LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 6 mai 2010
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 30, pour étudier l’émergence de la Chine, de l’Inde et de la Russie dans l’économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.
Le sénateur A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[traduction]
La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international entreprend une étude sur l’émergence de la Chine, de l’Inde et de la Russie dans l’économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes.
Nous recevons M. Ashok Dhillon, président et directeur général de la Canasia Power Corporation. Cette société a été constituée pour concevoir, bâtir et exploiter des centrales électriques dans des marchés ayant besoin d’énergie comme l’Inde. L’entreprise a aussi des projets en Hongrie, au Pakistan, au Vietnam, en Iran et en Inde.
Ashok Dhillon, président et directeur général, Canasia Power Corporation : Honorables sénateurs, merci de m’avoir invité à m’exprimer sur un sujet d’actualité et important, l’émergence de la Chine, de l’Inde et de la Russie dans l’économie mondiale et les répercussions sur les politiques canadiennes. Le sujet est vaste et, hélas, j’ai eu trop peu de temps pour me préparer correctement. Je m’excuse à l’avance pour toute lacune éventuelle dans mon exposé.
Je commencerai par des généralités, puis je donnerai un aperçu de notre entreprise et de nos projets dans le secteur de l’électricité en Inde. Je terminerai par quelques observations sur ce qu’il faut aux Canadiens, d’après notre expérience, pour réaliser leurs plans, peu importe sur quel marché ils décident de s’implanter. Notre façon de faire n’est pas la seule, loin de là, mais elle est assurément la plus inusitée pour relever les défis et saisir les occasions sur ces marchés.
Après mon exposé, je répondrai avec plaisir à toute question que vous pourrez avoir sur nos opinions, nos activités comme entreprise canadienne sur les marchés mondial et indien, l’émergence de la Chine, de l’Inde et de la Russie, ainsi que sur les occasions immédiates et les menaces à long terme.
La Chine, l’Inde et la Russie sont les principaux marchés émergents d’aujourd’hui parce qu’elles ont de grands besoins. Ces pays offrent des occasions d’affaires sans pareil pour les entreprises, les milieux financiers et les gouvernements canadiens. Ces marchés émergents ont besoin de tout ce que le Canada possède en abondance : une économie développée et saine, des institutions financières stables et une gouvernance relativement bonne.
Malheureusement, le Canada a réagi lentement à la transformation du paysage économique et politique mondial. D’autres pays ont agi plus vite pour exploiter les occasions nouvelles et sont maintenant plus solidement établis. Le Canada doit les rattraper et les dépasser pour conquérir des marchés et conserver dans le monde une influence politique réelle.
Avec leur poids économique croissant, ces pays acquerront plus de puissance militaire et plus d’influence politique dans le monde, ce qui pourrait se retourner contre le Canada. Beaucoup d’autres pays ont une approche nettement mieux définie et coordonnée, réunissant gouvernements, entreprises, milieux financiers et institutions militaires, pour protéger leurs intérêts sur la scène mondiale. Le Canada a une approche dispersée et peu cohérente qui le rend inefficace et, parfois, non concurrentiel.
L’influence du Canada sur la scène mondiale s’effrite tandis que celle de la Chine, de l’Inde et de la Russie s’affirme. Le Canada a désespérément besoin d’une vision claire pour lui-même et doit reprendre le terrain perdu, sur le plan de l’influence économique, politique et militaire, car il faut être fort à ces trois points de vue pour être efficace dans l’économie mondiale.
Canasia est un petit promoteur privé canadien qui s’est donné comme objectif de décrocher de gros contrats dans le secteur le plus difficile de l’Inde, celui de l’électricité. Bien que le Canada ne fabrique pas de grandes centrales et n’ait pas d’entreprises assez grandes pour accepter des contrats d’équipement, d’achat et de construction de plus d’un milliard de dollars, Canasia a décidé de s’attaquer à ce marché. Les besoins du marché que nous avons ciblé, le secteur de l’électricité en Inde, étaient si importants que réaliser des projets de petite envergure ne nous aurait pas permis de nous faire reconnaître ni de nous implanter sur ce marché.
Nous sommes entrés sur ce marché avec audace, sûrs que nous étions aussi bons que les meilleurs dans le monde en réalisation de projets d’électricité, peu importe la taille du projet, la technologie et le type de carburant. Canasia n’avait rien à vendre dont le Canada ait l’exclusivité. Par conséquent, nous avons exporté ce qui fait la réputation du pays dans le monde entier, les meilleures valeurs canadiennes : l’honnêteté, le savoir-vivre, la loyauté, la compétence professionnelle, la résistance et la ténacité.
Canasia a rejeté les idées reçues et a refusé de s’adapter au système indien. Nous n’avons pas pris de partenaire ni de consultant indien et nous n’avons payé personne. Nous avons agi à notre façon, comme l’écrivait le grand chanteur canadien Paul Anka. Au lieu de nous tourner vers le sud pour obtenir de gros marchés, comme la plupart des Canadiens, nous avons regardé vers l’est. Nous avons vu des risques, mais aussi des occasions fabuleuses. Nous nous sommes engagés et avons tenu bon malgré une quinzaine d’années d’épreuves et de revers incessants. Aujourd’hui, peu de petits promoteurs, voire aucun, n’a un portefeuille de projets d’électricité en développement d’une taille et d’une portée semblables à celles du nôtre.
Canasia Power Corporation est une entreprise privée canadienne spécialisée dans la réalisation de projets d’électricité à l’étranger. Nous sommes en Inde depuis 16 ans et nous avons des bureaux à Delhi depuis mars 1993. Nous sommes en train de réaliser des projets importants dans deux États : une centrale de 2 000 mégawatts dans l’Uttar Pradesh, et une de 2 000 mégawatts au Gujarat, c’est-à-dire des centrales thermiques à « charbon propre » et technologies supercritiques totalisant 4 000 mégawatts.
L’année dernière, Canasia a entrepris la réalisation d’un projet d’énergie solaire de 500 mégawatts. À cette fin, nous avons reçu une lettre d’appui du ministère des Énergies nouvelles et renouvelables du gouvernement de l’Inde.
Au cours des 16 dernières années, nos investissements ont atteint quelque 19 millions de dollars en capital de développement. Nous sommes en train de recueillir 15 millions de dollars de plus en fonds de développement pour disposer d’un investissement total de 34 millions de dollars avant de lancer le projet des centrales. Les immobilisations totales, pour terminer les centrales, seront de plus de 7 milliards de dollars.
Tous ces projets se font en Inde sans que nous cédions à la corruption. On nous avait dit que c’était impossible, mais nous y arrivons en tant que société canadienne. Les Indiens sont les moins grands consommateurs d’énergie du monde. L’Inde est donc un des marchés les plus importants pour l’électricité.
En passant, ce tableau montre tous les besoins en infrastructure de l’Inde.
Le Canada et l’Inde vont bien ensemble. Entre autres, l’Inde est un pays démocratique membre du Commonwealth dont les habitants parlent anglais. Le Canada a besoin de grands marchés, et l’Inde en a un. Au Canada, nous avons presque tout en abondance, tandis que l’Inde manque de presque tout. Nous pouvons exporter des compétences, des technologies, des services financiers ainsi que des biens et des services. Nous avons maximisé l’expertise et le contenu canadiens en ayant recours à certaines des meilleures entreprises au Canada pour nos travaux là-bas. La liste sur le tableau compte de nombreux noms connus. Ça fait partie de la politique de Canasia.
La mission de Canasia est d’aider à bâtir l’infrastructure de production d’énergie électrique de l’Inde pour concevoir et construire une capacité de production d’électricité, dont on a un besoin critique en Inde, d’environ 4 000 mégawatts dans des centrales à charge minimale. Canasia Power Corporation est une entreprise canadienne qui est le promoteur et le catalyseur. Nous apportons une expertise en développement de projet, des études de conception ainsi que du savoir-faire en structuration financière et en médiation. Notre objectif est de bâtir une entreprise de production d’énergie canadienne éthique en Inde. Plus de 5 milliards de dollars en immobilisations seront dirigés vers l’Inde grâce à notre travail, et des commandes de 5 milliards de dollars en projets clés en main d’EAC iront probablement à la Chine. Nous allions ce qu’il y a de mieux au Canada, en Inde et en Chine.
Canasia cible une production d’énergie solaire de plus de 500 mégawatts en Inde. À cette fin, nous avons obtenu une lettre d’appui du ministère des Énergies nouvelles et renouvelables de l’Inde. Tablant sur cet appui et sur le potentiel du marché de l’énergie solaire, Canasia a décidé d’établir dans le sud de l’Ontario une usine de fabrication de modules solaires de 200 mégawatts par année et d’expédier ces modules en Inde et au Moyen-Orient. Nous croyons que les produits canadiens peuvent concurrencer efficacement ceux qui sont fabriqués en Chine et en Inde, car cette production demande beaucoup de technologie et peu de main-d’oeuvre.
Que faut-il à une entreprise canadienne pour décrocher de gros contrats sur un marché étranger? Ça prend un engagement sérieux en temps et en argent. Il ne suffit pas d’un ou deux voyages dans le marché visé pour obtenir de bons résultats. Il faut de la ténacité et de l’endurance. Quand les choses ne se passent pas comme prévu, on ne doit pas prendre la fuite. Au contraire, on doit rester fidèle au projet, et si les choses n’aboutissent toujours pas, on doit faire de plus grands efforts.
Si les Canadiens ne connaissent pas le marché, ils ne peuvent pas le dominer et ils dépendront des autres. Ils compromettront donc leur position. Il faut connaître tous les aspects du marché avant de le pénétrer, avoir confiance d’apporter une valeur spéciale et savoir que, quoi qu’on apporte, d’autres pays peuvent l’apporter aussi. Alors, quelle est la valeur spéciale que vous apportez? Il est nécessaire d’avoir la capacité de mobiliser des fonds de développement. Lorsque Canasia n’a pu obtenir l’appui de Bay Street, nous avons dû rédiger nos notices d’offre et trouver nos propres capitaux de développement. C’était terriblement inefficace, mais, en fin de compte, la seule façon d’avoir de l’endurance, ce qui est essentiel à la réussite.
Comment les Canadiens peuvent-ils livrer concurrence et l’emporter sur le marché mondial émergent? Ils peuvent le faire en étant sérieux et engagés à l’égard de marchés divers, sans céder à la complaisance lorsque les États-Unis reviendront à la normale. Désormais, les Canadiens doivent s’ouvrir au monde, car ils ont désespérément besoin de se détacher de leur marché de prédilection. Pour ce faire, le gouvernement du Canada devra formuler une politique cohérente de développement des marchés à l’étranger et s’y tenir. De plus, les organismes gouvernementaux, les entreprises et les milieux financiers devront former un front canadien uni et cohésif, et travailler ensemble à l’atteinte des objectifs fixés. Ce modèle n’existe pas au Canada, plus particulièrement pour les petites entreprises. En reconnaissant que nous avons bien plus besoin d’eux qu’eux de nous, nous pouvons offrir une meilleure valeur pour prendre une bonne part de marché.
