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Délibérations du Comité sénatorial permanent des
Affaires étrangères et du commerce international

OTTAWA, le jeudi 6 novembre 2014

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd'hui, à 10 h 29, pour étudier le potentiel d'accroissement du commerce et de l'investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, y compris dans les secteurs de croissance clés des ressources, de la fabrication et des services; les mesures fédérales nécessaires à la réalisation des possibilités cernées dans ces secteurs clés; les possibilités d'intensifier la collaboration au niveau trilatéral.

La sénatrice A. Raynell Andreychuk (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Honorables membres du comité, nous sommes prêts à commencer la réunion du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, qui continue son étude sur le potentiel d'accroissement du commerce et de l'investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Cela inclut les secteurs de croissance clés des ressources, de la fabrication et des services; les mesures fédérales nécessaires à la réalisation des possibilités cernées dans ces secteurs clés; et les possibilités d'intensifier la collaboration au niveau trilatéral.

Nous sommes très heureux et fiers d'accueillir Son Excellence Francisco Suárez, ambassadeur du Mexique au Canada. Votes notes biographiques ont été envoyées à tous les sénateurs, de sorte que nous connaissions bien les réalisations universitaires et professionnelles qui ont précédé votre nomination en tant qu'ambassadeur au Canada. Puisque nous avons les notes, je n'en dirai pas plus sur leur contenu.

Nous sommes vraiment ravis que vous ayez répondu à notre invitation et que vous nous donniez votre point de vue dans le cadre de notre étude. Nous savons que ce sera utile pour la préparation de notre rapport.

Votre Excellence, bienvenue au comité. La parole est à vous. Nous allons écouter votre déclaration préliminaire. Bienvenue.

Son Excellence Francisco Suárez, ambassadeur, Ambassade du Mexique au Canada : Merci beaucoup, madame la présidente.

[Français]

M. Suárez : Je vais commencer par exprimer, au nom du gouvernement mexicain, notre solidarité pour la grande tragédie et les sérieux enjeux qui se sont produits à quelques pas d'ici. Vraiment, vous avez toute l'amitié du gouvernement et de vos amis mexicains.

[Traduction]

C'est pour moi un privilège de présenter un exposé devant les membres du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, comme vous l'avez souligné, sur le grand potentiel et les mesures qu'il est nécessaire de prendre pour intensifier la collaboration, au niveau trilatéral, en Amérique du Nord.

Je vais commencer par faire quelques observations personnelles.

Je suis ambassadeur du Mexique au Canada depuis un an et demi, et j'ai visité toutes vos provinces, sauf une; la dernière que j'ai visitée, c'est la Saskatchewan, madame la présidente. J'ai regardé un match de hockey. Je connais le football canadien, et c'est beaucoup plus rapide que le football américain. À Noël, j'ai mangé de l'orignal plutôt que de la dinde. De plus, d'une cabine, j'ai vu un grizzly qui passait dans les environs. J'aime le vin de glace, mais je ne sais pas lequel est le meilleur : celui de l'Ontario ou celui de la Colombie-Britannique. Mes deux fils ont fait leurs études ici. L'un d'eux est allé au Collège Ashbury; l'autre a fait une maîtrise en administration des affaires à l'Université de Toronto, et il travaille maintenant à la Banque Scotia. J'ai deux petits-enfants torontois. En tant que bon ami du Canada, dans certains cas, je peux être moins diplomate, ce qui peut être utile.

Bien que nos deux pays soient membres de l'Accord de libre-échange nord-américain depuis 20 ans et qu'ils aient des relations diplomatiques depuis 70 ans, de toute évidence, ils se connaissent très peu — quoique bon nombre de Canadiens vont au Mexique pour profiter de notre soleil, de notre sable et de nos margaritas.

J'ai entrepris la tâche de remédier à la situation. L'ambassade a préparé un graphique chronologique du parcours de nos deux pays. Je vais vous le présenter, au cas où cela vous intéresse.

Ce cheminement historique est rempli de surprises. Par exemple, au XVIIIe siècle, des marins mexicains, toujours sous le drapeau espagnol, ont été les premiers Occidentaux à dresser la carte de Vancouver et à faire du commerce avec la nation Haïda. À la fin du XIXe siècle, nous avons rejeté un accord commercial proposé par les Américains. Nos deux pays l'ont rejeté. En 1905, un délégué commercial du Canada a été nommé au Mexique. Un investisseur canadien — la Banque de Montréal — a été le premier à établir un réseau électrique et des tramways à Mexico. J'ai découvert récemment que les charros mexicains — cowboys — étaient présents au premier Stampede de Calgary en 1912. Dans les années 1920, des mennonites canadiens ont obtenu le statut de réfugié au Mexique. Le premier sommet trilatéral a eu lieu en 1955, dans l'État de la Virginie, à l'invitation du président Eisenhower; le premier ministre St-Laurent y était. En 1959, pour la première fois, un premier ministre canadien faisait une visite officielle au Mexique : c'était Diefenbaker.

Le premier ambassadeur canadien au Mexique a été M. Turgeon, qui vient de votre province, madame la présidente. Il avait quitté ses fonctions de juge en chef de la Saskatchewan et c'était un éminent avocat. Il avait été le premier procureur général de la province. Il s'est rendu au Mexique en train; à l'époque, le trajet durait quatre jours.

Toute personne qui se penche sur les 20 années d'existence de l'ALENA constatera que c'est vraiment impressionnant. Je ne répéterai pas tout, car vous avez tenu un certain nombre de séances et vous en avez parlé. Je veux souligner que le commerce est populaire maintenant. Nos échanges bilatéraux avec le Canada s'élèvent à 35 milliards de dollars, ce qui fait que le Mexique se classe au troisième rang parmi vos partenaires commerciaux; nos échanges sont un tiers plus élevés que ceux avec le Japon, plusieurs fois plus élevés que ceux avec la Corée et quatre fois plus élevés que ceux avec la France.

Une séance est prévue à ce sujet plus tard, mais je veux mentionner tout particulièrement l'un des meilleurs exemples d'investissement direct étranger, soit celui de Bombardier, qui a établi un véritable pôle de croissance de l'aérospatiale dans la ville de Querétaro. Les choses ont commencé avec Bombardier, et par la suite, 30 entreprises se sont ajoutées. Il y a maintenant un autre programme d'aérospatiale dans l'état de Chihuahua. Au début de ce que je crois être une nouvelle tendance, il y a une nouvelle entreprise, Grupo Bimbo, qui a fait l'acquisition de Canada Bread, ce qui représente un investissement de 2 millions de dollars. Ce sera un nouveau secteur.

L'important, c'est que nous ne faisons pas qu'acheter et vendre. Nous ne sommes pas que des commerçants. Le changement important, c'est la présence de chaînes de valeur dans l'ensemble de l'Amérique du Nord. J'ai eu l'occasion de visiter Palliser Furniture, à Winnipeg. Les parties des meubles vont et viennent entre Winnipeg et Mexico, et il s'agit d'une chaîne de valeur importante.

La séance tombe vraiment à point. L'Amérique du Nord est à la croisée des chemins. Je suis heureux d'assister à cela. C'est une véritable vague — une renaissance — de nouvelles idées très ambitieuses. Certaines d'entre elles sont exprimées par nos très éminents dirigeants, gens d'affaires et universitaires; David Morrison, Colin Robertson et Eric Miller. Il y a également le rapport North America : Time for a New Focus, du Council on Foreign Relations; les études de Laura Dawson; la feuille de route du Conseil canadien; et, bien sûr, les conclusions — qu'il convient d'appeler les libéraux — des sommets bilatéraux et trilatéraux qui ont eu lieu au Mexique; et récemment, et du Partenariat Canada-Mexique, à Calgary.

En 2015, il nous faut jeter les bases d'une Amérique du Nord dynamique et concurrentielle, et avoir une vision à long terme appuyée par des liens bilatéraux forts et l'objectif de renforcer les relations trilatérales. On dit qu'il faut favoriser des relations bilatérales là où nous le pouvons, et des relations trilatérales quand nous le devons.

Bien entendu, des obstacles subsistent. Certains disent que le Mexique ne fait même pas partie de l'Amérique du Nord. Ils nous placent dans un flou géographique, car nous ne faisons pas partie de l'Amérique centrale, ni de l'Amérique du Sud. Il y a le syndrome de 1994, et c'est à cet égard que certains croient qu'il est préférable d'avoir un lien spécial avec les États-Unis. Le Mexique est une source d'embarras. Les discussions bilatérales sont toujours préférables aux discussions trilatérales. On estime également que le Mexique rivalise avec le Canada. Je crois que nous collaborons. Évidemment, il y a une saine concurrence, mais en fait, nos deux pays se complètent et travaillent ensemble.

Dans le cadre de la séance, je vais parler tout d'abord des énormes possibilités de relations trilatérales dynamiques. À mon avis, l'Amérique du Nord est l'un des endroits les plus radieux au sein d'une économie mondiale généralement sombre. À la dernière page du magazine The Economist, où figurent les résultats annuels et semestriels, on indique qu'au dernier semestre, les États-Unis, le Canada et le Mexique affichent un taux de croissance de 3 ou 4 p. 100. Ce n'est pas seulement par rapport aux pays avancés, mais également par rapport à bon nombre de pays émergents. Si l'on compare ces résultats avec les taux stagnants de l'Europe — qui viennent d'être révisés pour une troisième fois —, ils sont tous inférieurs à 1 p. 100. Le Japon est dans une situation de stagnation stable en quelque sorte. Le Brésil et la Russie sont en récession. Seuls des pays comme la Chine et l'Inde se démarquent.

Je pense que les perspectives de l'Amérique du Nord sont extraordinairement brillantes. C'est un endroit qui se démarque dans le tableau sombre du monde. La situation repose sur quatre piliers : développement énergétique, concurrence industrielle, commerce et innovation.

Ensuite, il y a une véritable révolution nord-américaine qui est fondée sur la technologie et les découvertes. Le Mexique ouvre son secteur de l'énergie. Nous avons une bonne base. Ce n'est pas comparable à la situation du Canada, mais c'est un excellent début. Le Mexique est au troisième rang des fournisseurs de pétrole des États-Unis; il suit le Canada et l'Arabie saoudite. Il est au neuvième rang des producteurs de pétrole dans le monde. Pemex est la cinquième société pétrolière en importance. La nouvelle réforme du Mexique est un nouveau modèle dans le secteur de l'énergie — un changement de paradigme —, comme l'a dit l'universitaire Duncan Wood. On ouvre l'ensemble de la chaîne de production au secteur privé. Après 70 ans, on élimine les monopoles d'État : Pemex dans le secteur pétrolier, et la Commission fédérale de l'électricité dans le secteur de l'électricité.

Nous sommes fiers de la réforme de l'énergie qui a lieu au Mexique, qu'on appelle la plus grande réforme. Elle s'est produite en un an. Personne ne s'y attendait. C'est l'une des 11 réformes structurelles.

Le secteur privé peut participer à l'exploration et à la production pétrolières par le partage des bénéfices, le partage de la production, les contrats et les partenariats.

Le processus a commencé lentement. Il y a la soi-disant Ronde zéro, qui est consacrée aux puits arrivés à maturité. Pemex a fait des investissements importants. Elle peut coopérer avec des entreprises étrangères. L'idée, c'était que la Ronde zéro permettrait à Pemex, qui a déjà grandement investi et dressé la carte du territoire, de maintenir sa production actuelle de 2,5 millions de barils par jour. Ce qui est intéressant, c'est la Ronde un, qui commence avec environ 120 lots, dont 90 sont destinés à l'exploration et les 30 autres, à la première étape d'exploitation.

