Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
OTTAWA, le jeudi 5 mai 2016
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, afin d'étudier les relations étrangères et le commerce international en général (sujet : accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux : perspectives pour le Canada) et les faits nouveaux en matière de politique et d'économie en Argentine dans le cadre de leur répercussion possible sur les dynamiques régionale et globale, dont les politiques et intérêts du Canada, et d'autres sujets connexes.
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international est autorisé à étudier les questions qui peuvent survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général. Conformément à son mandat, le comité continuera d'entendre des témoins aujourd'hui en ce qui concerne le sujet des accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux en mettant l'accent sur les perspectives pour le Canada. Nous avons déjà entendu des universitaires, des spécialistes, des représentants gouvernementaux et des intervenants du milieu lors de plusieurs réunions sur ce sujet, et nous continuerons de le faire dans les semaines à venir.
Je suis ravie d'accueillir ce matin un représentant des Manufacturiers et Exportateurs du Canada. Nous entendrons Mathew Wilson, vice-président de la politique nationale.
Merci de votre présence devant notre comité. Je sais que vous n'en êtes pas à votre première présence ici et que vous connaissez notre fonctionnement; vous ferez un exposé, puis des sénateurs vous poseront des questions.
Bienvenue au comité. Vous avez la parole.
Mathew Wilson, vice-président principal, Politique nationale, Manufacturiers et Exportateurs du Canada : Bonjour, mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie énormément de votre invitation à témoigner devant votre comité. C'est ma deuxième ou ma troisième présence ici, et je trouve toujours que nous avons des discussions intéressantes.
Premièrement, les Manufacturiers et Exportateurs du Canada sont l'association industrielle et commerciale la plus ancienne et la plus grande au Canada, ainsi que la plus influente. Je suis ravi d'être ici au nom des 60 000 manufacturiers et exportateurs canadiens et des 2 500 membres directs des MEC. Même si notre association représente certains des plus importants acteurs industriels au Canada, plus de 85 p. 100 de notre réseau est composé de petites et moyennes entreprises appartenant à des intérêts canadiens qui sont issues de tous les secteurs industriels, de tous les secteurs d'exportation et de toutes les régions du pays.
Le secteur manufacturier est le plus important secteur d'activité au Canada. Les ventes du secteur manufacturier canadien ont atteint 571 milliards de dollars l'an dernier, ce qui représente 11 p. 100 de l'activité économique totale du Canada. Les manufacturiers offrent des emplois productifs, bien rémunérés et à haute valeur ajoutée à plus de 1,7 million de Canadiens. Leur contribution est essentielle à la création de la richesse qui soutient le niveau de vie de tous les Canadiens.
Bref, le marché intérieur canadien est tout simplement trop petit pour assurer la prospérité des manufacturiers. Le secteur manufacturier est grandement axé sur les exportations. Plus de la moitié de la production industrielle du Canada est exportée directement, soit dans le cadre de chaînes d'approvisionnement mondiales et intégrées dans le secteur manufacturier ou soit sous la forme de biens de consommation finale, et ce, dans pratiquement toutes les catégories de produits. Les biens manufacturés représentent 75 p. 100 de toutes les exportations canadiennes, et cette proportion gagne en importance, compte tenu de la faiblesse continue des cours des ressources naturelles.
Même si le marché américain demeure la priorité absolue pour la majorité des exportateurs canadiens — principalement en raison des chaînes d'approvisionnement intégrées dans le secteur manufacturier —, de plus en plus de manufacturiers canadiens veulent tirer profit des nouveaux débouchés ailleurs dans le monde. Cela inclut des marchés au sein de l'Union européenne par l'entremise de l'AECG, en Amérique du Sud, en Amérique centrale et en Asie grâce en particulier au PTP. Cependant, les manufacturiers canadiens cherchent à tirer profit de ces nouveaux débouchés, mais ils sont aussi de plus en plus inquiets de l'augmentation de la concurrence sur les marchés intérieurs canadiens.
Par conséquent, même si les MEC sont généralement favorables aux accords commerciaux, nous n'appuyons pas sans réserve n'importe quel accord de libre-échange bilatéral ou multilatéral. Les MEC croient que nous devons ratifier seulement les accords commerciaux qui satisfont à certains objectifs. En voici certains. L'accord crée des règles équitables pour les manufacturiers canadiens en vue de garantir qu'ils peuvent exporter dans les marchés étrangers autant que leurs concurrents peuvent le faire dans le marché canadien; il permet l'exportation non seulement de ressources naturelles, mais aussi de produits canadiens à valeur ajoutée; il améliore l'accès au marché pour les biens à valeur ajoutée et les personnes; il ne nuit pas aux chaînes d'approvisionnement intégrées dans le secteur manufacturier qui ont été mises en place grâce à de précédents accords de libre-échange, notamment l'ALENA.
Dans cet esprit, les MEC ont soutenu les récentes négociations du Canada en vue de conclure des accords de libre- échange. Nous comprenons que, dans certains cas, il y aura des répercussions pour certains secteurs de l'économie et que les négociateurs et le gouvernement doivent trouver des moyens de contrer le tout, mais nous savons qu'au final les accords commerciaux seront profitables pour le Canada.
Cependant, pour que des accords commerciaux soient véritablement profitables, les entreprises canadiennes doivent en fait pouvoir en tirer profit. Il est essentiel de ne pas perdre de vue que les possibilités d'exportation prennent naissance au Canada et qu'elles dépendent de la force de notre marché intérieur, de l'innovation dont fait preuve le secteur privé et du soutien que reçoivent les exportateurs canadiens en vue d'avoir accès aux marchés étrangers et d'y connaître du succès.
Pour être honnête, le Canada a connu peu de succès dans ses accords commerciaux. Outre l'ALENA et en particulier les relations commerciales entre le Canada et les États-Unis, très peu d'accords de libre-échange, voire aucun, ont entraîné une augmentation des exportations de biens, encore moins dans le secteur manufacturier canadien de pointe.
Nous devons agir différemment si nous voulons connaître du succès et une croissance. De notre point de vue, il y a trois priorités à cet égard : un environnement commercial concurrentiel au Canada; un solide réseau de soutien commercial et de meilleurs renseignements et formations pour nos exportateurs.
Tous les accords commerciaux ouvrent la porte à une plus grande concurrence. Nous devons nous y préparer. Même si le secteur privé est disposé et prêt à livrer concurrence à d'autres joueurs selon des règles du jeu équitables, notre environnement commercial n'est souvent pas équitable. Nous avons au Canada un régime fiscal de calibre mondial pour les sociétés, mais nous ne pouvons pas en dire autant pour de nombreux autres domaines. Les intrants, le fardeau réglementaire, la main-d'œuvre et l'énergie coûtent beaucoup plus cher aux entreprises canadiennes qu'à leurs concurrents. Par ailleurs, le soutien et les investissements au Canada dans l'innovation et les technologies de pointe sont loin derrière ce qui se fait dans les marchés concurrents, y compris bon nombre de pays avec lesquels nous ratifions des accords de libre-échange. Nous devons reconnaître que le Canada ne fonctionne pas en vase clos et que ces accords commerciaux renforcent ce concept. Notre environnement commercial doit être de calibre mondial au Canada si nous voulons connaître du succès sur la scène internationale.
Deuxièmement, notre réseau de soutien commercial est solide; n'empêche que nous pouvons et devons le renforcer considérablement. Les manufacturiers et les exportateurs ont besoin du soutien du secteur public pour atténuer les contraintes liées au financement et repérer des partenaires d'affaires dans les pays étrangers, qui contribuent à y stimuler les ventes canadiennes. Il est fondamental que le gouvernement continue d'investir dans le Service des délégués commerciaux; les initiatives de promotion des exportations qui tiennent compte des négociations du Canada en vue de conclure des accords de libre-échange et qui prévoient du financement additionnel pour faciliter les échanges commerciaux, comme le nouveau fonds CanExport, et les solutions de financement du commerce offertes par des organismes comme EDC.
Nous devons mieux informer les entreprises des débouchés sur les marchés étrangers. Malgré notre réussite et nos fortes exportations, très peu d'entreprises canadiennes s'intéressent aux autres marchés. Cela s'élève à environ 10 p. 100. Nous devons créer des programmes pour renseigner les entreprises sur les nouveaux débouchés et renforcer notre capacité et notre expertise internes en matière de commerce mondial. Par exemple, un programme d'accélération fortement axée sur les exportations qui ressemble à ce qui existe dans d'autres pays pourrait être utile à cet égard. Les exportateurs doivent être mieux renseignés sur les marchés étrangers et resserrer les liens avec les partenaires commerciaux internationaux grâce à un service accru des délégués commerciaux.
En plus de présenter les priorités des MEC en vue de soutenir le potentiel de croissance des exportations, vous m'avez également demandé de parler de dossiers chauds d'actualité relativement à la politique commerciale, y compris les dispositions sur la propriété intellectuelle, les mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et l'État et l'inclusion de la protection des droits des travailleurs et de l'environnement.
Les MEC sont favorables à l'inclusion de dispositions rigoureuses sur la propriété intellectuelle dans les accords commerciaux. Le vol de propriété intellectuelle de manière directe — la contrefaçon de biens —, ou indirecte réduit les investissements dans l'économie canadienne et a un effet négatif sur la croissance et les investissements des entreprises. Tous les accords commerciaux qu'envisage actuellement de signer le Canada doivent prévoir des règles solides et robustes en ce qui concerne l'application des droits de propriété intellectuelle aux frontières et en matière civile et pénale.
En ce qui a trait au règlement des différends entre les investisseurs et l'État, les MEC sont un ardent partisan de ce concept. Nous sommes d'avis qu'il est important que les accords commerciaux incluent des processus en vue du règlement rapide des différends avec les investisseurs. Cela protège les investisseurs canadiens lorsqu'ils prennent des décisions d'investissement, en particulier dans les marchés où les systèmes judiciaires laissent à désirer.
En ce qui concerne l'inclusion de la protection des droits des travailleurs et de l'environnement dans les accords commerciaux, c'est une question beaucoup plus difficile à répondre à bien des égards. En principe, les MEC croient que les accords de libre-échange sont un mécanisme positif qui accroît la richesse et le niveau de vie des participants et de leurs citoyens. Qui plus est, les accords de libre-échange doivent mettre en place des règles de jeu équitables pour les entreprises canadiennes et étrangères en ce qui concerne notamment ces normes réglementaires.