Les Canadiens doivent savoir que la plupart des gens, dans le marché ciblé, et des expatriés qui rentrent au pays ne connaissent pas forcément celui-ci. Les entreprises canadiennes et les fonctionnaires doivent faire leurs propres recherches sans trop se fier aux partenaires du pays ciblé. Dans ce « meilleur des mondes », avec de nouvelles superpuissances émergentes comme la Chine, l’Inde et la Russie, les Canadiens doivent être de vrais fournisseurs de valeur, forts et confiants, pour être capables de se protéger, et ils ne doivent pas oublier qu’il faut solliciter les occasions d’affaires.
La présidente : Monsieur Dhillon, pour clarifier vos propos, vous avez dit que le Canada devait rattraper et dépasser d’autres pays pour conquérir les marchés, et cetera. Qui doit-il rattraper?
M. Dhillon : Nous avons remarqué ça surtout en Inde. Le Canada est un des principaux pays avec qui l’Inde a eu des relations après son accession à l’indépendance, parce que le Canada l’a aidée à se développer. Le Canada occupait donc une place de choix dans le système indien. Depuis que je fais des affaires là-bas, soit environ 16 ans, j’ai vu le Canada perdre du terrain par rapport à des pays qui n’y étaient pas présents il y a 20 ans. Par exemple, Israël n’a pas eu de rapports avec l’Inde pendant de nombreuses années, mais maintenant, ce pays est un acteur important dans les domaines de la défense, de la sécurité, de la construction d’infrastructure, des compétences en agriculture, et cetera. Nous avons aussi perdu du terrain face aux États-Unis, qui ne sont là que depuis une quinzaine d’années. Nous avons perdu du terrain face à la Corée du Sud, au Japon et, maintenant, à la Chine. Aujourd’hui, la Chine est le plus grand partenaire commercial de l’Inde, mais il y a quelques années, la présence de la Chine était négligeable sur le marché indien. Nous avons perdu du terrain de façon constante par rapport à plusieurs autres pays.
Je fais des affaires à tous les échelons du gouvernement en Inde, et l’opinion générale des politiciens et des fonctionnaires indiens est que l’importance du Canada en Inde diminue considérablement. Nous ne sommes pas aussi importants pour l’Inde que nous l’étions avant. Ils ne nous voient pas comme pouvant apporter beaucoup de valeur à la nouvelle Inde.
La présidente : Nous avions de l’influence par le Commonwealth et nos liens britanniques, mais c’est l’Inde qui a refusé l’aide au développement de la part du Canada. Ils ont dit que la bureaucratie nécessaire à sa gestion rendait l’opération non rentable, alors ils nous ont simplement dit non merci. N’est-ce pas un de nos problèmes? Ils nous voient encore comme faisant partie du vieux Commonwealth et comme un organisme d’aide au développement.
M. Dhillon : Je ne pense pas que c’était la vraie raison de ce rejet par l’Inde à l’époque. Derrière cette déclaration et cette attitude se cache le fait que l’Inde n’appréciait pas que le Canada critique constamment son programme nucléaire. Les réacteurs CANDU du Canada servaient de réacteurs nucléaires en Inde. Le gouvernement indien savait que le Canada n’était pas content qu’il élabore des programmes nucléaires. L’Inde trouvait que c’était hypocrite de la part des Canadiens, qu’ils avaient deux poids, deux mesures. Après tout, 80 p. 100 du commerce du Canada se faisait avec les États-Unis, plus grande puissance nucléaire du monde. Le gouvernement indien voyait aussi le Canada faire des affaires avec la Grande-Bretagne, la France, Israël et la Russie sans les critiquer autant qu’il critiquait l’Inde. Le gouvernement indien s’est senti montré du doigt injustement, ce qui lui a déplu. Nous sommes parmi les derniers à signer des accords visant le nucléaire; c’est en quelque sorte une punition pour les années où nous les avons critiqués.
Dans cet esprit, pour ce qui est de l’aide, la nouvelle Inde gagne en confiance et en fierté. Elle ne se considère plus comme un pays pauvre dans le besoin. C’est la position du Canada qui est à l’origine de son animosité. Les Indiens n’ont pas apprécié non plus que le Canada se concentre sur d’autres projets et non sur le développement de l’infrastructure et du commerce, en fournissant des technologies sérieuses, du capital sérieux et de l’aide sérieuse pour les choses qui leur importaient vraiment. Encore là, ils ont pensé que nous les comprenions mal, et ils ont voulu nous faire savoir qu’ils n’étaient pas un pays qui avait seulement besoin d’aide.
Le sénateur Finley : Je vous remercie pour cette évaluation intéressante et, si je puis dire, franche de ce sujet. Une partie de votre exposé m’a un peu surpris et j’aimerais que vous m’en disiez davantage à ce sujet. Lorsque vous avez parlé des expatriés, vous avez souligné que la plupart des gens sur le marché ciblé et des expatriés qui rentraient dans leur pays ne connaissent pas forcément celui-ci, et que les entreprises canadiennes et les fonctionnaires devaient donc faire leurs propres recherches. Ce commentaire va à l’encontre de plusieurs discussions antérieures avec des témoins qui ont parlé de la diaspora et des liens étroits que nous avons avec la communauté indienne et l’Inde elle-même. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce point?
M. Dhillon : Oui, selon nous, la plupart des gens pensent que pour s’installer dans un nouveau pays ou pour pénétrer un nouveau marché, il faut compter sur les compétences locales, le savoir-faire local ou les expatriés qui sont installés au Canada. Le problème, avec des pays aussi divers que l’Inde et la Chine — et je suis sûr que la Russie entre dans la même catégorie —, c’est que bien des personnes qui s’installent ici n’ont pas eu l’occasion de voyager beaucoup dans leur propre pays et d’apprendre à en connaître tous les aspects. C’est particulièrement le cas en Inde, un pays très divers et très différent d’une région à l’autre. Sur le plan ethnique, les Indiens du Nord-Ouest sont totalement différents des Indiens du Sud-Est, et nous ne pouvons même pas communiquer entre nous à moins de parler en anglais. Nos cultures sont différentes, tout comme nos façons de penser. Tout est différent.
Par exemple, d’après ce que je sais, la majorité des Canadiens d’origine indienne établis ici viennent du Panjab, et la plupart d’entre eux ne connaissent pas du tout l’Inde. Ils n’ont jamais voyagé dans d’autres régions de l’Inde ni fait d’affaires dans d’autres États. La majorité d’entre eux n’ont jamais eu de relations avec d’autres États indiens, et ils ne connaissent pas grand-chose, voire rien du tout, sur le pays.
Et c’est pour ça que, parfois, je pense que nous, les Canadiens — je suis ici depuis l’âge de 17 ans, alors je me considère plus Canadien qu’Indien —, nous nous faisons donner de mauvais conseils. Par exemple, lorsque nous sommes allés en Inde au début de 1993, au moment où le gouvernement indien venait tout juste d’ouvrir son économie aux investissements étrangers, ma famille et mes amis d’enfance, qui ont toujours habité en Inde, m’ont dit que si on voulait faire des affaires ici après toutes ces années à l’étranger, il fallait connaître le système, c’est-à-dire que pour faire quoi que ce soit, il fallait payer. C’est le conseil que m’a donné la communauté locale. Lorsque les gens ici, au Canada, aussi d’origine indienne, ont entendu dire que j’allais m’investir sérieusement en Inde, ils m’ont dit que j’avais intérêt à avoir le portefeuille bien garni à cause de la corruption. C’était un mauvais conseil à donner à une entreprise canadienne.
Je ne parle pas de faire des affaires en Inde en tant qu’Indien. Je parle de faire des affaires en Inde en tant que Canadien. C’était un mauvais conseil parce que si nous allons en Inde en tant que Canadiens et que nous faisons exactement ce qu’ils attendent de nous ou ce que nos conseillers indiens d’ici nous disent de faire, comment pouvons-nous nous distinguer des autres et nous faire remarquer? Nous ne sommes qu’une entreprise parmi les millions d’entreprises qui viennent faire des affaires en Inde; c’est la routine. Si nous allons en Inde et agissons ainsi, nous ne serons en aucun cas différents des autres, et c’est ce que la majorité des conseillers en Inde et ici diraient.
Comme je l’ai mentionné, au Canada, pour certains des marchés que nous avons intégrés, nous n’avons rien d’exceptionnel à offrir que d’autres pays n’ont pas; il faut donc nous distinguer. Nous nous sommes positionnés en Inde avec ce qui fait la réputation du Canada dans le monde entier, c’est-à-dire son honnêteté. Nous étions d’avis que nous pouvions bâtir sur cette valeur. C’est ce qui nous distingue. Car, au bout du compte, l’aspect technique, la production, le marketing, et cetera, c’est du pareil au même.
Mon autre exemple provient de mon expérience personnelle. Je n’ai pas suivi le conseil de ma famille ni de mes amis en Inde. Dans un pays très corrompu, je sais que les gens ont soif d’honnêteté. Tous les jours, c’est la même routine. Ils doivent payer pour obtenir des billets de cinéma ou pour faire relier une conduite d’eau à leur maison ou pour avoir la liaison téléphonique, et ils doivent payer ensuite chaque mois pour conserver ce service. Dans ce contexte, les gens cherchent désespérément l’honnêteté, quelqu’un sur qui ils peuvent compter, qui fait ce qu’il a dit qu’il ferait, sans aucune autre condition.
C’est ce qui nous a permis de nous implanter sur le marché. C’est comme ça qu’une entreprise canadienne comme la nôtre a pu se rendre là-bas et a pu obtenir des projets d’envergure que des grandes entreprises de services publics n’auraient pas pu obtenir à partir de pays étrangers. Nous nous sommes distingués. Nous avons dit aux fonctionnaires et aux bureaucrates que nous n’allions pas payer, quoi qu’ils fassent. Que nous allions nous battre pour rester ici et pour construire l’infrastructure dont ils ont tant besoin parce que c’était ce qu’il fallait faire.
Les gens, des Indiens et d’autres Canadiens, me demandent comment diable une petite entreprise peut obtenir d’aussi gros contrats. Je réponds en étant différent, en adoptant une approche différente et en offrant à l’Inde quelque chose dont elle a vraiment besoin, de l’honnêteté.