L'endroit où se trouvent nos réserves est clair. Il suffit de tracer une ligne invisible dans le golfe du Mexique, et c'est le même réservoir. Ce qui fait la différence, c'est la réforme du secteur de l'énergie. Les Américains foraient jusqu'à 100 puits par année, et nous n'avions que 6 puits. Au sud du Rio Grande, dans le bassin du Texas, il y a 9 000 forages de gaz de schiste, tandis qu'au Mexique, il n'y en a que trois. Je pense que cela offre une perspective importante. Dans ce contexte, dans le secteur pétrolier et gazier, nous ne devrions pas être considérés comme des concurrents du Canada.

C'est parce que concernant les forages dans le golfe du Mexique ou les forages du gaz de schiste à l'intérieur des terres, dans la partie nord-est de notre pays, pour un puits, il faudra de 5 à 10 ans. Nous ne devrions pas être en compétition avec vous de quelque façon que ce soit. Vous pouvez en avoir la certitude.

Nous investirons massivement dans des secteurs, là où des compagnies canadiennes et américaines ont une grande expertise. Ces grands investissements favoriseront une augmentation de la croissance du Mexique, ce qui accroîtra nos besoins énergétiques.

Les investissements dans le gaz de schiste seront importants. Nous devons rattraper le Texas, et il nous faut 9 000 puits. Cela ouvre la porte à de petites, moyennes et grandes entreprises. Le Mexique, le Canada et les États-Unis ont trois des six plus importantes réserves potentielles de gaz. Cela suppose d'énormes changements géopolitiques. Vous le faites déjà, mais nous produirons du gaz à 4 $ ou 5 $, en quantité suffisante, de sorte que nous puissions prendre la place de la Russie et fournir du gaz aux Européens. C'est un changement géopolitique énorme.

À l'heure actuelle, les pipelines sont complètement saturés. Nous avons des difficultés même pour le transfert du gaz à partir de notre frontière commune avec les États-Unis, vers une grande région industrielle située près de Guadalajara, dans l'état de Jalisco. Les pipelines sont saturés. Il nous faut investir massivement et rapidement dans les pipelines. Et il s'agirait d'un investissement considérable. Nous avons commencé par 1 200 kilomètres, et TransCanada participe déjà dans le cas de cinq d'entre eux. Nous irons jusqu'à 10 000 kilomètres pour avoir un réseau complet. Nous en avons besoin. C'est pertinent si nous pouvons produire du gaz au cours des cinq années à venir. Ce qui importe, c'est que nous puissions importer du gaz de nos partenaires nord-américains, de sorte que nous soutenions la croissance de 4 à 6 p. 100. Nous importons 50 p 100 de l'essence que nous consommons. Nous avons besoin de raffineries. Nous importons 60 p. 100 des produits pétrochimiques que nous consommons.

Souvent, on oublie l'électricité. Une grande réforme de ce secteur est en cours. Par exemple, une société d'État comme Hydro-Québec conservera le contrôle du transport et de la distribution de l'électricité, mais sur le plan de la production, on ouvre la porte au secteur privé. Dans les usines de l'État — qui dépendent dans une certaine mesure du mazout, un produit coûteux et polluant —, nous devons faire la conversion en gaz propre, à 4 $ ou 5 $. Cela nous permettra de réduire les coûts de l'électricité.

Il ne s'agit pas seulement d'un nouveau modèle énergétique, mais d'un nouveau modèle économique. On investit. Le Mexique, avec tous ses atouts — comme partout en Amérique du Nord —, a déjà un secteur de la fabrication dynamique. Il s'agira d'un processus de réindustrialisation offrant de nombreuses possibilités aux secteurs de l'automobile, de l'aérospatiale ou de la fabrication.

L'infrastructure est un autre pilier. Même le FMI a récemment constaté que des investissements importants dans l'infrastructure sont nécessaires à l'échelle mondiale. Dans bon nombre de pays, c'est le secteur qui offre les plus grandes possibilités de croissance. Cela a été souligné par le FMI et par Lawrence Summer, dans son dernier article. Une augmentation de 1 $ des investissements en infrastructure équivaut à une augmentation de 3 $ dans les capacités de production. Nous nous lançons dans le programme le plus important de l'histoire en infrastructure des transports. Il représentera environ 600 milliards de dollars sur quatre ans. Cela comprend des lignes ferroviaires — le train de banlieue Mexico-Toluca. On me dit que Bombardier a déjà fait une offre. Il y a un train rapide qui se rend au centre, et les Chinois sont déjà présents. Il y a des trains électriques dans deux grandes villes : Guadalajara et Monterrey. Il y aura un nouvel aéroport géant à Mexico qui sera conçu par Norman Foster.

Le marché du Mexique est plus petit que celui du Canada. Selon de nouvelles données sur le pouvoir d'achat, l'économie chinoise occupe la première place et elle est suivie par les États-Unis. Selon la parité de pouvoir d'achat, l'économie du Mexique est déjà plus vaste que celle du Canada.

Grâce à ces investissements, avec un taux de croissance qui passe de 3 à 6 p. 100, dans 10 ans, selon la plupart des prévisions, on s'attend à ce que le Mexique soit la huitième ou neuvième économie en importance dans le monde. Ce sera un marché majeur près de chez vous.

De toute évidence, il s'agit d'un processus de mises en œuvre complexe. Tout se complique toujours quand on entre dans le détail. Nous devons régler les problèmes du crime organisé, bien sûr, des inégalités, de la pauvreté, et cetera. Pour ce qui est de l'avenir, qu'est-ce que cela signifie pour les initiatives de l'Amérique du Nord? J'oserais dire que nous avons un programme très vaste. Les trois pays devraient considérer l'Amérique du Nord comme le moteur de croissance. Voilà sa force. Le commerce entre les trois pays représente plus de mille milliards de dollars. Il représente le double des échanges entre l'Amérique du Nord et la Chine; le double de ses échanges avec l'Europe; et plusieurs fois les échanges que nous faisons dans le cadre du Partenariat transpacifique. Dans un article, Colin Robertson a dit que l'Accord économique et commercial global est une très bonne chose, mais qu'il ne faut pas oublier vos voisins.

Nos pays jouent un rôle dans des accords commerciaux historiques et importants qui, comme vous le savez, sont l'AECG, le PTP, l'Alliance de l'Atlantique Nord et l'Alliance du Pacifique. Nous croyons que ces nouveaux traités seront des moyens d'améliorer l'ALENA et de l'adapter aux nouvelles réalités mondiales, dont le monde du commerce électronique. Cependant, les nouveaux traités ne devraient pas saper ce qui a été accompli jusqu'ici. Une attention particulière devrait être accordée à la protection des chaînes de valeur nord-américaines du secteur de l'automobile à l'élaboration de bonnes règles d'origine et à l'harmonisation accrue des politiques commerciales.

Les politiques commerciales montrent l'importance de ce que peuvent accomplir le Canada et le Mexique. Il y a un meilleur équilibre par rapport à notre bon voisin qui nous sépare. Avec l'Organisation mondiale du commerce, nous avons conjointement — le même jour — pris des mesures contre la politique protectionniste américaine sur l'étiquetage indiquant le pays d'origine. Récemment, la deuxième résolution de l'OMC nous donnait raison.

Nous avons été surpris de découvrir par hasard, lors de l'une de ces réunions des États nord-américains, que le Mexique et le Canada n'avaient pas été invités aux négociations sur le PTP. Nous avons uni nos forces et nous siégeons maintenant ensemble.

Dans le secteur de l'énergie, cela passe par une chaîne. Nous devons avoir des perspectives énergétiques en commun; une vision à long terme et des politiques harmonisées; l'interconnexion de cet important réseau de pipelines; et des pratiques réglementaires exemplaires qui convergent pour la protection de l'environnement et des intérêts sociaux des collectivités. Nous collaborons déjà avec l'organisme de réglementation de l'énergie de l'Alberta à cet égard, et une réunion des ministres de l'Énergie aura lieu.

Notre compétitivité et nos frontières communes doivent servir à faciliter la circulation des biens et des gens. Pour réduire les coûts de transaction, il y a deux commissions pour l'harmonisation transfrontalière et réglementaire. Certaines sont des commissions bilatérales. Heureusement, les dirigeants ont décidé notamment qu'il devrait y avoir des observateurs canadiens à la commission mexico-américaine et des observateurs mexicains à la commission canado-américaine. Les choses évoluent lentement, de sorte que nous pouvons travailler à des dossiers communs. Il y a une vaste liste de choses que nous pouvons faire. Je crois que c'est très difficile d'apporter des changements à certains niveaux de bureaucratie. Nous avons besoin des dirigeants pour secouer la bureaucratie afin qu'elle fasse avancer ce qui est essentiel.

Je parlais avec Palliser des camions qui font des allers-retours. Des camions mexicains se déplacent de Monterrey jusqu'à la frontière, où il faut alors utiliser des camions américains. Ensuite, on prend un autre camion pour se rendre à Winnipeg. Nous perdons beaucoup de temps. Ce sont les autres situations ridicules dans lesquelles nous nous retrouvons.

La mobilité des gens est limitée, mais nécessaire. Le Mexique compte une jeune population qui a des valeurs culturelles occidentales, qui s'adapte aux réalités locales. De toute évidence, il y a une grave pénurie de main-d'œuvre dans certaines régions et certains secteurs du Canada, surtout dans l'ouest du pays. Il y a des chômeurs dans les autres régions. Comment peut-on régler la situation? Il existe des programmes de pratiques exemplaires sur la mobilité de la main-d'œuvre, comme le Programme des travailleurs agricoles saisonniers. Il en est à sa 40e année. Environ 20 000 travailleurs contribuent au développement agricole du Canada. Il y a vraiment très peu de Mexicains au Canada. En incluant les 20 000 travailleurs agricoles, on ne compte pas plus qu'environ 100 000 Mexicains, ce qui correspond à peu près au nombre de Canadiens qui vivent au Mexique. Le nombre de mennonites qui ont la double nationalité à Chihuahua dépasse probablement le nombre de Mexicains au Canada. Notre champ de collaboration est vaste et sous-tend des valeurs communes et la capacité d'adaptation. Il faudra que cela s'applique dans les deux sens, car compte tenu du boom énergétique, nous aurons très vite besoin d'ingénieurs canadiens.

Je n'ai pas encore parlé de ce que j'appelle le mot tabou de quatre lettres qui commence par « v ». Je pense que vous savez de quel mot je parle. Parce que c'est un sujet délicat, je vais en parler dans un contexte non officiel, et je serai très prudent. Je reconnais parfaitement que c'est une question qui concerne la souveraineté du Canada; cela ne fait aucun doute. C'est le dernier élément de cet imposant programme, et en tant que partenaire commercial, c'est un point épineux. Il mine nos relations et a de mauvaises répercussions sur le commerce. Je discute avec toutes les associations de tourisme, les hôtels et les compagnies aériennes. Nous pouvons faire tant de choses. Cinquante mille Mexicains sont allés à la Coupe du monde au Brésil. J'aimerais que la même chose se répète aux Jeux panaméricains qui se tiendront au Canada, pour qu'il y en ait davantage, mais il faut favoriser ce genre de situation.