Cependant, le Canada ne peut pas tout simplement imposer à un autre pays ses normes réglementaires en matière de main-d'œuvre, d'environnement ou de tout autre domaine. Il en va de même pour le Canada, qui n'accepterait jamais d'adopter les normes réglementaires d'un autre. Nous devrions utiliser les accords de libre-échange pour accroître les protections et faire en sorte qu'elles s'arriment le plus possible avec ce qui est en vigueur au Canada, mais nous devons être réalistes. Nous ne pouvons pas tout simplement imposer nos normes aux autres, et une collaboration de longue haleine avec nos entreprises partenaires sera nécessaire en vue d'atteindre des niveaux acceptables.
Je vous remercie encore une fois de nous avoir invités ce matin à discuter des accords commerciaux bilatéraux et multilatéraux du Canada. Les MEC reconnaissent et saluent le leadership dont fait preuve le gouvernement en vue d'aider les manufacturiers et les exportateurs canadiens à prendre de l'expansion dans les marchés mondiaux grâce aux divers accords de libre-échange qui ont été ratifiés au fil des ans. Toutefois, nous devons mettre l'accent sur une approche fondée sur des principes commerciaux qui stimule les exportations à valeur ajoutée et ne nuit pas aux chaînes d'approvisionnement actuellement en place, tout en ayant un solide réseau de soutien qui permettra en fait aux entreprises de tirer profit des nouveaux débouchés.
Je vous remercie encore une fois, et j'ai hâte d'entamer nos discussions.
La présidente : Merci d'avoir traité d'autant de sujets. J'ai une liste de sénateurs qui aimeraient approfondir un peu certains de ces sujets.
Le sénateur Downe : Merci de votre exposé, monsieur Wilson. Je suis particulièrement intrigué par vos commentaires sur le succès mitigé de bon nombre de nos accords économiques. Nous n'avons qu'à examiner la balance commerciale et les données sur les exportations qui ont encore diminué le mois dernier.
M. Wilson : Oui. C'était un mauvais mois.
Le sénateur Downe : Si nous faisons abstraction des États-Unis et que nous regardons en particulier du côté du Mexique, je crois qu'avant l'ALENA il y avait un déficit commercial de 2 milliards de dollars. Il est maintenant de plus de 20 milliards de dollars. Nous avons signé des accords commerciaux avec le Pérou, la Colombie et la Jordanie. Nous devons évaluer à quel point ils sont utiles pour le Canada et à quel point ils contribuent à notre prospérité, mais je crois que vous avez mentionné dans votre exposé de possibles solutions. Pourriez-vous nous parler un peu plus de ce que vous avez dit au sujet de la promotion des exportations et du recours accru aux délégués commerciaux?
Lorsque je vois les données sur les exportations, je crois que cela démontre un manque de confiance. Lorsque je vois à la télévision des publicités idiotes d'EDC dans lesquelles il est question d'un crayon fait en Inde et d'une chemise faite en Chine et qui demandent pourquoi les entreprises n'exportent pas, je me demande si c'est le degré d'expertise et le cadre stratégique sur lesquels nous nous appuyons, et je me dis que nous avons un grave problème, si c'est le cas.
Je trouve que vous avez présenté d'excellentes suggestions. J'aimerais que vous nous en parliez davantage, en particulier en ce qui a trait aux délégués commerciaux. Savez-vous à quel point nous accusons du retard comparativement aux autres pays en ce qui concerne les investissements pour stimuler nos exportations?
M. Wilson : Vous posez un grand nombre de questions. Au sujet des publicités d'EDC, nous produisons de telles vidéos en partie pour réveiller les entreprises qui n'exportent pas ou qui n'y pensent même pas. Je crois que de tels types de stratégies ont leur raison d'être. Je crois qu'environ 10 p.100 des entreprises canadiennes font des exportations. C'est peut-être moins. C'est extrêmement peu, quelle que soit la façon dont nous l'examinons.
En ce qui concerne les entreprises qui font des exportations, le défi ou la réalité est que ce sont des échanges commerciaux au sein d'un réseau. Par exemple, il y a les fabricants de pièces automobiles qui exportent des biens dans le cadre d'une chaîne d'approvisionnement mondiale d'un équipementier. Cependant, si vous tenez seulement compte des entreprises canadiennes qui exportent directement leurs produits, le pourcentage serait nettement inférieur à 10 p. 100. Il n'y a probablement que 2 ou 3 p. 100 des entreprises qui exportent directement leurs produits. La majorité d'entre elles le font dans le cadre de chaînes d'approvisionnement.
Nous passons à côté de ces occasions d'affaires. Les entreprises n'en profitent tout simplement pas. Même lorsqu'elles exportent des produits dans le cadre de chaînes d'approvisionnement, elles ne passent pas à l'autre étape. Bref, si un fabricant de pièces exporte ses produits au Michigan dans le cadre d'une chaîne d'approvisionnement de Ford, de GM ou de Honda, il ne passe pas à la prochaine étape et ne pose pas la question suivante : « Comment pouvons-nous vous approvisionner en pièces dans vos installations manufacturières en Europe et en Asie? » Les entreprises ont tendance à mettre l'accent sur les marchés régionaux et locaux.
Si nous examinons ce que d'autres pays ont fait pour pallier certains de ces problèmes, nous avons d'excellents exemples. Prenons le cas de la Corée du Sud. C'est probablement l'un des meilleurs exemples d'une économie qui s'est développée rapidement au cours des 20 ou 30 dernières années. Il y a eu des investissements massifs dans les technologies manufacturières de pointe, en particulier dans le domaine de l'automobile et des technologies de consommation. Les autorités coréennes ont mis à profit l'ensemble de leur structure gouvernementale en vue de soutenir la croissance de ces secteurs et de ces entreprises. Elles ont ciblé les domaines dans lesquels elles voulaient connaître du succès et ont créé une structure gouvernementale pour les aider à y arriver.
Le service des délégués commerciaux, ou son équivalent coréen, se concentre exclusivement sur une poignée d'entreprises et de produits pour les aider, créer le bon environnement et offrir le soutien adéquat.
Nous essayons de le faire pour englober tout le monde et de traiter toutes les entreprises sur un même pied d'égalité. Cela ne donne parfois pas le meilleur résultat au final. Le Canada possède de véritables atouts dans le secteur manufacturier de pointe. Bombardier a beaucoup fait les manchettes dernièrement, mais le secteur aérospatial canadien est de calibre mondial, tout comme notre secteur de l'automobile. La majorité des pays dans le monde rêveraient d'avoir les capacités du Canada dans le secteur de la fabrication et de la salubrité des aliments; or, nous n'exportons pas beaucoup de produits alimentaires.
Si nous déterminions les plus importants secteurs industriels canadiens, en ciblions certains et développions une expertise au sein du gouvernement pour cerner l'aide dont ces secteurs ont exactement besoin, ce serait très utile.
Le Service des délégués commerciaux est incroyable, mais le personnel a tendance à être composé de spécialistes d'un marché ou de généralistes. Les délégués commerciaux n'ont donc pas une profonde compréhension du secteur ou des entreprises dont ils s'occupent, et cela crée beaucoup de frustration dans le secteur privé. Je ne cherche pas à les dénigrer; c'est tout simplement ainsi que le système s'est développé au fil du temps. Je crois que le Service des délégués a besoin de plus d'expertise interne relativement aux secteurs et à leurs besoins réels. Cela contribuerait énormément à pallier certains problèmes.
Le sénateur Downe : Je crois qu'une partie du problème provient de l'absence de politiques. Le gouvernement du Canada a signé de nombreux accords commerciaux au cours des dernières décennies, et le résultat a été de nous dire : « En voilà un de terminer; passons au prochain. » J'ai l'impression que d'autres pays sont plus proactifs et mieux préparés. Ils attendent la signature de l'accord commercial, puis ils préparent leurs industries à prendre d'assaut l'autre marché, ce qui a des effets sur leur économie. Je crois que nous oublions de faire la deuxième partie.
M. Wilson : Je suis d'accord. Prenons l'exemple de l'Europe. Nos négociations avec l'Europe ont duré un certain temps; je crois que cela a duré environ cinq ou six ans. Nous appuyons sans réserve l'AECG, et nous nous sommes montrés plus agressifs à certains égards que le gouvernement.
Nous avons lancé le Réseau canadien d'entreprises — qui a un lien avec l'Enterprise Europe Network —, un service de jumelage qui permet aux entreprises de partager des technologies entre elles, de faire du commerce directement les unes avec les autres et de collaborer à des recherches communes.
Manufacturiers et Exportateurs du Canada a lancé ce réseau de façon autonome il y a deux ans, et le gouvernement l'a appuyé publiquement. Le gouvernement en a fait la promotion et le réseau se débrouille très bien. Par ailleurs, la Commission européenne pour le commerce est à la recherche de partenaires canadiens. Elle effectue d'innombrables analyses de marché et s'efforce de créer des liens entre les entreprises. La Commission assure une présence régulière ici et elle fait preuve d'un grand dynamisme pour préparer le terrain. Nous avons eu ces échanges avec les Affaires étrangères ou Affaires mondiales, et ils sont conscients de cela eux aussi. Si nous attendons que cet accord soit mis en œuvre, nous aurons probablement déjà perdu. Nous devons mobiliser nos entreprises dès maintenant si nous voulons profiter de ces débouchés.
Les entreprises canadiennes — et cela dépend d'elles, dans une certaine mesure — doivent faire mieux pour se renseigner à propos de ces débouchés. Les associations comme la nôtre et le gouvernement doivent aussi faire mieux, collectivement, pour informer les entreprises des débouchés possibles et des normes qui s'imposent.
Dans un environnement multiculturel comme il y a maintenant, avec tous ces gens de partout dans le monde, je suis toujours surpris de voir que nous utilisons si peu nos avantages et les ressources naturelles que nous avons développées au fil des ans. D'autres que moi en ont parlé récemment.
