 20 ou 30 prochaines années et elle en dirigera peut-être quelques-unes. Je pense notamment à la révolution des technologies propres, la façon dont l’énergie est produite et livrée, et à tous les fondements de la concurrence économique dans le monde. Un vaste programme d’innovation en matière de productivité sera mené dans une large mesure par des pays du monde émergent. Plus important encore, l’entrée dans l’économie mondiale du dernier milliard d’êtres humains — celui qui en a été exclu jusqu’à maintenant — bouleversera l’entrepreneuriat d’une façon jamais vue depuis le début de l’ère industrielle contemporaine. Cela nous paraît excitant, surtout parce que nous y voyons une inversion de la marche historique du monde, en quelque sorte. Sur le plan des puissances mondiales, le prochain siècle ressemblera plus au XIIe siècle qu’au XIXe, ce qui promet une série de défis pour des pays comme le Canada et pour les entreprises du Canada, et ces défis s’accompagneront évidemment d’un ensemble de possibilités sans précédent.

Cela dit, notre pays et les sociétés qui s’y trouvent sont confrontés à un vaste défi. Il faut attirer l’attention de pays comme l’Inde, qui sont entrés dans une période de croissance extraordinaire, qui sont extrêmement occupés à cette activité et qui ont leurs propres ambitions géostratégiques bien établies ou en émergence. Sur le terrain, comment pouvons-nous encourager les entreprises et les particuliers à participer à cette croissance?

Nous pensons que le Canada devrait concentrer son attention sur deux ou trois grandes priorités. Une de ces priorités doit certainement être l’Inde, du moins de notre point de vue. Je ne vais pas expliquer plus en détail cette notion, car je crois que le comité y a déjà consacré des travaux par le passé.

Notre principal défi, en Inde, est d’attirer l’attention. Nous le constatons sans cesse, et c’est un problème constant pour les entreprises canadiennes. Nos entreprises ne sont pas très connues en Inde et l’image de marque du Canada n’est pas suffisamment présente en Inde. C’est une grande priorité à l’heure actuelle, nous devons réussir à corriger cet état de choses à court terme. Nous n’avons pas beaucoup de marge de manœuvre. Une grande partie des décisions d’affaires qui se prendront d’ici 24 à 36 mois établiront un paradigme qui se maintiendra, et il faut absolument que les entreprises canadiennes et le Canada lui-même ne ménagent aucun effort pour se tailler une place dans ce grand marché qu’est l’Inde.

Nous proposons souvent une comparaison avec une situation où, en 1900, vous demanderiez aux gens s’ils veulent acheter une option aux États-Unis, et très peu refuseraient cette option. Ici, rue Bay, à Calgary ou à Montréal, il est difficile de bien comprendre l’ampleur de ces possibilités et le type de changement qui se prépare. Je crois que c’est un changement stimulant, et nous devons nous y préparer.

Le fait de désigner l’Inde comme pays prioritaire du point de vue des affaires étrangères est un geste symbolique que les Indiens en Inde ainsi que les gouvernements et les entreprises commenceront à comprendre et ils nous aideront alors à regrouper les ressources que nous avons déjà engagées. Il nous faut mener en Inde une campagne diplomatique publique et concertée comme nous n’en avons jamais mené par le passé dans aucun autre pays. Si j’ai bien compris le ministère des Affaires étrangères, nous entamons ce processus. Toutefois, la complexité du projet et le niveau des ressources que nous devrions y engager à court terme sont d’un ordre de grandeur supérieur à ce que nous envisageons probablement. Du point de vue commercial, c’est quelque chose que nous devrions attendre avec impatience.

Une partie de cette campagne de promotion de l’image de marque du Canada repose sur la notion qu’il y a sans doute 100 000 nouveaux joueurs — des entreprises, des jeunes gens et des leaders d’opinion — en Inde et que nous devons les découvrir et les rejoindre pour leur faire connaître le Canada. C’est un aspect indispensable de cette campagne de promotion concertée.

Lorsque nous aborderons l’Inde, nous ne devrions pas le faire comme s’il s’agissait d’un marché qui consacrera un demi-billion de dollars à l’infrastructure au cours des 5 prochaines années et qui construira 40 000 nouveaux collèges d’ici une ou deux décennies. La taille du marché est extraordinaire, et souvent les chiffres sont si énormes qu’il est difficile de bien les saisir, mais ce n’est pas l’esprit dans lequel nous devrions traiter l’Inde. Nous devrions aborder l’Inde avec la volonté d’apprendre aux côtés des Indiens à mesure que leur pays s’impose comme l’un des grands innovateurs du XXIe siècle. Nous devrions essayer de combler les besoins que le pays et ses milieux d’affaires veulent satisfaire et que nous sommes en mesure de satisfaire.

Alors que l’Inde resserre ses relations avec la Chine, des relations qui seront parmi les plus influentes du XXIe siècle, et avec le Brésil, des relations qui deviendront très étroites pour tout un éventail de bonnes raisons, nous devons l’accompagner. Nous devons essayer de voir ce que l’Inde considère comme ses priorités et comment nous pouvons y répondre.

Une des grandes priorités de l’Inde est la lutte contre la pauvreté et la promotion de l’éducation des jeunes, pour qu’ils soient en mesure de contribuer à la société et ne soient pas simplement un problème à l’avenir. Nous devons être là pour aider l’Inde à envisager des façons dont nous pouvons améliorer les indicateurs dans les domaines de la santé et de l’éducation. Il nous faut donc réfléchir en termes de développement humain, parce que c’est un élément clé en Inde.

Nous devons aussi promouvoir symboliquement et très nettement les trois grands accords que nous avons conclus entre les deux pays et qui n’ont pas été vraiment activés. Il y a l’Accord de partenariat économique global, l’APIE et l’ACN. Parlons d’abord de l’Accord de partenariat économique global. C’est un important accord à divers niveaux symboliques. Si nous nous engagions sur cette voie immédiatement, nous serions le premier pays de l’OCDE à offrir un accès au marché de l’ALENA et donc un modèle dont l’Inde pourrait s’inspirer pour envisager ses accords commerciaux mondiaux. Et nous aurions un pied dans les corridors des affaires de l’Inde ainsi que la possibilité de relever sensiblement notre visibilité auprès de certains des principaux intervenants de l’Inde, ce qui aura des retombées par la suite. En conséquence, nous devrions faire tout en notre pouvoir pour préconiser cette approche, y compris les activités de lobbying.

À l’heure actuelle, nous essayons de contenir les coûts. Il nous faut voir ce que font les Français, les Russes et les Américains en Inde et reconnaître la quantité de ressources, tant publiques que privées, qu’ils engagent et le genre d’organisations qu’ils utilisent. Je ne dis pas cela parce que je représente une organisation, mais ce sont des organisations comme la nôtre qui sont en mesure de faire des progrès concrets, de maintenir les efforts et de réaliser ce que les gouvernements jugent parfois difficile. Il nous faut examiner des moyens d’intégrer cela dans un plan plus vaste.

