Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international
OTTAWA, le mercredi 6 mai 2015
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 16 h 15, pour étudier les questions qui pourraient survenir occasionnellement se rapportant aux relations étrangères et au commerce international en général (sujet : les relations entre l'Égypte et l'Afrique).
La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Chers collègues, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international est autorisé à étudier les questions susceptibles de survenir en rapport avec les relations étrangères et le commerce international en général.
Dans le cadre du vaste mandat qui nous a été confié, nous sommes heureux d'accueillir des fonctionnaires d'Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada, qui nous parleront des relations entre l'Égypte et l'Afrique. Comparaît devant nous M. Dennis Horak, directeur, Relations avec le Moyen-Orient. Monsieur Horak, comme on vous l'a dit, nous suivons de façon générale toutes les questions qui se posent à beaucoup de nos partenaires des pays avec lesquels nous avons noué des relations bilatérales. L'Égypte, bien sûr, a traversé une période d'épreuves, mais elle a annoncé, récemment, qu'elle renouait avec son rôle traditionnel, c'est-à-dire regarder vers le sud. En ces temps de turbulences, il serait intéressant qu'on fasse pour nous le point sur cette question ainsi que, à votre gré, sur ses aspects politiques, économiques et autres, en Égypte.
Soyez le bienvenu au comité.
Dennis Horak, directeur, Relations avec le Moyen-Orient, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Honorables sénateurs, bonjour et merci. Je commencerai par livrer mon exposé, après quoi je suis prêt à répondre à vos questions sur des points que nous n'aurions pas abordés. Je suis accompagné de collègues qui connaissent bien le point de vue africain et qui pourront compléter mes réponses.
Mesdames et messieurs, je suis heureux de m'adresser à votre comité au sujet de l'évolution des relations de l'Égypte avec l'Afrique, y compris l'Afrique de l'Est.
Pour illustrer l'engagement renouvelé de l'Égypte en faveur de relations harmonieuses avec l'Afrique, je parlerai également de son hydrodiplomatie concernant le Grand Barrage de la Renaissance éthiopienne.
Comme vous le savez, l'Égypte entretient avec le continent africain des liens de longue date sur les plans de l'histoire, de la politique, de la sécurité et de la culture, compte tenu de sa situation unique dans la région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord. Dans les dernières années de l'ère Moubarak, l'engagement diplomatique de l'Égypte auprès de l'Afrique a décliné, au grand désarroi de nombreux partenaires africains. Après la destitution de l'ancien président Morsi, en 2013, l'Égypte a été officiellement suspendue de l'Union africaine.
Cette indifférence et ce désengagement des deux côtés commencent maintenant à changer. Après l'élection du président al-Sissi, en juin dernier, et en réaction à la campagne de sensibilisation diplomatique menée par le nouveau gouvernement, l'Union africaine a redonné à l'Égypte son plein statut. Le président al-Sissi a participé au Sommet bisannuel de l'Union africaine. L'Égypte cherche une fois encore à s'engager activement en Afrique, notamment en Afrique de l'Est, dans les dossiers de la politique, du commerce, du développement et de la sécurité, compte tenu des liens qui les unissent.
Le regain d'intérêt de l'Égypte envers l'Afrique a été chaleureusement accueilli par ses partenaires africains, qui sont désireux de la revoir participer à des dossiers d'intérêt commun sur le continent. Ce changement de position concorde avec les efforts déployés par l'Égypte pour s'imposer de nouveau comme un chef de file dans la grande région du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord.
Les intérêts de l'Égypte en Afrique et l'orientation de ses efforts diplomatiques comportent plusieurs facettes. L'Égypte et les pays d'Afrique de l'Est partagent les mêmes préoccupations concernant la migration illégale, les flux de réfugiés et leur incidence connexe sur la sécurité régionale. En effet, l'Égypte, le Soudan, l'Érythrée et 30 autres pays d'Europe et d'Afrique sont signataires du processus de Khartoum, accord visant à améliorer la coordination et le renforcement des capacités pour lutter contre la migration illégale.
L'Égypte a également mis en place un fonds social africain visant à fournir une formation et une assistance technique pour répondre aux besoins des collectivités pauvres et vulnérables. Ses préoccupations pour la sécurité régionale l'amènent aussi à se positionner comme un centre de formation régionale et elle a ainsi dispensé une formation à des policiers de pays africains.
Depuis le changement de gouvernement en juin dernier, l'Égypte cherche également à renforcer sa capacité d'attirer les investissements étrangers et l'aide au développement. En effet, comme nous l'avons vu dans les médias, « l'Égypte est ouverte aux affaires ». À cette fin, le président Abdel Fattah al-Sissi met l'accent sur l'expansion du commerce, de l'investissement et du développement à long terme de l'Égypte, y compris grâce à la collaboration avec l'Afrique.
Comme vous avez pu le voir, du 13 au 15 mars dernier, l'Égypte a accueilli avec succès une conférence sur le développement économique à Charm el-Cheikh à laquelle ont participé 10 chefs d'États africains. Pendant cette conférence, deux entreprises canadiennes ont signé des accords commerciaux d'une valeur d'environ 7 milliards de dollars avec l'Égypte.
En outre, plus tard ce mois-ci, nous nous attendons à assister au lancement, au Caire, de la zone tripartite de libre- échange tant attendue, qui s'étendra de l'Égypte à l'Afrique du Sud. Elle reliera 590 millions de consommateurs des 26 pays membres de trois blocs commerciaux existants : le Marché commun de l'Afrique orientale et australe, la Communauté d'Afrique de l'Est et la Communauté de développement d'Afrique australe. En retour, elle favorisera l'établissement de profondes relations de commerce et d'investissement entre l'Égypte et l'Afrique.
Les négociations entourant le Grand Barrage de la Renaissance éthiopienne depuis l'élection du président al-Sissi en juin dernier montrent bien l'approche adoptée par l'Égypte en Afrique. Dans sa poursuite de l'hydrodiplomatie, l'Égypte a tenu à collaborer avec d'autres pays africains, en particulier l'Éthiopie et le Soudan, en raison de la grande incidence qu'aura l'ouvrage sur la population égyptienne.
Les premiers pourparlers entre les trois pays ont été difficiles étant donné que les Égyptiens se sentaient menacés par le détournement potentiel, par l'Éthiopie, des eaux du Nil Bleu, au détriment de l'utilisation traditionnelle de l'eau du Nil par l'Égypte.
En mars dernier, après des années de tensions et de négociations, les gouvernements de trois pays ont conclu un accord de principe dans le cadre duquel ils ont signé une déclaration de principes sur la façon d'aborder la construction du barrage. L'accord porte sur 10 principes, allant de la coopération, du développement et du renforcement de la confiance, au partage de l'information et des données, à la souveraineté, en passant par le règlement pacifique des différends.
Les progrès entourant les négociations entre l'Égypte et l'Afrique à l'égard du barrage ont été largement attribués aux efforts déployés par le gouvernement du président al-Sissi pour s'engager dans l'hydrodiplomatie avec ses homologues éthiopiens et soudanais.