Les programmes suivants ont été réalisés : CanadaPlus et les entrées multiples qui, pendant bon nombre d'années, accéléraient le processus pour l'industrie du tourisme. Le problème s'est réglé en grande partie lorsque votre nouvelle mesure législative sur l'immigration a corrigé la faille pour bon nombre de réfugiés d'autres pays, dont le Mexique, qui recevaient du soutien aux frais des contribuables. Vous avez posé un bon geste en les classant dans les pays d'origine désignés. Nous y travaillons. Les dirigeants se sont entendus sur une convergence des programmes des voyageurs fiables, comme NEXUS et SENTRI. Nous avons examiné les arguments défavorables invoqués contre l'élimination des visas pour le Mexique. Certains sont valables et nous prenons des mesures à cet égard. D'autres sont très subjectifs, non pertinents ou même absurdes. Je vais en mentionner un qui est particulièrement absurde. Un ministre m'a dit que l'un des problèmes concernant les visas, c'est qu'on craint que des Somaliens s'infiltrent par le Mexique. J'ai dit au ministre qu'au cours des cinq dernières années, 500 Somaliens sont passés par le Mexique. S'il y en a un 501e, nous lui remettrons un certificat attestant qu'il est le 501e visiteur somalien au Mexique. Le nombre de Somaliens aux États-Unis et au Canada est supérieur au nombre de Somaliens qui sont passés par le Mexique. J'espère que dans l'intérêt de nos deux pays, on optera pour une solution intelligente, une solution qui diffère de la situation déplorable actuelle. Je pense que nous agissons avec prudence en n'essayant pas de soulever la question.

L'innovation, les technologies, la recherche et les programmes d'échanges constituent de nouveaux objectifs fondamentaux. Quand tout le monde parle d'innovation, il est difficile de dire que nous voulons favoriser plus d'innovations, plus d'échanges et offrir plus de programmes d'échanges dans le domaine de l'éducation. Toutefois, c'est difficile de concrétiser cela. Nous prenons beaucoup de photos et nous avons signé des protocoles d'entente. Quant vient le temps de passer à l'action, c'est très difficile. Un très faible nombre d'étudiants canadiens vont au Mexique, et vice versa. Il faut qu'un plus grand nombre de bourses soient offertes.

Il nous faut toujours trouver un mécanisme de collaboration, du moins un mécanisme officiel, et je ne parle pas nécessairement de bureaucratie, mais d'une façon d'inclure la communication avec des intervenants.

En terminant, je reviens à notre passé commun. En 1905, les relations canado-mexicaines se sont accrues. En 1906, un ministre britannique au Mexique a écrit que la colonie canadienne du Mexique ne comprenait pas beaucoup de gens, mais qu'elle menait beaucoup d'activités. Ils semblent avoir la ferveur des Américains et l'intégrité des Anglais sur le plan commercial.

Votre contribution ne pourrait pas être exprimée plus clairement. Dans la déclaration conjointe de nos dirigeants, dans le dernier communiqué, une seule déclaration résume tout : « Nous, les dirigeants des pays nord-américains, nous sommes réunis aujourd'hui à Toluca, au Mexique, pour reconnaître la force de nos relations et pour amorcer un nouveau chapitre de l'histoire de notre partenariat ».

Je vous remercie beaucoup de votre attention.

La présidente : Votre Excellence, je vous remercie. Vous avez couvert beaucoup de sujets avec humour, en fournissant des faits et en faisant un bref historique. Merci.

J'ai une liste de sénateurs qui veulent poser des questions. La sénatrice Johnson sera la première à le faire.

La sénatrice Johnson : C'était un exposé exhaustif. Je vous remercie de nous l'avoir présenté et d'être venu témoigner aujourd'hui. Cela fait maintenant 70 ans que nous avons des relations commerciales avec le Mexique. C'est notre anniversaire, non? Je sais que vous travaillez beaucoup avec les provinces et au Manitoba. Je sais ce que vous faites avec Palliser. Quel rôle les provinces et les territoires, de même que les États américains et mexicains devront-ils jouer pour accroître les échanges commerciaux et les investissements aux États-Unis, au Canada et au Mexico? Je sais que vous faites beaucoup de travail.

M. Suárez : Je crois que c'est un nouvel enjeu très important. J'ai parlé de l'éducation. Il y a beaucoup de partenariats entre les provinces canadiennes et les états mexicains. Malheureusement, ils n'ont pas été institutionnalisés. Il y a beaucoup de variations. Par exemple, il y a des liens avec l'État de Querétaro en raison de Bombardier au Québec. Il y a une participation active dans l'État de Jalisco, toujours liée au Québec, en raison des industries culturelles.

Bien qu'il y ait des échanges agricoles importants entre la Saskatchewan et le Mexique, et entre le Manitoba et le Mexique, ils n'ont pas été institutionnalisés. Nous allons ouvrir un consulat à Winnipeg. Nous serons le troisième pays à le faire après les États-Unis et l'Islande. Il s'agit des États-Unis, de l'Islande et de votre pays d'origine, le Mexique. Nous choisissons une personne qui ne fait pas le travail administratif consulaire habituel. C'est quelqu'un qui peut faire la promotion des activités.

À partir de Winnipeg, le bureau s'occupera de la province agricole de la Saskatchewan — qui est très forte dans le secteur des technologies — et nous pouvons collaborer avec les deux provinces. Aller à Toronto à partir de Regina, c'est comme aller au Mexique à partir de Regina. C'est très difficile.

Nous devons faire en sorte que ces choses soient institutionnalisées. Il est très utile que les provinces de l'Ouest rencontrent les États américains. Sur le plan politique, il s'agirait de promouvoir les provinces de l'Ouest du Canada, de sorte qu'elles puissent rencontrer les États de l'Ouest du Mexique. Je sais que vous avez appuyé cela et que c'est très difficile. Une rencontre parlementaire aura lieu à Ottawa les 23 et 24. Nous essayons tous les deux d'amener nos amis américains à la table dans l'espoir d'établir des relations trilatérales. Cela peut se faire en deux ans. On n'a pas à le faire en un an. Il faut l'institutionnaliser. C'est la prochaine étape.

En ce qui concerne les universités, nous établissons des chaires conjointes avec l'Université de la Saskatchewan et le ministère de l'Agriculture du Mexique. À l'Université de Regina et à l'Université de Winnipeg, nous établissons des chaires conjointes comme point de départ pour les universitaires.

La présidente : Sénatrice Fortin-Duplessis.

[Français]

La sénatrice Fortin-Duplessis : En tout premier lieu, Excellence, soyez le bienvenu à notre comité, ainsi que les membres de votre équipe. Je tiens à vous remercier pour votre présentation qui était fort intéressante.

Le 20e anniversaire de l'ALENA a incité certains observateurs à plaider en faveur d'un renouvellement du type de coopération trilatérale qui a mené à cet accord. Par exemple, dans une lettre conjointe adressée aux dirigeants nord-américains en octobre 2013, des organisations de gens d'affaires du Canada, des États-Unis et du Mexique soutiennent que nos gouvernements respectifs pourraient en faire davantage pour créer un espace économique nord-américain plus intégré et plus concurrentiel.

Parmi les mesures que vous aimeriez que le Canada prenne pour stimuler la croissance du commerce et de l'investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, lesquelles seraient les plus prioritaires? En contrepartie, quelles mesures aimeriez-vous voir prendre par votre gouvernement, justement, pour stimuler la croissance et l'investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique?

M. Suárez : Sénatrice, merci beaucoup pour votre très importante question. Moi, je pense que l'ALENA a atteint ce but. C'est le commerce et l'investissement, et c'est bien. On a fait beaucoup, et maintenant, je pense que l'ALENA a permis d'atteindre un stade de développement entre les trois pays. Je pense que, maintenant, il faut travailler, et que, si nous faisons ce que nous devons faire, nous devrons, au cours des 20 années à venir, nous concentrer sur trois choses.

Je pense évidemment à l'énergie. Dans le domaine de l'énergie, vous avez un fort rapport bilatéral avec les États-Unis. Nous avions aussi un fort rapport avec les États-Unis sur ce point, mais il faut maintenant que les trois travaillent ensemble. Je pense que la coopération dans le dossier des réseaux de pipeline doit être très importante; il faut avoir un vrai grand réseau, pas seulement pour le pétrole, mais aussi pour le gaz. Or, cela demande un certain effort de planification pour que nous puissions le faire ensemble.

La deuxième chose, selon moi, ce sont les échanges techniques et les investissements. Je pense que le Mexique a besoin de l'investissement et de l'apport technique du Canada et des États-Unis. Il doit y avoir une augmentation des échanges entre les trois pays.

Également, une certaine harmonisation des règles est nécessaire. Vous avez acquis une expérience très importante pour réduire la contamination de l'eau, et il ne faut pas que nous fassions les mêmes erreurs. Il faut donc une certaine harmonisation des règles pour éviter la contamination et pour protéger les droits des communautés.

Je pense que l'énergie est un domaine immense et qu'il y a beaucoup de travail à faire. Les ministres de l'Énergie se réuniront à Washington en décembre. Ils travailleront sur les dossiers liés aux réseaux de pipeline, aux investissements, aux échanges techniques, et ils négocieront évidemment des accords pour que, éventuellement, les trois pays deviennent des exportateurs vers les autres régions.

Aussi, je pense qu'il y a une liste très longue de propositions que le secteur privé a faites concernant les frontières. Les frontières présentent beaucoup de problèmes. Il y a là une liste très importante de points qui doivent faire appel au bon sens, et je pense qu'il y a beaucoup à faire à ce chapitre.

Prenons, par exemple, le concept cleared once, accepted thrice. Il est ridicule qu'on ait les mêmes formules, une pour les États-Unis et le Mexique et une autre pour le Canada et les États-Unis, pour faire de façon numérique un formulaire anglais-français. Il y a beaucoup de choses à faire

Les infrastructures des frontières représentent un problème; je pense qu'elles sont restées au niveau du XIXe siècle.

Il y a une idée qui mérite de l'attention, et c'est une idée qui a été présentée par le Conseil canadien. Vous avez une institution qui a des ressources, la North American Development Bank.

[Traduction]

Elle pourrait être une véritable Banque nord-américaine de développement, et si on lui donnait la possibilité d'investir dans les infrastructures et l'environnement, elle serait un outil très puissant.

Elle n'a pas besoin de ressources de la part des gouvernements, mais elle doit avoir accès à d'autres sources de capitaux. Cela pourrait amener de nombreux investissements en PPP, et je pense qu'elle pourrait obtenir la majorité des ressources sur les marchés. Je crois que ce serait une bonne solution pour remédier aux problèmes des frontières qui, selon moi, sont très graves, et pour surmonter toutes les barrières non tarifaires au commerce, telles que les mesures phytosanitaires. Nous travaillons là-dessus. Il faut éliminer les mesures protectionnistes que prennent les Américains. C'est comme si les vaches mortes devaient obtenir la citoyenneté. La situation est un peu absurde. C'est la deuxième chose. Ce sont des éléments précis.

On ne peut pas secouer la bureaucratie, avec tout le respect que je vous dois, lorsqu'il s'agit de l'immigration. Tout est une question de pouvoir et de bureaucratie. Les dirigeants doivent dire : « Nous voulons des résultats dans un an. » Autrement, cela n'arrivera jamais. Le secteur privé exerce des pressions et cela aide énormément.

[Français]

La troisième chose, je crois, est la mobilité du travail. Pour moi, il est évident qu'il y a des limitations de main-d'œuvre dans certaines provinces. Vous n'avez pas de travailleurs semi-qualifiés.

[Traduction]

Je crois que nous pourrions aider en Alberta, en Colombie-Britannique et au Manitoba. Nous avons des travailleurs qualifiés et semi-spécialisés. Si nous parvenons à une entente, peu importe ce que vous voulez — que préférez-vous, les travailleurs temporaires ou permanents? Pour nous, l'idéal, c'est un emploi temporaire, mais avec une possibilité de renouvellement. Les travailleurs agricoles viennent ici pour huit mois. Ils retournent au Mexique avec des économies. Ils demeurent en contact avec leur famille. Si le gestionnaire les aime et veut qu'ils reviennent, ils reviennent. Les portes sont donc ouvertes aux travailleurs temporaires.