Finalement, je parlerai d’éducation. L’éducation est le secteur dont nous devons absolument prendre la tête, essentiellement parce que c’est l’un des éléments clés du programme politique indien. Les chefs d’entreprise en Inde sont obsédés par la promotion de l’éducation, non seulement dans les universités traditionnelles, mais aussi dans les secteurs professionnels et au niveau primaire. C’est un domaine où nous avons de grandes possibilités que nous ne faisons pas suffisamment valoir. C’est un domaine où les Indiens constateront notre valeur si nous déployons des efforts coordonnés, ce qui pose un certain nombre de défis en raison de notre constitution. En effet, le gouvernement fédéral n’intervient pas nécessairement dans ce contexte, mais nous devons réfléchir à la façon dont nous coordonnons nos activités. Ces 40 000 collèges seront construits, et des millions d’enfants y seront instruits. Avec quels systèmes et avec quels partenaires cela sera-t-il réalisé? Est-ce qu’il y aura des Canadiens? Nous devons veiller à ce qu’il y en ait.

Pour terminer, je dirai que l’un des plus importants dividendes que nous toucherons grâce à l’Inde au cours de ma vie et de celle de mes enfants sera l’échange de talents. Je ne parle pas simplement d’immigration; je parle de la circulation des talents à l’échelle mondiale. Pour que nous puissions profiter des occasions réelles qu’offre l’Inde, il nous faut veiller à ce que nos enfants participent à des programmes d’échanges, à des choses de ce genre. Il faut que nos dirigeants politiques se rendent là-bas, que les membres de votre comité s’y rendent. Il faut que nos fonctionnaires s’efforcent plus activement d’y aller en visite, tout comme nos chefs d’entreprise. Plus nous agirons de façon à faciliter les liens, par exemple grâce à des vols directs ou à l’octroi de subventions aux écoliers, et plus nous réduirons la distance et nous assurerons notre réussite future.

[français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : En tout premier lieu, je vous souhaite la bienvenue M. Shouldice et M. Sarkar. J'en profite pour féliciter M. Sarkar de son élection à la présidence du Conseil de Commerce Canada-Inde. Je suis fière pour vous. J'imagine que cela doit vous rendre heureux. Ma question vous concerne tous les deux. Je vous remercie pour vos observations.

Vous avez parlé des relations assez bonnes entre l'Inde et le Canada et des activités commerciales qui y sont menées.

M. Shouldice, vous ne savez pas à quel point vous avez failli me faire tomber à la renverse lorsque vous avez parlé des régimes fiscaux en Inde, de la taxe sur les revenus d'entreprises étrangères et des nouvelles taxes sur le capital et des taxes sur les succursales.

Cela défait ma question parce que c'est quelque chose qui est un empêchement de pouvoir faire des affaires là-bas mais on va passer par dessus. Vous êtes tous les deux des acteurs importants pour aider à la libération des échanges entre l'Inde et les autres pays du monde.

Cependant, dans les statistiques, le Canada se place à la 28ième place parmi les pays bénéficiaires des produits indiens. Il y a donc quelque chose qui ne va pas. Quels sont les obstacles? Qu'est-ce que les Canadiens peuvent faire pour mener des affaires en Inde? Quels sont les plus gros défis que les Canadiens ont à surmonter?

[traduction]

M. Sarkar : Permettez-moi d’abord de dire qu’il y a d’importants obstacles à surmonter pour faire des affaires avec l’Inde du point de vue canadien, y compris la bureaucratie et la complexité pure et simple des transactions. Cette situation prévaut depuis de nombreuses décennies, nous le savons tous.

Toutefois, il est beaucoup plus facile de faire des affaires en Inde aujourd’hui, en particulier depuis deux ou trois ans, et certainement depuis les 10 dernières années. Le gouvernement actuel, en Inde, en est à son deuxième mandat, et vous pouvez constater, alors qu’il poursuit la mise en œuvre d’une série de réformes, qu’il est de plus en plus facile de constituer des sociétés là-bas et de participer à des partenariats publics-privés, par exemple. Le processus devient plus clair pour les entreprises.

Cela dit, il y a d’excellents exemples de sociétés canadiennes qui font des affaires là-bas. Je pense à Bombardier, qui est présent en Inde depuis des décennies et qui a, dans une certaine mesure, décodé le système indien. L’Inde poursuit le développement de son système commercial pour s’adapter à l’économie mondiale, mais cette évolution est un peu ralentie par la politique nationale et les ententes politiques.

Toutefois, les progrès en termes de réduction de bureaucratie et d’ouverture face à l’investissement étranger direct dans le monde sont des signaux positifs. Cela dit, il nous faut adopter certains de ces accords, et nous devons également compiler de meilleures statistiques sur les échanges.

L’un des défis en ce qui concerne notre relation avec l’Inde — et nous avons étudié la chose et nous cherchons à mieux la comprendre —, vient du sous-dénombrement des transactions. Une grande partie du commerce que nous effectuons avec l’Inde transite par des pays tiers, en raison des transbordements. Souvent, ces échanges sont considérés comme américains ou passent par une succursale à l’île Maurice et semblent s’inscrire dans le commerce avec Maurice. C’est ainsi que nos ventes d’or et de diamants destinés, en fin de compte, à l’Inde ne sont pas comptabilisées et ne figurent pas dans nos statistiques du commerce extérieur. Le vieil adage veut que si l’on ne mesure pas ce qui est important, on finit par accorder de l’importance uniquement à ce que l’on mesure.

Nous devons vraiment bien comprendre ce que nous faisons en Inde actuellement en termes de statistiques commerciales. Nous aurons plus d’élan et une meilleure plateforme de négociation en Inde si nous pouvons d’abord présenter quelques données. Dans le dossier du plafond des investissements étrangers directs, par exemple, nous pouvons nous joindre à d’autres pays importants pour négocier avec l’Inde.

M. Shouldice : J’ajouterai deux ou trois commentaires à l’essentiel de ce que vient de dire mon collègue. Je crois moi aussi que l’Inde est sur la bonne voie. Nous devrions reconnaître que l’Inde encourage et favorise l’investissement étranger et les affaires depuis relativement peu de temps, beaucoup moins longtemps que le Canada.

J’appuie aussi ses commentaires sur l’initiative fiscale. C’était la principale raison pour laquelle je voulais soulever ces points aujourd’hui. C’est pour cela que le projet est controversé en Inde, auprès des groupes consultatifs des milieux commerciaux et de divers groupes consultatifs professionnels et d’organisations d’investissement. Par exemple, un grand cabinet de fiscalistes a commenté ces propositions il y a deux ou trois mois en soulignant qu’il s’agissait de gains pour les intervenants locaux et d’obstacles pour le reste du monde. Il considère que les initiatives fiscales proposées entraîneraient certains progrès pour les intervenants locaux, les contribuables du pays, mais qu’elles créeraient des obstacles pour les investisseurs étrangers. Ces observations correspondent à ce que pensent ceux qui suivent le dossier avec intérêt.

Pour résumer cette orientation générale, disons qu’il y a des progrès dans le processus d’approbation réglementaire des investissements étrangers. Les nouvelles politiques, la promotion de l’investissement étranger et la division du processus entre une approbation automatique pour la majorité des secteurs et une simple approbation officielle pour des industries ou secteurs protégés, sont positives. Toutefois, il reste les très lourdes formalités administratives qui accompagnent les investissements étrangers.