Le sénateur Finley : Vous avez adopté une approche vraiment rafraîchissante, et, si je puis dire, une approche brave. Je suis heureux de voir qu’elle a réussi.
Nous avons reçu le ministre du Transport routier et des Autoroutes, M. Nath, et nous avons eu l’impression que le secteur public en Inde avait un point de vue à long terme très apolitique et de grands objectifs audacieux. Est-ce que c’est l’impression que vous avez du secteur public indien ou est-ce qu’il manque, au contraire, de vision?
M. Dhillon : Le gouvernement actuel est probablement un des meilleurs gouvernements que l’Inde ait connus depuis quelques décennies. Le parti communiste a été anéanti, puis, par miracle, ils ont pris le pouvoir. Ce qui est génial à propos de ça, c’est qu’en gros, dans un système très corrompu, ils ont des personnes à l’interne qui sont très honnêtes et que les Indiens reconnaissent comme étant honnêtes, et le premier ministre Manmohan Singh en fait partie. Le secteur public, comme on l’a dit, est somme toute assez corrompu, mais sous le régime de ce gouvernement, on commence tranquillement à faire des affaires de façon plus honnête, ouverte et transparente. Ça ne fait pas longtemps que c’est comme ça, mais c’est sans aucun doute en train de changer.
Ce que ça signifie, c’est qu’en tant qu’homme d’affaires, quand je me présente là-bas, je sens cette attitude au gouvernement central, l’échelon le plus haut, alors ça me donne de l’assurance pour mettre plus de pression sur les échelons inférieurs. C’est ce que ça signifie. Ce n’est pas que le système ait changé, mais en utilisant l’attitude qui règne au gouvernement central comme levier, on peut essayer de changer ceux qui font avancer les dossiers, si on peut dire.
Quand nous nous sommes tournés vers l’énergie solaire, nous sommes immédiatement allés voir le ministère des Énergies renouvelables et nous lui avons dit que nous voulions réaliser des projets importants de production d’énergie solaire maintenant que l’Inde avait mis en place une politique nationale sur l’énergie solaire. Nous voulions avoir une lettre d’appui pour installer des systèmes d’énergie solaire de 500 mégawatts partout en Inde. Quelle importance a cette lettre? Le gouvernement central élabore une politique nationale, et cette politique est mise en oeuvre par les États, mais les États dépendent du gouvernement central pour obtenir l’argent nécessaire à la mise en oeuvre de cette politique. Si j’entre dans le bureau d’un fonctionnaire avec une lettre du gouvernement central en main, je suis dans une meilleure position pour l’inciter à prendre la bonne décision.
Le secteur public devient plus transparent, mais je ne dirais pas qu’il en est rendu là. Bien sûr, les entreprises canadiennes et les fonctionnaires canadiens qui veulent aborder cette question en Inde se sentent moralement meilleurs lorsqu’ils vont là et disent que le gouvernement veut faire ça, et c’est ce que nous voulons faire. C’est devenu utile en ce sens.
Le sénateur Smith : Tout comme le sénateur Finley, je me réjouis que vous parliez d’honnêteté et de savoir-vivre. Vous avez utilisé l’expression « dans un système très corrompu », que je n’ai pas vue dans le texte.
Hier, un témoin a dit qu’au sein de ces empires de la réglementation, parfois, aux échelons inférieurs, on subit des pressions de la part de ceux qui donnent les approbations. On nous a aussi dit que les ministres eux-mêmes passaient le message, mais que les pressions étaient plutôt exercées aux échelons inférieurs.
On a également mentionné que c’était l’ancienne façon de faire des affaires. On nous a dit que ça avait peut-être un lien avec la nature hautement technologique de votre entreprise. Peut-être que c’est lié à la technologie, à la mondialisation avec toutes ces percées technologiques, ce genre de choses ne se produit pas dans un monde où il faut être concurrentiel sur la scène mondiale, ce qui n’était pas le cas avant.
Je crois que vous avez dit que ça n’avait pas changé, mais j’ai l’impression que vous dites que c’est en train de changer, et que nous devrions nous en réjouir. Ai-je bien compris?
M. Dhillon : Je peux préciser ma pensée. Lorsque je me suis rendu en Inde en 1993, je n’y avais jamais brassé des affaires. J’y ai fait mes études secondaires, puis mes parents sont venus ici, et je n’ai pas eu d’autre choix que de les suivre au Canada. Donc, lorsque j’y suis retourné en 1993 pour faire des affaires, je ne connaissais pas vraiment le système indien mis à part ce que j’avais appris par les expériences familiales. En 1993, il n’était question de transparence dans aucun ordre de gouvernement en Inde. Le gouvernement indien était ébranlé par les scandales à l’époque.
En tant que Canadien, je me suis dit que peu importait le système, il était si vaste qu’il devait être possible d’y implanter une entreprise canadienne qui, comme je l’ai dit, apporterait un système de valeurs différent, et qu’il devait bien y avoir quelqu’un à qui ça plairait.
En cette époque où il n’était pas question de transparence ni de gouvernement honnête, nous sommes allés de l’avant malgré tout et, pour compliquer les choses encore davantage, nous sommes allés dans l’État de l’Uttar Pradesh, un choix qui m’a valu de me faire traiter de fou par ma famille et mes amis. Les États de Bihar et de l’Uttar Pradesh étaient perçus comme les plus corrompus et dysfonctionnels de tous les États du pays, surtout le Bihar. Lorsque j’ai décidé de m’intéresser à un projet qui visait l’État de l’Uttar Pradesh, les gens ont cru que j’avais perdu la tête. D’une part, je n’allais pas suivre leurs règles, et, d’autre part, j’allais dans un des pires États où travailler.
Nous avons décidé de nous intéresser à ce projet en particulier parce que c’était logique sur le plan énergétique. Les caractéristiques de l’endroit étaient incroyables, et nous pouvions produire une quantité importante d’électricité et la transporter de cet emplacement vers Delhi et vers Agra. L’endroit est près de ces deux villes, mais il se trouve dans l’Uttar Pradesh.
J’ai ignoré les conseils de mes amis et j’ai ouvert mon bureau. J’ai sorti mon meilleur ami de l’école pour qu’il dirige mon bureau. Il m’a dit que ce serait impossible de faire des affaires à la façon canadienne. Il m’a dit que je pouvais aussi bien le jeter dans l’eau pieds et poings liés, car nous ne pourrions pas accomplir quoi que ce soit. Je lui ai demandé d’essayer, je l’ai informé qu’il ne pouvait rien faire d’autre, et je lui ai dit de m’appeler s’il n’arrivait à rien.
Vous savez, lorsque j’ai essayé, lorsque nous avons essayé, nous avons fait face à divers obstacles. De nombreux fonctionnaires nous ont dit qu’ils n’avaient absolument pas l’intention de faire quoi que ce soit pour nous si nous ne les payions pas. Cependant, le ministre en chef de l’État a pris notre parti. Il a vu une entreprise différente qui arrivait avec une attitude différente et avec une proposition de valeurs différente. L’État avait fait un appel pour trois centrales de 250 mégawatts, pour un total de 750 mégawatts pour ce projet. J’ai étudié la demande de propositions, je suis rentré à Vancouver et j’ai dit à SNC-Lavalin, qui allait s’occuper de la composante thermique, que ces exigences reflétaient ce qui pouvait se faire en Inde. C’était la capacité de production maximale en Inde. De notre côté, nous avions la possibilité de fouiller la planète entière pour trouver la capacité et la technologie. Je leur ai dit d’optimiser notre proposition de sorte que, quand j’allais la présenter, tous mes concurrents répondraient à l’exigence des 750 mégawatts, et que notre réponse serait différente. Nous avons soumis une proposition de 800 mégawatts pour le même terrain, les mêmes trous, la même eau, et ainsi de suite. Nous avons attiré l’attention du ministre en chef, qui a voulu savoir pourquoi une entreprise proposait autre chose que ce que le gouvernement demandait, et pourquoi cette entreprise leur offrait plus que les autres.
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’en décidant de faire les choses autrement, nous avons attiré l’attention de quelqu’un. La fonction publique dans son ensemble était incroyablement corrompue et dysfonctionnelle, mais nous avons retenu l’attention du ministre en chef. Une fois que nous avons eu son attention, il a ordonné à ses employés de faire avancer le dossier. Évidemment, ça n’a pas coulé de source automatiquement. Les fonctionnaires sont particulièrement bons pour embrouiller les politiciens, et nous avons dû nous battre contre le système. L’assentiment de façade est bien implanté en Inde.
Nous avons dû nous battre contre le système. Nous sommes allés frapper à la porte de l’échelon supérieur, nous avons reçu l’approbation nécessaire, comme c’était le cas pour la composante solaire, puis nous avons retroussé nos manches et nous sommes redescendu dans le bas de l’échelle pour parler aux gens qui font avancer les dossiers, aux gens qui font avancer les dossiers des gens qui font avancer les dossiers. Autrement dit, nous sommes allés voir les premiers points de contact, le secrétaire personnel, les fonctionnaires, le secrétaire de l’énergie, et ainsi de suite, et nous avons commencé à bâtir des relations.
Même si mon entreprise est petite, elle compte 350 actionnaires, dont les deux tiers sont Indiens. Un grand nombre d’entre eux m’ont dit que je ne pouvais pas faire les choses de cette manière, mais qu’ils allaient investir quand même et qu’ils voulaient qu’on leur montre ce qu’on pouvait faire. Quand je suis revenu avec mes commandes et les preuves de ma réussite, des Canadiens d’origine indienne m’ont demandé comment nous avions fait. J’ai répondu que c’était parce que nous avions essayé. Vous, vous mettez de l’argent dans vos poches avant même de vous rendre là-bas, avant même que les Indiens vous en demandent, alors vous avez déjà perdu la partie. En tant que Canadiens, nous pouvons apporter une valeur, une expertise et une expérience incroyables. Si vous allez là-bas et que vous faites les choses à notre façon, les gens le remarqueront. Peu importe que ce soit en Russie ou en Chine, les gens le remarqueront.
Voici un exemple de ce que qui ne fonctionne pas. J’ai des amis très proches qui habitent à Vancouver et qui sont originaires de Hong Kong. Lorsque la Chine s’est ouverte, ils ont insisté pour que j’y aille avec eux pour construire des centrales électriques parce que les marchés de l’énergie sont les mêmes en Chine. J’étais d’avis que le risque en Inde, un pays démocratique, avec quelques principes de primauté du droit, était à peu près gérable, mais en Chine, avec un régime autoritaire, sans principes de primauté du droit, je ne croyais pas que le risque était gérable. Je ne pouvais tout simplement pas dire non à mes amis chinois, parce que ça aurait été un affront. De façon très diplomatique, je leur ai fourni une liste de ce dont j’avais besoin, et je leur ai dit que je me rendrais là-bas lorsqu’ils auraient satisfait ces besoins. Ils ont disparu en Chine pendant deux ans et ils sont revenus les mains vides, sans avoir accompli quoi que ce soit.