À son tour, le succès de ces efforts a permis de renouveler le dialogue entre l'Égypte, l'Éthiopie et le Soudan dans d'autres domaines d'intérêt commun, y compris la migration, la sécurité régionale, les ressources partagées et une vision pour assurer l'avenir du continent africain, y compris l'Égypte.
L'Égypte participe aussi activement à des efforts de sensibilisation menés dans d'autres parties du continent. Au début d'avril, elle a accueilli le président Jacob Zuma, d'Afrique du Sud. Les deux dirigeants ont convenu de renforcer la collaboration bilatérale dans un certain nombre de domaines, dont le commerce et les infrastructures, ainsi que la réforme des institutions à l'échelle mondiale.
Nous pouvons nous attendre à voir plus d'efforts de l'Égypte à l'avenir pour s'engager en Afrique, en particulier dans le cadre des préparatifs de sa candidature à l'élection pour pourvoir, cet automne, au siège africain du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Les efforts de sensibilisation de l'Égypte ne se limitent pas à l'Afrique, comme nous le montre son récent engagement concernant les principales préoccupations auxquelles est confrontée la communauté internationale. En effet, l'Égypte est un partenaire clé pour assurer la sécurité et la stabilité au Moyen-Orient, un allié dans la lutte contre le prétendu État islamique en Irak et au Levant, et un partenaire commercial clé. Nous nous attendons à la voir s'engager plus largement avec ses voisins et amis, proches et lointains, à mesure qu'elle poursuivra sa transition vers la démocratie.
Le Canada appuie ces efforts. L'Égypte est un acteur clé en Afrique et au Moyen-Orient. Nous croyons qu'il est important qu'elle exerce son leadership naturel dans la lutte contre toute la gamme des défis politiques, économiques et sociaux, à l'échelle régionale, même si elle est aux prises avec des problèmes urgents de sécurité intérieure et de transition.
Merci. Y a-t-il des questions?
La présidente : Merci, monsieur Horak. Vous pourriez aborder une question qui ne concerne pas directement l'Afrique. Dans notre étude de la Turquie, nous avons continuellement perçu l'immense influence qu'elle exerce sur les investissements, le commerce et l'évolution politique. Il y a eu beaucoup de discussions entre nous et les témoins qui ont comparu devant nous et nos homologues, en Turquie, sur certaines tensions entre une Turquie qui s'affirme, dans ce qui était traditionnellement le rôle de l'Égypte, et peut-être sur certaines des tensions entre les deux pays qui en découlent. Avez-vous des observations à faire à ce sujet?
M. Horak : Des tensions ont existé, c'est indéniable. Elles ont certainement atteint un point critique avec la destitution de Morsi, que le président Erdogan, de Turquie, appuyait très fermement. C'est devenu un problème. Cela reste un problème. La Turquie a beaucoup critiqué l'ascension au pouvoir d'al-Sissi. Cela reste un problème.
La Turquie, comme vous l'avez mentionné, a aussi commencé à jouer un rôle dans toute la région avec beaucoup plus d'assurance. C'était le rôle traditionnel de l'Égypte, comme vous l'avez souligné. Je ne suis pas certain que la rivalité entre les deux pays soit si liée à cela plutôt qu'à la question des Frères musulmans et au traitement qu'on leur a réservé après la destitution de Morsi.
Vous avez raison. Dans une certaine mesure, on peut craindre, en Égypte, que, peut-être, la Turquie soit en train d'occuper le vide créé par les problèmes internes du pays.
On tente une réconciliation. Il est sûr que la Turquie avait des questions à régler avec d'autres pays de la région aussi, dans le golfe Persique certainement, et on tente aussi des efforts de réconciliation pour essayer de présenter un front commun en réaction à la crise syrienne. Cela, on l'espère, améliorera les relations entre la Turquie et l'Égypte au fil du temps.
Le sénateur Downe : Poursuivons sur la lancée de la question de notre présidente. Vous avez parlé de la crise syrienne. On nous parle du grand nombre de réfugiés qui se sont retrouvés au Liban et en Turquie. Qu'ont fait les Égyptiens, par rapport à ces pays?
M. Horak : Il se trouve, en Égypte, une population notable de réfugiés syriens. Elle n'est pas du même ordre de grandeur que celle qui se trouve au Liban et en Syrie. Je ne pourrais pas vous citer comme ça les chiffres, mais je tiens à dire qu'ils sont dans les environs de 35 000. C'est un fardeau pour l'Égypte, compte tenu, particulièrement, des problèmes que le pays a vécus ces dernières années. C'est un problème et un sujet de préoccupation pour le pays, c'est sûr.
Le sénateur Downe : Fournit-elle de l'aide aux autres pays de la région pour qu'ils acceptent des réfugiés afin qu'ils ne se retrouvent pas en Égypte?
M. Horak : Actuellement, l'Égypte n'est pas vraiment en mesure de fournir de l'aide à quiconque. Son économie a été frappée de plein fouet, ces dernières années. Elle combat elle-même une insurrection assez violente dans le Sinaï. Elle perçoit en quelque sorte ce combat comme sa contribution à la lutte contre l'État islamique, à qui l'un des principaux groupes extrémistes de la partie nord du Sinaï s'est affilié. Elle considère cela comme un autre front ouvert dans la même guerre. C'est essentiellement sa contribution.
Le sénateur Downe : Parlez-moi du problème des réfugiés qui va en s'aggravant en Europe et du rôle que l'Égypte y joue. Est-ce que certains de ces réfugiés transitent par l'Égypte? Quand on discute avec les parlementaires européens, ils s'interrogent manifestement sur la capacité de leurs pays d'accueillir tous ces gens. Un parlementaire m'a dit que l'Europe, cette année, pourrait en recevoir un demi-million au moins. Bien sûr, les Européens disent — eh bien, il y a deux écoles : l'une préconise d'arrêter le flux et l'autre d'investir dans les régions d'où ils viennent pour y fixer ces gens et améliorer leur qualité de vie. Est-ce que l'Égypte est mêlée à cela, d'une façon ou d'une autre?
M. Horak : Oui, il y a des réfugiés. Encore une fois, nous n'en connaissons pas le nombre. Beaucoup, pour la plupart, passent par la Lybie, en raison de l'anarchie qui y règne, de l'absence de surveillance à la frontière et de la facilité du passage. Un processus, celui de Khartoum, auquel ont adhéré un certain nombre de pays, le Soudan, l'Érythrée, 30 autres pays d'Europe et d'Afrique, vise à arrêter le flux de réfugiés et de migrants. C'est sûr que c'est un sujet constant de préoccupation pour eux. Les Égyptiens ont assez de problèmes à régler pour le moment.
Je pense que la géographie favorise davantage la Lybie et la Tunisie comme lieux de passage vers l'Europe. Elles en sont plus proches.