Je pense qu'il reste encore beaucoup à faire au chapitre de la mobilité de la main-d'œuvre, du côté des Américains également. Notre population augmentera de 50 p. 100 d'ici 2026. Nous avons un immense bassin de gens travaillants qui adhèrent aux valeurs occidentales. Je pense que nous pouvons faire quelque chose. Il faut réduire la paperasserie. Encore une fois, il y a la question de compétence entre les provinces, le gouvernement fédéral et même les municipalités. Sur le plan de la mobilité de la main-d'œuvre, il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire.

Nous pourrions également renforcer les relations entre les universités, c'est-à-dire les chercheurs, afin d'obtenir une meilleure collaboration entre les entreprises et les universités. Querétaro et Bombardier réussissent à collaborer avec les universités au Canada et aux États-Unis afin de recruter des techniciens qui travailleront pour Bombardier de l'autre côté de la frontière. Il faut évidemment régler la question du visa. La situation est ridicule.

Je vais maintenant parler du tourisme. Le Mexique, comme je l'ai indiqué, a une classe moyenne considérable. Nous dépensons beaucoup. Le commissaire du tourisme à Vancouver m'a dit : « Vous n'avez aucune idée des chiffres. Les Mexicains ont découvert Whistler. Il y a tellement de gens qui se rendent en Colombie-Britannique et à Whistler. » Les gens s'arrêtent à Vancouver. Quand tout cela a commencé, les gens disaient qu'il fallait faire autrement. C'est très important pour la promotion du commerce. Le tourisme pourrait être un moteur de croissance très important. J'insiste aussi sur l'énergie.

Par conséquent, l'éducation, le capital humain, la mobilité de la main-d'œuvre et l'élimination des obstacles au commerce transfrontalier sont plus ou moins nos objectifs. Dans 20 ans, j'espère que nous dirons que l'Amérique du Nord est devenue une région véritablement axée sur l'industrialisation et la fabrication. Très franchement, je ne crois pas qu'on puisse nous faire concurrence. Avec le gallon d'essence à 4 $, les secteurs de la fabrication, de l'automobile et de l'aéronautique sont imbattables. Vous avez la technologie. Nous pouvons fournir une partie de la main-d'œuvre. Vous avez les travailleurs hautement qualifiés. De toute évidence, l'Amérique du Nord est une puissance économique, en fait, la plus importante au monde. Sa situation peut être encore meilleure.

La présidente : Votre Excellence, le temps est écoulé. Je vais devoir céder la parole au prochain sénateur. Je vous demanderais donc de raccourcir, dans la mesure du possible, vos questions et vos réponses, de sorte que les sénateurs disposent tous du même temps. Ils veulent tous vous poser des questions.

M. Suárez : Je vais être bref.

La sénatrice Eaton : Je vais vous poser une question très rapidement. Nous entendons souvent parler, et je suis certaine que vous en avez déjà entendu parler également, d'un périmètre de sécurité qui s'étendrait de la frontière mexicaine jusqu'au Pôle Nord. Cela engloberait beaucoup de choses, dont l'énergie. Est-ce envisageable? Le président Obama ne semble pas très emballé par le commerce, du moins, il ne s'est pas montré intéressé jusqu'à maintenant. Est-ce que vous pensez que la situation peut changer maintenant que les républicains ont repris le contrôle du Sénat? Y a-t-il une volonté d'établir un périmètre de sécurité entre nous tous?

M. Suárez : Le Mexique appuierait l'idée d'un périmètre de sécurité. Je pense que ce serait facile pour nous, dans la mesure où ce périmètre couvre un large éventail de questions. À mon avis, le périmètre de sécurité devrait englober des questions liées au commerce et à la sécurité.

La sénatrice Eaton : Un marché commun.

M. Suárez : Un marché commun. Je crois que nous devrions travailler dans ce sens. Au Mexique, à l'heure actuelle, après le succès de l'ALENA, il n'y a aucun problème.

Les États-Unis ont toujours eu toutes sortes d'intérêts, mais Obama était très favorable à une approche trilatérale. Je pense qu'ils aiment cette idée. L'approche trilatérale sera utile pour négocier avec d'autres régions, comme l'Europe et le Pacifique. Je crois que c'est une possibilité. Il n'y a pas de problème en ce qui concerne le concept. La difficulté réside toujours dans les détails, et il faut tenir compte de plusieurs éléments, comme la politique d'achat aux États-Unis, entre autres. Je crois que c'est plausible, et cela fait partie de cette nouvelle vision.

La sénatrice Raine : Je n'ai pas besoin de poser ma question parce que vous y avez déjà répondu. Cela concernait le tourisme, que je considère comme étant un vigoureux moteur de croissance économique. Je suis tout à fait d'accord avec vous. Je pense au nombre de touristes canadiens qui vont au Mexique. Je crois que la criminalité a terriblement entaché l'image du Mexique. Pourriez-vous nous dire brièvement comment vous collaborez avec les autorités américaines et canadiennes pour surmonter cet obstacle?

M. Suárez : Je dirais que c'est quelque chose dont nous sommes extrêmement fiers. Nous accueillons 1,8 million de Canadiens chaque année. Lorsque notre ministre du tourisme était ici, elle était abasourdie de constater que trois villes canadiennes — Vancouver, Toronto et Montréal, et même Calgary — ont envoyé plus de 300 000 touristes au Mexique. C'est autant que les touristes en provenance d'Espagne, avec qui nous entretenons des liens très solides. Ce sont trois villes canadiennes.

Ce sont les compagnies aériennes qui posent problème. On a conclu un nouvel accord relatif à l'ouverture de l'espace aérien. Il y a de nombreux vols nolisés, mais nous devons faire plus que ça, comme je l'ai déjà dit, pour accroître le commerce bilatéral.

Heureusement, la violence, qui est évidemment la principale préoccupation au Mexique, est très localisée. Elle ne touche pas nos centres touristiques, sauf un, en toute honnêteté, et c'est Acapulco. Acapulco est une très grande ville où on retrouve beaucoup de pauvreté, et elle se trouve dans l'un des états compliqués, soit l'État de Guerrero. Au-delà de Zihuatanejo, Puerto Vallarta, Los Cabos, il n'y a pas de problème. Pas plus qu'à la Riviera Maya. J'étais à Detroit récemment, et c'était plus dangereux que la ville de Mexico. Je crois qu'il n'y a aucun danger dans ces régions.

Je sais qu'il y a de nouveaux sites. Les gens veulent plus que du soleil, du sable et des margaritas; ils veulent aussi visiter des sites culturels. Guanajuato et San Miguel de Allende deviennent des options attrayantes pour bon nombre de Canadiens. Nous voulons également que les Mexicains viennent au Canada.

N'empêche que des problèmes subsistent. Nous avons des avertissements jaunes et rouges. Chaque fois qu'il y a un problème, les consuls doivent en être informés afin que nous puissions agir adéquatement, mais la situation demeure problématique.

C'est dans les villes situées à proximité de la frontière américaine que l'on retrouve le plus important commerce bilatéral de drogues et d'armes. C'est un problème de taille. Nous avons 10 000 magasins d'armes le long de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, et aucun d'entre eux ne vend des fusils de chasse. On y trouve des AK-47 et des bazookas. Le trafic de drogues et d'armes est le problème le plus sérieux qui touche les frontières, en particulier dans l'État de Tamaulipas. La situation de Tijuana s'est améliorée considérablement. On commence à voir des progrès à Juárez. Il y a ensuite l'État de Guerrero et les montagnes. Ce sont les endroits les plus risqués.

La présidente : L'une des préoccupations qui continue d'être soulevée par de nombreux Canadiens est l'écart qui existe entre certaines de vos régions, particulièrement entre le sud et le nord, et ce que vous êtes prêts à faire dans ces régions pour les mettre au diapason des autres. Existe-t-il des débouchés pour le Canada et certaines de nos ressources dans ces régions?

M. Suárez : C'est une très bonne question, madame la sénatrice. L'une des critiques que j'ai entendues contre l'ALENA, aux États-Unis, et dans une certaine mesure, au Canada, est le fait qu'il a énormément favorisé la prospérité, mais a créé beaucoup d'inégalités. La situation est très inégale, parce qu'au Mexique, à qui cet accord a-t-il profité? En gros, la croissance ne va pas bien loin au-delà de Mexico. Elle ne s'étend pas jusqu'au pauvre sud, où nous sommes confrontés à des problèmes de pauvreté et de criminalité, entre autres. Il a été bénéfique pour les grandes entreprises, et d'une certaine manière, pour les fournisseurs de ces grandes entreprises, mais pas pour les petites et moyennes entreprises. C'est un problème. Le commerce se situe uniquement au niveau des grandes entreprises.

Le problème tient en partie au fait que L'ALENA ne renferme pas de mécanisme comme celui dont se sont servis les Européens pour corriger les inégalités régionales, bien que dans ce cas, il était plutôt question d'écarts entre les pays. Je pense que nous devons élaborer des instruments et adopter des politiques industrielles et régionales pour rectifier ces déséquilibres.

Depuis quelques années, nous avons des programmes destinés à lutter contre la pauvreté qui s'appliquent maintenant à 5 millions de personnes. On vise les personnes les plus défavorisées. Nous considérons que ce n'est pas suffisant. De 1980 à 2000, le Mexique a affiché un taux de croissance pitoyable de 2 p. 100. C'est très bas. Je ne crois pas que nous parviendrons à régler ces problèmes tant que nous n'aurons pas amélioré les infrastructures, et ainsi de suite, et connu une croissance de 4, 5 ou 6 p. 100. J'irais jusqu'à dire que notre collaboration dans certains secteurs pourrait entraîner une augmentation de la croissance.

À mon avis, ce qui a une grande incidence sur le Mexique, et dans une certaine mesure, sur les États-Unis, et même sur vous, dans une moindre mesure, c'est la situation de l'Amérique centrale. Ses problèmes dépassent nos frontières. Le Guatemala, le Salvador et le Honduras éprouvent de graves difficultés. Il y a tellement d'enfants qui arrivent à la frontière du Mexique et qui se déplacent vers le nord, étant donné les faibles taux de ces pays en matière de croissance et de développement institutionnel. Le Mexique et les États-Unis doivent unir leurs efforts. Ce problème ne se réglera pas uniquement en formant davantage de policiers ou de soldats ou même en améliorant le système judiciaire. Vous devez adopter une approche commune destinée à aider ces pays à faire leur part. Le Panama et le Costa Rica n'ont pas ces problèmes. Tôt ou tard, nous devrons également travailler avec Cuba, mais c'est une autre paire de manches, madame la sénatrice.

La présidente : J'aimerais aborder un autre sujet. Vous avez parlé des liens que vous entretenez depuis toujours avec l'Espagne, et cette relation se poursuit. Évidemment, quand je parle de l'Espagne, je parle de l'Union européenne. Vous entretenez également des rapports étroits avec le Brésil. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet? Cela fait l'objet de beaucoup de discussions. Je m'interroge sur la collaboration entre ces deux grands pays.

M. Suárez : Encore une fois, c'est une excellente question. Je dirais que le Mexique a actuellement l'impression de vivre la reconquête des Espagnols. Pourquoi une reconquête du Mexique? Malheureusement, en raison de la très mauvaise situation économique en Espagne, un très grand nombre d'Espagnols reviennent au Mexique, y compris des gens hautement qualifiés, et surtout des jeunes. Ils se comptent par dizaines de milliers. Nous entretenons une relation très étroite avec l'Espagne.