Il faut tout simplement comprendre le système. Nous avons fait le pari qu’en Inde, malgré la corruption et le système dysfonctionnel, il y avait des éléments de démocratie et de common law britanniques, et les infrastructures et les institutions nécessaires. Ça ne fonctionne peut-être pas très bien, mais ça existe. C’est à nous de les faire fonctionner à notre avantage. Prendre cette décision est ce qui fait la différence. En Chine, nous avions l’impression que nous ne pourrions pas le faire.
Le sénateur Smith : Le comité s’est rendu en Chine et en Russie. Le comité n’est pas encore allé en Inde, mais la plupart d’entre nous souhaitent y aller. J’y suis moi-même allé à quelques reprises.
La corruption était un sujet de discussion populaire en Russie, tandis qu’il était pratiquement interdit d’en parler en Chine. Malgré tout, votre franchise et votre honnêteté sont appréciées. Vous faites des affaires dans plusieurs autres pays. Où se situe l’Inde par rapport à ces pays?
M. Dhillon : À notre avis, l’Inde est le principal marché cible. L’Inde devrait être un des principaux marchés cibles du Canada. L’Inde a beaucoup à offrir aux Canadiens. Grâce à une gestion efficace, ce pays pourrait, sans remplacer complètement les États-Unis, attirer une large part de nos activités commerciales et être très profitable pour le Canada.
Le sénateur Stollery : D’après mon expérience, dans les endroits corrompus, les fonctionnaires et d’autres sont souvent payés, donc ils prennent l’argent où ils le peuvent. Vous devez ni plus ni moins les subventionner parce qu’ils ne sont pas payés.
Est-ce que les salaires augmentent dans la fonction publique indienne?
M. Dhillon : Vous avez tout à fait raison. La justification donnée pour expliquer les pots-de-vin et la corruption est que les gens n’ont pas assez d’argent pour nourrir leurs enfants et ce genre de choses.
Les salaires commencent à augmenter en Inde au fur et à mesure que la prospérité se concrétise. Évidemment, il est impossible de changer tout le système d’un coup. Notre réponse à la corruption n’est pas de dire aux gens de changer leur comportement en général si les pots-de-vin sont leur façon de faire. Par contre, nous leur disons qu’ils doivent changer leur comportement envers nous. Nous sommes Canadiens. Nous leur disons, tout simplement, que nous sommes Canadiens, que nous ne pouvons pas faire ça, que nous sommes des gens honnêtes, de bonnes personnes, que nous les inviterons à souper s’ils le souhaitent, mais que nous ne pouvons pas faire ça. La plupart du temps, ils capitulent. Parfois, un fonctionnaire bien placé, qui a l’autorité nécessaire pour faire mourir votre dossier, vous dira qu’il n’en est pas question et vous demandera si vous vous croyez supérieur aux autres. Nous essayons alors de le contourner en parlant avec des gens avec qui il a été à l’école — on en revient à l’influence des relations —, ou nous prenons notre mal en patience. Dans la fonction publique indienne, les fonctionnaires se font fréquemment muter, notamment s’il y a des changements politiques au sein de l’État ou si un parti différent prend le pouvoir de l’État central. Dans la plupart des cas, nous essayons d’utiliser nos relations pour contourner le fonctionnaire.
[français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Monsieur Dhillon, je vous remercie pour votre présentation positive et aussi de nous avoir informés sur les moyens que vous avez utilisés pour faire des affaires en Inde.
Il y a quelques semaines, l'historien Ramachandra Guha était de passage à Ottawa pour y prononcer une conférence au Centre de recherche pour le développement international. Lors de son discours, il a laissé couler une douche froide sur l'ambition de l'Inde de devenir une superpuissance mondiale. En outre, il a mentionné la menace extrémiste que représente la guérilla maoïste dans les régions tribales de l'est du pays et les questions fondamentales de développement partagé qu'elle soulève. Il a parlé du rôle insidieux du chauvinisme hindouiste, du fossé croissant entre riches et pauvres, de la dégradation de l'État central comme moteur de progrès social, de la destruction aveugle de l'environnement et de la démission des médias. Autant de raisons, selon M. Guha, qui font que l'Inde ne deviendra pas une superpuissance malgré sa fulgurante croissance économique et l'expansionnisme de sa classe moyenne.
Est-ce que vous partagez les inquiétudes de M. Guha?
[traduction]
M. Dhillon : Je dois dire que je ne partage pas cette opinion, pas de la façon dont il le dit. L’Inde est aux prises avec d’énormes problèmes dans tous les secteurs qu’il mentionne. Je veux bien admettre que l’Inde ne sera peut-être pas une superpuissance comme les États-Unis le sont, comme la Russie l’a déjà été ou comme la Chine pourrait le devenir. L’Inde sera une superpuissance économique, ne serait-ce qu’en raison de la taille de sa population et de la croissance de son économie.
Nous pouvons capituler devant l’ampleur et les difficultés auxquelles l’Inde fait face, ou les Canadiens peuvent y voir une occasion à exploiter. Comme je l’ai mentionné, nous avons bien des bonnes choses en surabondance, et nous pouvons aider l’Inde à en profiter également. À titre d’exemple, la gouvernance peut aider à combattre la corruption.
En ce qui a trait aux guérillas, le Canada n’a pas à aller en guerre au nom de l’Inde, mais nous pouvons offrir des conseils en matière de sécurité pour gérer la situation. Dans le cas de l’Inde, deux raisons motivent ces groupes, à savoir la pauvreté et le manque d’empressement du gouvernement à alléger la pauvreté dans ces régions. Ces facteurs créent un terrain fertile pour semer le mécontentement. En tant que Canadiens, nous pouvons contribuer à alléger leur pauvreté. Nous pouvons aider le gouvernement indien à agir un peu plus rapidement.
Les Indiens et le gouvernement indien sont incroyablement susceptibles. Dès que nous dirons que nous pourrions les aider à agir plus rapidement, ils se méfieront. Nous pouvons aborder la question de façon diplomatique. Les Canadiens sont censés être bons là-dedans. Au bout du compte, l’Inde a besoin de l’aide du Canada dans tous les secteurs que l’historien a mentionnés.
Personnellement, je ne crois pas que ces problèmes empêcheront l’Inde de devenir une superpuissance d’une manière ou d’une autre. Les problèmes peuvent servir de tremplins au Canada pour aider l’Inde, un pays avec lequel nous avons beaucoup en commun. C’est pourquoi l’Inde est un terrain fertile pour les gens d’affaires canadiens.
[français]
Le sénateur Fortin-Duplessis : Ma prochaine question porte sur un tout autre sujet. La province de Québec, d'où je viens, développe de plus en plus l'énergie éolienne. Je sais que vous construisez toutes sortes de centrales et que vous avez de magnifiques projets pour fournir de l'électricité. Pensez-vous que ce serait également une solution valable?
[traduction]
M. Dhillon : Les projets de production d’énergie varient en fonction du lieu. De façon générale, oui, l’énergie éolienne a un rôle à jouer dans le paysage canadien, mais ce type d’énergie ne va pas régler tous nos problèmes, pas plus qu’il ne va régler tous les problèmes de toutes les régions du Québec ou des autres provinces. Pour être rentables, les projets de production d’énergie éolienne doivent pouvoir compter sur des quantités importantes de vent, tout comme les projets de production d’énergie solaire ont besoin d’un lieu ensoleillé. Notre entreprise tente de ne pas comparer les types de projets et de s’attarder plutôt aux besoins et aux problèmes pour trouver la meilleure solution possible.
Ainsi, on m’a demandé d’aller en Inde et d’y construire de grandes centrales au charbon. L’Inde, comme d’autres économies émergentes, manque d’électricité. Les Canadiens sont les plus grands consommateurs d’énergie du monde et les Indiens sont parmi ceux qui en utilisent le moins. L’Inde manque tellement d’énergie qu’elle a besoin de 200 000 mégawatts aujourd’hui en plus de ce qu’elle produit déjà. Pour vous donner une idée de ce que ça représente, sachez que le Canada produit 120 mégawatts d’énergie au total. L’Inde doit doubler la capacité énergétique du Canada pour répondre à la demande actuelle. En tant que promoteur canadien, je pense que l’Inde voudra produire de l’énergie à partir de toutes les sources possibles, y compris le charbon. Comment est-ce que je peux, comme Canadien, améliorer cette situation? L’Inde construira des centrales au charbon de toute façon. Canasia a été une des premières entreprises en Inde à passer des chaudières traditionnelles aux chaudières surcritiques. S’ils choisissent d’utiliser du charbon, ils devraient construire les centrales écologiques de la prochaine génération. L’Inde occupe le quatrième rang mondial au chapitre de la production d’énergie éolienne, ce qui surpasse de loin la performance du Canada. Il y a une place pour l’énergie éolienne, mais, qu’on parle du Canada ou de l’Inde, ça dépend des endroits et des besoins.
Le sénateur Jaffer : Monsieur Dhillon, vos propos sont très rafraîchissants. Je trouve que vous présentez bien la diversité de l’Inde. Vous avez souligné le fait que notre population indienne provient principalement d’une même partie de l’Inde, et que les gens en général ne connaissent pas la grande diversité des Indiens. Je ne me souviens pas que quelqu’un ait fourni une explication aussi intéressante à notre comité par le passé. C’est certainement utile.
Vous avez parlé d’établir une relation à long terme. Nous avions une bonne relation avec l’Inde après son accession à l’indépendance, mais il y a eu un refroidissement depuis. Vous avez parlé de l’établissement de relations dans une certaine mesure. Notre but ici est d’écouter les gens, de rédiger un rapport et de soumettre des recommandations à notre gouvernement sur ce que nous devrions faire en Inde. Par où doit-on commencer pour établir ces relations à long terme?
M. Dhillon : Comme je l’ai mentionné, le sujet est vaste et on pourrait y consacrer plusieurs jours. Le Canada occupait une position enviable en Inde pour toutes sortes de raisons historiques que nous connaissons bien. Aujourd’hui, l’Inde s’ouvre au monde en sachant très bien que le Canada n’est pas le seul pays à frapper à sa porte.
