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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

OTTAWA, le jeudi 6 mars 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 30, pour effectuer l'étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes; ainsi que pour examiner une ébauche de budget.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires internationales et du commerce international poursuit aujourd'hui son étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région de l'Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région et d'autres questions connexes.

Au cours de la première partie de la séance, nous aurons le plaisir d'entendre, par l'entremise d'une vidéoconférence, M. Dominique Caouette, professeur agrégé au Département de science politique de l'Université de Montréal. Bienvenue. Je vois que vous hochez de la tête; la connexion par vidéoconférence fonctionne donc.

Nous avons ici devant nous M. Denis Côté, coordonnateur du Groupe de travail de l'Asie-Pacifique du Conseil canadien pour la coopération internationale, et Mme Karen McBride, présidente et chef de la direction du Bureau canadien de l'éducation internationale.

Je suis ravie que vous ayez répondu à notre invitation, et nous sommes impatients d'entendre vos témoignages. Nous vous poserons des questions à la fin. Comme le temps nous est compté, je vous demanderais de faire vos exposés, en commençant par M. Caouette.

Dominique Caouette, professeur agrégé, Département de science politique, directeur, Centre d'études de l'Asie de l'Est (CETASE), coordonnateur du Réseau d'études des dynamiques transnationales et de l'action collective (REDTAC), Université de Montréal, à titre personnel : Merci de m'avoir invité à témoigner. J'aimerais faire remarquer que la région est très dynamique et fascinante.

[Français]

Je vous remercie à nouveau pour l'invitation. Le premier élément sur lequel j'aimerais insister, c'est que la région est en pleine mutation. C'est une région située entre deux géants, l'Inde et la Chine, qui est en pleine ébullition et qui est courtisée tant par la Chine que par l'Inde.

Le deuxième élément à souligner, c'est qu'on m'a demandé de parler de quatre États : la Birmanie, l'Indonésie, les Philippines et Singapour. C'est tout à fait fascinant, parce qu'il s'agit sur un pôle de deux extrêmes : d'un côté la Birmanie, qui a un revenu de 1 300 $ par personne, et, à l'autre extrémité, Singapour, qui a un revenu de 55 000 $ par personne. C'est plus que le Canada qui avait un revenu de 52 000 $ par personne. C'est un pays qui est dans la postmodernité, la troisième révolution industrielle, Singapour, quant à la Birmanie, c'est un pays qui est en plein processus de développement économique et politique. Entre les deux, on a les Philippines, avec 2 700 $ de revenu par personne et l'Indonésie, avec 3 790 $.

Ce sont des pays en émergence. On parle maintenant de ces deux pays comme des nouvelles puissances émergentes de l'Asie du Sud-Est : l'Indonésie avec plus de 250 millions d'habitants, qui est le pays musulman le plus populeux au monde, et les Philippines avec une population de plus de 110 millions. Ce sont des États tout à fait fascinants, car ils sont en pleine ébullition.

Ce qu'il y a de commun entre ces quatre États, et je pense qu'il est important d'en parler, c'est que ce sont quatre pays qui sont des États multiculturels. Ces États ont été imaginés sur une base multiculturelle. Les grands défis qui confrontent les quatre États, peu importe leurs niveaux de développement économique et politique, c'est la façon d'accommoder et de vivre avec cette diversité culturelle.

En Birmanie, on a, bien entendu, les Birmans, mais aussi une multitude de groupes ethniques. Aux Philippines on parle plus de 70 langues, en Indonésie, plus de 180 langues. Singapour coexiste avec une majorité chinoise, une minorité malaise et aussi une minorité d'origine indienne. Donc le défi de la coexistence et du développement économique marque ces deux régions.

Ma deuxième remarque d'introduction est de préciser que ce sont des pays qui sont dans des processus de démocratisation intéressants et à différents niveaux. Singapour a organisé des élections depuis son indépendance en 1965. À chaque élection, c'était toujours le même parti, le People's Action Party, qui a remporté les élections. On connaît bien Lee Kuan Yew, le dirigeant de Singapour pendant le boum économique. C'est toujours le même parti qui est au pouvoir. Il y a des élections, tous les quatre ans, qui sont régulières et dites démocratiques où il semble y avoir un pacte entre la population et l'État : croissance économique en échange d'un vote au parti au pouvoir.

Le défi pour Singapour et la Malaisie, le voisin d'à côté, c'est qu'ils ont été ensemble durant un an et demi au moment de l'indépendance avant de devenir deux États séparés. Il y a un mouvement important qui s'appelle Bersih 2.0. Bersih 2.0 veut dire « propre », « nettoyage ». C'est donc un mouvement pour avoir des élections plus démocratiques en Malaisie. On peut s'attendre à un processus similaire à Singapour et on peut s'interroger à savoir si maintenant, compte tenu du niveau de vie, les populations commenceront à demander plus de liberté politique et sociale. Car cela reste un État semi-autoritaire.

Dans le cas de l'Indonésie et des Philippines, il y a eu des processus de démocratisation importants. Dans le cas des Philippines, cela s'est produit à la fin des années 1980, en 1986, ce qu'on a appelé le People's Power, la révolution populaire, où les gens sont descendus dans les rues. C'est l'ancêtre de ce qu'on a vécu au Moyen-Orient et au Maghreb, il y a deux ans, lorsqu'on a parlé des « printemps arabes ». C'était le même type de mobilisation où les gens sont descendus dans la rue et ont demandé une démocratisation à la suite de la dictature, pendant 20 ans, du président Ferdinand Marcos. Depuis, on a une démocratie qui bat de l'aile, parce qu'on a des élections à répétition, mais à trois reprises les gens sont descendus dans la rue pour demander la destitution du président.

On a actuellement aux Philippines un défi de consolidation démocratique et le défi également du développement économique, parce qu'aux Philippines la production est assurée par de la main-d'œuvre exportée. On a plus de 10 millions, de 11 millions de Philippins à l'étranger, une diaspora qui envoie 21 milliards de dollars par année. C'est plus que toute l'aide internationale et plus qu'une bonne partie du commerce philippin. Ce sont des gens qui renvoient leurs devises.

En Indonésie, la transition démocratique se fait à partir de 1997-1998. La fin du régime de Suharto. Avec la crise économique, on a vu ce régime s'effondrer en partie parce qu'il y avait énormément de corruption et, depuis, l'Indonésie est un peu un oiseau rare, parce qu'on assiste actuellement à des élections relativement démocratiques. On avait longtemps pensé que les militaires reviendraient au pouvoir, ce n'est pas le cas. Les militaires semblent prêts à s'accommoder du régime politique actuel. Il y aura de nouvelles élections cette année. Il y a une transition importante. On s'attend à ce que le maire dynamique de Jakarta se présente au pouvoir. Mais il y a des ombres au tableau : des anciens militaires associés au régime de Suharto qui pourraient brouiller les cartes.

En Indonésie, la grande question est la suivante : est-ce que le développement économique et la démocratisation se font à travers l'archipel de façon égale? C'est-à-dire que l'Indonésie compte plus de 17 000 îles. Une grande partie de la richesse est concentrée à Java, l'une des plus petites îles. En périphérie, ce sont des îles où on fournit beaucoup de ressources et où le pouvoir de l'État central est faible. Parfois il y a des abus importants des droits de la personne, parce qu'il y a une course aux ressources naturelles de l'Indonésie. L'Indonésie, les Philippines et la Birmanie, ce sont trois pays excessivement attirants pour les investisseurs étrangers en raison de leurs ressources naturelles. C'est sans doute un des axes importants de questionnement : le lien entre les ressources naturelles et le respect des droits de la personne en Indonésie.

Le quatrième État, la Birmanie, vit une transition démocratique après plus de 30 ans de régime autoritaire. En 1962, les militaires prenaient le pouvoir. Il y avait eu un espoir de démocratisation en 1988-1989, alors que la Ligue pour la démocratie, avec Aung San Suu Kyi à sa tête, avait remporté les élections, mais les militaires avaient repris le pouvoir. On a assisté seulement en 2010 au processus de transition actuel.

En ce qui concerne la Birmanie, plusieurs des États qui avaient mis en œuvre des sanctions, y compris le Canada, ont recommencé à aller en Birmanie. La grande question de la Birmanie, c'est comment cette démocratisation se fera-t-elle? Elle va se faire à deux niveaux : est-ce que les militaires vont être prêts à devenir des hommes d'affaires, ce qu'on voit actuellement? Est-ce qu'ils vont être prêts à se transformer de militaires en hommes d'affaires riches, c'est-à-dire prospères? Et est-ce qu'ils vont respecter la démocratisation en cours? Et comment va-t-on accommoder les différentes minorités ethniques qui sont nombreuses dans le Nord du pays, à la frontière de la Chine et de la Thaïlande, qui est également la région qu'on nomme le « triangle d'or »? C'est la région du monde où il se produit le plus d'amphétamines au monde actuellement. Donc, comment négocier des accords de paix avec les groupes ethniques?

Dans les quatre États il y a un développement économique important. Certains parlent d'émergence de ces pays. Il y a la question de l'accommodement des minorités, la tension générée par l'abondance des ressources naturelles et le respect des droits humains et de démocratisation.

Donc, voilà mes premières remarques. Je vais laisser la place aux questions pour permettre d'approfondir ces différentes dimensions.

[Traduction]

La présidente : Merci, monsieur. Nous entendrons maintenant M. Côté.

[Français]

Denis Côté, coordonnateur, Groupe de travail de l'Asie-Pacifique, Conseil canadien pour la coopération internationale : Au nom du Groupe de travail Asie-Pacifique du Conseil canadien pour la coopération internationale, je vous remercie pour cette invitation et pour l'occasion qui nous est offerte de partager avec vous quelques réflexions au sujet des enjeux liés au développement et aux droits de la personne en Asie-Pacifique.

Le Groupe de travail Asie-Pacifique est composé de plus de 25 organisations de la société civile canadienne qui travaillent avec une multitude de partenaires un peu partout en Asie et sur un grand nombre d'enjeux tels que la sécurité alimentaire, la santé, l'éducation, les droits des femmes et le changement climatique. Compte tenu de la vaste étendue de la région, et du thème étudié par ce comité, il y a beaucoup de sujets dont nous aurions pu discuter ce matin. Mais j'ai décidé d'aborder dans ma brève présentation trois enjeux sur lesquels s'est penché notre groupe de travail récemment.

D'abord, un mot sur la manière dont est perçue la région d'Asie-Pacifique. En 2007, la Stratégie commerciale mondiale mise de l'avant par le gouvernement du Canada identifiait déjà l'Asie-Pacifique comme une région prioritaire en termes de développement du commerce et des investissements. En 2013, la publication du Plan d'action sur les marchés mondiaux, qui énonce une série de mesures visant à promouvoir les intérêts des entreprises canadiennes dans les marchés étrangers d'importance majeure, est venue confirmer cette orientation. Évidemment, alors que le poids économique de l'Asie se fait de plus en plus sentir au sein de l'économie mondiale, il n'y a rien de surprenant à ce que le Canada cherche à profiter des occasions qui se présentent dans la région. Mais cette image de dynamisme économique qu'on accole souvent à l'Asie contribue aussi à masquer le fait que la région fait toujours face à d'énormes défis sur le plan de la réduction de la pauvreté et de la réalisation des droits de la personne pour tous. Par exemple, l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) soulignait dans son plus récent rapport sur l'insécurité alimentaire dans le monde que plus de 500 millions de personnes souffrent toujours de la faim en Asie.

Je voudrais donc attirer votre attention sur trois enjeux en particulier. Le premier enjeu concerne les droits des travailleurs dans la région. L'année dernière, l'effondrement de l'édifice du Rana Plaza au Bangladesh, qui a coûté la vie à plus de 1 000 travailleurs et en a blessé plus de 2 500, a attiré l'attention du monde sur les conditions de travail souvent déplorables de nombreux travailleurs du pays et de la région, dans les ateliers de misère de l'industrie du textile. Je dis travailleurs, mais je devrais plutôt dire travailleuses parce que ce sont les femmes qui constituent la plus grande partie de la main-d'œuvre de cette industrie.

Un autre exemple des problèmes liés au droit des travailleurs en Asie vient du Cambodge. En janvier dernier, après avoir manifesté afin d'obtenir la hausse du salaire minimum dans les industries du textile, les travailleurs en grève ont été violemment réprimés par les autorités cambodgiennes. Résultat : quatre personnes sont mortes et des dizaines ont été emprisonnées parce qu'elles réclamaient des conditions de travail décentes. Lorsque les gouvernements asiatiques se font concurrence pour attirer les investissements et augmenter les exportations, ils ferment parfois les yeux sur les piètres conditions de travail de leurs travailleurs au lieu de s'acquitter de leur obligation de protéger les droits de ces travailleurs.