Pour ce qui est des politiques d’investissement étranger et direct qui s’appliquent aux divers secteurs, l’Inde se distingue de tous les autres pays parce qu’elle répartit les divers secteurs commerciaux et types d’investissement étranger de façon très complexe. Il faut du temps pour s’y retrouver et déterminer quelle catégorie s’applique à vous.

Autrefois, il fallait naviguer dans un labyrinthe de politiques et de règlements. Il y a à peine un mois, toutefois, le gouvernement de l’Inde et le ministère du Commerce et de l’Industrie ont publié une politique combinée des investissements étrangers et directs, et toutes les règles sont maintenant réunies dans un seul document. L’Inde s’est engagée à mettre à jour ce document combiné tous les six mois. Cela libère les gens comme moi et d’autres intervenants des milieux d’affaires, car il n’est plus nécessaire de rapprocher diverses politiques et dispositions législatives.

Je crois que les responsables indiens envisagent des objectifs, et l’on peut voir qu’ils les mettent en œuvre dans de nombreux secteurs. Il y a encore quelques secteurs, toutefois, où il faudrait leur indiquer qu’ils font peut-être fausse route.

[français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Je vous remercie tous les deux, j'aurai d'autres questions à vous poser.

[traduction]

Le sénateur Smith : J’ai une question à poser à M. Shouldice, et je vais demander à M. Sarkar de la commenter lui aussi. Permettez-moi tout d’abord de dire que vous représentez un excellent cabinet! J’ai fait mon stage, il y a bien des années, chez Borden Elliott.

Mais trêve de plaisanteries, tous les membres du comité sont très désireux d’améliorer les relations entre l’Inde et le Canada. Nous aimons discuter des aspects positifs, dont une économie en pleine expansion, qui sera la troisième en importance d’ici 20 ans, et la très dynamique communauté indienne que nous avons ici.

Toutefois, nous devons aussi aborder parfois ces questions délicates que vous avez soulevées, les écueils de nature fiscale. Prenez le paragraphe 2.4(f), il contient un mot qui commence par un « c », il a un caractère un peu délicat, mais il est là, noir sur blanc. Comme vous le savez, nous étudions aussi les relations avec la Chine et la Russie. Pour être parfaitement honnête, lors de notre visite en Russie il y a eu bien des discussions sur le monde et ses réalités.

Le ministre Nath est venu ici et il nous a fortement encouragés à nous engager. Qu’est-ce qu’il disait déjà? Le Canada est réveillé, mais il n’est pas encore sorti de son lit pour ce qui est des relations avec l’Inde.

Parfois, quand vous avez ces mécanismes qui représentent des empires bureaucratiques, toute une réglementation, il y a des occasions dont vous ne voulez pas entendre parler, mais si elles existent, elles existent. Nous n’en avons pas discuté avec lui.

Dans quelle mesure pouvez-vous parler sans ambages? Si nous rencontrons des représentants à Delhi, il vaut peut-être mieux le faire devant un café ou même une Kingfisher, dans un restaurant agréable, mais il faut être honnête à ce sujet.

Il y a des organisations qui donnent des cotes aux pays pour ce genre de difficultés. Je suis convaincu que nous avons ce genre de graphiques. Je sais que l’Inde vient bien loin sur la liste, malheureusement. Est-ce que les responsables le comprennent? Quels conseils pouvez-vous nous donner pour régler ce problème et à quel point pouvons-nous être directs? Que pensez-vous de ce que je dis? Vous savez exactement ce que je veux dire.

M. Shouldice : Tout d’abord, je crois qu’ils le comprennent. Je crois qu’ils apportent des améliorations. Certains d’entre vous ont peut-être vu à la une de la section Affaires du Globe and Mail le plus grand homme d’affaires indien. J’oublie son nom.

Le sénateur Smith : Je l’ai vu, oui.

M. Shouldice : Il y avait un article intéressant à son sujet. Il y était question d’une discussion très directe et d’une séance de questions et réponses au sujet de la corruption. Selon lui, vous pouvez simplement dire non, en Inde. De fait, la meilleure stratégie à adopter pour faire des affaires en Inde est peut-être d’établir la pratique, la politique et l’éthique d’entrée de jeu, dès que vous mettez votre entreprise sur pied. Il soutient, et j’ai tendance à le croire, que c’est sa façon à lui de faire des affaires, et celle de son entreprise. C’est donc possible.

Dans mon univers, les entreprises canadiennes qui font des affaires en Inde réussissent à relever ce défi, si vous voulez utiliser ce terme, en trouvant des partenaires locaux avec qui travailler. Elles laissent à leurs partenaires locaux la tâche délicate de traiter avec les divers fonctionnaires, si c’est la façon de procéder. Là encore, à force de parler avec ces gens, j’ai l’impression que les choses s’améliorent chaque année. Il me semble qu’il y a un certain enthousiasme et un niveau de confiance qui indiquent que ce problème ne sera plus qu’un souvenir, en Inde, dans un avenir assez rapproché.

Le sénateur Smith : Juste avant l’intervention de M. Sarkar, lorsque nous étions en Russie, c’était plutôt à Moscou, là où l’on a encore plus ou moins l’ancien système, que nous entendions parler de cela. Dans la région de Khanty-Mansiysk, en Sibérie, centre de la mise en valeur des gisements pétroliers et minéraux — le gouverneur, là-bas, est très influent, mais même cela mis à part —, l’économie est plus jeune, elle est plus raccordée au reste du monde, et c’est une façon de faire que l’on semble avoir évitée; dans les régions plus anciennes du pays, c’était presque une tradition.

Monsieur Sarkar, est-ce que vous avez des commentaires à faire sur cette question délicate?

M. Sarkar : Sénateur Smith, vous avez mis le doigt sur la solution. Dans les deux cas, ce sont essentiellement des questions de génération. Pour la génération des gens d’affaires indiens qui arrive à maturité aujourd’hui, l’activité est mondiale, le commerce d’envergure représente l’avenir et se fait certainement à l’échelle mondiale, et il y a beaucoup moins de corruption, je vous l’assure. Il y a de grandes différences entre les régions en Inde, et les régions où le développement est moins avancé, celles qui ont toujours été plus tributaires du gouvernement ou qui sont plus traditionnelles dans la façon de faire les choses, il y en a sans doute un peu plus.

L’autre facteur clé est que, à mesure que la classe moyenne de l’Inde s’engage dans les domaines de la politique et de la gouvernance et s’ouvre sur le monde, elle découvre qui sont ses partenaires et quels objectifs ils veulent atteindre, elle reconnaît la nécessité d’établir de nouvelles normes. C’est ce qui se passe en temps réel. Cela a commencé il y a déjà quelques années, peut-être une dizaine d’années. Les chefs d’entreprise vous offrent une réponse bien différente aujourd’hui, non pas seulement les chefs de grandes entreprises qui brassent beaucoup d’affaires avec le gouvernement, mais aussi ceux des entreprises régionales et des petites entreprises, en particulier des entreprises de technologie.

L’un des grands facteurs de ce changement est la poussée de la révolution technologique en Inde. Avec la croissance de Bangalore, d’Hyderabad et de ces centres qui sont maintenant des plaques tournantes mondiales de la technologie, une norme a été fixée quant à la façon dont les grandes sociétés indiennes doivent être gérées et le degré de confiance avec lequel elles peuvent affronter le monde. Les choses sont beaucoup plus tranchées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a à peine une génération. Là encore, l’influence du progrès est positive.