La présidente : Je vais déroger à mes propres règles et poser une question supplémentaire. Vous avez donné l'exemple de la Corée, où le gouvernement a choisi un petit nombre d'entreprises sur lesquelles il met l'accent. Vous avez aussi cité l'Europe en exemple.
D'après ce que j'ai compris de notre politique étrangère concernant le commerce des services — je ne sais pas pour les années 1960, mais certainement durant les années 1970, 1980 et jusque dans les années 1990 —, c'est que nous étions là pour fournir de l'information, pour expliquer ce qui se passait dans les autres pays, notamment sur le plan politique, mais que nous ne devions pas servir d'agents pour les entreprises. La situation a évolué depuis, et nous sommes maintenant des facilitateurs. Nous travaillons en étroite collaboration avec les entreprises qui en font la demande.
Comme prochaine étape, il ne sera pas question de la capacité de notre politique étrangère et de nos délégués commerciaux. Il sera question de la volonté politique. Dans un pays comme le Canada, comment choisit-on les secteurs à mettre à l'avant-plan? Vous allez d'un océan à l'autre et vous choisissez celui-ci ou celui-là? Je dirais l'agroalimentaire, vous diriez l'aérospatiale, mais cela signifie que nous laisserons de côté une foule de provinces et de territoires. Quand on comprend la réalité politique, comment arrive-t-on à gérer ce type d'expertise et à pousser nos entreprises?
Vous pouvez voir comment cela se passe. Au cours de notre histoire, il est souvent arrivé que les gouvernements se servent des circonscriptions du pays pour expliquer pourquoi ils signaient ou ne signaient pas un accord commercial. Comment pouvons-nous surmonter cet obstacle et nous mettre dans la même position que l'Allemagne ou la Corée? Bien entendu, en ce qui concerne les États-Unis, la situation est complètement différente.
M. Wilson : Avec sa structure organisationnelle qui ne compte qu'une poignée de sociétés, la situation de la Corée est aussi très différente. De surcroît, la plupart des entreprises font en quelque sorte partie de conglomérats encore plus gros, ce qui est assurément très différent de la situation qui prévaut au Canada.
Ottawa craint toujours de choisir les gagnants. Le problème avec cela, c'est que tout le monde devient un perdant. Vous n'avez qu'à regarder les données sur le commerce pour vous rendre compte que 90 p. 100 de nos exportations sont le fait de seulement 10 secteurs. Pourquoi ne partirait-on pas de là? Je sais que vous ne voulez pas blesser qui que ce soit, et que le 11e secteur en pâtira peut-être, mais au bout du compte, ces 10 secteurs sont ceux où vous allez réussir.
Selon moi, il y a deux façons de faire. L'une est de s'intéresser aux secteurs de premier plan et de faire en sorte que le gouvernement améliore son propre savoir-faire dans ces différents secteurs. Par rapport à la situation d'il y a 30 ans, une chose a changé. À cette époque, le gouvernement avait des experts sectoriels. Industrie Canada en avait, et le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international — maintenant Affaires globales — en avait aussi. Or, il y a 10 ou 15 ans, il y a eu un changement radical. Ces ministères et le gouvernement en général ont cessé d'avoir ce type de savoir-faire sectoriel à l'interne. Les experts ont pris leur retraite et ils ont été remplacés par des généralistes, ce qui a eu une grande incidence sur les relations entre les entreprises de ces secteurs et le gouvernement, ainsi que sur la compréhension que le gouvernement peut avoir de ce que vivent les entreprises.
Voilà une chose qui pourrait être faite pour remédier à cela. Il ne s'agit pas de la capacité des personnes, il s'agit de leur organisation. Ce sont des personnes qui ont beaucoup de talent, mais ce n'est tout simplement pas le même savoir- faire que l'on obtenait de personnes passant des entreprises à la fonction publique, ce qui était beaucoup plus fréquent auparavant.
Pour ce qui est de choisir des gagnants et des perdants, vous pouvez choisir les 10 plus importants secteurs. Vous pourriez aussi en choisir 15, mais ce serait encore mieux avec 5. Quoi qu'il en soit, si vous choisissez un petit nombre de secteurs pour commencer et que vous élaborez des stratégies d'exportation pour ces secteurs, vous apprendrez comment ces stratégies devraient être élaborées pour tous les autres. Je ne dis pas que vous devriez tourner le dos à tous les autres secteurs. Je dis qu'il vous faut commencer par les quelques entreprises qui sont le mieux placées pour exporter. Vous aurez probablement beaucoup plus de succès en procédant de la sorte, et vous serez en mesure d'en tirer des leçons.
La dernière chose à retenir, c'est qu'il nous faut aussi cibler les secteurs particuliers où les accords de libre-échange nous permettront de marquer des points. Pour les Coréens, l'accord de libre-échange portait dans une proportion de 99 p. 100 sur leur capacité d'exporter des voitures au Canada. Il y avait bien certains autres produits de consommation, mais pour eux, l'objet principal de l'accord était les voitures. Au Canada, les discussions ont été âpres, car nous avons un très important secteur de l'automobile. Les Coréens ont ciblé ce secteur et ce marché afin d'être en mesure d'exporter ces produits particuliers.
En analysant les débouchés possibles dans le monde entier, nous devrions être en mesure d'arrimer beaucoup mieux les besoins des pays à nos savoir-faire particuliers. Bien souvent, ce lien n'existe pas. Je crois que, dans bien des cas, le service extérieur comprend ces besoins, mais que cette information ne revient jamais au marché canadien et qu'elle n'est jamais utilisée pour cerner et renseigner les 20 ou 30 entreprises qui pourraient répondre à ces besoins. Il y a discontinuité entre les deux.
Si vous vous penchez sur ces trois éléments, vous serez mieux en mesure de nous aider à surmonter les présents obstacles.
La sénatrice Johnson : Bonjour. Nous avons reçu un témoin, M. Matthew Kronby, un avocat spécialisé en commerce international qui affirmait que l'élimination des obstacles au commerce interprovincial allait permettre au Canada d'améliorer sa compétitivité et, par conséquent, d'être plus concurrentiel à l'échelle internationale. Il a donné l'exemple de l'Union européenne — un ensemble de 28 nations souveraines avec une population globale de plus de 500 millions d'habitants —, qui a un marché quasi intégral de libre-échange de biens et de services. En revanche, le Canada — un seul pays avec une population de seulement 35 millions d'habitants —, lui, n'en a pas.
Quelle incidence globale les obstacles au commerce interprovincial ont-ils eue sur la capacité des entreprises canadiennes à faire du commerce à l'échelle internationale, et dans quelle mesure l'élimination de ces obstacles est-elle une priorité pour les entreprises canadiennes?
M. Wilson : C'est une question difficile, n'est-ce pas?
Tout d'abord, je dirai que nous sommes de grands partisans du programme du gouvernement actuel et du gouvernement précédent, qui vise à éliminer les obstacles internes et à créer un véritable marché intérieur. Cependant, force est de reconnaître que la plupart des obstacles sont dans un ou deux secteurs clés.
Je ne sais pas si vous avez tous entendu parler de ce procès qui a lieu au Nouveau-Brunswick et de la circulation des produits alcoolisés, c'est-à-dire les spiritueux, le vin et la bière. C'est un problème qui existe depuis longtemps. Les conséquences ne sont pas énormes, mais le problème est surtout pour les consommateurs. De toute évidence, il y a aussi des enjeux relatifs aux offices de commercialisation dans d'autres secteurs — dont l'industrie laitière — qui posent des obstacles au commerce interprovincial, mais cela ne touche pas beaucoup la communauté des fabricants.
Les problèmes plus sérieux tournent autour de deux choses. Tout d'abord, il y a les pratiques en matière d'approvisionnement local et la possibilité pour les entreprises de soumissionner de l'autre côté de la frontière, ce qui semble être problématique même s'il ne s'agit pas d'un enjeu de compétitivité internationale, mais d'une question nationale.
Deuxièmement, la circulation des travailleurs spécialisés semble aussi problématique. La reconnaissance des compétences des travailleurs spécialisés qui traversent les frontières est encore très difficile. C'est la même chose en ce qui concerne la formation. Un soudeur en formation à Terre-Neuve devra reprendre son cours à zéro s'il déménage en Alberta.
Ce sont les types d'obstacles sur lesquels nous nous penchons. Le Canada peine à former suffisamment de travailleurs spécialisés. Pourquoi n'essayons-nous pas de faciliter cela à l'intérieur d'un marché canadien?
Je n'ai aucune idée de ce que cela peut coûter. Je ne suis ni un économiste ni un avocat, mais si j'étais un bon économiste, je pourrais probablement arriver avec un chiffre. Cependant, dans les faits, ces chiffres sont souvent hypothétiques. Ils sont basés sur des tableaux d'entrées et de sorties, et non sur un examen de la réalité.
Nous sommes d'accord. Pour nous, la question se résume à ces deux enjeux : l'approvisionnement intérieur et la circulation des personnes, et la circulation des personnes a une grande incidence sur la compétitivité internationale. Le fait de ne pas être en mesure d'avoir les effectifs voulus est un problème de taille pour la plupart des secteurs de l'économie. Malheureusement, nous limitons la mobilité des personnes; nous les empêchons de passer d'un endroit où il n'y a pas beaucoup de possibilités économiques à un endroit où de telles possibilités existent, et le fait que les personnes peinent à circuler mine notre compétitivité. C'est une chose que nous ne manquons pas de souligner quand nous nous entretenons avec le gouvernement.
La sénatrice Johnson : Je sais qu'ailleurs, ce n'est pas aussi difficile qu'ici, même aux États-Unis.
M. Wilson : Certaines entreprises m'ont dit qu'il est plus facile de circuler entre le Canada et les États-Unis qu'entre les provinces canadiennes.
Qu'allons-nous faire? C'est une question à un million de dollars.
Toute la circulation des professionnels est sous réglementation provinciale, et les organisations syndicales ont habituellement une influence de taille en la matière. Je crois que vous avez reçu un représentant des organisations syndicales. Nous travaillons en étroite collaboration avec ces organisations. Des mesures pourraient être prises à cet égard pour moderniser certains de ces règlements. C'est un enjeu sur lequel nous travaillons de près avec le Congrès du travail du Canada et d'autres regroupements syndicaux, et nous travaillons aussi avec les organismes de réglementation provinciaux et les responsables de l'apprentissage dans chaque province. Je crois qu'ils prennent conscience de la nécessité de moderniser tous les aspects de l'apprentissage et de la formation pour nos jeunes.