Un autre problème auxquels font face beaucoup de pays asiatiques est celui de l'accaparement des terres, un processus par lequel les compagnies souvent étrangères, mais aussi nationales, achètent ou louent de grandes terres dans les pays en développement, notamment pour la production à grande échelle de nourriture destinée à l'exportation ou à la production d'agrocarburants. C'est un peu cette course aux ressources dont M. Caouette parlait plus tôt.

Le problème est que les espaces qu'on vend ou qu'on loue à ces entreprises sous prétexte qu'ils sont vacants, ne le sont en fait que rarement. L'accaparement des terres entraîne souvent le déplacement des petits agriculteurs et la perte de leurs moyens de subsistance.

Depuis 2008, on assiste à une croissance phénoménale des transactions foncières dans les pays en développement qui a été suscitée notamment par la crise alimentaire de 2007-2008, et à la croissance continuelle des prix. Dans plusieurs pays asiatiques comme le Cambodge, l'Indonésie et les Philippines, notamment, il s'agit d'un problème de développement important.

Le troisième enjeu est lié au commerce et aux investissements. Depuis environ deux ans, cependant, le groupe de travail a commencé à porter une attention plus particulière aux questions liées au commerce, aux investissements et à leurs impacts sur les droits de la personne en Asie. Bien que le commerce et les investissements puissent effectivement contribuer au développement et au respect des droits de la personne, lorsqu'ils tiennent compte des besoins des populations vulnérables et qu'ils se pratiquent de façon à appuyer les États dans la promotion du développement social et de la protection de l'environnement, ce n'est pas toujours ce qui se produit dans la réalité.

Les accords de libre-échange et les traités d'investissement permettent généralement d'enchâsser de nouveaux droits pour les entreprises et les investisseurs au sein des lois nationales et internationales et favorisent des politiques qui diminuent souvent la capacité des États des pays en développement de mettre en place des politiques sociales et environnementales favorisant la réalisation des droits de la personne dans leur pays.

Or, le Canada a déjà amorcé la négociation de plusieurs accords de libre-échange et traités d'investissement en Asie et en envisage d'autres dans l'avenir. Du côté des accords de libre-échange, on pense notamment à l'accord avec l'Inde ou encore au Partenariat transpacifique. En ce qui concerne les traités sur les investissements, des discussions ont été amorcées avec l'Indonésie, la Mongolie et le Vietnam, entre autres. Et la Birmanie, aussi, a été identifiée comme un marché émergent dans le Plan d'action sur les marchés mondiaux.

Mais les organisations de la société civile en Asie s'inquiètent de l'impact de ces accords. Nous avons reçu la visite l'année dernière de représentants de la société civile indienne et birmane. Dans le cas de l'Inde, on craint notamment l'impact qu'un accord commercial avec le Canada pourrait avoir sur les petits agriculteurs du pays alors que les exportations agricoles canadiennes risquent d'inonder les marchés locaux. En Birmanie, un pays qui en est encore au tout début d'une transition incertaine vers la démocratie et qui est toujours secoué par des conflits ethniques, on s'inquiète de voir les investisseurs étrangers s'amener dans un contexte ou le cadre juridique et réglementaire actuel du pays ne permet aucunement d'assurer que les populations locales tireront un quelconque bénéfice des projets d'investissements.

En conclusion, nous pensons que le Canada devrait s'assurer que son commerce, ses activités diplomatiques et ses politiques de développement renforcent la capacité des pays en développement de l'Asie-Pacifique à respecter leurs obligations envers les droits de la personne. Afin de déterminer si un accord de libre-échange est approprié ou non, par exemple, une étude d'impact indépendante sur les droits humains devrait être effectuée.

Alors que le Canada se tourne davantage vers l'Asie, il devra faire davantage que simplement promouvoir les intérêts des entreprises canadiennes s'il veut être perçu comme un véritable partenaire par les États et les populations de la région. Il devra notamment continuer à soutenir les efforts des États de la région pour éliminer la pauvreté et favoriser la réalisation des droits de la personne pour tous.

[Traduction]

La présidente : Merci. Nous laissons maintenant la parole à Mme Karen McBride, du Bureau canadien de l'éducation internationale. Bienvenue.

[Français]

Karen McBride, présidente et chef de la direction, Bureau canadien de l'éducation internationale : J'aimerais me joindre à mes collègues pour vous offrir mes remerciements pour cette occasion de poursuivre le dialogue. Je crois que les liens entre le Canada et cette région en matière d'éducation ont beaucoup de potentiel et j'ai hâte de participer à cette conversation.

[Traduction]

J'aimerais d'abord faire quelques remarques pour établir le contexte. Permettez-moi de vous dresser un bref portrait du Bureau canadien de l'éducation internationale, une ONG sans but lucratif qui compte parmi ses membres des universités, des collèges et des instituts canadiens, des conseils scolaires de la maternelle à la 12e année, ainsi que des écoles de langues de toutes les régions du pays. Notre organisation a comme unique but de favoriser la coopération internationale en matière d'éducation.

J'ajouterai qu'en raison du rôle qu'il joue à l'échelle nationale, le BCEI a été un partenaire clé du gouvernement pendant l'évolution de la stratégie d'éducation internationale que ce dernier a lancée dernièrement. J'aimerais traiter brièvement des éléments cruciaux que contient actuellement cette stratégie afin d'établir le contexte pour ce que je dirai sur nos relations avec les pays de l'Association des nations d'Asie du Sud-Est.

Dans la stratégie, le gouvernement reconnaît que l'éducation internationale doit reposer sur plusieurs piliers ou fondations pour être efficace. Il indique, par exemple, qu'il importe d'envoyer un plus grand nombre d'étudiants canadiens à l'étranger pour qu'ils acquièrent les connaissances et des compétences internationales, et fassent l'apprentissage interculturel dont ils auront besoin pour être nos dirigeants. Il souligne également l'importance du renforcement des partenariats en matière d'éducation entre les établissements de tous les niveaux. Pour l'heure, cependant, il considère prioritaire de doubler le nombre d'étudiants internationaux au Canada pour le faire passer de 240 000 actuellement à plus de 450 000 d'ici 2022.

Maintenant que j'ai établi le contexte, permettez-moi de mettre en lumière quelques facettes fondamentales de nos relations en matière d'éducation avec les pays de l'ANASE. La présente discussion arrive à point nommé, car le BCEI entreprend notamment d'organiser chaque année une conférence nationale, au cours de laquelle il accorde la vedette à une région du monde. En novembre dernier, cette région était celle de l'ANASE. J'ai appris des faits nouveaux que j'aimerais vous communiquer pour stimuler notre conversation.

J'aimerais premièrement faire remarquer que les relations en matière d'éducation avec le Canada constituent clairement une priorité pour les pays de l'ANASE. En fait, le plan d'action Canada-ANASE pour 2010-2015 indique que l'augmentation de la coopération dans le domaine de l'éducation est une priorité élevée.

Sachez en outre que dans les établissements, dans nos universités et nos collèges, il existe un grand potentiel de coopération avec les pays de l'ANASE, et cette coopération connaît une croissance significative. On remarque, par exemple, une hausse des inscriptions d'étudiants étrangers au Canada. De 2008 à 2012, elles ont augmenté de 54 p. 100, passant de quelque 7 000 à plus de 10 000. La plupart de ces étudiants viennent du Vietnam, de la Malaisie, de la Thaïlande, de l'Indonésie et des Philippines. On prévoit toutefois que le nombre d'étudiants originaires des pays de l'ANASE qui vont étudier dans diverses régions du monde continuera d'augmenter, et aucun signe de ralentissement ne se fait sentir à cet égard.

Selon moi, il y a deux éléments très pertinents et importants à retenir des propos des conférenciers que nous avons réunis pour parler de l'ANASE. Tout d'abord, la région abrite une population nombreuse et jeune, ce que nos conférenciers considèrent comme une formidable occasion de prospérité économique et une source potentielle d'instabilité dans la région. Voilà pourquoi ils ont fait remarquer que la capacité de développement et l'éducation à tous les niveaux y revêtent une importance cruciale.

J'ai également retenu de la conférence que les pays s'intéressent beaucoup au savoir-faire canadien. Nous excellons à bien des égards dans les domaines de l'éducation, de l'innovation et de la pédagogie, comme l'apprentissage axé sur l'étudiant, qui permet d'intégrer des éléments pratiques à la pédagogie, et l'éducation à distance. Nous sommes particulièrement bons quand il s'agit de faire un lien entre l'éducation et l'industrie et le milieu communautaire. Nous nous démarquons également par notre expertise en recherche appliquée et fondamentale dans bien des secteurs où la région et notre pays partagent des intérêts similaires.

Il ne manque pas d'occasions et de modèles novateurs au chapitre de la coopération et de l'éducation, mais nos conférenciers ont clairement indiqué que le Canada se fie aux bons rapports qu'il a noués lors d'initiatives précédentes afin de soutenir les relations dans le domaine de l'éducation, comme le programme de bourses d'études du Commonwealth et d'autres programmes de bourses. Il n'y a pas de nouvelles initiatives. Quand j'étais assise à la table avec le commissaire à l'éducation supérieure des Philippines, nos partenaires de l'ANASE ont demandé ce que faisait le Canada à titre de partenaire.

J'ai également retenu de la conférence que nous devons en faire davantage pour que les étudiants canadiens et nos jeunes aillent dans cette région. Un de mes collègues a souligné la diversité qu'offrent la région et les pays. Or, très peu de nos jeunes et de nos étudiants sillonnent la région. À peine 3 p. 100 d'entre eux se rendent à l'étranger dans le cadre de leurs études. Nos partenaires de l'ANASE, comme ceux d'autres régions du globe, disent que le Canada ne doit pas se contenter d'attirer leurs étudiants, mais qu'il doit agir comme un partenaire. Ils veulent que les enseignants et les étudiants se déplacent dans les deux sens. Ils souhaitent également que s'établissent des liens de personne à personne qui non seulement favoriseront nos relations commerciales futures, mais serviront de fondations à nos relations diplomatiques dans l'avenir.

Pour que nos relations dans le domaine de l'éducation servent davantage de fondement à notre coopération avec la région, il faut, selon moi, agir rapidement pour élargir la stratégie en matière d'éducation internationale et les travaux ou les résultats escomptés qui s'y rattachent. Il ne faut pas se contenter d'attirer les jeunes les plus prometteurs et les plus brillants des pays de l'ANASE pour qu'ils viennent au Canada et y restent. Ces pays ont également besoin de leurs ressources humaines.

Comment pouvons-nous utiliser les relations dans le domaine de l'éducation comme fondation pour favoriser nos échanges commerciaux futurs, la stabilité de la région et les valeurs démocratiques? La région se trouve à un point crucial, et le Canada doit utiliser ce potentiel formidable comme fondation afin de déterminer comment il va coopérer avec la région. Je pense qu'au moment opportun, avec le lancement de la stratégie en matière d'éducation internationale, nous pouvons faire de cette dernière une approche à valeur ajoutée très solide pour le Canada.

La présidente : Merci. J'ai une longue liste. Je commencerai par la sénatrice Fortin-Duplessis.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Je remercie tous les témoins de leurs présentations. Ma première question s'adresse au professeur Caouette : dans un récent article que vous avez coécrit et publié en février dernier dans Social Transformations, vous abordez les différents actes d'activisme des organisations non gouvernementales en Asie. Vous mentionnez entre autres qu'en Malaisie et à Singapour, les ONG sont caractérisées par une attention marquée pour le développement économique et la consommation.

Pouvez-vous nous dire si les ONG asiatiques qui défendent une meilleure création et redistribution de la richesse sont en faveur du libre-échange et de l'augmentation des échanges commerciaux entre pays?

M. Caouette : Lorsqu'on étudie la région, elle est fascinante pour l'essor de ses ONG. C'est un peu ce que l'article cité essaie de démontrer, c'est-à-dire que selon l'évolution politique des pays, on a vu différents mouvements d'organisations civiles. Aux Philippines, en raison de la dictature, beaucoup d'ONG ont travaillé sur la question des droits de la personne et du développement démocratique. Par la suite, ces ONG se sont intéressées aux questions des droits autochtones et des minorités. En partie, on peut penser au conflit à Mindanao.

Dans des États semi-autoritaires ou semi-démocratiques comme Singapour et la Malaisie, les sujets dont les ONG ont traité étaient beaucoup liés au boum économique, des sujets moins sensibles politiquement comme la question de l'arrivée des produits des multinationales. Donc, en Malaisie on a vu tout un réseau se créer sur la question du lait en poudre, par exemple dans les années 1970, l'arrivée des pharmaceutiques, l'arrivée des McDonalds de ce monde, et cetera.