Le sénateur Downe : Ma dernière question porte sur Israël et l'Égypte. Je sais que lorsque les Frères musulmans étaient au pouvoir, des attaques ont été dirigées contre Israël à partir du territoire. Est-ce que la frontière a été étanchéifiée depuis le changement de gouvernement? Subsiste-t-il une menace élevée à la sécurité dans cette région?
M. Horak : Les rapports entre l'Égypte et Israël, certainement en ce qui concerne la sécurité, sont en fait excellents. Il y a eu beaucoup de coopération entre les deux pays. Les Israéliens ont été très coopératifs, relativement au traité de Camp David, qui limite le nombre de soldats que les Égyptiens peuvent envoyer dans le Sinaï. À cause de la guerre, les Égyptiens ont voulu augmenter les effectifs dans la région, et les Israéliens se sont montrés compréhensifs. La coopération a été bonne.
Il y a toujours eu de la coopération sécuritaire. Même quand Morsi était au pouvoir, dans une certaine mesure, dans le gouvernement antérieur, il y avait une coopération entre les militaires et la sécurité. Le nouveau gouvernement a aussi adopté une position très dure contre le Hamas et a maintenu la fermeture du passage frontalier de Rafah entre l'Égypte et Gaza. Il a fait ce qu'il a pu pour détruire les passages souterrains. Il a mis en place une zone tampon qui ne cesse de s'étendre. La dernière fois que je l'ai vue, elle avait un kilomètre de longueur. On a déplacé des maisons et des habitants du secteur pour empêcher que les passages souterrains ne relient l'Égypte et Gaza.
Le gouvernement s'est absolument mieux concentré sur le problème que pendant le régime Moubarak.
La sénatrice Ataullahjan : L'Égypte est un proche allié de l'Arabie saoudite. Dernièrement, elle a fait partie d'une coalition contre les houthistes, au Yémen. Comment cette alliance est-elle perçue par les pays d'Afrique, au moment où l'Égypte essaie d'accentuer son engagement dans ce continent?
M. Horak : Franchement, j'ignore comment les Africains la percevraient. J'ignore si mes collègues ont une opinion, mais je suppose que cela ne les dérangerait pas.
L'appui fourni par les Arabes et d'autres, dans le Golfe, vise à essayer de stabiliser l'Égypte et à la remettre sur pied, économiquement, socialement et politiquement. Je penserais que, pour les Africains, c'est une nouvelle agréable. Tout ce qui aide à stabiliser l'Égypte, à lui assurer la place qui lui revient et à dissiper les inquiétudes sur la sécurité alimentaire est, je pense, une bonne chose pour l'Afrique, et je pense que c'est ainsi qu'ils le verraient aussi.
La sénatrice Ataullahjan : Vous avez dit que beaucoup de pays d'Afrique s'étaient présentés à la récente conférence sur le développement économique qui a eu lieu en Égypte, à Charm el-Cheikh. Outre les investissements africains, l'Égypte semble aussi vouloir attirer ceux d'Asie. La Banque de développement de Chine fournirait aux banques égyptiennes des crédits pour le financement de projets. Est-ce que cela aurait des conséquences sur les rapports que ce pays entretient avec les pays d'Afrique? Par exemple, l'Égypte planifie son plus gros partenariat national public-privé, le projet de la zone du canal de Suez. Quelles en seront les conséquences sur ces rapports? Cela touchera les pays africains.
M. Horak : Je pense bel et bien que les investissements chinois en Égypte peuvent contribuer à la croissance économique et à la prospérité du pays, ce qui est avantageux pour l'Afrique. Le projet du canal de Suez pourrait profiter aux pays africains, dans la mesure où il contribuera au transport de marchandises dans la région du canal. Je n'y vois aucune répercussion négative, et ces pays en profiteront certainement aussi. Tout effort visant à augmenter le transport et le trafic dans le canal de Suez sera certainement bénéfique pour l'Afrique aussi.
La sénatrice Ataullahjan : Y a-t-il des problèmes de sécurité associés au canal de Suez, compte tenu de tous les changements qui s'opèrent dans cette partie du monde?
M. Horak : Comme c'est le cas de toute infrastructure essentielle, qu'il s'agisse du canal ou d'autre chose, nous craignons évidemment que l'emplacement soit ciblé par les terroristes et qu'il leur serve de goulot d'étranglement. Les Égyptiens en sont bel et bien conscients et sont au courant des risques, et ils accordent une grande priorité à la sécurité du canal, avec l'aide d'autres pays de la région.
En réalité, l'infrastructure est menacée au même titre que toute autre. C'est une chose dont tous les pays de la région sont conscients. J'ignore si j'ai répondu à votre question ou non.
La sénatrice Ataullahjan : Je voulais savoir, étant donné que l'Égypte a ses propres problèmes.
M. Horak : C'est une inquiétude. L'endroit pourrait devenir un goulot d'étranglement, et il représente une importante source de revenus pour les Égyptiens. Le pays construit justement un nouveau canal pour tenter d'augmenter le trafic. Il ne fait aucun doute que le canal est important pour les Égyptiens, qui en sont conscients. Ils feront certainement leur possible pour tenter de le sécuriser, avec l'aide d'autres partenaires. Personne ne veut qu'un bateau ou quoi que ce soit d'autre ne soit pris en otage sur le canal, ou bien que le canal ne soit plus navigable en raison de la menace terroriste. C'est trop important.
Le sénateur Dawson : Vous avez mentionné la conclusion de deux contrats d'une valeur de 7 milliards de dollars. Je me demandais si vous saviez de quels secteurs d'activité il s'agit. Pourrait-il y avoir davantage de développement dans ces secteurs, dans l'intérêt des autres entreprises canadiennes qui font des affaires avec l'Égypte?
M. Horak : En toute honnêteté, j'ai oublié ce sur quoi portait un des contrats. Je sais qu'un d'entre eux se rapportait au secteur de l'hôtellerie et avait pour objet des hôtels et ce genre d'établissements. J'ai l'impression que l'autre portait sur les télécommunications, mais à vrai dire, sénateur, j'ai oublié. L'information m'est sortie de l'esprit. Nous pourrons vous faire parvenir la réponse.
Le sénateur Dawson : Prenons l'exemple du tourisme, dans ce cas. Si le pays relance son industrie touristique, il y a des possibilités pour les entreprises canadiennes et les partenariats canadiens, qu'il s'agisse d'hôtels, du Cirque du Soleil ou de quoi que ce soit d'autre.
M. Horak : C'est exact.
Le sénateur Dawson : Il y a donc de l'espoir pour la reprise du secteur touristique en Égypte.
M. Horak : Je crois que oui. C'est ce que nous espérons, si je puis m'exprimer ainsi. L'économie de l'Égypte dépend encore dans une large mesure de l'industrie touristique, qui a toutefois été durement frappée. Le secteur est un créateur d'emplois et une source de revenus. Il y a de tout, du type qui vend de petites babioles aux pyramides jusqu'à la gestion hôtelière et la chaîne d'approvisionnement touristique. Le secteur peut rapporter énormément à l'Égypte, mais il a pris un dur coup.