Il y a deux ans, j'ai eu la chance d'aller en Allemagne dans le cadre d'une mission avec le ministre de l'époque, M. Kenney, et un groupe d'environ 40 personnes, et nous avons jeté un coup d'œil au système allemand de formation et d'éducation. J'ai été frappé par la facilité qu'ont les gens de circuler en Europe. En matière de formation, les Allemands n'ont pas de normes régionales ou provinciales, mais bien des normes nationales. Un soudeur est un soudeur, un comptable est un comptable, et un avocat, un avocat. Les travailleurs n'ont pas à se soumettre à une revalidation provinciale ou nationale de leurs qualifications, ce qui est une bonne chose.
L'autre chose qui m'a frappé, c'est leur façon de donner la formation. Nous avons tendance à avoir des quotas, c'est-à-dire un nombre fixe d'apprentis. Les quotas existent pour protéger la main-d'œuvre existante plutôt que pour assurer la relève. La Saskatchewan a déjà réduit ses quotas. Vous pouvez avoir un apprenti pour trois compagnons, ou parfois même pour sept compagnons, alors ces quotas sont en train de diminuer. En Allemagne, il n'y a pas de quotas. Il y a des maîtres-apprentis, et ils peuvent être responsables d'autant de personnes qu'ils veulent.
Ce sont certains des aspects qu'il faudrait travailler. Nous devons revoir certaines de ces règles associées à une vision du monde qui date des années 1950 et 1960.
La sénatrice Johnson : Ma province, le Manitoba, s'est jointe au New West Partnership avec la Colombie- Britannique, l'Alberta et la Saskatchewan. C'est une démarche prometteuse, non?
M. Wilson : Ce devrait l'être, pour peu que le partenariat donne vraiment suite à ses engagements. Je ne sais pas à quoi m'en tenir. De ce que je comprends, nos membres appuient le New West Partnership, mais je ne suis pas certain qu'il ait éliminé autant d'obstacles qu'il le voudrait dans certains de ces domaines.
Le sénateur Dawson : Ma question est un peu dans le même contexte fédéral-provincial. Votre association a des affiliations provinciales. J'imagine que les priorités actuelles de l'affiliation québécoise sont Bombardier et l'industrie aérospatiale. En tant qu'organisme national, je pense que vous devez être un peu plus timides que les gens du Québec à soutenir Bombardier. Comment conciliez-vous les intérêts nationaux et ceux de vos membres du Québec? Dans de nombreux milieux au pays, il y a un certain sentiment anti-Bombardier. Comment composez-vous avec les intérêts de vos membres provinciaux, étant donné que les priorités provinciales sont parfois différentes des priorités fédérales? Comment vous débrouillez-vous avec ce dilemme canadien?
M. Wilson : C'est intéressant. Étant donné la structure de notre organisation, nous comparons souvent notre façon de fonctionner à celle du gouvernement, mais nous faisons les choses un peu différemment. Contrairement au gouvernement et à d'autres associations, nous sommes une organisation nationale. Un membre du Québec a donc le même statut qu'un membre de Terre-Neuve ou qu'un membre de la Colombie-Britannique. Nous sommes une personne morale aux termes d'une loi du Parlement, alors il n'y a pas de différence d'opinions. Nous débattons parfois de certaines choses et de la valeur relative de certaines approches, mais nos positions sont le fruit d'un consensus national forgé à l'interne avec nos membres. L'équilibre est parfois difficile à réaliser.
Nous sommes apolitiques. Chacun croit qu'il est unique. Lorsque vous sortez pour parler aux gens, vous vous rendez compte que chacun est unique pour des raisons semblables. Les méthodes pour arriver à des résultats sont souvent très simples. Nous nous efforçons de tenir compte des objectifs que tous recherchent et nous travaillons en aval à partir de cela.
Par exemple, nous sommes de sérieux partisans de l'aide gouvernementale à Bombardier. Notre bureau du Québec ou le président de notre association tiendrait le même discours que moi. Il n'y a pas de différence. C'est vrai, Bombardier est une société basée à Montréal, mais ses activités de fabrication ont lieu dans une très large part à l'extérieur du Québec. Comme vous le savez, ces activités sont en Ontario. Il y a une chaîne de prémontage à Kingston et les produits sont expédiés à Montréal. La société a aussi une chaîne de montage de wagons en Ontario, ces wagons qui sont destinés au nouveau système de transport en commun, ici, à Ottawa, ainsi qu'à Toronto et à d'autres endroits. Pour nous, Bombardier n'est pas une entreprise québécoise, mais un exemple de réussite canadienne.
Sur le plan commercial, nous devons nous assurer que Bombardier est solide au Canada pour qu'elle puisse évoluer à l'échelle internationale. Elle est l'une de nos quelques marques mondiales qui réussissent à prendre leur place à l'international. C'est une société authentiquement canadienne qui exporte et qui fait connaître l'innovation canadienne à l'étranger. C'est important. C'est important pour elle, mais aussi pour ses dizaines de milliers de fournisseurs.
Nos positions ne diffèrent pas, et nous appuyons Bombardier sans réserve. Pour tout dire, Bombardier est membre de notre association depuis des décennies; ce qu'elle fait est plus gros qu'elle et cela dépasse les frontières du Québec.
Le sénateur Dawson : Je vais envoyer une copie de votre affirmation à Éric Tétrault pour voir s'il est d'accord.
M. Wilson : Il ferait mieux.
Le sénateur Dawson : C'est très canadien.
Le sénateur D. Smith : C'est ma dernière réunion, étant donné que je prends ma retraite la semaine prochaine. J'ai adoré travailler avec vous.
La présidente : Vous ne participerez pas à nos réunions la semaine prochaine pour avoir une fiche parfaite? Nous comptions là-dessus.
Le sénateur D. Smith : Je quitte mes fonctions mercredi matin. C'est une longue histoire. J'ai hâte.
Il y a de cela plusieurs années — et sachez que j'ai toujours milité pour accroître nos exportations —, s'il est une chose qui me frustrait souvent, c'est qu'après avoir signé des accords bilatéraux, les chiffres sur les échanges commerciaux n'augmentaient pas. Au contraire, ils diminuaient invariablement. Je n'ai jamais compris pourquoi, mais cela se produisait toujours ainsi. Est-ce parce que nous ne négocions pas des accords assez solides? Que pensez-vous de cela? Je trouve toujours cela frustrant, chaque fois que nous négocions des accords bilatéraux.
M. Wilson : Oui, effectivement, c'est frustrant. Nous cherchons surtout à aider les sociétés. Il y a eu des circonstances inhabituelles — la Colombie, par exemple, avec laquelle nous étions en train de négocier un accord de libre-échange. Nous fabriquions dans le sud de l'Ontario un certain type de véhicule. Une société exportait un type de véhicule propre à ce marché. Elle importait des pièces de partout dans le monde et les assemblait, puis les envoyait en Colombie. À peu près au moment de la signature de l'accord, le contrat a pris fin. Il représentait 75 p. 100 de nos exportations vers la Colombie. Nos échanges commerciaux avec la Colombie ne sont pas importants, qu'il s'agisse d'importation ou d'exportation. Il y a des situations comme celle-là qui se produisent et qui peuvent faire diminuer les échanges commerciaux.
Les pays qui m'intriguent davantage sont les pays comme le Mexique. Nos exportations vers le Mexique n'ont pas augmenté du tout. Nous avons signé l'ALENA il y a 20 ans, et nos exportations vers les États-Unis ont doublé ou même triplé au cours de la même période. Nous avons mis en place des chaînes d'approvisionnement, et beaucoup d'entreprises canadiennes investissent là-bas, mais nos exportations vers le Mexique stagnent. Peut-être que mes données sur le commerce sont inexactes. Peut-être que nos exportations sont récupérées par les États-Unis plutôt que par le Mexique, je n'en sais rien, mais le cas particulier du Mexique demeure un mystère pour moi.
Le sénateur D. Smith : Trump n'aidera pas.
M. Wilson : En effet. En réalité, un accord commercial ne sert qu'à aider les sociétés à continuer ce qu'elles font déjà. Si les sociétés ne sont pas intéressées par un marché donné ou qu'elles n'ont rien à vendre sur ce marché, une entente commerciale ne servira à rien. Elle ne changera rien à la situation.
Lorsque nous signons des accords commerciaux, est-ce que nous le faisons pour des raisons politiques — et je comprends pourquoi — ou pour des raisons véritablement commerciales? Et si une occasion d'affaires qui pourrait faire croître notre présence sur les marchés étrangers se présente, je me demande si nous choisissons vraiment les bons partenaires pour nos exportations.
Le sénateur D. Smith : Ma dernière question concerne les dimensions politiques. Il y aura prochainement au Royaume-Uni un référendum, à savoir si le Royaume-Uni se retirera ou non de l'Union européenne. C'est un débat qui est déchirant et qui suscite de vives discussions. Bien sûr, beaucoup de gens pensent que si le Royaume-Uni se retire, cela risque de faire monter la fièvre indépendantiste en Écosse. Lorsque vous voyez des situations qui comportent des enjeux politiques, observez-vous des tendances particulières? Mes questions interprovinciales sont très frustrantes et je souhaite vraiment que les provinces démolissent les murs qui nous divisent.
M. Wilson : Nous n'avons pas à nous préoccuper de ces choses-là. De manière générale, les accords commerciaux devraient tenir compte des secteurs où des affaires se négocient et des perspectives de croissance à l'étranger. La question n'est pas tant celle des importations que celle des exportations. Une simple analyse de nos exportations actuelles, des endroits où nos sociétés se trouvent et des tendances à long terme nous donne une bonne idée de l'endroit où les affaires se font. Il ne faut pas se limiter à la nature des affaires. Le gouvernement doit être en mesure de donner l'exemple.