On voit actuellement de plus en plus d'ONG qui prennent parole par rapport aux enjeux globaux du multilatéralisme ou des échanges économiques. En Birmanie, on le voit dans une moindre mesure parce que la société civile est en train de se constituer et la lutte est beaucoup axée sur le droit de représentation politique. Mais, dans les cas de l'Indonésie, des Philippines et de Singapour, la question du libre-échange est une question hautement et chaudement débattue. Beaucoup d'organisations de la société civile proposent une approche modérée, c'est-à-dire une ouverture économique tempérée assortie de certains accommodements. Il y a tout un discours bien articulé et bien étudié sur le fait qu'on ne peut pas ouvrir l'agriculture des Philippines ou encore l'agriculture indonésienne au libre-échange sans avoir des mesures de protection pour les petits producteurs. Le grand enjeu c'est de déterminer comment ces investissements vont être légiférés. C'est là le problème qui se pose, je pense, dans la région. C'est-à-dire que le pouvoir de l'État, surtout dans les États des archipels — on pense à l'Indonésie, qui est immense et qui fait 5 000 kilomètres —, de légiférer dans les régions périphériques est beaucoup moins important, ce qui fait qu'un libre-échange qui s'exerce dans un État où les législations de protection environnementale, la protection des travailleurs, la garanti d'un salaire minimum ou la protection des femmes ou des droits des femmes sont souvent bafoués à l'avantage des intérêts commerciaux. De là l'importance de dire oui à l'ouverture économique. Ce sont des pays dont la prospérité dépend de l'ouverture aux marchés globaux.

Le deuxième élément en importance, c'est le développement d'un marché intérieur. On peut ouvrir, mais on doit s'assurer qu'une redistribution se fait à l'intérieur des pays et que l'encadrement réglementaire est en place. Aux Philippines, il y a le plus de lois, de réglementation sur la façon de produire, les questions environnementales, la largeur des trottoirs. Mais l'État est trop faible. Donc cela fonctionne beaucoup sous la forme de corruption et de réseaux de patronage. De là l'inquiétude des groupes de la société civile face à un libre-échange qui se ferait tous azimuts, sans protection ou sans garantie des droits et de la capacité de l'État de mettre en place des lois qui permettront que cette ouverture économique ne se fasse pas au détriment d'une population qui reste pauvre. Dans le cas des Philippines et de l'Indonésie, ce sont des pays où la richesse reste relativement concentrée, donc très mal répartie, selon le coefficient de Gini, avec lequel vous êtes sans doute familière, qui reflète la répartition de la richesse. Et c'est peut-être le défi. C'est une question importante à laquelle on réfléchit beaucoup au sein des ONG dans ces quatre pays, mais en général, dans cette région le libre-échange est clairement une préoccupation importante.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Ma deuxième question est pour monsieur Côté. Je ne vais pas vous surprendre en disant que le Conseil canadien pour la coopération internationale a pour le moins un objectif titanesque en vous donnant comme mission d'éliminer la pauvreté. Bien que votre objectif soit noble, vous devez toutefois établir des priorités. En ce sens, selon vous de quelle façon le Canada devrait établir ses priorités en matière d'aide internationale pour l'Asie? Est-ce qu'on devrait accorder la priorité à certains pays ou plutôt à certains dossiers?

M. Côté : Merci pour la question. En fait, pour déterminer à quel pays accorder la priorité, le Canada a déjà recensé 20 pays de concentration dans lesquels 80 p. 100 de son aide est distribuée, et il y en a cinq en Asie. Je pense que c'est l'Afghanistan, le Pakistan, l'Indonésie, le Vietnam et le Bangladesh. Des pays ont déjà été définis. Il y a eu tellement de changements en ce qui a trait aux pays prioritaires dans les 20 dernières années concernant la dette internationale que je ne pense pas qu'il soit nécessairement justifié de changer les pays. Il y a des réseaux qui sont établis. Donc je pense qu'il s'agit simplement de continuer à profiter des réseaux qui ont déjà été créés. Effectivement, le Canada doit continuer de s'engager en Asie, non seulement par ses activités commerciales, mais aussi grâce à son aide au développement qui est importante pour créer des relations avec les gens sur le terrain, un peu comme dans le domaine de l'éducation, par exemple.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Mais selon vous, dans quels pays — vous avez énuméré toute une série de pays dans lesquels le Canada s'implique et auxquels il donne de l'aide — le Canada aurait-il le plus de chance d'éliminer la pauvreté? Ce serait lequel selon vous qui correspondrait à votre objectif global?

M. Côté : C'est une grande question.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Vous pouvez répondre brièvement.

M. Côté : On ne s'est pas penché sur la question à savoir quel pays est le plus près d'éliminer la pauvreté. Il y a des pays où les besoins sont plus grands. Par exemple, je sais que le Canada songe peut-être à s'investir en Birmanie. Peut- être qu'à ce moment-là l'aide publique en Birmanie pourrait jouer un grand rôle dans la réduction de la pauvreté du moins, mais je n'ai malheureusement pas de cas unique à vous donner. Notre travail est d'essayer d'éliminer la pauvreté partout où elle se trouve. On n'a pas défini de pays en particulier où concentrer nos efforts.

Le sénateur Housakos : Ma question concerne le développement économique, commercial et politique en Asie- Pacifique. J'aimerais connaître votre opinion sur la question à savoir si le gouvernement du Canada et les grandes entreprises canadiennes utilisent bien les ressources humaines dont nous disposons au Canada? Quand je parle de ressources humaines, je parle de centaines de milles et peut-être de millions de Canadiens et Canadiennes dont le pays d'origine fait partie de cette région de l'Asie-Pacifique. Ce sont des nouveaux venus qui ont décidé de venir au Canada pour avoir de meilleurs débouchés économiques. Ce sont des gens qui apportent une grande contribution à notre pays. J'aimerais avoir votre opinion sur la question suivante : le Canada, le gouvernement, les entreprises canadiennes utilisent-ils bien cette ressource? À votre avis, quelles sont les prochaines étapes? Que faut-il faire pour utiliser cette ressource et construire de meilleurs ponts dans cette région pour améliorer la relation commerciale et politique?

M. Caouette : Il faut d'abord souligner que le Canada est relativement absent de l'ANASE. Les relations commerciales des 11 pays entre l'Inde et le Canada sont peu développées comparativement à la Chine, aux États-Unis et à l'Union européenne. Nous sommes dixièmes en importance dans les échanges commerciaux.

Le deuxième élément à souligner est que la population asiatique au Canada est concentrée dans trois provinces : l'Ontario compte 52 p. 100 de la population asiatique, la Colombie-Britannique en compte 24 p. 100, l'Alberta a une proportion importante par rapport à sa population, soit 12 p. 100, et le Québec, 7 p. 100. Il faut souligner également que les diasporas de l'Asie du Sud-Est envoient beaucoup plus d'argent dans leur pays d'origine que toute l'aide internationale du Canada dans ces pays. Donc il y a un potentiel immense à canaliser cette aide. C'est un défi parce que beaucoup de minorités ou de diasporas, ces néo-Canadiens d'origine asiatique, envoient des fonds à leurs familles, leurs oncles, leurs cousins et leurs neveux.

Il y a un potentiel immense parce que beaucoup aimeraient que cette aide serve au développement économique de ces pays. C'est toute une économie qui pourrait être canalisée autour d'un projet de développement, et qui permettrait à beaucoup de gens d'y contribuer. Par exemple, une personne qui vit à Châteauguay depuis 30 ans, qui est d'origine de Samar et qui voudrait investir dans son île ou dans la communauté d'où elle vient ne peut faire appel à aucun mécanisme de pont entre les ONG de développement et les minorités ou les diasporas. Il y a tout un travail à faire autant au Canada au sein des ONG. Je vais maintenant transférer la question à mon collègue Denis sur ce point.

Par rapport au développement, beaucoup de jeunes Vietnamiens retournent au Vietnam — ils étaient les enfants des boat people — pour développer des commerces. Il y a vraiment un dynamisme important. Jusqu'à maintenant, le Canada n'a pas compris tout le potentiel qui existe entre ces liens et les populations locales sur place. Je pense qu'il y aurait énormément à faire et cela pourrait contribuer à l'essor économique non seulement de l'Asie du Sud-Est, mais aussi du Canada, parce qu'on est très peu présent en Asie, comparativement à la Chine et à l'Inde qui y sont vraiment des acteurs importants. Le Canada est dixième ou treizième dans la région, donc on est vraiment en retard par rapport à tout ce potentiel.

Mme McBride : Cette question est excellente et je pense qu'il y a des ponts qu'on peut construire, par exemple au niveau de l'enseignement supérieur.

[Traduction]

J'ai constaté que les membres de la diaspora de nombreux pays sont à la tête des efforts que déploient les établissements canadiens pour ériger des ponts avec leurs pays d'origine. Nombre d'entre eux choisissent d'agir ainsi parce qu'ils veulent trouver un moyen de venir en aide à leurs pays. Ils ont déjà acquis les compétences langagières et les capacités interculturelles nécessaires pour établir ces ponts dans les domaines où l'expertise en recherche est complémentaire, par exemple, quand elle soutient nos intérêts commerciaux ou nos relations bilatérales en matière de commerce.

Ce qui fait défaut, toutefois, c'est la capacité de concrétiser cette idée et de mobiliser plus fermement les efforts. Par exemple, un programme financé par RHDSC permettait aux établissements de créer des liens avec des universités et des collèges d'autres régions au monde, soit les pays membres de l'ALENA et de l'Union européenne dans le cas présent. Ces programmes constituaient des plates-formes permettant de tirer parti des connaissances, des compétences interculturelles et des capacités langagières des chercheurs, des enseignants et des étudiants de nos établissements afin de nouer les liens menant à des relations durables dans les domaines de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il s'agit d'une excellente ressource qui permet à nos établissements d'ériger des ponts, une ressource qui a été sous- exploitée jusqu'à présent, selon moi.

[Français]

Le sénateur Housakos : Merci pour la réponse. C'est certain qu'il n'y a aucun doute que beaucoup de Canadiens et de Canadiennes ou de nouveaux venus qui viennent de ces pays envoient des fonds comme aide financière pour aider leurs familles dans les moments difficiles. J'apprécie votre réponse, mais vous avez dit, professeur, que le Canada n'a pas utilisé suffisamment cette ressource pour construire des ponts politiques et économiques. Est-ce qu'il y a des suggestions concrètes de ce qu'on peut faire pour montrer à ces gens que leur pays d'origine n'est pas juste une place où il y a des difficultés économiques, mais aussi des débouchés économiques pour le Canada et pour eux-mêmes? Quand on dit des « opportunités économiques », c'est toujours des deux côtés : être capable de vendre, d'acheter et de créer de la richesse pour tous les pays concernés dans le cadre d'une bonne relation commerciale.

M. Caouette : En termes de suggestions concrètes, il y a différentes initiatives qui sont en train de se mettre en place à différents niveaux. Il y a des chambres de commerce, par exemple, vietnamiennes et québécoises qui sont actives. Il y a des chambres de commerce indiennes et canadiennes qui existent depuis longtemps. Dans les pays où on aurait le plus besoin de ces liens, c'est là où on a le moins de développement de chambres de commerce, par exemple en Birmanie où il y a une petite population.

Un des grands dilemmes pour les investisseurs philippins est que les gens savent comment les affaires se font — oui, il y a des problèmes de corruption au Canada et c'est connu. Mais il y a un cadre réglementaire et beaucoup hésitent à transférer des fonds dans des organisations aux Philippines parce qu'ils ont l'impression que l'État n'a pas changé et que les réalisations économiques se font par les réseaux de patronage. Ce qu'il faudrait, c'est un accompagnement, par exemple des hommes d'affaires canadiens ou des ONG qui garantiraient que l'argent est remis non pas à une famille, parce que lorsqu'on transfère ces fonds à son oncle, à sa tante, à son père, ou à un membre de la famille, on sait qu'on pourra retourner aux Philippines ou en Indonésie et qu'on verra la construction d'une maison, ou l'achat d'un mini- autobus. Il faudrait des ententes tripartites où il y aurait également des organisations de la société civile ou des ONG qui pourraient garantir que ces projets de développement économique sont également supervisés par des organisations indépendantes. L'intérêt, c'est que tant aux Philippines qu'en Indonésie, il y a beaucoup d'ONG, beaucoup d'organisations qui ont une expertise en matière de commerce. Donc ce serait un potentiel intéressant parce que cela permettrait un essor de développement dans certains secteurs économiques bénéficiaires tant pour le Canada que l'Asie du Sud-Est, mais assorti des protections qui permettraient de s'assurer que les travailleurs de ces secteurs seraient également protégés parce qu'il y aurait une organisation tripartite.