Mon point de vue sur la question a toujours été légèrement différent. Je ne crois pas que nous devions supplier l’Inde juste parce que son économie est en croissance et que nous avons besoin de marchés. Ce n’est pas l’attitude à adopter. En Asie et en Russie, et partout dans le monde de façon générale, les gens admirent la force. Malheureusement, le Canada, dans une certaine mesure, passe parfois pour une nation faible. Quand nous, les Canadiens, nous nous rendons en Inde, il faut y aller avec une attitude de force même si nous ne sommes peut-être pas en position de force. Notre entreprise est un bon exemple, car nous n’avions pas les capacités de SNC-Lavalin pour nous attaquer à un projet de 2 000 mégawatts. En fait, SNC-Lavalin ne voulait pas s’attaquer à un tel projet en Inde parce que c’était trop risqué à son avis. Nous n’avions pas les ressources, mais nous y sommes allés en adoptant une attitude particulière. Pour reprendre du terrain sur le plan de l’influence économique et politique, le gouvernement canadien doit démontrer sa force tout en faisant preuve de sensibilité culturelle. Nous devons établir une relation en étant proactifs, pas en nous limitant aux visites ministérielles.
Le Canada se fait très discret en Inde, même si des ministres s’y rendent de temps à autre. Des pays comme le Zimbabwe se font davantage de capital politique lorsque leur président va en Inde que lorsque notre premier ministre s’y rend. Je trouve que c’est décourageant. Nous devons faire plus de vagues en Inde, être présents à tous les échelons. Je peux refuser l’offre de paiement du secrétaire de l’énergie, mais je peux donner une augmentation additionnelle aux employés de ma maison à Delhi pour qu’ils soient fiers de dire aux autres domestiques du quartier qu’ils travaillent pour une entreprise canadienne.
Nous devons être présents à tous les échelons, nous engager de manière résolue et ciblée. On ne peut pas rester assis ici et contempler l’Inde avec envie en se disant que ce serait un bon marché pour nous. Nous avons besoin d’une politique gouvernementale ferme et ciblée, qui va faire progresser les affaires. Nous devons également avoir le soutien des milieux financiers, et c’est d’ailleurs une autre faiblesse du Canada. Nos milieux financiers sont carrément absents des marchés mondiaux. L’engagement et l’établissement de relations sont primordiaux. Le gouvernement canadien et les représentants canadiens doivent être présents à tous les échelons en Inde, en tout temps. Nous devons augmenter notre présence, sans quoi nous continuerons à perdre du terrain.
Le sénateur Jaffer : Le Canada fait la queue. Que devrions-nous faire, en plus de ce que vous avez dit, pour gagner quelques places?
M. Dhillon : Ça me fait sourire parce que le 6 septembre dernier, j’ai rencontré le ministre des Finances, Jim Flaherty. Je rentrais tout juste de l’Inde, où j’avais signé un contrat pour un autre très grand projet dans le Gujarat. Nous avons eu le contrat parce que le gouvernement de l’État du Gujarat a invité cette entreprise canadienne à faire du développement. Même si tout le gratin de la communauté internationale était présent dans le Gujarat, ils ont fait appel à nous. J’ai d’abord refusé, car je n’ai pas les ressources pour entreprendre un nouveau projet. Ils ont insisté pour que nous venions et lorsque je leur ai demandé pourquoi, ils m’ont dit que c’était en raison de notre honnêteté et de notre intégrité, et parce que nous sommes la seule entreprise propre et le seul projet propre en Inde. Ils voulaient notre genre d’entreprise.
Je suis rentré au Canada et j’ai cru bon d’en parler au ministre des Finances. Je lui ai dit que notre manière de faire des affaires en Inde fonctionnait dans une certaine mesure. Nous avions été invités à réaliser un projet par le ministre en chef d’un État. J’ai mentionné au ministre des Finances que le premier ministre de l’Inde avait annoncé récemment que son pays avait immédiatement besoin de 500 milliards de dollars pour construire son infrastructure. N’oubliez pas que le risque souverain de l’Inde est pratiquement inexistant et que le gouvernement indien n’a, jusqu’à ce jour, jamais manqué à l’obligation de rembourser sa dette étrangère. Le profil de risque est très faible.
Je lui ai fait remarquer que du capital dormait dans nos caisses de retraite, qui peinaient à équilibrer leurs résultats. Si vous voulez que le Canada reprenne sa position à la tête de la queue — et ne parlons pas des raisons pour lesquelles nous sommes au bout de la queue —, décrochez le téléphone, parlez au premier ministre ou à vos homologues et dites-leur que le Canada va avancer 50 milliards de dollars. Dites-leur que nous prendrons 10 p. 100 de cette première tranche de 500 milliards de dollars. Un jour ou l’autre, ils auront besoin de 2 billions de dollars. J’ai parlé de 50 milliards de dollars fournis par le Canada dans une transaction directe d’un gouvernement à l’autre, sans aucun risque, et j’ai dit que nos caisses de retraite pouvaient avancer cet argent.
Le geste sera apprécié pour deux raisons. La première est, bien sûr, qu’une somme importante d’argent en provenance du Canada attire toujours l’attention. La deuxième est que, devant une telle offre, le gouvernement indien appréciera le fait que les Canadiens soient dorénavant sérieusement disposés à s’engager et à investir de l’argent.
Pourquoi notre entreprise retient-elle l’attention? Parce que nous investissons de l’argent. Parfois, un fonctionnaire indien me donne du fil à retordre, ça arrive, et accuse les étrangers d’être en Inde uniquement pour faire de l’argent, parce que le pays est en croissance. Il me demande où nous étions avant. Je lui réponds que, avant d’affirmer ça, il doit savoir que j’ai investi en Inde des millions de dollars à titre personnel, des millions de ma famille et des millions de mes actionnaires canadiens. Je lui demande combien d’argent il a investi lui-même dans le système. Je sais combien il en a tiré. Ça clôt généralement la discussion.
Il faut faire les choses avec aplomb. Il faut être sensible, oui, mais il faut des actions concrètes pour qu’ils se rendent compte que l’engagement du Canada est sérieux. De cette manière, on peut franchir rapidement la période d’établissement d’une relation qui, comme vous l’avez souligné à juste titre, peut prendre beaucoup de temps.
Une autre qualité est la franchise. Les Indiens sont très susceptibles, mais si vous dites les choses de la bonne façon, ils apprécient la franchise. Lorsque je demande au secrétaire de l’énergie ou à un autre fonctionnaire de ne pas s’en prendre à moi, que je ne suis qu’un simple Canadien qui essaie de faire quelque chose de bien, un lien s’établit immédiatement. Généralement, ça les fait rire, parce que personne d’autre dans les entreprises étrangères ne s’adresse à eux comme ça. Pourquoi s’en prendre à nous? Nous ne sommes que de simples Canadiens, nous sommes des gens bien, donnez-nous une chance.
Si le Canada va en Inde et qu’il explique qu’il a besoin du marché, qu’il a beaucoup à offrir et qu’il est prêt à s’engager sérieusement, et que les Indiens voient que le Canada est sérieux, il faut ensuite demander à avoir les projets. Nous oublions de demander. Nous allons en Inde, mais nous ne disons pas ce que nous voulons. Il faut être précis dans nos demandes, c’est l’aspect qu’il faut préparer. Je veux ça. Donnez-le-moi. La plupart du temps, ils acceptent de le faire. La période d’établissement d’une relation est écourtée.
Le sénateur Di Nino : Monsieur Dhillon, je suis content de vous revoir. J’aimerais moi aussi vous féliciter de votre franchise. Vous vous exprimez de façon très directe, et je crois que vous nous avez fourni beaucoup de matière à réflexion.
Vous avez mentionné qu’à votre avis, il est préférable d’aller en Inde pour faire des affaires seul plutôt que de chercher des partenaires ou des coentrepreneurs. C’est bien ça?
M. Dhillon : C’est exact.
Le sénateur Di Nino : Vous n’êtes pas d’avis qu’il serait utile de pouvoir compter sur l’expertise et l’aide qu’une entreprise indienne pourrait offrir?
M. Dhillon : Ils n’ont pas plus d’expertise que nous en affaires. Quand on parle d’expertise, on parle surtout de connaître les méandres du système. On tient pour acquis qu’ils savent comment fonctionne le système et, donc, que nous les connaissons.
Pour ce qui est des principes d’affaires en général, les Canadiens sont aussi bons que n’importe qui, donc nous n’avons pas besoin de leur expertise. Une entreprise du Canada ou d’un autre pays qui arrive en Inde cherche une personne qui connaît le système pour ne pas avoir à en apprendre les rouages, pour ne pas s’y enliser, une personne pour ouvrir les portes.
Cependant, comme je l’ai mentionné, selon notre expérience — et nous avons agi plutôt par instinct — si nous voulions parler directement au gouvernement et lui exposer directement notre cas, de l’échelon le plus haut au simple commis, et dire directement à cette personne que nous avions un problème et lui exposer les causes de ce problème, et lui demander de nous donner une chance, alors nous n’avions pas besoin de l’expertise des Indiens.
Comme je brasse de grosses affaires, on m’a suggéré d’acheter Tata Power. En fait, l’ambassade canadienne à Delhi m’a souvent demandé pourquoi je n’achetais pas Tata Power ou une entreprise du groupe Birla. Des projets de cette ampleur ne pourront pas être réalisés par une petite entreprise canadienne. Je ne suis pas d’accord.
Tata Power, Birla et les autres grandes entreprises auront des effets dévastateurs sur mes efforts en Inde, car elles sont très grosses et très puissantes. Elles vont d’abord prendre le contrôle des projets, puis elles vont faire les choses à leur façon, ce qui va compromettre tout le processus d’établissement de relations, l’image et la marque que nous avons entrepris de créer. Par ailleurs, il est faux de dire que nous ne pouvons pas faire ce que Tata Power ou les autres entreprises font.
Nous sommes allés voir les cinq premières banques de Mumbai et nous avons rencontré les représentants des groupes des marchés de capitaux de State Bank India, ICICI, et ainsi de suite, c’est-à-dire les cinq institutions financières qui orchestrent les transactions de plusieurs milliards de dollars qui sont conclues en Inde. Nous leur avons dit que nous étions Canadiens et que nous faisions ce travail nous-mêmes. Ces projets seront commandités par le Canada. Nous leur avons demandé s’ils seraient en mesure d’y contribuer. On parlait de 5 milliards de dollars. À l’unanimité, ils ont répondu que oui, bien sûr. Il faut que nous menions les projets jusqu’à l’étape du financement. Ils nous disent qu’ils peuvent fournir plus que des prêts, qu’ils peuvent fournir tous les capitaux dont nous avons besoin. Je suis allé les voir et je leur ai demandé. C’est ce que nous devons faire.
Le sénateur Di Nino : Au sujet des ressources du Canada, que ce soit ici ou en Inde, avons-nous suffisamment de ressources financières humaines pour vous aider et pour aider les autres entreprises?