Bien franchement, les hôtels étaient vides les dernières fois que je suis allé en Égypte. C'était mieux lors de ma dernière visite en novembre dernier. Il y avait des gens d'affaires dans les hôtels, et certains touristes étaient de retour. Mais la destination est difficile à vendre. C'est le cas de l'ensemble de la région sur le plan touristique, une situation qui est entièrement attribuable à la sécurité.
Évidemment, il y a déjà une infrastructure et des sites touristiques. Tout est donc attribuable à la sécurité. Je pense que le pays désire inspirer la confiance, puisque le tourisme en dépend. Je crois qu'il faut s'attarder à la gestion hôtelière, de même que favoriser le développement économique élémentaire de l'Égypte et sa stabilité, puisque l'objectif du pays est de restaurer cette confiance.
Le sénateur Dawson : J'imagine que le pays a réintégré le groupe Afrique. La sénatrice Ataullahjan et moi sommes tous les deux membres actifs de l'Union interparlementaire. Nous avons été confrontés à une réalité : puisque le Parlement du pays a en quelque sorte disparu, devrions-nous le considérer comme un partenaire au sein de l'association? En vérité, puisque le pays aspirait à la démocratie, nous pouvions difficilement lui demander de rester en coulisses et lui dire que nous ne voulions pas qu'il soit membre de l'association, alors qu'il déploie des efforts en ce sens.
Nous avons été placés devant cette difficulté. Je suis ravi que l'Égypte soit de retour au sein du groupe Afrique. C'était simplement une remarque.
Pour ce qui est du projet de barrage, le plus grand défi à propos des ressources se rapporte à l'eau que se partagent l'Éthiopie, le Soudan et l'Égypte. Les projets de barrage sont-ils réalisés dans un climat de paix...?
M. Horak : Dans un esprit de collaboration?
Le sénateur Dawson : C'est exact.
M. Horak : C'est ce que les parties tentent de faire à l'heure actuelle. Je pense que les Égyptiens craignaient vraiment que les Éthiopiens fassent avancer le projet unilatéralement, sans tenir compte suffisamment de leurs besoins et des risques que le projet représente pour eux. La situation a attisé les tensions, mais les deux côtés le reconnaissent. D'autres sont également intervenus pour tenter de faire bouger les choses, de rapprocher les parties et de les amener à trouver ensemble des solutions communes. C'est ce que nous avons constaté. Nous l'avons observé récemment dans les mesures de collaboration dont j'ai parlé en exposé, au moyen notamment de la déclaration de principes qui a été adoptée et de la tentative de définir un cadre d'approche plus harmonieuse. Tout le monde travaille dans cette direction, si je puis m'exprimer ainsi.
Le sénateur Oh : Pourriez-vous nous dire quelques mots sur le mouvement du printemps arabe qui a commencé en 2011, qui a permis de renverser le gouvernement Moubarak, et qui s'est répandu comme une traînée de poudre au Moyen-Orient? Quelle en a été l'incidence sur l'Égypte, de même que sur les autres régions du Moyen-Orient?
M. Horak : D'accord. Dans l'ensemble, nous pouvons dire que le Printemps arabe est maintenant terminé. Le mouvement a insufflé un grand élan pour essayer de changer les choses, les structures politiques et la façon dont bien des pays de la région se gouvernent, ce qui a donné des résultats mitigés, à vrai dire.
Nous pouvons dire que la Tunisie est probablement le seul pays à avoir réussi la transition de façon relativement pacifique. Mais dans le reste de la région, nous avons constaté des problèmes dans la façon dont les choses se sont déroulées.
L'Égypte a subi un effet d'entraînement, disons. Le pays a tenu des élections, mais il y a eu des problèmes. Le gouvernement qui a été élu posait problème, et des manifestations monstres ont été organisées. Et avant que le chaos ne s'installe véritablement, un nouveau gouvernement dirigé par l'armée a pris place.
La Libye est encore aux prises avec les conséquences du soulèvement contre Kadhafi. En Syrie, la rébellion contre le régime Assad se poursuit, et plus de 200 000 personnes ont perdu la vie. Depuis, nous n'avons pas été témoin d'un grand élan ou d'un mouvement quelconque laissant présager un nouveau Printemps arabe qui soit durable. Il faudra un certain temps avant qu'une réforme d'un tel rythme ne soit engagée.
Cela dit, des réformes pourraient voir le jour naturellement ou à l'interne, et il reste à voir ce qui se passera en Égypte. Le pays demeure résolu à restaurer le régime démocratique, et il a pris des mesures importantes en ce sens avec sa nouvelle Constitution et son président élu. Il semble que des élections parlementaires soient prévues à l'automne, et nous espérons qu'elles auront lieu.
Voilà donc différentes mesures qui ont été prises, et nous verrons bien ce qui se passera. La situation a bel et bien été difficile.
La sénatrice Cordy : J'aimerais revenir sur l'investissement commercial, dont le sénateur Dawson a parlé. Vous avez dit dans votre exposé que l'Égypte est prête à faire des affaires. Je pense que c'était votre citation. Par curiosité, d'autres pays croient-ils qu'investir en Égypte pourrait effectivement être avantageux tant pour les Égyptiens que pour les investisseurs, bien entendu?
M. Horak : Oui et non. Différents pays versent des milliards de dollars pour contribuer à stabiliser le pays en apportant une aide budgétaire, mais cette aide peut aussi prendre la forme d'investissements dans le logement et ce genre de choses. Il est vrai que la conférence économique a attiré bien des pays et des entreprises. Il reste à voir combien de contrats en découleront, et combien se concrétiseront véritablement.
À vrai dire, toute la région inquiète le milieu des affaires, et avec raison. L'Égypte fait d'ailleurs face à une insurrection violente. En revanche, je pense que les gens reconnaissent son énorme potentiel, puisqu'il s'agit du plus grand pays arabe de la région et du monde. Son potentiel est inexploité.
Il y a beaucoup d'intérêt. Je pense que nous pouvons dire que l'évolution n'est pas encore terminée. Je ne crois pas que nous soyons trop optimistes, mais nous avons de plus en plus espoir que l'endroit sera en mesure d'atteindre son plein potentiel. En outre, le gouvernement al-Sissi insiste fortement sur le besoin d'attirer plus d'investissements, et il ne craint pas les investissements étrangers, à la différence des gouvernements précédents, peut-être.
La sénatrice Cordy : Vous avez parlé du tourisme, avec raison d'ailleurs, puisque l'industrie est essentiellement inexistante ou très faible à l'heure actuelle, alors que tout le monde voulait voyager en Égypte il y a quelques années. Mis à part le tourisme, dans quels autres secteurs d'activité les pays peuvent-ils investir pour favoriser la croissance économique de l'Égypte?