Il s'agirait un peu d'un modèle comme celui de l'ALO où les syndicats, les entrepreneurs et les États collaborent, mais ce serait dans un projet de lien entre les diasporas. Ce serait innovateur, simple à faire et cela donnerait des garanties pour les gens et les diasporas dans les pays d'origine, parce que plusieurs veulent prendre leur retraite là-bas et que ce développement contribue au développement communautaire également.

Dans une situation où l'aide internationale diminue, il y a tout un potentiel à explorer de ce côté. On met à profit non seulement les intérêts privés, mais la société civile peut également devenir un chien de garde dans ce genre d'initiative. Notre commerce avec l'Asie du Sud-Est est de 0,5 p. 100. C'est minime par rapport au potentiel et c'est clair que la Chine va y aller de façon beaucoup plus rapide; la Chine a moins de scrupules sur les questions des droits de la personne et des relations économiques. Le Canada peut donc jouer un rôle de pionnier.

Le Canada a délaissé la région. Jusqu'en 2002, l'ACDI avait financé l'ANASE et était impliquée dans les dialogues tripartites. Aujourd'hui, on doit s'y réinvestir tout comme on essaie de le faire en Chine. L'Asie du Sud-Est est une région palier avec laquelle on a une similarité, car le Canada est voisin d'un géant et l'Asie du Sud-Est est aussi voisine d'un géant. Beaucoup d'États sont multiculturels, le Canada est un pays multiculturel dans lequel on a beaucoup évolué à ce chapitre. Donc, il y a des atomes crochus et un potentiel important à ce niveau.

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : J'ai une question à deux parties à vous poser, monsieur Caouette. L'Indonésie tiendra des élections en avril et en juillet prochains. Quelles sont les questions dont il sera le plus question d'ici les élections? Quel rôle, si rôle il y a, les médias sociaux joueront-ils à cet égard? Les citoyens les utilisent-ils pour s'organiser et agir collectivement?

[Français]

M. Caouette : En Indonésie, ce sont des élections à deux vitesses, c'est-à-dire selon ce qui se passe à Djakarta. Djakarta est branchée sur la planète et les médias sociaux y sont très importants; Facebook est en plein essor et les médias sociaux vont jouer un rôle important. Il y a aussi des organisations de la société civile qui se sont consolidées pour l'action démocratique, différents groupes populaires qui ont développé une expertise pour suivre le développement des élections.

Là où le Canada pourrait jouer un rôle et là où ce serait important, à nouveau, c'est dans les périphéries. Dans les régions éloignées qui ne sont pas rejointes par les Twitter et Facebook de ce monde, comment s'assurer du déroulement des élections de façon impartiale? L'Indonésie est intéressante. Il y a eu une politique de décentralisation importante qui a eu du succès dans plusieurs provinces de l'Indonésie. On parle de 17 000 îles et de 180 langues. Les recherches démontrent que, selon le type de gouverneur en place la politique de décentralisation a servi vraiment à une distribution des biens de la croissance économique. Cependant, si on avait un politicien traditionnel on a renforcé les élites et l'exclusion des autres. Pour les élections de cette année, il y a deux choses à surveiller : le retour possible des militaires, donc le nouveau maire de Djakarta qui s'opposera aux anciens militaires du régime de Suharto qui seront là. La deuxième dynamique, c'est ce que je viens de présenter : aller voir ce qui va se passer, peut-être envoyer des observateurs non pas à Djakarta ou Yogyakarta qui sont des grandes villes, des mégapoles — beaucoup plus grandes que Toronto ou Montréal —, mais plutôt dans les régions éloignées où, d'une part, le Canada a des investissements importants dans le secteur minier et où il y a des ressources naturelles où on pourrait jouer un rôle important parce que les médias sociaux ne rejoignent pas nécessairement ces régions. Je vais laisser à M. Côté le soin de compléter ma réponse.

[Traduction]

M. Côté : Je n'ai rien d'utile à ajouter aux propos de Dominique. Certains membres de notre groupe de travail seraient mieux à même de parler de l'Indonésie. Plusieurs de nos organisations y travaillent. Je n'ai rien à ajouter à ce que Dominique a dit à propos des élections.

La sénatrice Ataullahjan : La deuxième partie de ma question porte sur le fait que, selon les témoignages que nous avons recueillis, l'Indonésie semble être un acteur de premier plan dans la région. Il se trouve que c'est également le pays à majorité musulmane le plus peuplé. Le pays a eu quelques échanges avec les pays de l'ANASE au sujet du conflit interreligieux. Pourriez-vous nous parler de la situation actuelle de ce conflit? Comment l'Indonésie traite-t-elle les minorités religieuses, y compris les musulmans? Qu'en est-il des extrémistes islamistes en Indonésie? Ce pays, qui pratique normalement une forme modérée d'Islam, a été le théâtre de quelques troubles associés à l'émergence de mouvements extrémistes.

[Français]

M. Caouette : Si vous vous souvenez, George Bush avait dit qu'il y avait deux axes du mal. Le deuxième axe traversait le Sud des Philippines, l'Indonésie et le Sud de la Malaisie. Il y a eu des attentats à Bali dont on a parlé au tournant des années 2000 qui ont fait plusieurs victimes. Ce qui est fascinant en Indonésie, c'est la coexistence religieuse qui est relativement pacifique. L'extrémisme est présent, mais pas de façon importante. Ce qu'on voit, c'est différentes formes d'islam. Il y a un islam plus traditionnel lié aux intellectuels de Mohammadia, mais on a aussi un mouvement musulman islamique beaucoup plus autochtone, la Nahdlatul Ulama, qui se trouve dans les différentes régions et les campagnes autour des écoles religieuses. Oui, il y a un certain engouement pour une forme d'islamisme plus militant, mais beaucoup moins que ce qu'on pourrait penser. Au fond, souvent, on a eu tendance à dire qu'il y avait des réseaux transnationaux de militants islamistes radicaux qui allaient s'installer en Indonésie. Ce que la réalité semble nous avoir démontré au cours des dernières années, c'est que l'islam pratique une forme de coexistence religieuse relativement importante. L'imaginaire, comme au Canada, est empreint de l'idée des trois peuples fondateurs; l'Indonésie s'est toujours construite sur l'œcuménisme religieux, pas seulement l'islam mais également les autres religions. Je pense qu'à ce niveau, il est important de voir que les endroits où le militantisme religieux semble émerger sont les endroits où la croissance économique est la plus inégale, où il semble y avoir un potentiel important. Cependant, il n'y a pas véritablement un engouement comme il y en aurait dans d'autres pays pour aller militer et faire du djihad islamique en Indonésie. Il est important de comprendre l'Indonésie comme un État qui reste séculaire avec une population musulmane importante et qui réussit; jusqu'à maintenant, la violence politique est moins reliée à l'islam qu'elle ne l'est à des questions de redistribution de richesse et de participation politique.

[Traduction]

La sénatrice Ataullahjan : Ma question s'adresse à M. Côté. Vous avez brièvement fait référence à l'effondrement du Rana Plaza, au Bangladesh, lequel a ravivé l'intérêt relatif aux droits du travail au Canada et aux quatre coins du monde. Est-ce que des progrès ont été accomplis afin de renforcer la protection des droits des travailleurs, particulièrement ceux du gouvernement?

M. Côté : Je vous remercie de me poser la question. Je n'ai pas de détails précis, mais je sais que depuis cet effondrement, des pressions s'exercent pour encourager les entreprises qui engagent des gens au Bangladesh à signer deux accords, dont les noms exacts m'échappent. Selon ce que je comprends, l'un d'eux est plutôt une forme de mécanisme volontaire auquel les entreprises peuvent adhérer. L'autre est plus obligatoire et inclut la participation des employés. Un grand nombre d'organisations encouragent les entreprises à adhérer au second, qui est probablement plus utile pour prévenir d'autres catastrophes semblables.

Le sénateur Oh : Ma question s'adresse à tous les témoins. Quand j'ai visité l'Asie du Sud-Est, j'ai entendu de nombreuses plaintes de la part des fabricants locaux. De nombreuses multinationales établissent des usines en Asie. Quand les coûts de la main-d'œuvre, le coût de la vie ou le niveau de vie ont augmenté, toutes les grandes sociétés, comme Walmart, Costco, Loblaws, Target, Nike, Tommy Hilfiger et bien des entreprises de l'Union européenne, ont commencé à migrer vers un autre pays, à l'affût de coûts de la main-d'œuvre peu élevés.

Les travailleurs, comme les travailleurs familiaux philippins et indonésiens, sont mieux rémunérés et mieux traités quand ils viennent travailler au Canada. Nous les payons et les traitons bien mieux que les multinationales à la recherche de main-d'œuvre. Ces multinationales engrangent des profits fabuleux. L'article qu'elles paient 1 $ en Asie, elles le vendent 9,99 $ sur le marché américain. Pouvez-vous formuler un commentaire à ce sujet? Je pense que ces pratiques violent les droits fondamentaux de la personne et des travailleurs.

[Français]

M. Caouette : La question est tout à fait pertinente. Je pense qu'elle est importante également parce que si on considère les pays comme Singapour, les salaires y sont très élevés, c'est très dispendieux. Il ne s'agit plus de main- d'œuvre à bon marché, c'est un marché intérieur, donc ce qu'il faut souligner, c'est que dans la région, il y a l'émergence d'un marché intérieur important. On parle de 600 millions de consommateurs, ce qui est l'équivalent de la communauté européenne. La question, c'est qui va bénéficier du développement d'un marché intérieur important. Quant aux multinationales, pour l'instant, on voit le développement d'une stratégie à deux niveaux. Les grandes compagnies comme Walmart, Carrefour, McDonalds, entre autres, se concentrent dans les grandes capitales et laissent les régions rurales aux compagnies locales. C'est important de souligner, que ce soit en Malaisie ou en Indonésie, qu'il existe de grandes compagnies agroalimentaires et de production. On voit une division entre le marché des grandes capitales et le marché en région. Ce qui est important, c'est qu'il faut permettre aux compagnies locales de développer ce marché intérieur, mais tout en protégeant les droits des compagnies indonésiennes, vietnamiennes, malaisiennes à pouvoir avoir accès à leur propre marché, sinon on est tributaire du déplacement des industries à main-d'œuvre bon marché.

Si on s'arrête à l'histoire, du Japon on s'est déplacé vers la Corée; la Corée a déplacé ses industries les plus polluantes et nécessitant le plus de main-d'œuvre vers la Thaïlande, la Malaisie et l'Indonésie. Maintenant on déplace l'industrie vers les pays à main-d'œuvre moins chère, comme le Vietnam et le Cambodge. Donc, vous avez raison, il y a un processus de droit des travailleurs; on délocalise vers les pays où la main-d'œuvre est la moins chère.

La réponse est, à mon avis, en premier lieu, le développement du marché intérieur, donc le développement d'une classe moyenne dans ces pays. C'est, en deuxième lieu, l'accompagnement des entreprises et des compagnies locales — vietnamiennes, indonésiennes et philippines — face aux géants industriels. C'est pour cela que, dans mon exposé, j'ai dit que le libre-échange n'était pas une solution toute préparée et absolue. Il faut permettre l'essor d'entreprises locales et la protection des travailleurs migrants. Une entreprise locale a plus intérêt à protéger ses travailleurs, car une partie de sa production est achetée par ses propres travailleurs. Il y a une certaine logique qui fait que ces entreprises sont moins portées à se déplacer. Bien sûr, il y a des multinationales singapouriennes et malaisiennes dans toute la région, qui sont aussi importantes que certaine grandes multinationales; mais il est certain que la petite et moyenne entreprise locale, d'après moi, est une clé de voûte importante pour garantir non seulement l'essor de l'économie, mais aussi la protection des travailleurs.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Monsieur Côté, voulez-vous intervenir?

M. Côté : Je crois que M. Caouette a donné une réponse très exhaustive.

J'ajouterais que, comme on l'a indiqué plus tôt, il faut veiller à ce que les accords commerciaux, quand ils sont négociés, n'empêchent pas les États de légiférer en faveur des règlements sur le travail. Ces accords comprennent donc des chapitres sur le travail.

En plus de ce que M. Caouette a indiqué, nous devons nous assurer que ces accords n'empêchent pas les États de mettre les droits des travailleurs en œuvre.

Le sénateur Robichaud : Je dois être bref, madame la présidente.

La présidente : J'espérais que vous inscriviez votre nom sur la liste avant 11 h 30.

Le sénateur Robichaud : Je serai bref. Madame McBride...