Par exemple, du côté du centre de l'Amérique du Sud, on s'intéresse beaucoup aux entreprises canadiennes parce que ces marchés sont beaucoup plus proches que d'autres. Il y a des entreprises canadiennes qui font déjà des affaires là-bas et il est possible d'envisager des marchés comme le Brésil. Le Brésil est un marché que beaucoup de sociétés canadiennes convoitent. Le problème est l'immense corruption et le risque politique.
J'ai parlé des relations entre investisseurs et États et de la protection de la propriété intellectuelle parce que ce sont des questions vraiment importantes, mais ce qui aiderait, c'est que nous puissions créer un environnement qui permet aux sociétés d'accéder à certains de ces très vastes marchés.
Par ailleurs, il y a la Russie qui, manifestement, pose certains problèmes. Une société comme Bombardier, qui a vendu beaucoup d'avions à la Russie, ne peut plus accéder aux marchés qu'elle veut. Nous devons examiner les possibilités d'affaires et aider les entreprises à accéder aux marchés où elles veulent aller, mais il faut également les mener vers les marchés en expansion. Il y a aussi les marchés du centre de l'Amérique du Sud, de l'Afrique et des pays en développement. Si nous pouvons nous y installer tôt, il sera possible d'y établir des normes et des points de référence.
C'est ce que fait l'Allemagne. Si vous connaissez le système allemand, vous savez que l'Allemagne utilise sa chambre de commerce nationale pour développer des marchés, bien plus que le fait notre Service des délégués commerciaux, et elle se positionne très tôt, bien avant que des accords commerciaux soient signés. Ces accords tendent à s'aligner sur ce que les entreprises font avec les relations qu'elles ont établies.
Le sénateur D. Smith : Je n'ai pas encore parlé de la corruption. Je sais que c'est important.
La présidente : Monsieur Wilson, vous avez abordé de nombreux points, comme toujours, et vous avez répondu à nos questions sur des sujets qui nous préoccupent. Votre témoignage d'aujourd'hui sera très utile pour notre rapport et notre tour d'horizon des accords commerciaux que nous avons déjà signés, mais aussi pour les futurs accords commerciaux dont nous discutons actuellement. Je vous remercie d'être venu témoigner et de nous avoir exposé votre point de vue. Nous avons beaucoup d'autres intervenants qui avaient des questions à poser, mais nous devons nous arrêter ici malheureusement. Peut-être une autre fois.
Je pense qu'il convient de terminer par une question du sénateur Smith. Le comité comptait vous revoir la semaine prochaine, mais je comprends que vous nous avez annoncé votre départ. Au nom du comité, sénateur Smith, j'aimerais vous remercier pour toutes ces années de loyaux services au Sénat et particulièrement au sein de ce comité. Vous avez défendu votre parti, vous avez défendu le Sénat et les questions qui vous préoccupent. Elles sont nombreuses alors je vous écoute.
Ce que j'aime de ce comité, c'est que vous exprimez toujours votre opinion, vous acceptez d'en discuter et vous souhaitez également en arriver à un consensus. Ce comité est reconnu pour produire des rapports qui, je crois, confirment son utilité. J'ai passé de nombreuses années avec vous à ce comité, sénateur Smith, et je peux dire qu'il y a eu un peu de vous dans chacun de ces rapports. En tant que présidente, je sais que vous avez amené d'autres personnes à exprimer leur point de vue. Je ne pourrais pas imaginer de meilleur représentant au Sénat ni de meilleur représentant du milieu de la politique étrangère et de ce comité en particulier.
Personnellement, ce qui va me manquer, ce sont les petits mots que vous me passiez, me demandant quand j'allais cesser de parler, ou quand nous aurions terminé. Mais souvent, ces petits mots servaient à me rafraîchir la mémoire à propos de bien d'autres choses, alors je vous remercie de votre appui.
Le sénateur Dawson : Envoyez-les-lui de la maison.
La présidente : Je vous en saurai gré.
Le sénateur D. Smith : Merci. Vous allez tous me manquer. N'hésitez pas à passer me voir quand vous serez à Toronto.
Le sénateur Downe : À titre de vice-président, je souhaite m'associer à la présidente pour dire que le sénateur Smith est un parfait exemple de membre partisan devenu non partisan. Il a étudié toutes les questions en gardant l'esprit ouvert, pas que quelqu'un de notre côté aurait pu l'influencer de toute façon avant qu'il ne devienne indépendant, mais il a toujours été un libre penseur. Le comité a tiré parti de cette disposition ainsi que de son expérience extraordinaire du monde des affaires et de ses autres champs d'intérêt, ce dont les rapports font foi. Comme la présidente l'a mentionné, vous allez beaucoup nous manquer à tous, sénateur Smith.
La présidente : Je pense que les autres membres partagent notre opinion dans les deux cas. Vous allez profondément nous manquer, et nous n'en apprécions que plus la contribution que vous avez apportée aux discussions et aux recommandations que le Sénat a pu formuler au gouvernement en matière de politique étrangère. Votre expérience nous manquera et vous aussi.
Le sénateur D. Smith : Merci.
La présidente : Honorables sénateurs, nous allons entamer notre seconde séance. Nous sommes ici pour mener une étude sur les faits nouveaux en matière de politique et d'économie en Argentine dans le cadre de leur répercussion possible sur les dynamiques régionale et globale, dont les politiques et intérêts du Canada, et d'autres sujets connexes.
Nous accueillons, par vidéoconférences, deux personnes qui témoigneront à titre personnel à ce sujet — je préfère parler d'experts que de personnes. Nous entendrons Cynthia J. Arnson, directrice, Programme Amérique latine, Woodrow Wilson International Center for Scholars, et Eric Miller, boursier, Institut canadien des affaires mondiales, et boursier, Institut canadien, Woodrow Wilson International Center for Scholars. Vous êtes ensemble là-bas et vous nous rejoignez par vidéoconférence. Bienvenue.
Monsieur Miller, vous pouvez commencer.
Eric Miller, associé de recherche, Institut canadien des affaires mondiales, et associé de rechreches mondiales, Institut canadien, Woodrow Wilson International Center for Scholars, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente et mesdames et messieurs les sénateurs. Je regrette de ne pas être à Ottawa aujourd'hui. Je suis ici pour assister aux réunions du Conseil de coopération Canada-États-Unis en matière de réglementation.
Merci beaucoup de m'avoir invité à témoigner devant le comité. Je suis ravi de vous parler aujourd'hui de l'Argentine, pays qui a tant de potentiel, mais qui n'a jamais réussi à offrir à ses citoyens paix, maintien de l'ordre et bonne gouvernance.
L'élection de Mauricio Macri à la présidence de l'Argentine en novembre a marqué une rupture très bien accueillie avec le populisme et les politiques économiques destructrices des années Kirchner. Le président Macri positionne à nouveau l'Argentine comme partenaire constructif dans les affaires hémisphériques, notamment dans ses relations avec des pays comme le Canada. Nous devrions tous nous réjouir de ce développement. Sa décision délibérée d'éloigner l'Argentine de gouvernements moins que conviviaux comme ceux de la Russie, du Venezuela et de l'Iran a des ramifications positives et importantes.
Sans l'ombre d'un doute, le signe le plus flagrant du désir du président Macri de tourner la page sur le passé a été les mesures qu'il vient de prendre pour régler la poursuite avec les soi-disant récalcitrants. À la fin de 2001, l'Argentine a cessé de payer 132 milliards de dollars de dettes souveraines et, dans les années qui ont suivi, elle a donné suite aux réclamations de la plupart de ses créditeurs, mais un petit groupe de détenteurs de titres de dette argentins ont refusé d'accepter une réduction considérable. À l'issue d'une longue bataille juridique, l'Argentine n'a eu d'autre choix que d'offrir un règlement favorable à ces demandeurs pour pouvoir retourner sur le marché des obligations.
Bien qu'il ait suscité des critiques de la part d'économistes comme Joseph Stiglitz pour avoir créé un horrible précédent pour les autres pays en défaut de paiement, le président Macri a décidé, à juste titre, qu'il devait régler les dettes du passé pour que l'économie argentine ait une chance de recommencer à croître.
Fait important pour le président Macri, le Congrès argentin a abondé dans le même sens que lui et suggéré qu'il avait du capital politique qui lui permettrait de réaliser des choses. Cependant, c'est tout un programme qui est le sien : endiguer l'inflation galopante, normaliser la politique économique, trouver des moyens de stimuler la croissance économique, accroître la compétitivité, rehausser la sécurité et rétablir la confiance dans le processus politique. Cependant, pour pouvoir prendre ces mesures et entreprendre les autres réformes nécessaires, l'Argentine doit améliorer considérablement son principal handicap — la gouvernance.
Afin d'évaluer les perspectives futures de l'Argentine et de formuler une politique canadienne optimale, il faut se pencher brièvement sur son histoire. Nombre d'historiens font valoir que le déclin de l'Argentine s'est amorcé avec le coup d'État militaire de 1930, qui a légitimé la prise de pouvoir politique par des hommes armés en Argentine. Ce coup a été suivi, en 1945, par l'ascension de Juan Peron et la canonisation de sa femme Evita, qui a fusionné le populisme dur et l'autoritarisme. Lorsque Peron est parti en exil en 1955, les institutions nationales étaient gravement compromises.
Ensuite, le pays a avancé jusqu'à ce que le chaos du milieu des années 1970 jette les bases du coup d'État de 1976 et le commencement de la guerre sale. Lorsque les généraux sont retournés à leurs casernes en 1983, la nation était traumatisée et une génération complète qui aurait pu bâtir le pays était soit morte soit partie en exil.
Lorsque les années 1990 sont arrivées, le pays était entré dans une période de délire. Le président Carlos Menem a, comme par magie, dollarisé l'économie, et l'Argentine est devenue le chouchou des marchés émergents. Le château de cartes s'est effondré de façon catastrophique pendant la défaillance souveraine de 2001 que j'ai mentionnée, et de cette crise ont émergé Néstor et Cristina Kirchner, avec leur hyper-nationalisme, leurs tendances autoritaires, leurs amitiés avec tout le monde sauf les États-Unis et leurs politiques économiques dysfonctionnelles qui ont mené à l'état déplorable dans lequel le président Macri a trouvé le pays.
Lorsque l'on regarde le siècle tumultueux que l'Argentine vient de passer, il est difficile de ne pas penser à ces paroles d'une chanson de Bruce Cockburn : l'ennui avec la normalité c'est qu'elle empire toujours.