M. Horak : Je peux difficilement vous donner une liste exhaustive. Il y a les secteurs des mines, de la fabrication dans une certaine mesure, de la construction et de l'aménagement des infrastructures. Ce genre de secteurs sont intéressants.
Si vous souhaitez avoir une liste plus complète, je vais devoir vous l'envoyer plus tard. J'aurais dû mieux qualifier la question du tourisme. Il y a apparemment une région de l'Égypte qui continue d'attirer pratiquement autant de touristes qu'auparavant, à savoir Charm el-Cheikh, où se trouvent des plages très prisées des Russes, qui seraient de plus en plus nombreux à fréquenter la région. Je ne suis pas certain d'y croire, mais c'est possible.
La sénatrice Cordy : C'est l'information que vous recevez?
M. Horak : En effet. Pour ce qui est des secteurs, je devrai honnêtement vous faire parvenir la réponse plus tard.
Le sénateur Demers : Je vous remercie de votre exposé. Vous avez mentionné M. al-Sissi à plusieurs reprises. Notre comité a rencontré différents témoins, et la question de la corruption revient toujours. D'après ce que vous entendez lorsque vous allez sur place, avez-vous l'impression que M. al-Sissi est bien entouré et qu'il pourrait mettre en oeuvre les plans d'avenir?
M. Horak : Je crois que oui.
Le sénateur Demers : Est-ce votre impression?
M. Horak : Oui. Il a une vision de ce qu'il veut faire. L'Égypte dépend dans une large mesure de l'aide d'autres pays aussi, plus particulièrement des pays du Golfe, comme les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite. Ces pays veulent certaines choses et veulent que l'économie se développe d'une certaine façon, qui est possiblement dans leur intérêt et dans celui de leurs investisseurs, et ce n'est pas forcément une mauvaise chose.
Cela dit, la corruption en Égypte était un problème plutôt endémique et répandu, et certains des intervenants qui profitaient autrefois de la situation sont encore là. Régler le problème n'est pas une mince tâche. L'armée égyptienne était extrêmement présente dans bien des secteurs de l'économie du pays, une situation qui perdurera probablement encore un moment.
Compte tenu de ces pressions compensatoires, je pense qu'al-Sissi se rend compte que l'économie doit désormais fonctionner autrement, et qu'elle doit attirer les étrangers. Il comprend ce que ceux-ci vont exiger.
La réponse est oui et non. Je pense qu'il comprend véritablement, mais il reste à voir s'il aura la capacité de faire tout ce qui doit être fait. Lorsque l'Égypte aura reformé un Parlement, il y aura peut-être un autre enjeu critique visant à changer l'économie, sa structure et son organisation, ce qui pourrait être bénéfique aussi. Nous ne connaissons pas encore la réponse.
Le sénateur Demers : Avez-vous l'impression qu'il est bien entouré? Une personne seule ne peut pas tout faire, et l'armée pose encore problème dans différents secteurs. D'après ce que vous entendez en coulisses lorsque votre équipe et vous allez sur place, avez-vous l'impression qu'il sera appuyé et qu'il y a des gens de son côté?
M. Horak : Nous avons entendu dire qu'il était effectivement bien entouré. Il est bien conseillé, tant à l'échelle nationale qu'internationale. Certains de ses conseillers sont présents à longue échéance et offrent de judicieux conseils. Je pense que les choses se passent bien à ce chapitre. Al-Sissi obtient la réponse aux questions qu'il doit poser.
Nous ne savons évidemment pas tout, et l'État est assez enraciné.
[Français]
Le sénateur Rivard : Dans votre représentation, vous dites que l'Afrique présentera une demande pour obtenir un siège africain au Conseil de sécurité. Je m'excuse, je recommence. Alors, dans votre représentation, vous dites que l'Égypte présentera une demande pour obtenir le siège africain au Conseil de sécurité des Nations Unies. Cela veut-il dire qu'aucun siège n'est réservé pour un pays quelconque du Moyen-Orient?
[Traduction]
M. Horak : Je ne suis pas certain d'avoir compris ou d'avoir entendu la question. Vous dites qu'il n'y a aucun siège pour...
[Français]
Le sénateur Rivard : Non, je pose la question. On sait que l'Égypte se situe au Moyen-Orient; donc, elle prépare sa candidature pour le siège africain au Conseil de sécurité. Est-ce que je dois comprendre qu'aucun siège n'est réservé pour un pays du Moyen-Orient?
[Traduction]
M. Horak : C'est exact.
[Français]
Le sénateur Rivard : Quels sont, s'il y en a, les avantages tangibles pour un pays d'être membre du Conseil de sécurité des Nations Unies, hormis le prestige de pouvoir affirmer être membre du Conseil de sécurité?
[Traduction]
M. Horak : Je pense qu'il incombe à chaque pays de déterminer ce que son appartenance au Conseil de sécurité lui apporte ou non. Je suis persuadé que les pays en tiennent compte dans leurs décisions. Je ne voudrais pas m'avancer sur ce que le fait d'être membre du conseil représente ou non aux yeux des Égyptiens. Permettez-moi simplement d'en rester là.
Le président : Puis-je poser la question sous un angle différent? Nous nous intéressons à l'Afrique. Un des problèmes relatifs aux structures des Nations Unies est le vote en bloc. L'Union africaine de même que le groupe islamique ont proposé des candidats. Puisque l'Égypte appartient à bon nombre de ces groupes, je pense que la question pourrait être la suivante : le pays voit-il un avantage à représenter l'Afrique ou la nation? Est-ce qu'on s'entend là-dessus?
Nous avons toujours surveillé les candidats proposés, la raison pour laquelle ils le sont, et les avantages ou les inconvénients quant aux relations avec le Canada.
M. Horak : Je vois. Bien des pays qui appartiennent à ces différents groupes et blocs peuvent s'en servir dans leurs discours de promotion en affirmant qu'ils peuvent être la voix des Africains, des Arabes ou des groupes islamiques. Tous ces arguments feront partie de la campagne d'un pays qui souhaite être élu. De façon similaire, l'Australie soulignerait son appartenance au Commonwealth, à différents blocs asiatiques, et ainsi de suite, et chercherait en quelque sorte à représenter ces pays tant de façon légitime que dans le cadre de sa campagne. Comme le sénateur l'a dit, les autres pays estiment que c'est une question de prestige. Le pays affirme être une grande puissance et avoir sa place au sein du conseil des grandes puissances. D'autres sont aussi de cet avis. J'ignore toutefois si c'est ce qui motive l'Égypte ou non, ou quelles sont ses raisons.
Comme je l'ai dit, ce n'est pas une chose que nous surveillons constamment, car d'autres au ministère suivent ces campagnes et ces élections beaucoup plus étroitement que mon équipe. Je dois toutefois dire que, de façon générale, je crois que la candidature de l'Égypte fait table rase. Le pays sera probablement sélectionné puisqu'il n'a pas d'opposition.