Je ne veux pas minimiser les difficultés. Les défis sont nombreux. Ils sont de nature organisationnelle, structurelle et de gouvernance, mais en termes généraux, pour ce qui est des points d’accès pour les entreprises canadiennes, ces questions sont gérables.

[français]

Le sénateur Rivard : J'aimerais poser quelques questions concernant le domaine nucléaire. Avez-vous une idée du pourcentage de l'électricité produite en Inde qui vient du nucléaire? Est-ce très peu ou très important?

[traduction]

M. Sarkar : Cela varie selon les régions. Je n’ai pas de statistiques sous la main, mais c’était un investissement non négligeable par le passé.

Comme vous le savez, l’Inde accuse un énorme déficit national en termes énergétiques. C’est une question qui préoccupe terriblement les responsables. Ils envisagent de construire 34 nouveaux réacteurs nucléaires au cours de la prochaine décennie, ce qui est évidemment un projet considérable. C’est une industrie où nous, les Canadiens, compte tenu de nos rapports historiques et de notre familiarité avec la technologie CANDU, nous avons de belles perspectives. Nous attendons avec impatience que l’accord sur la coopération nucléaire soit finalement conclu pour lancer ce projet.

[français]

Le sénateur Rivard : C’est à cela que je voulais en venir. Est-ce qu’Énergie atomique Canada fait déjà des présentations? Il n'y a pas de réacteur canadien actuellement en Inde.

[traduction]

M. Sarkar : EACL est très intéressée. C’est également un de nos commanditaires. Je ne parle pas en son nom, mais je crois savoir que la société mène des activités en Inde depuis quelque temps et qu’elle intensifie ses efforts pour agir en Inde, tant pour les ventes de réacteurs que du côté du soutien. Nous la considérons comme notre première carte, d’une certaine façon, pour élargir la relation du côté de l’offre de produits nucléaires qui pourrait s’établir entre les deux pays.

Par ailleurs, il y a aussi Cameco, qui est fort active. L’Inde sera un marché clé pour cette entreprise. Si nous avons ces deux cartes dans notre arsenal, cette capacité d’exploiter les occasions de plus en plus nombreuses qu’offrira le secteur nucléaire en Inde, alors je crois que les choses s’annoncent bien.

M. Shouldice : J’aimerais faire remarquer que les États-Unis et la France ainsi que, je crois, d’autres pays ont conclu des accords bilatéraux avec l’Inde dans le secteur de l’énergie nucléaire. Comme je l’ai mentionné précédemment, le Canada accuse peut-être un certain retard. Nous avons négocié un accord, et nous avons un cadre pour cet accord, mais nous n’avons pas encore réussi à le parapher. Nous risquons de laisser passer une belle occasion.

[français]

Le sénateur Rivard : Je voudrais revenir sur la fiscalité. Je comprends que c'est un projet de loi. Vous avez expliqué qu'une entreprise étrangère, prenons le cas de Bombardier, qui s'établit en Inde et peu importe les profits qu'elle ferait ou fait présentement en Inde, si elle fait des profits ailleurs dans le monde, un impôt serait prélevé par l'Inde. Est-ce qu'à l'inverse, les compagnies automobiles, par exemple, GM ou Chrysler, qui ont perdu de l'argent au cours des dernières années, supposons qu’elles ouvrent une manufacture en Inde et à cause des coûts de la main-d’œuvre et du marché national, elles font énormément d'argent en Inde mais en perdent partout ailleurs au monde. Elles pourraient déduire leurs pertes. Est-ce que cela s’applique seulement aux profits ou si le projet de loi inclut les pertes éventuelles à l’étranger?

[traduction]

M. Shouldice : Une partie de ce que je disais se rapporte uniquement à l’étape du projet de loi. Vous avez raison. C’est un projet de loi. Je ne l’ai peut-être pas dit, mais la date cible pour la promulgation de cette loi est avril 2011. J’ai indiqué qu’un débat rigoureux avait lieu en ce moment. On ignore encore l’issue du débat au sujet de ce régime fiscal.

Je ne veux pas répondre directement à la question sur la façon dont Bombardier pourrait être imposée, car je ne suis pas tout à fait certain de ses structures. La façon dont une entreprise canadienne ou étrangère structure ses investissements varie selon les projets. Ces entreprises peuvent par exemple créer une société nationale et ainsi devenir un contribuable national. M. Sarkar a fait allusion, précédemment, aux sociétés qui appuient leur structure d’investissement au moyen de dispositions de traité avec l’île Maurice, Chypre ou une autre compétence qui offre des conditions fiscales avantageuses.

Je crois, sénateur, que vous proposez ce que j’ai mentionné précédemment. Si certaines de ces nouvelles initiatives devaient aboutir, une entreprise étrangère qui fait des affaires, qui a des revenus en Inde et qui a des revenus ailleurs pourrait devoir payer plus d’impôt en Inde qu’auparavant. Je crois que c’est une question qui mérite d’être examinée de près.

[français]

Le sénateur Rivard : En conclusion, si vous le permettez, vous qui conseillez beaucoup de clients qui s'établissent dans d'autres pays, connaissez-vous d'autres pays industrialisés, peut-être pas de l'importance de l’Inde qui a un 1,2 milliards de population, mais est-ce qu'une telle fiscalité proposée se retrouve dans d'autres pays ou est-ce unique à l'Inde?

[traduction]

M. Shouldice : C’est une bonne question. Je ne suis pas certain de pouvoir y répondre, je ne suis pas fiscaliste. J’imagine que d’autres pays ont un système fiscal semblable. Je ne sais pas si certains seraient dans la même catégorie que l’Inde en termes de taille, de niveau d’industrialisation et d’avenir anticipé. Tout pays qui pourrait prendrait le genre d’initiatives que j’ai décrites serait sans doute dans une situation très différente — ce serait un pays moins industrialisé, moins « progressif ».

Le sénateur Jaffer : M. Shouldice, vous travaillez pour un grand cabinet d’avocats, et j’imagine que vous avez des bureaux en Inde. Administrez-vous des programmes d’échange avec la diaspora indienne au Canada? Est-ce que votre cabinet cultive des relations pour améliorer les perspectives commerciales non seulement de votre cabinet, mais de façon générale?

M. Shouldice : Nous n’avons pas de bureaux en Inde. Les règles actuelles du barreau et les lois habilitantes du barreau indien interdisent aux cabinets étrangers d’intervenir directement, d’ouvrir une succursale. Le relâchement de ces règles est attendu depuis quelque temps déjà.

D’importants cabinets d’avocats britanniques — les fameux cabinets du cercle de Londres — ont établi depuis quelque temps ce que j’appellerais des partenariats officieux avec des cabinets indiens locaux.

Nous avons été sondés à quelques reprises par des cabinets indiens au sujet d’ententes de ce type. Nous ne nous sommes pas encore engagés. Malgré tout ce qui se passe de prometteur entre le Canada et l’Inde et les entreprises canadiennes qui ont une forte activité commerciale en Inde, le Canada en est encore à ses balbutiements dans cet univers. Nous ne sommes pas dans la même ligue en Inde que le Royaume-Uni, les États-Unis ou d’autres. En conséquence, les cabinets d’avocats canadiens n’ont pas une aussi grande présence. Nous avons des relations avec un certain nombre de cabinets indiens et nous faisons des affaires en fonction de ces relations ainsi que pour appuyer nos clients qui travaillent en Inde.