Alors que faire maintenant? Une importante question à laquelle l'Argentine et l'hémisphère feront face au cours des prochaines années est celle de savoir comment le président Macri s'en sort et même s'il survit au plan politique. Les pro-Kirchner qui, au cours des générations passées étaient des péronistes, ont régulièrement manifesté dans les rues depuis son élection. Les réformateurs centristes précédents ne s'en sont généralement pas bien sortis en Argentine.
Le président Macri aura pour tâche de changer la trajectoire fondamentale du gouvernement, de l'économie et de la société argentine, rien de moins. Le Canada a intérêt à l'aider à le faire. Cela dit, nous devons être réalistes quant à la pente exceptionnellement abrupte qu'il doit remonter et des conséquences horribles d'un éventuel échec.
Il y a un certain nombre d'entreprises canadiennes qui gèrent des opérations rentables en Argentine. Cependant, dans l'ensemble, elles ont appris à composer avec les fluctuations complexes du pays et de ses politiques. À moins que quelqu'un soit prêt à prendre des risques considérables, à apprendre le fonctionnement du système et à prendre des mesures réalistes pour atténuer l'incidence de futures politiques comme celles de Cristina Kirchner, il devrait probablement regarder ailleurs.
Le Canada devrait, au minimum, ne pas promouvoir l'Argentine comme pays où investir. Il arrive parfois que les gouvernements sous-estiment la complexité de certains marchés internationaux, surtout lorsqu'ils ont un intérêt en matière de politique étrangère à augmenter la présence de leurs ressortissants dans le pays.
Compte tenu de l'histoire de l'Argentine, quelques mois de gouvernement positif — surtout qu'il s'agit d'un gouvernement qui n'a pas la majorité au congrès national — ne suffisent pas pour que je dise, en mon âme et conscience, à des entreprises qui cherchent à investir que ce sera différent cette fois-ci. Nous n'avons toujours pas oublié l'expérience de sociétés comme ScotiaBank, qui a perdu des investissements considérables après l'effondrement de la bourse de 2001.
De façon réaliste, le gouvernement Macri devra montrer qu'il a orienté l'économie dans la bonne direction et réussi à gérer l'incidence des péronistes dans la rue s'il veut pouvoir compter sur les investissements de ceux qui ont moins qu'une tolérance maximaliste au risque. Cela dit, si le président Macri n'arrive pas à stabiliser l'économie argentine et à montrer les avantages tangibles de ses politiques d'engagement avec le monde extérieur, il est probable que son avenir soit moins que reluisant.
Le Canada pourrait aider le gouvernement Macri de diverses façons. Sur le plan économique, il pourrait mobiliser une combinaison de fonds de retraite d'EDC et de flux de capitaux privés pour investir dans des projets technologiques axés sur la propriété intellectuelle. Honnêtement, les extrants de ces liens appuieront l'activité économique, mais resteront amovibles si les politiques nationales et le contrôle des changes reviennent.
Sur le plan politique, essayons de trouver des projets communs auxquels travailler dans l'hémisphère et qui enverront le message que l'Argentine est revenue. Il faut que le public voie que des relations fortes avec l'Amérique du Nord et l'Europe donnent de meilleurs résultats que ses relations avec l'Iran et la Russie.
Nous pouvons entreprendre une initiative polaire conjointe, peut-être axée sur la climatologie. La présence de l'Argentine en Antarctique cadre bien avec la présence importante du Canada dans l'Arctique. En plus d'être utile, cela serait une façon d'approfondir la relation Canada-Argentine.
Le Canada a des raisons d'appuyer la nouvelle Argentine, mais doit être réaliste et comprendre que le passé des pays, comme celui des gens, n'est jamais bien loin. Pour ce qui est de prioriser les relations dans l'hémisphère, l'Argentine n'est pas très bien classée. Le Canada devrait viser davantage à approfondir ses relations avec le Mexique et les autres pays de l'Alliance du Pacifique : le Chili, la Colombie et le Pérou. Afin que ce classement change, l'Argentine doit recommencer à mériter sa place à la table — processus qui demanderait beaucoup de temps et de patience.
Merci beaucoup.
La présidente : Merci. J'ai oublié de dire à nos témoins que leurs biographies avaient été diffusées pour sauver du temps. Les sénateurs en ont donc pris connaissance, ce qui explique pourquoi je ne les ai pas encore lues à haute voix pour le compte rendu. Nous admirons beaucoup vos connaissances.
Nous entendrons maintenant le témoignage de Mme Arnson.
Cynthia J. Arnson, directrice, Programme Amérique latine, Woodrow Wilson International Center for Scholars, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente, et merci aux membres du comité de me donner l'occasion de témoigner devant vous. Je n'ai pas préparé de remarques liminaires, mais je vais faire quelques observations qui, de certaines façons, abonderont dans le même sens que celles d'Eric et qui, d'autres façons, s'en distingueront.
Depuis son arrivée au pouvoir en décembre, le gouvernement Macri a eu pour principale tâche de démêler la situation trouble que 12 années de Kirchnerismo lui ont laissée. Il a notamment dû faire face à une stragflation bien établie, qui n'est pas accidentelle, mais bien inhérente au modèle économique de ce gouvernement; éliminer les déformations des prix, le manque de compétitivité, l'isolement des marchés internationaux, les actions en justice des porteurs d'obligations antérieurs, la diminution de l'impression d'argent et l'élimination de nombreux obstacles aux investissements et au commerce international.
Je pense que le gouvernement Macri a pris des mesures rapides et efficaces sur nombre de ces plans et mis en place des mécanismes de transparence accrue et de reddition de comptes financière, notamment en ce qui touche l'inflation; cependant, compte tenu de l'ampleur de la catastrophe dont il a hérité, les rajustements seront, sans l'ombre d'un doute, difficiles, douloureux au plan politique et exigeants pour le gouvernement.
Nous en voyons les premières manifestations, tant au sens littéral que figuré. Le 29 avril, juste avant le 1er mai, il y a eu une manifestation importante dans le cadre de laquelle les syndicats ont uni leurs forces pour exercer des pressions sur le Congrès afin qu'il fasse en sorte qu'il soit difficile pour les sociétés de congédier les travailleurs et qu'il réduise notamment la bureaucratie étatique gonflée qui s'est développée sous les gouvernements Kirchner et Fernández.
Je pense que d'ici à janvier 2017, on vise à faire en sorte que l'inflation, qui se situe à environ 25 p. 100 et augmente d'environ 7 p. 100 par mois, se situe entre 12 et 17 p. 100, pour osciller, en janvier 2019, entre 3,5 et 6,5 p. 100; il s'agit là de cibles très ambitieuses, mais pas nécessairement impossibles étant donné la qualité de l'équipe économique que Mauricio Macri a mise en place.
Le gouvernement Macri à Buenos Aires et le gouvernement Obama à Washington énoncent clairement que l'Argentine est de retour et qu'il s'agit d'une ère nouvelle marquée par une gestion économique rationnelle et sensée de la troisième économie en Amérique latine. Bien que, selon moi, la Colombie lui dispute la troisième place après le Brésil et le Mexique, l'Argentine reste tout de même un pays doté d'un potentiel énorme. Les exportations agricoles ont augmenté depuis l'arrivée au pouvoir du gouvernement Macri et la fin d'une lutte politique très contre-productive avec les agriculteurs et les grands producteurs agricoles.
Je suis d'accord avec Eric pour dire que les principaux enjeux de ce gouvernement sont politiques. Malgré sa minorité tant à la Chambre basse qu'au Sénat, grâce à un dialogue et au temps et à l'effort considérables qu'il a consacrés à expliquer ses politiques, il a réussi dans certains dossiers clés — le plus important étant, selon moi, le règlement avec les récalcitrants — à former des coalitions qui appuieront les principales initiatives. Je pense qu'il est frappant que certains des plus fervents partisans de l'entente avec les récalcitrants étaient les membres du Congrès, tant à la Chambre qu'au Sénat, et faisaient partie du Frente para la Victoria, la coalition péroniste qui appuyait Cristina Fernández de Kirchner. Le gouvernement sait et comprend qu'il doit former ces coalitions pour appuyer les réformes clés et il s'efforce de le faire.
Quoi qu'il en soit, les factions du Peronismo sont nombreuses et, au plan économique, elles ont intérêt à ne pas faire face aux difficultés économiques qui découlent de la profondeur et de la portée du rajustement économique qui doit être fait et à en faire assumer les coûts par le gouvernement et non par leurs diverses factions. Je pense que vous pouvez voir sur certaines politiques qu'il y aura une unité entre les différentes factions du Peronismo, mais qu'il sera quand même possible de négocier.
Pour l'aider à faire face à son plus grand défi, Mauricio Macri peut compter sur une équipe de conseillers économiques absolument impeccable, des gens du secteur privé, d'autres qui ont quitté des postes à la Banque mondiale, à la Banque interaméricaine de développement ou ailleurs à l'étranger pour revenir en Argentine. L'équipe de conseillers politiques est, je pense, moins visible, bien qu'elle ne soit pas nécessairement inexistante. Il a acquis une expérience pratique comme maire de Buenos Aires, qui n'est pas une ville facile à administrer. Je pense que ce qui l'a notamment propulsé vers la présidence a été le sentiment qu'il disposait d'une assez bonne administration qui composait avec ces choses diverses.
Il est remarquable que, bien que Mauricio Macri soit considéré comme un dirigeant de centre droite, il est très conscient du besoin de maintenir des politiques d'inclusion sociale et de ne pas se débarrasser entièrement du filet de sécurité sociale qui a été mis en place et élargi, parfois pour prendre des dimensions ridicules et irrationnelles, sous la gouverne de Nestor Kirchner et de Cristina Fernández de Kirchner.
Je ne suis pas du tout d'accord avec ce qu'Eric a dit tout à l'heure. Je pense que la réussite politique du gouvernement dépendra de sa réussite économique au cours des prochaines années. L'économie argentine devrait se contracter un peu au-dessus de 1,5 p. 100 au cours de la présente année civile, ce qui ne diffère pas terriblement des autres pays d'Amérique latine qui sont, en quelque sorte, doublement touchés par la baisse du prix des produits de base et le ralentissement de la croissance en Chine et, dans le cas de l'Argentine, une crise économique et politique profonde chez son principal partenaire commercial et voisin, le Brésil. L'environnement externe complique la situation.