Nous sommes très inquiets, car je pense que l'ensemble de l'Europe traverse une période de stagnation séculaire. Nous parlons d'un pays donné comme s'il était le seul en Europe qui soit malade, mais je pense que toute l'Europe se porte mal, ce qui ne présage rien de bon pour l'économie mondiale.

En réponse à l'autre question, je pense que nous sommes chanceux de travailler avec ce que nous voyons, et nous espérons pouvoir résoudre les problèmes afin que le Canada se joigne à nous. Le Canada a déjà conclu des accords de libre-échange avec les quatre pays de l'Alliance du Pacifique, qui fonctionnent à merveille. J'irais jusqu'à dire que l'Alliance du Pacifique est probablement l'accord commercial qui a progressé le plus vite et le plus efficacement au monde.

Après une année de négociations, le Chili, la Colombie, le Pérou et le Mexique ont éliminé 92 p. 100 des barrières commerciales. C'est fantastique. Remarquez bien que certains de ces pays sont difficiles. Ils le disent eux-mêmes. La Colombie est un pays très complexe en ce qui a trait aux drogues.

Nous avons éliminé les visas. Que s'est-il passé? Les responsables de la sécurité ont géré les risques à cet égard au moyen du renseignement. Et qu'est-il arrivé? Le nombre de touristes en Colombie, au Pérou, au Chili et au Mexique a quadruplé après que le visa ait disparu. Nous avons fait de même avec le Brésil.

Nous avons regroupé les marchés boursiers des quatre pays. Notre marché boursier combiné est désormais plus important que celui du Brésil. Puisque notre seul type d'adhésion canadienne se rapporte à des activités minières, il serait logique de nous associer à la Bourse de Toronto, qui est la plus importante dans le secteur minier. Les Canadiens sont très intéressés, et le gouvernement canadien aussi. Un des problèmes est la mobilité des gens. Nous y travaillons et espérons que le Canada se joigne à nous.

En ce qui concerne le Brésil, nous entretenons des liens très étroits avec le pays. Nous avons essayé de reconstruire la relation. Ce n'est pas qu'une histoire de soccer, mais nos relations sont quelque peu difficiles en raison de jalousies mutuelles, le Brésil étant un géant en Amérique latine, dans le Sud, et pour le Nord aussi. La relation est toujours difficile, sauf pour ce qui est du soccer — c'est faux. Je pense que nous essayons de travailler avec les Brésiliens, et je crois que nous y arrivons.

Ce que nous disons, c'est que l'Alliance du Pacifique n'est contre personne, mais qu'elle est plutôt en faveur de certaines choses. Qui peut y adhérer? Des pays aux vues similaires qui ont le même type d'approche en matière de développement. Tous les pays de l'alliance favorisent le libre marché, sont libéraux, sont tournés vers l'avenir, ont une attitude non protectionniste et respectent la démocratie. Nous continuons à travailler avec les Brésiliens malgré les changements au sein de leur gouvernement, qui est passé du centre à la gauche avant de revenir au centre.

Nous tendons la main à nos amis de la côte atlantique du continent, ce qui est merveilleux, mais nous ne voulons pas répéter l'erreur qui s'est produite lorsque nous avons conclu un accord qui englobait l'Amérique latine au complet. Or, cette Association latino-américaine de « libre-échange » n'a jamais été libre, et elle n'a probablement même jamais donné lieu à des échanges non plus. Le problème, c'est que l'accord regroupait des pays très hétérogènes, ce qui ne fonctionnait qu'en apparence.

Nous avons donc lancé l'invitation. Les autres peuvent certainement se joindre à nous, pourvu qu'ils partagent nos politiques, surtout en ce qui a trait au libre-échange, à l'ouverture à l'investissement et à la démocratie. Je pense que c'est ce qui nous empêche d'étendre l'alliance de l'autre côté du continent. Nous espérons pouvoir faire affaire avec le nouveau gouvernement brésilien, mais dans ces conditions seulement. Nous ne voulons pas conclure un accord pour le plaisir.

La présidente : Il ne reste plus beaucoup de temps. Je sais que la sénatrice Johnson voulait poser une autre question.

La sénatrice Johnson : Votre témoignage était vraiment complet. J'aimerais toutefois que Son Excellence commente la visite du ministre Fast et le contrat qui a été conclu à Calgary avec ATCO, ce qui illustre les grands progrès réalisés à l'échelle provinciale. Il s'agit d'un partenariat avec Grupo Hermes, le deuxième projet d'ATCO au Mexique. Êtes-vous au courant de ce projet évalué à 50 millions de dollars américains? C'est ce qui se passe à Calgary. On vient de l'annoncer...

M. Suárez : Pourriez-vous...

La sénatrice Johnson : En fait, Pemex a choisi ATCO, une société de Calgary spécialisée dans les structures, la logistique, les services publics et l'énergie, pour lancer le projet en question dans l'État d'Hidalgo, au Mexique. Ne s'agit-il pas d'un exemple remarquable du travail régional que nous réalisons?

M. Suárez : Tout à fait. TransCanada y participe déjà. Nous devons vous raconter notre expérience. J'ai entendu dire que TransCanada, qui s'occupe de cinq pipelines sur une distance de 1 200 kilomètres, a déjà des problèmes en raison des personnes habituelles — les environnementalistes qui collaborent avec les populations locales — et parfois des dirigeants locaux qui profitent des localités dans leur propre intérêt. Nous sommes ravis qu'ATCO ne soit pas TransCanada. Il y a ATCO, et une autre société aussi.

Ce sont ATCO et une autre société canadienne qui sont déjà sur place. Je pense que les possibilités sont immenses pour les industries de services du Canada, y compris les constructeurs de pipelines.

La sénatrice Johnson : Est-ce Grupo Hermes qui fait partie du partenariat?

M. Suárez : Oui. Un groupe de hauts placés de chez Pemex, du ministère de l'Énergie et de la CFE visitera Calgary dès son premier arrêt pour faire la promotion du projet Round One, qui porte non pas sur les puits matures, mais plutôt sur le golfe du Mexique et le gaz de schiste. Je pense que ce sera des plus utile étant donné qu'il y a pas mal de possibilités à ce chapitre.

J'ai assisté à la réunion à Toronto entre le ministre Fast, la secrétaire Pritzker et le secrétaire Guajardo. La rencontre a été fort utile. Nous n'avons pas résolu la question de l'étiquetage du pays d'origine, mais d'un autre côté, compte tenu des négociations entourant le Partenariat transpacifique, l'idée n'a rien de simple, suivant ce qu'il adviendra du Congrès américain et ce qu'il décidera de faire. Mais nous espérons pouvoir compléter les négociations dans le cadre du partenariat d'ici le début de l'année prochaine. En passant, nous nous en tirons parfois mieux avec les républicains qu'avec les démocrates lorsqu'il est question d'accords commerciaux. Les républicains sont plus axés sur le libre-échange et favorables aux entreprises, et ils sont moins protectionnistes.

La sénatrice Johnson : Nous sommes dans le même bateau à ce chapitre.

M. Suárez : Les ministres du Commerce se sont très bien entendus sur toutes nos questions bilatérales. Un des enjeux portait sur la question qui a été posée plus tôt quant à la façon de se débarrasser des problèmes. Nous étions d'accord; nous devions modifier la structure bureaucratique ayant trait aux frontières pour éliminer cette barrière, et entretenir de bonnes relations avec les parties intéressées. Il est important de bien s'entendre avec le secteur privé pour savoir ce que tout le monde fait.

La présidente : Votre Excellence, je vous remercie d'être venu comparaître. Nous nous réjouissons certes de votre enthousiasme à l'égard de nos relations et de notre pays. Dans le cadre de notre étude, il a été utile d'apprendre que le Mexique souhaite continuer à bonifier notre relation au fil des réussites. Nous n'allons pas parler des autres. Nous savons qu'il y a toujours des obstacles. Nous allons examiner les deux côtés de la médaille, mais nous cherchons vraiment de nouveaux projets et de nouvelles façons de tisser des liens sur ce continent. Votre contribution d'aujourd'hui nous a été d'une grande valeur. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de venir en compagnie de vos collaborateurs.

Vous avez dit qu'il y a des obstacles sur le plan bureaucratique, et qu'une volonté politique est nécessaire. Nous parlons parfois de bureaucratie par manque de volonté politique. Nous essayons de déterminer où nous pouvons maximiser nos efforts, et comment nous pouvons débloquer les systèmes où l'enthousiasme est moins débordant. Je vous remercie infiniment de votre apport, et j'espère que vous continuerez à suivre notre étude avec intérêt. Si vous souhaitez ajouter quoi que ce soit, n'hésitez pas à envoyer l'information à notre greffier, à n'importe quel moment. Vous pourriez avoir des renseignements ou même des données historiques, que j'ai d'ailleurs trouvées des plus intéressantes aujourd'hui. Je vais me rappeler que le juge Turgeon a été le premier ambassadeur au Mexique. Si je l'ai déjà su, j'avais oublié. Je n'étais peut-être pas aussi bonne en histoire que vous.

Mesdames et messieurs les sénateurs, pour la deuxième partie de la séance, nous allons poursuivre notre étude en compagne de M. Pierre Pyun, vice-président des relations gouvernementales chez Bombardier. Vous pouvez maintenant nous présenter votre déclaration liminaire.

Comme vous pouvez le voir, les sénateurs aiment poser des questions. Puisque le temps dont nous disposons est limité, nous allons vous demander de prononcer votre exposé, quelle qu'en soit la durée, et de dire quelques mots sur notre étude.

D'ailleurs, notre étude porte sur le potentiel d'accroissement du commerce et de l'investissement entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, y compris dans les secteurs de croissance clés des ressources, de la fabrication et des services; les mesures fédérales nécessaires à la réalisation des possibilités cernées dans ces secteurs clés; les possibilités d'intensifier la collaboration au niveau trilatéral.

Bienvenue au comité. La parole est à vous.

[Français]

Pierre Pyun, vice-président, Relations gouvernementales, Bombardier Inc. : Bonjour, honorables sénateurs. Il me fait extrêmement plaisir d'être parmi vous aujourd'hui. J'aimerais d'emblée vous remercier de l'occasion que vous nous donnez de partager avec vous nos vues et perspectives sur les possibilités de croissance dans le cadre des échanges commerciaux entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, et vous décrire comment, chez Bombardier, nous avons vécu, nous vivons et avons pris avantage de la zone de libre-échange et de la plateforme économique régionale.

[Traduction]

Je vous remercie de nous donner l'occasion de vous faire part de notre point de vue et de notre perspective sur la relation entre le Canada, les États-Unis et le Mexique au chapitre du commerce et des investissements, et sur la possibilité d'élargir cette relation trilatérale des plus importante. Je vais commencer par dire quelques mots sur l'ensemble de la société, après quoi je m'attarderai davantage à l'Amérique du Nord, à nos activités, à notre impression de la plateforme nord-américaine, à l'intégration régionale et à la possibilité d'en faire plus.

Bombardier est une société internationale dont le siège social est situé à Montréal. Nous comptons plus de 75 000 employés dans le monde. Nous avons 79 sites de production et d'ingénierie répartis dans 27 pays différents, ainsi qu'un réseau mondial de centres de services.

Comme vous le savez peut-être, nous produisons des avions et des trains. Du côté de l'aéronautique, nous fabriquons des avions d'affaires et des avions commerciaux, alors que du côté du transport ferroviaire, nous offrons la plus vaste gamme de matériel ferroviaire au monde. Nous produisons de tout, qu'il s'agisse de trains à grande vitesse, de locomotives ou de technologies de transport en commun, comme les métros, les monorails, les trains légers, les trains régionaux et les trains de banlieue, ou encore les composantes clés de ces systèmes, comme les systèmes de signalisation et de propulsion.