M. Dhillon : Je vous répondrai en deux parties. Nous n’avons pas suffisamment de ressources sur le terrain, étant donné la taille du marché et l’objectif que les Canadiens devraient se fixer. De ce point de vue, nous n’avons pas suffisamment de ressources. Nous avons suffisamment de ressources pour les visites et le maintien de certains liens diplomatiques, mais pas pour brasser de grosses affaires.
D’autre part, je n’ai pas besoin d’entreprises là-bas. J’ai besoin d’entreprises ici. Lorsque je rentre au pays avec de grosses commandes, je n’ai pas d’entreprises de fabrication vers qui me tourner. À une certaine époque, Babcock & Wilcox, une entreprise d’ici, fabriquait des chaudières qui pouvaient rivaliser avec pratiquement n’importe quelles autres. Ils sont partis. Nous ne fabriquons plus rien ici, au Canada.
J’ai dit au ministre, M. Flaherty, que même notre plus grande entreprise de génie, SNC-Lavalin, n’avait pas la capacité nécessaire pour conclure un contrat de 2 milliards de dollars d’équipement, d’achat et de construction. Lorsque je reviens ici avec ces commandes, il n’y a aucune entreprise canadienne à qui je peux les confier.
Nous avons besoin de fonder des entreprises ici. Nous avons besoin de créer de nouveaux modèles pour être en mesure de saisir les occasions d’affaires et de faire une mise en oeuvre efficace. On a besoin d’aide ici, pas là-bas.
Le sénateur Di Nino : Vous avez parlé, et d’autres en ont parlé aussi, de la marque du Canada. Il me semble que vous définissez la marque du Canada par des valeurs, à savoir l’honnêteté, l’intégrité, l’équité. Est-ce là ce qui devrait être notre marque, à votre avis?
M. Dhillon : Oui, et l’expertise. Je fais des affaires à l’échelle mondiale depuis longtemps. J’ai été un entrepreneur au Canada toute ma vie. Je suis profondément convaincu que nous, les Canadiens, pouvons nous mesurer à n’importe qui, n’importe quand, dans n’importe quel domaine. J’en suis profondément convaincu. J’en ai été témoin.
Le seul problème, c’est que nous sommes un peu réticents, un peu hésitants à être au coeur de l’action là-bas et à dire que nous pouvons le faire. Nous avons également peur des risques, c’est un autre aspect qui doit changer. Nous devons être en mesure d’agir de façon plus énergique, de prendre de plus grands risques, mais nous ne manquons pas d’expertise.
Un des principes sous-jacents à ma vision de la marque du Canada est que j’invite les fonctionnaires du gouvernement de l’Inde à trouver quelqu’un en Inde qui possède mon expertise en développement. J’ai réglé en 2 ans le premier projet de 800 mégawatts que j’ai entrepris dans l’Uttar Pradesh, un précédent dans le contexte indien. Nous avons même devancé le groupe Birla pour la signature de l’entente sur l’électricité, même si cette entreprise avait commencé un an plus tôt et avait un projet de 576 mégawatts, donc plus petit. Canasia a été la première entreprise avec qui le gouvernement de l’Uttar Pradesh a conclu une entente de production d’énergie, la première à qui une garantie a été faite par le gouvernement de l’État. Birla avait commencé un an avant nous. Nous avons battu Birla.
Je ne suis pas allé en Inde dans l’idée de battre Birla à quoi que ce soit. Je n’aurais pas présumé de ça. C’est notre attitude qui a battu Birla. Lorsque j’ai demandé aux fonctionnaires pourquoi nous avions été choisis, ils ont répondu que c’était parce que nous les avions traités décemment, que les autres brandissaient toujours des menaces. Quand les fonctionnaires ne sont pas à l’aise avec les propositions des autres entreprises, elles les menacent régulièrement d’aller voir le ministre en chef ou le secrétaire de l’énergie. Ils nous ont dit apprécier que nous ne fonctionnions pas comme ça, que nous nous asseyions avec eux pour régler les problèmes. L’expertise est un élément important de nos exportations.
Le sénateur Di Nino : Vous avez parlé de votre entreprise, de la production d’électricité et un peu des besoins en infrastructure de l’Inde. J’en conviens avec vous, ils sont énormes. J’aimerais juste ajouter aux remarques qui ont été faites à ce sujet que l’Inde est vraiment le premier pays multiculturel. Nous nous vantons avec raison d’être un pays multiculturel, mais l’Inde a une longueur d’avance sur nous à cet égard.
À votre avis, dans quels autres secteurs de compétence et de connaissance le Canada devrait-il se montrer aussi audacieux et aussi franc que vous l’avez décrit? Je pense, entre autres, au secteur agricole.
M. Dhillon : Il y a deux secteurs importants où l’Inde a besoin de beaucoup d’aide, que les Canadiens peuvent lui offrir. Le premier est celui de la bonne gouvernance. Nous nous plaignons peut-être, en tant que citoyens, que la gouvernance laisse à désirer dans notre pays. Mais elle est sans aucun doute une des meilleures du monde, à mon avis.
Comme l’a mentionné le sénateur, l’Inde sera freinée dans son ambition de devenir une superpuissance si elle n’a pas une bonne gouvernance. Rien ne peut vraiment bien fonctionner sans une bonne gouvernance. Si on pense aux sénateurs et aux politiciens des hautes sphères, on les aiderait certainement beaucoup si on les orientait dans la bonne direction.
À l’échelle de la fonction publique, nos fonctionnaires travaillent très bien et sont très efficaces. J’étais avec le premier ministre McGuinty pendant le voyage qu’il a fait en Inde en décembre dernier, concernant les technologies propres. Les fonctionnaires de l’Ontario qui ont organisé cette mission ont fait un travail tout simplement incroyable et ont travaillé de pair avec leurs homologues indiens. La mission s’est déroulée de façon impeccable. J’ai été très étonné parce que je sais que même les meilleurs plans peuvent échouer à tout moment en Inde. La mission s’est tellement bien déroulée, c’était merveilleux de voir un groupe de personnes compétentes et efficaces faire ce qu’elles doivent faire en Inde.
Le deuxième secteur où l’Inde a désespérément besoin de l’aide du Canada est l’éducation. L’Inde est vue comme un pays d’où proviennent des gens très instruits. C’est vrai, il y a tellement de monde en Inde que ceux qui ont reçu un bon enseignement paraissent très nombreux, même s’ils ne représentent que 2 p. 100 de la population. Mais c’est ignorer les centaines de millions d’Indiens qui n’ont pas accès au système d’éducation. Même dans les écoles publiques, qui sont gratuites, le niveau et la qualité de l’enseignement sont si faibles que ça ne vaut même pas la peine d’en parler.
Le Canada peut jouer un rôle important dans l’éducation des Indiens. Non seulement les Indiens pourraient ainsi sortir de la pauvreté, mais du point de vue des relations à long terme, le Canada créerait une nouvelle génération d’Indiens qui auraient été aidés par des Canadiens. Et avec qui ces Indiens feraient-ils affaire plus tard? Avec le Canada. Le Canada qui était là pour les aider quand le gouvernement indien ne le pouvait pas.
Nous pouvons faire des affaires, mais le Canada peut être un leader dans deux secteurs importants. Il peut orienter le gouvernement indien, à tous les échelons, vers une bonne gouvernance, en formant les fonctionnaires. Les fonctionnaires indiens veulent apprendre, ils seront très réceptifs. Et sur le plan de l’enseignement public, l’Inde a vraiment besoin d’aide.
Le sénateur Housakos : M. Dhillon, je vous remercie pour votre exposé et la franchise dont vous faites preuve ce matin. Je vous félicite de votre vision et de votre esprit d’entreprise. C’est grâce à une vision et à un esprit d’entreprise comme les vôtres que les Canadiens sont reconnus comme des chefs de file mondiaux dans le domaine du commerce.
Je prends aussi note de la franchise avec laquelle vous avez abordé l’Inde et du fait que vous avez réussi en faisant preuve d’honnêteté et d’intégrité, ce qui est très important. J’aimerais aussi souligner que je regarde la liste de vos partenaires canadiens. Ils représentent la crème de la crème dans leur domaine, et leur expertise et leur technologie sont reconnues dans le monde entier. Je crois que si vous montrez la voie, ce n’est pas seulement parce que vous êtes honnête et intègre, mais aussi parce que vous êtes capable de faire le travail mieux que quiconque. À part l’honnêteté et la technologie, quels autres avantages apportez-vous à l’Inde qui vous distinguent des autres?
M. Dhillon : Monsieur le sénateur, nous apportons la créativité. Par exemple, quand notre gouvernement a fait une demande de propositions pour trois centrales de 250 mégawatts, pour un total de 750 mégawatts, je ne lui ai pas demandé si je pouvais lui offrir 800 mégawatts, soit deux centrales de 400 mégawatts, au lieu des trois de 250 mégawatts comme il le demandait. Je suis revenu ici et j’ai demandé à SNC-Lavalin de faire mieux, de faire plus avec les mêmes ressources. C’était faire preuve de créativité, car quand nous nous sommes mesurés aux 22 autres soumissionnaires — qui venaient de l’Inde et de l’étranger — notre proposition était la seule qui ne respectait pas exactement ce qui était demandé, mais qui offrait davantage au gouvernement sans que ça lui coûte plus cher. La créativité est au coeur de notre travail.
Le sénateur Housakos : Vous avez aussi dit que nous perdons du terrain comparativement à la Chine, aux États-Unis et même à Israël et à la Corée. Pourquoi?
M. Dhillon : Ils sont plus sérieux. Ils ont beaucoup fait affaire avec l’Inde, pendant que nous accrochions sur les points dont j’ai parlé plus tôt. Ils ont ignoré ces problèmes et sont allés en Inde uniquement pour se tailler une place sur le marché. Ils étaient déterminés, ils savaient ce qu’ils voulaient et ils n’avaient pas l’intention de se laisser arrêter par les difficultés qu’ils pourraient rencontrer.
Ils savaient que l’Inde n’était pas un pays si mauvais. C’était une démocratie, avec des caractéristiques très avantageuses pour un pays, comme l’a mentionné le sénateur Di Nino. Elle est et a toujours été un des pays les plus multiculturels, divers et tolérants du monde. Nous avons accueilli les Tibétains et les Bangladais et tous ceux qui se sont présentés à nos frontières. L’Inde a ouvert ses frontières et a accepté des millions de réfugiés. Elle est un véritable exemple de tolérance.
Même si l’Inde présente des inconvénients, les autres pays font affaire avec elle parce qu’elle offre aussi de nombreux avantages. Comment tirer le meilleur de l’Inde telle qu’elle est aujourd’hui?