Le sénateur Jaffer : Monsieur Sarkar, vous êtes bien connu dans tout le pays pour le travail que vous réalisez.

Vous avez mentionné quelques grandes entreprises comme Bombardier et RIM. Est-ce que vous travaillez aussi avec des entreprises de la diaspora indienne au Canada qui font des affaires avec l’Inde? Comment est-ce que vous encouragez la diaspora indienne à s’engager dans le commerce avec l’Inde?

M. Sarkar : Comme vous le savez, la diaspora indienne n’a pas besoin d’encouragement pour s’engager dans quoi que ce soit. Elle est engagée.

Un certain nombre d’organisations représentent la diaspora indienne sur le plan commercial. En tant qu’organisation, nous nous sommes taillé une place bien à nous en Inde et non pas en tant qu’organisation représentant la diaspora. Notre organisation est plutôt une société canadienne ordinaire qui veut stimuler les affaires avec l’Inde et être considérée comme un interlocuteur valable par les sociétés indiennes qui aimeraient faire affaire au Canada.

Évidemment, de nombreux membres importants de la diaspora indienne représentent des sociétés qui participent à notre organisation. Toutes proportions gardées, le Canada, un pays industrialisé, a la plus importante communauté indienne au monde. Ce fait, à lui seul, signifie que nous tirons déjà des avantages auxiliaires simplement en termes de circulation des personnes.

Azim Premji, par exemple, le président de Wipro, l’une des plus grandes sociétés d’impartition de TI au monde, était au Canada hier. Lorsqu’on lui a demandé quel lien il avait avec le Canada, il a dit qu’il avait des installations relativement modestes au Canada et qu’il espérait pouvoir les agrandir. Cela ne se compare pas à ses activités aux États-Unis, au Royaume-Uni ou ailleurs dans le monde. M. Premji a exprimé des regrets à ce sujet; il a dit que c’était un oubli de sa part. Il veut accorder plus d’attention au marché canadien, et il le fera. Lorsqu’on lui a demandé quel autre lien il avait, il a dit que sa sœur vivait à Halifax, qu’elle était médecin associée à l’Université Dalhousie, alors il visite Halifax à l’occasion.

C’est à des anecdotes de ce genre que l’on commence à reconnaître la position de force du Canada dans la diaspora indienne mondiale, en pleine croissance et qui exerce de plus en plus d’influence économique dans le monde. Cet aspect prendra encore plus d’importance à l’avenir.

Il nous faut faire tout cela. Il nous faut encourager les entreprises canadiennes de la majorité à se tourner vers l’Inde et aider les entreprises indiennes à songer au Canada. Nous devons aussi promouvoir activement les échanges avec la diaspora. Il y a beaucoup de commerce caché. De nombreuses personnes ont des entreprises dans les deux pays et font des allers-retours. Il y aura de belles occasions d’encourager cette relation à l’avenir.

Le sénateur Jaffer : Vous avez tous les deux parlé du Canada comme d’un pays qui en est à ses premiers balbutiements. Je ne vais pas poser de question au sujet du Royaume-Uni, parce que sa relation avec l’Inde est différente. Est-ce que les pays de taille moyenne comme l’Allemagne ou l’Australie font les choses différemment de nous? Qu’est-ce que nous devrions faire pour accroître notre présence en Inde, à des fins commerciales?

M. Sarkar : Pour reprendre ce que j’ai déjà dit, c’est une question d’accent. Ce n’est pas que nous n’avons rien à dire à l’Inde, mais il nous faut en quelque sorte combiner nos messages et les communiquer de façon concertée. Il nous faut vraiment travailler à cette question de l’image de marque du Canada. Nous commençons par les secteurs où nous sommes déjà solides, là où nous pouvons immédiatement agir en Inde : nos ressources, ce que nous faisons dans l’Ouest, nos points d’accès aux marchés de l’ALENA et le fait que la bourse de Toronto est la plus grande bourse de ressources au monde. Lorsque l’Inde regarde le Brésil et se dit « nous devons resserrer nos relations commerciales avec le Brésil », vers qui se tournera-t-elle? D’où viendront les accords? Où seront-ils financés? Ils devraient être financés à Toronto. Nous avons un certain nombre d’atouts que nous pouvons faire jouer en Inde, mais il nous faut commencer à les montrer de façon concertée.

Par ailleurs, nous devons conclure ces ententes. Si nous n’avons pas d’ententes en vigueur, nous n’avons pas de point d’entrée. C’est le levier qu’il faut pousser pour pouvoir commencer.

Je pourrais vous donner une réponse beaucoup plus longue, mais si nous commençons sous cet angle, si nous nous disons que l’Inde sera notre priorité absolue et si nous concluons finalement ces ententes, alors notre situation sera très différente dans 36 mois d’ici.

M. Shouldice : Pour compléter, et il en a été question précédemment, il faut des visites régulières entre nos politiciens de haut rang et les cadres supérieurs de nos entreprises. Ces démarches symboliques sont beaucoup plus importantes pour les gens en Inde qu’elles ne le sont ici, au Canada. Dans cette culture différente, cela revêt une énorme signification.

M. Sarkar a aussi parlé du programme d’échanges étudiants. Nous avons une belle occasion d’accroître les échanges étudiants entre les deux pays. Comme l’a mentionné M. Sarkar, les Indiens sont disposés à investir beaucoup d’argent dans l’éducation de leurs enfants, et ce, même au niveau secondaire. Le Canada est parfaitement en mesure d’offrir une éducation postsecondaire de grande qualité.

Cela nous ramène à certains des points que nous avons soulevés aujourd’hui. Cela nous permet de rapprocher nos cultures et peut-être aussi nos déontologies commerciales. Cela nous rapproche. Tout aussi important, ce type d’activité permet de nouer des relations et favorise la bonne volonté entre des personnes qui deviendront les dirigeants et les chefs de l’industrie de l’avenir. De petites initiatives comme celles-là, de façon cumulative, auront une incidence marquée.

Le sénateur Stollery : Je ne veux pas parler de corruption, mais je me souviens que nous avons acheté beaucoup de tissu en Inde de 1955-1956 jusqu’en 1966-1967. Notre entreprise familiale a remplacé son vialla par du cotswold de Madras. Nous achetions le tissu nous-mêmes et nous le faisions tailler. Nous avions une entreprise importante. Je ne me souviens pas que nous ayons éprouvé beaucoup de difficultés. C’était une entreprise qui faisait de très bonnes affaires, mais elle ne ferait sans doute pas le poids aujourd’hui. Il y avait tout de même assez de tissu pour tailler 500 douzaines de chemises par année.

Ces conversations sont plutôt extraordinaires. Si je me souviens bien, à notre dernière réunion, le sénateur Finley nous a rappelé qu’ils veulent acheter 700 aéronefs du type que Bombardier fabrique principalement à Toronto. C’est un énorme marché. Pourtant, nous constatons aussi dans le cadre de nos audiences que notre commerce avec l’Inde est moins important que nos échanges avec le Chili. C’est tout simplement incroyable. Nous avons négligé ce pays. Au milieu des années 1950, il y avait de nombreux étudiants indiens à Toronto. Je travaille à l’angle de Bloor et Yonge, en plein cœur de ce genre d’activité. Qu’est-ce qui s’est passé? Quelque part, nous avons manqué le coche.