[Français]
Le sénateur Rivard : Je vous remercie d'avoir clarifié la question; c'était une très bonne réponse.
Quant à mon autre question, vous allez me dire que vous ne voulez ou ne pouvez pas répondre. Je demeure convaincu que c'est une question de prestige. Donc, si vous étiez un spécialiste des Nations Unies, que diriez-vous que le Canada a perdu en ne siégeant plus au Conseil de sécurité des Nations Unies?
[Traduction]
M. Horak : Je ne crois pas vraiment que ce soit à moi de répondre à cette question. Ce n'est pas mon domaine.
La présidente : Je pourrais répondre à cette question, mais je vais m'en abstenir.
Le sénateur Dawson : Je pourrais y répondre moi aussi.
La présidente : Nous pourrions tenir une table ronde à ce sujet.
Le sénateur MacDonald : Au début de votre exposé, vous avez parlé d'un genre de jeu d'influence de plus en plus fort entre la Turquie et l'Égypte. Je m'inquiète de plus en plus des agissements du gouvernement turc et de son éloignement progressif de l'Occident, et je me demande si vous pouvez nous expliquer un peu plus ce que vous voulez dire.
M. Horak : Je peux vous en parler du point de vue de l'Égypte, mais pas autant de celui de la Turquie, que je ne suis évidemment pas d'aussi près, mais nous savons ce qui se passe. Ce n'est pas totalement inhabituel. La Turquie a toujours joué un rôle au Moyen-Orient, depuis l'époque des Ottomans. Son principal centre d'attention varie toujours un peu : l'Europe, le Moyen-Orient ou les deux. Va-t-elle se concentrer sur le pont? Mais elle a toujours joué un rôle là- bas, donc c'est clair.
L'Égypte a elle aussi toujours exercé une grande influence, ne serait-ce qu'en raison de sa taille. Elle occupe une place centrale dans la culture arabe : les émissions de la télévision égyptienne sont diffusées du Caire jusque dans tout le monde arabophone, et de nombreux journaux et revues sont égyptiens ou ont leurs bureaux au Caire. Ce n'est qu'une question de taille. Elle a donc toujours eu un rôle à jouer et elle le joue. On le voit dans le conflit israélo-palestinien, où l'Égypte joue souvent un rôle de médiateur et de leader.
Encore une fois, je ne voudrais pas exagérer la rivalité entre la Turquie et l'Égypte pour ce qui est du rôle qu'elles jouent au Moyen-Orient, parce que comme je l'ai déjà dit, bien que l'Égypte estime que ce leadership lui revient naturellement, elle doit composer avec tellement de problèmes internes depuis quelque temps que ce n'est pas vraiment sa priorité pour l'instant. Cela dit, les Égyptiens estiment qu'ils ont un rôle important à jouer et ils ne sont pas trop contents quand l'Égypte commence à se plaindre et à essayer d'influencer divers groupes. Ce pourrait ne pas être acceptable pour le nouveau gouvernement égyptien.
Il y a donc de cela. Mais à bien des égards, les tensions sont plus bilatérales que régionales en ce moment.
Le sénateur MacDonald : J'ai une question un peu plus terre à terre à poser sur un autre sujet. Je présume que l'Égypte aurait toutes les raisons de tenir à ce que l'eau coule dans le Nil. Y a-t-il des garanties concernant ce barrage éthiopien?
M. Horak : C'est effectivement un enjeu qui la préoccupe. C'est l'objet de tous ces efforts de coopération.
Le sénateur MacDonald : Il n'y a pas d'étude d'ingénierie qui montrerait que...
M. Horak : Oui, je crois que tout est là. Tous ses efforts visent à s'assurer que l'eau continue de couler dans le Nil, donc c'est exactement le but des efforts de coopération qu'elle déploie. Je ne connais pas tous les détails techniques de ce barrage. Je ne connais pas toutes les questions liées au débit de l'eau et à l'ingénierie, mais je peux vous dire que c'est précisément l'objet de tous ces efforts de coopération. Elle cherche à s'assurer que le débit de l'eau qui s'écoule dans le Nil ne soit pas perturbé et que le projet n'ait pas de répercussions sur les Égyptiens qui en dépendent. C'est effectivement une préoccupation centrale. C'est vraiment le cœur de la question.
La présidente : J'ai quelques questions à poser. L'Éthiopie est un pays enclavé, qui ne peut pratiquement rien expédier par l'Érythrée. Ses importations et exportations vont passer par le nouveau port qu'on est en train d'agrandir à Djibouti, ainsi que par la nouvelle voie ferrée en construction et par les routes. C'est un énorme projet en soi.
Je comprends que, pour sa part, Djibouti a besoin du canal de Suez pour le transport de marchandises. Donc, dans quelle mesure ce projet de barrage vise-t-il à protéger l'eau pour que les deux pays aient ce dont ils ont besoin, pour assurer la sécurité et la stabilité dans la région? Cependant, il semble également qu'il va y avoir de nouveaux accords économiques, entre autres, qui vont contribuer à la sécurité de tout le territoire environnant. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet?
M. Horak : Je vais me tourner vers mes collègues pour voir s'ils peuvent vous répondre.
Yannick Lamonde, directeur adjoint, Direction des relations avec l'Afrique australe et orientale, Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada : Je ne connais pas très bien cette possibilité, mais il est évident que l'Égypte aurait tout intérêt à ce que le canal de Suez reste ouvert. Pour le reste...
La présidente : Vous pouvez peut-être vous avancer au micro.
M. Horak : En gros, il a dit qu'il n'avait pas grand-chose à ajouter pour l'instant, mais qu'évidemment, les Égyptiens comme tout le monde dans la région, comme je l'ai déjà dit, ont tout intérêt à ce que le canal de Suez fonctionne et à ce que le transport maritime s'y intensifie. Tous les pays de la région en profiteraient. Aucun d'entre nous n'a vraiment d'information sur Djibouti ou l'incidence de tout cela sur le commerce de l'Éthiopie.
La présidente : Chose certaine, la présence américaine croît rapidement pour assurer la sécurité terrestre, et les Américains se trouvent à Djibouti en ce moment. Je crois que certains d'entre eux ont peut-être traversé l'Égypte. De même, le centre des opérations antipiratage de l'OTAN et du Canada se trouve à Djibouti. D'après ce que je comprends, certaines des initiatives de l'Égypte seront menées conjointement avec un pays que nous n'avons pas beaucoup pris en considération jusqu'ici : Djibouti. Cela découle de la situation en Éthiopie, qui occupe une position stratégique, et de la nécessité de stabiliser la Corne de l'Afrique.
M. Horak : Effectivement.
La présidente : Ce n'était pas une question truquée pour vous méprendre, monsieur Horak.
M. Horak : Avant d'aller plus loin, je dois me confesser un peu et vous dire que nous ne nous concentrons pas beaucoup sur l'Égypte et l'Afrique. Nous savons ce qu'elles font, et nous le voyons un peu de la perspective de l'Égypte et un peu de la perspective de l'Afrique, mais notre préoccupation centrale lorsque nous analysons ce qui se passe en Égypte est habituellement l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient.