Le sénateur Downe : J'invoque le Règlement. C'est la première question de ce côté, et nous nous sommes montrés fort généreux au cours des échanges. Je sais que le sénateur Robichaud vient de se manifester. Je pense qu'il devrait poser sa question et, espérons-le, obtenir une réponse, madame la présidente.

La présidente : L'ennui, c'est que nous disposons d'une heure et que nous devons entendre un autre groupe de témoins. J'ai encouragé tout le monde à inscrire leur nom sur la liste, et je viens de recevoir celui du sénateur Robichaud. C'est pourquoi je l'autorise à poser sa question. Je ne l'interromps pas.

Le sénateur Downe : Non, si j'invoque le Règlement, c'est que certains s'inscrivent sur la liste avant même que nous ayons entendu les témoins. De toute évidence, le sénateur Robichaud a entendu des propos qui l'ont incité à poser une question, ce qui me semble tout à fait légitime. Nous devrions nous montrer plus souples.

La présidente : Nous devons prolonger le temps pour le faire, alors.

Le sénateur Downe : Nous pourrions également essayer d'alterner entre les deux et peut-être ne pas être obligés d'inscrire notre nom sur la liste. Cependant, nous devrions certainement tenter d'équilibrer les questions mieux que nous ne l'avons fait aujourd'hui.

La présidente : Sénateur Downe, j'ai tenté d'inciter tous les intéressés à participer. Je fais de mon mieux. J'encourage les gens à répondre et à inscrire leur nom sur la liste. Je continue de les regarder pour voir si la question suscite de l'intérêt. Je considère donc que votre remarque est injuste.

Le sénateur Downe : Vous faites du bon travail la plupart du temps. Malheureusement, il était injuste de demander au sénateur Robichaud de rester bref, car vous ne l'avez pas demandé aux autres.

La présidente : Je répondrai de nouveau, sénateur Downe. J'ai géré la liste en fonction du temps dont nous disposons, et je continue d'inciter de nouveaux membres à ajouter leur nom. Comme personne ne s'est manifesté, j'ai autorisé les gens inscrits sur la liste à poser des questions. Le sénateur Robichaud a indiqué il y a un instant qu'il souhaitait intervenir; je lui en laisse donc la possibilité. J'ignore ce que je peux faire d'autre.

Le sénateur Downe : Pour le prochain tour, nous devrions donc tous demander maintenant à figurer sur la liste, et cela fonctionnerait pour les deux côtés. Est-ce que cela vous convient?

La présidente : Ce serait très bien. Comme je le fais habituellement, je vous donnerai d'abord la parole à titre de vice- président, et vous pourrez passer votre tour si vous ne voulez pas poser de question aux témoins. Si cela permet d'assurer un meilleur équilibre, c'est ce que je ferai.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Madame McBride, vous avez parlé de votre participation à une conférence où on déplorait le fait que, en matière d'éducation, on n'avait pas d'échange, de nouvelles initiatives canadiennes. Est-ce que vous pourriez commenter là-dessus, s'il vous plaît?

[Traduction]

Mme McBride : Oui. J'aimerais qu'il soit bien clair qu'il existe de nombreuses initiatives menées par des institutions dans cette région. Plusieurs universités et collèges canadiens y ont établi des partenariats.

Les commentaires que j'ai pu entendre à l'occasion de notre forum provenaient principalement de porte-parole gouvernementaux et de représentants d'institutions dans la région. Ils déplorent le manque de programmes de bourses financés par le gouvernement. Ils font valoir l'importance de tels programmes, comme le Programme de bourses du Commonwealth, pour contribuer au développement du capital humain dans la région.

Comme vous le savez tous, j'en suis persuadée, ces programmes ont fait l'objet d'innombrables coupures. Le portefeuille de programmes semblables n'est donc pas aussi bien garni qu'il l'a déjà été dans le passé, ce qui ne signifie pas que le modèle d'alors ne pourrait pas être amélioré. Je pense qu'on pourrait faire mieux. Nous avons toutefois tous entendu ce message des partenaires de l'ANASE suivant lesquels le Canada n'est guère actif au chapitre du financement des bourses et des projets conjoints, et ne les aide pas vraiment à nouer des liens avec les universités et les collèges canadiens qui ont des programmes d'études communs dans des domaines pouvant favoriser la croissance des PME et l'adoption de pratiques environnementales durables. À notre avis, il existe d'excellentes possibilités d'agir sur ce tableau avec des investissements relativement faibles.

La présidente : J'aimerais remercier tous nos témoins pour leur contribution qui nous a été fort utile. Nous avons pu traiter avec vous d'aspects que nous n'avions pas encore abordés, ce qui va certes améliorer notre étude. Merci d'avoir témoigné par vidéoconférence ou en personne.

Honorables sénateurs, le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international poursuit son étude sur les conditions de sécurité et les faits nouveaux en matière d'économie dans la région Asie-Pacifique, leurs incidences sur la politique et les intérêts du Canada dans la région, et d'autres questions connexes.

Nous recevons maintenant deux nouveaux témoins. Via vidéoconférence, nous accueillons M. Pitman Potter, professeur de droit et titulaire de la chaire HSBC de recherche sur l'Asie à l'Université de la Colombie-Britannique. J'espère que M. Potter est en mesure de nous entendre. Si vous pouviez seulement hocher de la tête. Merci. Nous recevons également ici même, M. Scott Gilmore, chef de la direction de Building Markets.

Messieurs, bienvenue au comité. C'est M. Potter qui va débuter en nous présentant sa déclaration préliminaire. Nous allons d'abord entendre ce que nos témoins ont à nous dire, après quoi nous leur poserons des questions. Bienvenue au comité.

Pittman Potter, professeur de droit, titulaire de la chaire HSBC de recherche sur l'Asie, Université de la Colombie- Britannique, à titre personnel : Merci. Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, bonjour. Je suis ravi et honoré d'être des vôtres ce matin pour traiter des enjeux liés à la sécurité et au développement économique dans la région Asie- Pacifique. J'ai cru comprendre que vous vous intéressiez plus particulièrement aux économies du Myanmar, de l'Indonésie, des Philippines et de Singapour. Je crois également que certains d'entre vous ont pu prendre connaissance du récent rapport de la Fondation Asie Pacifique du Canada concernant la concrétisation de l'engagement du Canada en Asie relativement aux droits de la personne et à leur intégration dans un contexte d'affaires. Si vous le permettez, j'aimerais d'abord vous parler de chacun de ces éléments.

Premièrement, c'est en grande partie notre conception du développement économique qui dicte la façon dont on gérera les liens entre les considérations de sécurité et le développement économique. Il s'agit principalement d'assurer un juste équilibre entre un accent mis sur la croissance et objectif de répartition des possibilités. Comme l'ont démontré les politiques chinoises dans les régions abritant des minorités nationales, comme le Xinjiang et le Tibet, les efforts pour apaiser les tensions sociales en favorisant le développement économique ont produit des résultats mitigés, particulièrement lorsque le développement économique est envisagé principalement dans l'optique de l'investissement de capital pour la construction et les infrastructures, sans investissement correspondant dans le développement du capital humain local. Par ailleurs, la gestion de la sécurité et du développement peut aussi varier en fonction de notre conception de la sécurité. Dans certains cas, les efforts déployés pour assurer une plus grande sécurité peuvent miner le développement économique, comme c'est le cas pour la surveillance électronique qui entrave l'accès à Internet et l'épanouissement d'une économie de l'information. En revanche, la mise en place de solutions en matière de sécurité des personnes et d'accès à la nourriture, au logement et aux soins médicaux, notamment, peut créer des conditions propices à un développement stable et équitable. C'est donc notre approche des deux éléments de l'équation sécurité- développement qui est surtout déterminante.

Dans son rapport, la Fondation Asie Pacifique du Canada s'emploie à mettre en valeur une approche équilibrée de la sorte en insistant sur la nécessité d'intégrer les politiques touchant les affaires et les droits de la personne. En soulignant que les droits de la personne englobent un large éventail d'enjeux importants, y compris les droits civils et politiques, mais également les droits socioéconomiques et culturels, le rapport présente des observations et des suggestions quant à la manière de moduler notre engagement en Asie pour favoriser à la fois la protection des droits de la personne et l'établissement de bonnes relations commerciales. À mon avis, l'efficacité des politiques des deux côtés de l'équation doit absolument passer par une bonne coordination des enjeux touchant les affaires et les droits de la personne, ou le commerce et les droits de la personne, comme je l'indique dans un autre contexte. Comme il s'agit d'un élément clé pour la sécurité et le développement, j'estime qu'une approche intégrée, comme le rapport le laisse entendre, devrait fort probablement permettre à la fois la protection des droits de la personne et l'élargissement des possibilités commerciales. J'ose espérer que ma très brève déclaration nous sera utile pour amorcer nos discussions. Je me ferai un grand plaisir de répondre au meilleur de mes connaissances à toutes les questions des honorables sénateurs.

La présidente : Merci. J'ai pris connaissance de votre rapport et j'y vois un élément très intéressant dont nous devrions tenir compte. Je demanderais donc à ce qu'il soit distribué aux membres du comité. Est-ce que cela convient à mes collègues ainsi qu'à vous-même, monsieur Potter? Vous êtes d'accord?

Des voix : D'accord.

La présidente : Je cède maintenant la parole à notre prochain témoin, M. Gilmore.

Scott Gilmore, chef de la direction, Building Markets : Un grand merci à vous, sénateurs, de m'avoir invité à prendre la parole aujourd'hui. L'Asie du Sud-Est et la région Asie-Pacifique font partie intégrante de ma vie et de ma carrière depuis 20 ans. Pour vous donner une idée de la perspective que j'apporte à votre étude, disons que j'ai débuté mon travail dans cette région à titre de diplomate canadien. J'ai été délégué commercial en Indonésie. J'ai ensuite travaillé dans le cadre de la mission de maintien de la paix des Nations Unies au Timor oriental, où j'étais responsable de la mise en place d'un programme de sécurité économique. J'ai également été directeur adjoint pour l'Asie du Sud au ministère des Affaires étrangères, un poste qui m'a amené à m'intéresser à l'ensemble de la région. J'ai quitté ce poste en 2004 pour lancer Building Markets, une entreprise d'économie sociale qui trouve des entrepreneurs locaux pour les amener à profiter des possibilités qui se présentent à l'échelle planétaire.

Dans ce rôle, nous avons pu jusqu'à maintenant conclure des transactions d'une valeur dépassant le milliard de dollars dans la région Asie-Pacifique, ce qui a mené à la création de plus de 70 000 emplois. Le modèle d'affaires de notre société à but non lucratif consiste à mettre sur pied des équipes pouvant compter jusqu'à 30 personnes, des employés locaux pour la plupart, qui partent à la recherche d'entrepreneurs locaux capables de faire des affaires sur le marché international et les aident à y parvenir. En Birmanie, par exemple, nous travaillons avec plus de 1 500 entreprises locales. Nous avons ainsi pu acquérir une connaissance approfondie du fonctionnement et des capacités de ces économies locales.

J'aimerais faire valoir aujourd'hui au comité que le Canada n'en fait pas suffisamment dans ces marchés d'avant- poste, surtout dans la région Asie-Pacifique. Si nous considérons que les marchés limitrophes d'Asie-Pacifique comprennent le Pakistan, l'Inde, le Bangladesh, la Birmanie, le Laos, le Cambodge, le Vietnam, l'Indonésie, la Papouasie Nouvelle-Guinée, la Malaisie et le Timor, nous pouvons dégager deux points communs entre tous ces pays. Premièrement, ils figurent parmi ceux connaissant la croissance la plus rapide au monde et domineront la scène économique planétaire au cours des 20 prochaines années. Deuxièmement, le secteur privé canadien est à toutes fins utiles absent de ces régions, ce qui est vraiment regrettable, car on y retrouve tous les ingrédients essentiels qui font en sorte que ces marchés vont rapidement devenir des superpuissances économiques, en misant notamment sur une meilleure stabilité. Depuis 1990, la violence politique a diminué de 51 p. 100 dans ces marchés limitrophes, ce qui a été à l'origine d'importantes réformes économiques et politiques. En outre, ces pays regorgent de ressources naturelles. On y trouve 41 p. 100 des réserves mondiales de pétrole et 26 p. 100 de celles de gaz naturel. En Birmanie, pour revenir à cet exemple, le secteur énergétique et minier devrait connaître une croissance de l'ordre de 20 milliards de dollars au cours des 15 prochaines années.