Je pense que la façon de faire en sorte que le gouvernement Macri réussisse et de rendre ce modèle de rationalité économique beaucoup plus attirant est précisément de réactiver l'économie par le truchement d'investissements et de mesures qui stimuleront la croissance, et je suis entièrement d'accord pour que l'on entreprenne des projets distincts sur les changements climatiques et des initiatives polaires. Buenos Aires est aussi l'un des carrefours de la technologie et de l'innovation les plus florissants, alors il faut accroître toutes ces initiatives, en plus d'encourager les sociétés canadiennes à faire des investissements productifs qui créeront des emplois et des capacités et permettront à la croissance de se rétablir. Telle est la promesse du gouvernement Macri — que l'on subisse des désagréments à court terme pour faire en sorte que les fondements de l'économie soient plus crédibles et stables, ce qui ramènera la croissance et la prospérité. Je pense que la communauté internationale en entier, mais en particulier les voisins de l'Argentine dans les Amériques, ont un rôle important à jouer pour que cela se produise.
Une dernière remarque : comme le Canada est un pays minier important qui compte une présence très forte à l'étranger, tout comme les États-Unis, je crois que les investissements miniers, dans la mesure où il s'agit de capitaux nouveaux ou supplémentaires, doivent tenir compte des réalités locales et des questions de durabilité environnementale et sociale qui sont devenues sources de conflits dans tout l'hémisphère — en fait, un peu moins en Argentine que dans des endroits comme le Pérou, la Chine et la Bolivie. Il faut bien s'y prendre dès le départ, même si cela exige plus de temps, grâce à des consultations auprès des collectivités locales pour comprendre les types d'aubaines visées par les gouverneurs des provinces; une telle démarche sera dans l'intérêt à long terme non seulement des entreprises canadiennes, mais aussi de l'avenir économique à long terme de l'Argentine, dont est tributaire son avenir politique.
Je vais m'arrêter ici, et je suis à votre disposition pour toute question ou observation.
La présidente : Je vais maintenant laisser place aux questions. Vous avez abordé une foule de sujets avec concision. Nous devons revenir sur chacun d'eux, d'où l'importance de gérer notre temps efficacement.
Le sénateur Downe : J'essaierai d'être bref. Monsieur Miller, j'ai trouvé vos observations fort intéressantes. En tant que Canadien, quand je pense à l'Argentine, je songe souvent à la route qui n'a pas été prise. Comme vous le savez bien, entre 1880 et les années 1920-1930, nos deux pays avaient des économies très semblables, voire, dans bien des cas, presque identiques, mais les choses ont beaucoup changé depuis.
Je m'interroge sur l'aide que le Canada peut apporter si les Argentins sont ouverts à l'idée de rebâtir le système de gouvernance qui, comme vous l'avez expliqué, pose un grand problème dans leur pays. Comme vous le savez — et je le lis dans tous les journaux —, le Canada est de retour. Nous avons donc un rôle à jouer sur la scène mondiale. D'où ma question : de quelle façon pouvons-nous, s'il y a lieu, aider l'Argentine?
J'ai lu avec intérêt que le gouvernement chinois a installé sa première station spatiale de radiodiffusion par satellite à l'extérieur de la Chine continentale. Elle sera située en Argentine, et il se peut le tout soit déjà construit. Cette installation pourrait servir à des fins militaires. Je crois que la stabilité de l'Argentine est dans l'intérêt de notre région du monde.
Selon vous, pouvons-nous fournir de l'aide à l'Argentine, et sera-t-elle ouverte à cette idée?
M. Miller : À mon sens, il y a des choses que nous pouvons faire, notamment sur le plan économique. Voici ce qui m'inquiète : quand des pays gagnent en popularité ou deviennent des lieux de prédilection, on a l'impression que l'infrastructure politique encourage un grand nombre d'entreprises canadiennes à se rendre là-bas pour tâter le terrain et y effectuer des investissements. Cependant, nous sommes déjà passés par là lorsque l'Argentine a repris le chemin de la relance. J'aurais donc tendance à faire preuve de prudence et, à ma connaissance, beaucoup de gens en feraient de même.
Au chapitre des investissements, il vaut la peine de se pencher, entre autres, sur le secteur des technologies à Buenos Aires, où l'on trouve des projets intéressants. Cette ville regorge de talents et de compétences, et c'est un secteur qui mérite d'être examiné en raison de ses retombées pour le Canada, ainsi que pour l'économie locale.
Le défi que posent les grands investissements en capitaux tient au fait qu'ils mettent en jeu des ressources massives; advenant un changement, une chute ou une défaite du gouvernement aux prochaines élections, les perspectives qu'on puisse récupérer les fonds investis sont très faibles. Des sociétés comme Clearwater ont eu un certain succès, mais elles mènent leurs activités dans le sud du pays. Elles ont établi de bonnes relations avec les gouverneurs locaux dans les provinces du Sud. Il s'agit, au fond, de l'équivalent des provinces maritimes en Argentine. Ces entreprises ont bâti un réseau de partisans politiques, ce qui leur a permis de prospérer dans ces régions. Les emplois là-bas ne courent pas les rues, et personne ne souhaite voir disparaître ses investissements dans le secteur de la transformation du poisson et dans celui de la pêche.
Je crois qu'à bien des égards, lorsque nous cherchons à savoir ce que le Canada peut faire dans l'hémisphère, une des questions à nous poser est la suivante : « À quoi devrions-nous consacrer nos maigres ressources? » À mon avis, il faudrait tenir compte de projets ponctuels.
Nous pouvons aussi examiner les mesures que le ministère des Affaires étrangères peut prendre sur le plan de la démocratisation. Toutefois, puisqu'il s'agit là d'un projet à grande échelle, il vaudrait peut-être mieux envisager des partenariats avec d'autres groupes sur la scène internationale, comme le National Endowment for Democracy aux États-Unis, c'est-à-dire une initiative de plus grande envergure et plus facilement adaptable, au lieu d'un projet ponctuel et plus ciblé, parce que la tâche est tout simplement ardue.
Le sénateur D. Smith : Madame Arnson, la question n'est peut-être pas juste du tout, mais je ne puis m'empêcher de la poser. Vous êtes une Américaine. Si jamais, et que Dieu nous en préserve, Donald Trump est élu président, j'ignore si le mur de 40 pieds sera érigé et tout le reste, mais avez-vous des observations à faire sur ce genre de dynamique? J'étais en visite dans un pays de l'Amérique du Sud il y a un mois, et la simple mention de son nom rendait les gens furieux. D'après vous, qu'est-ce qui risque d'arriver advenant une telle éventualité?
Mme Arnson : D'entrée de jeu, permettez-moi de dire que le Wilson Center est une institution strictement non partisane. Par voie de conséquence, même si nous, les employés, avons le droit d'avoir nos propres préférences partisanes, nous ne pouvons pas en discuter en public.
Je suis d'accord avec vous pour dire que la perspective qu'une personne comme Trump puisse devenir président suscite un grand sentiment d'alarme partout dans l'hémisphère. Je n'écarte pas cette possibilité, mais en même temps, je pense que c'est très improbable. À mon avis, dans le cas de l'Argentine et d'autres pays comme les États membres de l'Alliance du Pacifique, les pays qui essaient de mettre en place des assises économiques solides et de créer un climat propice à l'entreprise seront justement ceux qui prospéreront sous une éventuelle administration Trump.
Je ne pense pas que l'Amérique latine sera la cible particulière de l'administration. J'estime que bon nombre des mesures qui ont été prises sous l'administration Obama seront annulées, y compris l'ouverture des frontières à Cuba, ce qui nuira au rôle des États-Unis dans l'hémisphère.
L'élaboration de politiques en Amérique latine tend à être une considération secondaire lorsqu'on s'occupe de grands enjeux stratégiques au Moyen-Orient, en Russie ou en Ukraine. J'imagine que le principal objectif de la politique sera d'établir de bonnes relations, sans toutefois encourager les entreprises qui ne font qu'exporter les emplois des États-Unis, selon le jargon de Trump et de Bernie Sanders — autrement dit, des entreprises qui font perdre des emplois aux États-Unis. Je prévois un retour à une politique américaine beaucoup plus protectionniste, qui miserait sur un climat propice aux affaires, mais pas au point de forcer une usine qui produit des automobiles dans le Midwest des États-Unis à plier bagage et à déménager en Amérique latine.
Cela dit, de grandes sociétés américaines, comme la compagnie Ford, ont d'importantes capacités de fabrication en Argentine. Il ne s'agit pas de choisir entre deux options qui s'excluent mutuellement, car il est possible d'exporter sur un marché de l'Amérique latine grâce à des investissements productifs. L'Argentine compte une énorme population. Si on y ajoute le marché brésilien, on obtient un grand potentiel de consommation, comme c'est le cas pour d'autres pays. L'Argentine veut sortir de son isolement régional, et le gouvernement est en pourparlers avec les Chiliens, les Péruviens et les Colombiens sur les façons d'accroître leurs complémentarités mutuelles.
Je crois que les choses seraient très différentes si Trump était élu président, ce qui est, je le répète, improbable, mais non impossible. Il y a six mois, personne n'aurait prévu qu'il remporterait l'investiture républicaine. Donc, la réalité peut parfois nous surprendre, mais je pense que Trump risque de ne pas aller loin aux élections nationales.
M. Miller : Sénateur, j'aimerais ajouter une chose. Maintenant que M. Trump a remporté l'investiture républicaine, il incombe au Canada de commencer à faire un peu de planification en prévision du prochain président des États-Unis, qu'il s'agisse de M. Trump ou d'Hillary Clinton. Il faudra entre autres déterminer comment positionner notre politique des affaires étrangères et du commerce dans un tel contexte. Ce travail doit être fait de toute façon, mais compte tenu de certains des changements d'orientation importants que propose M. Trump, ce serait un point à ne pas perdre de vue.