M. Lamonde : Pour ce qui est...
La présidente : Vous pourriez peut-être vous présenter.
M. Lamonde : Je m'appelle Yannick Lamonde, je suis directeur adjoint pour l'Afrique australe.
Pour ce qui est de Djibouti, bien sûr, je pense que vous avez raison, ce pays revêt une importance stratégique. Le secrétaire d'État John Kerry était ici aujourd'hui en visite officielle, et il a souligné l'importance de la coopération entre les États-Unis et Djibouti. Les États-Unis utilisent Djibouti comme base de lancement de leurs opérations militaires dans la région. Cependant, le Canada n'a pas le même niveau d'engagement avec ce pays. Vous y êtes allé et vous avez constaté la présence et l'intérêt du Canada. Ils sont plus limités, mais bien sûr, nous en reconnaissons l'importance.
La présidente : Il serait également intéressant, monsieur Horak, que vous nous parliez un peu plus de la taille de l'Égypte et de la croissance de sa population hors des principaux centres urbains, puis du fait que le pays n'arrivait pas à répondre aux attentes et aux besoins des gens. Nous avons donc beaucoup mis l'accent sur le développement, et c'est ce qui explique l'emprise des Frères musulmans, parce que ce sont eux qui offraient à la population bon nombre des services que le gouvernement n'offrait pas sous le règne de Moubarak.
Que fait-on pour sécuriser tout le pays, parce que cela fait partie de l'équation? Quelle attention porte-t-on aux régions éloignées du cœur du Caire et d'Alexandrie, quel genre de mesures de soutien existent pour ces régions? Je comprends qu'il faut sécuriser l'Égypte maintenant et remettre le pays sur la voie de la démocratie, mais nous nous préoccupons de la protection des droits de la personne, du déroulement démocratique des prochaines élections, nous nous demandons qui pourra se porter candidat pour les partis, donc vous semblez assez optimiste. D'où vous vient cet optimisme? Est-ce parce que le gouvernement a pris des mesures à tous ces égards?
Nous connaissons les enjeux liés aux droits de la personne et nous les suivons de près, la liberté de la presse, entre autres, et il y a des Canadiens qui luttent en ce sens.
M. Horak : Si je peux me qualifier moi-même, je ne suis pas sûr que le meilleur mot soit « optimiste ». Je dirais probablement plus que j'ai « espoir », ce qui est une coche en bas de l'optimisme.
Toutes les difficultés que vous mentionnez existent effectivement. Nous partageons toutes ces inquiétudes avec vous, bien sûr. L'avenir de l'Égypte va dépendre beaucoup de l'orientation que va prendre son développement. Sera-t-elle en mesure de redonner du travail à sa population? Je peux vous dire qu'avec nos collègues qui s'occupent du développement, nous cherchons des façons d'avoir une incidence immédiate. Nous travaillons en étroite collaboration avec d'autres partenaires, dont les ÉAU, et ils reconnaissent, tout comme l'Égypte, que nous avons besoin de choses qui vont favoriser le développement mais qui vont aussi avoir un effet immédiat en termes d'emplois, par exemple. Il peut s'agir de construction, de logements, de projets d'infrastructure, ce genre de choses, pour que les gens, les jeunes en particulier, retournent au travail. Nous le reconnaissons assurément.
Pour ce qui est des droits de la personne, oui, je suis tout à fait d'accord avec vous pour dire qu'il y a effectivement des problèmes. Nous n'avons pas aimé la façon dont les choses se sont passées. Nous avons parlé de certaines choses avec les Égyptiens. Nous les avons approchés. Nous croyons qu'il est plus efficace pour nous de leur parler directement plutôt que de nous adresser aux médias. C'est ce que nous avons choisi de faire, et nous allons continuer d'agir ainsi avec eux.
Comme je l'ai mentionné, nous avons été encouragés par la tenue d'élections présidentielles qui se sont bien passées. Nous sommes encouragés par le texte de leur Constitution et nous croyons que le processus s'est déroulé sans heurt. Nous avons été déçus du fait que les élections parlementaires aient pris du temps à s'organiser, mais en même temps, il est important qu'ils fassent les choses comme il faut. La dernière fois, ils étaient peut-être allés trop vite, et les autres partis n'avaient peut-être pas eu l'occasion de s'organiser, à part un groupe comme les Frères musulmans, qui avaient déjà une bonne infrastructure en place et qui ont pu en tirer parti.
Nous espérons que le délai encouru va permettre à de bonnes infrastructures politiques de toutes sortes de s'organiser et de se mettre en place pour les prochaines élections parlementaires. Il y a donc du bon et du mauvais.
Bien sûr, nous sommes conscients des problèmes de sécurité auxquels l'Égypte est confrontée actuellement. Il y a d'énormes problèmes au Sinaï. Certains de ces problèmes ont des échos au Caire de temps en temps, et le pays doit absolument s'y attaquer, mais il y a toujours un risque que les mesures de sécurité viennent compromettre les libertés générales. Nous leur en avons parlé. Nous travaillons avec eux pour essayer de leur offrir de l'aide, de manière à ce qu'ils comprennent qu'il faut effectivement s'occuper de la sécurité, et qu'il y a d'autres enjeux importants aussi. C'est le genre de discussion que nous avons avec eux.
La plupart du temps, nous ne nous heurtons pas à une porte close. L'Égypte est confrontée aux mêmes problèmes que bien d'autres pays du monde : l'équilibre entre la sécurité et la liberté est difficile à trouver.
Il commence à y avoir un débat à ce sujet en Égypte, et il y a un point de départ très différent de celui de bien d'autres pays du monde. Nous sommes donc en discussion constante avec les Égyptiens.
La présidente : En raison de tous les changements qu'il y a eus récemment et du nouveau gouvernement, nous n'avons pas beaucoup entendu parler de la question des Soudanais en Égypte. Il a été beaucoup question de la discrimination dont sont victimes les Soudanais qui se sont établis en Égypte ou qui y affluent en raison des perturbations et des occasions qu'il y a en Égypte. Cette question est-elle soulevée ou mise en relief ou se fond-elle dans d'autres enjeux?
M. Horak : Pour être honnête, je n'ai pas d'information à ce sujet. Nous pourrons vous revenir.
La présidente : Si possible, oui.
M. Horak : Les Soudanais en Égypte, essentiellement?
La présidente : Oui. Je pense que si vous vous penchez sur la question, il y avait des questions de visa d'entrée pour travailler et être accepté dans les collectivités.
M. Horak : D'accord.
Le sénateur Downe : Quel genre d'aide fournissons-nous actuellement à l'Égypte? Compte tenu de l'intervention de l'armée dans le changement de gouvernement, le Canada a évidemment commencé par protester. Avons-nous réduit notre aide à l'Égypte à ce moment, et l'avons-nous augmentée de nouveau ensuite?