Soit dit en passant, aucune entreprise canadienne du secteur énergétique n'est présente en Birmanie actuellement. Ce sont des pays dont la population active est en pleine croissance. Le taux d'inscription dans les écoles primaires a augmenté de plus de 50 p. 100 depuis 1990. Au Cambodge, 200 000 personnes s'ajoutent à la population active chaque année. En 2050, ces marchés d'avant-poste compteront pour 33 p. 100 de la population mondiale. D'ailleurs, des pays comme la Birmanie se retrouvent déjà à moins de cinq heures de vol de la moitié de la population planétaire. Ce sont des économies en pleine croissance. Le taux de croissance du PIB y est semblable à celui du BRIC il y a 10 ans. Pour les cinq prochaines années, le taux de croissance annuel prévu du PIB en dollars constants est de 7,5 p. 100 pour les marchés limitrophes asiatiques, soit trois fois plus que ce qu'on projette pour le Canada.

Au Vietnam, le PIB devrait croître dans une proportion de 33 p. 100 au fil des quatre prochaines années. En Birmanie, les dépenses de consommation devraient tripler au cours des 15 prochaines années pour atteindre 100 milliards de dollars. Cette combinaison de croissance de la classe moyenne, d'urbanisation et d'accroissement de la demande pour les ressources naturelles crée de formidables possibilités d'investissement, surtout dans les secteurs des transports, de l'assurance, de la construction et de la logistique. Le Canada possède de l'expertise et des capacités de calibre mondial dans tous ces secteurs, mais en est presque totalement absent dans des villes comme Yangon.

À titre d'exemple, j'ai récemment accompagné un investisseur britannique en Birmanie. Il gère un portefeuille de 2 milliards de dollars et est bien conscient des possibilités qui s'offrent en Birmanie, à l'instar de plusieurs autres investisseurs qui s'y rendent. Nous avons passé 10 jours là-bas pour tâter le terrain auprès de quelques-unes des entreprises les plus remarquables que nous ayons pu observer dans le cadre de notre travail à l'échelle planétaire. Nous avons rencontré des représentants de l'ambassade du Canada qui étaient en cours d'installation — c'était l'an dernier — et on nous a dit qu'il n'y avait eu que six ou sept visites d'entreprises canadiennes. On parle pourtant de Yangon, une ville qui regorge maintenant de succursales d'entreprises de Londres, Sydney, Singapore, Shanghai, Rio et Paris, mais Bay Street brille toujours par son absence.

On peut faire le même constat dans toute la région. Les entreprises privées canadiennes concentrent maintenant leurs efforts pour établir des relations commerciales dans une poignée d'économies émergentes comme la Chine et accusent du retard, même dans ces pays-là, par rapport aux autres pays du G8.

Comme le disait Andrea Mandel-Campbell, auteur de Why Mexicans Don't Drink Molson, le Canada montre encore une fois qu'il n'est pas une nation commerçante, mais bien une nation qui dépend du commerce. Nous sommes laissés pour compte et, pis encore, le gouvernement canadien ne peut pas faire grand-chose pour améliorer la situation. La solution au problème doit venir de Bay Street, et non d'Ottawa.

J'aimerais tout de même vous exposer quatre mesures que pourrait envisager le gouvernement canadien pour essayer d'améliorer les choses. Premièrement, il faut se féliciter de la fusion entre le MAECI et l'ACDI. C'est un grand pas dans la bonne direction, comme je l'ai moi-même indiqué aux ministres Baird et Paradis. Il faut comprendre que les programmes de développement de l'ACDI sont souvent la tête de pont du Canada au sein de ces économies. Malheureusement, les hauts responsables en matière de commerce ne m'apparaissent pas aussi enthousiastes que les hautes instances politiques. Et il y a encore beaucoup de travail à faire pour reconnaître que le Canada peut déployer son aide financière d'une manière qui profitera à tous.

Dans cet objectif, j'encourage vivement le gouvernement canadien à appuyer la mise en place d'un institut de financement pour le développement, à l'instar du groupe CDC au Royaume-Uni et de l'OPEC à Washington. Un tel institut, qui pourrait être un sous-groupe d'EDC, encouragerait les entreprises privées canadiennes qui semblent hésiter à investir dans ces marchés.

Ma troisième recommandation serait que le gouvernement du Canada songe à subventionner des programmes de bourses. Nos gouvernements fédéral et provinciaux ont beaucoup accompli au cours de la dernière décennie pour inciter de jeunes Asiatiques à venir étudier au Canada. Nous avons toutefois un peu négligé nos propres étudiants. Nous ne les avons pas encouragés à aller étudier en Asie pour apprendre une nouvelle langue. Soit dit en passant, les capacités linguistiques des Canadiens sont particulièrement déficientes, surtout dans le secteur privé, ce qui est tout à fait inacceptable compte tenu du rôle important joué par les immigrants dans notre pays et dans notre trame multiculturelle. J'encourage donc le gouvernement du Canada à envisager l'établissement de programmes de bourses à cette fin.

Enfin, j'inviterais le premier ministre à visiter cette région dès que possible. Je pense qu'un voyage en Birmanie serait une excellente suggestion pour l'été qui vient.

Voilà qui termine les observations que j'avais à vous présenter.

La présidente : Y a-t-il des questions? Sénateur Robichaud, sénateur Smith?

Le sénateur D. Smith : Je n'ai pas de question.

La présidente : Merci, sénatrice Fortin-Duplessis, vous avez droit à la première question.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Monsieur Gilmore, ma question sera brève. Nous avons reçu plusieurs témoins lors de notre étude sur l'Asie-Pacifique et nous avons déduit que ceux-ci divergeaient d'opinion concernant les occasions d'affaires qu'offre la Birmanie.

Quant à vous, vous semblez très optimiste. Même si vous y avez touché un peu dans votre présentation, quel argument utiliseriez-vous pour convaincre les incrédules que la Birmanie est le prochain Klondike asiatique?

[Traduction]

M. Gilmore : Pour expliquer cette divergence d'opinion que j'ai constatée au sein de ma propre organisation ainsi que chez certains investisseurs avec lesquels j'ai travaillé à New York et à Londres, disons que la question ne consiste pas à savoir si on va le faire, mais à quel moment cela va se produire. Il ne fait aucun doute que les conditions de base nécessaires sont réunies en Birmanie. C'est un pays de 80 millions d'habitants qui est situé entre deux des plus grandes économies de la planète. Il dispose en outre d'une multitude de ressources. Il bénéficie d'une main-d'œuvre en pleine croissance, d'un accès aux marchés émergents et, comme je l'indiquais tout à l'heure, d'une classe moyenne également en pleine croissance.

Cependant, les dispositions législatives régissant les affaires en Birmanie remontent à 99 ans. Elles ont été rédigées avant même que le téléphone ne fasse son apparition dans ce pays. Si vous vous rendiez aujourd'hui dans une banque birmane, vous y verriez ces grands livres de compte reliés en cuir à la Harry Potter; il n'y a pas d'ordinateurs.

Il faudra un certain temps pour apporter les changements qui s'imposent. Le Klondike dont vous parlez ce n'est pas pour demain ni pour l'an prochain, mais ça viendra un de ces jours, et le Canada ne peut se permettre de prendre du retard s'il souhaite en bénéficier. Nous devons être présents là-bas dès maintenant.

La présidente : Aviez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Potter?

Sénateur Robichaud.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Pour ce qui est de faire des affaires dans cette région, si on parle de la Birmanie, la question de l'œuf ou la poule entre en compte. Où commence-t-on et comment encourage-t-on les Canadiens à faire des affaires là-bas? Vous dites que les lois sont vraiment désuètes. De ce point de vue, on ne peut pas donner tort aux investisseurs qui ne veulent pas y aller, car c'est très difficile pour eux de s'y établir.

[Traduction]

M. Gilmore : C'est peut-être un défaut, mais je n'hésite jamais à adresser les reproches que j'estime mérités. Comme vous l'indiquez, les lois birmanes sont désuètes, mais les impératifs financiers sont universels. Lorsque je me rends en Birmanie, je dois constater que les investisseurs britanniques, américains, chinois et australiens qui doivent obéir aux mêmes impératifs financiers quant à l'obtention d'un rendement raisonnable en regard du capital investi sont présents sur le terrain, font tous les calculs et en arrivent à la conclusion que la Birmanie est un pays propice aux investissements.

Au Canada, nous avons une culture des affaires très conservatrice qui, si elle nous a bien servis durant certaines récessions mondiales, j'en conviens, nous marginalise tout de même dans des pays comme la Birmanie. Je ne sais pas si le gouvernement du Canada peut faire grand-chose à ce sujet, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle je martèle mon message plus souvent sur Bay Street qu'à Ottawa, mais il y a de l'argent à faire dans des endroits comme la Birmanie, et ces marchés deviendront encore plus rentables à l'avenir, ce qui fait que nous ne pouvons pas attendre avant de faire sentir notre présence là-bas. Nous devons y investir dès maintenant, pas nécessairement des capitaux mais du temps, des ressources et les efforts nécessaires pour que les investisseurs canadiens prennent conscience des possibilités offertes sur ces marchés.

Le sénateur Robichaud : Nous ne pouvons pas attendre, mais nous attendons, n'est-ce pas?

M. Gilmore : Vous dites « nous », mais le gouvernement du Canada n'attend pas. Le gouvernement fédéral a ouvert une mission là-bas. Je l'aurais fait il y a une dizaine d'années, mais elle y est maintenant. Ce n'est pas une très grande mission, mais elle est tout de même là. Ce sont les entreprises sur Bay Street qui attendent, et franchement, c'est plus facile pour elles de faire des affaires à Baltimore qu'au Myanmar. Nous vivons dans un quartier très confortable, alors nous ne voyageons pas beaucoup, malheureusement.

Le président : Monsieur Potter, souhaitez-vous ajouter quelque chose aux commentaires de M. Gilmore?

M. Potter : J'ai beaucoup travaillé avec des entreprises privées investissant en Chine, alors la situation est évidemment différente, mais le Myanmar d'aujourd'hui ressemble à la Chine de la fin des années 1970 et du début des années 1980, dans les premiers balbutiements de ses politiques d'ouverture économique. Bon nombre des manques qu'accuse le système du Myanmar aujourd'hui étaient flagrants dans la Chine du début des années 1980.

Évidemment, un des dilemmes qui se posent est que les gens d'affaires sont franchement mieux placés que les universitaires ou les autres intervenants pour déterminer ce qui est dans leur propre intérêt. Ce que le gouvernement, le secteur consultatif et les ONG peuvent faire, c'est de créer les conditions propices aux affaires une fois que les entreprises ont décidé du marché à conquérir. Les entrepreneurs ont tout à gagner en s'initiant à la langue locale, en apprenant à connaître la région et en faisant du repérage sur place, pour ainsi dire, car c'est ce qui leur donnera la confiance et les connaissances nécessaires pour investir sans crainte. Je crois qu'au bout du compte, ces décisions reviennent aux entrepreneurs. Le rôle du secteur des politiques, du secteur universitaire et du secteur consultatif est de fournir des outils et de l'aide aux entrepreneurs qui ont décidé d'investir quelque part.

Je renvoie la question à mon collègue, qui s'y connaît davantage que moi au sujet de ces régions, car ma spécialité est surtout la Chine. Je dirais que pour ce qui est d'investir d'abord et d'agir rapidement, selon ce que j'ai pu voir avec la Chine, les entreprises qui ont le mieux réussi là-bas sont souvent celles qui ont pris le temps d'observer les développements et qui ont eu des échanges positifs avec le marché émergent de la Chine à la fin des années 1980 et au début des années 1990, tout en demeurant un tant soit peu prudentes dans leur engagement.

C'est vrai, beaucoup d'entreprises canadiennes font des affaires en Chine depuis de nombreuses années et ont bénéficié des liens et des réseaux qui avaient été établis pour elles, alors il y a de bonnes raisons pour amorcer les choses rapidement. Il faut tout de même suivre les analyses de rentabilisation des investissements.

Si on jette un coup d'œil aux tendances d'investissement des entreprises japonaises, européennes et scandinaves, surtout, en Chine dans les années 1980 et au début des années 1990, on voit que l'intention était de prendre part au marché, tout en prenant soin de doser leur exposition. Je crois que c'est le type d'approche prudente qui rendra service aux entreprises à long terme, et cela semble être le cas avec ces marchés émergents.

Je pense qu'il faut effectivement mettre en place les politiques et les outils voulus en fait de formation linguistique et de connaissance du pays, sans parler des visites du premier ministre et des mesures semblables, car cela peut être vraiment très utile pour créer le climat favorable à l'investissement dans ces régions. Cependant, les entrepreneurs sont les mieux placés pour déterminer leurs propres stratégies d'investissement, et nous voulons les aider, pas prendre les décisions à leur place.