Malheureusement — et ce n’est que mon avis, je peux me tromper —, je crois que le Canada n’a pas fait preuve de détermination et n’a pas défini ce qu’il attendait de l’Inde ni comment il pouvait l’obtenir.
Le sénateur Housakos : Au sujet de la production d’énergie ou des projets d’infrastructure du genre dans les pays en développement, vous avez parlé d’un projet de 5 milliards de dollars. Pour le Canada, un projet de 5 milliards de dollars réalisé à l’échelle nationale est un projet énorme. Je sais que le principal problème de certaines entreprises comme SNC-Lavalin et RSW est, depuis quelques années, le manque de ressources humaines. Ce n’est pas parce qu’elles ne veulent pas se montrer plus audacieuses dans ces nouveaux marchés ni parce qu’elles manquent de fonds, car il y a des moyens de trouver du financement à l’échelle mondiale. Elles se plaignent de manquer de ressources humaines pour réaliser des projets de plusieurs milliards de dollars. Est-ce un problème?
M. Dhillon : Non. Nous sommes si petits. Que SNC-Lavalin affirme manquer de ressources dans quelque secteur que ce soit, c’est ridicule.
Un jour, Klaus Triendl, qui a déjà dirigé la division indienne de SNC-Lavalin, se trouvait dans la salle du conseil de mon entreprise à Vancouver. Il s’est tourné vers moi et m’a dit que je venais à peine de m’installer là-bas, que je ne connaissais rien de l’Inde, alors que SNC-Lavalin s’y trouvait depuis 30 ans et la connaissait parfaitement. Il m’a dit que nous étions une petite entreprise canadienne ambitieuse, qui pensait être capable de tout, mais qui n’arriverait à rien. Tout d’abord, c’était une déclaration déplacée parce qu’il se trouvait dans cette salle alors que je ne l’avais même pas invité.
Ensuite, je lui ai répondu que SNC-Lavalin n’avait pas toujours été ce qu’elle était devenue. Elle avait déjà été ce que j’étais : une personne souhaitant créer une société d’ingénieurs-conseils ou quelque chose du genre. C’est ainsi qu’est née SNC-Lavalin. Cet homme aurait compris ce que je fais aujourd’hui. Quand vous grossissez, vous vous laissez envahir par la paperasse et vous évitez les risques. Vous cherchez des excuses pour ne pas faire certaines choses plutôt que de trouver des raisons de les faire. Notre attitude vis-à-vis de SNC-Lavalin est différente. SNC a toutes les ressources du monde. En fait, hier, je parlais justement avec quelqu’un du fait que les entreprises canadiennes ont tendance à vendre après avoir atteint un certain niveau. À quelques exceptions près, comme RIM, pourquoi ne partent-elles pas à la conquête du monde? Le propriétaire de la deuxième société d’ingénieurs-conseils en négocie actuellement la vente plutôt que de penser à faire des acquisitions. Il vend au lieu d’acheter. Nous avons toujours eu tendance à vendre sans avoir le courage nécessaire pour faire des conquêtes. SNC-Lavalin est une grande entreprise. Ça m’attriste parfois un peu de voir qu’elle ne vise pas plus grand et qu’elle n’en fait pas davantage.
La question du manque de ressources résonne encore à mes oreilles. Les gens d’EDC m’ont déjà dit que des projets de 2 milliards de dollars étaient trop gros. Avez-vous pensé les présenter aux États-Unis? Quoi? Moi, un Canadien, je vais là-bas, j’arrache un contrat de 2 milliards de dollars, et EDC me suggère de l’offrir aux États-Unis? Il y a quelque chose qui cloche. Nos entreprises ne sont pas assez audacieuses pour dominer le marché mondial. Il y a 30 ans, la Corée du Sud n’était rien de plus qu’une rizière. Elle est aujourd’hui un géant économique. Sommes-nous plus petits que la Corée du Sud? J’ai répondu au représentant d’EDC dans l’Ouest : « Vous croyez que nous ne sommes pas assez gros pour conquérir le monde. » La Suisse n’est pas assez grosse? Volvo fabrique tous les camions du Brésil. Ce n’est pas en Allemagne que l’industrie allemande est surtout concentrée, mais à São Paulo. Si les Allemands sont capables de faire ça, pourquoi pas les Canadiens? Ce n’est pas une question de ressources, mais d’attitude. Nous devons changer d’attitude.
Le sénateur Robichaud : Vous avez dit que l’Inde aurait besoin de beaucoup d’électricité. Elle devra trouver des moyens d’en produire et vous avez parlé de l’énergie solaire. À la réunion du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, ce matin, un représentant de l’industrie des granules de bois a affirmé qu’ils en produisaient beaucoup. Ils ont des surplus et exportent maintenant en Europe, où le charbon est remplacé par des granules de bois dans certains réseaux de production d’énergie parce que ce matériau est plus écologique. Est-ce qu’il y aurait un marché pour une technologie ou un produit comme ça, en Inde?
M. Dhillon : Monsieur le sénateur, il y a un marché pour tout en Inde. Je suis sérieux. Les besoins de l’Inde sont si grands que tout ce que nous livrerons à ses frontières lui sera utile. Malheureusement, un des obstacles qui empêchent le Canada de faire des affaires à grande échelle avec l’Inde est la distance. La traversée prend 24 heures, ce qui n’est pas facile à supporter régulièrement. Si nous offrons des services, nous devons nous rendre là-bas. Si nous offrons des biens, que ce soit des granules de bois ou autre chose, nous devons leur faire parcourir la moitié du monde. Dans un monde où le prix du pétrole est très élevé et où les bateaux fonctionnent au pétrole, c’est une simple question de mathématique. Est-ce que ma marchandise a suffisamment de valeur là-bas pour avoir une marge bénéficiaire nette après les dépenses de transport nécessaire pour l’envoyer là-bas? Il faut faire ce simple calcul. Si la marchandise reste suffisamment rentable, il y a certainement un marché pour ça. Comme je l’ai dit, les besoins de l’Inde sont si grands qu’elle produira de l’électricité à partir de toutes les ressources disponibles.
Le sénateur Robichaud : Est-ce que l’Inde porte attention à l’aspect écologique d’un tel projet?
M. Dhillon : Oui. J’éprouve parfois de la pitié pour le gouvernement indien. Il doit régler des problèmes tellement importants, c’est tout simplement incroyable qu’il réussisse à le faire tout en maintenant le pays fonctionnel. Le gouvernement indien déploie beaucoup d’efforts pour s’attaquer aux problèmes touchant l’environnement. L’environnement a été détruit en Inde. Les industries ont fait preuve d’irresponsabilité extrême en rejetant leurs effluents industriels dans tous les canaux, tous les fleuves et tous les cours d’eau. Les villes rejettent les eaux d’égouts brutes dans les fleuves. Ces fleuves, qui étaient saints ou tout simplement agréables à regarder, ne sont maintenant que des réseaux d’égouts à ciel ouvert. L’Inde doit vraiment s’attaquer aux questions d’environnement.
Je vais essayer d’être bref, mais en ce qui concerne l’environnement, l’Inde aura besoin de tout : des connaissances scientifiques, de l’expertise et des services. Le gouvernement indien tente d’atteindre cet objectif. Comme je l’ai mentionné, il a adopté l’année passée une des politiques les plus audacieuses du monde en matière d’énergie solaire : 20 000 mégawatts d’ici 2020 et 200 000 mégawatts d’ici 2050. Puisqu’il s’agit de l’Inde, je réduis immédiatement cet objectif de moitié; ils en auront peut-être 10 s’ils visent 200. Mais c’est quand même énorme et le gouvernement est sérieux. Nous devons être capables de réaliser ce projet pour le bien de l’économie.
Le sénateur Downe : Je remercie notre témoin de sa présence. De toute évidence, vous êtes quelqu’un de très occupé et nous vous sommes reconnaissants de prendre le temps de nous renseigner.
J’aimerais en savoir davantage sur votre expérience avec les institutions canadiennes dans vos démarches pour vous implanter en Inde. Est-ce qu’EDC, la Banque de développement du Canada et les consulats du Canada en Inde vous ont aidé? Que pourraient-ils faire de mieux, à votre avis?
M. Dhillon : Les gens à l’ambassade du Canada sont merveilleux. Ils sont toujours ouverts, amicaux, prêts à aider, même s’ils ne sont pas toujours capables d’aider. Comme tout bon Canadien, ils hésitent parfois à foncer et à faire des déclarations en tant que représentants du gouvernement du Canada. Ils doivent se montrer plus audacieux et je crois qu’ils le deviendraient si Ottawa leur demandait de parler davantage de nous et du gouvernement canadien.
Quant aux autres institutions, je ne peux pas vraiment parler de la Banque de développement du Canada parce que je n’ai encore jamais fait appel à elle. J’ai fait affaire avec EDC à quelques reprises pour du financement. Nous cherchons de nouveaux marchés. C’est une entreprise où les risques sont élevés, on ne dit pas le contraire. Dans un tel cas, les entrepreneurs et les entreprises doivent avoir accès à du capital de risque équivalent. Nous n’avons pas de telles institutions au Canada. Howe Street est malheureusement reconnu dans le monde entier comme le casino du monde, et il faut que ça change. Que se passerait-il si nous proposions à Howe Street un projet qui n’a rien à voir avec l’exploitation minière dans un endroit comme l’Inde? L’exploitation minière mène le monde. S’il s’agit d’un projet industriel ou d’un projet d’infrastructure complexe, Howe Street n’investira pas un sou, comme ils n’ont pas voulu m’accorder de capital de risque. Je leur ai dit : « Vous financez des entreprises ridicules dans le monde entier qui ne fonctionneront jamais, je vous le dis tout de suite. » Ils m’ont répondu : « Nous connaissons les règles du jeu. » Le jeu? Tout est dans la façon de jouer.
Je frappe aux portes de Bay Street depuis 15 ans et je tente de parler aux banquiers du potentiel des marchés asiatiques. Aujourd’hui, aucun établissement financier d’investissement canadien n’est présent en Inde. Quand j’étais à Mumbai, j’ai rencontré un représentant de la toute première banque d’investissement de Scotia Capitaux. Cette personne est seule. Regardons maintenant Morgan Stanley, JP Morgan, Goldman Sachs et la Société de capital HSBC. Les banques d’investissement britanniques sont là depuis 100 ans et celles des États-Unis, depuis 10 ou 15 ans. Citibank est partie de zéro il y a 15 ans pour devenir aujourd’hui la plus grande société émettrice de cartes de crédit en Inde. Sa présence est devenue très importante. Où sont les banques canadiennes? Nous avons trois ou quatre petites succursales de la Banque Scotia, qui ne sont pas connues, et peut-être deux ou trois succursales de la TD Canada Trust.