M. Horak : Non, nous ne l'avons pas réduite. Nous avons compris, en fait, pourquoi c'est arrivé. Nous n'avons pas été trop critiques de ce qui s'est passé et de la destitution de Morsi. De quelle destitution parlons-nous?
Le sénateur Downe : De celle-là.
M. Horak : De la pire, celle de Morsi. C'était préférable au genre de chaos qui se serait installé si les manifestations avaient continué et s'étaient envenimées — des millions et des millions de gens avaient envahi les rues pour protester contre Morsi. Nous n'étions pas sûrs de ce qui allait arriver. Nous n'avons pas critiqué trop sévèrement la destitution de Morsi. Ensuite, nous n'avons pas réduit notre aide, au contraire, nous l'avons augmentée. Quand le ministre Baird s'y est rendu, l'hiver dernier, il a annoncé de nouveaux projets, qui sont en train de prendre forme en ce moment, en collaboration avec les Égyptiens et d'autres pays; nous sommes en train d'évaluer l'ampleur des sommes qui seront dépensées et comment elles seront dépensées, entre autres.
Nous travaillons à établir les grandes orientations. Une partie de notre aide visera des projets de développement à long terme susceptibles d'avoir un effet immédiat. Nous sommes en pourparlers avec des partenaires. Nous envisageons diverses formes d'aide que nous pouvons leur fournir. Les discussions se poursuivent.
Le sénateur Downe : Je ne voudrais pas vous mettre dans l'embarras parce que vous êtes un fonctionnaire du ministère. Je vais garder ma question pour les ministres, mais le Canada a habituellement pour position de protester lorsqu'un gouvernement est destitué de cette façon. Encore une fois, il s'agit d'une décision politique.
Vous avez mentionné que l'aide avait augmenté. De combien a-t-elle augmenté, à peu près?
M. Horak : Je ne peux pas vous donner de chiffres. Je pourrai vous les faire parvenir ultérieurement, sénateur, je suis désolé.
Le sénateur Dawson : En parlant d'aide, grâce à la magie de Google, je peux vous dire que les deux projets financés par le Canada sont celui de SkyPower, un projet d'énergie solaire, et celui de Fairmont's Raffles Hotels International.
M. Horak : J'avais une bonne réponse.
Le sénateur Dawson : Dans cet esprit de collaboration — je ne voudrais pas vous heurter; nous pourrions peut-être en discuter autour d'une tasse de café — mon collègue a parlé du conseil exécutif. Le Conseil de sécurité est le conseil exécutif de l'ONU. C'est un peu comme si je disais que je ne veux pas faire partie du cabinet parce que j'aurais trop de prestige si j'en faisais partie. Le Canada siégeait au Conseil de sécurité de l'ONU. C'est là où nous avons négocié la convention sur les mines antipersonnel, parce que c'est là où on veut être dans la vie, on veut être assis à la table des adultes. Le Conseil de sécurité est la table des adultes à l'ONU.
[Français]
C'est la table des adultes aux Nations Unies.
[Traduction]
Il n'y a pas que de meilleurs cocktails; c'est là où l'on prend les décisions.
Nous pourrons poursuivre cette discussion autour d'un café.
M. Horak : Si je peux revenir à la question précédente du sénateur, je ne vois aucun problème à répondre à la question sur notre position après la destitution de Morsi et sa justification. Je serai très bref.
Essentiellement, nous croyions que le gouvernement Morsi ternissait de plus en plus la réputation démocratique du pays par les politiques qu'il proposait. Nous pensions aussi que comme il y avait plus de 20 millions de personnes dans les rues en train de manifester contre le gouvernement, le risque que cette vague se poursuive, cette opposition massive au gouvernement en place en raison de la façon dont il gouvernait le pays, était tel qu'en bout de ligne, l'intervention de l'armée était nécessaire.
Le sénateur Downe : Pouvez-vous me donner des exemples des 10 dernières années, où le gouvernement du Canada ne s'est pas objecté à un coup d'État?
M. Horak : Je n'ai pas ce genre d'information.
Le sénateur Dawson : Moi non plus. C'est pourquoi je veux parler avec le ministre.
M. Horak : Je pense que tout dépend de la question de savoir si on le perçoit comme un coup d'État.
Le sénateur Dawson : Sans l'intervention de l'armée, le gouvernement aurait-il changé? Je pose la question seulement, même si je sais que vous ne vous avancerez pas. Sans l'intervention militaire, le gouvernement n'aurait pas changé. Selon beaucoup de définitions, c'est en fait un coup d'État. Habituellement, le gouvernement du Canada s'oppose toujours aux coups d'État pour remplacer un gouvernement.
La présidente : Voulez-vous réagir à cela?
M. Horak : Non. Nous pourrions en parler pendant une heure, mais je vais m'abstenir.
La présidente : Une dernière petite question : j'espère qu'elle sera brève, mais vous ne pourrez peut-être pas y répondre.
Nous sommes très inquiets de la situation en Lybie, de la poursuite de la violence là-bas et de la présence de l'EIIL. Il y a une initiative de l'Afrique du Nord qui vise à essayer de rassembler les parties parce qu'en bout de ligne, c'est une décision politique et une question de conciliation à l'intérieur du pays. L'Algérie participe à cette initiative et quelques autres pays. L'Égypte y participe-t-elle aussi ou est-elle trop absorbée par ses propres problèmes? Je parle de cette initiative qui vient de l'Afrique du Nord.
M. Horak : Je ne sais pas trop si elle participe directement à cette initiative, mais il ne fait aucun doute qu'elle est directement concernée. Les Égyptiens sont très inquiets de ce qui se passe à l'ouest de leur frontière et ils s'intéressent vivement à des questions comme le transfert d'armement et de combattants.
Je n'en suis pas certain, mais j'imagine qu'ils participent activement à cette initiative ou sinon, qu'ils la suivent de près. L'Égypte avait lancé des attaques contre la Lybie après la décapitation de citoyens égyptiens. Vous vous rappelez sans doute la décapitation de chrétiens coptes sur les plages. L'Égypte est directement touchée, et je suis certain qu'elle participe à cette initiative.
La présidente : Monsieur Horak, je vous remercie d'avoir comparu devant nous. Nous avions formulé le souhait de recevoir de l'information sur l'Égypte et l'Afrique. Vous l'avez très bien fait, mais on peut dire que nous vous avons mené sur bien d'autres terrains et que vous vous en êtes bien tiré.
Nous sommes satisfaits de l'information que vous nous avez fournie et qui nous mènera peut-être à nous pencher de plus près sur la situation dans cette région au cours des prochains mois, de manière à contribuer au dialogue sur la politique étrangère.
Je vous remercie d'être venu nous rencontrer ce soir.
M. Horak : Je ferai parvenir au comité mes réponses aux quelques questions en suspens.
La présidente : Merci beaucoup. Honorables sénateurs, le comité s'ajourne jusqu'à demain.
(La séance est levée.) |