Le sénateur Smith : Ce sont leurs arrières petits-enfants qui viennent ici, maintenant.

Le sénateur Stollery : C’est extraordinaire. Nous avons, après tout, le lien britannique avec l’Inde. Il y a une longue histoire avec l’Inde. Je ne veux pas m’éterniser là-dessus, parce que nous avons entendu un témoignage extrêmement intéressant ici, aujourd’hui. L’Allemagne est le deuxième exportateur au monde, et dans quelques années elle pourra même s’approcher de la Chine, sinon la dépasser, selon les années, alors qu’elle n’exportait rien du tout en 1955. Quel est son secret, qu’est-ce qui nous a échappé?

M. Sarkar : En 1997-1998, je travaillais pour une entreprise allemande d’experts-conseils en gestion qui était basée en Inde, elle venait à peine de démarrer. C’était une entreprise d’experts-conseils mondiale appelée Roland Berger, et je l’aidais à mettre sur pied ses activités en Inde, avec une équipe. Cela m’a donné une fort bonne idée de la façon dont les Allemands procèdent. Honnêtement, ils se concentrent sur ce qu’ils font de bien, le génie et la fabrication, en particulier dans des secteurs qui ne sont pas particulièrement attrayants. Je vous donne un exemple. Siemens travaille en Inde depuis plus de 100 ans. Essentiellement, c’est une société indienne à l’heure actuelle. Elle mène ses activités dans le domaine de l’équipement, par exemple pour le secteur automobile. Les Allemands sont de gros joueurs. Daimler Chrysler est installée en Inde, en lien avec l’organisation Tata, à Puna, qui est un grand centre de fabrication d’automobiles. Il s’agit de commencer par ce que nous faisons de bien à l’échelle mondiale et de vraiment pousser notre avantage. Nous pourrions certainement nous trouver au même point que l’Allemagne aujourd’hui et nous avons toutes ces possibilités, dans tous ces secteurs dont nous avons parlé, y compris le réseau de la diaspora et les ressources, toutes ces choses dont l’Inde a besoin à l’heure actuelle, de façon non pas marginale mais bien exponentielle. Toutefois, nous devrons déployer un effort concerté, et cela doit venir de nous. Cela ne viendra pas de l’Inde. Il y a une longue file devant la porte de chaque PDG ou ministre important en Inde à l’heure actuelle. Nous devons faire cet effort nous-mêmes. Il n’y a pas de temps à perdre.

Le sénateur Di Nino : Monsieur Sarkar, vous dites qu’il nous faut faire cet effort nous-mêmes. Qu’est-ce que vous entendez par là?

M. Sarkar : Je vous donne deux exemples. Premièrement, nous, le monde des affaires, les dirigeants d’entreprises à tous les niveaux et dans tout le pays, en particulier au niveau supérieur de la gestion, nous devons vraiment réfléchir à cela. Il incombe à chaque gestionnaire ou cadre d’entreprise, individuellement, de déterminer ses priorités mondiales. Il est rare que les plans stratégiques des organisations d’une certaine envergure n’englobent pas l’Inde. À cette étape, compte tenu de la compétition en Inde à l’heure actuelle, nous devons vraiment commencer à faire des démarches et à resserrer les liens entre les dirigeants supérieurs de nos entreprises ici et ceux des entreprises de l’Inde. C’est ainsi que nous pouvons commencer à vraiment stimuler les échanges.

Deuxièmement, le gouvernement doit s’engager. Le gouvernement doit faire preuve de leadership. Tout le monde s’entend absolument, dans notre pays, pour dire que nous devons nous tourner vers l’Inde. Ce n’est pas une question de partisanerie politique. Ce qu’il nous faut vraiment, c’est un plan d’action qui pourrait même comporter une échéance. Nous pourrions nous dire que d’ici le 31 décembre, nous aurons un plan d’action concerté qui indiquera ce que nous ferons, les fonds que nous allons investir et la façon dont nous allons faire progresser les choses avec l’Inde, de façon exponentielle plutôt que différentielle.

C’est une réponse brève à une question fort vaste.

Le sénateur Di Nino : Je crois qu’il y a sans doute plus d’ignorance que de mauvaise volonté au Canada au sujet des occasions qui s’offrent en Inde, mais j’ai peut-être tort. Je vous pose la question. La première fois que je suis allé là-bas, c’était à la fin des années 1980. Je dînais avec quelques amis personnels. Un des parents de mes amis, le chef d’une entreprise de taille moyenne, était là. Il a fait un commentaire qui m’a renversé. Il a dit « Quel dommage que la classe moyenne dans notre pays ne représente que 20 p. 100 de la population. » J’ai fait un rapide calcul et j’ai répondu « Mais c’est plus que le marché des États-Unis ». C’était il y a 20 ans, sinon plus.

Est-ce que c’est une partie du problème, c’est-à-dire le fait que le Canada ne comprend pas vraiment les occasions qu’offre l’Inde, les entreprises et le gouvernement?

M. Sarkar : Je le crois. Ce n’est pas un problème propre au Canada. Je veux dire, nous n’avons pas de handicap irrémédiable dans ce dossier, parce que d’autres pays ont le même problème. C’est lié à un certain nombre de facteurs, y compris le rythme auquel le monde évolue. La notion que l’Inde pourrait être un marché d’une telle envergure; la notion que la Chine pourrait s’être transformée pendant que nous n’y portions pas attention et qu’elle a construit toutes ces villes, nous avons de la difficulté à saisir cela. Il y a un rattrapage à faire. En tant qu’individus, nous devons moderniser notre logiciel au niveau tant du gouvernement que des entreprises. Pour régler le problème, il faut voyager, aller là-bas, voir ces endroits de nos propres yeux. Si vous ne les voyez pas, vous avez de la difficulté à saisir tout le sérieux de la situation, et pas seulement les possibilités mais aussi la façon dont nous devons nous y préparer. Il nous faut régler cette question dans un très proche avenir, si nous voulons que nos enfants puissent profiter de ces occasions.

Le sénateur Di Nino : À en juger par votre réponse, je crois que vous pensez que le gouvernement canadien n’a ni la volonté ni les ressources nécessaires, à l’heure actuelle. Est-ce que je vous comprends bien?

M. Sarkar : Non. Depuis deux ou trois ans, tous les gouvernements du pays, le gouvernement fédéral et les divers gouvernements provinciaux, sont au courant de l’importance de l’Inde. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une question de volonté politique. Je crois que la difficulté, pour tous les ordres de gouvernement, consiste à traduire dans les faits la volonté politique et à faire bouger les choses. C’est un problème de gouvernance. Il nous faut continuer à nous en préoccuper. Les sénateurs, c’est-à-dire vous, et le Parlement ont un important rôle à jouer, mais l’administration publique doit aussi s’en mêler. Dans l’ensemble, je ne peux que louer l’orientation que prennent tous les gouvernements de notre pays, les provinces et les villes comprises, dans ce dossier, et cela me donne des raisons d’espérer.