La sénatrice Ataullahjan : Ma question s'adresse à vous, monsieur Gilmore. J'ai passé cinq semaines au Pakistan dernièrement pour des raisons personnelles. J'ai constaté à quel point les entreprises américaines avaient gagné du terrain là-bas; il y en a énormément. Pour ce qui est des entreprises canadiennes, la seule qui a un peu de visibilité, c'est Second Cup, qui a ouvert deux cafés là-bas et les affaires semblent très bonnes. Il y a de l'argent qui se dépense. Que pouvons-nous faire pour convaincre les entreprises canadiennes que même si les enjeux en matière de sécurité sont réels, les gens ont de l'argent à dépenser et continuent à mener une vie normale? Je note en passant que j'étais très heureuse de voir sur votre site web que sur les 8 000 entreprises que vous avez aidées en Afghanistan, 272 appartenaient à des femmes. Je vous en remercie.

M. Gilmore : Madame la sénatrice, avant de répondre à votre question, je tiens à souligner que je suis d'accord avec M. Potter pour dire que les entreprises canadiennes ont agi contre leur propre intérêt par le passé, et pas seulement en Chine, mais aussi en Russie. Elles ont voulu aller trop vite et ont parfois vu trop grand, et n'ont pas obtenu les profits escomptés. Il est important de noter qu'il y a une différence entre se lancer en affaire, se lancer en affaire en investissant des sommes faramineuses et s'assurer, à tout le moins, une place à table. Je suis du même avis que M. Potter, c'est-à- dire que les entreprises canadiennes doivent au moins s'assurer d'avoir une place à table.

Pour ce qui est du Pakistan, je suis heureux que vous en ayez parlé. J'essaie de faire valoir ce point chaque fois que je prends la parole en public. Les gens ne saisissent pas que nous traversons une période miraculeuse de l'histoire humaine. Plus de gens que jamais ont pu se sortir de l'extrême pauvreté au cours des 15 dernières années, qu'on parle de manière relative ou absolue. C'est spectaculaire. En fait, les Jeffrey Sachs comme les ploutocrates de Wall Street prédisent qu'on pourrait pratiquement éradiquer l'extrême pauvreté d'ici 2030.

Ce nouveau tournant est dû à la croissance économique que vous avez pu constater au Pakistan. À l'échelle mondiale, 86 p. 100 des emplois sont créés par des petites et moyennes entreprises, que ce soit à Mississauga ou à Lahore. Cette même croissance économique qui s'est installée en Asie du Sud, en Chine et en Amérique latine a permis de réduire miraculeusement le taux de pauvreté.

Ce que j'essaie de faire comprendre notamment aux responsables des politiques et au secteur privé, c'est qu'il ne suffit pas d'avoir un bon sens des affaires, il faut aussi avoir une bonne conscience sociale. C'est en créant des emplois qu'on pourra mettre fin à la pauvreté, pas nécessairement en faisant la charité.

La sécurité est un enjeu universel, qu'on travaille au Libéria, en Haïti, au Myanmar ou en Afghanistan. Honnêtement, c'est très relatif. Nous avons des bureaux à New York et j'habite à Brooklyn. Je vais courir tous les matins, et j'ai parfois l'impression de m'être égaré dans un quartier un peu lugubre. Par contre, je n'ai pas peur du tout d'aller courir dans plusieurs quartiers de Kaboul, parce que je les connais bien. Je connais les règles de sécurité, et j'y suis habitué.

Les hauts dirigeants de Second Cup l'ont compris, de même que ceux de SNC-Lavalin et de compagnies minières canadiennes : il n'existe pratiquement pas de situations dangereuses qui ne peuvent pas être contrôlées. Nous savons ce que c'est. Pendant trois ans, nous avons dirigé de grandes équipes nationales à l'extérieur du périmètre en Afghanistan, à Kandahar et dans la province d'Helmand, et nous n'avons jamais couru de risque important en matière de sécurité.

Quand on est assis dans une salle de conférence sur Bay Street et qu'on voit ce qui se passe au Pakistan, cela semble impossible. Difficile d'imaginer si Air Canada assure vraiment des vols vers Lahore. Et que faire une fois rendu? Y a-t- il un Sheraton, ai-je besoin d'un garde armé? Après 30 minutes sur place, puis trois jours et trois mois, la terreur des premiers instants laisse rapidement place à l'aisance, et on peut travailler dans ces milieux sans crainte.

Nous encourageons les entrepreneurs de Bay Street à prendre ce risque. Allez y passer une semaine, allez-y avec quelqu'un qui connaît le pays, avec un Pakistano-Canadien par exemple, vous serez agréablement surpris.

Le sénateur D. Smith : Je vais me permettre un commentaire sur ce que vous nous avez dit sur Bay Street, et je vous prierais d'y réagir. J'habite sur Bay Street, et mon cabinet d'avocats, que j'ai présidé pendant de nombreuses années, a de grands bureaux sur Bay Street également, mais aussi partout dans le monde.

Beaucoup d'investisseurs sont très frileux, à moins de savoir que leur investissement sera protégé par un État de droit qui fonctionne. On sait qu'au Myanmar, le système est mené par des décisions arbitraires depuis un bon moment. Je pense qu'il y a eu des progrès, mais il faut du temps pour tout régler.

En Europe de l'Est, par exemple, je crois que notre cabinet est le plus grand de la Pologne en ce moment, mais il a fallu attendre longtemps avant que les investisseurs externes fassent confiance à l'État de droit pour protéger leurs investissements.

Nous avons des bureaux dans quatre ou cinq anciennes républiques soviétiques et ailleurs en Chine. Nous avons des bureaux dans une seule ville d'Afrique, au Caire, parce que vous savez ce qui est arrivé au cabinet Heenan. Beaucoup des avocats qu'il employait se sont depuis joints à nous, mais ils ne veulent pas travailler dans une société où la corruption et les pots-de-vin sont monnaie courante, et cela n'en vaut pas la peine.

Pensez-vous que l'État de droit en place actuellement en Birmanie, ou au Myanmar, sera suffisamment fiable pour que les investisseurs canadiens puissent y faire confiance?

M. Gilmore : Encore là, je suis d'accord avec M. Potter quand il dit que les seules personnes à pouvoir décider s'il est approprié d'investir dans un pays comme le Myanmar sont les investisseurs eux-mêmes. Vous avez raison, les investisseurs canadiens de Bay Street et les cabinets d'avocats canadiens sont très conservateurs et préfèrent ne pas s'installer dans des pays comme le Myanmar ou certains pays d'Afrique. Mais leurs homologues de Wall Street et de la ville, de Paris, de Johannesburg et d'ailleurs, ont étudié les mêmes données et leurs portefeuilles sont souvent soumis aux mêmes exigences, mais ils en ont tiré des conclusions différentes.

Pour le Myanmar, vous avez tout à fait raison. Les deux grandes faiblesses de cette économie sont l'instabilité de l'État de droit et la corruption du secteur informel. Ce sont deux grands problèmes, et c'est ce qui empêche le pays d'avancer. Le gouvernement actuel multiplie les efforts pour instaurer des réformes législatives afin de remédier à la situation, mais c'est encore très problématique. Cependant, la situation n'est pas désespérée.

Beaucoup d'entreprises financières américaines sont établies au Myanmar en ce moment. Le secteur financier américain est le secteur le plus réglementé au monde. Elles trouvent le moyen de faire les choses proprement et d'engranger des profits. Rien ne justifie que les entreprises canadiennes ne tirent pas les mêmes conclusions.

La sénatrice Johnson : Monsieur Potter, vous présidiez le groupe de travail qui a produit le rapport Advancing Canada's Engagement with Asia On Human Rights — Integrating Business and Human Rights, paru en septembre. Vos recommandations s'adressaient à trois groupes d'intervenants : les gouvernements, le secteur privé et la société civile. Pourriez-vous nous dire, s'il vous plaît, en quoi diffèrent les rôles et les responsabilités des gouvernements, des entreprises du secteur privé et des organisations de la société civile en ce qui concerne les objectifs de la politique étrangère du Canada et les objectifs internationaux en matière de droits de la personne en Asie?

M. Potter : Quand nous avons rédigé le rapport, nous avons ciblé différents secteurs dans nos recommandations, mais il y avait aussi des recommandations d'ordre général. Nous avons cerné divers secteurs, parce que nous sommes conscients qu'ils interviennent différemment dans l'équation. On peut chanter le même refrain sans chanter les mêmes notes, si je puis dire. Autrement dit, tout le monde n'a pas nécessairement le même rôle à jouer.

Pour le gouvernement, par exemple, il y a différentes recommandations sur les programmes qui peuvent offrir le soutien, l'encouragement et les connaissances dont les entreprises et les ONG ont besoin pour interagir de manière efficace avec l'Asie. La langue et la formation en sont deux exemples.

En ce qui concerne le secteur privé — et cela renvoie à l'État de droit, dont il a été question il y a quelques minutes —, il faut notamment encourager les entreprises à s'engager dans ces économies, mais aussi à éviter de se faire complices de violations des droits de la personne. Malheureusement, nous avons vu des entreprises, pas seulement des entreprises canadiennes, mais aussi des entreprises étrangères, être mêlées à des cas de violation des droits de la personne dans le secteur de l'extraction des ressources. Des efforts ont été déployés pour remédier à la situation. Nous voulions inciter les entreprises à se tenir au courant des réalités entourant l'environnement qu'elles s'apprêtent à intégrer et des répercussions de leurs projets en matière de droits de la personne, et à éviter toute situation où les droits de la personne sont bafoués.

Pour ce qui est des ONG, l'un des principaux objectifs est d'accroître l'influence des défenseurs de la primauté du droit, des représentants du commerce et des défenseurs des droits de la personne de la région, de sorte que les connaissances des économies locales soient tellement bonnes que cela puisse non seulement améliorer les conditions à l'échelle locale, mais aussi attirer davantage les entrepreneurs étrangers. L'objectif consistait vraiment à intégrer l'avancement des droits de la personne non seulement dans le volet civil et politique, ce qui est essentiel, mais également dans les volets économique, social et culturel.

Le gouvernement, le milieu des ONG et le secteur privé ont tous un rôle important à jouer, mais ces rôles varient. Je reviens à ma métaphore : on peut chanter le même refrain, mais en n'ayant pas les mêmes rôles à jouer.

Si vous me le permettez, je vais en profiter pour parler un peu de la question de la primauté du droit, qui a été soulevée tout à l'heure. L'une des choses que l'on peut dire au sujet de la primauté du droit — et je pense que nous devons en parler franchement —, c'est que son renforcement pose un problème aux élites et aux régimes actuels. Nous examinons les efforts déployés pour renforcer la primauté du droit en Chine au cours des 30 dernières années, et nous nous demandons entre autres dans quelle mesure cela limitera le pouvoir du Parti communiste chinois. Il y a un enjeu similaire en Thaïlande, en Birmanie et dans d'autres pays de la région, même à Singapour.

Un étranger comme moi se pose la question suivante : qu'entend-on par primauté du droit? Parle-t-on vraiment d'un ensemble de règles claires qui dictent la façon dont les entreprises mènent leurs activités? C'est certainement cela en partie. Parle-t-on plutôt d'un ensemble de normes qui obligent le gouvernement et les entreprises à rendre des comptes?

La dernière question qui, à mon sens, est vraiment liée à la primauté du droit, est extrêmement délicate et dérangeante pour bien des élites actuelles qui doivent leurs postes non pas à la primauté du droit, mais à un certain nombre d'autres façons d'exercer le pouvoir.

Je crois donc que la primauté du droit ne sert pas simplement à faciliter le commerce; c'est vraiment un élément très important de transformation sociale et politique, et les élites et les régimes actuels de la région sont très conscients de la menace qu'elle représente pour les privilèges qu'elles ont.

De plus, en ce qui concerne la corruption, les cabinets d'avocats — un milieu que je connais assez bien — sont très mal à l'aise face à un problème de corruption entre autres à cause des différentes responsabilités auxquelles eux et leurs clients peuvent être confrontés dans le cadre de pratiques et de dispositions législatives étrangères au Canada, aux États-Unis et en vertu de traités internationaux. Il ne s'agit pas simplement de dire que la corruption nuit à l'économie, augmente les coûts de transaction ou constitue une question morale. Il y a un type spécifique de questions liées à la responsabilité légale qui empêche les entreprises de trop intervenir.

Je ne m'attarderai pas là-dessus, mais nous pourrions discuter longuement des origines et de la conception de la corruption d'un point de vue relationnel, qui est beaucoup plus axé sur la culture, ou d'un point de vue transactionnel, qui est mieux connu des Canadiens et des Nord-Américains. Au bout du compte, c'est une situation culturellement ancrée qui doit être comprise dans le contexte local, mais souvent, ce contexte crée de grands conflits pour les entreprises, les cabinets d'avocats et les conseillers, et c'est l'une des raisons pour laquelle les gens ne veulent pas s'en mêler.