La société est en train d'investir massivement dans la recherche et le développement. Selon certains critères, nous sommes la société qui dépense le plus en R-D au Canada. Dans l'histoire de notre société, c'est du jamais vu en matière de recherche et d'investissements. Nous avons plusieurs nouveaux programmes d'aéronefs en branle, comme l'avion CSeries, un aéronef commercial de ligne principale. Nous sommes également en train de développer de nouvelles plates-formes d'avions d'affaires, à savoir Learjet 85, Global 7000 et Global 8000. Je vais revenir sur ces produits puisque la plate-forme nord-américaine et nos activités aux États-Unis, au Canada et au Mexique jouent un rôle déterminant dans la réalisation de ces projets.

Du côté du transport ferroviaire, nous investissons aussi massivement dans la recherche et le développement. Nous sommes d'ailleurs en train de faire l'essai de notre technologie de train à très grande vitesse. En Chine et en Italie, nous l'appelons le ZEFIRO 380, des trains pouvant atteindre une vitesse de 380 kilomètres à l'heure. Nous avons également une nouvelle technologie de transfert d'énergie par induction du nom de PRIMOVE, qui peut être utilisée avec les trains, les autobus et les camions. Pour être concurrentiels dans nos secteurs d'activité, nous devons impérativement mettre en place des chaînes de valeur mondiales. Nous répartissons donc nos fonctions d'entreprise partout dans le monde, en misant sur les atouts concurrentiels et les avantages relatifs que les divers emplacements peuvent nous offrir, tout en ayant une base très solide au Canada.

Dans ce contexte, les chaînes de valeur régionales sont essentielles à notre réussite. Lorsque vient le temps de prendre une décision en matière d'investissement, ce n'est pas vraiment ce qu'un pays peut offrir qui compte à nos yeux. C'est plutôt ce que la région offre, et à quel point elle peut soutenir la concurrence en permettant aux chaînes de valeur régionales de prospérer et de se développer. L'Amérique du Nord est un bon exemple à ce chapitre. On y trouve nos chaînes de valeur et réseaux d'experts les plus solides et les plus vastes, qui nous permettent non seulement de saisir les occasions qui se présentent sur le marché nord-américain, notre plus important marché en aéronautique et un des plus importants du côté des transports ferroviaires, mais aussi d'avoir une base solide pour la chaîne de valeur, comme je l'ai dit. Quelque 51 p. 100 de notre personnel est en Amérique du Nord, pour un total de 39 000 employés. De ce nombre, 26 500 sont au Canada, 8 500, aux États-Unis, et 4 000, au Mexique.

Le réseau dont je parle compte 22 sites de production et d'ingénierie en Amérique du Nord, et nous avons un grand nombre de fournisseurs sur ce territoire, avec plus de 550 sociétés qui approvisionnent directement Bombardier. Chaque année, nous dépensons plus de 4 milliards de dollars en produits et services vendus par des fournisseurs nord-américains.

Du côté de l'aéronautique, nous avons des sites de production à Dorval et à Mirabel, dans la province du Québec; à Downsview et à North Bay, en Ontario; à Wichita, Kansas, aux États-Unis; et à Querétaro, au Mexique. L'ambassadeur faisait d'ailleurs référence à notre site de Querétaro.

Dans le secteur ferroviaire, nous avons des sites de production et d'ingénierie au Québec, soit à La Pocatière et à Saint-Bruno, où se trouve notre siège social pour les Amériques. C'est aussi un centre de conception, d'ingénierie et de prototypage. Nous avons des sites de production et d'ingénierie à Thunder Bay et à Kingston, en Ontario; à Plattsburgh et à Pittsburgh, aux États-Unis; et deux au Mexique, soit à Sahagún, dans l'État d'Hidalgo, et à Huehuetoca, dans l'État de Mexico.

Je vais simplement parler du marché, car c'est là que tout commence. Comme je l'ai dit, l'Amérique du Nord représente un important marché pour notre société. Le Canada génère environ 7 p. 100 de nos recettes totales, alors que l'ensemble de l'Amérique du Nord compte pour 39 p. 100, ce qui représentait l'an dernier quelque 7 milliards de dollars, par exemple.

Comme je l'ai mentionné, les marchés nord-américains de l'aéronautique et du transport ferroviaire sont considérables pour nous. Le Canada compte des projets de transport en commun à Vancouver, à Edmonton, à Montréal et à Toronto. Nous avons obtenu des contrats de métros pour San Francisco, New York et, récemment, Chicago. Nous sommes également optimistes quant aux possibilités qui se présentent au Mexique. Nous avons trouvé très impressionnantes la vitesse et la détermination avec laquelle le gouvernement a établi un consensus avec les principaux partis de l'opposition, et a pu entreprendre des réformes économiques visant à libéraliser certains secteurs, comme les télécommunications et l'énergie. Ce qui nous touche plus directement, c'est que le gouvernement a aussi annoncé des investissements majeurs en infrastructures publiques, comme des projets de services ferroviaires voyageurs, ce qui n'était pas arrivé au Mexique depuis un certain temps.

Il y a d'ailleurs un certain nombre de projets de services ferroviaires voyageurs, notamment une nouvelle liaison ferroviaire entre les villes de Mexico et de Toluca.

Du côté de l'aéronautique, nous prévoyons que 40 p. 100 de nos avions d'affaires seront livrés en Amérique du Nord au cours des 20 prochaines années, ce qui représente environ 8 600 avions; on parle de 40 p. 100 de l'ensemble des livraisons dans le monde. Dans nos segments du marché des avions commerciaux — soit les aéronefs de moins de 150 sièges —, l'Amérique du Nord devrait représenter environ 30 p. 100 de nos livraisons au cours des 20 prochaines années, ce qui correspond à quelque 3 650 appareils.

Pour revenir aux chaînes de valeur, le rendement et l'efficacité du réseau sont essentiels à notre réussite. Les entreprises internationales doivent de plus en plus réfléchir et travailler en fonction des réseaux mondiaux et des chaînes de valeur mondiales, indépendamment des pays et des frontières, en quelque sorte. C'est vraiment une question de survie pour des sociétés comme la nôtre. Dans nos secteurs d'activité, nous faisons concurrence aux grandes entreprises des pays industrialisés et des pays en développement, de plus en plus.

À nos yeux, la création de chaînes de valeur mondiales n'est pas un jeu à somme nulle. Nous pouvons le faire et tout en intensifiant nos activités ici, car nous devons avant tout être plus concurrentiels à l'échelle mondiale et augmenter notre part de marché, ce qui est aussi dans l'intérêt de nos activités au Canada.

Dans le contexte concurrentiel que je viens de décrire, nous sommes d'avis que l'Amérique du Nord ne peut pas se reposer sur ses lauriers si elle souhaite conserver son titre de marché le plus grand et le plus recherché au monde. D'autres régions gagnent du terrain et arrivent désormais à attirer les investissements dans divers secteurs, y compris nos secteurs d'activité.

J'ai dit que nous avons de nombreux sites en Amérique du Nord, mais qu'ils sont interreliés de bien des façons aux chaînes de valeur régionales. Nous n'avons aucun réseau qui soit aussi étendu que ceux du Canada, du Mexique et des États-Unis.

Je vais brièvement vous donner deux exemples. Dans le cas du programme CSeries dont j'ai parlé, les aéronefs sont conçus et assemblés à Montréal à Mirabel. Nous avons un grand nombre de fournisseurs américains, y compris pour certains éléments déterminants comme les moteurs. Certaines pièces structurelles viennent de notre site du Mexique, où elles sont fabriquées, et d'autres régions du monde aussi, comme nos fournisseurs ou notre site de Belfast, en Irlande du Nord. Dans le cadre du programme, on procède actuellement aux essais en vol. Nous avons deux centres pour réaliser ces essais : le premier est situé à Wichita, au Kansas, et l'autre à Mirabel, un centre que nous avons ouvert récemment. L'avion multiplie les allers-retours entre les États-Unis et le Canada, et les différents sites permettent de faire l'essai de diverses conditions, comme le temps chaud, le temps froid, le givrage naturel et l'approche à forte pente. Nous utilisons différents environnements aux États-Unis, comme le centre d'essai de la Floride pour les températures extrêmes.

Le programme Learjet 85, un nouvel avion d'affaires, constitue un autre exemple d'intégration régionale. Le centre névralgique du programme, pour ainsi dire, se trouve à Wichita, dont l'équipe dirige les activités entourant l'ingénierie de l'avion, l'assemblage final et les essais. Les composantes structurelles proviennent de notre site de Querétaro, et les équipes canadiennes contribuent grandement à l'ingénierie et à la conception. Bien sûr, notre force de vente mondiale appuiera la commercialisation du Learjet 85, et notre réseau mondial de centres de service fournira les services après-vente d'entretien et de réparation.

Nous avons d'autres exemples dans le secteur ferroviaire. Par exemple, nous avons un projet de métro pour New York, et fournissons un grand nombre de wagons à San Francisco. L'assemblage final des wagons se fait à Plattsburgh, dans l'État de New York, et les composantes proviennent du Mexique, de La Pocatière, au Québec, et de Thunder Bay, en Ontario.

Nous avons récemment mis en place un centre de prototypage à Saint-Bruno, au Québec, pour appuyer tous les projets en Amérique du Nord. Sur place, nos ressources en ingénierie sont passées de 600 à 1 000 employés au cours de la dernière année dans le but de soutenir ces projets. C'est d'ailleurs à Saint-Bruno qu'ont lieu la conception et l'ingénierie de nos projets de métro pour San Francisco et New York.

Pour terminer, je voulais proposer quelques idées sur la façon d'améliorer la plateforme nord-américaine sur le plan stratégique. Nous croyons qu'il est possible de réorienter nos efforts entourant la capacité concurrentielle de l'Amérique du Nord, et de favoriser une intégration accrue. Comme je le disais, on peut notamment envisager l'Amérique du Nord sous l'angle d'une chaîne de valeur mondiale, ce qui permettrait de renforcer la plateforme en misant, à l'instar des entreprises, sur l'avantage concurrentiel de différents emplacements, de façon à former un ensemble en mesure de soutenir notre capacité concurrentielle mondiale.

Concrètement, des initiatives comme le Conseil de coopération et Par-delà la frontière sont très bien accueillies dans le secteur privé. Nous pensons toutefois qu'il est possible d'accélérer les choses et d'aller plus loin à ce chapitre. Puisque nous expédions sans cesse de part et d'autre des frontières mexico-américaine et américano-canadienne, nous avons également l'impression que certaines mesures pourraient être harmonisées, comme la certification de sécurité des cargaisons. À ce chapitre, les États-Unis se sont dotés du Partenariat entre les douanes et les entreprises contre le terrorisme, ou C-TPAT; le Canada, de Partenaires en protection, ou PEP; et le Mexique, du NEEC. Puisque certaines, voire la grande majorité des exigences se ressemblent beaucoup, pourquoi ne pas appliquer un seul système à l'ensemble de l'Amérique du Nord? Nous sommes d'avis qu'une telle uniformité contribuerait grandement à renforcer la plateforme nord-américaine.

J'ai une autre idée pour vous : lorsque nous négocions des accords de libre-échange, il faut prendre garde de ne pas miner ou édulcorer les avantages de l'ALENA. Serait-il préférable d'essayer de négocier certains accords ensemble? Les négociations pourraient servir à renforcer la plateforme nord-américaine en permettant aux pays de trouver des façons de la rehausser plutôt que de négocier séparément. Je pense que c'est une question à examiner.