M. Shouldice : Peut-être que le Canada s’est trop concentré sur la Chine depuis 15 ou 20 ans. Un certain nombre d’initiatives ont été menées par le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux, en particulier la Colombie-Britannique, qui travaillent en étroite coopération avec le Canada pour élaborer des stratégies et mettre sur pied des initiatives.

Ma dernière expérience en Inde m’a permis de constater que je pensais beaucoup comme vous, c’est-à-dire qu’une dynamique de développement intrigante est en jeu. Je crois que nous avons beaucoup plus en commun avec l’Inde qu’avec la Chine, en raison de la relation du Commonwealth et de l’histoire, ainsi que sur bien d’autres plans. Nous devrions lui accorder plus d’attention. L’Inde offre d’immenses possibilités, et les occasions de faire des affaires de façon efficace et productive avec l’Inde seront sans doute plus faciles à saisir, à la longue, que dans le cas de la Chine.

Le sénateur Di Nino : M. Gary Comerford nous a dit la même chose la semaine dernière, quand il est venu témoigner devant nous.

Monsieur Shouldice, vous avez parlé des accords et vous avez dit que nous devions les conclure. Si j’ai bien compris, le Canada a fait sa part, et la balle est maintenant dans le camp de l’Inde. Est-ce que vous savez quelque chose que nous ignorons?

M. Shouldice : J’ai peut-être fait ce commentaire, mais je voulais dire qu’il fallait passer à l’étape suivante et les mettre en œuvre.

Dans le cas de l’accord commercial bilatéral, nous sommes paralysés parce que le gouvernement indien a indiqué qu’il n’approuvait pas totalement le texte de l’accord. Si je comprends bien, il ne parle pas de sérieuses différences de principe mais plutôt de quelques problèmes qui se rapportent au libellé. Je ne crois pas que ces difficultés, ces questions de libellé, soient généralement connues. Je ne connais pas les détails, je ne sais donc rien de plus que vous. Ceux qui préconisent l’amélioration du commerce bilatéral encouragent le gouvernement à trouver un moyen de passer à l’étape suivante et de ratifier l’accord.

Le sénateur Downe : Pour donner suite à la question du sénateur Di Nino, je crains que le gouvernement, sauf en ce qui concerne l’Union européenne, cet immense accord… je crains que le gouvernement n’ait pas adopté la position qui vous semble nécessaire. Le Canada vient de conclure un accord avec le Pérou. Il négocie avec la Jordanie, l’Ukraine, le Panama et la République dominicaine. Ces pays, collectivement, n’offrent que des occasions commerciales mineures pour le Canada, et les ressources du gouvernement sont limitées. Je crois que ce que vous nous dites, c’est que nous devons fixer nos priorités. L’une des priorités que vous recommandez, c’est l’Inde. Nous allons examiner cela avec d’autres témoins.

Un témoin nous a dit qu’il y avait au Canada environ 2 800 étudiants indiens qui fréquentent nos universités et nos collèges, alors qu’ils sont 28 000 en Australie. Savez-vous ce que les Australiens font de plus que nous dans ce domaine?

M. Sarkar : J’ai vu quelques chiffres à ce sujet. Selon les derniers calculs, il y a peut-être 7 000 étudiants indiens au Canada. C’est une goutte d’eau dans l’océan, comme vous le savez.

L’Australie a recruté des étudiants de façon très dynamique en Inde, grâce à diverses subventions et à un programme de promotion de l’image de marque de l’Australie. Elle considérait que c’était une source de devises pour de nombreux établissements australiens. Le succès de cet effort montre le désir croissant des Indiens de toutes les classes sociales d’étudier à l’étranger. Ils y trouvent de la valeur. Ce chiffre ne fera qu’augmenter de façon exponentielle à mesure que l’Inde s’enrichira. La demande d’éducation canadienne en Inde augmentera, indépendamment de ce que nous ferons. Toutefois, il serait possible de s’attaquer plus énergiquement à ce marché non seulement pour les grandes universités mais aussi pour tout un ensemble d’établissements d’enseignement au pays.

Il y a quelques mois, j’étais à Halifax où je devais prendre la parole devant un certain nombre de personnes intéressées par le secteur. C’est un endroit extraordinaire. J’ai grandi à Halifax, en Nouvelle-Écosse, alors je ne suis pas tout à fait impartial. C’est une fabuleuse ville universitaire que nous pourrions faire connaître en Inde — de fait, toute la région pourrait être mise en valeur — et faire précisément ce que nous voulons faire; c’est-à-dire attirer des étudiants d’un certain calibre. Nous ne voulons pas vraiment les talents modestes, si je peux m’exprimer ainsi, nous voulons des étoiles montantes qui viendront ici pour s’instruire et pour comprendre le Canada sous tous ses aspects et dans toutes ses régions.

Il nous faut établir une stratégie régionale. Si nous pouvons apprendre quelque chose des Australiens, c’est à nous mettre en valeur. Ils ont eu des difficultés, il y a eu certains incidents là-bas, quelques étudiants indiens ont été agressés en Australie, et l’attitude envers l’Australie a un peu changé en Inde. Je ne pense pas que nous aurons ces problèmes parce que nous recrutons dans un groupe distinct. Certains des groupes où les Australiens recrutaient n’étaient pas irréprochables, pour ainsi dire. Nous ciblons un autre calibre d’étudiants. Notre atout, en Inde, ce qui nous aidera à vendre le Canada, c’est qu’à l’extérieur de l’Inde, nous sommes le grand pays multiethnique qui sert de modèle au monde pour la façon de faire ce genre de choses. Si nous arrivons à promouvoir adéquatement cet aspect comme caractéristique de l’image de marque du Canada, nous ne pouvons pas échouer en Inde.

La présidente : Vous dites que nous devons mettre l’accent sur l’Inde. Certains des sénateurs ici présents siègent depuis un bon moment déjà et ils ont entendu dire qu’il faudrait se concentrer sur l’Amérique latine, la Chine, l’Inde. Et chaque province a aussi son point de vue distinct, selon la côte dont elle est le plus rapprochée.

Comment le Canada peut-il dresser un plan réaliste qui ne soit pas inspiré par les modes? Tout le monde s’excite, nous passons à l’action, et six mois plus tard on nous reproche de ne pas accorder d’attention au marché émergent qui compte vraiment. Il me semble que nous devrions être prêts, au niveau tant provincial que fédéral, à nous promouvoir sur la scène internationale, ce qui donnera tout un éventail de systèmes de soutien aux entreprises, indépendamment de l’endroit où elles veulent faire des affaires.

Je viens de la Saskatchewan. Pour chaque région du Canada il y a des endroits dans le monde où l’on a l’impression de pouvoir faire des affaires et d’autres qui ne nous intéressent pas vraiment. Nous devons offrir des outils, avoir une attitude positive et un engagement politique, sans pour autant dire aux entreprises de se concentrer sur un pays donné.

M. Sarkar : Voilà toute une déclaration, pour quelqu’un comme vous, qui vient de la Saskatchewan, cette belle province qui est le principal partenaire commercial de l’Inde à l’échelon provincial.