Nous avons ici de très grosses banques qui sont protégées par le gouvernement contre l’infiltration étrangère. Pourquoi n’utilisons-nous pas cet avantage pour nous emparer d’une part du marché étranger?
Les entreprises canadiennes ont désespérément besoin du milieu financier pour aller de l’avant et participer à nos activités en Inde. Sinon, comme on le dit sur Bay Street, on vous achètera. Ce ne sera pas nous qui les achèterons, mais eux qui nous achèteront.
Malheureusement, les Canadiens s’accommodent bien de cette situation. Tant que le chèque est gros, ça ne les dérange pas. Mais ça devrait les déranger, parce qu’il faut être indépendant pour jouir d’une vraie souveraineté. Si vous vous faites acheter par le premier venu et vendez toutes nos ressources, nos institutions financières et Nortel, nos géants du secteur de la technologie et notre expertise dans ce domaine, alors je demande au ministre des Finances : « Qu’allons-nous vendre? Qu’allons-nous faire? »
Nous avons déjà abandonné notre secteur manufacturier et nous ne sommes plus concurrentiels. Avons-nous essayé? La même chose est maintenant en train de se passer pour nos services. Les travaux de génie qui étaient faits au Canada avant — et le Canada était un chef de file en génie de l’infrastructure et en génie électrique. Tous les travaux de base en génie sont faits par des ingénieurs indiens, et SNC-Lavalin donne son aval parce que le travail se fait en Algérie.
Un jour, ils arrêteront d’attendre que nous leur envoyions du travail. Ils iront en Algérie et trouveront du travail eux-mêmes parce qu’ils acquièrent rapidement de l’expertise. Nous allons délaisser nos services comme nous l’avons fait pour le secteur manufacturier. Que vendront ensuite les Canadiens?
Nous ne pouvons pas mener d’activités bancaires dans ce pays. Nous ne le comprenons pas, nous n’y sommes pas allés et nous n’avons même pas essayé. Nos banques d’investissement font quelques affaires là-bas et sont satisfaites. Leurs représentants peuvent jouer au golf les fins de semaine et conduire des BMW, et ils s’en contentent.
Ce n’est pas suffisant si on a une vision à long terme. C’est seulement suffisant pour aujourd’hui. C’est pourquoi le Canada perd du terrain. Nos banques d’investissement sont en train de se faire éclipser, nos ingénieurs aussi, et notre assise manufacturière s’affaiblit.
Une des choses contraires à l’intuition que j’ai faites récemment est de monter une centrale de 200 mégawatts dans le sud de l’Ontario et d’envoyer le produit en Inde. Bay Street m’a demandé si j’avais perdu la tête. On a voulu savoir pourquoi j’avais décidé de bâtir une usine de fabrication ici, au Canada, alors que l’Inde est un pays si peu cher. J’ai répondu que je n’avais pas perdu la tête et que j’avais fait ça pour plusieurs raisons. Nous pouvons le faire, l’occasion est parfaite pour nous. Ils n’avaient pas envisagé ça comme ça. Ils ont finalement dit : « Vous avez raison, ça pourrait fonctionner. »
C’est l’apathie totale qui met notre tissu économique en péril.
Le sénateur Finley : Monsieur Dhillon, vous me donnez presque le goût de retourner dans l’industrie privée et d’aller en Inde!
M. Dhillon : Nous avons besoin que vous alliez en Inde à titre de sénateur.
Le sénateur Finley : Je suis vraiment très impressionné par votre approche et par votre attitude. Je vous souhaite beaucoup de succès.
M. Dhillon : Merci.
Le sénateur Finley : Beaucoup de gens viennent nous voir et nous disent : « Voilà ce que le gouvernement doit faire. » Je voudrais seulement confirmer quelque chose plutôt que poser une question.
Vous dites que l’avenir des entreprises canadiennes en Inde se trouve clairement dans le secteur privé plutôt que dans le secteur public.
M. Dhillon : C’est exact.
Le sénateur Finley : Je m’en réjouis, en passant. Cependant, le gouvernement a certainement un rôle à jouer. J’aimerais savoir si vous pouvez nous dire rapidement ce que devrait être ce rôle, à votre avis. Quel est le meilleur moyen d’utiliser les ressources et les capacités du gouvernement pour encourager l’industrie privée à faire exactement ce que vous dites, à prendre plus de risques? Que suggérez-vous?
M. Dhillon : À votre échelon, le plus élevé, un gouvernement doit impérativement avoir le respect pour s’attaquer aux marchés étrangers. Notre gouvernement doit inspirer le respect, sinon nous serons laissés à nous-mêmes.
Voici un exemple simple. Le contrat qu’avait conclu Enron, au début des années 1990, pour la tristement célèbre centrale Dabhol a été annulé. C’était entièrement la faute d’Enron. Ce n’était pas la faute de l’Inde, même si c’est ce qu’on a laissé entendre. Le secrétaire au commerce, aux États-Unis, a téléphoné à l’Inde le lendemain pour menacer d’imposer des sanctions commerciales parce qu’une entreprise américaine avait été lésée. Ce n’était pas la chose à faire. Une véritable erreur. Le gouvernement indien s’est élevé contre ça, et avec raison, et s’est dit : « Ils prennent le risque de tout compromettre pour une seule entreprise? » Ce n’était vraiment pas brillant. Mais il y a eu des répercussions en Inde. Enron a immédiatement reçu l’aide de toute l’infrastructure gouvernementale américaine, qui est toujours prête à user du bâton.
Le Canada est en meilleure position. Nous sommes mieux vus dans ces pays parce que nous n’agissons pas aussi stupidement. Notre gouvernement doit préserver cette réputation, mais aussi s’imposer davantage là-bas. Comme je l’ai dit au sénateur, nous devons y être présents en tout temps, de manière concertée. Nous devons nous intéresser à ce qui est important pour le gouvernement de l’Inde. Nous devons nous engager personnellement à l’aider. Nous serons alors respectés.
Il faut que le gouvernement indien respecte vraiment le gouvernement canadien. Au bout du compte, que ce soit les brutes à l’école ou à l’université, ou encore dans le vaste monde, les déclarations et la gentillesse ne servent à rien si on ne fait pas aussi preuve de force. On vous tapera dessus et on vous prendra ce qu’on veut, une leçon qu’on apprend un jour, que ce soit à l’école ou plus tard dans la vie.
Le Canada doit s’imposer, notamment en diplomatie, et il doit avoir un poids politique. Notre gouvernement doit être respecté.
La présidente : Vous avez dit que nous devrions nous imposer, ce qui veut dire que les entreprises devraient prendre des risques. Mais vous avez aussi dit que ces risques élevés devraient être assurés par le gouvernement. Est-ce exact?
M. Dhillon : Ce n’est pas tout à fait ce que j’ai dit.
Dans notre cas, Howe Street et Bay Street ont rejeté notre demande, et EDC n’avait pas d’argent. J’ai investi mon argent, celui de ma famille et celui de mes amis. J’ai fait comme n’importe quel entrepreneur, mais à plus grande échelle. Les sommes investies étaient plus élevées parce que j’ai demandé beaucoup plus d’argent à mon entourage.
Je n’aurais jamais pensé que le secteur de l’énergie en Inde déraillerait après que j’eus reçu le feu vert pour mes projets, mais c’est ce qui est arrivé. Nous avons donc dû décider entre retourner chez nous parce que nous n’avions plus d’argent ou rester et continuer à investir. Nous avons décidé de persévérer. Nous sommes allés voir Howe Street, Bay Street et EDC. Tout le monde nous a fermé la porte au nez. En fait, un des premiers vice-présidents d’EDC m’a dit qu’il était désolé, mais qu’EDC avait les mêmes principes financiers que la Banque Royale du Canada. Je lui ai alors répondu : « Pourquoi est-ce que je vous parle alors? Je devrais aller à la Banque Royale. » Évidemment, à la Banque Royale, on me répondrait la même chose : « C’est trop risqué, je suis désolé, nous sommes prudents. Quelles garanties offrez-vous? »
Je comprends ça. Après avoir entendu ces réponses, nous avons creusé davantage. Nous avons étudié la réglementation du marché des valeurs mobilières. Comme entreprise spécialisée dans le secteur de l’énergie, nous sommes devenus des experts en réglementation du marché des valeurs mobilières. Nous avons rédigé nos propres offres et nos propres notices, et nous avons frappé aux portes pour amasser de l’argent en profitant des exemptions en vigueur dans chaque province. Nous sommes devenus nos propres souscripteurs. Nous n’avons pas accepté les refus. Nous voulions le marché et nous l’aurions.
Cela dit, tous les entrepreneurs canadiens ne seront pas aussi téméraires. Toutes les entreprises n’auront pas la même vision. Elles auront besoin d’un peu d’aide. Si le gouvernement du Canada veut que les entreprises canadiennes occupent davantage les marchés des nouvelles économies ou de l’économie mondiale et s’il veut vraiment diversifier ses activités pour moins dépendre de l’économie américaine, il devra envisager de travailler en partenariat avec les entreprises, comme le fait le Japon. La Corée du Sud, Israël et l’Allemagne le font aussi. Leurs gouvernements sont là et sont prêts à investir des sommes importantes. Ils peuvent faire appel au marché des capitaux et aux banques d’investissement et obtenir les fonds nécessaires. Nous n’avons pas de partenariat de ce genre.
Si notre pays veut faire comme Canasia — mettre la main sur les gros projets et les rapporter au pays — il faut cesser de travailler de façon dispersée. Nous devons unir nos forces, créer un front canadien uni. Il nous faut une acuité politique, diplomatique et commerciale ainsi que des fonds pour que les Canadiens puissent conquérir les marchés.
Pourquoi? Parce que les autres, vos concurrents, peuvent faire la même chose que vous. Si vos efforts sont dispersés alors que les leurs sont concertés, vous perdrez. Même si vous êtes très créatifs. Tout le monde n’est pas prêt à se battre pendant 16 ans, comme nous. En général, les entreprises canadiennes perdront. C’est pourquoi nous devons être unis.
La présidente : Vous avez très bien résumé ce que devrait être la stratégie au Canada. Vous vous êtes montré direct, hardi et provocateur. Vous avez certainement réussi à nous renseigner et à nous expliquer ce qu’il faut faire pour faire des affaires en Inde, selon vous. Vous trouverez peut-être quelques éléments de votre exposé dans notre rapport. Merci de nous avoir consacré du temps et de nous avoir poussés à voir au-delà des idées reçues.
M. Dhillon : Merci, madame la présidente.
La présidente : Honorables sénateurs, nous aurons une réunion mercredi prochain, mais pas le lendemain.
(La séance est levée.)
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