L'ambassadeur a parlé de l'Alliance du Pacifique. Serait-il possible pour l'ALENA de s'associer à l'Alliance du Pacifique? Il existe déjà des accords de libre-échange bilatéraux entre l'ALENA et les membres de l'Alliance du Pacifique.

Nous proposons également d'envisager la fabrication d'un point de vue holistique, en y intégrant les services. En fait, le service est un volet important de la fabrication à bien des égards. Il s'agit certainement d'un secteur d'activité pour nous puisque nous pouvons entretenir et exploiter des systèmes ferroviaires, par exemple. C'est d'ailleurs une part croissante de nos activités. Nous avons un certain nombre de contrats de service en Amérique du Nord. Le travail d'ingénierie fait également partie de la fabrication. Nous devons réaliser des essais avant de pouvoir mettre nos produits en marché; j'ai d'ailleurs parlé des centres d'essais en vol. Dans ce contexte, la mobilité dans le secteur des affaires est importante aussi, et nous pensons qu'il est possible de moderniser l'ALENA de façon à améliorer ce volet.

Je vais m'arrêter ici, madame la présidente. Je répondrai bien sûr à vos questions avec plaisir.

La présidente : Merci.

La sénatrice Ataullahjan : J'aimerais poser une question en deux volets. Vous avez dit que votre société compte 39 000 employés. De ce nombre, savez-vous combien de femmes travaillent dans le secteur manufacturier?

M. Pyun : J'ignore quel est le ratio au pied levé, mais promouvoir l'égalité des sexes fait partie de notre stratégie de responsabilité sociale. Nous avons pris des engagements conformément aux textes des Nations Unies qui encouragent aussi l'égalité des sexes. Nous poursuivons des objectifs quantifiables pour essayer d'augmenter le nombre de femmes qui occupent différentes fonctions au sein de la société. Nous avons mis l'accent sur les postes de gestion et de direction dans le but d'augmenter le nombre de femmes qui s'y trouvent. Je ne pourrais toutefois pas vous donner un pourcentage précis de mémoire.

La sénatrice Ataullahjan : Vous avez un excellent programme en matière de responsabilité sociale. Qu'avez-vous fait à l'échelle locale, plus particulièrement avec les universités mexicaines?

M. Pyun : À nos yeux, la responsabilité sociale d'entreprise n'est ni une histoire de relations publiques ni une activité marginale. Elle s'intègre vraiment aux activités centrales de la société. Elle comporte bien des facettes qui vont de la santé et la sécurité des employés jusqu'au développement de technologies respectueuses de l'environnement. Nos produits aéronautiques et ferroviaires sont désormais accompagnés de déclarations environnementales. Nous tenons compte de l'ensemble du cycle de vie lorsque nous développons nos produits, à commencer par la conception, en allant jusqu'à la réutilisation, en fin de cycle. Nous prévoyons également investir dans les localités où nous sommes en activité. Au Mexique, nous avons des usines à Querétaro, et notre principale usine ferroviaire se trouve à Sahagún, dans l'État d'Hidalgo. Nous avons donc collaboré étroitement avec des établissements d'enseignement de la région. Par exemple, lorsque nous avons investi à Querétaro, l'Université d'aéronautique de Querétaro a été créée justement pour l'enseignement dans ce domaine. Nous avons aidé l'établissement à mettre en place son programme d'étude en veillant à ce qu'il corresponde à nos besoins, puisque nous accueillons constamment de nombreux stagiaires de l'université. Nous avons également fait en sorte qu'une partie du savoir-faire canadien soit associée à l'université. Par exemple, le Collège Édouard-Montpetit et l'École des métiers de l'aérospatiale de Montréal ont apporté une aide technique à l'université lors de la création des programmes visant à former les techniciens en aéronautique dont nous avons besoin.

L'ancrage local fait partie intégrante de notre stratégie; nous cherchons donc à conserver les racines locales et à embaucher sur place. Nous avons pris part à un certain nombre d'initiatives, non seulement avec les universités, mais aussi sur le plan environnemental. Au Mexique, par exemple, nous appuyons le projet d'une ONG du nom de Sierra Gorda, qui encourage le reboisement et la revitalisation des cours d'eau au pays. Nous avons appuyé cette initiative, et c'est un exemple parmi tant d'autres.

[Français]

Le sénateur Robichaud : Comment pouvez-vous comparer la moyenne des salaires entre une usine comme celle de La Pocatière et une autre, au Mexique? Je ne parle pas de cadres supérieurs, mais de ceux qui travaillent sur la chaîne de production.

M. Pyun : Sans vous donner de chiffres exacts, il y a une différence quand on examine le taux horaire, même en incluant les suppléments, entre le salaire moyen des techniciens au Canada et celui des techniciens du Mexique.

Pour que nos industries dans les marchés développés au Canada et aux États-Unis demeurent compétitives, la connexion avec le Mexique est très critique dans le maintien de notre position concurrentielle sur le plan global, parce que, de manière de plus en plus significative, nous faisons face à une concurrence qui a accès à un environnement où les coûts sont plus bas que les nôtres, si je parle de la base de nos opérations, ici au Canada.

Je parle de la concurrence chinoise. On travaille en partenariat avec la Chine, mais on leur fait aussi concurrence sur les marchés internationaux dans d'autres pays en développement à travers le monde.

La clé est la spécialisation des sites. Alors, il y a un type de travail qui se fait ici, au Canada, par exemple, l'assemblage final pour nos produits. On veut orienter davantage nos sites dans cette direction, comme l'ingénierie et le travail à haute valeur ajoutée, par exemple. Je mentionnais nos nouveaux programmes pour les avions. La majorité de nos entrées en ingénierie provient de nos opérations au Canada.

Quand je parle de chaînes de valeur mondiales, c'est pour nous une façon d'aller chercher des avantages comparatifs des différents sites, y compris le Mexique, qui fait de la production de haute qualité, mais à moindres coûts, de composantes d'avion ou de train où nos opérations au Canada sont moins concurrentielles. Par contre, cela est complété par le travail d'ingénierie et d'assemblage final, ici, et on continue d'employer, ici, au Canada, un grand nombre de techniciens qui sont très spécialisés dans ces domaines. Toutefois, il y a une différence.

Le sénateur Robichaud : Si on parle des techniciens, est-ce que vous êtes en train d'en former dans des usines situées à l'extérieur du pays, justement pour profiter de cette différence qu'il pourrait y avoir sur le plan salarial?

M. Pyun : Il est sûr que nous avons des échanges, parce que, quand on a de nouveaux employés ailleurs, on veut les former selon nos méthodes pour nous assurer que la qualité corresponde à nos normes. On entre également en partenariat avec des institutions pour soutenir, au Mexique ou ailleurs, l'amélioration des compétences locales afin de pouvoir soutenir la viabilité de nos investissements à l'étranger.

Alors, par exemple, l'Université de Querétaro, au Mexique, est l'un de nos partenaires, sinon notre partenaire principal pour la formation. On a aussi amené d'autres joueurs à la table, mais encore une fois, ce n'est pas une question de jeu. Si on regarde l'évolution de Bombardier Inc. dans les dernières années, ce que l'on fait à l'étranger ne se fait pas aux dépens de la croissance, ici, au Canada. Cela permet à l'entreprise de continuer à croître, à nos opérations ici de se spécialiser davantage dans certains créneaux, mais aussi de croître, parce qu'on devient de plus en plus concurrentiel au point de vue global, et c'est une question de survie pour la compagnie.

Le sénateur Robichaud : En ce qui concerne les familles des travailleurs, avez-vous des programmes pour leur permettre de profiter de conditions comme l'éducation, les services à la famille ou autres?

M. Pyun : Nous avons mis des programmes en place pour aider nos employés et, par extension, leurs familles dans toute l'organisation, y compris au Mexique. Je mentionnais quelques initiatives qui visent à investir dans la communauté, parce qu'il est important de le faire, car nous sommes là à long terme. Nous embauchons des travailleurs localement aussi. Alors, il est important de créer une solide loyauté avec notre bassin de travailleurs et de démontrer cet engagement à long terme. Dans certains pays, comme en Inde, nous appuyons des écoles locales. Nous fournissons des fonds, par exemple, pour l'agrandissement et le développement des écoles. Il y a différentes façons, selon notre orientation stratégique qui est de développer des racines locales dans les endroits où nous investissons.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Nous apprécions votre présence à notre comité, M. Pyun. Je tiens à vous dire que, en tant que Québécoise, je suis extrêmement fière du succès de Bombardier Inc. C'est un fleuron pour le Québec et le Canada tout entier.

J'aurais deux questions complètement différentes à vous poser.

Lorsque vous supprimez des postes au Canada, le faites-vous aussi dans les 70 autres sites que vous avez en ce qui concerne les 39 000 employés qui travaillent pour Bombardier?

M. Pyun : Malheureusement, parfois, nous traversons des périodes de compressions budgétaires afin de réorienter la compagnie en fonction de nos priorités du moment et de la réalité de l'environnement d'affaires. Cet été, nous avons annoncé une restructuration de Bombardier Aéronautique pour rendre l'organisation plus simple et plus agile à capturer les occasions qui se présentent à nous et à faire face à certains défis que nous posent nos gros programmes de développement d'avions, par exemple.

Dans ce contexte, malheureusement, cela crée une incertitude pour les employés. Il a fallu annoncer la coupure d'environ 1 800 postes dans ce qu'on appelle les fonctions indirectes. Nous avons été très clairs : il s'agissait de coupures à travers l'organisation au complet, y compris à nos sites à l'étranger et, malheureusement, à ceux situés au Mexique et en Irlande du Nord.

Mais il est certain que, compte tenu de la présence substantielle que nous avons au Canada dans le domaine aéronautique, il s'agit d'une chaîne de valeur plus centralisée, d'une présence substantielle à Montréal. Je dirais que les coupures sont faites de manière proportionnelle, de manière générale. Cependant, il est sûr que notre présence à Montréal a été affectée, étant donné que, à l'origine, c'est là que nous avions le plus d'employés du côté aéronautique.

Je dirais que ça dépend des fonctions qui sont affectées. Mais, dans ce cas-ci, c'est à travers l'organisation. Il faut aussi mettre les choses en perspective. Depuis le début de la récession, en 2008, nous avons embauché 5 000 personnes. Nous ne publions pas de communiqués de presse lorsque nous embauchons, parce que c'est graduel. Mais dans ce cas-ci, nous avons peut-être grossi un peu trop rapidement, et il a fallu se réajuster à notre réalité d'affaires. De manière nette, au cours des cinq dernières années, nous avons tout de même continué à croître.

La sénatrice Fortin-Duplessis : De quelle façon le gouvernement canadien peut-il vous aider dans votre créneau pour stimuler la croissance économique et les investissements entre le Canada, les États-Unis et le Mexique?

M. Pyun : Pour notre part, je mentionnais plus tôt que nous pensons qu'il y a une occasion d'intégrer davantage l'économie régionale; une opportunité, également, si cette plateforme est vue sous l'angle du développement des chaînes de valeur mondiales, de renforcer la plateforme de l'ALENA. De façon très concrète — l'ambassadeur du Mexique y faisait référence également —, je pense aux frontières et aux processus par lesquels on doit passer pour pouvoir expédier les biens. Je donnais comme exemple un programme de certification de la sécurité. Nous pensons qu'il y a beaucoup de latitude, beaucoup d'opportunités d'harmoniser davantage les règles pour faciliter la circulation des biens, avec tous les fournisseurs et les liens que je décrivais tantôt entre les trois pays.