Avant de faire mon commentaire précédent, j’ai parlé d’accent par opposition à une intention nationale et aux endroits qui offrent des possibilités. Je ne tiendrai pas compte de la Russie dans cette équation, même si je sais que certains d’entre vous y sont allés récemment. Le Brésil, l’Inde et la Chine transformeront le monde. Ces pays seront les véritables moteurs de la croissance au XXIe siècle. Nous devons être en Chine. Indépendamment de ce que nous faisons en Inde, nous devons être présents en Chine. Cela dit, nous pouvons faire plus d’une chose à la fois, mais il y a des conjonctures favorables, des moments à saisir, et c’est alors qu’il faut agir. À l’heure actuelle, c’est le moment pour l’Inde. Il nous faut maintenir la vitesse acquise et même accélérer. Il faut espérer qu’un moment comme celui-là viendra aussi pour la Chine.

La présidente : Vous dites que c’est une question de moment, que nous devons agir maintenant?

M. Sarkar : Il faut savoir discerner les courants globaux et aller de l’avant.

[français]

Le sénateur Robichaud : Si vous étiez pour établir une stratégie — on parle souvent du manque de stratégie — commenceriez-vous à discuter avec le gouvernement ou avec la communauté d'affaires? De quelle façon vous y prendriez-vous?

[traduction]

M. Sarkar : C’est le gouvernement qui doit diriger cette initiative. Les choses ont déjà commencé à bouger. Je sais que vous avez entendu M. Sunquist, M. Macartney et d’autres représentants du ministère des Affaires étrangères, et je sais que ces gens réfléchissent sérieusement à ces questions. Il vous faut un leadership politique pour aller de l’avant. Vous allez vous attaquer à ce dossier, et au départ il faut que le gouvernement manifeste son intention. Les entreprises doivent être mobilisées, et il y a un partenariat à établir, un partenariat stratégique. Ce n’est que lorsque le gouvernement prend la tête et que les entreprises sont mobilisées que l’on peut agir au moment opportun pour stimuler l’intérêt officiel de l’Inde d’un côté et celui des entreprises de l’autre.

M. Shouldice : Comme vous l’avez dit, madame la présidente, la stratégie doit être coordonnée. Elle doit être dirigée par le gouvernement, mais le secteur commercial doit s’engager, et il faut assurer la coordination à tous les niveaux. C’est un immense défi pour un pays comme le nôtre, nous avons pu le constater à maintes reprises, mais je crois que nous sommes en mesure de le relever. Si nous pouvons relever ce défi, de très belles occasions s’offriront à nous.

M. Sarkar : Je rentre tout juste de l’Inde. J’y étais en compagnie de l’honorable Roy MacLaren, notre président, de l’honorable John Manley, du Conseil canadien des chefs d’entreprise, de Peter Sutherland, qui était haut commissaire en Inde; et de quelques autres. Notre petite délégation avait pour tâche de promouvoir les accords que nous essayons d’instaurer et d’informer les milieux d’affaires indiens.

Si nous voulons établir rapidement une stratégie concertée, nous devons mettre de l’avant des organisations qui représentent les milieux d’affaires, convaincre le gouvernement d’appuyer ces initiatives et collaborer pour faire progresser les projets. La notion de stratégie concertée est essentielle.

[français]

Le sénateur Fortin-Duplessis : Quelles répercussions la crise économique mondiale a-t-elle eues sur les plans et les priorités à court et à long terme du gouvernement indien, en particulier en ce qui concerne ses relations commerciales en pleine expansion?

[traduction]

M. Shouldice : J’ai vu comment le gouvernement indien a réagi à la crise financière qui s’est abattue sur le monde entier. Il l’a fait d’une façon qui m’a semblé proactive et constructive. Par exemple, lorsque des entreprises allaient en Inde participer à de grands projets d’infrastructure ou en diriger, le gouvernement indien a élaboré des politiques et des initiatives qui répondaient à la crise financière en définissant de nouvelles façons de structurer le financement de ces projets. Il faut l’en féliciter et le reconnaître. Dans d’autres pays où la dynamique était semblable, les gouvernements ont mis un peu plus de temps à réagir à la crise financière. Il faut reconnaître que le gouvernement indien a très bien réagi.

M. Sarkar : Il est vrai que le gouvernement indien a fait un travail extraordinaire pour gérer la crise. Comme au Canada, la collaboration entre le niveau de la banque centrale et toutes les tribunes a été excellente. La réaction indienne au niveau officiel et au niveau des entreprises, après le réalignement, a été marquée par un regain de confiance. Depuis des générations, le monde dit aux Indiens qu’ils doivent ouvrir leur économie, laisser flotter leur devise et apporter des changements fondamentaux au marché, et ils ont résisté. Tout comme nos banques, ils ont maintenant l’impression que l’on reconnaît finalement la validité de leurs méthodes en matière de gouvernance. Maintenant, ils s’apprêtent à revenir à des taux de croissance de 9 et 10 p. 100. La crise mondiale a eu pour effet d’accroître leur confiance.

Le sénateur Di Nino : Le G20 tiendra bientôt sa conférence. Est-ce qu’elle offre des occasions, et est-ce que le Conseil de Commerce Canada-Inde participe à la création d’occasions? Si oui, est-ce que vous vous heurtez à de la résistance et est-ce que nous pouvons vous aider à la vaincre?

M. Sarkar : Je n’ai pas de laissez-passer pour le corridor de sécurité, et c’est très ennuyeux.

L’essentiel, pour ce qui est de l’Inde, c’est que nous devons conclure un accord bilatéral et le faire parapher par les premiers ministres. Dans le cadre de ces discussions bilatérales, nous espérons pouvoir faciliter la conclusion des trois accords dont nous avons parlé. Nous aimerions beaucoup qu’il soit possible d’accueillir une délégation indienne plus importante, les dirigeants du monde des affaires pourraient en être les hôtes.

Le défi, c’est une question de moment, et les contraintes de sécurité à la conférence du G20 ne nous aident pas. Divers représentants indiens viendront au cours du mois pour préparer le G20, et nous les rencontrerons en compagnie de nombre de nos membres. Il me semble excellent qu’ils se familiarisent avec le Canada.

Le sénateur Di Nino : C’est de cela que je voulais parler, car je suis convaincu qu’il serait très difficile d’inviter des gens à l’intérieur du périmètre de sécurité. Toutefois, je crois qu’il y aura des réunions parallèles et des possibilités. Je me demandais si vous aviez l’intention d’en profiter et si nous pouvions vous aider.

M. Sarkar : Nous aimerions bien tenir cette discussion de façon autonome. Nous dialoguons constamment avec nos amis au consulat et au Haut-commissariat de l’Inde.

Le sénateur Di Nino : Et avec le MAECI également.

M. Sarkar : Oui, nous entretenons aussi des liens étroits avec le MAECI.

La présidente : Monsieur Shouldice, monsieur Sarkar, merci d’être venus. Vous avez développé bon nombre des questions dont nous avons discuté et vous nous avez présenté des points de vue distincts. Vous avez dit que certains concepts pourraient nous aider. Nous allons suivre la situation pour voir si la loi est adoptée aussi rapidement que vous croyez qu’elle le sera, en gardant à l’esprit les difficultés auxquelles nous nous heurtons lorsque nous voulons adopter des lois, ici.

Monsieur Sarkar, je vous remercie pour le travail qu’accomplit votre conseil et je vous remercie d’être venu témoigner aujourd’hui.

Honorables sénateurs, nous avons une autre réunion demain.

(La séance est levée.)

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