[Français]

La sénatrice Verner : Juste une question. Vous pressez beaucoup les entreprises à s'investir dans la région de l'Asie du Sud-Est. Si vous-même aviez à investir, dans quel secteur d'activités diriez-vous qu'il y a des chances de succès incroyables? Dans quel secteur d'activités cibleriez-vous vos investissements?

[Traduction]

M. Gilmore : Madame la sénatrice, il se trouve que je suis en train de lancer des fonds d'investissement de 75 millions de dollars pour les PME pour ces marchés d'avant-poste, en partenariat avec l'entreprise d'investissement canadienne au Royaume-Uni CitiFinancière. Le magazine Forbes a récemment écrit un article élogieux à cet égard.

Dans le cadre de nos activités dans ces marchés émergents ou marchés d'avant-poste, nous avons constaté que l'un des secteurs qui connaissent la croissance la plus rapide, c'est celui des petites et moyennes entreprises. C'est en même temps celui qui nécessite le plus de capitaux.

Nous ne sommes pas les seuls; il y a cinq ans, le gouvernement canadien, sous la houlette du ministre Flaherty, s'est fait le promoteur du secteur des PME au G20. C'est également un secteur prioritaire pour les gouvernements britannique et américain.

Comme je l'ai déjà dit, sur le plan social, j'investis dans ce secteur parce que je le répète, dans ces pays, 86 p. 100 des emplois sont créés par des PME. Les entreprises appartenant à des femmes en représentent une partie importante. C'est donc dans ce secteur que nous investissons.

[Français]

La sénatrice Verner : Je comprends les petites et moyennes entreprises. Il est intéressant de voir que parmi les entreprises que vous avez accompagnées, un nombre relativement important sont conduites par des femmes. Dans quel secteur d'activités ces femmes ont-elles choisi de s'investir? Est-ce qu'on parle de finance? Est-ce qu'on parle d'entreprises de service? Est-ce qu'on parle de produits manufacturiers? De quoi parle-t-on au juste? C'est ce que je veux dire de façon plus pointue par les secteurs d'activités.

[Traduction]

M. Gilmore : C'est une excellente question. Cela varie d'un pays à l'autre. Par exemple, en Afghanistan, nous avons beaucoup collaboré avec des entreprises de confection de vêtements appartenant à des femmes, ce qui était sensé en raison des normes sociales. Souvent, les entreprises dans lesquelles travaillent un grand nombre de femmes sont dirigées par des femmes et il se trouve qu'il s'agit de l'industrie du vêtement. En Afrique, nous avons vu des femmes dans tous les secteurs. En Haïti, il s'agit surtout du secteur de l'artisanat.

Nous soutenons les entreprises appartenant à des femmes et elles constituent notre priorité en partie parce que souvent, elles comptent parmi les entreprises locales qui s'adaptent le plus rapidement aux normes du commerce international, qu'il s'agisse des questions liées à la transparence ou à la qualité. Si je peux me permettre de généraliser, les femmes entrepreneures changent très rapidement leurs pratiques commerciales et tirent parti de l'expérience de leurs partenaires.

L'une des raisons pour lesquelles nous ne donnons pas la priorité aux femmes — je ne dirai pas que c'est un mythe —, c'est que dans les pays en développement, on croit, sans preuve, que les entreprises détenues par des femmes ont de plus grandes répercussions sur l'économie; on croit qu'aider financièrement une femme entrepreneure aura de plus grandes répercussions sur le PIB qu'aider un homme entrepreneur. On croit également que ses profits sont dépensés de façon plus responsable sur le plan social, pour ses enfants, par exemple. Malheureusement, cette conviction n'a jamais été étayée par des données; toutefois, elle se propage tellement qu'elle est devenue une évidence. Dans le secteur du microfinancement, on a montré que les femmes entrepreneures sont plus nombreuses à rembourser leurs prêts, mais cela ne veut pas dire que les répercussions sur l'économie seront plus importantes; nous aidons donc financièrement les entrepreneures pour une autre raison.

La présidente : Je vous remercie beaucoup, monsieur Potter et monsieur Gilmore. Il a été très utile d'examiner les questions des droits de l'homme, de la primauté du droit et les points de vue que vous avez mis de l'avant. Vos témoignages nous seront très utiles dans la préparation de nos recommandations sur les politiques que le gouvernement devrait adopter.

Monsieur Gilmore, vos vastes connaissances des affaires et votre grande expérience nous ont aidés à répondre à une question que le comité se pose depuis longtemps : pourquoi les entreprises canadiennes n'investissent-elles pas dans d'autres marchés? Au nom de tous les membres du comité, je vous remercie tous les deux de nous avoir donné votre point de vue. Votre participation a été très utile et nous vous remercions d'avoir pris le temps de venir témoigner. Monsieur Potter, nous avons hâte de lire votre rapport afin de pouvoir l'intégrer à tous nos témoignages.

Mesdames et messieurs les sénateurs, nous allons maintenant discuter d'une question de régie interne. Nous allons prendre quelques minutes pour mettre fin à la vidéoconférence, et cetera.

Notre comité a informé le comité directeur qu'il souhaite voyager dans le cadre de son étude sur la région de l'Asie- Pacifique. Jusqu'à tout récemment, nous n'avions pas encore déterminé exactement dans quels pays nous irons. Comme vous le savez, vous avez demandé que nous étudiions la Birmanie, les Philippines, l'Indonésie et Singapour. Nous avons également convenu de ne pas nous rendre dans tous ces pays, mais d'en choisir un ou deux et d'inclure deux pays dans le budget. Il semble que le Canada a consacré une partie de ses ressources financières à Singapour, par exemple, et il vaudrait peut-être la peine que le comité ajoute un autre pays.

Le budget que vous avez devant vous a été préparé par notre greffier et il comprend un arrêt à Vancouver pour que nous puissions tenir des audiences sur les activités de l'Asie dans cette ville; et nous nous rendrons en Indonésie et à Singapour pour réaliser une mission d'étude. Il pourrait y avoir des changements si jamais nous jugeons qu'il est plus important de nous rendre dans un autre pays, comme la Birmanie. Les coûts seraient comparables.

Comme pour tout autre comité, on nous a indiqué que tous les sénateurs ont le droit de voyager dans le cadre des travaux d'un comité. Je crois comprendre que cela peut ne pas continuer à être la règle; je l'ignore. Je sais que certains comités présentent un budget qui n'inclut pas tous les membres. C'est peut-être pour d'autres raisons. Nous n'avons jamais été plus que neuf sénateurs lors d'un voyage et en général, environ sept sénateurs y participent. Le budget inclut 12 sénateurs, ce qui fait que les coûts sont élevés.

Le budget comprend également des indemnités journalières en fonction du nombre de jours prévus de voyage. Il y a également des montants pour les frais d'accueil et les repas de travail. Je parlerais de cumul ici, car si nous incluons les repas de travail, nous n'inclurons pas les indemnités journalières. C'est ce qu'on dit.

De plus, nous prévoyons devoir recourir à des services d'interprétation et avoir besoin de matériel à Vancouver, ce qui entraîne des coûts élevés. J'en ai discuté, mais malheureusement, le sénateur Downe est absent. Il approuvait le budget. Je sais que la sénatrice Johnson était d'avis que les montants étaient élevés. Vous les avez devant vous. Nous allons présenter notre budget d'ici demain, et c'est à vous de déterminer ce que vous voulez faire du budget.

Avez-vous des observations à faire?

Je propose d'aller devant le comité lorsqu'il me demandera de lui donner des justifications et de faire valoir que nous formons le Comité des affaires étrangères. Il est très difficile pour nous d'accroître notre crédibilité si nous ne rencontrons pas nos homologues des pays sur lesquels nous nous penchons. Même si c'est au gouvernement canadien que nous faisons des recommandations, très peu de rapports acquièrent de la crédibilité si nous ne parlons directement à nos homologues chez eux. C'est ce qui fait la particularité du Comité des affaires étrangères. Je sais qu'il restreindra peut-être les déplacements.

Qui plus est, nous présentons le budget prévu au complet, mais nous voudrons trouver les tarifs aériens les moins chers. Nous devons inscrire les montants actuels. Dès que nous saurons dans quels pays nous nous rendrons, cette fois, je demanderai aux sénateurs de s'engager à participer au voyage, et de ne pas se retirer comme certaines personnes l'ont fait la semaine dernière. Cela coûte cher, et ce n'est pas très bon. Nous vous avertirons à l'avance de sorte que nous sachions exactement combien de personnes participeront au voyage. Nous ne restreindrons personne, mais le budget est préparé en tenant pour acquis que tous les sénateurs participeront, et nous savons que cela n'arrive jamais. Nous espérons que ce sera pris en considération.

Je m'adresserai de nouveau au comité lorsque nous aurons précisé les coûts, s'il approuve le budget provisoire. Les tarifs aériens seront déterminés en fonction de la période dans laquelle nous nous déplacerons, en juin ou en septembre, et la combinaison des pays. Il est tout simplement impossible de le faire à moins d'inclure une date. Ce sera notre budget global, le plus vaste. Évidemment, nous essayerons de réduire considérablement les coûts pour que le budget soit acceptable. C'est la démarche que je privilégie.

La sénatrice Johnson : Je ne suis pas en désaccord avec vous. Je crois que pour l'instant, le montant est trop élevé avec un si grand nombre de sénateurs. Ne nous demande-t-on pas de réduire le nombre de personnes qui font partie des délégations maintenant?

La présidente : On ne me l'a pas demandé. On l'a demandé aux associations parlementaires, mais dans le cadre du conseil interparlementaire mixte. C'est mon point de vue. J'en ai discuté avec le greffier. Habituellement, je devinais combien de sénateurs allaient participer, mais on m'a dit que je ne pouvais pas restreindre le droit des sénateurs et que je devais préparer un budget pour 12 sénateurs. Si les membres du comité souhaitent en réduire le nombre, je suivrai leurs indications pour toute question, qu'il s'agisse du temps, ou de tout autre aspect. Nous sommes tenus de nous conformer à ce que fait le Comité de la régie interne.

J'ai toujours pensé qu'il doit traiter tous les comités de la même façon. Si on nous impose des compressions, on doit en imposer à tous les autres comités également. Je ne m'attends pas à ce qu'on nous accorde un traitement de faveur, mais je veux que nous soyons tous traités de la même façon. C'est ma façon de voir les choses. Nous présenterons le budget. Nous enverrons une lettre au comité pour qu'il sache que je veux comparaître pour donner des explications sur les justifications, les conditions préalables, et que dans ce contexte, nous sommes prêts à respecter les exigences qu'il impose à tous les comités. Cela dit, est-ce que quelqu'un veut proposer le budget?

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : Je propose la motion.

[Traduction]

La présidente : Y a-t-il d'autres interventions?

La sénatrice Verner : J'ai une question à poser, si vous me le permettez. Je comprends que l'on demandera aux sénateurs de confirmer leur participation au voyage. Avez-vous une idée du moment où cela se fera?

La présidente : Non. Je ne connais pas encore les dates, mais tout dépend de cela; et nous devons en discuter. Nous avons toujours incité les sénateurs à participer. Nous menons beaucoup de très bons travaux lorsque nous allons à l'étranger : par exemple, ceux que nous avons faits au Brésil et en Turquie. Cela détermine notre façon de procéder, car c'est de cette façon que nous obtenons le point de vue de nos homologues. Même si nous accueillons des témoins ici, ce n'est pas la même chose. Dès que nous saurons à quel moment nous serons prêts à partir, nous en discuterons afin de déterminer si nous jugeons que c'est un bon moment pour nous de nous éloigner du Sénat, et nous discuterons de la façon dont nous gérerons notre temps en fonction de l'autre Chambre. Souvent, nous disons que nous aimerions partir à tel moment, mais soit les députés ne siègent pas, soit ils sont en pleine campagne électorale, par exemple.

Nous ne le savons pas encore. Nous irons loin et ce voyage coûtera cher. Tous les chemins mènent en Asie maintenant; ce n'est pas comme si nous pouvions avoir de bons tarifs aériens. Il y a une forte concurrence. Si nous achetons des billets, nous essaierons d'en obtenir à moindre coût. Cela signifie que nous devrons bien les choisir et les utiliser. Dès que nous en saurons plus, nous espérons vous donner plus de temps pour répondre et nous procéderons.

La sénatrice Verner : Merci.

La présidente : D'accord?

Des voix : D'accord.

La présidente : Merci. La séance est levée.

(La séance est levée.)

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