Pour ce qui est de votre question concernant le mur, un des aspects qui pourraient s'avérer plutôt intéressants, c'est que le Mexique joue actuellement un rôle plus actif que les États-Unis dans l'interdiction de ressortissants d'Amérique centrale qui se dirigent vers États-Unis. C'est donc dire que la collaboration du Mexique avec les États-Unis sur la question de la migration est tout à fait cruciale pour assurer la capacité de notre voisin du Sud de contrôler sa frontière. Si cette collaboration disparaît, cela changera la donne.
Mme Arnson : Tout à fait, et c'est sans compter qu'il y a un flux négatif de migrants mexicains vers les États-Unis depuis un certain temps, surtout depuis la récession économique de 2008. Je conviens que les questions frontalières susciteront beaucoup de conflits.
Pendant que j'y pense, j'ajouterai que le Canada a toujours été un fervent partisan de l'Organisation des États américains, ou OEA, grâce à une série d'ambassadeurs de très grande qualité et à un engagement politique envers le régionalisme dans l'hémisphère. Je crois donc que cet aspect devrait être au cœur d'une politique canadienne ou demeurer un des points de mire de la politique canadienne relative à l'hémisphère.
L'OEA n'est pas l'institution la plus solide, mais elle compte de nouveaux dirigeants. Il y a une volonté de dénoncer les atteintes aux droits de la personne qui ont cours dans des endroits comme le Venezuela. Je prédis d'ailleurs que le Venezuela traversera une crise au cours des prochaines années, et la présence d'une institution régionale solide comme l'OEA, disposée et apte à jouer un rôle pour résoudre le conflit, prévenir la violence et surmonter la polarisation, permettra d'accomplir une tâche importante en matière de politique étrangère dans les Amériques. Je félicite le Canada du rôle qu'il a joué ces dernières années, mais j'estime qu'il s'agit d'un domaine dans lequel il faut continuer d'investir.
La sénatrice Johnson : Je vous remercie de vos excellents exposés.
Deux des pays voisins de l'Argentine, soit le Brésil et le Venezuela, sont plongés dans une grave crise économique et politique, même si le Brésil est probablement mieux placé pour s'en sortir plus fort. En ce qui concerne l'Argentine, quel rôle le nouveau gouvernement peut-il jouer pour favoriser la stabilité régionale, politique et économique; par ailleurs, comment l'Argentine peut-elle s'affirmer au sein de l'OEA, de Mercosur et d'autres institutions multilatérales?
Mme Arnson : Je crois que le président Macri a déjà commencé à jouer un rôle de premier plan au Venezuela. Il l'a fait durant la campagne, plus précisément pendant le débat à la présidence, en mettant au défi son adversaire, Daniel Scioli, de se prononcer contre l'emprisonnement d'éminents politiciens comme Leopoldo López. En somme, Macri a déjà pris les devants et il a, pour ainsi dire, brisé le silence des dirigeants de l'Amérique latine devant les problèmes en matière de droits de la personne qui sévissent dans d'autres États voisins, et je pense que c'était un geste très courageux.
Il existe une sorte de souveraineté nationale défensive, c'est-à-dire un sentiment que les gens ne devraient pas s'ingérer dans ce domaine, compte tendu de l'historique des interventions de pouvoirs étrangers en Amérique latine tout au long des XIXe et XXe siècles. Les affaires internes des États membres font l'objet d'une espèce de pacte de silence tacite, qui interdit une prise de position à ce sujet. Le manque de volonté des pays à dénoncer de tels cas me surprend toujours, étant donné la solidarité dont a fait montre la communauté internationale envers les dissidents des dictatures du cône du Sud durant les années 1970 et 1980. Je crois que nous devons féliciter Macri d'avoir pris cette initiative et d'être devenu une voix puissante dans l'hémisphère en faveur d'une réforme politique.
À mon avis, les possibilités que l'Argentine joue un rôle positif au sein de l'Union des nations sud-américaines, ou UNASUR, sont assez limitées. Je crois que l'OEA pourrait s'avérer une meilleure tribune à cet égard. L'avenir de Mercosur suscite beaucoup de réflexions ardues à Buenos Aires et ailleurs en Argentine, sachant que les échanges commerciaux entre les États membres de Mercosur sont au même niveau qu'au début des années 1990. Ce n'est pas une alliance qui a su progresser. En même temps, sous le gouvernement actuel, l'Argentine a beaucoup plus de choses en commun avec les pays membres de l'Alliance du Pacifique, le Mexique et l'Uruguay, un pays membre qui prône une forme similaire d'ouverture aux marchés internationaux et qui souhaite étendre vigoureusement ses activités commerciales au-delà de l'alliance de Mercosur. Je pense donc que Macri fait tout ce qui s'impose et qu'il exerce déjà une influence politique importante et presque, à certains égards, sans précédent dans les Amériques.
M. Miller : Je suis d'accord. Je doute qu'on puisse réellement sauver le Venezuela. La situation est si désastreuse et si difficile. Cependant, Macri a tout à fait raison de mettre cette question à l'ordre du jour.
Le problème avec Mercosur, c'est que cette alliance est essentiellement devenue une camisole de force. Les membres n'ont conclu aucun accord commercial avec des pays à l'extérieur de leur région, et une partie de la solution pour l'Argentine — ainsi que pour le Brésil —, au sortir de la crise, c'est l'accès aux marchés. Le vrai défi, c'est que leurs économies ne sont pas très internationalisées ou très branchées, d'autant plus que ces pays se trouvent à l'extrémité de l'Amérique du Sud, un peu dans leur propre monde. Ils entretiennent des relations avec la Chine et d'autres pays, mais le hic, c'est qu'ils ne se trouvent pas sur les routes commerciales et qu'ils ne font pas partie des chaînes d'approvisionnement. Ils devront donc chercher à corriger la situation, mais d'ici là, l'Argentine et le Brésil, soit les deux principales économies au sein de Mercosur, devront tous deux faire preuve d'une certaine souplesse dans le cadre de Mercosur sur le plan des relations commerciales.
[Français]
Le sénateur Rivard : Avant que vous donniez vos exposés, j'avais pris des notes afin de vous poser des questions sur l'inflation et le comportement des compagnies minières. On voit que l'inflation était de 27,4 p. 100 en 2015, et vous avez dit que sur deux ans. . .
[Traduction]
Mme Arnson : Nous n'avons pas d'audio ici, ni en français ni en anglais. L'un ou l'autre nous convient; nous n'avons tout simplement rien entendu.
Le sénateur Rivard : Du côté anglais, c'est correct?
[Français]
Mme Arnson : En français, c'est la même chose.
Le sénateur Rivard : Pas en espagnol?
Mme Arnson : Je m'entends en français.
Le sénateur Rivard : Vous entendez le français, non?
[Traduction]
Mme Arnson : M'avez-vous entendue?
[Français]
Oui.
Le sénateur Rivard : Au sujet de l'inflation, l'Argentine espère faire passer à 5 p. 100, dans deux ans, le taux d'inflation qui était de 27,4 p. 100 en 2015. Pour ce faire, ce sera difficile. Or, on voit souvent à la télévision une publicité sur le sirop Buckley's; le goût est très mauvais, mais les résultats sont très bons. C'est un exemple. . .
[Traduction]
La présidente : Nous éprouvons de vrais problèmes de transmission audio, j'en ai bien peur. Là, c'est du côté anglais que cela ne fonctionne pas, et le français était inaudible juste avant. Nous allons voir où se situe le problème technique.
[Français]
Le sénateur Rivard : J'ose espérer que ce n'est pas le français qui a fait mal fonctionner l'interprétation!
[Traduction]
La présidente : Nous éprouvons plusieurs difficultés techniques ici.
Mme Arnson : Nous pourrions peut-être traduire pour les sénateurs.
La présidente : Cela ne fonctionnait pas de votre côté et, maintenant, c'est ici que cela ne fonctionne pas. Nous allons donc prendre quelques instants pour voir si nous pouvons régler le problème.
Le sénateur Rivard : Madame la présidente, je pourrais peut-être poser ma question en français, la traduire et...
La présidente : Oui, mais cela ne fonctionne pas. Notre séance doit se faire dans les deux langues. C'est bilingue. Nous ne pouvons pas poursuivre tant que ce n'est pas le cas.
Le sénateur Rivard : Je propose alors de noter ma question par écrit. Les témoins pourront y répondre par écrit.
La présidente : Bien. Sénatrice Cordy, nous n'irons pas plus loin, mais s'il nous manque du temps, seriez-vous disposée à transmettre vos questions par écrit aux témoins afin qu'ils puissent vous répondre?
Mme Arnson : Nous le ferons avec plaisir, mais dans la mesure du possible. La question sur les prévisions de l'inflation est très difficile à répondre.
Le sénateur Rivard : L'autre question porte sur les mines.
La présidente : Ce n'est pas la première fois que nous éprouvons des difficultés avec le système de vidéoconférence, et c'est un problème que nous soulevons sans cesse au Sénat. Chaque fois, on nous assure que la transmission vidéo fonctionnera, que nous n'aurons aucun mal à entendre l'interprétation, mais le système nous fait souvent faux bond. Ce qui a davantage compliqué les choses, c'est que nous avons dû nous déplacer dans une autre pièce. Bref, je ne sais pas.
On me dit que cela fonctionne. Sénateur Rivard, auriez-vous l'obligeance de reposer votre question?
[Français]
Le sénateur Rivard : Ma question portait sur l'inflation. Le pays espère passer de. . .
Mme Arnson : Non, ça ne fonctionne pas ici. Ça ne fonctionne pas à Washington.
[Traduction]
La présidente : Dans ce cas-là, je crains que nous ne soyons à court de temps. Je vais lever la séance, et je demanderai aux sénateurs de me transmettre leurs questions. Nous veillerons à ce que la greffière vous les distribue. Nous sommes conscients que certaines questions risquent de vous donner du fil à retordre, mais essayez d'y répondre de votre mieux. Nous vous en saurions gré.
Je tiens à remercier nos témoins de leur présence, malgré leur horaire chargé, j'en suis sûre. Votre contribution nous est précieuse.
Mme Arnson : Merci à vous et aux membres du comité de l'attention que vous portez à un enjeu crucial dans l'hémisphère occidental.
M. Miller : Merci beaucoup.
La présidente : La séance est levée.
(La séance est levée.) |