Quant à la mobilité des experts et des travailleurs, nous pensons qu'il y a lieu de moderniser le cadre actuel. Je donnais l'exemple des essais en vol, qui demandent une spécialisation extrêmement pointue qui représente un bassin d'expertise assez limité à travers le monde. Pour nous, pour pouvoir effectuer ces essais en vol entre les États-Unis et le Canada, il faut un cadre qui soutient justement la mobilité et la vélocité de la mobilité également. Présentement, nous faisons face à des retards administratifs qui peuvent représenter un défi pour nous, lorsqu'il s'agit de livrer nos programmes à temps.

La sénatrice Fortin-Duplessis : Donc, il faut réduire les délais.

M. Pyun : Il faut réduire les délais; mais de manière générale, il faut commencer par l'environnement d'affaires, ici, au Canada, et dans chacun des pays : les politiques fiscales, les politiques liées à l'innovation, au développement de la main-d'œuvre aussi. De bonnes politiques favorisent évidemment l'attraction des investissements.

[Traduction]

La sénatrice Johnson : Merci. C'est un plaisir de vous écouter aujourd'hui. À mon avis, que Bombardier est une société qui a vraiment marqué le secteur des transports. Je sais que vous menez des activités au Mexique depuis plus de 20 ans.

Étant donné les récentes libéralisations, quelles occasions y a-t-il pour vous au Mexique? Cela ouvre-t-il la porte à de nouvelles possibilités dans le développement des infrastructures et pour les autres projets auxquels vous participez?

M. Pyun : Certainement. Nous sommes très enthousiastes quant aux possibilités de croissance au Mexique, y compris dans le secteur de l'infrastructure. Le gouvernement mexicain a fait de l'investissement en infrastructure une priorité. Il envisage des dépenses de 300 milliards de dollars américains au cours des six prochaines années — des investissements publics et privés, puisque certains projets seront menés selon un modèle PPP. Il a été très clair au sujet des projets ferroviaires qu'il veut réaliser. Plusieurs de ces projets nous intéressent.

Il y a, par exemple, la voie entre la ville de Mexico et Toluca, comme je l'ai déjà dit, mais aussi le train transpeninsulaire entre Mérida et Cancún et le train de banlieue entre Chalco et La Paz, dans l'État de Mexico, notamment. On n'a pas vu un tel investissement dans des projets de trains de passagers au Mexique depuis de nombreuses années. Au cours des dernières années, même si elles ont participé à divers projets locaux, nos installations se sont concentrées principalement sur les exportations. Nous sommes bien placés pour être concurrentiels dans l'obtention de ces projets. Toutefois, notre présence locale ne nous le garantit pas. Nous devons faire des offres très concurrentielles de prix et sur le plan technologique et commercial et nous nous attendons à une concurrence féroce de la part d'autres sociétés.

Comme vous le savez peut-être, il y a quelques jours, le gouvernement mexicain a annoncé avoir attribué à une société chinoise un projet de train à haute vitesse entre la ville de Mexico et Querétaro. Nous nous attendons à beaucoup de concurrence de la Chine pour d'autres projets.

La sénatrice Johnson : La Chine est-elle votre plus grand compétiteur dans ce secteur?

M. Pyun : La Chine est un compétiteur émergeant dans les marchés ferroviaires traditionnels. Les sociétés chinoises se concentrent davantage sur des marchés sur lesquels nous ne nous sommes pas concentrés au cours des dernières années. Dans nos marchés ferroviaires traditionnels et développés, comme l'Europe et l'Amérique du Nord, nos compétiteurs — et parfois, nos partenaires — sont Siemens et Alstom, entre autres. Ce sont de grandes sociétés. De plus en plus, dans nos marchés traditionnels, comme l'Amérique du Nord, les sociétés chinoises soumissionnent des projets. Récemment, une d'entre elles a obtenu un contrat pour fournir des wagons de métro à Boston, aux États-Unis.

Je tiens à souligner que nous travaillons souvent en partenariat avec des sociétés chinoises. En Chine, nous avons formé des coentreprises avec deux grands conglomérats chinois, soit CNR et CSR. D'ailleurs, le gouvernement chinois a annoncé récemment que ces sociétés allaient être fusionnées. Il y a deux jours, nous avons annoncé la formation d'une nouvelle coentreprise avec une filiale de CSR, en Chine, pour la fabrication d'un monorail et de navettes automatisées, à Nanjing. Nous menons des activités en Chine depuis un bon moment et travaillons également en partenariat avec des sociétés chinoises.

La sénatrice Johnson : Quelle est votre présence aux États-Unis, en parlant de vos autres sociétés, et qu'est-ce qui fera votre succès à l'avenir?

M. Pyun : Nous sommes très actifs aux États-Unis. Les États-Unis demeurent un marché très important pour nous et constituent un des plus importants marchés pour l'aérospatiale et le transport ferroviaire. Nous comptons plus de 8 000 employés aux États-Unis et plusieurs sites de production, notamment à Wichita et à Pittsburgh, mais aussi à Plattsburgh, une de nos principales usines pour le matériel roulant. Nous avons plusieurs centres de service — plus de 20, en fait — pour les aéronefs d'affaires et commerciaux. Les services sont une composante intégrale et très importante de la fabrication. Nous entretenons plusieurs relations de service et avons plusieurs contrats d'entretien. Par exemple, nous avons obtenu récemment un contrat de 15 ans pour l'entretien d'un système ferroviaire au New Jersey.

Nous avons une grande présence, une présence complète, aux États-Unis, y compris dans les secteurs de la conception, de l'ingénierie, de la fabrication et des services.

La présidente : Sénateur Downe, vous aviez une question complémentaire pour notre témoin?

Le sénateur Downe : Oui, merci. La corruption est-elle un problème important au Mexique comparativement aux autres pays où vous faites affaire?

M. Pyun : Pas dans les secteurs où nous menons des activités. Je dirais que la corruption à l'échelle mondiale — dans les marchés émergents, mais aussi dans certains marchés développés — pourrait être problématique pour une société comme la nôtre. Nous avons des normes d'éthique les plus strictes, un code d'éthique en évolution, un programme de formation et un système de conformité afin de minimiser, sinon d'éliminer, le risque dans la façon dont nous menons nos activités.

La corruption au Mexique est peut-être un problème dans certaines industries, mais l'industrie ferroviaire repose principalement sur des marchés publics. Ce n'est pas un problème sérieux pour nous au Mexique. Mais, oui, il y a un problème de corruption à l'échelle mondiale, y compris en Amérique latine.

Toutes les initiatives gouvernementales dans les pays en développement visant à renforcer la primauté du droit sont accueillies favorablement par les multinationales comme la nôtre, car elles aident à créer un environnement propice à l'investissement à long terme dans ces pays.

[Français]

Le sénateur Rivard : Dans le dossier des CS100, les essais en vol ont-ils repris?

M. Pyun : Vous êtes probablement au courant du problème que nous avons éprouvé avec le moteur de la série C, ce qui a créé un retard dans le programme d'essais en vol. Cependant, les essais en vol ont repris et ils vont bon train depuis le mois de septembre.

Un certain nombre de nos véhicules d'essai volent présentement. Vous savez peut-être que les avions doivent voler un minimum d'heures avant de recevoir leur certification. L'échéancier de livraison du CS100 avait été fixé pour la deuxième moitié de l'année 2015 et il n'a pas été modifié.

Le sénateur Rivard : Je sais que, à cause de retards ou d'incidents qui se sont produits lors des essais du CS100, certains clients ont annulé des commandes fermes. Les contrats contenaient-ils des clauses advenant un retard dans l'échéancier ou était-ce des décisions unilatérales de la part de ces clients?

M. Pyun : Le problème du moteur a été réglé complètement. Le problème était relié au système de lubrification; à cause de la chaleur très intense, il y a eu une fuite. Une solution à court terme et à long terme a été trouvée, et les moteurs modifiés nous ont été livrés.

C'est pour cela que les programmes d'essais en vol existent, pour tester l'appareil dans des conditions supérieures aux conditions normales d'opération, afin d'éliminer tout risque concernant la sécurité.

Présentement, nous avons 243 commandes fermes; aucune commande n'a été annulée. Par contre, ce qui a plutôt fait la manchette, c'est que notre client de lancement pour le CS100, Malmö Aviation, en Suède, s'est désisté publiquement. Cependant, il ne s'est pas désisté par rapport à sa commande. C'est plutôt l'échéancier des livraisons qui est en négociation. Nous aurons un nouveau client de lancement. Il n'y a eu aucune annulation et nous avons constamment tenu nos clients informés des développements. Je dirais que nos clients demeurent très confiants par rapport à l'avenir du programme et à notre capacité à livrer l'avion selon l'échéancier prévu pour la deuxième moitié de 2015.

D'ailleurs, après que les essais en vol ont repris, vous le savez peut-être, nous avons reçu une commande ferme de 40 avions CSeries et 10 options supplémentaires de la part d'une compagnie qui s'appelle Macquarie AirFinance. Voilà une démonstration très claire que, dans le marché, la confiance demeure si ce n'est qu'elle s'accroît par rapport à la série C.

Le sénateur Rivard : Merci et bonne chance.

Le sénateur Robichaud : Avec le réchauffement de la planète et considérant les nombreux feux de forêt qui se sont déclarés l'année dernière, on a pu constater l'expertise incontestable de Bombardier Inc., et plus particulièrement, du CL-415. Prévoyez-vous produire des avions de plus grande capacité?

M. Pyun : C'est une question intéressante, parce que, effectivement, il y a de l'intérêt partout à travers le monde pour notre produit CL-415. Cela est peut-être provoqué par le fait que les feux sont plus fréquents dans certaines régions. On a des clients déjà bien établis en Espagne et en Grèce et on a une flotte importante au Canada. Les avions canadiens sont parfois prêtés à d'autres juridictions de façon temporaire pour combattre les incendies.

En ce qui concerne le CL-415, la plateforme peut être adaptée aux besoins de nos clients spécifiques, mais de manière générale, c'est un avion qui a déjà une très grande capacité, d'autant plus que son gabarit permet une certaine flexibilité, ce qui est très avantageux pour ce type d'avion. En général, quand nos clients ont besoin de plus de capacités, ils se procurent plus d'avions.

Je tiens à préciser que, en ce qui concerne l'impact environnemental, la série C comporte de nombreux avantages. Par exemple, sa consommation de pétrole est inférieure de 20 p. 100 à la moyenne actuelle et ses émissions de CO2 sont inférieures de 20 p. 100 également. Je dirais que l'un des moteurs de l'innovation, c'est de réduire l'impact environnemental et de contribuer à gérer le défi du changement climatique.

[Traduction]

La présidente : Monsieur Pyun, comme vous pouvez le constater par les questions des membres, votre travail nous intéresse beaucoup. Chaque fois que nous examinons des questions commerciales, nous tenons toujours compte de l'opinion de Bombardier et la société a toujours bien réagi à nos invitations. Vous faites partie des sociétés très responsables avec lesquelles nous aimons discuter.

Vos suggestions nous seront très utiles dans notre étude visant à améliorer les relations entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Merci d'avoir accepté notre invitation et pour vos réponses réfléchies à nos questions.

M. Pyun : Merci de m'avoir donné l'occasion de participer à cette étude.

La présidente : Chers collègues, j'ai déposé un avis de motion pour le mardi 18 novembre, date prévue pour notre prochaine réunion, afin d'entendre le témoignage du ministre Fast dans le cadre de notre étude sur l'accord Canada-Corée. Bien entendu, cette demande est sujette à l'approbation de la Chambre. Nous envisageons d'amorcer la séance à 15 h 30. Si notre demande n'est pas approuvée, nous nous réunirons mercredi.

Cela dit, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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